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13/06/2007

A l'épreuve de la mort

En préliminaire, sachez qu'un cinéaste fétichiste du pied aura toujours mon admiration de principe.

Ceci posé, j'ai négocié avec ma compagne la garde quelques heures de ma fillette pour ressentir de nouveau le moelleux contact d'un fauteuil de cinéma. Sur l'écran : Death proof, dernier opus de Quentin Tarantino. Un film qui se voit en salle, si possible bien centré et très prés de l'écran. Par ailleurs, je me demande ce qui est passé dans la tête des distributeurs français pour donner ce titre : Boulevard de la mort. Nous sommes bien dans l'esprit de cet hommage aux bandes d'exploitation, mais il n'y a pas de boulevard et aucun lien avec le sens d'origine. Death proof, « à l'épreuve de la mort », qualifie une voiture de cascadeur renforcée et trafiquée pour les besoins du cinéma. Comme celle de Stuntman Mike, professionnel sur le retour au blouson vintage et jolie balafre. Mike traque des groupes de jeunes et jolies jeunes femmes en virée et utilise sa Dodge Charger équipée canard comme arme mortelle.

Deux parties dans le film. Deux états, deux temps, deux groupes féminins. Une partie nocturne et péri-urbaine, l'autre diurne et campagnarde.

J'ai nettement préféré la seconde. Le film commence par la longue soirée bavarde de la DJ Jungle Julia (Sydney Tamiia Poitier) et de ses copines prêtes à partir pour un week end entre filles. Ca discute comme au début de Réservoir Dogs ou dans les scènes de voiture de Pulp Fiction. Mais si les filles sont charmantes à l'oeil, pleines de pétulance et de saine vulgarité, elles ne sont guères passionnantes. Elles arrivent dans un bar, rien ne se joue autour d'elles, rien d'intéressant. La danse érotique d'Arlène (Vanesa Ferlito) est plus dans l'esprit de From dusk till dawn (Une nuit en enfer du compère Rodriguez) que de la sensualité d'Uma Thurman. Avec le recul, la question se pose de savoir si Tarantino n'a pas poussé son imitation du genre jusqu'à nous monter cette superficialité exprès. La même question peut se poser sur la longueur et les dialogues de remplissage, figure imposée en la matière, y compris, rappelez vous, dans le début de Texas chainsaw massacre(Massacre à la tronçonneuse). Néanmoins une tension s'installe petit à petit avec l'arrivée de Mike. Kurt Russel, l'icône de John Carpenter, montre une fois de plus combien il peut être fascinant quand il est bien filmé. Et l'on sait depuis toujours que Tarantino sait filmer ses héros mieux que personne. Il y a quelques très gros plans à la Argento, une déglutition à la Léone, tout est ultra référencé et j'ai eu un peu de mal à marcher.

Et puis les choses s'accélèrent d'un coup. Le film bascule d'un coup dans l'horreur avec la mort brutale de Pam (Rose McGowan) et vous aspire d'un coup jusqu'à l'accident. Cet accident, c'est peu sa douche de Psychose à Tarantino. Le choc est si violent qu'il fait table rase de ce que l'on vient de voir et conditionne durablement tout ce qui va suivre. Jusqu'ici le travail de mise en scène n'avait (en apparence ?) rien de remarquable, il s'agissait de créer une ambiance et de tourner autour de la dizaine de personnages réunis dans le bar. Belle occupation de l'espace, mais je n'ai pas le souvenir d'un moment marquant. D'un coup, Tarantino nous montre quelque chose comme on a pas l'impression de l'avoir déjà vu. Il suspend le temps avec un léger ralenti mais surtout avec la répétition rapide de l'action selon de point de vue de chaque victime. Cela lui permet de conserver à la fois la violence du choc et sa juste compréhension. Il arrive a allier la vitesse brute des montages de Georges Miller ou Steven Spielberg (cité au passage) et les dilatations du temps de Claude Sautet ou Sam Peckinpah.

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A partir de là, la donne change pour le second groupe. Pas le temps de se demander si l'on est repartit pour vingt minutes de tchatche. Le superbe jeu de Mike sur le pied superbe d'Abernathy (Rosario Dawson) suffit à faire monter la sauce. Et puis ce groupe, c'est autre chose. Les quatre nouvelles filles sont des professionnelles, elles sont sur un tournage. Alors ça parle potin de plateau, anecdotes, références directes, clins d'oeils. Tarantino croise cette fois Mad Max avec La nuit américaine. Coup de génie, deux des filles sont des cascadeuses. Mieux, l'une d'elle est une véritable cascadeuse : Zoé Bell, j'ai craqué, doublait Uma Thurman sur les deux Kill Bill. Tarantino a visiblement décidé de se projeter dans la blonde décontractée et néo-zélandaise qui entraîne ses amies à la recherche d'une Dodge Challenger, voiture du film culte Vanishing point (Point limite zéro de Richard Sarafian) Du coup, outre cette idée tordue et excitante, on se dit rapidement que la rencontre avec Mike va faire des étincelles. Promesse tenue au-delà du raisonnable. L'action embraye rapidement et une autre idée géniale que je ne vous révélerais pas débouche sur une poursuite motorisée cinématographique en diable et sans doute la plus prenante depuis que sont apparus sur les écrans la V8 interceptor de Mad Max et le camion de Raiders of the lost Ark (Les aventuriers de l'arche perdue). D'autant que, tournée à l'ancienne (sans effets numériques), la scène gagne une densité inhabituelle pour notre époque frileuse. Comme dans Stagecoach de Ford où l'on sait que c'est un véritable bonhomme qui saute de cheval en cheval, on voit bien que Zoé Bell ne fait pas semblant. Ni Tracie Thoms qui conduit.

