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01/07/2011

L'expo Kubrick

Le dos douloureux, je me suis rendu lors de mon périple parisien dans l'enceinte de la Cinémathèque Française. C'est une première pour moi en ce qui concerne le site de Bercy. J'ai donc parcouru les salles de l'exposition consacrée à Stanley Kubrick (jusqu'au 31 juillet). C'est également la première fois que je vois une exposition de ce genre et, ma foi, je l'ai trouvée très équilibrée, ni trop légère, ni trop dense. Carrée et méticuleuse à l'image de son sujet, kubrickienne, quoi. Pour qui s'intéresse à l'œuvre du grand homme, c'est une plongée assez troublante côté atelier, un atelier bien fournit pour un homme très féru de technique. Tout y est me semble-t'il (sauf peut être l'expérience avortée de western avec Marlon Brando) : les débuts dans le photojournalisme, les courts métrages, le film renié (Fear and desire – 1953) avec extrait, les scénarios annotés, des plannings journaliers, les documents promotionnels, les affiches, la tunique de Crassus, les essais avec Sue Lyon en couleurs, le scaphandre de Bowman, la canne-épée d'Alex, le couteau de Wendy, le casque de Joker, les masques d'Eyes wide shut (1999). Collections d'accessoires divers et variés pour les fétichistes dont je fais partie, notamment les objectifs utilisés par le réalisateur, les croquis de préparation de Ken Adams sur Dr Strangelove (Dr Folamour – 1964) et les projets avortés d'Aryan papers et du Napoléon avec la documentation impressionnante réunie sur le sujet. Et puis plein d'extraits et les interventions, entre autres, de Steven Spielberg (A ma grande joie, il y a une partie consacrée à A.I.(2001)), Martin Scorcese et Woody Allen.

Stanley Kubrick

Méticuleux donc, le nombre réduits de films réalisés par Kubrik permettant une approche étendue individualisée. Mais troublante aussi parce que j'ai toujours cette impression d'être comme un pilleur de tombe, de me glisser sous la table de l'illusionniste pour surprendre les trucs. Heureusement les films résistent et dans le cas de Kubrick, ils résistent même bien. Disons que j'ai un rapport ambigu à cette part de la création qui devrait peut être rester enfermée dans l'atelier, le studio ou le bureau de l'artiste. Car tout est exposé, les raccords, les bricolages, les trompe l'œil, les ratés et les ratures. Et cela se traduit chez moi par un phénomène que j'ai déjà observé dans d'autres musées, du cinéma ou d'autre chose. Tout y est plus petit que dans les films, tout y est comme terni par le temps, même les masques récents du dernier opus. Ce qu'il manque, c'est à la cuirasse de Crassus la prestance et la carrure de Laurence Olivier. Il manque au scaphandre de Bowman, outre quelques voyants sur le bras, la lumière de Geoffrey Unsworth et le 70 mm. Et je pense à une phrase entendue dans un documentaire présenté dans une autre exposition consacrée à l'art Dogon (jusqu'au 24 juillet au musée du Quai Branly) : « Car un masque qui ne danse pas [...] n'est plus qu'un morceau de bois mort ».

Le site de l'exposition

Photographie : DR source Rama screen

29/06/2011

Musique et cinéma selon Inisfree - partie 2

Suite et fin de la sélection musicale avec un salut à Clarence "Big Man"Clemmons.

28/06/2011

Musique et cinéma selon Inisfree - partie 1

Le bon Dr Orlof nous propose une liste de dix films musicaux (au sens large heureusement) suite à celle de Timothée de Fenêtres sur cour et à l'occasion de la fête de la musique. Je ne résiste donc pas et m'en vais élargir encore le sens, histoire de ne pas retomber sur les mêmes titres que mon collègue car il a un goût certain, le bougre. Néanmoins vous ne couperez pas à une nouvelle diffusion du Dancing in the dark à Central Park, c'est au-dessus de mes forces. Merci à Bruno pour la première vidéo.


23/06/2011

Une lettre

Blow Up de l'ami Luc Lagier sur le site d'ARTE propose très régulièrement de bien belles vidéos sous forme de portraits, évocations et lettres dont celle-ci adressée à Steven Spielberg par Joseph Morder que je ne résiste pas à l'envie de transmettre pour d'évidentes raisons.

21/06/2011

Le long voyage

Amicalement dédié à Édouard qui m'a opportunément rappelé que je lui devais un Weir, et à Christophe dont le texte m'a fait prendre le chemin de la salle de cinéma.

Comme le précédent Master and commander (2004, déjà), The way back (Les chemins de la liberté – 2010) de Peter Weir m'a quelque peu pris par surprise. Enfin presque. J'avais lu il y a quelques années le livre A marche forcée de Slavomir Rawicz paru en 1956 et dont on nous apprend aujourd'hui qu'il ne serait pas si autobiographique qu'annoncé. Ce récit m'avait emballé et je me demandais en le lisant ce que donnerait à l'écran cet incroyable voyage d'une poignée d'évadés du Goulag qui franchirent dans les années 40 quelques milliers de kilomètres, depuis le cercle polaire jusqu'à l'Inde via la Sibérie, le lac Baïkal, le désert de Gobi et l'Himalaya. Tout cela sans le moindre équipement et à pied. Et bien voici un film comme on ne s'attend plus à en voir, alliant une maîtrise technique très moderne à une esthétique d'un beau classicisme, une épopée grandiose sachant rester malgré tout à dimension humaine. Peter Weir montre une nouvelle fois qu'il est le brillant continuateur du cinéma de David Lean, en ce sens qu'il équilibre parfaitement le spectaculaire et l'intime. Il sait faire ressentir la fragilité de l'homme au sein d'une nature immense, comme les marins anglais en plein océan ou la famille Fox sur la Mosquito Coast. Mais cette nature, contrairement aux visions mystiques plus en vogue, ne possède cette grandeur que par rapport au regard humain qui reste la mesure de toute chose, comme dans le cinéma de Howard Hawks. La nature est indifférente c'est à dire qu'elle est tour à tour bienveillante et hostile, déchainant tempêtes de sable et de neige, offrant oasis et nourriture. A l'homme d'apprendre à la connaître et de se révéler en l'affrontant ou en s'en servant, non pour de fumeux motifs spirituels mais parce qu'elle est là et qu'il en fait partie. Ainsi la tempête de neige lors de l'évasion favorise la fuite du camp en dissimulant les fugitifs, mais elle gèle les plus faibles. Ainsi l'on trouvera dans la campagne la citronnelle contre les hordes de moustiques. Tout dépend des actes humains. De leurs aptitudes. A la question « Pourquoi aimez vous le désert ? », Lawrence d'Arabie répondait : « Parce que c'est propre ». Façon de dire que la confrontation est nette, pas comme entre les hommes.

