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17/10/2012

Marilyn Monroe par Gérard Courant

En l'an de grâce 2012, il n'aura échappé à personne que l'on a célébré, façon d'écrire, le cinquantenaire de la disparition de Marilyn Monroe. Nous auront donc eu droit à tout, une déferlante de publications avec de jolis numéros spéciaux sur papier glacé, les dessins de Marilyn, les poèmes de Marilyn, les carnets secrets de Marilyn, les photographies de Marilyn, les notes de blanchisserie de Marilyn. Un peut tout, beaucoup n'importe quoi, avec quelque chose qui hérisse le poil du cinéphile bien né, la mise en retrait de l'essentiel : ses films. Ceci participant d'une tentative pénible de faire de Marilyn autre chose que Marilyn, c'est à dire une actrice de cinéma du Hollywood avant le déclin des années 60, capable accessoirement de chanter, danser et réfléchir sur son statut de star qu'elle eu du mal à gérer. Ce statut qui l'a transformée en objet médiatique lui causa bien des ennuis de son vivant. La malédiction est aujourd'hui loin d'être levée, alors que son image s'étale jusqu'à l’écœurement et que chacun, essayant d'être plus malin que l'autre, tente d'imposer une nouvelle image sur celles qui existent déjà. Comme Martine, Marilyn est tour à tour femme émancipée, modèle audacieux, humoriste, grande tragédienne contrariée, productrice, intellectuelle refoulée, gauchiste, peintre, poétesse, auto-analyste, nymphomane, victime d'un complot, fantôme dans un hôtel, mais moi qui ai bien connu le petit cousin du chauffeur de sa coiffeuse, je sais qu'en vérité, elle rêvait d'enfiler le costume de Godzilla.

gérard courant,marilyn monroe

Dans ces conditions, il est bon de revenir aux fondamentaux et au bel hommage que lui rend Gérard Courant dans sa compression Marilyn datant de 2011. Parmi les nombreux procédés qu'il utilise pour travailler les images, les siennes comme celles des autres, il y a ce principe de la compression, inspiré par les sculptures de César ou les accumulations d'Arman. Pour Marilyn, Courant a compressé les 15 films où Marilyn Monroe tient le ou l'un des rôles principaux. Ces 15 films, ce qui à la réflexion n'est pas tant, sont l'essence de la carrière de Marilyn, son parcours et son art, tout entier. Compressés à un rapport de 1/20, l'ensemble dure 68 minutes. Ceux qui se sont déjà amusés à utiliser les fonctions d'accélérations de leurs lecteurs (VHS, DVD ou autre) se sont déjà rendu compte de ce que l'exercice pouvait avoir de révélateur. Structure, dominantes chromatiques, richesse des plans, présence d'un acteur, un film compressé en quatre minutes est bien révélateur au sens chimique du mot. Sur la durée, la compression de Gérard Courant des titres majeurs de Marilyn Monroe dessine un étonnant parcours de quinze années de l'histoire de Hollywood, de Ladies of the chorus (Les reines du music-hall – 1948) de Phil Karlson à Something got to give (1962) inachevé par George Cukor. Filant sur les vents du temps, l'on voit les premières productions en noir et blanc de format classique, l'arrivée de la couleur sur le Niagara (1953) de Henry Hathaway puis l'élargissement de l'écran au CinémaScope, l'intermède anglais avec Laurence Olivier puis l'hommage en noir et blanc de Billy Wilder, l'image plus moderne du film de John Huston, avant de revenir aux comédies sophistiquées du début des années 60. Se superpose à l'aventure de Marilyn une histoire du Hollywood de l'époque. Marilyn est Hollywood, star et actrice, spectacle et art, there is no business like show business. Et puis, comme on pouvait s'y attendre, son image règne. Par éclairs, les gros plans percent le flot accéléré des images et imposent son extraordinaire présence, son visage en premier lieu, adoré de la caméra, et puis toutes ces images qui ont construit le mythe : Le rouge à lèvre de Niagara, la guêpière de River of no return (La rivière sans retour – 1954), la robe blanche de Seven year itch (Sept ans de réflexion – 1955), le pull de Let's make love (Le milliardaire – 1960). La compression réalisée par Gérard Courant fait sentir à la fois le dérisoire du mythe et sa force irrésistible, manière originale de revenir une fois de plus sur ces films si souvent vus, jamais oubliés.

En forme de coda à cette compression, on se fera plaisir avec un petit court de trois minutes, In Memoriam Marilyn, que Gérard Courant réalise cette année sur un principe opposé. Court, utilisant le ralenti et des scènes du tournage de l'ultime film inachevé de Cukor. Sur les images d'une Marilyn nue et libre, se pose sa voix interprétant Kiss, chanson du film Niagara. Courant reprend ici plusieurs de ses procédés favoris qui nous ramènent à ses collections de clips pour Elisa Point et Léonard Lasky, variations sur des scènes de films qu'il aime, ainsi qu'à ses images ralenties de Gene Tierney dans She's a very nice lady, film de 1982 qui utilisait déjà la scène de Niagara. La boucle est une forme qu'affectionne le cinéaste. Impossible pour moi de ne pas rapprocher les visages des deux stars sortant de l'eau en un ralenti émouvant faisait éclater leur beauté comme leur humanité. En revenant à l'actrice au travail, dans la joie, Gérard Courant revient à l’essentiel de Marilyn. Qu'il en soit ici remercié. Et l'on pourra toujours rêver au Cinématon qu'il aurait pu faire avec elle.

Pour faire écho à l'article d’Édouard de Nightswimming, je dirais que le même principe appliqué à une star plus française, Brigitte Bardot, m'a moins convaincu. BB x 20, réalisé en 2010 compresse 20 films de Manina, fille sans voile (1952) à Boulevard du Rhum (1971). Outre qu'il manque une partie des films (dommage pour Les pétroleuses (1971)), il se trouve que je ne suis pas un grand amateur de La Bardot et qu'il ne me semble pas que son parcours puisse avoir la force symbolique de celui de Marilyn. Je connais aussi peu des films compressé, il n'y a donc pas l'effet de familiarité et certains passage me sont complètement obscurs. Surnagent le Scope du Mépris (1963) de JLG, inévitable, et quelques souvenirs de chez Vadim ou Dmytryck (aie). Restent aussi certaines scènes échevelées de Viva Maria (1965) de Louis Malle qui prennent à l'accélération un aspect expérimental assez bienvenu.

Photographie : Fascination Dreams

15/10/2012

Pauvre Buster

Les derniers chef d’œuvres de la période muette de Buster Keaton avaient coûté cher sans remporter le succès escompté. The general (Le mécano de la « Général » - 1926) en particulier. Inévitablement naquirent des tensions entre Keaton et son studio, la United Artists, dans lequel il avait un contrôle absolu sur son travail. Aussi, en 1928, le réalisateur passe à la MGM. Il pense sans doute y bénéficier de meilleures conditions et des gros moyens du plus prestigieux des studios hollywoodiens. Ce sera, comme il le dira plus tard, la plus grosse erreur de sa vie. A la MGM, on a une idée très arrêtée du cinéma et une très haute image de la firme au lion. La MGM attire les plus grandes stars : « plus d’étoiles qu'au firmament » ainsi que le proclame une publicité. Mais comme cela se passera avec les Marx Brothers un peu plus tard, la MGM entend contrôler et expliquer leur travail aux artistes. Keaton en fera l'amère expérience. Il arrive à conserver la maîtrise de The cameraman (1928) qui sera un succès, puis avec plus de difficultés de Spite Marriage (Le Figurant) l'année suivante. Mais aux innombrables batailles avec les cadres du studio viennent s'ajouter les problèmes personnels de Keaton et la difficulté à réaliser la transition du parlant. En grand burlesque, Keaton possède un art qui a trouvé sa plus belle expression dans le cinéma muet, un art du corps en mouvement, de la pantomime. Pour eux le parlant est une catastrophe. Charlie Chaplin s'obstine, d'autres disparaissent. Certains tentent la reconversion et Keaton s'essaye au comique verbal.Mais il n'y est pas à l'aise. Lui le perfectionniste, n'est pas satisfait de sa voix. A partir de 1930 et de Free and Easy (Le Metteur en scène), il lâche prise et perd la maîtrise de la réalisation de ses films. Les années trente seront pour lui une terrible dégringolade artistique et humaine, même si le public continue à lui accorder ses faveurs.

buster keaton

Keaton jouant aux cartes avec la belle Thelma Todd et Jimmy Durante sur le tournage du film

Speak easily (Le professeur) est emblématique de cette période. Son titre est symptomatique, jeu de mot sur « speakeasy » (bouge, bar clandestin) signifiant littéralement « parle facilement ». Le personnage joué par Buster Keaton est un professeur timide parlant un anglais raffiné auquel personne ne comprend rien, quand on l'écoute. Problème de communication, comique de la parole, antithèse du Keaton flamboyant des années 20. Réalisé en 1932 et signé par Edward Sedgwick, Speak easily raconte comment ce petit professeur, croyant avoir touché un important héritage, part à la découverte du monde et se lie avec une troupe de comédiens dont il va financer le spectacle à Broadway.

