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12/01/2014

"L'arbre mort" de Joseph Morder - Un texte de Josiane Scoleri

Tourné en 1987, L'arbre mort de Joseph Morder sera présenté pour la première fois à Nice ce samedi 18 janvier 2014 en présence du réalisateur. Gérard Courant, l'ami de longue date, sera également présent pour Le journal de Joseph M., documentaire de 1999 qui lui est consacré.Un évènement organisé par les associations Cinéma Sans Frontières et Regard Indépendant

18 janvier 2014 - Séances à 18h00 et 20h30 – Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

L'arbre mort de Joseph Morder

Un film en blanc, bleu, noir avec quelques touches de rouge

Texte de Josiane Scoleri – Cinéma Sans Frontières

Avec L'arbre mort, nous sommes transportés dans la Côte d'Azur mythique, telle qu'elle restera à jamais gravée dans la mémoire de tous les cinéphiles, entre Belle Époque et films de Hitchcock.Nous sommes en même temps dans les mélodrames hollywoodiens de la grande époque, chez Douglas Sirk ou Vicente Minelli, Couples flamboyants, belles dames énigmatiques et si élégantes, Décorum un rien guindé des belles demeures où évoluent comme dans un aquarium des familles distinguées et  délicatement décadentes... Tous les lieux du films ont cette aura de « luxe, calme et volupté » qui rima longtemps avec French Riviera.. Et pourtant le film a été tourné en super 8, comme on imaginerait un rejeton inattendu de l'Arte Povera au cinéma...

Joseph Morder se plait à jouer avec les codes et à déjouer l'attente du spectateur. D'abord, par la non- linéarité du récit, et là nous sommes dans l'anti -Hollywood par excellence. Nous ne savons pas  toujours si nous sommes dans le récit au présent ou dans celui de la mémoire ; Ensuite par un remarquable travail sur le son, la voix off et les dialogues, souvent en décalage. La voix off se superpose volontiers aux dialogues et les rend inaudibles ou presque. Et tout est dans ce « presque. ». qui renforce l'atmosphère de chaque scène en frustrant le spectateur qui espère un instant, par un regain d'attention, combler les lacunes ou les ellipses grâce aux échanges entre les personnages. Sans oublier l'intermède musical quelques part au milieu du film. Joseph Morder aime les voix de femmes et les chansons d'amour qui finissent mal dans les cabarets enfumés.

joseph morder

Mais peut être L'arbre mort est -il avant tout,un film sur la couleur et la lumière. Là encore, nous sommes sur la Côte d'Azur élue de tous les peintes du début du siècle :Matisse, Bonnard ou Dufy pour citer d' entrée de jeu les grands coloristes. Certains plans sont d'ailleurs directement inspirés de ces tableaux qui ont fait de la lumière leur véritable matière(cf la lecture de la lettre derrière les persiennes ou les scènes sur la Promenade des Anglais). Et très naturellement, avec cette sensibilité d'un homme qui a grandi dans le grand Sud, Joseph Morder joue avec subtilité des contrastes entre l'ombre et la lumière et va jusqu'à créer des ambiances de pénombres intimistes tournées à contre-jour (nous sommes très loin d' Hollywood dans la forme et pourtant si près de l'esprit du mélodrame déployant tous ses artifices pour que la pellicule vibre du magnétisme qui traverse les couples seuls au monde, entièrement absorbés d' eux mêmes).

Laura presque toujours en blanc, Jaime en noir dans les bleus de la mer et du ciel. Le film offre une palette réduite qui revient comme un leit-motiv et contribue fortement à l'unité formelle du récit... Les plans fixes se succèdent rapidement, les clins d'oeil au cinéma aussi. Le super 8 ,de par ses contraintes propres, accentue le côté livre d'images ou faux film d'amateur. Et le puzzle prend forme peu à peu sous nos yeux. Et la Côte d'Azur devient le lieu de toutes les escales comme de la destination finale, quelque part en Amérique latine, dans une fluidité sans faille. 

joseph morder

C'est là que le rouge va entrer en scène. Rouge de la passion amoureuse bien sûr, (d'ailleurs la jeune fiancée délaissée porte une robe bleu un peut éteint à pois blanc) mais aussi - et de manière plus surprenante – rouge de l'ardeur révolutionnaire.. Cette trame tardive vient ajouter une dimension totalement inattendue à ce qui était jusqu'ici la belle histoire stylisée d'un coup de foudre. La narration acquiert une profondeur soudaine et introduit pour la première fois des personnages autres, qui n'appartiennent pas au cénacle. D'abord l'ami en rupture de ban qui s'est retiré du monde et qui porte d'ailleurs un pull rouge – c'est la première fois que cette couleur apparait à l'écran - puis les domestiques qui sont les premiers à connaître la nouvelle du coup d’État et à l'annoncer aux maîtres.

joseph morder

Le réel qui avait été si minutieusement tenu à l'écart fait violemment irruption avec le texte du communiqué de presse diffusé à la radio. A la fois grotesque et sinistre, il pourrait parfaitement être celui de Pinochet ou de Videla au moment du putsch, dans leur obsession de l'ordre et de la morale catholique. Tout d'un coup le film bascule et s'accélère, L'espace d'un instant nous ne savons pas à quelle bifurcation, à quel retournement nous allons avoir droit. Mais nous pouvons faire confiance à Morder. Il tient bon la barre et veille au grain. Bien vite nous retrouvons nos deux amants qui courent éperdus, elle en rouge, lui en noir. Des retrouvailles oh combien romantiques,certes mais s'agit-il d'une fuite, sont-ils en danger ? Des coups de feu retentissent, Nous sommes au cimetière, la mort rôde.  L'arbre mort prend des faux airs de film à suspens sur toile de fond politique, qui l'eut cru? La maestria du réalisateur est tangible dans cette rupture de rythme aussi soudaine que fugace, car très vite tout s'apaise. Le mélodrame reprend tous ses droits. Les amants se sont retrouvés pour ne plus se quitter. La voie de l'amour est libre.

Et pour boucler la boucle, la scène finale est le contre-point parfait de la si belle scène dans la chambre aux volets clos : à une lettre d'amour conjugal raisonnable et prévisible lue dans un intérieur douillet protégé d'une trop forte lumière et d'une trop grande chaleur répond une lettre de rupture plutôt froide lue dans la grisaille d'un square parisien. Sous ses airs modestes, L'arbre mort se révèle être une grande et subtile leçon de cinéma.

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08/01/2014

Les indiens ne sont plus très loin

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Tournage de Stagecoach (La chevauchée fantastique - 1939).

06/01/2014

13 assassins

Jūsannin no Shikaku (13 assassins) - Un film de Takashi Mike - 2010

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Du réalisateur nippon Takashi Miike, je connais mal la carrière prolifique. Sorte de Quentin Tarantino au soleil levant qui tournerait plus vite que son ombre, il a construit sa réputation sur une accumulation de films un peu cinglés, puisant largement dans le cinéma de genre. Sa mise en scène allie un côté clinquant à une certaine virtuosité technique et un goût prononcé pour la provocation. J'avoue ne pas avoir été convaincu par Ôdishon (Audition – 1999) et sa violence au sadisme complaisant, et être resté dubitatif devant sa variation sur le western italien, Sukiyaki western Django (2007) inspiré du maestro Sergio Corbucci. Et oui, certains japonais ont une passion pour le genre, sans doute le côté samouraï des héros. Toujours est-il que ces dernières années, sans renoncer à ses premières amours, Takashi Miike s'est lancé dans de nouvelles versions de classiques du cinéma japonais avec ces 13 assassins qui revisitent Les 13 tueurs de Eiichi Kudō, un film de 1963, et Ichimei (Hara-Kiri, mort d'un samouraï – 2011) qui reprend en couleurs et en relief le film de Masahi Kobayashi de 1962. Pour ce dernier film, Miike se voit sélectionné en compétition officielle à Cannes, une première pour un film en 3D. Changement de braquet pour le réalisateur qui ralentit le rythme de ses tournages et donne deux œuvres plastiquement superbes, ambitieuses, respectables et respectées.

takashi miike

Les 13 assassins qui nous intéressent ici, enfin moi c'est fait, vous j'espère que cela se fera, n'a pas bénéficié d'une véritable sortie en salle, ce qui est dommage. Le film garde encore quelques traces du Miike provocateur, notamment à travers le personnage sadique du seigneur Matsudaira Naritsugu et d'une jeune villageoise horriblement mutilée dans la tradition du Divin Marquis. Mais c'est peu en regard du souffle épique et de l'ampleur de la mise en scène de l'ensemble. Jūsannin no Shikaku fonctionne sur un schéma éprouvé, celle du petit groupe de spécialistes chargés d'une mission à hauts risques, entre les 14 amazones et les 7 samouraïs. Le futur shogun étant un bel enfant de salaud, un haut dignitaire du régime charge le sage Shinzaemon de réunir une équipe pour l'éliminer discrètement et dans le respect des hiérarchies rigides et des subtils jeux de pouvoir du Japon des années 1840. Cette mission si vous l'acceptez, ni vous ni vos hommes ne serez couverts. Shinzaemon réunit onze hommes prêts au sacrifice de leur vie pour faire la peau à Naritsugu au cours d'un voyage officiel. Comme dans le film d'Akira Kurosawa, le numéro 13 sera un électron libre, inattendu et capital, un chasseur qui, sauvé par notre groupe, les guidera en retour à travers une impénétrable montagne. Recrutement, préparation, voyage, escarmouches, embuscades et grand combat final, le scénario de Daisuke Tengan qui n'est autre que le fils de Sohei Immamura pour lequel il a écrit les trois derniers films, est linéaire. Tout est dans le détail, le style et le traitement.

takashi miike

De par l'ampleur du combat final, Jūsannin no Shikaku se rapproche beaucoup du classique de Hong Kong, Beach of the war gods réalisé en 1973 par Jimmy Wang Yu qui joue également le rôle principal. La scène représente un bon tiers du film et laisse littéralement sur les genoux. C'est une sorte de danse de mort, un déchaînement de violence filmé comme un monstrueux ballet ou comptent les mouvements des groupes, les 13 contre les centaines de soldats de Naritsugu, et les mouvements des corps. Sauts, roulades, parades, chutes, on pense plus à un Gene Kelly armé d'un sabre qu'à autre chose. Ceci est renforcé par une bande son saturée de cris, de râles, des sifflements des armes et des déchirements des chairs. Pourtant la distance, historique, exotique, et la démesure même du spectacle désamorcent le potentiel côté malsain de cette violence stylisée comme chez Wang Yu, Chang Cheh ou Sergio Corbucci, et permettent d'en jouir sans entraves. D'un autre côté, le regard porté par le réalisateur sur ses personnages, notamment à travers le regard du noble Shinzaemon, font la critique de cette violence comme chez Kurosawa ou Sam Peckinpah. C'est un équilibre délicat que l'on pouvait penser difficile à tenir de la part de Miike, mais il y parvient avec élégance et lucidité.