peter weir

Cette approche permet à Weir d'éviter les écueils de l'adaptation. En premier lieu la dimension politique. Le Goulag est décrit en quelques traits puissants et justes pour qui a lu Alexandre Soljenitsyne ou Varlam Chalamov, sans entrer dans les détails ni donner lieu à un quelconque réquisitoire. Les hiérarchies au sein des prisonniers, l'absurdité des travaux, le poids de la bureaucratie que Mr Smith joué par Ed Harris retroune à son profit pour convaincre l'officier responsable d'abriter la colonne de prisonniers décimée par le blizzard, la spécificité de ces camps par rapport aux camps nazis et cette étrange décontraction slave, tout est montré en quelques plans limpides. Le personnage de Valka joué par Colin Farrel (Il force un peu quand même), qui reste fidèle malgré tout à Staline qu'il s'est tatoué sur le corps apporte une amusante dose d'ambiguïté tout en sachant révéler une véritable sensibilité. Mr Smith, de son côté, est un américain séduit par l'idéologie communiste, ce qui justifie les problèmes de langage (tout le monde parle anglais) et désamorce le fait de faire jouer ces personnages par des stars américaines. D'une façon générale, ces conventions hollywoodiennes passent bien, comme quand James Stewart jouait un allemand dans The mortal storm (1940) de Borzage. The way back n'est pas un film à charge, mais avant tout une aventure humaine qui pourrait prendre un autre cadre sans changer fondamentalement. On pourra éventuellement reprocher le traitement du groupe de polonais, dont les individualités ne sont pas assez travaillées, à l'exception de Janusz joué par Jim Sturgess qui rend avec force sa détermination à rentrer chez lui. Il est plus difficile de caractériser les autres. Une chose que Hawks, même sur des rôles mineurs, faisait parfaitement dans des films épiques et élégiaques comme Red river (La rivière rouge – 1946) ou The big Sky (La captive aux yeux clairs – 1952). Ceci mi à part, Weir enchaine les étapes sur un rythme posé mais régulier, sachant mettre en valeur les vastes paysages traversés avec la photographie sophistiquée de son complice de toujours, Russel Boyd. Il utilise avec discrétion les effets numériques intégrés et invisibles et fait avancer son récit par l'enchainement des obstacles et la résolution des problèmes, jusqu'à un final onirique et plein de mélancolie et de tendresse. Un beau film harmonieux et plein de souffle que vous avez sans doute raté en salle ce qui est bien dommage, mais qui sort en DVD. C'est l'occasion.

Le DVD

Le livre de Slavomir Rawicz

Photographie © Metropolitan FilmExport

21:43 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : peter weir |  Facebook |  Imprimer | |

18/06/2011

Gunnar Fischer 1910 - 2011

16/06/2011

Le cinéma de Nurith Aviv

nurith aviv

L'un des grands plaisirs que j'ai à collaborer au site Kinok, c'est celui de pouvoir découvrir une œuvre comme celle de Nurith Aviv. Un cinéma, documentaire ici, vers lequel je ne crois pas que je serais allé de moi-même, moi le cinéphile pétri des âges d'or hollywoodiens et italiens, des cinémas de John Ford et de François Truffaut (qui n'aimait guère le documentaire). Pour arriver au cinéma de Nurith Aviv, de moi-même, il m'aurait fallu surmonter quelques méfiances, quelques perplexités sur une forme, l'essai documentaire ; un style, dépouillé, posé ; et une thématique, la langue. Plus particulièrement l'hébreu avec le rapport complexe nourri d'histoire, de religion, de poésie et de politique, qu'entretiennent avec lui ceux qui le pratiquent, le parlent et l'écrivent aujourd'hui. Il aurait fallu laisser pleinement s'exprimer la « soif du spectateur pour une réflexion vivante sur les dimensions essentielles de la vie » comme l'écrit Thierry Garrel. L'on conviendra, à moins d'une foi un peu naïve en la nature humaine, que cette soif puisse avoir besoin d'un coup de pouce. Mais alors quelle joie ! Car la découverte des films de Nurith Aviv est une joie, un bonheur. A ce point, je me dis que le mieux à faire pour écrire sur ces films, c'est de balayer les méfiances, les réticences et les hésitations qui en tiendraient éloigné. Inutile de discourir sur le fond, sauf pour un spécialiste de la question, inutile de paraphraser un discours mûrement réfléchi, documenté et minutieusement structuré, qu'un travail de cinéaste a rendu on ne peut plus clair. « Il faut rassurer » disait Nanni Moretti. Rassurer pour assurer que les cinq films qui composent le beau coffret proposé par les éditions Montparnasse sont convaincants dès les premières minutes. Convaincants, séduisants, passionnants. Pas une minute d'ennui sur l'ensemble. Nurith Aviv sait filmer des gens passionnés, écrivains, professeurs, chanteurs, actrices, poètes et poétesses qui parlent avec passion de leur(s) langue(s), de leur rapport à l'hébreu. Comment ils y sont venus. Comment ils le pratiquent. Comment ils l'écrivent, le chantent, le parlent, le déclament. Et la force de cette passion, si bien captée par la réalisatrice nous touche en plein, directement, complètement. Car au-delà de l'hébreu, c'est de notre rapport avec notre langue, maternelle et/ou pratiquée dont nous parle Nurith Aviv. Merveille de film que celui qui installe une telle relation entre lui et le spectateur. Miracle de ce cinéma qui parie sur l'intelligence, sur la soif d'une réflexion vivante.

Nurith Aviv est née à Tel-Aviv en 1945, elle est la première femme à avoir été officiellement reconnue chef opérateur par le CNC en 1975. Elle a signé les images de nombreux films d'Agnès Varda, Jacques Doillon, Amos Gitaï ou René Allio. Nurith Aviv est passée à la réalisation de documentaires en 1989 avec Kafr Qara, Israël. Elle enseigne également à la FEMIS, en Allemagne, terre natale de ses parents et en Israël. A partir de 2004, elle entame une série de films autour du langage et de l'hébreu comprenant Traduire (2011), Langue sacrée, langue parlée (2008), L'alphabet de Bruly Bouabré (2004) et Misafa Lesafa (D'une langue à l'autre – 2004), réunis ici avec Vaters Land / Perte (2002) qui peut se lire comme une introduction à l'ensemble.

De son travail sur la lumière, elle conserve le goût de l'image belle sans effets d'éclairages, des cadrages fixes qui saisissent l'intervenant dans son milieu intime, la maison, le salon, la bibliothèque, à une juste distance pour former un portrait, assez près pour saisir les émotions qui traversent les visages, l'éclat des yeux. Sobre et rigoureuse, elle utilise des dispositifs très simples (le long panoramique en train de Vaters Land / Perte, les ouvertures en fondu de Traduire). Dans ce cadre, serein, posé et chaleureux peut se déployer la parole de chacun et le spectateur peut construire sa propre réflexion à partir des différentes expériences relatées.

Lire la suite sur Kinok

Le coffret DVD

Photographie : capture DVD Montparnasse

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15/06/2011

Les fantômes de Bernard Herrmann

Quelques morceaux superbes du compositeur Bernard Herrmann interprêtés au piano par Stephan Oliva sur de bien belles images (via Charles Tatum, merci).

