« A la campagne | Page d'accueil | Fritz Lang par William Friedkin »
18/12/2013
Le prix du pouvoir
Il prezzo del potere (Texas) – Un film de Tonino Valerii – 1969
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Amicalement dédié à Marie-Thé et Tzvetan
Giuliano Gemma est mort le 1er octobre 2013 dans un bête accident de voiture, lui qui avait tourné l'impressionnante scène de poursuite de Un uomo da rispettare (1972) sous la direction de Michele Lupo, huit minutes au compteur. Il était toujours fringuant à 75 ans, lui le cascadeur, l'athlète, le héros bondissant des peplums, des westerns, des polars, des comédies décontractées pas toujours très fines des années 70, grave à l'occasion, intense même, pour Valério Zurlini, Dario Argento ou Duccio Tessari dans Il ritorno di Ringo (Le retour de Ringo – 1965) qui s'inspire du retour d'Ulysse pour une parfaite jonction entre peplum et western. Un film que j'ai fait découvrir à ma fille pour rendre hommage à l'acteur et me faire plaisir, car le plaisir est au centre de son travail de comédien et de son statut de vedette. Et puis il y a Il prezzo del potere (Texas), revu à l'occasion de la belle édition Artus qui nous offre enfin la version intégrale d'une œuvre méconnue, un film signé Tonino Valérii en 1969, grande époque du western all'italiana. Valerii est un réalisateur intéressant qui a eu bien du mal à sortir de l'ombre de son mentor Sergio Leone dont il fut l'assistant, et en particulier de leur collaboration sur Il mio nome e nessuno (Mon nom est personne – 1973). Pour ce film, Leone fut co-scénariste et producteur, assurant la réalisation de quelques scènes, et fini par s'attribuer la paternité de son énorme succès. C'est assez injuste car à l'époque, Valérii est déjà un réalisateur confirmé et ses westerns précédents sont d'excellente facture comme I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère - 1967) également avec Giuliano Gemma et donc Il prezzo del potere.
Ce film qui nous intéresse ici se présente comme une variation western de l'assassinat de Kennedy, abattu comme chacun sait d'une balle dans la tête à Dallas en 1963. L’événement à marqué les esprits et donné lieu à de multiples déclinaisons. Pour s'en tenir au western, Jean-Michel Charlier et Jean Giraud plongent leur héros Blueberry dans un complot destiné à assassiner le président Grant dans une série magistrale d'albums de bandes dessinées entre 1973 et 1975. J'aime à penser que Charlier connaissait le film de Valérii. Les scénaristes Massimo Patrizi et Ernesto Gastaldi écrivent une histoire autour de la visite à Dallas du président James Garfield (le véritable Garfield fut assassiné à Washington en 1881) et sans doute sous l'influence de l'enquête menée par Jim Garrison en 1968, développent la thèse d'une vaste conspiration. Successeur de Lincoln, Garfield arrive dans un Sud où les plaies de la guerre de sécession sont encore vives et le racisme toujours la règle. Garfield prône la réconciliation et vient défendre ses idées chez ses adversaires. Dans les rues de Dallas, on brûle son portrait tandis que nombre de notables préparent son assassinat. L'ampleur et les ramification du complot, nous allons les découvrir à travers le personnage de Bill Willer qui cherche à venger son père tué parce qu'il en avait trop appris. Le film distille ses révélations avec un sens consommé du suspense, orchestrant un ballet de personnages bien campés : l'ami noir destiné à porter la responsabilité du meurtre, McDonald le chargé de la protection du président, la femme du président, démarquage évident de Jackie Kennedy, l’ambigu vice-président, le shérif de Dallas qui révèle très vite son double jeu, le journaliste paralysé et courageux, ainsi que quelques figures propres au genre.
La mise en scène de Valerii joue beaucoup sur la dissimulation et les faux-semblants : faux suicide, faux coupable, faux amis et faux-culs se succèdent à l'écran au point que l'on finit par douter de tout le monde, sauf de l'intègre Willer. Le réalisateur restitue bien à travers ce film de genre le sentiment de paranoïa d'une époque, sentiment que l'ont peut rapprocher tant de la situation des États-Unis que de l'Italie à la fin des années 60, avec le même genre de manipulations et une importante violence politique. Mais film de genre d'abord, Valérii offre avant tout un western de belle facture, qui a eu des moyens mais sans excès (Je me suis souvent demandé pourquoi l'escorte présidentielle était si maigre, pas un soldat en vue). La photographie de Stelvio Massi est une réussite avec quelques beaux effets dans l'obscurité, le Techniscope est travaillé sur soute sa surface, jouant comme dans les œuvres majeures du genre sur la profondeur de champ, les gros plans et de larges débrayages d'espace. Valérii a retenu les leçon de son mentor. Il construit également de belles scènes très découpées de pur suspense, n'hésitant pas à leur sacrifier la crédibilité du récit. Autant l’attentat contre Garfield est un modèle de mise en scène mise au service de la narration, autant il est difficile d'avaler la façon dont Willer met en scène ses deux duels tarabiscotés avec le shérif Jefferson. L'attitude de notre héros est tellement inconséquente, compte tenu des circonstances, que les scènes n'ont aucune crédibilité comparées aux grands duels vus chez Leone ou Corbucci. Mais pour elles-mêmes, en terme visuels et d'intensité, ce sont des réussites. On peut les rapprocher du duel totalement gratuit de I giorni dell'ira où le personnage de Lee Van Cleef affronte un tueur, chacun armé d'un antique fusil qui se charge par la gueule avec poudre et baguette, le tout monté sur un cheval lancé au galop. C'est complètement idiot, mais inoubliable. Je note que ce tueur est joué par le même acteur que le shérif, Benito Stefanelli, célèbre maître d'armes et cascadeur aux moustaches et au regard inoubliable.