A ceux qui me rappelleraient à ce point que le dernier film qui m'a motivé en salles est Ne touchez pas la hache de Rivette, je répondrais que justement, c'est ce que j'aime au cinéma. Et quand on va voir un film de voitures qui vont vite, il faut qu'elles aillent vraiment vite et que l'on ait envie de freiner sur le siège de devant. Sinon, mieux vaut rester chez soi.

Je vois Tarantino comme Sergio Léone. Quelqu'un qui accumule les icônes et les références de genres pour se créer un univers personnel et abstrait. Univers de pur cinéma. Tarantino est un artiste abstrait. Il est proche en cela de ceux qui pratiquent le « found footage », de gens comme Virgil Vidrich qui re-filme les classiques du cinéma sur des papiers découpés (Avez vous vu Fastfilm ?). Avec ses faux raccords, ses fausses rayures, ses fausses sautes de pellicule qui lui permettent aussi de faire progresser sa narration, Tarantino est un faussaire de génie. De génie parce qu'il faut aussi dire que si aucun des films « grindhouse » n'a jamais eu les moyens qu'il déploie, rares sont les réalisateurs qui ont eu son talent.

 

Alors, quel sens à tout cela ? Le même sans doute qu'il y avait, outre les films cités, à des oeuvres comme Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars), Night of the living Dead (La nuit des mors vivants) ou les merveilleux gialli de Dario Argento. Le plaisir de la forme et du jeu.

 

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Le site du film

Photographies : © TFM Distribution

Commentaires

Oui ! je suis tout à fait d'accord, surtout avec la douche de Psycho.

Écrit par : Norman Bates | 13/06/2007

Content que tu es apprecié ce film que je trouve aussi fortement jubilatoire.
Je ne lui reprocherai simplement que quelque petites longueurs dans sa premiere partie (sans doute dut au rallongement vu que le film sort en 2 partie et non en 1 seul bloc avec celui de Rodriguez comme aux USA).
Il y a en plus une vraie unité entre les deux parties, une assez respectueuse du genre et la seconde, plus distanciée, reflexive.

Écrit par : S*E*B | 13/06/2007

depuis Kill Bill où je crois ne m'être jamais autant ennuyé au cinéma, Tarantino me laisse un peu circonspect... Je ne me suis toujours pas décidé à aller voir le film tant je crains le côté tchatche à outrance (qui m'horripile, genre Jackie Brown, que j'ai trouvé bien médiocre) même si en effet, la seconde partie pourrait me séduire. Bref, le côté compilation et pure exercice citationnel me rebute parfois. Mais, comme je n'ai rien de prévu, peut être me laisserais-je tenté!
En tus cas, joli billet toujours aussi bien écrit et agréable!

Écrit par : el pibe | 13/06/2007

Ce film que j'ai d'abord détesté, puis fortement ré-apprécié à sa deuxième vision est effectivement une apologie du fétichisme: des orteils de ses actrices jusqu'aux fragments cinématographiques, tout mérite d'être adoré semble dire Tarantino. Mais je pense que là, il va plus loin et qu'il y a vraiment un propos qui dépasse le recyclage et les références cinématographiques, car tout le dialogue développe longuement des "fragments du discours amoureux" et des codes de séduction féminins. Et si on semble attendre aussi longtemps l'orgasme de la poursuite finale, c'est peut-être pour faire advenir le propos caché du film: pour mériter de coucher (et de jouir) avec une jolie fille, ça sert à rien de rouler des mécaniques, il faut vraiment savoir lui parler.

Écrit par : Joachim | 13/06/2007

De la part de Norman Bates, la comparaison s'imposait.

Seb, salut, et d'accord avec toi. Je pense que ça serait intéressant d'avoir les deux films l'un derrière l'autre, comme une véritable double séance. Une idée pour le Lux ?

El Pibe, tu mets le doigt sur l'essence même du cinéma de Tarantino, à mon sens, c'est comme une conversation avec des gens qui partagent les mêmes goûts en films. Ca peut être excitant comme ça peut être énervant. J'aime beaucoup, comme tu l'auras lu, son cinéma et les longues discussions font partie du plaisir que j'y prends.

Joachim, j'aime beaucoup votre théorie ! J'ai suivi avec intérêt l'évolution de votre position. Je pense comme vous que c'est un film qui se révèle en y repensant. Je n'étais pas si enthousiaste à la sortie de la salle qu'hier en écrivant ce texte.