12/06/2011

Retour dans l'univers de Pulp fiction

 Je suis dans le Var. Il fait un temps superbe. Le vent fait bruisser doucement les feuilles du grand marronnier. Ma fille gambade un peu plus loin dans le soleil. Dean Martin susurre Sway depuis l'intérieur. Je suis à l'ombre, pensant au pastis de 11h30. Pensant aussi à ce concours organisé par Priceminister autour des palmes d'or cannoises. L'idée est sympa, aussi je me suis engagé. Je me souviens...

Les grandes lettres jaunes bordées de rouge, Misirlou de Dick Dale, Royal with Cheese, Ezechiel 25 verset 10, de l'importance du massage de pied, la tignasse frisée de Jules, la montre, le putain de miracle, le sparadrap sur la nuque de Marsellus Wallace. Uma Thurman. Ketchup ! Pulp Fiction.

quentin tarantino

17 ans plus tard, cette palme décernée par le jury mené par Clint Eastwood et dont faisait partie Catherine Deneuve m'apparaît toujours comme atypique. Il y avait à l'époque, 1994, la rude concurrence de quelques films remarquables face au second opus d'un jeune réalisateur américain au débit de mitraillette : Caro Diario de Nanni Moretti, Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov, La reine Margot de Patrice Chereau ou Zir-e derakhtān zeytoun (Au travers des oliviers) d'Abbas Kiarostami. Des concurrents à priori plus classiquement cannois que ce film rock and roll, drôle, coloré et violent. Comme quoi. Mais un tel honneur aurait pu tout aussi bien plomber la carrière de Quentin Tarantino en hypertrophiant plus que de raison son ego. Raisonnablement, il attendra quatre ans avant de signer un nouveau film. D'autant que, à bien y réfléchir, Pulp fiction est certainement le moins bon, toutes choses étant relatives, de ses films. Pulp fiction n'a pas la rigueur ni l'énergie brute du premier essai, Reservoir dogs (1992), n'a pas l'émotion et la délicatesse du portrait de Jackie Brown (1998), n'a pas la folie baroque du dyptique Kill Bill (2003-2004), n'a pas l'érotisme flamboyant de Death proof (2007), pas plus que la virtuosité ambitieuse de Inglorious basterds (2009). Ce qui en fait malgré tout a hell of a picture, film phare des années 90, film culte, film foire suscitant une participation et une appropriation du public remarquable, que l'on se mette à danser comme Vincent Vega passant sa main aux doigts en V devant ses yeux, que l'on balance des blagues à deux sous comme Mia, que l'on récite la bible comme Jules ou que l'on se présente à son patron en déclarant ; « Je suis untel, je résous les problèmes ».

Avec le recul et les déclarations dont Tarantino n'est pas avare, on voit aussi que Pulp fiction est le film matrice de son œuvre. Il est tout ce que le premier opus n'était pas. Réservoir dogs était ramassé (99 minutes), Pulp fiction s'étale comme un gros chat au soleil sur deux heures et demie. Reservoir dogs était masculin (la seule femme avait 5 secondes d'écran, un cri et une balle dans la tête), Pulp fiction donne de beaux rôles aux femmes qui deviennent ici le moteur des actions des hommes à part égale avec l'argent. C'est la première collaboration avec Uma Thurman et la légende veut que ce soit sur le plateau que Q et U aient conçu ce qui allait devenir Kill Bill (auquel on pourra saisir quelques allusions rétrospectives). Reservoir dogs était conçu, malgré les allers et retour dans le temps, autour des unités de temps, de lieu et d'action. Pulp fiction s'amuse à déconstruire son récit au point ou il faut fournir un intense effort de réflexion pour remettre sa temporalité dans l'ordre. Par ailleurs le récit donne la part belle au hasard, que ce soit l'accident de voiture entre Butch et Marsellus, le coup de feu malencontreux de Vincent qui fait sauter le crâne du pauvre Marvin ou la façon dont les balles évitent, contre toute logique, Vincent et Jules. Film matrice, Pulp fiction annonce les œuvres à venir, définit le style Tarantino : la bande son, les multiples citations cinéphiliques, l'importance de la scène qui, comme l'un des maîtres de Tarantino, Sergio Leone, est conçue comme un morceau de bravoure fonctionnant de façon autonome. Fascination pour les voitures, fétichisme du pied, jeu sur le temps et l'espace, incrustations ludiques dans l'image. Pulp fiction est un film jouissif d'un jouisseur sachant faire partager sa jouissance.

Et puis ? Je me souviens, à l'époque, avoir eu une discussion sur le fond du film. Un ami critique me soutenait que le film était brillant mais vain. Je lui avais développé l'idée que peut être mais pas forcément. A sa façon, Pulp fiction, comme les autres films de Tarantino, est un portrait de l'Amérique. Pas un portrait littéral mais, comme dans le film noir, plus largement le film de genre dans lequel l'auteur puise son inspiration, c'est le portrait d'un état d'esprit qui en dit parfois plus long que bien des films réalistes. L'univers pop de Pulp fiction est celui d'un pays régit par l'argent et le sexe (avec les déviations soigneusement cachées en sous-sol), un pays fasciné par la violence et conservateur dans ses mœurs (Jules est étonné de la description d'Amsterdam donnée par Vincent, Marsellus est très possessif avec sa femme, Wolf agit selon des règles strictes), un pays qui vit encore sur de vagues souvenirs de valeurs (L'attitude Butch, la démarche du personnage de Christopher Walken qui ramène la montre du père de Butch) et des fragments de culture populaire que l'on décline jusqu'à la parodie (fameux restaurant – club Jack Rabbit Slim's). Un pays encore mystique (La conversion de Jules) dans lequel l'attrait de l'aventure reste l'ultime expérience. Un pays ou le réel et la fiction, même pulp, se rejoignent, se confondent et dansent heureux en attendant la mort.

La page Pulp Fiction

Photographie source Fin de séance

11/06/2011

Cannes 2011 : humanisme

"Vous voulez parler à Dieu ? Allons Le voir ensemble, je n'ai rien de mieux à faire."

Il en est ainsi, encore et toujours, entre réalisateurs qui entreprennent de dialoguer avec des concepts à majuscule et ceux qui vont filmer à hauteur d'homme. L'un n'empêche pas l'autre, c'est juste une question de point de vue. Donc aussi une question d'esthétique. Et ma préférence, de plus en plus marquée, va aux seconds. Je ne vise personne, du moins pas en particulier, c'est juste question d'introduire deux de mes cinéastes fétiches.

Si l'idée de voir Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin en dockers CGTistes partager un pastis avec vue sur l'Estaque vous défrise, laissez tomber Les neiges du Kilimandjaro, le nouveau film de Robert Guédiguian. Si en revanche, vous vous réjouissez de l'occasion de cet apéro entre amis, c'est un film pour vous. Et pour moi. Après une décennie de projets ayant souvent ouvert son cinéma à de nouveaux horizons (film de genre, retour aux sources, brillantes évocations historiques), Guédiguian retourne sous le soleil de Marseille et de son quartier fétiche, retrouve son petit monde de prolos à l'ancienne pour une histoire inspirée d'un poème de Victor Hugo, Les pauvres gens, qui voit une famille de pêcheurs pauvres adopter deux orphelins. Les neiges du Kilimandjaro renoue avec l'esprit des contes populaires et politiques travaillée d'humour et de mélodrame que sont L'argent fait le bonheur (1993) ou Marius et Jeannette (1997).