Sous l'apparence classique d'un film léché (la photographie de Nobuyasu Kita, les cadres au millimètre, le montage de Kenji Yamashita dont le tempo s'emballe pour le final, les moyens confortables), Miike se livre à un portrait au vitriol d'une époque condamnée à disparaître. Cette société est paralysée par ses codes trop rigides et elle enfante des monstres comme Naritsugu qui utilisent ses valeurs pour les dégénérer et exercer leurs pires instincts. Le futur shogun ne se cache même pas de mépriser ces valeurs qui lui assurent l'impunité. Face à lui guerriers et politiques n'ont que l'honneur et le respect à la bouche mais les pratiquent à géométrie variable. Naritsugu massacre et torture, pousse au suicide rituel, sans que personne ne puisse agir sinon au prix de sa propre vie. Dans un tel monde pourri de l'intérieur, le respect authentique des codes comme le pratique le groupe de Shinzaemon ne peut que mener au sacrifice sans même la consolation de la reconnaissance, sinon de sa propre conscience. Miike exprime tout ceci en des images fortes comme lors de la constitution de l'équipe, les manières très intériorisées dont les samouraïs expriment leur fidélité et leur admiration pour leur maître, cruelles lors de l'ultime confrontation entre Shinzaemon et son ancien ami et élève Hanbei, lié par son service au maléfique Naritsugu. Miike fait passer la relation profonde entre les deux hommes et le déchirement de celui qui n'arrive pas à surmonter ce lien déviant pour se ranger au côté de l'amitié vraie. Là encore passe le souvenir des relations entre les personnages de Peckinpah.

takashi miike

Et comme chez Kurosawa, c'est du treizième élément, la pièce rapportée par hasard, que va s'exprimer la conviction profonde du réalisateur. Miike dépasse les discours sur l'honneur et le reste en donnant une voix aux véritables opprimés. Dans ces jeux complexes de pouvoir et de domination, ce sont les petites gens, les paysans, qui toujours souffrent en silence. Ici, il y a Koyata, le chasseur, un homme des bois, un sauvage, un libertaire dans l'âme, fantasque et plein d'humour, coureur de jupons à la saine sexualité. Il s'oppose ainsi à Naritsugu qui ne jouit que de la douleur, comme aux autres personnages qui sont abstinents, à l'exception notable de Shinroukuro, neveu de Shinzaemon et présenté comme un jouisseur ayant rejoint l'équipe pour trouver une sorte de rédemption. Koyata se bat sans armes ni code de l'honneur, il n'est pas samouraï, mais n'en est pas moins efficace. La langue bien pendue, il met directement les gens face à leur contradictions et n'a guère plus de considération pour les 13 assassins que pour leur cible, se rangeant aux côtés des premiers uniquement parce que leur cause semble désespérée et que cela l'amuse. La conclusion du film pourrait reprendre celle de celui de Kurosawa : «Ce n'est pas nous qui avons gagné, ce sont les paysans», mais exprimée cette fois par l'un d'entre eux avec une bonne dose d'ironie. Koyata a toute la sympathie de Miike (Shinroukuro aussi dans une moindre mesure), il représente le monde moderne qui rejette sans un regret tout ce Japon féodal qui s'auto-détruit dans l'apocalypse finale. Il est assez tentant de faire glisser cette lecture à notre époque moderne et aux nouvelles féodalités, on y retrouve sans peine le côté iconoclaste du réalisateur quand à la vision son pays.

takashi miike

La portée du film est néanmoins atténuée par le schématisme de certains personnages, en partie pour des questions de durée. Le film proposé par la belle édition Métropolitan Vidéo est la version internationale de 126 minutes alors que la version d'origine en fait 141. Les scènes supplémentaires que l'on peut découvrir n'apportent pourtant pas grand chose de plus. Et puis 13 personnages, c'est beaucoup. Il fallait sans doute choisir. Malgré de beaux efforts dans la première partie et le jeu impeccable de tout le monde, Miike sacrifie certains développements psychologiques à l'ivresse d'un cinéma d'action somptueux où le plaisir de image et du mouvement se donne libre court.

Le DVD

Photographies Toho / Source Allociné

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03/01/2014

2013, et pour quelques films de plus...

Une nouvelle année riche en découvertes en tous genres, mais essentiellement en DVD, en grande partie grâce à ma collaboration avec les Fiches du Cinéma. Impossible cette fois encore de me livrer à l'exercice si prisé du top, du flop ni même du non-top, vu le peu de films de l'actualité en salles que j'ai réussi à voir. Néanmoins, entre les occasions qui font le larron, les festivals et les rattrapages de Zoom Arrière, voici une petite sélection des films qui m'ont marqué cette année avec inévitablement :

Lincoln– Steven Spielberg

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Ensuite, une jolie dizaine :

Springsteen and I - Baillie Walsh / Dream baby dream - Thom Zimny et Chris Hilson

10 millions – Foniké 2012 – Jérémie Lenoir

Qurban (Sacrifice) - Anar Abbasov

Soshite Chichi ni Naru (Tel père, tel fils) - Hirokazu Kore-eda

Jodorowsky's Dune - Franck Pavich

The grandmaster – Wong Kar-wai

La vénus à la fourrure – Roman Polanski

Dast-neveshtehaa nemisoozand (Les manuscrits ne brûlent pas) - Mohammad Rasoulof

Tram - Michaela Pavlátová

Borgman- Alex van Warmerdam

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Et puis quand même :

Nos héros sont morts ce soir - David Perrault

La fille du 14 juillet - Antonin Peretjatko

Le sens de l’orientation - Fabien Gorgeart

Tian Zhu Ding / A touch of sin - Zhangke Jia

Et puis, d'un peu plus loin :

Jūsannin no Shikaku (13 assassins - 2010) de Takashi Mike

The exiles (1961) de Kent McKenzie

Man Hunt (Chasse à l'homme – 1941) de Fritz Lang

L'amour d'une femme (1954) de Jean Grémillon

Pick up on south Street (Le port de la drogue - 1953) et China gate (1957) de Samuel Fuller

Odd man out (Huit heures de sursis - 1947) et Fallen idol (Première désillusion- 1948) de Carol Reed

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Photographies : 20th Century Fox / ARP Sélection / Anar Abbasov / Wild Bunch Distribution / Gaumont.

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31/12/2013

1961 en 10 (autres) films

Pour bien fêter la fin d'année, permettez moi de vous offrir un bilan de l'année... 1961 telle qu'explorée par l'équipe de Zoom Arrière. 1961, Ce sont Rocco, ses frères, Lola, les héros urbains de Samuel Fuller, Mabuse, les jardins étranges de Resnais et les Désaxés de Huston. Mais 1961, belle année finalement, grâce à l'Europe, le Japon et les outsiders américains, ce fut aussi l'année de la découverte tardive d'un film précieux d'Ingmar Bergman avec le visage de Eva Henning, de Spartacus, de la première mise en scène de Jerry Lewis dans un palace, d'un vélo d'appartement et d'une engueulade en Série Noire, de Claudia Cardinale toujours resplendissante, de Charlton Heston héroïque au possible, d'un loup-garou anglais, d'un Colosse à Rhodes et d'une belle Oldsmobile branquignolesque, tandis que perché sur sa tour, le guerrier solitaire attend de donner l'inspiration à un Sergio romain. Photographies DR piquées un peu partout.

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ingmar bergman,jerry lewis,stanley kubrick,robert dhéry,akira kurosawa,anthony mann,sergio léone

ingmar bergman,jerry lewis,stanley kubrick,robert dhéry,akira kurosawa,anthony mann,sergio léone

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ingmar bergman,jerry lewis,stanley kubrick,robert dhéry,akira kurosawa,anthony mann,sergio léone,mauro bolognini,jean luc godard

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30/12/2013

Scénario

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Scénario de War party qui va devenir Fort Apache (Le massacre de Fort Apache) tourné en 1948 par John Ford - Source Walter Film Museum

28/12/2013

Le colibri au tournant

Tout à commencé par la lecture cet été de l'excellent livre de Claude Beylie et Philippe d'Hugues Les Oubliés du cinéma français (Éditions du Cerf). Un bon livre de cinéma doit donner envie de voir ou revoir les films qu'il aborde. Explorant avec une belle érudition, mais sans lourdeur académique et avec humour souvent, les recoins les plus obscurs du cinéma français, ce livre est un vaste coffre aux trésors. Parmi ceux-ci, deux chapitres mettent en parallèle les destins tragiques de deux acteurs. Robert Lynen, jeune héros du Poil de carotte (1934) de Julien Duvivier, entré dans la Résistance et fusillé à 23 ans en 1944. Et Corinne Luchaire, fille de Robert Luchaire patron de la presse collaborationniste fusillé à la Libération, qui mourut de tuberculose à 29 ans en 1950. Si je connaissais l'histoire du premier, j'ignorais tout de celle de la seconde. Piqué dans ma curiosité, aie, j'ai enchaîné avec Corinne Luchaire, un colibri dans la tempête de Carole Wrona (éditions de la Tour verte), et assez naturellement, je me suis mis sur la piste des films joués par cette jeune femme que l'on décrit comme une si remarquable actrice. Pas évident. Mais j'ai mis la main finalement sur Le dernier tournant de Pierre Chenal, tourné en 1939, première adaptation du fameux Le facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain avant celles de Luchino Visconti en 1942, des américains Tay Garnett en 1946 et Bob Rafelson en 1981 avec la fameuse étreinte entre Jessica Lange et Jack Nicholson dans la cuisine, et quelques autres encore venues de Hongrie, d'Allemagne ou d'Autriche.