Écrit par : Vincent | 13/06/2007

GRANDIOSE
(et les dialogues de "ne touchez pas à la hache" sont savoureux)

plus RoseMcGowan & Mary Elizabeth Winstead (pour continuer à parler de cinéma)

mais Zoé Bell après la course poursuite est tout a coup diablement séduisante...

Écrit par : L'Anonyme de Chateau Rouge | 14/06/2007

Quel plaisir, cher anonyme, de te revoir en ces colonnes. j'ai vu que tu avais été très occupé ces derniers temps mais que tu n'avais pas abandonné notre monde virtuel. Ni de prendre un peu de temps pour les salles obscures.
Rose McGowan, je n'en ai pas parlé mais je l'ai trouvé très belle et très étrange dans la première partie. Elle est si pâle et si blonde, on dirait comme un spectre. Elle est en brune destructrice dans le volet Rodriguez.

Écrit par : Vincent | 14/06/2007

Pour l'instant difficile d'envisager une soirée vu que le Planet terror de Rodriguez n'est pas encore sortie (mais on y pensera quand il sortira).
Avec peut etre les bandes-annonces zappé dans la versions francaises mais visible ici: http://filmcourt.canalblog.com/archives/2007/04/11/4592805.html#trackbacks

Par contre on pense à une soirée avec Vanishing point tellement cité dans Deathproof.

Écrit par : S*E*B | 14/06/2007

Pas tout à fait d'accord. Lecture inverse même ! ;-)
Bien à toi.
François

Écrit par : imposture | 16/06/2007

Bonjour à tous!
Je voulais dire que queklque part ca me faisait plaisir de lire le commentaire de Joachim, car, même si je ne sais pas exactement de quoi le film parle, bien que l'ayant adoré (j'ai l'impression qu'il y a une derniirère ssous-couche absurde), j'ai eu la forte impression aussi que le film, loin d'être le girlie movie annoncé par Tarantino lui-même, était une comédie sentimental horrifique ayant pour thème: Le Marché de la Viande. [Cette expression est une théorie d'un de mes amis que je trouve assez juste, mais qui surtout offre une formidable grille de lecture à plein de choses: le marché du célibat (les gens qui aimerait sortir ou qui peuvent sortir avec d'autres gens) est organisé comme le CAC40, avec ses côtes montantes et descendantes, et la valeur des côtes est directement liée à un seul facteur: la beauté physique!]
Par contre, je ne tire pas les même conclusion que Joachim. je ne pense pas que le film dise qu'il faille parler aux filels pour les seduire. d'ailleurs la scène sous le porche du bar dit le contraire puisque Russel est absolument inquiétant certes mais aussi charmant quand il aborde Machine-chose (la fille qui va danser), et celle-ci est à deux doix de craquer!
Je vois plutôt le film comme le contraire: j'ai compris (c'est mon impression de spectateur, pas la vérité de Dieu le Père révélée) que ça parlait de ca: aborder une fille, la séduire, la draguer, flirter gentiment ou au contraire sérieusement est devenu une chose absolument difficile, une sorte de palier complétement infranchissable, une épreuve, un test de selection impitoyable qui n'admet en aucun cas la différence, la spontanéité ou l'originalité, ces filles ayant déjà une idée précise de qui ellles veulent et surtout comment.
Voilà c'est pas très gai, mais c'est ce que j'ai ressenti. j'expliquerais pourquoi dans un article à paraitre chez moi demain ou lundi, mais j'ai été très touché dans le film par le soin maniaque apporté à la gestion des figurantes dans le bar, qui me parait extraordinaire, j'u reviendrais (d'ailleurs, dans ce film ça se passe pas au centre de l'image au premeir plan, mais surtout en périphérie de l'image, comme la scène du taxi nous le rappelle).

A bientôt!

Dr Devo

Écrit par : Dr Devo | 17/06/2007

Imposture, je crois que nous avons la même lecture mais effectivement à te lire, nous n,'en tirons pas la même conclusion. Ou plus exactement, pas le même plaisir.

Cher Dr, très honoré de vous lire en ces colonnes. Je n'ai pas terminé votre long article passionnant (et j'ai adoré celui sur Ferris Bueller)). je crois que tout ça renforce l'idée que le film est bien plus complexe que sa surface. Plus j'y réfléchi, plus j'y trouve des choses. C'est plutôt bon signe. Je ne sais pas si Tarantino nous parle du délicat problème de comment aborder les filles mais comme dans tout ses films, cela a à voir avec le désir et la séduction. Mais j'ai toujours le sentiment que l'on s'égare dès que l'on s'éloigne de son obsession fondamentale si entière que je ne sais pas si elle peut laisser de l'espace pour d'autres : le cinéma. "Jackie Brown", c'était plus la fascination pour une icône, un personnage fictif, un rêve d'adolescent, que pour une femme réelle, même une actrice appelée Pam Grier.

Écrit par : Vincent | 19/06/2007

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