Jean-Pierre Darroussin est donc Michel qui se retrouve en pré-retraite suite à une charrette de licenciements sur le port, charrette dont il a organisé sans illusion le tirage au sort. Sans illusions, mais avec éthique. Ariane Ascaride est sa femme Marie-Claire qui s'occupe de vieilles personnes à domicile. Ils ont des enfants grands et installés, des petits enfants, une maison simple mais qui pèse son poids d'histoire avec terrasse et vue sur les vieilles ruelles. Ils sont tranquilles. Leurs amis se cotisent pour leur offrir un voyage au Kilimandjaro parce que Marie-Claire aime la vieille rengaine chantée par Pascal Danel. Un soir, tapant le carton avec leurs amis (Gérard Meylan et Marilyne Canto), ils sont agressés et l'argent du voyage volé. Traumatisme. Guédiguian déploie alors sa dialectique. A l'origine du vol, il y a un collègue de boulot qui a fait partie de la charrette. Lui est jeune, vit en HLM, sans ressources, l'avenir bouché, élevant seul ses deux jeunes frères. On voit venir les développements, le dilemme moral qu'induit la situation. Guédiguian l'empoigne à bras le corps à travers son couple vieillissant et adorable. D'aucuns le taxeront de naïveté, mais il va au bout de son projet, en explorant les nuances via la galerie de personnages écrits avec la complicité renouvelée de Jean-Louis Milesi. Enfants, amis, policier désabusé, voisine amoureuse, chacun apporte son point de vue et évolue au cours de l'intrigue et en fonction de l'évolution du couple principal. S'appuyant sur l'empathie que l'on ressent pour ce petit théâtre humain, Guédiguian joue avec le manichéisme sans jamais y tomber, brassant ses thèmes de prédilection, affirmant une nouvelle fois, face à la perte du collectif et aux échecs du politique comme du syndical, la force de choix individuels et moraux reposant sur la solidarité. Avec un pastis bien frais, et quelques olives noires, cela passe plutôt bien. Si Robert Guédiguian a le chic pour filmer ses acteurs (portraits solaires d'Ariane Ascaride, visage de Jean-Pierre Darroussin sculpté dans la pénombre, photographie de Pierre Milon), l'art de nous immerger dans une scène de groupe et une certaine façon de faire monter la tension (belle scène au commissariat de la confrontation entre Michel et son voleur), j'ai regretté un recours assez systématique au champ-contrechamp dans les nombreuses scènes de dialogue et un curieux calage des plages musicales qui parasitent par endroit, justement, les dialogues. Par contre on retrouve son talent pour intégrer à sa troupe de nouveaux talents, ici Grégoire Leprince-Ringuet dans le rôle du jeune voleur un peu buté et Robinson Stevenin en flic sombre. Tous les deux arrivent du précédent L'armée du crime (2009). Beaucoup de plaisir aussi de revoir Julie-Marie Parmentier en voisine. Ils apportent un contraste avec la vieille garde filmée avec beaucoup de tendresse, illustrant le rapport entre génération cher à l'auteur. Bref, l'apéro, Robert, tu peux me remettre ça.

Nanni Moretti, cher Nanni, trop rare Moretti. Son cinéma est toujours un tel plaisir, humour, intensité, légèreté, intelligence, ma si, vraiment. Plus inspiré par son faux pape que par son presque vrai Berlusconi, il fait de Habemus papam une version ecclésiastique de son plus beau film, Palombella rossa (1989). Michel Piccoli incarne un cardinal qui est élu pape à l'issue d'un scrutin paradoxal où les participant prient tous pour ne pas être élus. Touché par le poids de sa nouvelle charge, le nouveau pape craque en direct sur le balcon dominant la place St Pierre de Rome comme autrefois l'élu communiste à la télévision. Envahi par le doute, en proie à la crise de foi, il va devoir plonger dans son passé pour se retrouver, retrouver l'homme et non la fonction. Non habemus papam, finalement. Là-dessus, Moretti écrit avec Francesco Piccolo et Federica Pontremoli une brillante comédie feutrée qui met en parallèle la recherche existentielle du presque pape avec le dilemme des cardinaux réunis en conclave et coincés au Vatican tant que le pape n'a pas béni la foule et, par ce geste, validé son élection. D'autant que le pape fugue, que les fidèles et les media du monde entier attendent avec ferveur. Alors ce pape, ça vient ? En dernier recours, le chargé de communication des mitrés préconise le recours à la psychanalyse. Le meilleur des spécialistes, athée et amusé, rejoint la noble assemblée. Incarné par Moretti soi-même, le cheveu un peu plus blanc et l'œil toujours aussi vif, il pose un regard gentiment ironique sur la pourpre et l'or. Et il finit par organiser, pour tromper l'attente, un tournoi de volley-ball dans les cours des anciens palais. Moretti réalisateur va là où on ne l'attendait pas forcément avec ce regard débonnaire et attendri, plus espiègle qu'ironique. Il débusque en une délicieuse série de portraits la part d'enfance de chacun. Il faut voir la savoureuse séquence du vote, filmée comme une interrogation écrite à l'école, avec les prélats suçant leur stylo, tirant la langue sur leur feuille, cherchant à copier sur leur voisin. Plus tôt, nous les avons vu, ballet des éminences, défiler dans les couloirs renaissance, dignes, raides, concentrés, longue procession rouge, blanc et or (superbe plastique des plans), marche solennelle à la façon des pingouins sous les plafonds Renaissance. C'est un sommet pictural de l'œuvre de Moretti, de sa veine fellinienne, renvoyant au ballet coloré du pâtissier trotskyste.

Cherchez l'enfant, vous trouverez l'homme. Comme Michele cherchait désespérément les goûters de son enfance, le presque pape remonte jusqu'à sa véritable vocation. Cette approche sans ironie facile et peut être attendue, rend plus poignante la quête de cet homme joué tout en douleur contenue par Piccoli. Donc le pape prend un café, une chambre en ville, rencontre des gens, (re)devient un homme comme les autres. Et de scène amusante (la visite à la femme psy du psy) en scène touchante (les souvenirs évoqués), c'est dans un théâtre que la quête trouvera son aboutissement, une belle salle ancienne, miroir des palais épiscopaux, progressivement envahie par les cardinaux venus en terre étrangère récupérer le fugueur. La construction du film est admirable, à la fois décontractée et rigoureuse, utilisant de façon habile des plans documentaires (la foule sur la place) et différents décors, bonheur des palais romains, qui donnent une illusion parfaite et plutôt spectaculaire du Vatican. La photographie de Alessandro Pesci est chaude, se régalant des multiples jeux de couleurs qu'autorise le sujet. Moretti renouvelle sa forme pour une nouvelle exploration, comme l'homme de l'Estaque, de ses obsessions favorites : le sport, les pâtisseries, les discussions, Rome... le tout sans grandiloquence ni envolée mystique. Et sans avoir besoin, élégance suprême avec un tel sujet, de faire intervenir l'oeil de Dieu. Car Dieu n'est rien face à un jeu de ballon. Mais je ne vise personne.