Il prezzo del potere est ainsi un mélange détonnant de rigueur et d'incongru, un peu inégal mais passionnant, puisant dans l'Histoire tout en prenant avec elle de sacrées libertés. Le film est constamment tendu entre sa volonté de sérieux (les nombreux éléments provenant de l'affaire Kennedy, le discours sur le racisme, le sous-texte européen), ses accents tragiques magnifiés par la partition assez sublime de Luis Enriquez Bacalov, et son essence de western italien d'un baroque fantaisiste assumé. Le film se donne alors tout entier à l'aventure la plus pure, au plaisir feuilletonesque de faire valser son héros de Charybde en Scylla, le rattachant une fois de plus au peplum et à toute une mythologie latine. Willer, idéalement incarné par Gemma, le regard droit, l'allure décidée, encaisse les coups-fourrés, la mort de ses proches, les soupçons de ceux qui pourraient l'aider, sans dévier d'un pouce de son désir de vengeance et de justice. Sans négliger non plus de nous gratifier de quelques sauts périlleux dont il a le secret. Il en est presque décalé au sein d'une distribution brillante qui a assez d'espace pour donner vie à la riche galerie de personnages. Outre Benito Stefanelli, on apprécie la classe de Fernando Rey, l'élégance suspecte de Josè Suarez que l'on a croisé en personnage tragique chez Ferdinando Baldi et Enzo G. Castellari, Antonio Casas vu chez Leone, Corbucci et Luis Bunuel, Frank Braña, Joaquin Parra et l'inévitable Lorenzo Robledo en hommes de main parfaits, l'acteur new-yorkais Ray Saunders qui trouvera ses rôles les plus intéressants en Italie, Manuel Zarzo et Paco Sanz (formidablement dingue dans Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux – 1967) de Giulio Questi) en journalistes aux côtés de Willer, et le rigide Warren Wanders en homme de confiance du président. Pour ce dernier, Valérii bénéficie d'une pointure hollywoodienne en la personne de Van Johnson venu comme tant d'autres chercher un peu d'air dans le cinéma de genre européen au cours des difficiles années soixante. Les femmes sont peut présentes, mais María Cuadra en épouse présidentielle et la belle Norma Jordan vêtue d’étoiles, chantant devant la bannière américaine, arrivent à exister.
Au final, Il prezzo del potere est une œuvre majeure du genre sans être forcément un chef d'oeuvre. C'est une belle démonstration de cette façon originale d'investir de façon décontractée les codes typiquement américains pour créer un style unique, en propre, tout en étant complètement en prise avec son époque. Le film agacera sans doute les puristes, réjouira les autres, à commencer par celles et ceux qui aimaient et aimeront toujours voir bondir le beau Giuliano, éternel chevalier au six-coups en quête de vérité et de justice, et de vengeance.
A lire :
Le texte enthousiaste de Tepepa
Sur Mondo 70
Les infos très complètes du site Spaghetti Western (source des photographies d’exploitation).
09:12 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tonino valérii, giuliano gemma | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Mon cher Vincent,
Je suis très touchée par ta dédicace ... Encore merci, mon cher Vincent.
Moi qui ne suis qu'une "amatrice" basique de cinéma, je suis toujours autant épatée par tes critiques de cinéphile averti . Ta "lecture" des films me permet une approche plus éclairée des films que je "re-découvre" grâce à toi.
Merci pour ce dernier hommage à Giuliano Gemma (Aline et tous ses autres "fans" vont être contents de lire cette dernière chronique).
Bises
Écrit par : mtbroceliande | 18/12/2013
Tout le plaisir est pour moi, Marie-Thé. Si tu veux je peux te prêter le film. Je ne sais pas si tu l'avais vu en son temps, il est sortit sur le tard en France et dans une version raccourcie.
Écrit par : Vincent | 19/12/2013
Écrire un commentaire