corinne luchaire,pierre chenal

Tourné dans les Alpes Maritimes, le film de Pierre Chenal alterne décors de studios (à Saint Laurent du Var) et extérieurs sauvages, sans doute du côté du col de Vence, territoire dépouillé où est installé la station service de Nick (joué par Michel Simon) et de sa jeune épouse Cora (Luchaire). Fidèle au roman, le drame se déclenche quand débarque Frank (Fernand Gravey), vagabond et repris de justice, sympathique quand même, qui est accueilli à bras ouverts par Nick.C'est que malgré son naturel jovial, son chat, sa jolie femme et son accordéon (on pense bien sûr à l'Atalante), Nick s'ennuie comme un rat mort dans son trou et il est ravi de se trouver un ami. Nick engage donc Frank et l'installe chez lui. Et ce qui devait arriver arrive.

Le dernier tournant est l'avant dernier film de Corinne Luchaire, juste avant la guerre. Elle y apparaît en brune et entre Simon, très à l'aise dans un personnage d'anar un peu pathétique, avec ce mélange de gentillesse et de maladresse dont il a le secret, et Gravey en beau gosse de l'époque, fine moustache, sobre dans l'égoïsme de Frank mais manquant un poil de charisme. La jeune actrice joue la carte du silence. Son personnage économise ses paroles en laissant exprimer sur son visage une lassitude agacée qui va laisser place à un désir passionnel irrésistible tandis que se libère, avec les perspectives ouvertes par l'arrivée de Frank, sa haire profonde pour son époux. Corinne Luchaire dégage une belle sensualité, avec ses pulls moulants, sa silhouette frêle, son regard brûlant. Elle a une façon de lancer ses répliques signées Charles Spaak avec vivacité, un peu saccadées comme certaines actrices de comédie américaine de l'époque. Il est juste de dire que son jeu tranche sur celui de ses contemporaines, du côté langoureux d'une Michèle Morgan, gouailleur d'Arletty ou d'Odette Joyeux, de la candeur de Danièle Darrieux. Corinne Luchaire a comme des absences où elle laisse deviner un monde intérieur inaccessible, rompu par de brusques éclairs de gaieté ou de colère. Son style est celui des années soixante qu'illustreront Catherine Spaak, Françoise Dorléac ou Diana Rigg. Dans sa mélancolie un peu agressive, je retrouve quelque chose de la Catherine Deneuve de La sirène du Mississippi (1968) de François Truffaut, peut être cette lassitude bousculée par la passion, très physique au départ mais qui va s'éveiller à l'amour, amour dont l'authenticité sera longtemps soumise au doute. Luchaire donne à Cora son visage à l'étrange beauté avec ce nez particulier qui la positionne entre petite fille et jeune femme. Cora est un personnage difficile. Archétype de la garce de roman noir, elle veut quand même tuer son mari et manipule sexuellement Frank pour le faire, mais elle est aussi une victime. Elle a été mariée trop tôt et l'on sent bien que malgré sa gentillesse, Nick a sauté sur l'occasion. Du coup, Cora est étouffée par les rêves qu'on lui a rentré dans la gorge et qu'elle essaye désespérément de faire vivre à travers Frank, un brave gars finalement, mais pas à la hauteur. Et puis faible. Corinne Luchaire rend bien la double dimension du personnage, peut être parce qu'elle la sent proche d'elle qui est prise entre ses ambitions d'actrice, ses succès très jeune, son statut de fille de, son indifférence à un monde en convulsions, ses échecs sentimentaux et sa santé fragile (le tuberculose qui finira par l'emporter). Elle donne de la vérité à Cora qui file vers son destin tragique sans réaliser la gravité de sa faute morale. Il est tentant de filer le parallèle avec le destin de l'actrice. Mais le film vient avant.

corinne luchaire,pierre chenal

Voilà qui suffit à rendre le film passionnant, mais ce serait dommage de le réduire à cette seule dimension. Pierre Chenal met le film en scène avec soin quoique sans génie, selon les standards de qualité de l'époque dans la veine du réalisme poétique. L'ambiance « noire » est bien rendue par la photographie de Christian Matras qui venait de signer les images de La fin du jour de Julien Duvivier et alterne scènes nocturnes assez expressionnistes avec la dureté de la lumière du sud-est en plein jour. Le visage de Corinne Luchaire est particulièrement soigné en des portraits qui rendent justice aux expressions de l'actrice. Il est aussi toujours plaisant de voir s'animer dans de tels films la France d'une autre époque. L'arrière plan contemporain, les voitures, les façons de s'habiller, de se coiffer, les accessoires, dans ce film a volonté réaliste comme dans la version de Visconti (alors que le Garnett est un film de studio et le Rafelson une reconstitution) sont un régal. Il y a un côté documentaire tramé dans la fiction, partiellement involontaire mais qui gagne en valeur avec les décennies passées, comme par exemple l'importance que prend l'enseigne lumineuse au-delà de celle que lui donne le récit dramatique. Au-delà du trio d'acteurs, il faut noter la présence toujours agréable de Charles Blavette qui apporte une couleur locale bienvenue, et surtout une prestation savoureuse de Robert Le Vigan en cousin maître chanteur, suave et visqueux comme il su l'être. Sa grande scène avec Corinne Luchaire est un beau moment du film. En septembre 1944, il sera avec l'actrice et son père du voyage à Sigmaringen, ultime aventure du gouvernement de Vichy. Destin, quand tu nous tiens.

Photographies Cinémathèque française / Tout le Ciné

A lire sur le site du Ciné-Club de Caen

A lire sur Notes on cinematograph, en anglais, bel article qui nous apprends que le film avait été interdit aux USA et qui étudie plus en détail le style de Pierre Chenal.

21/12/2013

Fritz Lang par William Friedkin

18/12/2013

Le prix du pouvoir

Il prezzo del potere (Texas) – Un film de Tonino Valerii – 1969

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Amicalement dédié à Marie-Thé et Tzvetan

Giuliano Gemma est mort le 1er octobre 2013 dans un bête accident de voiture, lui qui avait tourné l'impressionnante scène de poursuite de Un uomo da rispettare (1972) sous la direction de Michele Lupo, huit minutes au compteur. Il était toujours fringuant à 75 ans, lui le cascadeur, l'athlète, le héros bondissant des peplums, des westerns, des polars, des comédies décontractées pas toujours très fines des années 70, grave à l'occasion, intense même, pour Valério Zurlini, Dario Argento ou Duccio Tessari dans Il ritorno di Ringo (Le retour de Ringo – 1965) qui s'inspire du retour d'Ulysse pour une parfaite jonction entre peplum et western. Un film que j'ai fait découvrir à ma fille pour rendre hommage à l'acteur et me faire plaisir, car le plaisir est au centre de son travail de comédien et de son statut de vedette. Et puis il y a Il prezzo del potere (Texas), revu à l'occasion de la belle édition Artus qui nous offre enfin la version intégrale d'une œuvre méconnue, un film signé Tonino Valérii en 1969, grande époque du western all'italiana. Valerii est un réalisateur intéressant qui a eu bien du mal à sortir de l'ombre de son mentor Sergio Leone dont il fut l'assistant, et en particulier de leur collaboration sur Il mio nome e nessuno (Mon nom est personne – 1973). Pour ce film, Leone fut co-scénariste et producteur, assurant la réalisation de quelques scènes, et fini par s'attribuer la paternité de son énorme succès. C'est assez injuste car à l'époque, Valérii est déjà un réalisateur confirmé et ses westerns précédents sont d'excellente facture comme I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère - 1967) également avec Giuliano Gemma et donc Il prezzo del potere.

tonino valérii,giuliano gemma

Ce film qui nous intéresse ici se présente comme une variation western de l'assassinat de Kennedy, abattu comme chacun sait d'une balle dans la tête à Dallas en 1963. L’événement à marqué les esprits et donné lieu à de multiples déclinaisons. Pour s'en tenir au western, Jean-Michel Charlier et Jean Giraud plongent leur héros Blueberry dans un complot destiné à assassiner le président Grant dans une série magistrale d'albums de bandes dessinées entre 1973 et 1975. J'aime à penser que Charlier connaissait le film de Valérii. Les scénaristes Massimo Patrizi et Ernesto Gastaldi écrivent une histoire autour de la visite à Dallas du président James Garfield (le véritable Garfield fut assassiné à Washington en 1881) et sans doute sous l'influence de l'enquête menée par Jim Garrison en 1968, développent la thèse d'une vaste conspiration. Successeur de Lincoln, Garfield arrive dans un Sud où les plaies de la guerre de sécession sont encore vives et le racisme toujours la règle. Garfield prône la réconciliation et vient défendre ses idées chez ses adversaires. Dans les rues de Dallas, on brûle son portrait tandis que nombre de notables préparent son assassinat. L'ampleur et les ramification du complot, nous allons les découvrir à travers le personnage de Bill Willer qui cherche à venger son père tué parce qu'il en avait trop appris. Le film distille ses révélations avec un sens consommé du suspense, orchestrant un ballet de personnages bien campés : l'ami noir destiné à porter la responsabilité du meurtre, McDonald le chargé de la protection du président, la femme du président, démarquage évident de Jackie Kennedy, l’ambigu vice-président, le shérif de Dallas qui révèle très vite son double jeu, le journaliste paralysé et courageux, ainsi que quelques figures propres au genre.

