24/01/2013
Tarantino ma non troppo
Comme toujours chez Quentin Tarantino, la bande musicale est un régal pour l'amateur que je suis et l'on trouve dans Django Unchained de bien belles version des musiques de I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère – 1967) composée par Riz Ortolani, Lo chiamavano King (1971) composée par Luis Bacalov et Two Mules for Sister Sara (Sierra Torride - 1970) composée par Ennio Morricone avec son cri de mule. Plus étonnant, un superbe morceau de Jerry Golsmith composé pour le Under fire signé Roger Spottiswoode en 1983 avec la guitare endiablée de Pat Metheny. Las, on est jamais trahi que par les siens et de façon symbolique, peut être bien involontaire, ce nouveau film qui a déchaîné les dithyrambes semble suivre le parcours décrit entre la chanson d'ouverture, le Django du film de Sergio Corbucci chanté par Rocky Roberts (Après le soleil viendra, tatata... l’espérance) sur la musique de Bacalov, et la chanson finale de Lo chiavamano Trinita (On l'appelle Trinita – 1970), composée par Franco Micalizzi. Soit le passage en quelques 165 minutes qui se font sentir d'un sommet baroque et violent du genre à sa parodie autodestructrice et grotesque, du héros mythique joué par Franco Nero au pitre souriant incarné par Terence Hill quand le héros Tarantinien fait marcher son cheval de la même façon que l'acolyte de Bud Spencer.
Nous assistons donc sur la durée au débobinage (certains parleront de dégringolade) de ce film qui semblait pourtant taillé sur mesure pour l'amateur, que je crois sincère, de western italiens comme américains. Pour être plus précis, je vois deux parties dans le film, une première heure assez réussie où l'esclave noir Django est libéré par le bon docteur Schultz, dentiste et chasseur de primes, pour l'aider dans la capture de trois malfrats, les frères Brittle, lui proposant en échange la liberté et l'aide pour récupérer sa femme Broomhilda vendue à la plantation du redoutable Calvin Candy. Raison ? En bon allemand, Schultz voit en Django un avatar de Siegfried. Admettons. Cette partie regroupe tout ce que j'aime dans le cinéma de Tarantino : l'art de poser une situation, les dialogues enlevés, l'humour (la déjà fameuse scène des cagoules, la dent géante oscillant sur le toit du chariot de Doc Schultz), les clins d’œils musicaux, les citations (un joli zoom all'italiana, les yeux de Zoé Bell, la voix de Franco Nero), le choix des acteurs (Christoph Waltz est effectivement délectable et il est le seul à faire passer un peu d'émotion, Foxx est un héros crédible, Di Caprio s'amuse comme un fou et j'ai apprécié les apparitions de Dennis Christopher, Bruce Dern ou James Remar). Bref tout baigne sauf que ça commence, comme dans Death proof (2007) à traîner un peu. Et puis on arrive à la plantation de Candy. Il y a une belle scène centrale de repas avec négociation pour récupérer la femme de Django, jeu d'échec, tension, relâchement, suspense et touàcoupaf, Schultz abat Candy. Mince. Explication : « Je n'ai pas pu me retenir ». C'est un peu court jeune homme. Le coup du sang dans l’œillet blanc, hommage à la scène de l'arène dans Il mercenario (1968) de Corbucci est tellement peu amené, tellement moins intense que son modèle. D'autant que, après réflexion, cette scène reprend le motif et les mouvements internes de celle de la taverne d'Inglorious basterds (2009) sans être aussi excitante.