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Le DVD

Photographie DR

11/10/2012

The Fabulous Dorseys

Le jazz, art typiquement américain (dixit Clint Eastwood) est né et a grandit en même temps que le cinéma. C'est sur un air de jazz que le cinéma apprend à parler dans l'historique The jazz singer (!) en 1927, et tout au long des années trente, les plus grands compositeurs sont sollicités, de Cole Porter à George Gershwin, de Jérôme Kern à Irving Berlin. Très vite aussi, Hollywood se passionne pour le biographie filmée, le « biopic », versions le plus souvent hagiographiques, imagerie d’Épinal de la geste des grands hommes. L’Amérique construit sa légende et propage ses valeurs. Dans ce cadre, les musiciens sont à l'honneur et, pour s'en tenir au jazz, on verra Cary Grant jouer Cole Porter, Dany Kaye incarner Red Nichols et James Stewart interpréter Glenn Miller. Parallèlement, les véritables musiciens envahissent les écrans, le plus souvent pour des apparitions de prestige qui constituent, avec le recul et malgré certaines limitations sur lesquelles je vais revenir, d’irremplaçables témoignages vivants de leur talent. C'est ainsi que l'on verra Louis Armstrong chez Howard Hawks, Duke Ellington chez Vincente Minelli ou Benny Goodman chez Busby Berkeley.

The fabulous Dorseys est exemplaire de cette veine. Réalisé par Alfred E. Green en 1947, le film illustre la vie et l’œuvre de Timmy et James Dorsey, musiciens blancs nés à à Shenandoah en Pennsylvanie au début du siècle, le premier jouant du trombone et le second du saxophone et de la clarinette. Ils commencèrent à enregistrer sous leur nom en 1928 et créèrent un big band dont firent partie, jusqu'en 1934, les plus grands noms des musiciens blancs de New York (Glenn Miller, Benny Goodman, Johnny Mercer, "Jack" Teagarden, Bing Crosby...). Les deux frères se séparèrent en 1935 pour se retrouver dix ans plus tard. Et faire ce film.

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Le DVD

06/10/2012

Retour sur l'île au trésor

byron haskin

Long John Silver est de retour, le plus fameux des pirates, l'homme à la jambe de bois qui débarqua un jour à l'auberge de Benbow pour entraîner le jeune Jim Hawkins dans la plus formidable des aventures qu'un jeune garçon puisse rêver. Long John est de retour, ça va sentir la poudre à canon et le rhum de la Jamaïque ! C'est tout naturellement que ce patronyme évocateur est choisi comme titre par le producteur Joe Kaufmann de cette suite au film adapté par les studios Disney du roman de Robert Louis Stevenson en 1950. A cette époque les pirates on le vent en poupe. Et depuis quelques années déjà. De The black Swan (Le cygne noir – 1942) à The Buccaneer (Les Boucaniers – 1958), dans des dizaines de titres, dont quelques classiques, c'est l'abordage permanent en Technicolor, EastmanColor, écran classique ou CinémaScope. Crochets et jambes de bois, fiers galions, coffres remplis de ducats, îles paradisiaques aux plages de sable blanc, bastions et canons, visages patibulaires, héros et héroïnes bondissant dans les cordages, tempêtes et abordages, ho hisse et ho les frères de la côte. Cela fait du bien. Les joies de l'aventure exotique, le souffle de l'air du large, le frisson de l'aventure passent sur les transparences de studio. Mais je m'emballe.

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Le DVD

A lire sur Kinok (par Jocelyn Manchec)

Chez le bon Dr Orlof

Photographie collection Eric Villain (que je remercie ici pour son aimable autorisation). Son site met en ligne une magnifique collection d'affiches originales à visiter absolument.

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04/10/2012

Obsession ou le dernier romantique

Brian De Palma finit par être un peu agaçant quand il parle de Vertigo (Sueurs froides – 1958) à propos de son Obsession (1976) en expliquant qu'il aurait amélioré le film d'Alfred Hitchcock. Ce n'est pas la première fois qu'il fait le coup. Il avait déjà repris un plan du Tenebre (1982) de Dario Argento dans Raising Caïn (L'esprit de Caïn – 1992). Argento, pas trop prêteur, s'en était ému auprès du musicien Pino Donaggio auquel De Palma avoua, tout en précisant : «  Mais je l'ai amélioré ! ». « Je prends mon bien où je le trouve » disait Molière. Toujours est-il que pour Vertigo, De Palma reprend quelques critiques habituelles de vraisemblance, en particulier le fait que si Scottie (James Stewart) avait vu le cadavre de « Madeleine », il aurait bien vu que ce n'était pas la même femme que celle dont il s'était épris. Il pointe aussi l'apparition de la nonne venue sonner les cloches à la fin comme ridicule. On sait ce que Hitchcock pensait de « nos amis les vraisemblants » et ce que John Ford avait répondu à quelqu'un qui lui demandait pourquoi, dans Stagecoach (La chevauchée fantastique – 1939), les indiens ne tiraient pas sur les chevaux pour arrêter la diligence : « Dans la réalité, c'est ce qu'ils auraient fait. Mais il n'y aurait plus de film ». Si Hitchcock prend tant de soin à monter les effets du vertige sur son personnage, c'est bien pour justifier les manques de Scottie. Quiconque a subit les effets d'un véritable vertige sait que l'on peut rester prostré des heures, à plus forte raison si l'on vient de voir la femme que l'on aime se défenestrer. Alors, aller inspecter le cadavre... Pour la sonneuse de cloches, outre la poésie fantastique de l'idée, sa présence en cet endroit semble légitime. Plus incongrue aurait été celle d'un plombier.

brian de palma,alfred hitchcock

Dans Obsession, De Palma et Paul Schrader qui signe le scénario prétendent donc améliorer un film qui les a néanmoins beaucoup impressionné. A ce stade, ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre sont aimablement invités à ne pas poursuivre leur lecture (ou alors, il ne faudra pas m'en vouloir). La Nouvelle-Orléans : Michael Courtland voit sa femme et sa fille enlevées et disparaître tragiquement à la suite d'une course poursuite avec les ravisseurs. Seize ans plus tard, à Florence, il rencontre une jeune femme qui est tout le portrait de sa femme. C'est bien sûr une machination. Cette femme, c'est sa fille qui n'était pas dans la voiture fatale. Le scénario repose sur deux postulats difficiles à avaler si l'on y met de la mauvaise volonté : Il est étonnant qu'aucun des policiers ayant encerclé la demeure des ravisseurs (L'un d'eux est resté en arrière avec la fillette, c'est le truc) n'ait eu l'idée de rester sur la scène du crime, ne serait que pour chercher des indices, pas très pro ça. Ensuite, Sandra-Amy accepte pour se venger d'un père qu'elle croit responsable de la mort de sa mère par refus de payer la rançon, de jouer la comédie de l'amour et de l'épouser, avec ce que cela implique, en connaissance de cause. Il faut donc accepter qu'elle passe outre le tabou de l'inceste, tabou fort s'il en est, avec un sang froid qui laisse rêveur. Quelque soit la qualité du jeu de Geneviève Bujold, le personnage ne semble pas si traumatisé par les implications de ce fait (du moins jusqu'à la fin) et elle semble avoir des nerfs d'acier pour maîtriser les émotions inévitables engendrées par la situation. Et je passe sur la mère adoptive italienne qui parle un anglais quasi parfait à l'hôpital.

