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20/10/2014

Une lettre

"Dorénavant, tu devras chausser mes éperons et ce ne sera pas toujours drôle. Essaye pourtant de retrouver un peu de ces rêves qui nous habitaient, nous autres, de l'’ancienne génération. Même si tu t'’en moques avec ta fantaisie habituelle, nous t'’en serons reconnaissants. Au fond, on était des sentimentaux.

En ce temps, l’'Ouest était désert, immense, sans frontières. On croyait tout résoudre, face à face, d’'un coup de révolver, on n'’y rencontrait jamais deux fois la même personne. Et puis, tu es arrivé. Il est devenu petit, grouillant, encombré de gens qui ne peuvent plus s'’éviter.

Mais si tu peux encore te promener en attrapant des mouches, c’'est parce qu'’il y a eu des hommes comme moi, des ’hommes qui finissent dans les livres d’histoire, pour inspirer ceux qui ont « besoin de croire en quelque chose », comme tu dis. Dépêche-toi de t'’amuser, parce que ça ne durera plus bien longtemps. Le pays s’est développé et il a changé. Je ne le reconnais plus. Je m'’y sens déjà étranger. Le pire, c’est que même la violence a changé. Elle s’'est organisée. Un coup de révolver ne suffit plus, mais tu le sais déjà, car c’est ton siècle, ce n’est plus le mien.

À propos, j’ai trouvé la morale de la fable que ton grand-père racontait, celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud et que le coyote a sorti et croqué. C'’est la morale des temps nouveaux. Ceux qui te mettent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur, et ceux qui t'’en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur. Mais surtout ceci : quand tu es dans la merde, tais-toi."

tonino valérii

Capture DVD Studio Canal

18/12/2013

Le prix du pouvoir

Il prezzo del potere (Texas) – Un film de Tonino Valerii – 1969

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Amicalement dédié à Marie-Thé et Tzvetan

Giuliano Gemma est mort le 1er octobre 2013 dans un bête accident de voiture, lui qui avait tourné l'impressionnante scène de poursuite de Un uomo da rispettare (1972) sous la direction de Michele Lupo, huit minutes au compteur. Il était toujours fringuant à 75 ans, lui le cascadeur, l'athlète, le héros bondissant des peplums, des westerns, des polars, des comédies décontractées pas toujours très fines des années 70, grave à l'occasion, intense même, pour Valério Zurlini, Dario Argento ou Duccio Tessari dans Il ritorno di Ringo (Le retour de Ringo – 1965) qui s'inspire du retour d'Ulysse pour une parfaite jonction entre peplum et western. Un film que j'ai fait découvrir à ma fille pour rendre hommage à l'acteur et me faire plaisir, car le plaisir est au centre de son travail de comédien et de son statut de vedette. Et puis il y a Il prezzo del potere (Texas), revu à l'occasion de la belle édition Artus qui nous offre enfin la version intégrale d'une œuvre méconnue, un film signé Tonino Valérii en 1969, grande époque du western all'italiana. Valerii est un réalisateur intéressant qui a eu bien du mal à sortir de l'ombre de son mentor Sergio Leone dont il fut l'assistant, et en particulier de leur collaboration sur Il mio nome e nessuno (Mon nom est personne – 1973). Pour ce film, Leone fut co-scénariste et producteur, assurant la réalisation de quelques scènes, et fini par s'attribuer la paternité de son énorme succès. C'est assez injuste car à l'époque, Valérii est déjà un réalisateur confirmé et ses westerns précédents sont d'excellente facture comme I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère - 1967) également avec Giuliano Gemma et donc Il prezzo del potere.

tonino valérii,giuliano gemma

Ce film qui nous intéresse ici se présente comme une variation western de l'assassinat de Kennedy, abattu comme chacun sait d'une balle dans la tête à Dallas en 1963. L’événement à marqué les esprits et donné lieu à de multiples déclinaisons. Pour s'en tenir au western, Jean-Michel Charlier et Jean Giraud plongent leur héros Blueberry dans un complot destiné à assassiner le président Grant dans une série magistrale d'albums de bandes dessinées entre 1973 et 1975. J'aime à penser que Charlier connaissait le film de Valérii. Les scénaristes Massimo Patrizi et Ernesto Gastaldi écrivent une histoire autour de la visite à Dallas du président James Garfield (le véritable Garfield fut assassiné à Washington en 1881) et sans doute sous l'influence de l'enquête menée par Jim Garrison en 1968, développent la thèse d'une vaste conspiration. Successeur de Lincoln, Garfield arrive dans un Sud où les plaies de la guerre de sécession sont encore vives et le racisme toujours la règle. Garfield prône la réconciliation et vient défendre ses idées chez ses adversaires. Dans les rues de Dallas, on brûle son portrait tandis que nombre de notables préparent son assassinat. L'ampleur et les ramification du complot, nous allons les découvrir à travers le personnage de Bill Willer qui cherche à venger son père tué parce qu'il en avait trop appris. Le film distille ses révélations avec un sens consommé du suspense, orchestrant un ballet de personnages bien campés : l'ami noir destiné à porter la responsabilité du meurtre, McDonald le chargé de la protection du président, la femme du président, démarquage évident de Jackie Kennedy, l’ambigu vice-président, le shérif de Dallas qui révèle très vite son double jeu, le journaliste paralysé et courageux, ainsi que quelques figures propres au genre.