C'est beau, on se croirait dans un film de John Ford
Tais toi, Quentin pourrait t'entendre
Toujours est-il qu'à partir de là, le film grille un fusible. S'en suit une scène de fusillade qui devrait être le clou du film mais pour laquelle Tarantino oublie son fameux sens de l'espace pour repeindre les murs en rouge. Il se passe alors une chose curieuse : la vengeance du héros est occultée par l'expression de la rage du réalisateur. Dans Kill Bill, la scène des Crazy 88, autrement mieux chorégraphiée, préparait le combat au sommet de la Mariée et d'O-ren. On restait sur le personnage. Ici non. Le film marque alors une pause et Django, capturé, est envoyé dans une mine. On se dit alors que ce n'est pas possible, que le film recommence encore une fois. Effectivement, notre héros se libère et revient pour récupérer sa femme. Théoriquement ce devrait être la confrontation finale. Problème, presque tous les antagonistes sont morts. Du coup on se retrouve avec Django réduit à affronter trois sous fifres, le méchant oncle Tom, bras gauche de Candy, qui est aussi un vieillard estropié et sans armes, et une jeune femme, la sœur de Candy. Joli héros. Le film avait un genou en terre, il se vautre de tout son long. Le meurtre de la jeune femme est d'une gratuité totale, et pourtant je n'ai quasiment jamais eu de problème avec la violence au cinéma. L'effet qui la rejette hors du cadre montre bien que ce n'est pas Django mais Tarantino qui la tue. Il pouvait tout aussi bien la découper à même la pellicule ! A ce moment le réalisateur brise ce fameux pacte dont je parlais il y a quelques mois à propos du cinéma de Michael Haneke, de la même façon que celui-ci rembobine son film pour piéger ses personnages dans Funny games (1997). Je ne sais pas quel compte il cherche à régler mais ce qui m'a choqué c'est qu'il est tellement convaincu de son droit qu'il n'a jamais essayé de préparer une justification à ce meurtre. Comme Spike Lee balançait sa poubelle à la fin de Do the right thing (1989). Et de montrer pour finir son héros tout fier, caracolant sur son cheval après son très héroïque exploit, sous les applaudissement émus de sa dulcinée belle comme une gravure de magazine. Il faut le voir pour le croire. Et je me demande comment, face à ces dernières scènes, la critique en pâmoison a pu parler de la maturité de Tarantino. Je me demande quel film ils ont vu.
Il y a au fond deux problèmes. Le premier est technique, c'est que le film est mal fichu. Mal écrit. L'histoire des frères Brittle aurait du être liée à celle de Candy et le final revu en une seule fois pour densifier et donner une cohérence à cette histoire de vengeance. A trop vouloir déstructurer, Tarantino a réalisé une machine incertaine. Ce genre d'histoire simple et linéaire ne peut être étirée sur près de trois heures sauf à s'appeler Howard Hawks. Elle ne le supporte pas. Les personnages ne sont pas assez construits, tous sont des caricatures et les motivations de Schultz manquent de progression. Tuer trop tôt son superbe méchant et celui qui porte (devrait porter) le regard moral sur l'histoire, est une erreur.
Le second problème, c'est comme je le craignais tout ce qu'il y a eu autour. Jusqu'à Death proof, Tarantino joue avec le cinéma de genre, il s'en amuse, nous amuse et cet univers pop, coloré violent, musical, peut supporter tous les excès. Inglorious Basterds aussi si on le voit comme métaphore du pouvoir du cinéma. Mais quand on commence à vouloir lui donner des implications sérieuses sur les juifs et les nazis cela ne passe plus. Il y a eu autour de Django unchained tout un discours qui vise à le légitimer par une vision de l'histoire de l'esclavage en Amérique. Cela ne me semble pas possible. Pas avec un héros en chemise bleue à jabot dentelle, pas avec cette collection de clichés des noirs de cinéma, pas avec des clins d’œil à Trinita.
Il est intéressant de comparer ce film à celui réalisé par Steven Spielberg, Amistad (1997). Spielberg prend une histoire, celle des esclaves révoltés du navire négrier l'Amistad, qui va contribuer à éveiller les consciences par rapport à l'esclavage et le processus judiciaire qui va amener la reconnaissances de droits. Son film a des moments très violents autrement violents que ceux de Tarantino. Mais le film prend en compte 200 ans d'histoire, la guerre de sécession, les mouvement d'émancipation, des droits civiques, un long chemin traversé par les lynchages ou le KKK, un chemin qui n'est pas achevé mais qui mène à Barack Obama ou Condoleezza Rice (quoi que l'on puisse penser par ailleurs de ces personnes). Sous leurs histoires simples, certains westerns italiens savaient parler de leur époque et de leur pays. De quoi nous parle le film de Tarantino mis à part des fantasmes de son auteur sur le sujet ?
Symboliquement, encore, le réalisateur s'est donné un petit rôle. Il est un convoyeur d'esclaves qui mène Django à la mine. C'est un personnage frustre, bedonnant, bouffi, qui ne comprend rien à ce qui se passe et fini par « éclater » à la dynamite. Autoportrait involontaire ? A rapprocher perfidement de la dernière réplique d'Inglorious basterds : « Je crois que je viens de réaliser mon chef d’œuvre ». Pour le western, on est loin du compte.