Je suis tenté de rattacher à ces deux films admirables celui de Takashi Miike, Ichimei, remake du Seppuku (Hara-kiri - 1962) de Masaki Kobayashi. Je connais mal l'œuvre prolifique de Miike et ce que j'en connais est plutôt éloigné de ce film carré et sensible quoiqu'un peu raide. Mes lecteurs savent mon peut d'appétence pour le remake, mais ici, ne connaissant pas l'œuvre originale, j'ai pu apprécier le film sans arrière pensée. Pourtant, je n'ai cessé d'avoir, durant la projection, le curieux sentiment, pas désagréable au demeurant, de voir un film japonais des années 60. Écran large, photographie contrastée façon Technicolor, jeu des acteurs, sobriété des effets, composition précise des cadres, Ichimei me semble respecter l'original (je vais bientôt vérifier), loin de l'aspect moderne d'un film comme Tabou (1999) de Nagisa Oshima par exemple et surtout loin des audaces et outrances de nombre de films de Miike. Il ressemble tellement à un film des années 60 que le relief non seulement n'apporte rien au travail sur la profondeur de champ mais fini par s'oublier. Presque. Même Ebizō Ichikawa dans le rôle de Hanshirō Tsugumo ressemble à s'y méprendre au grand Tatsuya Nakadai du film original dont il retrouve parfois le regard brûlant.

Loin de ses histoires provocantes, Miike donne à voir un conte à haute teneur morale. Un drame combinant le sens de l'honneur exacerbé des samouraïs avec la pauvreté pouvant sévir à l'époque Endo. Le jeune Motome a épousé la fille de Tsugumo et a eu un fils. Les deux hommes, suite à la disgrâce de leur clan sont des samouraïs pauvres. Suite à la maladie de la femme et de l'enfant, désespéré, Motome se rend chez un noble et feint de vouloir se suicider, espérant susciter de la compassion et se voir proposer un emploi ou de l'argent. Mais ce sont des temps impitoyables et le noble refuse. Piégé par la rigidité du code d'honneur des samouraïs, Motome accompli le suicide rituel de manière atroce. Miike fait de cette scène un grand moment intense, misant intelligemment sur la violence psychologique et sociale plutôt que sur une violence visuelle que l'on aurait pu craindre. Tout ceci est raconté en flashback par Tsugumo, venu à son tour chez le noble, feignant le désir de suicide mais cette fois pour apprendre la vérité sur le sort de son beau-fils. Ichimei est tragédie et parabole, condamnation des rigidités d'une société cruelle qui amène des hommes de valeur comme Tsugumo et Motome a être incapable de prendre soin des leurs, à privilégier le culte de la mort (le suicide rituel) à celui du savoir (les livres de Motome) et de la poésie (les ombrelles de Tsugumo). D'une grande beauté plastique, le film me semble un peu décalé par rapport à son époque, la notre, décalage qui vient peut être de son statut de remake, mais qui est aussi à sa façon, du même ordre que celui de Guédiguian filmant ses dockers CGTistes, une certaine façon de voir et de montrer la condition humaine. Un regard pour moi précieux.

05/06/2011

Cannes 2011 : voitures

Driiiiive ! Chantaient les Clash sur le Brand new Cadillac de Vince Taylor.

Il n'y a eu guère plus d'une demi-douzaine de grands polars noirs, américains, ces 20 dernières années. Réservoir dogs (1992) de Quentin Tarantino, Carlito's Way (L'impasse – 1993) de Brian de Palma, The usuals suspects (1995) de Brian Singer, The yards (2000) de James Gray, No country for old men (2007) des frères Coen. J'y ajoute désormais volontiers le Drive de Nicolas Winding Refn. L'un des avantages de Cannes, c'est de pouvoir découvrir un film avec un regard complètement vierge. Je n'avais rien rien vu du réalisateur de Bronson (2009) et de Valhalla Rising (Le Guerrier silencieux – 2010). J'ignorais tout du film et je n'imaginais même pas un tel film puisse se retrouver en compétition officielle. Bien installé au premier rang, légèrement décalé, j'en ai pris plein les yeux, immergé. Je me suis souvenu d'une phrase de George Miller à l'époque de la sortie du second Mad Max (1982). Il y disait faire des films pour les spectateurs des trois premiers rangs. « Au cinéma que je propose, il faut attacher sa ceinture » ajoutait-il. Nicolas Winding Refn se rattache à Miller par sa façon de filmer la vitesse, le fétichisme de la voiture et des fringues (magnifique blouson blanc au scorpion or qui va porter les stigmates du destin du héros), les éclats de violence au sein d'une structure classique. Il partage aussi une conception du héros tout à fait héroïque. « We'll give them back their heroes » est une réplique du premier Mad Max.

Le « driver » est employé dans un garage et cascadeur pour le cinéma le jour, louant ses services de conducteur exceptionnel à des malfrats pour des hold-up la nuit. C'est un homme de nulle part incarné avec présence et intensité par Ryan Gosling qui renvoie autant à Mel Gibson qu'à Steve McQueen et jusqu'à James Stewart dans ses westerns pour Anthony Mann. Professionnel, impitoyable quand il le faut, il a le sens de l'amitié et sait défendre, à sa façon, la veuve et l'orphelin. Les nuances apportées par l'acteur et saisies par la caméra de Winding Refn, l'approche frontale, brutale, de la violence qu'il exerce et qui glace plus d'une fois, la dimension tragique associée au final permettent à l'ensemble de transcender les figures imposées du genre et de toucher à la figure mythique sans laquelle le film noir n'est que film de série.

Drive se rattache ainsi à une longue histoire où passent les souvenirs des films de William Friedkin (la musique de Cliff Martinez, compositeur de Steven Soderbergh, a un côté très années 80 et évoque celle de Wang Chung pour To live and die in LA en 1985), de ceux de Peter Yates, Bullitt (1968) mais aussi le magnifique et récemment découvert The friends of Eddie Coyle (1973) avec ses impressionnantes scènes de hold-up, de Sam Peckinpah, de Don Siegel avec Clint Eastwood, du Point Blank (1967) de John Boorman, de Michael Mann dont on parle beaucoup (trop). Bref, du grand noir contemporain, du « hard-boiled », de l'extase sur grand écran.