tonino valérii,giuliano gemma

La mise en scène de Valerii joue beaucoup sur la dissimulation et les faux-semblants : faux suicide, faux coupable, faux amis et faux-culs se succèdent à l'écran au point que l'on finit par douter de tout le monde, sauf de l'intègre Willer. Le réalisateur restitue bien à travers ce film de genre le sentiment de paranoïa d'une époque, sentiment que l'ont peut rapprocher tant de la situation des États-Unis que de l'Italie à la fin des années 60, avec le même genre de manipulations et une importante violence politique. Mais film de genre d'abord, Valérii offre avant tout un western de belle facture, qui a eu des moyens mais sans excès (Je me suis souvent demandé pourquoi l'escorte présidentielle était si maigre, pas un soldat en vue). La photographie de Stelvio Massi est une réussite avec quelques beaux effets dans l'obscurité, le Techniscope est travaillé sur soute sa surface, jouant comme dans les œuvres majeures du genre sur la profondeur de champ, les gros plans et de larges débrayages d'espace. Valérii a retenu les leçon de son mentor. Il construit également de belles scènes très découpées de pur suspense, n'hésitant pas à leur sacrifier la crédibilité du récit. Autant l’attentat contre Garfield est un modèle de mise en scène mise au service de la narration, autant il est difficile d'avaler la façon dont Willer met en scène ses deux duels tarabiscotés avec le shérif Jefferson. L'attitude de notre héros est tellement inconséquente, compte tenu des circonstances, que les scènes n'ont aucune crédibilité comparées aux grands duels vus chez Leone ou Corbucci. Mais pour elles-mêmes, en terme visuels et d'intensité, ce sont des réussites. On peut les rapprocher du duel totalement gratuit de I giorni dell'ira où le personnage de Lee Van Cleef affronte un tueur, chacun armé d'un antique fusil qui se charge par la gueule avec poudre et baguette, le tout monté sur un cheval lancé au galop. C'est complètement idiot, mais inoubliable. Je note que ce tueur est joué par le même acteur que le shérif, Benito Stefanelli, célèbre maître d'armes et cascadeur aux moustaches et au regard inoubliable.

tonino valérii,giuliano gemma

Il prezzo del potere est ainsi un mélange détonnant de rigueur et d'incongru, un peu inégal mais passionnant, puisant dans l'Histoire tout en prenant avec elle de sacrées libertés. Le film est constamment tendu entre sa volonté de sérieux (les nombreux éléments provenant de l'affaire Kennedy, le discours sur le racisme, le sous-texte européen), ses accents tragiques magnifiés par la partition assez sublime de Luis Enriquez Bacalov, et son essence de western italien d'un baroque fantaisiste assumé. Le film se donne alors tout entier à l'aventure la plus pure, au plaisir feuilletonesque de faire valser son héros de Charybde en Scylla, le rattachant une fois de plus au peplum et à toute une mythologie latine. Willer, idéalement incarné par Gemma, le regard droit, l'allure décidée, encaisse les coups-fourrés, la mort de ses proches, les soupçons de ceux qui pourraient l'aider, sans dévier d'un pouce de son désir de vengeance et de justice. Sans négliger non plus de nous gratifier de quelques sauts périlleux dont il a le secret. Il en est presque décalé au sein d'une distribution brillante qui a assez d'espace pour donner vie à la riche galerie de personnages. Outre Benito Stefanelli, on apprécie la classe de Fernando Rey, l'élégance suspecte de Josè Suarez que l'on a croisé en personnage tragique chez Ferdinando Baldi et Enzo G. Castellari, Antonio Casas vu chez Leone, Corbucci et Luis Bunuel, Frank Braña, Joaquin Parra et l'inévitable Lorenzo Robledo en hommes de main parfaits, l'acteur new-yorkais Ray Saunders qui trouvera ses rôles les plus intéressants en Italie, Manuel Zarzo et Paco Sanz (formidablement dingue dans Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux – 1967) de Giulio Questi) en journalistes aux côtés de Willer, et le rigide Warren Wanders en homme de confiance du président. Pour ce dernier, Valérii bénéficie d'une pointure hollywoodienne en la personne de Van Johnson venu comme tant d'autres chercher un peu d'air dans le cinéma de genre européen au cours des difficiles années soixante. Les femmes sont peut présentes, mais María Cuadra en épouse présidentielle et la belle Norma Jordan vêtue d’étoiles, chantant devant la bannière américaine, arrivent à exister.

Au final, Il prezzo del potere est une œuvre majeure du genre sans être forcément un chef d'oeuvre. C'est une belle démonstration de cette façon originale d'investir de façon décontractée les codes typiquement américains pour créer un style unique, en propre, tout en étant complètement en prise avec son époque. Le film agacera sans doute les puristes, réjouira les autres, à commencer par celles et ceux qui aimaient et aimeront toujours voir bondir le beau Giuliano, éternel chevalier au six-coups en quête de vérité et de justice, et de vengeance.

Le DVD

A lire :

Le texte enthousiaste de Tepepa

Sur Mondo 70

Les infos très complètes du site Spaghetti Western (source des photographies d’exploitation).

06/12/2013

1960 à l'affiche

Alors que le compte à rebours de Zoom arrière est commencé pour l'année 1961 ( à suivre sur la page Facebouque), voici une jolie collection des affiches de l'année 1960 qui ornaient les frontons des cinémas d'alors pour des œuvres signées Ingmar Bergman, Terence Fisher, John Ford, Blake Edwards, François Truffaut (version polonaise), Joseph Losey et quelques autres. Un art de l'affiche qui s'est, il faut le dire et le regretter, un peu perdu depuis que l'on nous formate visuels et caractères. 1960, encore un temps pour la fantaisie, le rêve, la puissance d'évocation. DR, piquées un peu partout. 

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19/11/2013

Soutien à Mohammad Rasoulof

Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof rencontre de nouveaux problèmes avec les autorités de son pays. Il semblait évident, après la projection de son dernier film dans la sélection Un Certain regard à Cannes en mai 2013, qu'il serait délicat de retourner en Iran. Rasoulof a pris le risque il y a un peu plus d'un mois et s'est vu confisquer son passeport dès son arrivée, comme l'explique un article de Rue 89. Il se retrouve "interdit de quitter le territoire alors qu’il vit avec sa famille en Allemagne". L'information est restée discrète, peut-être en rapport avec les tentatives de dialogue actuel entre Iran et Occident. Néanmoins, les organisateurs du Festival du film de Stockholm ont manifesté le 12 novembre devant l'ambassade d'Iran en Suède, les yeux bandés de tissus noirs en observant plusieurs minutes de silence.

"Si on m'ôtait le droit de tourner et de montrer mes films, j'aimerais que mes confrères se mobilisent", a déclaré le réalisateur suédois d'origine égyptienne Tarik Saleh.

Dans ce contexte, je relaie l'appel de soutien lancé par Marlène, artiste établie à Mouans-Sartoux :

(…) L'objectif est de récolter un maximum de signatures et d’emails de soutien pour aider pacifiquement Mohammad Rasoulof à retrouver très vite son passeport, sa liberté de circulation et de création. Son dernier film Les Manuscrits ne brûlent pas a reçu le Prix Fipresci par le Jury Œcuménique dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes. A cette occasion, Mohammad Rasoulof avait pu se rendre au Festival  pour y recevoir sa récompense en main propre. Mais depuis, il  a été interdit de sortie du territoire iranien et n’a pu assister ni au Festival de Hambourg,  ni à celui de  Stockholm. Merci d'envoyer votre soutien à Mohammad Rasoulof  à l’adresse suivante : marleneartstyle@gmail.com

 

17/11/2013

Politique et cinéma (partie 2)

Suite (et fin) sans langue de bois du questionnaire de Cinématique.

11) L'anarchisme au cinéma, c'est qui ou quoi ? 

Quoi : les petites communautés autonomes des films de Howard Hawks, Hatari ! (1962) de façon exemplaire.

Qui : Luis Bunuel.

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12) Quelle est la meilleure biographie filmée d'une femme ou d'un homme de pouvoir ? 

Lincoln (2012) de Steven Spielberg, qui est aussi une réponse possible à la question 10.

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13) De quelle femme ou quel homme de pouvoir, aimeriez-vous voir filmer la biographie ?   

Michel Rocard sous forme de comédie musicale. Pierre Larrouturou incarné par Denis Podalydès.

14) Au cinéma, quel personnage de fiction évoque le style des politiciens français suivants : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ? (vous pouvez en choisir d'autres) 

ken loach,luis bunuel,george miller,fritz lang,sacha guitry

De gauche (!) à droite : Jean-Luc Mélenchon, François Hollande et Nicolas Sarkozy.

Marine Le Pen : le personnage joué par Al Mulock (Quand on tire, on raconte pas sa vie)

François Bayrou  : Le frère de Tuco

Jean-François Copé : le mexicain au brin d'herbe (T'as pas la tête de celui qui va les toucher)

Jean-Louis Borloo : le capitaine nordiste (facile)

15) Quel film de propagande n'en est-il pas moins un grand film  ?

Beaucoup de grands films sont des films de propagande, tout dépend de ce que l'on met dans ce mot. Le dernier vu en date, et bien que Lang s'en soit défendu, : Man hunt (Chasse à l'homme – 1941) qui milite ouvertement pour l'intervention de l'Amérique. Dans un registre plus léger :

16) Quel a été pour vous, en France, le meilleur Ministre de la Culture ? Expliquez pourquoi en deux mots.  

Jack Lang. Je ne sais pas vraiment dans quelle mesure il y était pour quelque chose, mais de 1981 à 1986, j'aimais le cinéma à la télévision (et d'autres choses aussi). Après...

17) Quel est le meilleur « film de procès » 

La poison(1951) de Sacha Guitry.