Photographie : © The Weinstein Company
A lire également Sur la route du cinéma, Il a osé, et sur Nightswimming
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22/10/2011
Pam par Quentin
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12/06/2011
Retour dans l'univers de Pulp fiction
Je suis dans le Var. Il fait un temps superbe. Le vent fait bruisser doucement les feuilles du grand marronnier. Ma fille gambade un peu plus loin dans le soleil. Dean Martin susurre Sway depuis l'intérieur. Je suis à l'ombre, pensant au pastis de 11h30. Pensant aussi à ce concours organisé par Priceminister autour des palmes d'or cannoises. L'idée est sympa, aussi je me suis engagé. Je me souviens...
Les grandes lettres jaunes bordées de rouge, Misirlou de Dick Dale, Royal with Cheese, Ezechiel 25 verset 10, de l'importance du massage de pied, la tignasse frisée de Jules, la montre, le putain de miracle, le sparadrap sur la nuque de Marsellus Wallace. Uma Thurman. Ketchup ! Pulp Fiction.
17 ans plus tard, cette palme décernée par le jury mené par Clint Eastwood et dont faisait partie Catherine Deneuve m'apparaît toujours comme atypique. Il y avait à l'époque, 1994, la rude concurrence de quelques films remarquables face au second opus d'un jeune réalisateur américain au débit de mitraillette : Caro Diario de Nanni Moretti, Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov, La reine Margot de Patrice Chereau ou Zir-e derakhtān zeytoun (Au travers des oliviers) d'Abbas Kiarostami. Des concurrents à priori plus classiquement cannois que ce film rock and roll, drôle, coloré et violent. Comme quoi. Mais un tel honneur aurait pu tout aussi bien plomber la carrière de Quentin Tarantino en hypertrophiant plus que de raison son ego. Raisonnablement, il attendra quatre ans avant de signer un nouveau film. D'autant que, à bien y réfléchir, Pulp fiction est certainement le moins bon, toutes choses étant relatives, de ses films. Pulp fiction n'a pas la rigueur ni l'énergie brute du premier essai, Reservoir dogs (1992), n'a pas l'émotion et la délicatesse du portrait de Jackie Brown (1998), n'a pas la folie baroque du dyptique Kill Bill (2003-2004), n'a pas l'érotisme flamboyant de Death proof (2007), pas plus que la virtuosité ambitieuse de Inglorious basterds (2009). Ce qui en fait malgré tout a hell of a picture, film phare des années 90, film culte, film foire suscitant une participation et une appropriation du public remarquable, que l'on se mette à danser comme Vincent Vega passant sa main aux doigts en V devant ses yeux, que l'on balance des blagues à deux sous comme Mia, que l'on récite la bible comme Jules ou que l'on se présente à son patron en déclarant ; « Je suis untel, je résous les problèmes ».
Avec le recul et les déclarations dont Tarantino n'est pas avare, on voit aussi que Pulp fiction est le film matrice de son œuvre. Il est tout ce que le premier opus n'était pas. Réservoir dogs était ramassé (99 minutes), Pulp fiction s'étale comme un gros chat au soleil sur deux heures et demie. Reservoir dogs était masculin (la seule femme avait 5 secondes d'écran, un cri et une balle dans la tête), Pulp fiction donne de beaux rôles aux femmes qui deviennent ici le moteur des actions des hommes à part égale avec l'argent. C'est la première collaboration avec Uma Thurman et la légende veut que ce soit sur le plateau que Q et U aient conçu ce qui allait devenir Kill Bill (auquel on pourra saisir quelques allusions rétrospectives). Reservoir dogs était conçu, malgré les allers et retour dans le temps, autour des unités de temps, de lieu et d'action. Pulp fiction s'amuse à déconstruire son récit au point ou il faut fournir un intense effort de réflexion pour remettre sa temporalité dans l'ordre. Par ailleurs le récit donne la part belle au hasard, que ce soit l'accident de voiture entre Butch et Marsellus, le coup de feu malencontreux de Vincent qui fait sauter le crâne du pauvre Marvin ou la façon dont les balles évitent, contre toute logique, Vincent et Jules. Film matrice, Pulp fiction annonce les œuvres à venir, définit le style Tarantino : la bande son, les multiples citations cinéphiliques, l'importance de la scène qui, comme l'un des maîtres de Tarantino, Sergio Leone, est conçue comme un morceau de bravoure fonctionnant de façon autonome. Fascination pour les voitures, fétichisme du pied, jeu sur le temps et l'espace, incrustations ludiques dans l'image. Pulp fiction est un film jouissif d'un jouisseur sachant faire partager sa jouissance.