Je peux comprendre De Palma. Il en a marre qu'on le compare à tout bout de champ à Hitchcock. Mais personne ne l'a obligé a construire sa renommée sur des thrillers rejouant Vertigo, Psychose (1960) ou Rear window (Fenêtre sur cour – 1954), ni à aller chercher Bernard Herrmann qui compose ici une partition superbe mais inévitablement proche de son modèle.

brian de palma,alfred hitchcock

Ceci posé, Obsession est un film magnifique que j'ai eu beaucoup de plaisir à redécouvrir dans l'édition restaurée par Wild Side. C'est un vieux souvenir que ce film. A sa sortie début 1977, j'avais été traumatisé par l'intensité de sa bande-annonce et l'affiche française avec les morceaux de journaux découpés formant le message des ravisseurs. Je n'avais pas vu le film, mais j'avais conservé cette image de thriller angoissant. J'ai découvert le film bien des années plus tard, à la télévision et ce qui m'avait marqué c'est le côté romantique du film, la force des sentiments de Courtland, sa fidélité à la mémoire des siens, le choc que l'on imagine quand il rencontre Sandra dans l'église. Participent la partition de Herrmann avec cette délicieuse valse lente et le côté sacré donné par les chœurs, et la photographie du grand Vilmos Zsigmond avec ses effets de diffusion utilisés pour atténuer les différences entre les deux époques et qui donnent une atmosphère irréelle à tout le film. Même la scène de cauchemar s'intègre sans heurt. Lumière entre chien et loup, atmosphère de l'église, vibration des néons dans la scène de l'aéroport (un effet heureux à priori pas calculé au départ), rendu de la texture des pierres dans le mausolée ou le cimetière, le film est visuellement une fête pour les yeux. Aujourd'hui, je trouve le film bien équilibré entre cette partie romantique et la partie thriller, le pur suspense.

Ce qui me frappe aussi maintenant que j'en connais la petite histoire, c'est la façon dont le film (et donc un peu Vertigo) a résisté à ses auteurs. Le projet cinématographique de De Palma et Schrader, comme des autres cinéastes majeurs de leur génération (Michael Cimino, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, Martin Scorcese, William Friedkin, etc.), c'est de revisiter l'âge d'or du cinéma américain avec un regard sur ce qui n'était pas, ou ne pouvait pas être montré. Du moins pas directement. Violence, névroses, sexe, l'envers du décor. C'est flagrant par exemple dans le remake réalisé par Schrader en 1982 du Cat People de Jacques Tourneur qui rend explicite tout ce qui était suggéré de la métaphore sexuelle du personnage d'Irena. Hitchcock laisse les implications des actes de Scottie dans Vertigo à l'appréciation du spectateur s'il veut jouer au psychanalyste. Il maintient une distance par l’utilisation de James Stewart, l'image de l'acteur, et l'élégance de la mise en scène, les ellipses indispensables. Le scénario d'Obsession prévoyait de renverser la table, avec une partie où Sandra-Amy était en hôpital psychiatrique et un inceste consommé sans ambiguïté. Par un ensemble de concours de circonstances, la partie « asile » est abandonnée sur les conseils de Bernard Herrmann et sans doute des considérations budgétaires. Puis la séquence de Michael couchant avec sa fille, tournée effectivement, est complètement modifiée pour devenir une scène entre rêve et cauchemar qui entretien le doute. Les options artistiques, photographie, décors, musique, donnent au film une classe visuelle renforcée par l'absence de violence graphique (sauf la mort du personnage de John Lihtgow et encore) inhabituelle chez De Palma, comme de nudité, tout aussi étonnant de la part de celui qui filmera Angie Dickinson se caressant sous sa douche dans Dressed to kill (Pulsion – 1980).

brian de palma,alfred hitchcock

Autre élément déterminant, l'interprétation de Clift Robertson. Geneviève Bujold est souvent saluée pour sa prestation dans ce film, sa faculté à jouer à la fois la femme et l'enfant, à la fois l'enfant dans la femme lors du final, mais aussi plus littéralement, idée assez gonflée qui fonctionne grâce à elle, l'enfant de dix ans dans les flashback. Elle est magnifique mais elle bénéficie d'une grande richesse de situations. Robertson, acteur assez classique, en décalage en 1976 avec les maîtres de l'Actor studio du moment (Brando, Pacino, Hoffman, De Niro), est pourtant essentiel en ce qu'il renoue avec la manière d'un James Stewart ou d'un Cary Grant. Il offre une présence, un repère, qui permet à sa partenaire de s'appuyer et de se donner à fond. Dans la scène finale, elle a cette performance à faire passer, d'être l'enfant ressortant sous l'adulte, elle a les pleurs, les répliques, la faiblesse, l'émotion. Mais c'est autour de Robertson qu'elle peut construire, parce qu'il est là en pivot, pour elle et la caméra de De Palma. Il n'a qu'un mot à dire, une expression à tenir. Et c'est le plus difficile. Et il le fait.

A travers lui, Obsession renoue, contre l'idée de départ de ses auteurs, avec l'élégance de son modèle, avec sa délicatesse, avec une certaine idée du cinéma. C'est ce qui en fait ressortir la tonalité majeure qui est celle du romantisme du personnage masculin. Courtland porte avec lui les valeurs du gentleman du Vieux-Sud, une certaine éthique. C'est une métaphore peut être bien de la relation de De Palma, et avec lui les cinéastes de cette génération, envers le classicisme hollywoodien. Un amour total, absolu, au point de vouloir renouer avec une chose morte. Avant de se rendre compte qu'existent finalement leurs propres enfants.

Photographies : Wild Side - Photofest

01/10/2012

Un film de 1946

A l'occasion de parution sur Zoom Arrière de l'année 1946.

Voilà un film que je rattache à ma mère, Sylvie et le fantôme que réalise Claude Autant-Lara en 1946. Parce que c'est le genre de films qu'elle aimait me faire voir quand j'étais petit, partager à la télévision sans doute, plutôt l'après-midi. C'est l'un de mes plus anciens souvenirs de cinéma, Sylvie et son fantôme diaphane du chasseur blanc passant à travers les murs et s'envolant au plafond, son chien fantôme sur les talons. J'aimais beaucoup le chien. Sylvie, l'héroïne, va fêter ses 16 ans. Elle vit dans un grand château, vieille noblesse française, mais ruinée. Rêveuse, elle est amoureuse du fantôme de son aïeul mort en duel par amour. Lui, reconnaissant, essaye d'attirer son attention mais pour un fantôme qui n'a plus beaucoup prise sur les choses, c'est compliqué. La père de Sylvie, brave homme (mais ruiné donc) vend le tableau de l’aïeul et pour se faire pardonner engage un comédien pour faire le fantôme à la fête d'anniversaire, faire plaisir à sa fille et épater ses invités. Et puis ça se complique.

Claude Autant-Lara

Pour ma mère c'est l'un des films de son enfance avec l'un de ses acteurs fétiches, Julien Carette, le titi parisien dans toute sa splendeur et avec cet accent inimitable, ici en majordome dévoué et peureux. Délectable comme à son habitude. En faisant découvrir le film à ma fille et regardant comment elle réagissait, j'avais l'impression de boucler la boucle et de retrouver mes propres réactions du petit garçon d'alors. D'imaginer aussi ma mère en petite fille. En 1946, elle a dix ans. Elle est dans une salle parisienne certainement avec ses parents. La guerre est finie mais encore très proche. On manque de beaucoup de choses pour se chauffer, se nourrir, se déplacer. Les restrictions sont toujours d’actualité et pour quelques années encore. Sur l'écran, elle se reconnaît sans doute dans cette famille qui se serre la ceinture avec bonne humeur, qui s'éclaire à la bougie et se les gèle dans son trop grand château. Spectatrice de 1946, elle apprécie certainement la douceur mélancolique du conte, cette atmosphère de rêve flottant dans laquelle s'est réfugiée avec succès le cinéma français durant l’occupation avec Les visiteurs du soir, La main du diable ou L'éternel retour. Et qui perdure avec La belle et la bête et Les enfants du Paradis. Sylvie et le fantôme est un film de son époque. Produit par André Paulvé qui est derrière la plupart des films précités, il creuse un sillon à succès.

En le revoyant aujourd'hui, je vois d'abord sa forme, typique, avec ces gros plans de visages juste éclairés au niveau des yeux, une lumière un peu diffuse et des jeux sur les ombres (le travail de Philippe Agostini n'est pas aussi poussé que celui de Henri Alekan), un montage qui met en avant, toujours par des gros pans, les répliques de Jean Aurenche et le travail des acteurs. Des dialogues très littéraires, écrits quoi, mots d'auteurs qui dans la poésie ne valent pas vraiment ceux d'un Prévert, mais qui dans l'humour peuvent faire mouche.

Mon chien aboie aux fantômes déplore le père au vendeur de tableau. 

Le mien aboie aux uniformes. 

Votre chien a plus de goût que le mien...