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18) Quel film vous paraît le plus lucide sur le quatrième pouvoir (les medias) ? 

Deadline U.S.A. (Bas les masques - 1952)de Richard Brooks.

19) Citez un film que vous aimez et qui vous semble assurément « de droite ». 

Mad Max (1979 de George Miller.

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20) Citez un film que vous aimez et qui vous semble certainement « de gauche ».

Land and freedom(1995) de Ken Loach.  

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16/11/2013

Politique et cinéma (partie1)

Un nouveau questionnaire élaboré par Ludovic du blog Cinématique sur le thème de la politique en 20 propositions, voilà quelque chose à ne pas manquer. Passez donc voir sur sa note les nombreuses contributions et découvrez, en deux parties, mes suspects habituels : 

1) Quel film représente le mieux à vos yeux l'idéal démocratique ? 

John Ford est pour moi un maître en la matière. Le plus intéressant, peut-être, parce qu'il l'exprime, en montre les mécanismes au quotidien, tout en soulignant ses faiblesses, c'est The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance– 1962).

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2) Au cinéma, pour quel Roi avez-vous un faible ? 

Charles 5 et 3 font 8 et 8 font 16 de Takicardie

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3) Quelle est la plus belle émeute, révolte ou révolution jamais filmée ? 

Le rire de Greta Garbo dans Ninotchka(1940) de Ernst Lubitsch.

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4) Si vous étiez ministre de la Culture, à quelle personnalité du cinéma remettriez-vous la Légion d'Honneur ? 

Je ne suis pas très prix et ils n'ont pas besoin de ça.

5) Au cinéma, quel est votre Empereur préféré ? 

Caligula sous les traits de Malcolm McDowell ou Jay Robinson

6) Si vous étiez Ministre de la Culture, quel serait votre premier mesure, premier acte symbolique ou premiers mots d'un discours, concernant le cinéma ? 

Faire occuper les multiplexes par la troupe.

7) Quel film vous semble, même involontairement, sur le fond ou sur la forme, d'inspiration fasciste ? 

Dark of the sun (Le dernier train du Katanga - 1968) de Jack Cardiff.

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8) Quel est le meilleur film sur la lutte des classes ? 

La grande illusion(1937) de Jean Renoir, parce qu'il se limite pas à la lutte.

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9) Au cinéma, qui a le mieux incarné la République ?  

En France, la jeune femme qui pleure en chantant la Marseillaise dans Casablanca (1943) de Michael Curtiz.

Ailleurs, Alberto Sordi et Lea Massari mangeant de pâtes dans Una vita difficile (Une vie difficile - 1961) de Dino Risi.

10) Quel film vous paraît le plus pertinent sur les coulisses du pouvoir dans le monde d'aujourd'hui ? 

Giù la testa ! (Il était une fois la révolution– 1971) de Sergio Leone, en particulier la tirade de Juan à Sean que les lecteurs d'Inisfree doivent commencer à connaître.

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(A suivre demain)

13/11/2013

Chasse à l'homme

Man Hunt (Chasse à l'homme). Un film de Fritz Lang (1941)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Même si l'on connaît le film, la première scène de Man Hunt (Chasse à l'homme), que Fritz Lang réalise en 1941, donne le vertige. « Quelque part en Allemagne – Avant la guerre » nous précise un carton introductif. Aux accent dramatiques de la musique d'Alfred Newman sur le générique succède un lourd silence à peine troublé par le bruit du vent et des chants d'oiseaux tandis que la caméra plonge au cœur d'une forêt épaisse pour cadrer des traces de pas d'homme. Ceux d'un chasseur qui traque. Élégant, massif, concentré, l'homme débouche au bord d'une falaise. Il se met à l'affût, tire de son sac une lunette de visée perfectionnée. Il la fixe sur son fusil. Très gros plan sur la molette de réglage. L'homme ajuste avec soin, comme on fait le point avec une caméra. Celle du cinéaste par exemple. Et dans le viseur, cercle parfait qui s'inscrit dans le rectangle de l'écran, apparaît la silhouette bien connue d'Adolph Hitler ! L'intersection des lignes se fixe sur le cœur du dictateur. Le doigt de l'homme appuie lentement sur la détente. Click.

fritz lang

Vertige. Vertige de ce qui aurait pu être pour le spectateur d'aujourd'hui, de ce pouvait encore être pour celui de 1941, en particulier le spectateur américain d'une Amérique encore neutre et à laquelle Fritz Lang s'adresse sans détour. Vertige d'un cinéaste magistral (toute la splendeur du cinéma classique) qui défie la figure bien réelle du mal absolu. Comme Charlie Chaplin vient de le faire avec The great dictator (Le dictateur) en investissant le corps de Hitler de l'humour de Charlot, Lang vise le dictateur au cœur. Chaplin le noie dans le ridicule (puis dans un étang), Lang préconise son élimination physique directe, soulignant au passage sa vulnérabilité. Je repensais à cette réplique du soldat Pepper, le tireur d'élite de Saving Private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan – 1998) de Steven Spielberg : « Pour finir la guerre, parachutez-moi à 500 mètres de Hitler ». Cela semble si simple. Cela ne l'est pas. Notre chasseur, un anglais bon teint, le capitaine Thorndike, est pris, torturé et laissé pour mort. Il s'enfuit, traqué par les agents nazis jusqu'en Angleterre, jusqu'à Londres où ses poursuivants cherchent à lui faire signer un document confessant sa tentative de meurtre sur ordre afin de discréditer son pays.

Le film emprunte la forme du thriller noir, genre dans lequel Lang excelle. Man hunt est à la fois un avertissement sur la puissance nazie (ils sont partout), une exhortation à agir contre ses principes (et en cela c'est bien un film de propagande, quoiqu'en ait déclaré Lang, et cela ne pose pas de problème), ainsi qu'une critique à peine voilée des atermoiements alliés d'avant 1939. L’hésitation initiale de Thorndike lui fait manquer une belle occasion et son périple, voyage initiatique en forme de cercle, est un véritable chemin de croix. Confronté après son arrestation à son antagoniste, l'officier SS joué ironiquement par le délicieusement britannique George Sanders, Thorndike essaye de discuter, d'affirmer sa philosophie de non violence. La chasseur renommé qu'il est ne tue plus ses proies. « Je déteste la violence » dit-il. Naïf ! Un discours qui ne tient pas devant la volonté de puissance des promoteurs d'un nouveau Reich. Pourtant Thorndike ne cède pas. Il est « tué », jeté depuis la falaise du début et survit par miracle. Lang, avec une succession d'images fortes, le dépouille alors de toute ressource : fusil planté dans la vase, chaussure dans la boue, jusqu'à son identité usurpée par Jones, l'homme de main joué par John Carradine. L'arrivée en Angleterre ne résout rien. Tels les hommes de Mabuse, les nazis sont partout, déjà infiltrés sous les traits d'un policeman, d'une employée des postes. Le mal est tramé dans le quotidien. Et notre héros ne pourra compter que sur lui-même, un jeune garçon et une jeune femme modeste (plus ou moins prostituée, mais ce n'est pas explicite, question de code). Le calvaire de Thorndike passe par la mise en scène de Lang qui l'enserre toujours plus, le force à se cacher sous terre, d'abord dans le compartiment secret du bateau qui lui permet de quitter l'Allemagne, puis dans les souterrains du métro de Londres pour finir, comme l'un de ces animaux qu'il a traqué toute sa vie, dans une espèce de terrier misérable dans un bois. C'est dans cet ultime refuge qu'il sera acculé et devra pour se défendre redevenir le chasseur primitif plein de ressources et montrer, enfin, sa force.

fritz lang

Écrit par Dudley Nichols, grand collaborateur de John Ford, Man hunt possède une grande puissance symbolique qui pourtant évolue en harmonie avec le récit d'aventures du thriller. L'action est soutenue, constamment imaginative dans ses péripéties et comme chez Hitchcock, toujours basée sur du concret, du quotidien. L'utilisation de la broche de Jerry (la jeune femme qui aide Thorndike), à la fois indication de la tendresse entre les deux personnages, élément signifiant de la disparition de la jeune femme et qui va se transformer en instrument de vengeance, est exemplaire. Monté au petit poil par Allen McNeil, le film alterne des scènes intenses (la traque dans le métro) et délicates entre Thordike et Jerry ou le jeune Vaner, sans négliger l'humour de la visite à son frère, haut diplomate impuissant où la belle-sœur effarée apprend de Jerry ce que sont « les bourres ». Visuellement, c'est une splendeur photographiée par Arthur C. Miller, une pointure qui la même année remportera un Oscar pour How Green Was My Valley (Qu'elle était verte ma vallée) de John Ford. Ford, Lang, Miller avait du tempérament. Man hunt déploie l'expressionnisme du film noir que le travail de Lang en son époque allemande avait inspiré : noirs intenses, effets de brumes et d'humidité, ombres longues et jeux sophistiqués de lumière. Les cadres jouent beaucoup sur les formes circulaires (Le sas du bateau, le viseur, le tunnel de métro, le trou dans le terrier) et renvoient au récit lui-même reflet du parcours intérieur de son héros. Sans que ce soit forcé, le film est traversé de réminiscences des films allemands de Lang : la forêt et la feuille fatale ramènent aux Nibelungen (1924), le plan depuis la vitrine du bijoutier à M (1931), les rues sombres et humides où s'embusquent les agents nazis aux Mabuse.