tonino valérii,giuliano gemma

La mise en scène de Valerii joue beaucoup sur la dissimulation et les faux-semblants : faux suicide, faux coupable, faux amis et faux-culs se succèdent à l'écran au point que l'on finit par douter de tout le monde, sauf de l'intègre Willer. Le réalisateur restitue bien à travers ce film de genre le sentiment de paranoïa d'une époque, sentiment que l'ont peut rapprocher tant de la situation des États-Unis que de l'Italie à la fin des années 60, avec le même genre de manipulations et une importante violence politique. Mais film de genre d'abord, Valérii offre avant tout un western de belle facture, qui a eu des moyens mais sans excès (Je me suis souvent demandé pourquoi l'escorte présidentielle était si maigre, pas un soldat en vue). La photographie de Stelvio Massi est une réussite avec quelques beaux effets dans l'obscurité, le Techniscope est travaillé sur soute sa surface, jouant comme dans les œuvres majeures du genre sur la profondeur de champ, les gros plans et de larges débrayages d'espace. Valérii a retenu les leçon de son mentor. Il construit également de belles scènes très découpées de pur suspense, n'hésitant pas à leur sacrifier la crédibilité du récit. Autant l’attentat contre Garfield est un modèle de mise en scène mise au service de la narration, autant il est difficile d'avaler la façon dont Willer met en scène ses deux duels tarabiscotés avec le shérif Jefferson. L'attitude de notre héros est tellement inconséquente, compte tenu des circonstances, que les scènes n'ont aucune crédibilité comparées aux grands duels vus chez Leone ou Corbucci. Mais pour elles-mêmes, en terme visuels et d'intensité, ce sont des réussites. On peut les rapprocher du duel totalement gratuit de I giorni dell'ira où le personnage de Lee Van Cleef affronte un tueur, chacun armé d'un antique fusil qui se charge par la gueule avec poudre et baguette, le tout monté sur un cheval lancé au galop. C'est complètement idiot, mais inoubliable. Je note que ce tueur est joué par le même acteur que le shérif, Benito Stefanelli, célèbre maître d'armes et cascadeur aux moustaches et au regard inoubliable.

tonino valérii,giuliano gemma

Il prezzo del potere est ainsi un mélange détonnant de rigueur et d'incongru, un peu inégal mais passionnant, puisant dans l'Histoire tout en prenant avec elle de sacrées libertés. Le film est constamment tendu entre sa volonté de sérieux (les nombreux éléments provenant de l'affaire Kennedy, le discours sur le racisme, le sous-texte européen), ses accents tragiques magnifiés par la partition assez sublime de Luis Enriquez Bacalov, et son essence de western italien d'un baroque fantaisiste assumé. Le film se donne alors tout entier à l'aventure la plus pure, au plaisir feuilletonesque de faire valser son héros de Charybde en Scylla, le rattachant une fois de plus au peplum et à toute une mythologie latine. Willer, idéalement incarné par Gemma, le regard droit, l'allure décidée, encaisse les coups-fourrés, la mort de ses proches, les soupçons de ceux qui pourraient l'aider, sans dévier d'un pouce de son désir de vengeance et de justice. Sans négliger non plus de nous gratifier de quelques sauts périlleux dont il a le secret. Il en est presque décalé au sein d'une distribution brillante qui a assez d'espace pour donner vie à la riche galerie de personnages. Outre Benito Stefanelli, on apprécie la classe de Fernando Rey, l'élégance suspecte de Josè Suarez que l'on a croisé en personnage tragique chez Ferdinando Baldi et Enzo G. Castellari, Antonio Casas vu chez Leone, Corbucci et Luis Bunuel, Frank Braña, Joaquin Parra et l'inévitable Lorenzo Robledo en hommes de main parfaits, l'acteur new-yorkais Ray Saunders qui trouvera ses rôles les plus intéressants en Italie, Manuel Zarzo et Paco Sanz (formidablement dingue dans Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux – 1967) de Giulio Questi) en journalistes aux côtés de Willer, et le rigide Warren Wanders en homme de confiance du président. Pour ce dernier, Valérii bénéficie d'une pointure hollywoodienne en la personne de Van Johnson venu comme tant d'autres chercher un peu d'air dans le cinéma de genre européen au cours des difficiles années soixante. Les femmes sont peut présentes, mais María Cuadra en épouse présidentielle et la belle Norma Jordan vêtue d’étoiles, chantant devant la bannière américaine, arrivent à exister.