Et puis ? Je me souviens, à l'époque, avoir eu une discussion sur le fond du film. Un ami critique me soutenait que le film était brillant mais vain. Je lui avais développé l'idée que peut être mais pas forcément. A sa façon, Pulp fiction, comme les autres films de Tarantino, est un portrait de l'Amérique. Pas un portrait littéral mais, comme dans le film noir, plus largement le film de genre dans lequel l'auteur puise son inspiration, c'est le portrait d'un état d'esprit qui en dit parfois plus long que bien des films réalistes. L'univers pop de Pulp fiction est celui d'un pays régit par l'argent et le sexe (avec les déviations soigneusement cachées en sous-sol), un pays fasciné par la violence et conservateur dans ses mœurs (Jules est étonné de la description d'Amsterdam donnée par Vincent, Marsellus est très possessif avec sa femme, Wolf agit selon des règles strictes), un pays qui vit encore sur de vagues souvenirs de valeurs (L'attitude Butch, la démarche du personnage de Christopher Walken qui ramène la montre du père de Butch) et des fragments de culture populaire que l'on décline jusqu'à la parodie (fameux restaurant – club Jack Rabbit Slim's). Un pays encore mystique (La conversion de Jules) dans lequel l'attrait de l'aventure reste l'ultime expérience. Un pays ou le réel et la fiction, même pulp, se rejoignent, se confondent et dansent heureux en attendant la mort.
La page Pulp Fiction
Photographie source Fin de séance
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06/09/2009
Influences (2)
« A dix-neuf ans, dès que j'ai eu mon premier magnétoscope, je me suis dit : « Je vais dénicher tous les films de Howard Hawks ». Je vais guetter les programmes télé, je vais étudier ses films jusqu'à les connaître par coeur, les titres, les acteurs, les génériques... Le problème, c'est qu'il en a fait beaucoup. Je m'attendais à tout, même à ce que cela ne soit pas aussi bon que ça, mais film après film, Hawks m'a prouvé le contraire. Il est devenu mon maître. Un maître relax, un maître que je n'étais pas le premier à découvrir, mais que j'ai découvert par moi-même, que je me suis approprié. »
Quentin Tarantino interrogé par Bertrand Tavernier dans Amis américains – Editions Institut Lumière / Acte Sud
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31/08/2009
Influences
Were you influenced by the likes of Robert Aldrich, Samuel Fuller, or Sergio Leone? What other directors have had a positive effect on you ?
Quentin Tarantino : Oh, yeah. You better believe they were big influences. Sergio Leone is my favorite director of all time. I don’t think this is it, but I remember when I first started the movie after Jackie Brown, it was one of the things that I wanted to be my The Good, The Bad, and The Ugly, and it was. I love those guys’ work. Oddly enough though, as much as I love Sergio Leone, if you are familiar with a lot of those directors, I think my work resembles more of Sergio Corbucci. Not that I am trying to do either of those guys, but he is the other master as far as I’m concerned. I think my films are closer to his than Leone’s.
Avez vous été influencé par dens gens comme Robert Aldrich, Samuel Fuller, ou Sergio Leone ? Quels autres réalisateurs ont eu un effet positif sur vous ?
Quentin Tarantino : Oh, oui ! Vous pouvez dire qu'ils ont été des influences majeures. Sergio Léone est mon réalisateur favori de tous les temps. Je ne crois pas être arrivé à cela, mais je me souviens que quand j'ai commencé le film après Jackie Brown, je voulais que ce soit mon Le bon, la brute et le truand, et ça l'était. J'adore le travail de ces gars. Assez étrangement, autant j'aime Sergio Leone, si vous êtes familier de ces réalisateurs, je crois que mon travail ressemble plus à celui de Sergio Corbucci. Ce n'est pas que je cherche à être l'un ou l'autre de ces gars, mais il est l'autre maître en ce qui me concerne. Je pense que mes films sont plus proches des siens que de ceux de Leone.