Ce qui est peut être le plus remarquable et typique de la manière langienne, c'est le traitement de la violence dans une histoire qui malgré ses respirations est d'une grande noirceur. Particulièrement réussie est la scène de l'interrogatoire de Thorndike par les sbires du nazi, qui imagine un jeu complexe sur les ombres, le son et le hors champ pour ne rien montrer. Deux sillons laissés par les pieds du corps traîné sur la moquette suffisent à dire la violence de la torture, la souffrance de la victime, tout en étant un écho visuel aux traces de pas de la première scène. Ce simple (façon de parler) plan suffit à rendre à peine supportable la scène qui suit alors que la caméra reste sur le visage de Sanders, non pas des exécutants mais du commanditaire. Lang désigne le véritable responsable. Le cadre est d'abord affaire de morale. Plus tard, le sort de Jerry est signifié par une série de plans qui l'enserrent et un jeu de lumières qui la font tomber dans les ténèbres. A l'inverse, Lang filme frontalement la mort de l'agent nazi Jones dans le métro, électrocuté spectaculairement en tombant sur les rails lors de sa lutte avec Thorndike. Le regard de Lang, comme toujours, est à la juste place. Il montre sans fard la violence que doivent exercer les démocraties dans leur lutte. Ayant accepté son destin, Thorndike reprend le chemin de l'Allemagne, parachuté cette fois avec une carabine chargée, prête à servir.

fritz lang

Man Hunt enfin est parfaitement interprété. Walter Pidgeon prête sa carrure virile à Thorndike, expression de la solidité britannique mise à rude épreuve. Il est aussi à l'aise dans l'action que dans le pathétique, dans la finesse de l'épisode maritime avec l'enfant joué par Roddy McDowall (tous les deux se retrouveront sur How Green Was My Valley quelques mois plus tard), que dans le jeu amoureux délicat avec Jerry, jouée par Joan Bennett, choix âprement défendu par le réalisateur qui entame avec l'actrice une fructueuse collaboration. George Sanders est parfait comme à son habitude, délicieusement ignoble quand il le faut, et toujours avec classe.

La superbe édition Sidonis Calysta (Blu-Ray et DVD) comprend un livret écrit par Patrick Brion, notre maître à tous, richement illustré ce qui n'est pas ici une simple figure de style. On trouvera en bonus un entretien passionnant entre Brion et Bernard Eisenschitz, spécialiste de Lang, ainsi que le storyboard complet du film. Un document exceptionnel qui montre où réside pour une bonne part la maîtrise langienne sur ce film, pas forcément l'un de ses plus connus mais certainement l'un des tout meilleurs de sa riche période américaine. Bel écrin pour une œuvre majeure.

Photographies : Mubi.com et Moviemail.com

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04/11/2013

L'Adèle adulée, c'est pas l'idéal

La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2. Un film d'Abdellatif Kechiche (2013)

J'aurais du faire l'effort à Cannes, en mai dernier, et aller voir La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2 d'Abdellatif Kechiche, frais du cirque médiatique qui a suivi et qui se poursuit. Frais des dithyrambes qui ont fleurit sur la Croisette et ont semé leurs pétales un peu partout. Frais surtout de la palme d'or, pas tant la récompense mais le fait qu'elle ait été attribuée par le jury mené par Steven Spielberg. Chacun sait ici l'admiration totale que j'ai pour le cinéaste, mais aussi le plaisir que j'ai à l'entendre parler de cinéma, celui de Ford, de Hawks ou de Lean. Et j'ai aimé son regard malicieux quand il a déclaré au soir de la clôture cannoise que c'était « une belle histoire d'amour » que ce film. Je sais bien qu'il y a eu des rumeurs (il y en a toujours) sur son goût personnel pour Soshite chichi ni naru (Tel père, tel fils) de Hirokazu Kore-eda , mais voilà, ce fut Adèle et il ne m'était pas possible de faire l'impasse sur ce film.

Adèle donc. Adèle a une grande bouche, celle de l'actrice Adèle Exarchopoulos qu'elle a toujours ouverte comme l'a développé Buster sur Baloonatic, qu'elle mange, jouisse, dorme ou ne fasse rien. Elle a tout le temps cet air un peu hébété, ici et ailleurs. L'actrice est remarquable parce que cette bouche entrouverte en permanence pourrait vite être agaçante mais qu'elle est finalement touchante, attendrissante et même émouvante, quand bien même toute la symbolique derrière n'est pas des plus légère. Et puis cette bouche est ouverte sur deux incisives un peu grandes et quand Adèle sourit, elle a deux fossettes qui lui donnent un air de ressemblance avec Sandrine Bonnaire époque Pialat, ce que je trouve charmant.

Après, Adèle le personnage, c'est une autre paire de manches. Adèle va au lycée et veut devenir institutrice. Elle rencontre Emma, un peu plus âgée, qui fait les beaux-arts. Le film est le récit de leur histoire d'amour et de leur passion brusque, physique, complète. Adèle devient institutrice, Emma expose ses toiles. Adèle couche avec un collègue. Emma jette Adèle. Fin de l'histoire qui laissera des traces indélébiles. De cette histoire, Kechiche et sa scénariste Ghalya Lacroix isolent quelques moments clefs, les grandes inflexions des mouvements du cœur de la rencontre à la rupture. Je rejoins la chronique du bon Dr Orlof pour évacuer la composante homosexuelle dans le film, alors qu'elle est fondamentale dans la bande dessinée qui l'inspire : Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. Adèle cherche son identité et pas seulement sexuelle. Elle essaye un garçon, vit sa passion avec Emma, mais provoque leur séparation en couchant avec un collègue. Au final, elle reste seule mais pas sûr qu'elle se soit trouvée. Si elle participe à une gay-pride, elle y danse et crie comme nous la voyons faire plus tôt dans une manifestation politique. Est-celle impliquée, Adèle ? J'en doute. Est-elle homosexuelle ? J'en doute aussi car je la vois toujours un peu « à côté » notamment avec les amis d'Emma, aussi décalée que lors de sa première visite au bar gay.

La remarque vaut pour la composante culturelle abordée par Abdellatif Kechiche qui montre Adèle mal à l'aise avec les choses de l'art au vernissage des œuvres d'Emma (pour laquelle elle a posé) ou lors de la conversation sur les mérites comparés de Klimt et de Egon Schiele. L'influence d'Emma (présentée avec un côté Pygmalion)  ne semble pas probante pour des scène qui viennent tard dans leur relation. Pareil pour le côté professionnel. Adèle déclare sa passion pour le métier d'institutrice mais je ne l'ai pas ressenti. Avec les enfants, quand ce métier est devenu le sien, elle reste ailleurs. La première scène à l'école la voit même irritée, maladroite avec ses élèves. Mise à part la lecture du conte, elle ne dégage ni l'assurance, ni la passion que l'on a vu à ses professeurs dans les scènes de lycée du début du film. Alors Adèle ? Le réalisateur a beau nous déclarer que ce film est le portrait d'une jeune fille qui devient une jeune femme, je ne trouve pas cela évident de ce que j'ai vu sur l'écran. Adèle est ailleurs et elle le reste, un personnage un peu terne même si attachant, dépassé par la force de sa passion, une victime d'une certaine façon, et dont on se rend compte à la fin que l'on ne sait pas grand chose d'elle, qu'elle garde son mystère, un mystère que Kechiche n'a pas su ou pas voulu percer. Il y a quelque chose de décevant là-dedans, comme il n'est pas exclu que je n'ai pas compris où le réalisateur voulait en venir.

D'autant que question passion, Kechiche a mis la pédale douce. Nous sommes loin, quand même, des grandes histoires douloureuses d'un François Truffaut. Je pensais en particulier à La femme d'à côté (1981) avec ce côté irrésistible de la passion physique (Quand le personnage de Gérard Depardieu se jette sur celui de Fanny Ardant au beau milieu de la réception). Kechiche a éliminé le côté tragique de la bande dessinée ( Adèle-Clémentine meurt) tout en ayant hésité à le faire. Et ce ne sont pas les performances physiques des deux actrices qui changent la donne. Ces scènes trop commentées ne sont pas si longues que ce qui se dit et il n'y a pas non plus de quoi fouetter un chat (pauvre bête). Quand on lit sous la plume de Fabien Bauman qu'il est « encore possible de se heurter à de l'invu », on se demande dans quel monastère reculé Positif recrute ses critiques. Nous en avons vu d'autres chez Ōshima, Pasolini, Verhoeven, Rollin ou Larry Clark, voire Mickael Hers. Quand à leur utilité... Ces scènes posent juste quelques questions supplémentaires : pourquoi (comment ?) la jeune adolescente un peu fleur bleue a t-elle déjà le sexe rasé et se comporte t-elle d’entrée comme une experte en Kama-Sutra ? Où sont les maladresses des premières fois ?

Fleur bleue... oui, finalement, ce que j'ai préféré c'est paradoxalement le côté romantique très premier degré de Kechiche, premiers regards avec ralentit et musique planante, scène de drague au bar gay joliment dialoguée, premiers effleurements, premier baiser dans le parc, des scènes où passe une vraie complicité entre les actrices. Mais ce parc, cette lumière solaire dorée, ces feuillages frémissants, ce banc, ce couple sur la pelouse, c'est celui de Notting Hill (Coup de foudre à Notting Hill - 1999) la comédie romantique de Roger Michell avec Julia Roberts et Hugh Grant ! Une hypothèse : Abdellatif Kechiche a un véritable talent pour la comédie (le film a du rythme, le sens des situations, des dialogues vifs) mais il ne l'exploite pas, par manque d'intérêt pour le genre. Pas évident de raccorder cette veine aux scènes de lit acrobatiques, aux scènes d'engueulades trop jouées dans la violence. Est-ce que tout ceci ne viendrait pas de la méthode du réalisateur ? Trop de matériel accumulé, trop de pistes suivies, trop d'ellipses qui réduisent de beaux personnages secondaires à de la figuration intelligente (l'ami homosexuel, les parents, gentils mais absents..), trop de bleu systématiquement dans chaque plan, du plus joli (les yeux d'Emma, la robe de la dernière scène) au plus ridicule (la bannière France Bleu dans le parc), de jolies scènes sensibles (le premier baiser donné par Alma Jodorowsky, oui, la petite fille de Jodo) et d'autres lourdement artificielles (la dispute avec les copines devant le lycée). Et une question encore, la dernière : qu'est-ce que c'est que ce film censé se passer dans les années 2000 où l'on ne voit (quasiment ?) aucun téléphone portable dans les mains des adolescents ?