Ce qui est formidable avec Drive, c'est que cette longue tradition, ces multiples références sont assimilées et digérées sans être reprises sous forme de citations littérales. Des ingrédients de base, Winding Refn, cuistot bluffant, concocte un plat original à la saveur personnelle. Il développe au sein du genre un univers autonome, un style propre. Une marque. Il s'appuie sur une histoire balisée, tirée d'un roman de James Sallis adaptée par Hossein Amini, dans laquelle se mêlent organisation maffieuse, petits truands, trahisons, meurtres, vengeance et jeune femme en détresse. Comme moteur, on trouve une morale, une éthique, mais si, mais si, qui va pousser le héros à l'action. Lui dont on devine un passé difficile mais jamais explicité, lui qui se protège au maximum, lui qui économise ses gestes et ses paroles, se met en branle avec une obstination butée qui lui fait exploser les cadres d'un système reposant sur la corruption, la hiérarchie, l'obéissance et une bonne dose de bêtise. Et puis la peur et la mort. Le « driver » est le grain de sable dans la machine, le loup solitaire qui se dresse seul contre tous. Il a trouvé quelque chose qui lui donne envie de se battre. Il reconnaît son destin et l'embrasse résolument. Au sein d'un monde où la médiocrité détruit les rêves (celui de son voisin qui sort de prison et voudrait vivre avec sa famille, celui de son vieil ami garagiste), il se pose en homme libre. Et donc dangereux. Il y a aussi chez lui, et ce n'est certes pas pour me déplaire, quelque chose du Shane du film éponyme de George Stevens. Ce cavalier joué par Alan Ladd qui arrive de nulle part, prend fait et cause pour la petite famille de fermiers, est admiré de l'homme, séduit la femme et fascine l'enfant.

Une scène résume bien le style de Nicolas Winding Refn dans ce film. Si vous ne l'avez pas encore vu, sautez le paragraphe. Le « driver » entraîne Irene (Carey Mulligan, délicieuse), sa voisine qu'il protège, dans un ascenseur. Il y a là un homme et comme le héros a l'œil, il repère rapidement l'arme sous l'aisselle. La tension monte. Tout à coup et au ralenti, le « driver » repousse Irene dans un coin d'un large mouvement du bras. Mais alors que l'on s'attend à un geste d'action, il se penche pour embrasser la jeune femme. C'est leur premier baiser, interminable et très tendre. Et tout à coup, alors que l'on a presque oublié la présence du troisième homme, notre héros se retourne vers lui avec une violence terrible. Le contraste entre les deux actions est total. Le plaisir de cinéma, la dilatation du temps, la beauté des images, est total. En même temps, la scène est le portrait parfait du « driver ». Toute sa complexité entre son extrême tendresse et son extrême violence est révélée dans l'action. Comme le regard du metteur en scène répond à l'inquiétude du spectateur en épousant celui de la jeune femme, tout aussi choquée que nous pouvons l'être, regardant les portes de l'ascenseur désormais sanglant se refermer sur cet homme que l'on ne sait pas s'il faut le fuir ou l'aimer. C'est beau.

02/06/2011

Cannes 2011 : femmes

Dans un art toujours très dominé par les hommes, les personnages féminins restent les vecteurs privilégiés pour parler du monde comme il va. Surtout comme il va mal. Comme au bon vieux temps des cinémas de genre, la femme est d'abord victime idéale et face à la démission des hommes, ses combats désespérés n'en sont que plus beaux et j'en ai vu quelques uns qui sont purs sanglots.

« We need to talk about Kevin » ne cesse de répéter Éva à son mari trop débonnaire. Kevin est leur fils et ce n'est pas un cadeau. Bébé braillard, il donne lieu à un excellent gag lorsque la mère stoppe le landau près d'un marteau piqueur en action pour souffler un moment. En grandissant, cela ne s'arrange pas et Kevin prend une place de choix dans la série des sales gosses, entre les adolescents de Gus Van Sant et la petite Regan de William Friedkin. Lynne Ramsay, réalisatrice anglaise jusqu'ici plutôt portée vers un registre délicat (Le court Gasman en 1998, Ratcatcher en 1999 et Morven Callar en 2002) propose une mise en scène très travaillée, brillante par moments avec une construction éclatée dans le temps (sur près de vingt ans), une photographie sophistiquée signée Seamus McGarvey (qui a fait la photographie magnifique de Love you more (2008) de Sam Taylor-Wood) et des cadrages très pensés. Trop peut être. L'ensemble est surtout très voyant et m'a plutôt évoqué le travail de Dario Argento (utilisation de la couleur rouge, grands espaces modernes et froids qui créent l'angoisse, utilisation du format Scope) et de Brian De Palma (Les scènes choc, la gestion du hors champ). Je n'attendais pas forcément Ramsay de ce côté. Mais si le film intrigue et fait illusion au début, son côté systématique et le manque de finesse des effets ne tiennent pas la distance. Très rapidement, le spectateur prend de l'avance sur le film. Par exemple quand la petite sœur reçoit un cochon d'Inde pour Noël, on devine de suite que la pauvre bestiole va mal finir. Toute à ses effets, Lynne Ramsay accumule les trous de scénario, incohérences et invraisemblances. Le traitement des personnages n'arrange rien. Sans nuance, le père est l'Absence, la fillette l'Innocence, Kevin le Mal. Souligné, surligné, nous avons compris. La mère, portée par la prestation habitée de Tilda Swinton est plus intéressante même si ses réactions sont difficilement compréhensibles. Pour des parents issus d'une classe aisée, leur incapacité à réagir dès la petite enfance aux étrangetés de leur progéniture est dure à avaler. Le jeu de l'actrice tient trop de la performance pour laisser place à une véritable émotion. Cela se voit trop. Cela ne se voyait pas chez Ellen Burstyn dans The exorcist (1973).

Tout aussi stylisé mais nettement plus réussi, Miss Bala du réalisateur mexicain Gerardo Naranjo nous plonge via son héroïne dans la terrifiante atmosphère de guerre des gangs du côté de Tijuana (on parle de 20 000 morts en 5 ans). Stéphanie Sigman joue Laura, jeune fille pauvre qui rêve de devenir reine de beauté d'un concours télévisé. Pas de chance, elle se retrouve prise dans une fusillade et tape dans l'œil du truand Lino Valdez (Noe Hernandez) qui la manipule pour la faire travailler dans son gang. Ballotée de passage d'armes à la frontière avec les USA en dépôt de cadavre, de torture en fusillades, elle est réduite à une chose dont on use et abuse, plongée dans un monde de cauchemar, absurde et violent, sans logique et sans espoir. La mise en scène de Naranjo, très pensée elle aussi, rend parfaitement ce sentiment d'impuissance en épousant au plus près le point de vue de Laura. Ce partit pris tenu de bout en bout lui permet de donner une certaine originalité à des scènes assez classiques (embuscades, fusillades), jouant sur le son et le hors champs. Quelques belles idées donnent de l'intensité et à chaque scène de l'originalité. C'est ainsi que le décor est plongé dans l'obscurité, que les balles se déchaînent autour d'une Laura couchée au fond de sa voiture, que la révélation finale passe par des paires de chaussures vues de dessous le lit où elle s'est réfugiée. Naranjo utilise aussi les cadrages pour donner à lire partiellement une action qui déborde sur les côtés ou dessous le cadre. Le réalisateur entretient habilement l'ambiguïté sur son couple principal. Laura, victime, n'en subit pas moins la fascination de son bourreau, sentiment mêlé de résignation. Lino laisse, lui, poindre un embryon de sentiment pour la jeune fille qui humanise un peu la bête. Mais comme le général chargé de le traquer, il abuse de Laura dans la même position plutôt avilissante. Bien qu'un peu systématique dans ses effets, Miss Bala ne manque ni de souffle, ni d'intensité, sans sacrifier à la réflexion sur un pays ravagé par la violence, réflexion toujours intégrée dans l'action (les échanges avec les USA, la corruption, le fonctionnement des gangs) sans la parasiter. Laura prend valeur de symbole et le jeu de Stéphanie Sigman en vaut bien d'autres plus acclamés.