Entretien avec Quentin Tarantino sur Screencrave (en anglais). Traduction laborieuse de mes petites mains. La photographie vient de Movie-moron, je n'ai pu résister aux mains de Mélanie dans le celluloïd.
11:35 Publié dans Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : quentin tarantino, sergio corbucci, sergio leone | Facebook | Imprimer | |
24/08/2009
(In)glourious critiques
De retour d'une semaine à la montagne et au frais, loin de tout ordinateur, je n'avais qu'une hâte, savoir ce que mes petits camarades avaient bien pu penser du petit dernier de MrQ. Comme la réception cannoise le laissait prévoir, ça défouraille sec.
Revue :
Le cinéma n'est pas une arme métaphorique mais réelle.
Tout est affaire de croyance et c’est cette croyance qui emporte totalement le spectateur à la vision d’Inglourious basterds.
L'avis du Bon Docteur (et celui de Julien en commentaire)
Mais, cette violence est souvent pénible en ce qu'elle pousse le spectateur à ricaner (ricaner de se voir choqué).
L'avis de de Nightswimming
Il est clair qu’avec le finale d’Inglourious Basterds, Tarantino atteint le noyau dur de son cinéma : l’ivresse à se faire le reclus volontaire du cinéma au risque de se faire dévorer par lui.
L'avis de Joachim sur 365 jours ouvrables
Fidèle à sa réputation, Tarantino nous livre ainsi avec Inglourious basterds moins un film antinazi qu’une œuvre pronaze, assumant totalement la bêtise autant que la perversion de ses personnages.
L'avis de Buster sur Baloonatic
Et puis le mien, à chaud en mai et pour rappel. Pas encore revu, pas certain que j'ai encore grand chose à ajouter. Juste une chose parce que je l'ai retrouvée à plusieurs reprises : « western spaghetti » est une expression péjorative, un sarcasme inventé par les américains qui avaient en travers de la gorge le culot de ces fichus ritals venus piétiner avec bonne humeur leurs plate-bandes. Comme disait Leone : « Ce mot de western spaghetti, c’est un des plus cons que j’aie jamais entendu de ma vie ! ».
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29/05/2009
Cannes 2009 - jour 5
La saint Quentin
Vous vous doutez que Inglourious Basterds de Quentin Tarantino était de l'étoffe cinématographique dont je me sentais à priori le plus proche. A postériori, Tarantino a eu l'art de m'introduire dans ce nouveau film avec quelques arguments implacables. Écran noir. Le générique se déroule sur The green leaves of summer, le thème d'Alamo composé par Dimitri Tiomkin pour la version réalisée par John Wayne en 1960. Déjà, mes yeux sont humides. La première scène est l'une des plus belles qu'il ait jamais tournée jusqu'ici. Il était une fois en France occupée par les nazis... une ouverture qui cite C'era una volta il west (Il était une fois dans l'ouest - 1969) de Sergio Leone, « Tu vas me chercher de l'eau », et The searchers (La prisonnière du désert - 1956) de John Ford avec le cadrage à travers la porte. Une ouverture qui est un duel psychologique de vingt minutes avec deux comédiens étonnants et complémentaires, Christoph Waltz en colonel SS Landa et Denis Menochet en paysan français nommé Perrier Lapadite (si, c'est bien son nom), avec un travelling vertical le long de la jambe du paysan qui traverse le plancher pour révéler la famille Dreyfus tapie dans la cave, avec un brusque éclair de violence aux accents d'un morceau d'Ennio Morricone composé pour Il ritorno di Ringo (Le retour de Ringo - 1965) de Duccio Tessari, le morceau aux violons furieux quand Ringo découvre l'existence de sa fille pour être tout à fait précis. Vous imaginez l'état dans lequel j'étais au bout de ces vingt minutes.
La fine équipe
Mais nous n'allons pas jouer au jeu des citations. Comme tout le cinéma de Tarantino, Inglourious Basterds est bourré de références jusqu'à la gueule. Comme tous ses autres films, c'est un acte d'amour envers le cinéma, une sorte de chant mystique à sa puissance et à sa beauté. Pour le spectateur, c'est une invitation à la jouissance et au jeu. Soyons clairs, Tarantino est absolument l'anti-Haneke, et j'irais jusqu'à dire que c'est la grandeur de cette édition cannoise de 2009 d'avoir réuni côte à côte le plaisir extrême de faire du cinéma et la douleur extrême de faire du cinéma. Et même s'il a fallu, in fine, que madame la présidente choisisse son camp.
