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11/11/2005

Personne et Fleurs Brisées

Deux films vus récemment m'ont surpris par la similitude de leur dispositif alors qu'ils n'avaient à priori pas grand chose en commun. C'est pourtant tout à fait par hasard que j'ai vu dans la foulée Broken Flowers de Jim Jarmush et Il mio nome é nessuno (Mon Nom est Personne - 1973) de Tonino Valerii sur lequel plane la forte personnalité de Sergio Léone.

Dans le premier film, Bill Murray joue Don Johnston, variation désabusée de Don Juan apprenant qu'il aurait eu un fils d'une ancienne conquête et partant à sa recherche sous l'impulsion de son voisin. Dans le second, Henry Fonda joue Jack Beauregard, tueur légendaire croisant le chemin de Personne (Terence Hill) admirateur encombrant qui l'oblige à affronter le gang de la horde sauvage.

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Mais que voit-on en fait ? Un homme vieillissant au lourd passé, las de tout, qui cherche à échapper à la fiction dans laquelle on veut le plonger. Toute l'aventure de Don Johnson est mise en scène par Winston (Jeffrey Wright) qui, à partir de la lettre (qu'il a très bien pu écrire) organise le voyage initiatique de son voisin : il lui loue la voiture et les chambres d'hôtel, lui fait les recherches nécessaires pour retrouver les quatre femmes qui seront les quatre histoires du film, repère les lieux sur Internet, compose la distribution féminine et lui propose une bande son qui sera celle du film. En bon assistant, c'est même lui qui fait le café.

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De même, Jack Beauregard, sur le point de se retirer de l'Ouest et du Western, se retrouve sollicité par Personne qui ne recule devant aucune combinaison, aucun coup tordu, pour provoquer le conflit entre son idole et la horde, dans une mise en scène finale qu'il aura soigneusement réglée du haut de sa locomotive. Personne convoque la figuration, soigne les accessoires et la mise en scène dans l'immense plaine. Il filme la Légende. 

Régulièrement, Don Johnson appelle Winston pour lui dire que non, décidément, il arrête, il rentre, il ne veut plus continuer. Régulièrement le visage minéral et boudeur de Bill Murray signifie sa résistance à la fiction qui lui est proposée, un regard qui n'est pas loin, parfois de s'adresser au spectateur. Il faut le voir se réveiller, la main de Sharon Stone sur le visage et cet air las, si las qui lui va si bien. Beauregard lui aussi ne cesse d'essayer de se défiler, s'accrochant à son idée fixe de prendre le bateau pour l'Europe. Moins résigné, il affronte plus directement son metteur en scène comme lors de la scène du cimetière ou celle du billard. Il menace. Non et non dit-il plusieurs fois. Il tente, comme le western américain a tenté de le faire avec le western italien, de prendre les choses par le mépris. Peine perdue. Personne s'accroche.

Au final, nos deux non-héros acceptent la fiction. Don Johnson pense avoir trouvé un fils et impose cette fiction à un jeune homme énigmatique tandis que Jack Beauregard affronte la horde avant de se plier à une ultime mise en scène pour avoir le droit, enfin, de sortir du plateau. La morale de la fable du petit oiseau pourrait sans problème s'appliquer aux deux couples Johnson/Winston et Beauregard/Personne.

Pour finir et sans lien avec tout ceci, une photographie de ma scène favorite du film de Jarmush. C'est pour ces moments là que j'aime son cinéma :

 

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Photographies : capture DVD Canal+ et droits réservés 