Au final, Il prezzo del potere est une œuvre majeure du genre sans être forcément un chef d'oeuvre. C'est une belle démonstration de cette façon originale d'investir de façon décontractée les codes typiquement américains pour créer un style unique, en propre, tout en étant complètement en prise avec son époque. Le film agacera sans doute les puristes, réjouira les autres, à commencer par celles et ceux qui aimaient et aimeront toujours voir bondir le beau Giuliano, éternel chevalier au six-coups en quête de vérité et de justice, et de vengeance.

Le DVD

A lire :

Le texte enthousiaste de Tepepa

Sur Mondo 70

Les infos très complètes du site Spaghetti Western (source des photographies d’exploitation).

24/09/2013

Mani in alto !

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Lee Van Cleef et Giuliano Gemma sur le plateau de I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère - 1967) de Tonino Valérii. Un western all'italiana hautement recommandable. Photographie Cinémabazaar.

11/11/2005

Personne et Fleurs Brisées

Deux films vus récemment m'ont surpris par la similitude de leur dispositif alors qu'ils n'avaient à priori pas grand chose en commun. C'est pourtant tout à fait par hasard que j'ai vu dans la foulée Broken Flowers de Jim Jarmush et Il mio nome é nessuno (Mon Nom est Personne - 1973) de Tonino Valerii sur lequel plane la forte personnalité de Sergio Léone.

Dans le premier film, Bill Murray joue Don Johnston, variation désabusée de Don Juan apprenant qu'il aurait eu un fils d'une ancienne conquête et partant à sa recherche sous l'impulsion de son voisin. Dans le second, Henry Fonda joue Jack Beauregard, tueur légendaire croisant le chemin de Personne (Terence Hill) admirateur encombrant qui l'oblige à affronter le gang de la horde sauvage.

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Mais que voit-on en fait ? Un homme vieillissant au lourd passé, las de tout, qui cherche à échapper à la fiction dans laquelle on veut le plonger. Toute l'aventure de Don Johnson est mise en scène par Winston (Jeffrey Wright) qui, à partir de la lettre (qu'il a très bien pu écrire) organise le voyage initiatique de son voisin : il lui loue la voiture et les chambres d'hôtel, lui fait les recherches nécessaires pour retrouver les quatre femmes qui seront les quatre histoires du film, repère les lieux sur Internet, compose la distribution féminine et lui propose une bande son qui sera celle du film. En bon assistant, c'est même lui qui fait le café.

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De même, Jack Beauregard, sur le point de se retirer de l'Ouest et du Western, se retrouve sollicité par Personne qui ne recule devant aucune combinaison, aucun coup tordu, pour provoquer le conflit entre son idole et la horde, dans une mise en scène finale qu'il aura soigneusement réglée du haut de sa locomotive. Personne convoque la figuration, soigne les accessoires et la mise en scène dans l'immense plaine. Il filme la Légende. 

Régulièrement, Don Johnson appelle Winston pour lui dire que non, décidément, il arrête, il rentre, il ne veut plus continuer. Régulièrement le visage minéral et boudeur de Bill Murray signifie sa résistance à la fiction qui lui est proposée, un regard qui n'est pas loin, parfois de s'adresser au spectateur. Il faut le voir se réveiller, la main de Sharon Stone sur le visage et cet air las, si las qui lui va si bien. Beauregard lui aussi ne cesse d'essayer de se défiler, s'accrochant à son idée fixe de prendre le bateau pour l'Europe. Moins résigné, il affronte plus directement son metteur en scène comme lors de la scène du cimetière ou celle du billard. Il menace. Non et non dit-il plusieurs fois. Il tente, comme le western américain a tenté de le faire avec le western italien, de prendre les choses par le mépris. Peine perdue. Personne s'accroche.

Au final, nos deux non-héros acceptent la fiction. Don Johnson pense avoir trouvé un fils et impose cette fiction à un jeune homme énigmatique tandis que Jack Beauregard affronte la horde avant de se plier à une ultime mise en scène pour avoir le droit, enfin, de sortir du plateau. La morale de la fable du petit oiseau pourrait sans problème s'appliquer aux deux couples Johnson/Winston et Beauregard/Personne.

Pour finir et sans lien avec tout ceci, une photographie de ma scène favorite du film de Jarmush. C'est pour ces moments là que j'aime son cinéma :

 

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Photographies : capture DVD Canal+ et droits réservés