Les acteurs prennent un peu la pose quand ils parlent, mais l'ensemble passe bien grâce aux excellents comédiens. Carette, Pierre Larquey en doux père, les jeunes François Périer et Jean Désailly, Odette Joyeux qui rend crédible les 16 ans de Sylvie, Louis Salou en cabot, Claude Marcy en impayable comtesse, quelques enfants agréables. Et puis Autant-Lara a confié le rôle du fantôme à Jacques Tati qui n'a pas encore réalisé Jour de fête. Son grand corps souple, son visage impassible et doux de futur monsieur Hulot, sa gestuelle précise, font merveille pour un personnage muet qui doit exprimer ses émotions de manière diffuse, d'un regard ou d'un geste. Il est parfait. La musique signée René Cloërec (qui signera celle de 18 films d'Autant-Lara, quelle fidélité !) développe un superbe thème repris à la flûte de pan, particulièrement émouvant.

La mise en scène d'Autant-Lara est attentive, tout en douceur dans les mouvements d’appareils, précise dans les scènes de comédie plutôt réussies comme dans la mise en valeur des effets spéciaux à base de transparences, procédé simple mais réglé au petit poil. Il croit dans son histoire sans ironie, sans chercher à faire le malin, avec la candeur voulue. Il est peut être un peu trop sûr de l'ensemble des talents qu'il orchestre, ne prenant pas de risque, disons du type de ceux que Cocteau prend au même moment avec sa féerie. Difficile aujourd'hui de ne pas voir dans cette réalisation le côté « travail bien fait » contre lequel cristallisera la Nouvelle Vague. Difficile de ne pas ressentir à l'occasion un petit agacement du côté du cœur. Mais pour le petit garçon de dix ans que j'étais, pour la fillette qu'était ma mère en 1946 et pour ma fille, aujourd'hui, quelle importance ? Le film partage quelque chose d'assez juste sur le monde de l'enfance et ses capacités à la fiction avec Les disparus de Saint Agil (1938) de Christian Jaque. Il est aussi permis d'y voir, délicat et intelligent, une évocation du passage de cet âge de l'enfance à l'age adulte, avec le renoncement à une forme d'émerveillement quand le fantôme s'envole loin du chateau dans le finale. Mais un passage qui n'est pas forcément vu comme négatif, simplement mélancolique. Ah, grandir !

Photographie source NouvelObs

23/09/2012

Communication

françois truffaut

« En fait, mon hostilité envers Antonioni m’a aidé à faire L’enfant sauvage. L’un des grands thèmes aujourd’hui est la difficulté de communication entre les humains. C’est très gentil tout ça, et ça donne de bonnes discussions parmi les intellectuels. Mais si vous entrez en contact avec une famille qui a un enfant sourd et muet, vous comprenez alors ce que signifie l’incommunicabilité. Je voulais montrer un vrai manque de communication, pas celui très "mode" dont parle Antonioni. »

François Truffaut - Entretien avec Charles Thomas Samuels, 1970.

Photographie source Passion Cinéma

16/09/2012

Les immortels du comté de Franklin

Dans la famille Bondurant, je demande les trois frères. Forrest (Tom Hardy) est l'aîné et prend son rôle très au sérieux. Assez ours, il s'exprime le plus souvent par grognements. Howard (Jason Clarke) est le cadet, rapide à sortir ses poings ou une arme. Jack (Shia LaBeouf) est le benjamin et aimerait bien se montrer à la hauteur de ses prestigieux frangins. Nous sommes en 1930 dans le comté de Franklin en Virginie, une cambrousse où l'on produit à tour de bras de l'alcool de contrebande. Nous sommes dans les années de prohibition en Amérique et les Bondurant sont bootleggers, distillateurs clandestins et trafiquants d'alcool. Accessoirement ce sont des légendes locales. Craints et respectés, ils prospèrent gentiment sous le regard bienveillant des autorités locales, se mêlant de leurs affaires et se tenant à bonne distance de la grande ville mère de tous les vices. Ouaip ! Lawless (Des hommes sans loi), le nouveau film de l'australien John Hillcoat écrit par Nick Cave est l'histoire des Bondurant. Drôle de titre d'ailleurs puisque les trois frères, loin d'être des hommes sans loi sont plutôt des hommes avec leur propre loi, nouvel avatar du pionnier américain qui n'a besoin de rien ni de personne pour savoir ce qui est bien ou mal, et surtout pas d'un gouvernement fédéral. Et les Bondurant de voir débarquer un agent spécial (Guy Pearce, grandiose caricature), corrompu et sadique, qui entend les mettre au pas. D’où guerre en règle, coups bas, traquenards, etc. Faut qu'ça saigne chantait Vian, et ça va saigner du côté du comté de Franklin.

john hillcoat

A ce récit ténu et balisé se greffent les aventures sentimentales de l'aîné avec une superbe créature venue de Chicago, Maggie (Jessica Chastaing, au-delà des mots) et du benjamin avec la jolie fille d'un prêcheur façon Amish, moyennement ravi de voir sa progéniture frayer avec un voyou, même s'il s'applique à porter le costume. S'ajoutent les tentatives de Jack pour exister. Il porte une sorte de désir de modernité qui s'oppose au conservatisme prudent de ses frères. Ces sous-intrigues sont aussi ténues et balisées que la principale et le mélange ne fait guère illusion. Aussi vaut-il mieux, si l'on veut apprécier le film et y prendre du plaisir, en accepter les conventions et jouer le jeu.

J'ignorais que Nick Cave, l'homme des Bad Seeds, avait des talents de scénariste. Lawless n'est d'ailleurs pas son coup d'essai mais la quatrième collaboration avec son compatriote Hillcoat. Facile du coup d'écrire que Lawless sonne comme un morceau de blues ou une ballade country mâtinée de rock. D'autant que Cave compose l'excellente musique du film, superposant ses rythmes à celui linéaire du récit. C'est pourtant assez juste. Tout le film joue la concision et l'énergie, l'image forte, alliant la fascination pour les histoires de gangsters avec tout leur décorum à une prise de distance par l'humour. A rapprocher donc d'albums comme Murder Ballads (Pour la violence et le mythe) ou Boatman call (Pour le romantisme). La mise en scène de John Hillcoat enveloppe le tout avec un rien de grandiloquence. Tout dans Lawless est plus grand que nature. Forrest est plus laconique que Clint Eastwood chez Sergio Leone, y compris quand il voit débarquer Maggie dans son bar rural. Pourtant... Celle-ci apparaît nimbée de lumière, robe bleue, maquillée et coiffée comme une star hollywoodienne pour postuler comme serveuse. Les femmes sont sublimement belles, l'amour est fort, les coups de feu tonnent comme le canon et les impacts ont le diamètre d'une assiette à soupe, le sang gicle au litre, les os craquent en 5. quelque chose, les hommes prennent la pose, le chapeau incliné comme il faut, la photographie du français Benoît Delhomme est précieuse, les nuits sont noires, le brouillard épais, la chaleur palpable, le froid glaçant, les véhicules d'époque artistiquement déglingués, le moindre accessoire en place. On s'y croirait. Sauf que c'est un peu trop, tout le temps. Tout est énorme et à ce jeu Hillcoat dérape un poil question violence, elle aussi un peu trop, trop pour un film que l'on ne peut pas prendre trop au sérieux. Il y a comme un petit défaut d'équilibre à ce niveau, quelques chose que les frères Coen savent mieux doser dans, au hasard, Miller's crossing (1990). Pourtant, la distance ironique est bien présente dans le film. Fasciné par une imagerie d’Épinal du gangster, Lawless est une intéressante réflexion sur cette imagerie.

john hillcoat

Le film est construit à partir d'une histoire vraie, mais rapportée déjà de façon romancée par l'un des petit-fils Bondurant, Matt, dans The Wettest County in the World (2008). Dans cette histoire, les Bondurant ont déjà en 1930 une solide légende familiale, et le roman entretient cette légende. Le film la prolonge en adoptant une voix off de conteur et ce style à grands traits qui renforce le côté mythique et sollicite un riche imaginaire de cinéma. Mais dans le même temps, les outrances et le regard ironique porté sur ce récit tendent à la désamorcer. Revenus plus ou moins en héros de la grande guerre, les deux frères aînés se sont forgés une réputation d'immortalité, rien que cela. Sur cette idée, elle aussi énorme, il faut voir comment Hillcoat l'exploite en deux temps dans le final, entre le regard hébété de Forrest qui avoue qu'il avait finit par y croire et la dernière scène que je trouve hilarante à sa manière mais dont je vous laisse découvrir la teneur. Reste qu'entre le deuxième et le troisième degré, le réalisateur se mélange un peu les pédales. Constamment en surrégime, Lawless manque parfois de perdre son souffle. Il aurait gagné à quelques moments supplémentaires dans le genre de ce plan nocturne des feux des distilleries clandestines éparpillés dans la vallée. D'un peu de douceur dans ce monde  brutes.