Commentaires

Je n'ai pas vu "Mon nom est personne" mais la comparaison entre les deux films me semblent intéressantes si le film de Valéri ressemble vraiment à ceux de Léone.
A mon avis, le cinéma de Jarmusch commence où les films de Léone se terminent et en remonte le cours.
Léone (et peut-être Valeri) est un "ciné-fils" qui constate la mort d'un genre (le western) et lui offre une sépulture totalement formaliste (ce que Daney appellait le cinéma maniériste).
Jarmusch arrive après la mort du genre. Comme Wenders, il s'interroge sur la possibilité de raconter encore des histoires. Il n'a plus rien à transmettre. C'est la génération des éternels ados incapables de devenir pères et de transmettre à leur tour. Bill Murray va donc repartir en quête d'un hypothétique fils, de sa propre histoire (j'aime beaucoup ce voisin qui, effectivement, est le déclencheur de la fiction). Quête vouée à l'échec (la forme du film qui se résume à une succession de sketches qui ne fera jamais récit) mais c'est ce qui donne sa beauté mélancolique et désabusée à "Broken flowers".
Jarmusch avait tenté de revenir au genre dans le sublime "Dead man" (son chef-d'oeuvre en ce qui me concerne) où la mort était d'emblée présente dans le corps du récit (sous la forme d'une balle dans la poitrine de J.Depp) mais qui rejouait le récit mythique (en revenant aux origines des légendes indiennes et de la poésie de Blake) en le renouvellant.
Depuis "Coffee and cigarettes", Jarmusch semble revenu à une certaine désillusion quant à la possibilité pour le cinéma de faire récit...

Écrit par : Pierrot | 12/11/2005

Tonino Valerii a longtemps été l'assistant de Léone et le film est à la base un de ses projet. "Mon Nom Est Personne" porte son empeinte même si Valerii avait déjà exploré les rapports pére-fils et western américain-western iatlien dans Le Dernier Jour de la Colère.
Je suis d'accord avec votre analyse du cinéma de Jarmush, moins sur celle de Léone qui était quand même un sacré raconteur d'histoires. Lui comme ses scénaristes avaient, je crois, ce désir de raconter ces histoires autrement. Et puis il y avait ce côté italien, cette culture, ce passé qu'ils ont su utiliser : Homère, Dante, le récit picaresque, la Comédia dell'arte... Et puis aussi l'ambiance de ces années 60 avec une lecture politique des évènements. Pour se limiter à Léone, "Il Etait Une Fois Dans L'Ouest" est non seulement une réflexion sur le western mais aussi une méditation sur la marche de l'Histoire et un portrait cruel du capitalisme moderne.

Écrit par : vincent | 21/11/2005

Je me suis mal exprimé car j'aime énormément "Il était une fois dans l'Ouest". D'accord avec vous pour dire qu'il s'agit d'une réflexion sur le western, mais une réflexion sur les archétypes du genre. Léone arrive à un moment où le genre se meurt et en prend acte.
C'est moins la narration qui compte chez lui que la dilatation du temps et le jeu avec les formes qui lui permettent, effectivement, de dire des choses sur le devenir du monde moderne.
Le terme "maniériste" n'est pas péjoratif pour moi. Il caractérise cette génération de cinéastes (Peckinpah, De Palma...) qui arrivent "après" (après Ford, après Hitchcock, après les "classiques") et qui ne peuvent plus, au vue des évolutions sociologiques et économiques du cinéma, refaire un policier ou un western comme avant. Ils jouent alors sur la forme, entre hommage et réinvention de la mise en scène. Ce cinéma est très beau et possède à la fois une certaine ironie et une grande force mélancolique.

Écrit par : Pierrot | 21/11/2005

"Manièriste" n'est pas un terme péjoratif pour moi non plus. Hitchcock était manièriste à sa façon et le Ford de "Dieu est Mort" ou "le Mouchard" l'est aussi.
Je suis aussi d'accord sur le style de Léone, ce style qui l'a fait connaître et qui a fait sa gloire. Mais plus j'apprends de choses sur lui et moins je suis persuadé que la narration comptait moins pour lui. Il a toujours beaucoup travaillé ses histoires et, au fur et à mesure des films, il a essayé de faire passer des choses très personnelles sur le fond, autant que sur la forme. Il n'y a qu'à voir ses relations avec les scénaristes, souvent nombreux et talentueux. Il m'apparaît autant un conteur qu'un génie de la caméra. Peckinpah pareil.
Pour De Palma ou Tarantino, là oui, on sent bien que leurs histoires ne sont que des intrigues au service d'une forme.

Écrit par : vincent | 23/11/2005

Comparaison vraiment très intéressante.

Écrit par : tepepa | 02/08/2006

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