Il y a eu un problème avec le film de Tarantino. J'ai senti dans la salle combien le public était désarçonné par ce film qui ne ressemble à rien de connu et surtout, surtout, à rien de ce qui était attendu. Ou si peu. C'est peut être le seul reproche que je lui ferai, de se vendre sur l'idée d'un démarquage ludique et violent de Dirty dozen (Les douze salopards - 1967) de Robert Aldrich, ou de ce film d'Enzo G. Castellari qui l'a si lointainement inspiré. Certes vous aurez des scalps, Brad Pitt et la batte de base-ball dans la tête du nazi. Mais le film n'est pas là. Il est tellement pas là que certains en sont venus à se demander où il était. Dès le lendemain, le chroniqueur de la revue Technikart pondait un édito rageur d'amoureux déçu, allant chercher Robert Lamoureux et le bidasses de Claude Zidi pour mieux cracher son dépit. Je peux comprendre que le spectateur ordinaire ait pu se sentir désemparé. Moi même, à une ou deux reprises, j'ai senti le doute me frôler de son aile. C'est que le jeu de Tarantino est exigeant cette fois, loin de l'exubérance physique de Kill Bill comme de la linéarité de Death Proof. Mais qu'un critique, un professionnel de la vision des films, n'arrive pas à saisir, ne cherche pas à comprendre ce qui a été tenté, ne voit pas la nature de l'audace du réalisateur, alors les bras, les yeux et les poils du dos m'en tombent. L'impression que cela m'a laissé, c'est que pour certains, il y a eu l'occasion de se payer Quentin et qu'il fallait le faire vite et le plus fort possible. C'est ridicule.
Difficile d'entrer dans la luxuriante richesse d'Inglourious Basterds sans en dévoiler les multiples et subtils ressorts. Une scène quand même pour approcher la bête, un autre sommet du film. Ça se passe dans une auberge française. Quelques soldats allemands fêtent la paternité récente de l'un d'eux en compagnie dune actrice allemande elle aussi, Bridget von Hammersmark jouée par la superbe Diane Kruger. Moment de détente avec citations diverses (Winnetou, Edgard Wallace...). Entrent deux des Basterds accompagnés d'un agent anglais, tous déguisés en officiers allemands. Leur contact c'est l'actrice. La tension monte d'un cran et s'installe. Au moment ou la scène semble s'épuiser, un changement de cadre et une voix off révèlent une pièce supplémentaire et un officier SS jusqu'ici invisible. Il a des doutes sur les accents des faux officiers. La tension remonte brusquement, Tarantino change de braquet et nous mène jusqu'à un nouveau sommet. L'issue de cette scène (vous apprécierez les efforts que je fais pour rester évasif) remet en cause tout ce que l'on a pu imaginer depuis 20 minutes. Nouveau cadrage qui révèle cette fois un escalier, nouvelle voix off. Il y avait encore des gens que l'on avait pas vu. On repart sur une nouvelle situation, tendue à nouveau jusqu'à l'ultime résolution. Jeu avec l'espace, suspense basé sur le cadre et le hors champ, art de la tension, interprétation savoureuse, ruptures de ton, violence sèche entre Hawks et Corbucci organisée géométriquement, cette scène donne le vertige.
Après, il faut dire la transgression de Tarantino dans ce film. Il a fait là quelque chose qui ne se fait pas, que je ne crois avoir vu au cinéma que chez Chaplin ou Tex Avery. En fait, je ne peux rapprocher l'idée finale que de celle du film de Corbucci, Il grande silenzio (Le grand silence - 1968). Pour ceux qui le connaissent, ça vous donnera une piste, mais il faut inverser. Tarantino pousse la logique d'un genre à son extrémité en allant au bout du principe de fiction, de la cohérence interne du conte. Il était une fois... Quand on embrasse une grenouille, elle devient un prince. Cela n'a rien à voir avec les images provoquantes qui séduisent ou font hurler, celles de Haneke ou de Von Trier qui peuvent aller très loin dans ce qui est montré. C'est plus gonflé, plus radical, c'est amener le spectateur au bout de la logique de son désir relativement au film. C'est l'illustration littérale de la fameuse et belle formule d'Alfred Hitchcock, « Mon amour du cinéma est plus fort que n'importe quelle morale ».
