03/06/2013
Cannes 2013 : Nos héros sont morts ce soir
Il y a d'abord ce beau titre Nos héros sont morts ce soir, qui renvoie à l'un des plus beaux films jamais fait sur la boxe, The set-up (1949) de Robert Wise et dont le titre français était : Nous avons gagné ce soir. Le réalisateur David Perrault ne nous montrera pourtant pas de la boxe mais du catch, plus précisément celui des années 60 en France, à une époque où ce sport était très populaire. C'est l'époque de l'Ange Blanc et du Bourreau de Béthune, des matchs au Cirque d'hiver et des populaires retransmissions télévisées. Mais ces années 60, ce sont aussi la fin de la guerre d'Algérie, le grand Charles à l’Élysée, les flippers dans les cafés et Gainsbourg dans les juke-box. C'est aussi la Nouvelle Vague, Belmondo et Delon, une nouvelle génération qui secoue le cinéma de papa. Il y aura un peu de tout cela dans le film de David Perrault, tramé dans l'histoire de Victor, ex-légionnaire au bout du rouleau. Son ami Simon l'introduit dans le milieu du catch contrôlé par le truand Tom. Ils vont former un duo masqué promis au succès, le Spectre contre l'Equarisseur de Belleville. Rien que la poésie des noms... Le blanc et le noir, le bon et le méchant, des rôles trop tranchés pour l'esprit fragile de Victor hanté par son passé et visité de cauchemars où les masques dissimulent d'autres masques et où se dilue une identité incertaine. Sexuelle, morale, sociale, psychiatrique ? Le scénario laisse habilement dans le flou. L'intrigue, assez simple, emprunte au cinéma de genre : entraîneur retors joué par Philippe Nahon façon Jean Gabin, matchs truqués, truand doublé, homme de main sadique, mission expiatoire, du classique.
L'enjeu est ailleurs, dans les multiples variations très visuelles sur les figures du double et du masque. Deux amis qui sont deux adversaires sur le ring. Deux femmes dans la vie de Simon. Double identité, l'homme sous le catcheur, avec mise en abyme quand Simon et Victor échangent leurs identités fictives. Ils se ressemblent physiquement au point que l'on peut les confondre et pourtant tout oppose l'esprit tourmenté, un peu infantile, timide, parfois même féminin, de Victor, à la rude simplicité, la virilité tranquille de Simon qui rappelle les personnages joués par Lino Ventura (qui commença, rappelons-le ici, dans le catch et la lutte). Masques sociaux avec le très beau personnage de Jeanne, la propriétaire du bar qui se révèle une lectrice assidue, admiratrice de Gérard de Nerval. Il y a aussi la fausse urbanité du Finlandais masquant sa violence et la décrépitude physique de l'homme de pouvoir, Tom.
La mise en scène multiplie les effets de miroir, littéralement mais aussi plus subtilement dans les cadrages, écran large, lors des confrontations, soir les yeux dans les yeux, soit sans se regarder. Un visage de profil et l'autre de face, deux visages de face, "Ne le regarde surtout pas" prévient l'entraîneur lors de la visite de Tom. Mais comment résister à ce besoin irrésistible depuis les contes antiques ? Victor veut voir derrière son masque au risque du vertige et du néant, quand bien même ce masque qu'il ne cesse d'arracher en rêve est porté par un autre. Et cette pulsion primale de déclencher le drame.
Ensuite, il y a cette superbe photographie en noir et blanc signée Christophe Duchange qui a accompagné David Perrault sur ses deux courts métrages. Elle donne une clef essentielle du projet artistique. Stylisée, contrastée, l'image cherche et trouve la texture même des films de l'époque : noirs profonds, large palette de gris, blanc lumineux, vibrants. Une texture particulière due au tournage essentiellement en intérieurs. Le travail de Christophe Duchange situe visuellement le film entre Touchez pas au Grisbi (1953 - photographie de Pierre Montazel) et Bande à part (1964 - photographie de Raoul Coutard). Car loin d'être la reconstitution d'une époque, ces années 60 que le réalisateur trentenaire n'a pas connues, Nos héros sont morts ce soir est une plongée fascinée, une rêverie poétique dans la chair même d'un certain cinéma. Un voyage mélancolique dans un univers de fiction aimé et dont il s'agit de retrouver le goût par les signes. La reconstitution minutieuse procède du même effet. Rien de spectaculaire que les moyens modeste d'un premier film n'auraient pas permis, mais des objets-repères, des signes de reconnaissance : le flipper où l'on imagine se pencher Anna Karina et Sami Frey, le juke box et ses vinyls, la camionnette Citroën type H (toute mon enfance), le cendrier et les oeufs durs sur le comptoir en zinc, la radio.
Certains admirateurs du film ont multiplié les références, de Ford à Hawks en passant par Becker ou Wong Kar-wai ( pour les ralentis sans doute). Ne manquait que Welles ! Un ensemble peut être un peu lourd à porter pour un jeune réalisateur. Plus simplement, le nom de Quentin Tarantino est plus intéressant parce que le principe de leurs films est proche. Ce sont les déambulations de réalisateurs-cinéphiles au sein de leurs univers de prédilection. Même goût de la scène (plus que de l'ensemble), même plaisir des dialogues (Perrault signe le scénario), même conception de l'utilisation de la musique avec ici une magnifique scène dansée autour d'une chanson de Gainsbourg, même attirance pleine et entière pour le geste cinématographique pour lui-même. C'est la beauté de ce cinéma et sa limite.