Photographies : © The Weinstein Company

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10/09/2012

Zoom arrière

Zoom arrière est un nouveau blog, une aventure collective à l'initiative de l'ami Édouard de Nightswimming. Zoom arrière vous propose une sorte de machine à remonter le temps pour cinéphiles, une exploration du cinéma via les sorties en France par année. Remontons donc, sinon les Champs Élysées, le XXeme siècle et projetons nous en 1945. La guerre est finie, les films américains reviennent sur écrans de Paris, Carné sort Les enfants du paradis...

Tous les mois, par la grâce de quelques unes des plus fines plumes d'Internet, Zoom arrière vous proposera une liste très complètes de sorties année par année, des petites étoiles façon Panoptique pour vous signifier nos goûts, des liens vers nos textes et des documents d'époque. De quoi raviver les curiosités endormies et stimuler nos manies de classements et de listes ! N'hésitez pas à enrichir de vos contributions cette nouvelle aventure. Cliquez sur la machine :

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06/09/2012

Le messie du mal

willard huyck,gloria katz

La fille entre dans une salle de cinéma. Une jolie salle à l'ancienne. Une jolie fille avec cette fraîcheur particulière des actrices des années 70. la ville est déserte, c'est le soir. La salle aussi, ou presque. Deux ou trois spectateurs immobiles. La fille s'enfonce dans son fauteuil, un pot de pop corn dans les bras. Sur l'écran, bientôt, le film commence. Un film étrange, curieux western décalé, violent comme un western italien. La fille croque son pop corn mécaniquement. Derrière elle s'ouvrent les portes latérales, l'une puis l'autre, et entrent tour à tour des silhouettes silencieuses qui vont s'installer dans la salle. Bientôt presque tous les sièges derrière la fille sont peuplés d'ombres et l'angoisse étreint nos cœurs tandis que craque le pop corn. Que va t'il se passer, cher lecteur ? Vous le saurez en découvrant Messiah of evil, perle noire réalisée en 1973 par Willard Huyck et Gloria Katz dont c'était le premier film.

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Et celle de Jocelyn Manchec pour Kinok

Affiche DR

19/08/2012

Rêve d'Irlande

Il y a 60 ans, en juillet 1952 (les français attendront novembre), sortait The quiet man (L'homme tranquille) et John Ford voyait aboutir un rêve vieux de près de vingt ans. Après avoir découvert la nouvelle de l'écrivain irlandais Maurice Walsh, il en acquiert les droits en 1936. Commence alors un long travail auprès des producteurs pour les convaincre de financer le projet. Mais malgré sa position, son succès et ses oscars, tous refusent l'un après l'autre de s'engager dans « cette stupide petite histoire irlandaise ». Entre temps, Ford arrête sa distribution sur John Wayne et Maureen O'Hara et les implique dans son rêve. Puis c'est la guerre et Ford lâche tout pour engager son talent dans d'autres combats autrement terribles. Après bien des péripéties et grâce au soutient indéfectible de son couple vedette, Wayne surtout qui est devenu une grosse star, le film obtient du bout des lèvres le feu vert de Herbert J. Yates, le patron de la modeste Republic Pictures. Yates ne croit pas non plus au film mais il allonge un million de dollars en échange d'un western à succès qui sera Rio Grande en 1950.

se' merry doyle,john ford

A l'été 1951, Ford et sa troupe débarquent au château d'Ashford dans le conté de Mayo et dans le village tout proche de Cong, en Irlande. Inisfree va prendre vie. Cette aventure a changé la vie du village. A Cong, beaucoup de gens participent au film à des titres divers, devant et derrière la caméra. Et comme à Sainte-Sévère accueillant Tati pour Jour de fête (1949), un culte est né autour du film. Les touristes, les « Quiet man crazies », affluent pour retrouver le pont, la plage, le pub chez Cohan, les restes du cottage natal de Sean Thornton. Pour les soixante ans du tournage, l'an passé, le village a bien fait les choses en accueillant en grandes pompes Maureen O'Hara, la principale participante survivante, avec parade dans le tacot du révérend Playfair et cornemuses. C'est également pour l'occasion que Se' Merry Doyle avec le soutient de l'Irish Film Board, réalise le documentaire Dreaming the Quiet Man.

Le film de John Ford a déjà inspiré les cinéastes au-delà des citations de Steven Spielberg. L'espagnol José Luis Guerin a réalisé en 1990 le très beau Innisfree (avec deux « n »), rêverie sur l'Irlande rêvée de Ford et rencontre avec le pays réel et ses autres mystères. Se' Merry Doyle entend suivre plusieurs pistes et s'organise autour de quatre axes : l'histoire du tournage de The quiet man, le culte cinéphile et touristique né du film, une tentative de portrait de Ford à travers ce film dans lequel il a mis beaucoup de lui-même, et enfin une lecture critique du film. C'est ambitieux, c'est un peu trop. Les quatre parties habilement imbriquées sont d'inégales valeurs et les plus intéressantes perdent à cause de la place accordée aux autres.

La partie tournage purement documentaire est riche. Elle s'appuie sur de nombreux documents d'époque dont quelques films amateurs sur le tournage particulièrement émouvants et instructifs quand ils montrent la logistique hollywoodienne en terre irlandaise. Interviennent quelques survivants de l'épopée, figurants locaux, Aissa Wayne, la fille du Duke que l'on voit dans la scène de la course de chevaux sur la plage, une cousine de Ford qui avait aidé Maureen O'Hara pour son dialogue en gaélique, habile façon de déjouer la censure, et O'Hara elle même, la plus flamboyante des rousses toujours vaillante et qui ne pratique pas la langue de bois. Elle sait qu'il faut imprimer la légende et refuse en riant de révéler la réplique finale murmurée à l'oreille de Wayne sur instruction de Ford dans le dernier plan. Curieux combien cette scène fait écho à la scène finale du Eyes wide shut (1999) de Stanley Kubrick. Tout ceci est absolument passionnant, retraçant les difficultés à monter ce projet atypique du Hollywood de la grande époque. Mais aussi le bonheur d'un tournage loin des studios, en famille. Wayne fait venir sa femme et ses quatre enfants, O'Hara joue avec ses deux frères Charles B. Fitzsimons et James O'Hara, Barry Fitzgerald joue avec son frère Arthur Shields, Ford fait jouer son frère Francis et intervenir son fils Patrick, et Andrew McLaglen, fils de son père Victor, est premier assistant. Du cinéma comme des vacances d'été avec la machinerie afférente. Sur un commentaire dit par Gabriel Byrne, cette partie semble trop courte.

se' merry doyle,john ford

La partie sur le culte encore vivace dans l'Irlande contemporaine est la plus faible. Traitée avec beaucoup plus de finesse par Guérin, elle n'apporte pas grand chose. La vision des touristes bramant The wild colonial boy dans leur bus est tout à fait anecdotique. Certaines scènes, la parade des soixante ans ou les interventions de la marchande de souvenirs (amusante quand elle explique la démarche de Wayne réglée par Ford), souffrent d'une mauvaise qualité d'image et de son.

Le portrait de Ford est un angle autrement plus intéressant mais il se heurte à plusieurs problèmes dont l'utilisation d'images assez connues du documentaire de Peter Bogdanovich à Monument valley qui semblent hors de propos ou du moins mal reliées à notre aventure irlandaise. Se' Merry Doyle aurait eu besoin de plus de temps pour développer cet axe, sans doute un film entier. Comme Joseph McBride avec sa monumentale biographie, il échoue à percer le mystère d'un homme secret et pudique, maniant en maître la contradiction, l'humour et la dérision pour se protéger. On sent toujours que l'on est proche mais toujours quelque chose échappe. Pourtant, Ford a livré beaucoup de lui-même avec ce film, de ses origines irlandaises, de son rapport avec ce pays, de sa vision de l'Amérique, de l'importance de sa mère, de ses conceptions du couple et de l'amour, donnant au personnage de Maureen O'Hara le double prénom de la femme Mary et de son amour secret Katharine « Kate » Hepburn.