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29/10/2013

Des visages, des figures

C'est un tout petit film. Cinq minutes filmées par Chris Hilson et montées par Thom Zimny, jointes à la lettre de remerciements que Bruce Springsteen a adressé à son public à l'issue de la tournée Wrecking ball. Hilson et Zimny ont travaillé sur les films des concerts de New-York, Dublin, Barcelone et l'impressionnant London calling – Live in Hyde Park de 2010. Ils savent de façon remarquable saisir la puissance du Boss et de son E-street Band sur scène. Le principe cette fois est tout simple. Des visages le plus souvent en gros plan de spectateurs pris lors des concerts sur l’interprétation habitée, comme toujours, de Dream, baby, dream de Suicide. Des visages au cœur de l'action. Figures de femmes et d'hommes, jeunes et vieux, des enfants, des couples, un groupe d'amis, toute la palette des réactions et surtout des regards. Des regards tournés vers cet homme au charisme unique qui chante, porté par ces regards et soutenu par ce groupe de musiciens, derrière, ce groupe que l'on verra plus tard, visage après visage encore. Un homme porté par sa foi, parce que Springsteen, c'est une histoire de foi. Foi dans la musique, sa musique qui puise à toutes les racines du rock. Foi au sens religieux aussi avec cette dimension issue du christianisme et ses symboles, l'eau du baptême qui coule en ouvrant le film, la posture christique du chanteur qui s'abandonne aux bras multiples de la foule, sa façon de jouer les prédicateurs de la grande épiphanie du rock and roll, la chanson elle même, psalmodiée avec ses nappes sonore, paroles simples reprises encore et encore, et puis les chœurs gospel vers la fin. Come on dream, baby dream...

Pourtant tout ce fatras religieux n'est pas ici ni gênant, ni réducteur. Il est sincère parce que direct. Ce jeu sur le rituel est le vecteur ouvert entre l’artiste et son public et une ferveur authentique répond à l'engagement total du chanteur. Et puis, quand même, toujours cette pointe d'humour et cette simplicité désarmante. Chaque plan de ce film pourrait être démagogique ou racoleur. Pas une seconde ne l'est. Chaque portrait choisi possède sa vérité, chaque personne pèse son poids d'humanité, et quiconque a assisté à un concert de Springsteen, à quelques pisse-froids près, a certainement ressentit cette émotion qui porte et transporte. Il y a dans ces regards l'essence du rapport entre le Boss et son public, cette façon qu'il a face à des foules impressionnantes, de s'adresser à chaque individu. De la même façon, chacun de ses portraits est le notre car nous partageons intimement la même foi. Ou pour faire moins illuminé, nous partageons la même chose avec la même intensité.

Souvent, dans les films de concerts, le public est réduit à une masse mouvante en vénération. Cette fois la caméra plonge dans la foule pour extraire un fragment d'expression qui traduit l'expérience personnelle du concert. Les visages sont beaux, cet homme qui retient ses larmes (il écoute The river ?), le couple âgé dont on peut deviner l'histoire, le petit geste de la femme aux long cheveux frisottés, la petite fille un peu perdue sur les épaules de son père, la joie du jeune couple qui danse... Et nous sommes avec eux, nous faisons partie. C'est cela, les beaux concerts, les beaux films, rendent beaux ceux qui les écoutent, qui les regardent.

A la fin, les plans sur les membres du groupe les unissent aux spectateurs tandis que le Boss remonte sur scène. Puis il y a ce beau plan large sur le groupe en symbiose. Et quand vient, tout à la fin, les visages des disparus, Danny Federici et Clarence Clemmons, et que le visage du grand saxophoniste se fond avec la silhouette de Springsteen qui avance sur scène, décidément, ces cinq minutes sont ce que j'ai vu de plus fort cette année.

28/10/2013

Lou Reed (1942 - 2013)

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17/10/2013

Élégance

Mississippi Gambler (Le gentleman de la Louisiane). Un film de Rudolph Maté (1953)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Honneur aux armes - Respect au maître

Mark Fallon est un joueur professionnel dans la Louisiane du début des années 1850. Il opère sur ces splendides bateaux à aubes qui glissent, légendaires, sur le fleuve. Aristocrate d'esprit sinon de naissance, il impose une vison honnête du jeu, ce qui ne manque pas de lui attirer de solides inimitiés, mais aussi la fidèle amitié de Kansas John Polly. Fallon rencontre la belle et farouche Angélique Dureau, dont il tombe amoureux sans la savoir promise à un banquier ami d'enfance, de son frère Laurent qui va lui vouer une haine tenace, et de son père Edmond, gros propriétaire de la Nouvelle-Orléans, qui sera lui séduit par les qualités du jeune homme.

rudolph maté

Élégance, voici le maître mot de ce beau Mississippi gambler (Le gentleman de la Louisiane) que réalise Rudolph Maté en 1953. Élégance formelle, élégance des personnages et des sentiments décrits. Élégance des costumes et des maintiens, du moindre geste et du plus petit accessoire. Chaque plan du film, soigneusement composé et filmé par Irving Glassberg en un Technicolor à tomber est du velours pour les yeux. Je serais curieux de savoir comment se passait le travail entre Glassberg et Maté qui fut, avant de passer à la mise en scène, un très grand chef opérateur. Plusieurs fois oscarisé, ce qui ne veut pas forcément dire grand chose, il a travaillé pour Ernst Lubitsch, Fritz Lang, Orson Welles, Carl Dreyer, King Vidor et reste à jamais derrière les images de Rita Hayworth retirant les longs gants noirs de Gilda. Avec cela, j'ai un faible pour le cinéma de Maté dans le registre de ce que l'on appelle les petits maîtres américains des années quarante et cinquante. Des réalisateurs qui contribuent à porter les derniers feux du cinéma hollywoodien classique, le plus souvent dans le registre du cinéma de genre, film noir, western, aventures, fantastique... Ils évoluent à la frontière entre série A modeste et série B confortable. On y trouve des personnalités attachantes comme Hugo Fregonese, André de Toth, Jacques Tourneur, Joseph H. Lewis ou Allan Dwan au si bel automne de sa longue carrière. Après des années au sommet de son art de directeur de la photographie, Maté passe donc à la mise en scène avec entre autres deux superbes films noirs D.O.A. (Mort à l'arrivée – 1949) et Union station (Midi gare centrale – 1950), la science-fiction catastrophe de When worlds collides (Le choc des mondes – 1951) et quelques excellents westerns comme The violent men (Le souffle de la violence– 1955) où Barbara Stanwyck reprend son rôle de femme fatale entre Glenn Ford et Edward G. Robinson , génial en patriarche paralysé. Tous ces films ont en commun leur économie de moyens, leur efficacité, le goût des situations compliquées et tendues à l’extrême, et une beauté plastique que l'on attend forcément d'un ancien directeur de la photographie. Ce qui nous ramène à la question initiale des rapports de travail entre Maté et Glassberg. Peut être que tout simplement et en grand professionnel, Maté laissait Glassberg faire son boulot tranquille.

rudolph maté

Le résultat est là sous nos yeux éblouis. Mississippi gambler se situe à la Nouvelle-Orléans dans une Louisiane complètement idéalisé, rêvée. C'est un paysage de grandes bâtisses blanches à colonnes, de ces immeubles typiques avec balcons et frises, de majestueux bateaux à aubes glissant sur le « Old'man river » dans la clarté lunaire. Robes à crinolines, larges chapeaux, calèches aux lignes légères, fracs et hauts-de-forme, fines épées et verres de cristal, et puis encore les gants en dentelle que porte si sensuellement le personnage joué par Julia Adams. Formes, couleurs et textures sont rendus avec une infinie délicatesse. On aura beau jeu de souligner l'absence quasi totale des noirs dans cette histoire, comme de la moindre allusion à l'esclavage. Pas même l'image cliché du petit noir dansant au son d'un harmonica sur un quai. La Louisiane de Mississippi gambler est une abstraction, l'expression visuelle de cette élégance au cœur du film. Reste pourtant l’extraordinaire séquence de la danse vaudou. Les héros du film vont s'encanailler avec naturel dans le quartier créole et assistent à la performance de Gwen Verdon, chorégraphe, épouse et collaboratrice de Bob Fosse, dansant un poulet blanc à la main au milieu de mâles superbes et torses nus. Célébration païenne des corps mise en parallèle avec les sentiments réprimés du couple vedette, cette scène est un joli moment de cet érotisme suggéré mais intense dont le Hollywood encore corseté par le code Hays était capable. Avec élégance.

Le récit met en scène une succession de gestes nobles de la part de personnages mus par de nobles passions. La frère faible et la banquier lâche exceptés. Chacun réagit de façon à la fois inattendue et espérée, ainsi des délicats rapports père-fille à l'ombre de la mère disparue, ainsi l'amitié amoureuse entre Fallon et Ann Conant dont il a provoqué le suicide du frère, ainsi cette scène émouvante où Fallon vient annoncer la mort du fils au père agonisant, mort provoquée par une bagarre entre Fallon et Laurent, jaloux. A ce moment, Edmond met au dessus des liens du sang le sentiment de filiation qu'il a pour Fallon, fils de cœur qui est le véritable détenteur des valeurs de l'aristocrate. En filigrane, Mississippi gambler est le portrait de rapports sociaux idéalisés qui sous l'apparence (l'aristocratie sudiste) exaltent des valeurs typiquement américaines communes à tous : compétence (armes, jeu, décoration), courage physique et moral, accomplissement personnel. Les héros sont des hommes et des femmes libres et entreprenants. L'estime que chacun peut porter à l'autre dépasse les barrières de classe, ce qui rend passionnant le rapport entre Fallon et le père fondé sur ce respect des compétences, comme ceux entre Fallon et Kansas John Polly ou Ann Conant. Seuls comptent la droiture et le respect de la parole donnée, ce qui crée des situations dramatiquement passionnantes. L'argent est un moyen, pas une fin et Fallon sait le perdre avec une désinvolture délicieuse.

rudolph maté

Pour porter cette noblesse de sentiments, il fallait une distribution de grande classe. Elle l'est. Tyrone Power est le héros parfait dans la lignée de ses compositions en capitaine de Castille, en pirate du Black Swan (Le cygne noir – 1942), capitaine King ou Zorro (détail amusant, il croise dans ce film un second rôle joué par Guy Williams qui sera le fameux Zorro de Disney pour la série télévisée). Il est encadré d'un duo de charme, Piper Laurie piquante façon Scarlett O'Hara en Angélique Dureau, et la délicieuse et délicate Julia Adams personnifiant Ann Conant dont j'ai déjà évoqué toute la sensualité qu'elle a à porter des gants arachnéens. Le reste de la distribution est tout simplement parfait, de John McIntire, pour une fois dans un rôle très sympathique, lui qui fut un si beau salaud pour Anthony Mann, à Paul Cavanagh qui prête sa distinction à Edmond Dureau. Enveloppé de la partition enlevée de Franck Skinner, Mississippi gambler est une manière de chef d’œuvre, l'élégance sur pellicule.

