Retour dans l'univers de Pulp fiction (12/06/2011)

 Je suis dans le Var. Il fait un temps superbe. Le vent fait bruisser doucement les feuilles du grand marronnier. Ma fille gambade un peu plus loin dans le soleil. Dean Martin susurre Sway depuis l'intérieur. Je suis à l'ombre, pensant au pastis de 11h30. Pensant aussi à ce concours organisé par Priceminister autour des palmes d'or cannoises. L'idée est sympa, aussi je me suis engagé. Je me souviens...

Les grandes lettres jaunes bordées de rouge, Misirlou de Dick Dale, Royal with Cheese, Ezechiel 25 verset 10, de l'importance du massage de pied, la tignasse frisée de Jules, la montre, le putain de miracle, le sparadrap sur la nuque de Marsellus Wallace. Uma Thurman. Ketchup ! Pulp Fiction.

quentin tarantino

17 ans plus tard, cette palme décernée par le jury mené par Clint Eastwood et dont faisait partie Catherine Deneuve m'apparaît toujours comme atypique. Il y avait à l'époque, 1994, la rude concurrence de quelques films remarquables face au second opus d'un jeune réalisateur américain au débit de mitraillette : Caro Diario de Nanni Moretti, Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov, La reine Margot de Patrice Chereau ou Zir-e derakhtān zeytoun (Au travers des oliviers) d'Abbas Kiarostami. Des concurrents à priori plus classiquement cannois que ce film rock and roll, drôle, coloré et violent. Comme quoi. Mais un tel honneur aurait pu tout aussi bien plomber la carrière de Quentin Tarantino en hypertrophiant plus que de raison son ego. Raisonnablement, il attendra quatre ans avant de signer un nouveau film. D'autant que, à bien y réfléchir, Pulp fiction est certainement le moins bon, toutes choses étant relatives, de ses films. Pulp fiction n'a pas la rigueur ni l'énergie brute du premier essai, Reservoir dogs (1992), n'a pas l'émotion et la délicatesse du portrait de Jackie Brown (1998), n'a pas la folie baroque du dyptique Kill Bill (2003-2004), n'a pas l'érotisme flamboyant de Death proof (2007), pas plus que la virtuosité ambitieuse de Inglorious basterds (2009). Ce qui en fait malgré tout a hell of a picture, film phare des années 90, film culte, film foire suscitant une participation et une appropriation du public remarquable, que l'on se mette à danser comme Vincent Vega passant sa main aux doigts en V devant ses yeux, que l'on balance des blagues à deux sous comme Mia, que l'on récite la bible comme Jules ou que l'on se présente à son patron en déclarant ; « Je suis untel, je résous les problèmes ».

Avec le recul et les déclarations dont Tarantino n'est pas avare, on voit aussi que Pulp fiction est le film matrice de son œuvre. Il est tout ce que le premier opus n'était pas. Réservoir dogs était ramassé (99 minutes), Pulp fiction s'étale comme un gros chat au soleil sur deux heures et demie. Reservoir dogs était masculin (la seule femme avait 5 secondes d'écran, un cri et une balle dans la tête), Pulp fiction donne de beaux rôles aux femmes qui deviennent ici le moteur des actions des hommes à part égale avec l'argent. C'est la première collaboration avec Uma Thurman et la légende veut que ce soit sur le plateau que Q et U aient conçu ce qui allait devenir Kill Bill (auquel on pourra saisir quelques allusions rétrospectives). Reservoir dogs était conçu, malgré les allers et retour dans le temps, autour des unités de temps, de lieu et d'action. Pulp fiction s'amuse à déconstruire son récit au point ou il faut fournir un intense effort de réflexion pour remettre sa temporalité dans l'ordre. Par ailleurs le récit donne la part belle au hasard, que ce soit l'accident de voiture entre Butch et Marsellus, le coup de feu malencontreux de Vincent qui fait sauter le crâne du pauvre Marvin ou la façon dont les balles évitent, contre toute logique, Vincent et Jules. Film matrice, Pulp fiction annonce les œuvres à venir, définit le style Tarantino : la bande son, les multiples citations cinéphiliques, l'importance de la scène qui, comme l'un des maîtres de Tarantino, Sergio Leone, est conçue comme un morceau de bravoure fonctionnant de façon autonome. Fascination pour les voitures, fétichisme du pied, jeu sur le temps et l'espace, incrustations ludiques dans l'image. Pulp fiction est un film jouissif d'un jouisseur sachant faire partager sa jouissance.

Et puis ? Je me souviens, à l'époque, avoir eu une discussion sur le fond du film. Un ami critique me soutenait que le film était brillant mais vain. Je lui avais développé l'idée que peut être mais pas forcément. A sa façon, Pulp fiction, comme les autres films de Tarantino, est un portrait de l'Amérique. Pas un portrait littéral mais, comme dans le film noir, plus largement le film de genre dans lequel l'auteur puise son inspiration, c'est le portrait d'un état d'esprit qui en dit parfois plus long que bien des films réalistes. L'univers pop de Pulp fiction est celui d'un pays régit par l'argent et le sexe (avec les déviations soigneusement cachées en sous-sol), un pays fasciné par la violence et conservateur dans ses mœurs (Jules est étonné de la description d'Amsterdam donnée par Vincent, Marsellus est très possessif avec sa femme, Wolf agit selon des règles strictes), un pays qui vit encore sur de vagues souvenirs de valeurs (L'attitude Butch, la démarche du personnage de Christopher Walken qui ramène la montre du père de Butch) et des fragments de culture populaire que l'on décline jusqu'à la parodie (fameux restaurant – club Jack Rabbit Slim's). Un pays encore mystique (La conversion de Jules) dans lequel l'attrait de l'aventure reste l'ultime expérience. Un pays ou le réel et la fiction, même pulp, se rejoignent, se confondent et dansent heureux en attendant la mort.

La page Pulp Fiction

Photographie source Fin de séance

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