Bonnes nouvelles en provenance d'Iran, les cinéastes Mohammad Rasoulof et Jafar Panahi tournent toujours en dépit de leur condamnation à ne plus exercer leur métier. Certes les films ont été faits en semi-clandestinité, c'est à dire qu'ils n'ont pas eu l'autorisation mais qu'on les a laissé faire, mais ils existent. Rasoulof a même été autorisé à se rendre à l'étranger et l'on a cru un moment qu'il viendrait à Cannes recevoir son prix de la mise en scène.

Bé omid e didar (Au revoir) a été présenté dans la sélection Un certain regard et s'il ne faut pas oublier le contexte ni les conditions de sa réalisation, il convient d'en parler en en faisant abstraction autant que possible. Et d'aborder l'œuvre en tant que telle. Bé omid e didar est le portrait d'une jeune avocate jouée par la talentueuse et belle Leyla Zareh (quelle robe elle avait lors de la présentation du film !). Spécialisée dans les affaires liées aux droits de l'homme, elle est enceinte. Son époux a été exilé dans le sud ou il travaille comme ouvrier sur un chantier après avoir été journaliste pour une publication interdite. Elle se voit retirer ses affaires. On l'empêche de travailler. Isolée socialement et professionnellement, elle jette l'éponge et veut partir. Quitter l'Iran. Elle entreprend alors une course d'obstacle pour se procurer un passeport et un ticket pour ailleurs. « N'importe où » dit-elle sans illusion. Visuellement, ce nouveau film tranche avec Jazireh ahani (La vie sur l'eau – 2004), au foisonnement des personnages répond la solitude de l'avocate tandis que le film décline toute une gamme de couleurs sombres et froides, un aspect renforcé par l'utilisation de la vidéo, qui se justifie par son côté pratique, bien sûr, mais aussi dans la description d'un quotidien bouché. Les intérieurs sont nombreux, bureaux, chambres d'hôtel et appartements, étroits et se ressemblants tous. Murs bleutés ou gris, mobilier impersonnel, pas de fantaisie. Pas de personnalité ou alors par toutes petites touches comme le vernis à ongles qu'il faudra enlever ou la petite tortue d'eau que l'avocate nourrit avec attention et qui finit, elle, par se faire la malle. La caméra de Rasoulof cadre avec rigueur les pièces où l'on ne peut rien cacher et les toits où son héroïne va griller une cigarette. Les mouvements sont rares et discrets, Rassoulof préférant jouer du montage et de plans séquence qui traduisent l'absence d'intimité et la sensation d'étouffement (la scène de la perquisition). Il s'attarde longuement sur les traits de Leyla Zareh tandis que le monstre étatique reste sans visage, comme cet étroit guichet où l'on fait passer les passeports pour les contrôler ou le bureau du responsable des faux passeports où l'on entre jamais. Kafka à Téhéran. Démarches toujours renouvelées, règne de l'arbitraire, violence feutrée, surveillance de tous les instants et toujours ce sentiment de danger qui ne quitte jamais et use les nerfs. Bé omid e didar est un film sur la difficulté qu'il y a à conserver l'espoir, exorcisme en forme de fiction des peurs et des angoisses présentes de son auteur. Il y a pourtant, de-ci, de-là, quelques touches humoristiques, cette légèreté que j'avais aimé dans Jazireh ahani. C'est un humour grinçant mais révélateur d'un regard porté sur les êtres. Ainsi l'employé qui vient retirer la parabole interdite de l'avocate, motif cher au cinéaste (voir son documentaire de 2008 Baad-e-daboor) ou le ballet inutile des policiers qui perquisitionnent. Mohammad Rasoulof nous livre un film sombre et carré, un autoportrait en avocate, il donne de ses nouvelles, inquiétantes en ce qui concerne l'homme, rassurantes en ce qui concerne son cinéma.

30/05/2011

Fin de promenade pour le critique



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29/05/2011

Détective Dee

 Autant commencer par ce qui fâche. Di Renjie (Détective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme) a été tourné par Tsui Hark avec une caméra digitale Red One (comme The social network (2010) de David Fincher) et à plusieurs reprises (la capture du guerrier albinos, la confrontation finale dans le Bouddah creux) certains plans prennent cette platitude de l'image vidéo. C'est terne, c'est fade. Et puis surtout, cela jure avec la superbe photographie de Chi Ying Chan et Chor Keung Chan, avec leurs riches compositions picturales aux éclairages sophistiqués. Nous avons échappé de peu à la 3D mais je m'interroge. Pourquoi de tels plans sont-ils passés ? Pourquoi donnent-ils cet effet alors que le reste du métrage m'a réjouit l'œil ? Je n'ai rien contre le numérique par principe, ni contre la 3D par ailleurs suite à mes expériences avec le Coraline de Harry Selik et Ichimei (Hara-kiri : mort d’un samouraï) de Takashi Miike . Mais là, bon sang, ce n'est tout simplement pas beau. La dernière fois que j'ai expérimenté ce décalage, c'était sur le Lady Jane(2007) de Robert Guédiguian. Et les regrets étaient du même type.

tsui hark

A cela, je peux ajouter que Di Renjie s'inscrit parfaitement dans la démarche technologique de son auteur. Tsui Hark a toujours été un fou de technique, que ce soit l'emploi de filtres, l'usage de brumes, d'objectifs déformants, d'effets numériques, de cadrages acrobatiques et de mouvements impossibles. Chez lui, pourtant, tout ces partit-pris qui l'éloignent radicalement d'un, disons, Hou Hsiao Hsien, s'inscrivent en les faisant avancer technologiquement dans l'héritage des films de la grande époque des studios de Hong Kong : Goût de l'écran large en ShawScope, Technicolor, tournage en studio et effets. Hark prolonge également, avec respect me semble-t'il, une tradition, picturale, celle de l'opéra, et littéraire, ici l'adaptation d'un roman de Lin Qianyu inspiré du personnage réel de l'époque de la dynastie Tang ayant donné lieu à plusieurs séries de romans dont le fameux juge Ti de Robert Van Gulik. Hark apporte néanmoins sa fascination pour les modèles occidentaux qu'il sait, à son meilleur, transcender et inspirer en retour. Ses larges vues de la cité de l'impératrice renvoient à quelques solides classiques hollywoodiens tandis que le Bouddah géant m'a évoqué un colosse de Rhodes tout aussi redoutable.