La partie critique est plus aboutie quoique incomplète à mon sens toujours pour des questions de temps. Le réalisateur fait appel au gratin des spécialistes de Ford : Peter Bogdanovich et son foulard, Martin Scorcese et son débit de mitraillette, Joseph McBride, le réalisateur Jim Sheridan, le professeur William de la Rutgers University qui a une analyse très fine, brillante, du film, et le scénariste Jay Cocks. J'en oublie peut-être. C'est un délice de les écouter parler du film chacun à leur manière et Se' Merry Doyle propose avec eux une lecture du film qui tente de faire la part des choses d'une œuvre autant célébrée (succès critique, public, oscars), que critiquée notamment en Irlande pour une vision jugée trop folklorique, et pour la conception des rapports hommes-femme jugée machiste, nourrie de la célèbre scène où Wayne traine sa partenaire sur huit kilomètres suivi par tout le village avec la fameuse réplique « Voici un bon bâton, pour battre votre jolie dame ». Pas sûr que les prestigieux intervenants arrivent au final à convaincre les sceptiques tant leurs propos sont hétérogènes et dispersés dans le cours du film. William rapproche avec érudition le film de Shakespeare et des rites ancestraux du pays, et Scorcese entre deux rires à la Woody Woodpecker lâche quelques mots définitifs comme « œuvre d'art » et « poésie ». Qu'il en soit ici remercié.

Au final, Dreaming the quiet man, qui à trop vouloir embrasser mal étreint, est de bonne facture, de tenue honnête et ravira les rêveurs d'Inisfree, incitant au plus vite à replonger de le film. Ce que je fis.

Photographies : Loopline films / Republic Pictures

11/08/2012

Dinosaures ! (2)

james k. shea

Voici un morceau de pellicule que j'aurais bien aimé découvrir à 10 ans. Au milieu des années 70, j'aimais les films d'aventures colorées avec de grosses bestioles comme la trilogie de Kevin Connor inspirée par Edgar Rice Burroughs ou The last dinosaur (Le dernier dinosaure – 1977) réalisé par Alexander Grasshoff et Shusei Kotani. Il y a eu à l'époque un regain d'intérêt pour ce genre de choses, sans doute entretenu par le médiatique et hérétique King Kong de John Guillermin en 1976. A 10 ans, on possède encore une fraîcheur qui fait accepter bien des choses. Plus tard, trop vite, ça se complique.

Pour Planet of the dinosaurs (La planète des dinosaures), c'est très, très compliqué. Imaginez que vous ayez réunit quelques amis sur quelques week-ends pour vous amuser à faire un film dans un coin paumé et pelé., avec trois lignes de scénario griffonnées sur un bloc note. Voilà, il y a de fortes chances que vous obteniez le film que James K. Shea réalise en 1978, réaliser étant un bien grand mot. D'ailleurs, Planet of dinosaurs est l'unique œuvre de son auteur et cela peut se comprendre. Cela peut éventuellement se regretter tant Shea avait le sérieux potentiel d'un héritier d'Ed Wood.

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Sur Nanarland

Sur Devildead

la très belle affiche dans le style de Franck Frazetta, source The End

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10/08/2012

Dinosaures ! (Entracte)

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Bien plus belles que le film, les photographies d'exploitation de Unknown island (L'île inconnue - 1948 de Jack Bernhard. Source : www.fourcolorcomics.com

08:37 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jack bernhard |  Facebook |  Imprimer | |

09/08/2012

Dinosaures ! (1)

jack bernhard

Cela commençait plutôt bien. Dans un bouge de Singapour débarquent l’héroïne et son fiancé. Carole Lane a l’assurance piquante des personnages féminins de Howard Hawks. Ils viennent recruter un solide marin, un capitaine avec la carrure et les poings à la Wallace Beery. Le décor est pauvre mais correctement filmé, la photographie de Fred Jackman Jr., Robert Gough, Milton Gold est en Cinécolor, un procédé proposant une alternative bon marché au Technicolor et qui a aujourd’hui un certain charme. Nos amis discutent et l’on nous promet de l’aventure, de l’île perdue et des dinosaures. Dans la foulée, on embarque sans ménagement un beau gosse alcoolique traumatisé par une précédente expédition dans la fameuse île et vogue le navire. En réalisant Unknown Island (L’Île inconnue) en 1948, Jack Bernhard suit son King Kong (L’unique celui de 1933), sur le bout des doigts palliant au mieux des moyens bien moindres. Pour agrémenter la traversée, il a l’idée d’une mutinerie de l’équipage malais, torses nus et bandanas, que le cap’tain Tarnowski règle à coup de gourdin. Et puis on arrive sur l’île.

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Photographie © Film Classic

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03/08/2012

Jane Russell aux révolvers

Posons au préalable qu’un film réalisé par Allan Dwan est toujours à priori excitant. Pionnier de Hollywood, maître du muet (on lui doit le Robin des Bois avec Douglas Fairbanks en 1922), réalisateur et prolixe de près de 400 titres, il pratique un cinéma direct et exaltant et la (re)découverte de ses films à petits budgets des années 40 et 50 est un bonheur sans cesse renouvelé. Posons également qu’un film dans lequel joue Jane Russell est toujours à priori agréable. Grande brune aux longues jambes et aux formes aérodynamiques, Jane Russell "The bust" pour d’évidentes raisons, est également une actrice piquante avec un brin de nonchalance. Son jeu franc, physique et intemporel fit les délices de réalisateurs comme Howard Hawks ou Raoul Walsh. Elle excelle dans la comédie, danse, chante et retire ses bottes admirablement.

allan dwan,western

Le premier dirige la seconde dans Montana Belle (La Femme aux revolvers), western de série tourné en 1948 mais sortit en 1952. Jane y est Belle Starr, personnage réel de l’Ouest légendaire, à l’instar de Calamity Jane ou Annie Oakley, espionne confédérée et copine du gang des frère James, elle finira lâchement révolvérisée, les bottes aux pieds. Du gâteau pour le cinéma ! Belle Starr sera interprétée par Betty Compson en 1928, Gene Tierney en 1941, Marie Windsor en 1954, Elsa Martinelli en 1968 et Pamela Reed en 1980, entre autres. Pour Allan Dwan, Russell campe une belle Starr fraîchement veuve, redoutable aux révolvers et calculatrice. Elle s’acoquine cette fois avec le gang des Daltons, les classiques, pas ceux de Morris. C’est Bob qui l’a sauvée du lynchage et s’est épris d’elle. Las ! La belle ne l’aime pas plus que ça et sa présence crée des tensions au sein du groupe masculin « Squaw no good » crache Ringo, l’indien de la bande. Tension d’ordre érotique bien entendu, érotisme un peu bridé de la part de Dwan qui sera plus inventif en d’autres occasions. Reste une bien jolie scène avec Belle en Blanche-Neige et les 7 membres du gang qui suivent chacun de ses gestes dans leur modeste demeure.

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Photographie RKO / Cinéma.de

24/07/2012

L'enfer selon Charles Marquis Warren

Écrit et réalisé en 1952 par Charles Marquis Warren, Hellgate s'appuie sur les bases du classique de John Ford The prisoner of Shark Island (Je n'ai pas tué Lincoln– 1936). Juste après la guerre de sécession, un vétérinaire est accusé de complicité avec la guérilla (bandes de sudistes ayant refusé de se rendre et continuant un combat douteux) parce qu'il a soigné un fugitif. Il est condamné et envoyé dans un bagne où il subit de très dures conditions et la haine d'un officier nordiste. Son comportement lors d'une épidémie de typhus l'aidera sur la voie de sa réhabilitation. Soit.

charles marquis warren

Hellgate est un pur western de série B des années 50 ramassé sur 87 minutes, tout petit budget pour modeste studio spécialisé, schématique, inventif et efficace. C'est le second film de Charles Marquis Warren, un spécialiste du genre après l'original Little Big Horn (1951). Écrivain, Warren a écrit l'histoire de Only the valiant (Fort Invincible – 1951) que réalise Gordon Douglas, et a été scénariste pour André de Toth, John Farrow ou Jerry Hopper. Warren fait partie de ceux qui ont apporté un coup de neuf au genre, par des récits plus âpres, une description plus réaliste de l'Ouest, que ce soient les conditions de vie (sueur, chaleur, poussière, hostilité des paysages) ou le traitement de la violence. Placé dans des conditions extrêmes, ses héros sont toujours proches du point de rupture et les conflits se résolvent par l'expression d'une brutalité quasi animale s'éloignant du romantisme prévalant jusqu'alors dans le genre. Ses mises en scène, pourtant, ne traduisent imparfaitement cette approche originale. Inventif par intermittence, il manque d'originalité, de souffle et d'un véritable sens de la tragédie.