Alors un homme capable de filmer le gros plan sur la cheville de Diane Kruger interrogée par le colonel SS, un homme capable de filmer les larmes qui envahissent les yeux de Lapadite quand il se rend compte qu'il craque et va trahir, un homme capable de filmer Mélanie Laurent dans sa robe rouge d'une façon qui devrait faire rougir de honte tous ceux qui l'ont filmée avant, Lioret compris, un homme capable d'un film de studio américain parlé à 60% en français, allemand et italien, un homme qui donne comme nom de code à un personnage « Antonio Margheriti », un homme capable d'interrompre son film pour nous donner une leçon sur le film nitrate, un homme capable de filmer son cinéma parisien comme François Truffaut filmait son théâtre dans Le dernier métro (1980), Un homme qui filme ce cinéma comme un temple avec la réplique « Il est beau votre cinéma, on dirait une église » et qui retourne la symbolique du Mal contre lui même (les nazis avaient pour habitude d'enfermer les populations civiles dans les église et les synagogues avant d'y mettre le feu), un homme capable de terminer son film sur cette réplique de Brad Pitt « Je crois que je viens de faire mon chef d'oeuvre », cet homme est fou. Et nous avons besoin des fous. Cet homme dis-je, ne doit avoir droit qu'à notre plus profonde admiration. Vous ferez bien ce que voulez, la mienne lui est acquise.
Photographies : © Universal Pictures International France
(à suivre)
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13/06/2007
A l'épreuve de la mort
En préliminaire, sachez qu'un cinéaste fétichiste du pied aura toujours mon admiration de principe.
Ceci posé, j'ai négocié avec ma compagne la garde quelques heures de ma fillette pour ressentir de nouveau le moelleux contact d'un fauteuil de cinéma. Sur l'écran : Death proof, dernier opus de Quentin Tarantino. Un film qui se voit en salle, si possible bien centré et très prés de l'écran. Par ailleurs, je me demande ce qui est passé dans la tête des distributeurs français pour donner ce titre : Boulevard de la mort. Nous sommes bien dans l'esprit de cet hommage aux bandes d'exploitation, mais il n'y a pas de boulevard et aucun lien avec le sens d'origine. Death proof, « à l'épreuve de la mort », qualifie une voiture de cascadeur renforcée et trafiquée pour les besoins du cinéma. Comme celle de Stuntman Mike, professionnel sur le retour au blouson vintage et jolie balafre. Mike traque des groupes de jeunes et jolies jeunes femmes en virée et utilise sa Dodge Charger équipée canard comme arme mortelle.
Deux parties dans le film. Deux états, deux temps, deux groupes féminins. Une partie nocturne et péri-urbaine, l'autre diurne et campagnarde.
J'ai nettement préféré la seconde. Le film commence par la longue soirée bavarde de la DJ Jungle Julia (Sydney Tamiia Poitier) et de ses copines prêtes à partir pour un week end entre filles. Ca discute comme au début de Réservoir Dogs ou dans les scènes de voiture de Pulp Fiction. Mais si les filles sont charmantes à l'oeil, pleines de pétulance et de saine vulgarité, elles ne sont guères passionnantes. Elles arrivent dans un bar, rien ne se joue autour d'elles, rien d'intéressant. La danse érotique d'Arlène (Vanesa Ferlito) est plus dans l'esprit de From dusk till dawn (Une nuit en enfer du compère Rodriguez) que de la sensualité d'Uma Thurman. Avec le recul, la question se pose de savoir si Tarantino n'a pas poussé son imitation du genre jusqu'à nous monter cette superficialité exprès. La même question peut se poser sur la longueur et les dialogues de remplissage, figure imposée en la matière, y compris, rappelez vous, dans le début de Texas chainsaw massacre(Massacre à la tronçonneuse). Néanmoins une tension s'installe petit à petit avec l'arrivée de Mike. Kurt Russel, l'icône de John Carpenter, montre une fois de plus combien il peut être fascinant quand il est bien filmé. Et l'on sait depuis toujours que Tarantino sait filmer ses héros mieux que personne. Il y a quelques très gros plans à la Argento, une déglutition à la Léone, tout est ultra référencé et j'ai eu un peu de mal à marcher.