Ceci posé, Di Renjie est un film excitant au possible reléguant les essais lourdingues de Chen Kaige ou John Woo à l'anecdotique. Digne des précédents The blade (1995) ou Seven swords (2005). Il y a chez Tsui Hark un plaisir de l'histoire, du feuilleton au sens le plus noble du terme, celui cher à Alexandre Dumas (Dee est le d'Artagnan de l'impératrice). Plaisir du rebondissement, du spectacle, volonté d'émerveiller à travers des scènes conçues comme autant de morceaux de bravoure, comme chez Sergio Leone ou Chang Cheh. Mais il y a chez lui, toujours, quelque chose de direct, de franc. Il ne cherche pas à « faire sens » ni à « faire joli ». Et au milieu de ce Barnum cinématographique, la force de Hark, de son cinéma, c'est le traitement des personnages et de leur relations. Une histoire très humaine qui s'insère dans la trame du spectacle et lui donne un supplément d'âme, d'humour souvent et de relative profondeur. C'est par exemple le désir de paternité du jeune héros de Time and tide (2000) et son histoire avec la fliquette lesbienne. C'est la relation entre Wong Fei-hung et la délicieuse 13e tante. Ce sont les origines coréennes des personnages de Seven swords. Ce sont ces connivences secrètes que chante le mendiant aveugle du second Once Upon a Time in China. Ce sont des sentiments souvent inexprimés mais soulignés par la mise en scène, passant par des gestes esquissés, des allusions, des regards, qui éloignent des héros monolithiques et schématiques des collègues de Hark et rendent ambigus ou relatifs les commentaires politiques que l'on se plait à lire de-ci, de-là.

Dans Di Renjie, il y a un quatuor passionnant formé de Dee, de l'impératrice, de Shangguan Jing'er, la guerrière à son service et l'albinos Pei Donglai . Amour, estime, devoir, trahison, pouvoir, tout se mêle dans des figures qui s'opposent et se complètent selon les combinaisons. Autant de figures doubles (y compris le vieil ami du juge) autour du pivot Dee, lui même tiraillé entre des sentiments contradictoires. Ce dispositif complexe se construit au sein de l'enquête du juge et irrigue les compositions grandioses, toujours très travaillées chromatiquement (variations de rouges, de blanc, d'or) sans jamais en perturber le déroulement.

Autre marque remarquable du cinéma de Hark, sa façon de filmer les femmes et la place qu'il leur donne (Il avait « repris » à John Woo la série A better tomorrow pour faire du personnage de Chow Yun Fat l'élève un peu gauche d'une redoutable femme d'action). Il y a toujours une grande pudeur dans la description des sentiment, amour naissant avec Jing'er et dissimulé avec l'impératrice, associée à une sensualité très physique. Ainsi la magnifique scène entre Dee et Jing'er où celle-ci, envoyée pour s'occuper (et surveiller) le juge sortit de prison pour mener l'enquête, tente de le séduire et se voit interrompue par une attaque de flèches trouant presque silencieusement les parois de papier. Le ballet érotique devient chorégraphie d'action en continuité. Samo Hung, complice de Jackie Chan et Bruce Lee en son temps s'est occupé de régler les combats. C'est beau comme de la comédie musicale grand cru. La plus belle scène d'un film qui tranche résolument sur le tout venant de l'action au XXIe siècle.

L'avis d'Edouard de Nightswimming et quelques autres sur le Panoptique d'avril.

22:43 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : tsui hark |  Facebook |  Imprimer | |

22/05/2011

Cannes jour 6 et fin

cannes 2011,nicolas winding refn

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Badpakje 46 de Wannes Destoop dans le programme des courts métrages (pas terribles et c'est un euphémisme) et Drive de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, le sucesseur de Steve McQueen. S'il est palmé tout à l'heure, vous saurez que c'est ici que vous l'avez lu et que j'en suis bien heureux.

Photographie © Drive Film Holdings, LLC. All rights reserved.

21/05/2011

Cannes jour 5

cannes 2011, Takashi Miike

Ichimei (Hara-kiri : mort d’un samouraï) de Takashi Miike, remake du film de Masaki Kobyashi, en relief s'il vous plaît.

17/05/2011

Cannes jour 4

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Martha Marcy May Marlène de Sean Durkin. Un petit air d'Ornella Muti, non ?

16/05/2011

Cannes jour 3

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Bé omid e didar de Mohammad Rasoulof, Les neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian et Habemus papam de Nanni Moretti, belle journée.

15/05/2011

Cannes jour 2

cannes 2011

Miss Bala de Gerardo Naranjo

14/05/2011

La viaccia

 mauro bolognini

Claudia Cardinale et Jean-Paul Belmondo. Jeunes et beaux. Magnétiques et talentueux. En 1961, ils construisent tous deux leur mythe sous la caméra de Mauro Bolognini dans La Viaccia. Le réalisateur  lui-même après La notte brava (Les garçons - 1959), Il bell'Antonio (Le bel Antonio – 1960) et La notte balorda (Ça s'est passé à Rome – 1960) clos sa collaboration avec Pier Paolo Pasolini et s'engage dans la voie du film à costume, de ces reconstitutions minutieuses dans la veine de Luchino Visconti qui le passionnent et l'inspirent. Claudia Cardinale a 22 ans, elle a été révélée par Un maledetto imbroglio (Meurtre à l'italienne - 1959) de Pietro Germi qui lui vaut un célèbre article de Pasolini, puis rencontre Visconti, Maselli et Valério Zurlini pour qui elle est La ragazza con la valigia (La fille à la valise) juste avant le film de Bolognini. Elle a déjà tourné pour ce dernier Il bell'Antonio, et travaillera encore avec celui dont elle dit : « Je considère Mauro Bolognini comme un très grand metteur en scène : un homme d'un rare professionnalisme, de goût et d'une grande culture. En outre, il est pour moi un ami sensible et sincère». Bianca dans La Viaccia restera l'un de ses rôles préférés. Jean-Paul Belmondo a 27 ans et n'a pas encore rencontré Philippe de Broca, mais 1960 est sa grande année. Il vient d'incarner le Michel Poiccard de Jean Luc Godard, symbole de la nouvelle vague, et l'Eric Stark de Claude Sautet. Il poursuivra son expérience italienne avec Vittorio De Sica et Alberto Lattuada. A eux deux (mais pas tout seuls), ils incarnent la jeunesse d'un cinéma qui bouscule les traditions établies, l'alliance de la France et de l'Italie, deux pays en pleine fièvre créatrice, deux pays en pleine évolution et dont le cinéma, un certain cinéma, tente de saisir à pleines mains quelque chose de son époque. C'est aussi, à travers les coproductions franco-italiennes l'idée d'un cinéma européen, pas vraiment théorisée mais qui avec le recul n'est pas basé sur le nivellement insipide du plus petit dénominateur commun, mais sur l'alliance de talents au service d'une œuvre. Quelque chose d'un âge d'or.

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