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Sur le forum Western Movies

Affiche DR

19/07/2012

Moebius - Miyazaki

16/07/2012

Pas de miracle à Santa Anna

Spike Lee est un virulent défenseur de la cause noire américaine dont il a fait l'enjeu central de son œuvre de cinéaste. Comme il n'a pas sa langue dans sa poche, cela l'a amené à polémiquer publiquement lors des sorties de Saving private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan – 1998) de Steven Spielberg et surtout du diptyque de Clint Eastwood sur la bataille d'Iwo Jima, à propos de la place du soldat noir dans la représentation hollywoodienne de la seconde guerre mondiale. C'est à dire de son absence. Eastwood, fidèle à sa réputation, l'a envoyé balader sèchement et c'est... Spielberg qui a joué les casques bleus, avec succès semble-t 'il. Historiquement, Lee a tort. L'armée américaine des années 40 pratiquait la ségrégation et les unités de soldats noirs n'étaient pas considérées, souvent reléguées à l'intendance. Aussi elles n'étaient engagées ni sur les plages normandes du 6 juin, ni sur Iwo Jima. Mais Lee a raison sur l'absence globale de GI's noirs, les buffalo soldiers, sur les écrans. De mémoire, le premier personnage conséquent est mis en scène par l'italien Roberto Rossellini dans son Païsa de 1946.

spike lee

Il y a peut être une forme d'hommage de la part de Spike Lee quand il décide répliquer à travers le cinéma et réalise en 2007 Miracle at St. Anna situé en Toscane. C'est aussi parce qu'il existait un régiment noir sur le front italien, ce qui en fait le cadre idéal pour la vision que veut faire passer le réalisateur. D'entrée il pose l'objectif de son film. En 1983, un vieil homme, Hector Negron, regard à la télévision John Wayne dans un passage de The longest day (Le jour le plus long – 1962), la superproduction hommage de Darryl F. Zanuck. « Nous aussi nous avons combattu dans cette guerre » murmure amèrement Negron. Problème, Spike Lee développe ce programme clair à partir d'un scénario de James Mc Bride (adapté de son roman) inutilement complexe, qui s'étire sur 160 minutes et multiplie les sous-intrigues. Par la confusion qu'il engendre, il finit par perdre son objectif de vue et pire, se coule dans une forme classique imitant maladroitement les films sont il se veut l'alternative. Dit autrement, Lee substitue ce qu'il estime être des clichés par d'autres clichés tout en étant incapable d'une approche esthétique originale.

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We fought thas war too sur le site de Roger Ebert

Photographie : RottenTomatoes

23:43 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : spike lee |  Facebook |  Imprimer | |

01/07/2012

Cannes séquence 7

L'enterrement de mémé

Pour reprendre la belle phrase de Stéphane Delorme de l'éditorial des Cahiers de juin, il y a les films qui vous font lever la tête et ceux qui vous la font baisser. Adieu Berthe, sous titré l'enterrement de mémé, de Bruno Podalydès relève brillamment de la première catégorie, avec en plus la bouche ouverte, l'œil brillant et le zygomatique dilaté. C'est sûr que cela donne une drôle de figure, mais il n'y a qu'au cinéma que l'on peut avoir impunément l'air idiot, et puis cela fait un bien fou. Le nouveau film des Podalydès, c'est Bruno derrière la caméra, Denis devant comme d'habitude, et tous les deux au scénario. Et puis cette fois Bruno passant un peu de temps devant aussi, dans un rôle de croque-mort décontracté, jouant dans tous les sens du terme avec la complicité fraternelle. De ce rôle, de sa décontraction, on sent quelque chose de l'ordre de l'ordre de la plénitude, d'une maîtrise du cinéma (qui est ce qu'il est mais qui est le sien), et du plaisir à faire vivre un univers, rond, riche et cohérent, avec ses couleurs, ses bonheurs, ses mystères, ses femmes; ses enfants, ses questions, et une ombre encore lointaine. Plaisir aussi du partage de cet univers de cinéma, à l'écrit, à l'image, avec sa troupe fidèle ( Michel Vuillermoz, Isabelle Candelier, Jean-Noël Brouté, Pierre Arditi plus récemment), de nouvelles rencontres (Valérie Lemercier bien intégrée, en harmonie avec Isabelle Candelier), et avec le spectateur que l'on convie avec gourmandise aux jeux du modeste illusionniste.

bruno podalydes

Adieu Berthe rachète au passage la demi réussite de Bancs publics (2009) et revient aux fondamentaux de Versailles rive-gauche (1992) et de Dieu seul me voit (1998). Lien direct avec ce dernier film, le velléitaire Albert de 1998 se demandait ce qu'était un acte gratuit. Armand, le nouveau héros, médite sur le sujet de philosophie de son fils : « Qu'est-ce que vouloir ? ». Les mêmes questions au cœur de l'œuvre, mais si Albert commençait une histoire d'amour, Armand est à un point de crise, soit Albert avec quinze bonnes années de plus, une épouse, une maîtresse et deux enfants, un de chaque côté. Albert était le héros du pas encore, Armand est celui de l'entre deux. Il navigue à vue, entre son métier de pharmacien qui l'ennuie et sa passion pour la magie, entre son père qui ne souvient plus de lui et cette mémé qu'il avait oubliée, entre deux croque-morts, entre ses deux familles, entre ses deux histoires d'amour, l'une qui s'achève (semble t'il) et l'autre qui commence, entre ce passé qui remonte à la surface et ce futur qui peine à se dessiner, entre deux pièces et entre deux textos. Redoutables les textos.

Le film, lui, épouse ce mouvement de balancier entre les intermittences de la vie d'un rythme posé mais déterminé. Les Podalydès font rebondir Armand comme une boule de flipper mais doucement. Intérieur ou extérieur, Armand se déplace d'un plan à l'autre, d'un point du cadre à l'autre, cherchant sa place, cherchant des réponses (donc volontaire), tout en étant constamment tenté de lâcher prise, de s'arrêter et de laisser filer (donc velléitaire). A l'écran, cela donne ces déplacements en trottinette électrique comme en apesanteur, dans les bulles confortables des voitures modernes souvent filmées de face englobant tous les passagers, les multiples jeux de portes et avec les tiroirs des armoires dans la pharmacie qui découpent les cadres et leur donnent une dynamique interne. Et puis ce sont ces moments plus longs, temps en creux pour la conversation ou le monologue (derrière la pharmacie, dans le parc, au lit de face comme chez Truffaut, chez les croque-morts, la lecture des lettres de la mémé) où l'on filme la parole et la réflexion. Au sein de ce dispositif d'apparence peu spectaculaire (mais beau), les Podalydès travaillent de nombreux gags rigoureux jouant sur le temps et l'espace, mêlant de nombreuses formes de comiques (verbal, jeux de mots, burlesque, slowburn, etc.) avec quelques moments d'anthologie dignes de la prise de sang de Dieu seul me voitcomme la visite au magasin du croque mort new-age Michel Vuillermoz ou l'épisode hilarant (vous n'êtes pas obligés) du mulot.

bruno podalydes

D'évidence cet univers a des liens étroits avec la bande dessinée. La simplicité apparente, le traitement des couleurs, vives et en aplats, les cadres classiques, c'est la ligne claire dans toute sa splendeur. Nous avons même, via le travail sur le son, une jolie collection d'onomatopées, incluant pour la description hasardeuse de la cause de la mort de Mémé Berthe de charmants pif, pouf, psschit, ou crac. Du Tintin fondateur, Podalydès reprend un mémorable gag d'Objectif Lune lors de l'exploration des sarcophages, après sa reconstitution du restaurant syldave de 1998. Tout ce qui tourne autour de la magie, outre la dimension philosophique de cette pratique partagée avec Woody Allen, ramène aux numéros que Hergé aimait à dessiner (les efforts de Haddock pour reproduire le coup du verre de vin). Allant un peu plus loin, Podalydès allie le classicisme de Hergé à une vigueur un peu noire venue de Franquin (l'homme qui rit des idées noires), Gotlib pour le côté glacé et sophistiqué (les cercueils aux formes animales, les révélations sur Taziouff)) et à un poil du modernisme de Manu Larcenet, Adieu Berthe proposant un équivalent cinématographique à l'alliance du gros nez et du trait légèrement tremblé avec héros névrosé mais attachant.