Le DVD

Photographies : © Universal

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05/10/2013

Jour de colère

A day of fury (24 heures de terreur). Un film de Harmon Jones (1956)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Patrick Brion ouvre son introduction à A day of fury (24 heures de terreur) dans l'édition Sidonis, par une remarque qui m'a fait grand plaisir. « On me reproche », dit-il en substance, « mon enthousiasme pour les séries B oubliées. Mais regardez la première scène du film de Harmon Jones ! ». Merci monsieur Brion, vous à qui je dois une large part de mon éducation de cinéphile. C'est vrai qu'elle est belle cette première scène de Harmon Jones et que ce modeste western de série B est estimable en tout points et vaut bien des œuvres dont la renommée a mieux traversé les vents du temps.

harmon jones

Efficacité, goût plastique, sens de l'espace et du suspense, simplicité, cette première scène s'organise autour d'un décor de roches encaissées et d'une cascade. Un cavalier, puis un autre en sens inverse. Une embuscade. Le premier cavalier sauve la mise au second en abattant son adversaire à travers sa veste. Quasiment aucun dialogue, mais une situation forte aux retournements surprenants et des regards qui créent le mystère. Le premier cavalier répond au curieux nom de Jagade (Titre alternatif du film aux USA). Un carton introductif nous a parlé des hommes de l'Ouest vivant par le colt et que la civilisation a repoussé toujours plus loin. C'est un des grands thèmes du western que l'on retrouvera de John Ford à Sergio Leone. Jagade est l'un de ces hommes et s'il est là, ce n'est pas par hasard. Face à lui, Allan Burnett est un marshal, grand, droit et intègre. Il doit se marier dans la journée mais comme il fait bien son boulot il était partit traquer un truand avant. Très vite se nouent les fils du drame : la promise, la belle Sharman Fulton, est l'ex-maîtresse de Jagade. Et ce dernier, en sauvant le marshal, en fait son obligé. Débarquant dans la petite ville bien nommée de West-End, Jagade entend régler un compte obscur en bouleversant sa tranquillité. On pense par moments au principe de High plains drifter (L'homme des hautes plaines – 1973) de Clint Eastwood. L'union de l'homme de la loi et de l'ancienne fille de saloon est symbolique de l'évolution de la cité : de l'Ouest sauvage et libre à la civilisation policée mais refoulée et hypocrite. Jagade va faire éclater ce mince vernis. Du coup la confrontation avec Burnett est inévitable.

Le scénario de James Edmiston (c'est son premier) et Oscar Brodney (vieux routier hollywoodien qui a signé l’adaptation pour l'écran de Harvey (1950) avec James Stewart et son lapin) développe cette situation séduisante avec brio et la mise en scène de Harmon Jones l’orchestre de main de (petit) maître. Le film multiplie les confrontations et les coups de théâtre, faisant varier avec subtilité les rapports de force jusqu'au règlement de comptes final. Sa force, c'est une belle galerie de personnages dont les évolutions sont assez travaillées pour les rendre attachants. Du moins intrigants. Ainsi le prêtre qui va prendre la tête dune bande de lyncheurs avant de prendre conscience qu'il a renié les préceptes de sa foi et va se ressaisir de belle façon. Ainsi l'institutrice à la fois fascinée et répugnée par les manières de Jagade au point d'en perdre la raison. Ainsi ce jeune garçon impulsif qui admire trop le pistolero et fera les frais de n'avoir pas compris qu'il n'était qu'un pion dans son jeu.

harmon jones

C'est toute la ville qui est prise dans ce jeu et Harmon Jones a l'intelligence de ne pas en révéler toutes les motivations. Quel est ce fameux compte que Jagade a à régler avec West-End ? Domine-t'il vraiment Sharman quand il arrive à lui faire remettre sa belle robe rouge, emblème de son passé ? Le réalisateur cultive l’ambiguïté et focalise sur l'affrontement entre Jagade et Burnett qui cristallise les choix de tout le monde. Il y a ceux qui apprécient le vent de liberté que fait souffler l'homme de l'Ouest sur la ville, cette ville où l'on s'ennuie car le saloon est fermé le dimanche et les filles ont été chassées de la ville. Il y a ceux qui sont prêt à tout pour conserver cette tranquillité au prix d'un ordre moral étouffant. Et il y a ceux qui voient voler en éclat leurs arrangements de bons bourgeois aimant à s'encanailler (ou à trafiquer) sous une façade respectable. Ce ne sont pas les moins dangereux. Mais ils sont une arme pour Jagade qui est bien renseigné sur les turpitudes des uns et des autres. Joueur d'échecs chevronné, il manipule au point que l'on ne sait plus que penser de lui. Fin psychologue, il sait faire ressortir les pulsions les plus personnelles de chacun : le désir refoulé de l’institutrice, les doutes du prêtre, la violence du jeune Billy. La force du marshal, c'est de conserver la tête froide au milieu de toutes ces passions libérées, lui qui semble bien étranger à ce panier de crabes et le seul à posséder une intégrité véritable.

Efficace, Harmon Jones arrive à concilier ce minimum psychologique à la rapidité de la série B et à l'action inhérente au genre. Il limite les décors à quelques lieux clefs (Le saloon, l'église, la grange), à l'exception de la première scène. Il orchestre les mouvements d'un lieu à l'autre, accompagnant les mouvements des personnages ou de la foule, chacun de ces mouvements correspondant à une nouvelle montée dramatique. Harmon offre de belles scènes, inventives au niveau visuel comme la découverte impressionnante du corps pendu dans la grange où celle qui voit Billy chassé du saloon pour aller à sa perte. La photographie de Ellis W. Carter qui a beaucoup travaillé pour le cinéma de genre, en particulier le fantastique, est soignée sur les scènes nocturnes. Il y a de belles compositions avec un sens de l'espace remarquable (la première scène, le duel final) fonctionnant sur les différences de niveaux et les oppositions géographiques (l'église est quasiment face au saloon). Utilisation poétique de la couleur aussi avec cette fameuse robe rouge, une manière qui fait penser un peu à la façon de faire dans le Johnny Guitar (1953) de Nicholas Ray. L’interprétation est à la hauteur même s'il n'y a pas de vedette d'envergure. Elle est dominée par Dale Robertson en Jagade, veste de peau et regard intense, opposé à la stature massive de Jock Mahoney en Burnett. Mahoney, cascadeur fameux, sera plus tard un aimable Tarzan. Ici, il est parfait de présence et de force tranquille. Le duo fonctionne parfaitement avec entre eux la belle Mara Corday, héroïne du Tarantula (1955) de Jack Arnold, croisée chez King Vidor dans le superbe Man without a star (L'homme qui n'a pas d'étoile – 1955) avant de terminer sa carrière pour Clint Eastwood. Mara Corday donne la profondeur nécessaire à son personnage avec beaucoup de classe. La robe rouge, quoi ! Les seconds rôles sont impeccables, en particulier John Dehner dans le rôle du prêtre tenté par la violence, Sheila Bromley en tenancière entre deux âges dont les joues reprennent un peu de rouge avec la venue de Jagade, et Dee Carroll dans le rôle difficile mais original de institutrice Miss Simmons. Coïncidence, elle a un tout petit rôle dans Tarantula.

Anti-héros fascinant annonçant tant le western dit moderne que le western italien, Jagade incarne le vieil Ouest, violent mais vivant, qui doit une nouvelle fois, la dernière, s'effacer devant la marche de la civilisation. A day of fury est une œuvre à découvrir, jolie pièce d'une collection Sidonis de plus en plus impressionnante pour les amateurs du genre. Et comme le dit Patrick Brion, ce n'est juste un caprice de vieux cinéphile.

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Photographies DR Universal

19:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harmon jones |  Facebook |  Imprimer | |

03/10/2013

1958 en 10 (autres) films

1959 est bientôt là et Zoom Arrière vient de fêter son premier anniversaire. Voici néanmoins et pour votre plus grand plaisir (j'espère), dix autres films de 1958 qui s'est vu dominer par d'indéniables chefs d’œuvre signés Welles, Sirk, Mann, Walsh, Bergman et quelques autres. Belle année de cinéma encore, qui a vu également Sinbad ferrailler avec le squelette animé par Ray Harryhausen, un ascenseur récalcitrant sur un air de Miles Davis, les vikings comme si vous y étiez, Gene Kelly dans le monde de la mode, un inédit fort sensuel de Bergman, Moïse ouvrant la mer rouge, une partie de pêche mémorable, le retour du baron chirurgien sous les traits de l'élégant Peter Cushing, Robert Mitchum traquant le sous-marin teuton (dans un autre film la même année, c'est Clark Gable qui est dessous), et Glenn Ford en éleveur de moutons habile au six-coups. Photographies DR piquées un peu partout.

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