Et puis les choses s'accélèrent d'un coup. Le film bascule d'un coup dans l'horreur avec la mort brutale de Pam (Rose McGowan) et vous aspire d'un coup jusqu'à l'accident. Cet accident, c'est peu sa douche de Psychose à Tarantino. Le choc est si violent qu'il fait table rase de ce que l'on vient de voir et conditionne durablement tout ce qui va suivre. Jusqu'ici le travail de mise en scène n'avait (en apparence ?) rien de remarquable, il s'agissait de créer une ambiance et de tourner autour de la dizaine de personnages réunis dans le bar. Belle occupation de l'espace, mais je n'ai pas le souvenir d'un moment marquant. D'un coup, Tarantino nous montre quelque chose comme on a pas l'impression de l'avoir déjà vu. Il suspend le temps avec un léger ralenti mais surtout avec la répétition rapide de l'action selon de point de vue de chaque victime. Cela lui permet de conserver à la fois la violence du choc et sa juste compréhension. Il arrive a allier la vitesse brute des montages de Georges Miller ou Steven Spielberg (cité au passage) et les dilatations du temps de Claude Sautet ou Sam Peckinpah.
A partir de là, la donne change pour le second groupe. Pas le temps de se demander si l'on est repartit pour vingt minutes de tchatche. Le superbe jeu de Mike sur le pied superbe d'Abernathy (Rosario Dawson) suffit à faire monter la sauce. Et puis ce groupe, c'est autre chose. Les quatre nouvelles filles sont des professionnelles, elles sont sur un tournage. Alors ça parle potin de plateau, anecdotes, références directes, clins d'oeils. Tarantino croise cette fois Mad Max avec La nuit américaine. Coup de génie, deux des filles sont des cascadeuses. Mieux, l'une d'elle est une véritable cascadeuse : Zoé Bell, j'ai craqué, doublait Uma Thurman sur les deux Kill Bill. Tarantino a visiblement décidé de se projeter dans la blonde décontractée et néo-zélandaise qui entraîne ses amies à la recherche d'une Dodge Challenger, voiture du film culte Vanishing point (Point limite zéro de Richard Sarafian) Du coup, outre cette idée tordue et excitante, on se dit rapidement que la rencontre avec Mike va faire des étincelles. Promesse tenue au-delà du raisonnable. L'action embraye rapidement et une autre idée géniale que je ne vous révélerais pas débouche sur une poursuite motorisée cinématographique en diable et sans doute la plus prenante depuis que sont apparus sur les écrans la V8 interceptor de Mad Max et le camion de Raiders of the lost Ark (Les aventuriers de l'arche perdue). D'autant que, tournée à l'ancienne (sans effets numériques), la scène gagne une densité inhabituelle pour notre époque frileuse. Comme dans Stagecoach de Ford où l'on sait que c'est un véritable bonhomme qui saute de cheval en cheval, on voit bien que Zoé Bell ne fait pas semblant. Ni Tracie Thoms qui conduit.
A ceux qui me rappelleraient à ce point que le dernier film qui m'a motivé en salles est Ne touchez pas la hache de Rivette, je répondrais que justement, c'est ce que j'aime au cinéma. Et quand on va voir un film de voitures qui vont vite, il faut qu'elles aillent vraiment vite et que l'on ait envie de freiner sur le siège de devant. Sinon, mieux vaut rester chez soi.
Je vois Tarantino comme Sergio Léone. Quelqu'un qui accumule les icônes et les références de genres pour se créer un univers personnel et abstrait. Univers de pur cinéma. Tarantino est un artiste abstrait. Il est proche en cela de ceux qui pratiquent le « found footage », de gens comme Virgil Vidrich qui re-filme les classiques du cinéma sur des papiers découpés (Avez vous vu Fastfilm ?). Avec ses faux raccords, ses fausses rayures, ses fausses sautes de pellicule qui lui permettent aussi de faire progresser sa narration, Tarantino est un faussaire de génie. De génie parce qu'il faut aussi dire que si aucun des films « grindhouse » n'a jamais eu les moyens qu'il déploie, rares sont les réalisateurs qui ont eu son talent.
Alors, quel sens à tout cela ? Le même sans doute qu'il y avait, outre les films cités, à des oeuvres comme Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars), Night of the living Dead (La nuit des mors vivants) ou les merveilleux gialli de Dario Argento. Le plaisir de la forme et du jeu.
Le site du film
Photographies : © TFM Distribution
12:35 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : Quentin Tarantino, Zoé Bell | Facebook | Imprimer | |