Cette approche est féconde pour Bruno Podalydès car ce qu'il transpose de la ligne claire dans son style de cinéma s'adapte parfaitement à sa vision du monde et ce qu'il cherche à nous en faire partager. Un monde où la gentillesse cherche à se faire une place, où l'on se gène pour les autres, où l'on ne fait pas facilement du mal à ses proches. Et si on le fait, on le regrette. Et quand on regrette, on aimerait disparaître au fond d'une malle des Indes. Comme dans les récits emblématiques de la ligne claire, c'est un monde qui n'est simple qu'en apparence. C'est un monde qui peut inquiéter aussi, voire rebuter. Mais c'est aussi une utopie, une tentative d'exprimer une philosophie de la vie, de l'action pondérée, de l'amour compliqué, de la mort inéluctable qu'il faut à tout prix conjurer avec un peu de magie, d'humour et de cinéma.

Photographies : © Anne-Françoise Brillot - Why Not Productions

Un entretien avec Bruno Podalydès où il parle de Ford et de Truffaut.

16/06/2012

Cannes séquence 6

Grands soirs

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Délicieux hasard de la programmation cannoise, le golden boy Eric Packer joué par Robert Pattinson s'interroge dans Cosmopolis sur la vie secrète de sa vaste limousine blanche : « Je me demande où elle peut aller le soir ? ». La question du film réalisé par David Cronenberg trouve sa réponse dans Holy motors de Leos Carax, dont le monsieur Oscar joué par Denis Lavant vit également dans l'un de ces paquebots sur quatre roues, identiquement piloté par un fidèle chauffeur-garde du corps. Les deux œuvres entraient ainsi en une étrange résonance. Dans Cosmopolis, le héros traverse une ville en proie au chaos, visite présidentielle à haut risque, émeutes, crise, le capitalisme s'effondre nous dit t'on. Grand bien lui fasse ! Des citations de Marx (Karl, pas Groucho) fleurissent sur les murs, les entartreurs français sont de sortie, et Packer a décidé de se faire couper les cheveux. Comme il a ses habitudes, c'est de l'autre côté de la ville et Packer n'est pas décidé à écouter les conseils avisés de son garde du corps Torval, branché en permanence sur les informations d'un mystérieux central. Packer embarque donc dans la limousine et entame sa longue traversée vers son salon de coiffure favori. Au fil des étapes, il reçoit, comme Oscar, par exemple au jeu des résonances, une Juliette Binoche sexy et bien excitée. Il contemple également sur ses écrans de contrôle sa chute, c'est à dire ses affaires qui vont mal, une sombre histoire de spéculation sur le Yuan qui échoue. Mais on sent bien qu'il s'en fiche, de Binoche comme du Yuan.

Cosmopolis est plutôt une bonne nouvelle. Après une série de films plus ou moins réussis mais à l'esthétique assez hollywoodienne (Adaptation de bande dessinée, stars, moyens), David Cronenberg retrouve les exigences d'un budget plus réduit (c'est Paulo Branco qui produit) et les lignes esthétiques de Crash (1996), surfaces froides et couleurs chaudes, corps sublimés mais étrangement lisses, atmosphères suspendues comme en demi-rêve. Ou demi cauchemar. J'ai senti aussi quelque chose de plus vital pour Cronenberg dans cette adaptation du roman de Don DeLillo, quelque chose qui soit en prise directe avec son époque, quelque chose à exprimer sur ce foutu monde qui va si mal. Mais Cosmopolis est très bavard. Les personnages ne cessent de tenir le crachoir, quoi qu'ils fassent, y compris quand ils baisent. Ceux de Crash le faisaient aussi, mais pas de cette manière systématique. J'ai lu qu'il s'agissait des dialogues d'origine du roman de DeLillo. Je veux bien, mais je ne l'ai pas lu et puis ce n'est pas le problème. Je suis face à un film qui doit tenir sur ses deux jambes, tout seul comme un grand. Or la parole dans Cosmopolis étouffe le film en parasitant la force visuelle de Cronenberg. Le réalisateur n'exploite pas complètement les possibilités de son récit, à commencer par cette voiture extraordinaire, bulle et forteresse, univers intime et prison dorée, connectée au dehors par toutes les ressources de la technologie moderne tout en étant aveugle et muette, œuvre d'art lisse et blanche transformée en monument d'art urbain par la grâce de graffeurs extérieurs. Le talent si particulier de Cronenberg est bien présent, mais sur le moment, il est masqué par ce long tunnel verbeux, encombré d'un fatras de langage capitaliste et boursier, obscur ce qui est sans doute l'objectif, mais qui sonne comme ces jargons pseudo-scientifiques dont raffolent les équipages de vaisseaux spaciaux (Enclenchez le gyroscope d'hyperpropulsion, monsieur Spock !). Comme dans 2001(1968), j'aurais aimé que le film respire et que les images prennent leur élan. Ce sentiment se retrouve dans la dimension érotique du film. Si Juliette Biboche et la somptueuse Patricia McKenzie payent de leur personne, Cronenberg ne trouble jamais comme il a su le faire dans ses plus belles réussites. Sentiment mitigé donc pour le Grand Soir de Cronenberg qui rassure sur ses capacités intactes à innover, à être audacieux et à manier son humour vif et tranchant.

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Un camarade blogueur et désormais critique me disait ne guère goûter la révolte « financée par Canal + » du film de Benoît Delépine et Gustave Kervern, Le grand soir. Ce paradoxe mérite d'être relevé, et il l'a été, face aux pitreries à la fois attendues, espérées et redoutées des réalisateurs grolandais et de leurs acteurs sur la croisette. Il me semble pourtant que le film vaut mieux que cela, justement parce qu'il n'est pas le brûlot que l'on essaye de nous vendre, tout en l'étant parce qu'il ne l'est pas. Je ne sais pas si vous me suivez dans ce qui précède, mais ça va aller. Arrêtons de faire le malin pour filer la métaphore musicale : Le grand soir est en phase avec le punk ludique des Wampas, en concert dans le film, et loin de la rage radicale des Béruriers noirs ou de Parabellum. On imagine mal d'équivalent cinématographique de Concerto pour détraqués sur tapis rouge. Le grand soir est assez basique. Soit deux frères, l'un est punk à chien, l'autre vendeur en matelas. L'un est Not joué par Benoît Poelvoorde, l'autre est (sera) Dead joué par Albert Dupontel. L'un est libre (c'est bien un peu dur, mais ça va), l'autre est victime de la crise (La grande et puis une plus personnelle). Le second méprise le premier, mais quand il se fait virer et pique la grosse déprime (jolis moments chez Dupontel), le premier le prend sous son aile et le convertit à la punkitude. Ensemble, ils vont tenter d'ouvrir les yeux des masses populaires sur l'aliénation consumériste. Et le film de naviguer entre les gros sabots de ses intentions affichées (Ça va péter les enfants) et un regard nettement plus nuancé sur l'épopée de ses deux héros (Ça ne pète pas si facilement). Regard parfois cruel quand les deux compères essayent d'empêcher un quidam paysan de se suicider, avec un résultat aussi spectaculaire qu'inattendu. Pour filer cette fois la métaphore politique, Le grand soir, c'est le programme enflammé de Mélenchon passé au regard pragmatique de Hollande. Ce qui rappelle l'injonction de John Lennon : « You say you want a revolution, you'd better free your mind instead ».

Mais c'est plutôt bien pour le film. Kervern et Delepine adoptent une jolie forme classique, récit linéaire, écran large, cadres amples un peu western, photographie lumineuse de Hugues Poulain qui joue avec l'immense décor réel d'une de ces affreuses zones commerciales et ses couleurs vives en plaques, façon bande dessinée ligne claire. L'endroit en deviendrait presque beau. A l'intérieur, les réalisateurs élaborent quelques gags bien construits sur la durée et l'espace : le jeu de Not avec les caméras de surveillance, la maltraitance du pingouin, les ballons crevés par un Dead ivre, l'épluchage « à mort » d'une patate, le joli travelling latéral suivant la traversée les deux frères dans les pavillons, Not grimaçant et crachant sur une vitre sans tain derrière laquelle se tiennent les clients d'un restaurant (gag déjà vu chez Jackie Chan), la colère à retardement sur le panneau publicitaire avec le chat, la leçon de marche punk. Il faut y ajouter le magnifique dialogue à la Pierre Dac entre le père du duo et un copain vigile. C'est le meilleur du film, porté par le duo d'acteurs qui s'est visiblement bien amusé et les apparitions réussies de Brigitte Fontaine, Noël Godin, Bouli Lanners, Gérard Depardieu et Yolande Moreau, éclats d'humanité dans un univers désespérément uniforme. Et le grand soir s'efface pour un petit matin mélancolique.

Cosmopolis sans réserves chez le Dr Orlof, Balloonatic et sur le Ciné Club de Caen

Le grand soir chez le Dr Orlof

Photographies : © Stone Angels et  © Ad Vitam