Il y a également un talent particulier dans la direction d'acteurs qui se sont vus proposer des rôles assez inhabituels pour notre époque. Denis Ménochet (Victor) et Jean-Pierre Martins (Simon) sont impeccables et crédibles en catcheurs, Pascal Demolon compose un savoureux finlandais, parfait second rôle à l'ancienne comme Philippe Nahon quoique ce dernier reste dans un registre bougon qu'on lui connaît. Les deux femmes de l'histoire sont assez formidable. Alice Barnole (apparue furtivement chez Bonello et Bourdos) défend bien ses quelques scènes (dont la danse sur Gainsbourg), vive et acidulée, j'ai regretté de ne pas la voir plus. Surtout, il y a l'épatante Constance Dollé en Jeanne, femme de tête, femme mûre, femme sensible, un peu hawksienne pour le coup, entretenant des rapports très libres avec Simon. Elle apporte une touche d'émotion bienvenue dans ce monde masculin. Au final, si certaines inflexions du scénario ne m'ont pas tout à fait convaincues, Nos héros sont morts ce soir est un film séduisant, d'un culot réjouissant, plein de promesses et d'une déjà belle assurance.
Cette année, si je mets côte à côte les premiers films de Perrault et Peretjatko, que j'y ajoute ceux de Justine Triet (La bataille de Solférino), de Guillaume Gallienne (Les Garçons et Guillaume, à table !), de Yan Gonzales (Les rencontres d'après minuit), films que je n'ai pas vus mais dont je connais les réalisateurs et apprécie leurs courts métrages, et si j'ajoute encore les francs-tireurs Bozon et Guiraudie, et bien il y a de quoi, bien au-delà de la palme, de quoi espérer dans le cinéma français des années à venir.
Photographies : © UFO Distribution
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31/05/2013
Cannes 2013 - La fille du 14 juillet
Antonin Peretjatko est un cinéaste français du début du XXI ème siècle qui porte un patronyme difficile à prononcer au début, et à l'occasion de jolies vestes chamarrées. Comme d'autres jeunes gens de son temps, il fait du cinéma parce qu'il pense non sans raison que tant qu'à faire quelque chose, autant que ce soit agréable. Il a commencé par quelques courts métrages comme L'opération de la dernière chance (2007), Les secrets de l'invisible (2011) et surtout French Kiss (2004), qui en ont fait rire beaucoup et agacé quelques uns. Avec La fille du 14 juillet, il passe au long métrage, là, tout de suite maintenant. Un titre programmatique qui claque comme un jour de fête. « La fille » renvoie au goût de Peretjatko pour les jolies actrices incarnant des personnages piquants, enjoués, traversant la vie d'un pas dansé, bousculant de leur fantaisie des hommes aux regards de cocker triste, un peu lubriques à l'occasion, avec ce rien de calvitie so charming. Ce sera donc une histoire d'amour où l'on retrouvera la brune Vimala Pons (vue dans Adieu Berthe chez les Podalydès et 36 vues du pic Saint-Loupchez Rivette), la blonde Marie-Lorna Vaconsin (L'actrice fétiche de Peretjatko), et côté masculin Grégoire Tachnakian, Thomas Schmitt (autre habitué de l'univers du cinéaste avec sa voix à la Daffy Duck) et Vincent Macaigne que l'on ne présente plus.
« 14 juillet » revoie pour sa part à l'acte fondateur de notre belle République et à la dimension politique du film, dans la continuité du travail de Peretjatko qui pratique un cinéma radical et engagé, radicalement déconnant tant l'heure n'est plus à la docte réflexion mais à l'action. La crise, l'emploi (son absence), le logement, la culture, la police, sont au cœur du film et l'heure est grave. Le 14 juillet c'est aussi la fête nationale, jour de congé avec son défilé militaire au son de la musique du même nom, les rangs de soldats athlétiques descendant les Champs-Élysées en saluant le président de la République, encore elle. Et puis ce sont aussi les bals populaires, les pétards, le soleil, les vacances et les congés payés, juillettistes sur les plages, images de couleurs et de bonheurs simples. Un art de vivre quoi.
Il y aura donc tout cela dans La fille du 14 juillet, film-univers généreux, avec plein d'autres choses comme des routes de campagne, des jolies voitures, de bons cigares, une fête foraine, un manuel de savoir séduire, Paris et ses monuments, des parapluie colorés, tout un inventaire à la Prévert pour un film-collage qui tient du voyage-surprise. Car tout est pris dans le mouvement d'un film construit sur un motif éprouvé de comédie, celui du film-poursuite. Soit donc l'histoire d'amour naissante entre Hector, gardien au Louvre, et Truquette (Parce que Truc, c'est masculin) Vénus d'Ille faite femme sans emploi. Tant qu'à ne rien avoir à faire, autant prendre des vacances. Direction la mer en compagnie d'un docteur Pator douteux (Macaigne dans un registre loufoque), de l'amie Charlotte (Vaconsin) et son frère maître nageur devant rejoindre au plus vite son poste (Schmitt). Leurs aventures loufoques dans une France que l'on veut remettre de force au travail en avançant la rentrée d'un mois s'enchaînent sur un rythme soutenu et une durée raisonnable (87 minutes) qui évite la saturation. Mouvement et couleurs, Peretjatko procède par tête à queue et coq à l'âne, accumulations et collages, utilisant la performance (Truquette cherchant à vendre une revue révolutionnaire aux militaires du défilé), l'esprit bande dessinée école Fluide Glacial (nombre de gags naissent du montage orchestré par Carole Le Page et Peretjatko, comme ce débrayage d'espace quand Truquette se retrouve seule sur une immense plage) et puise dans des formes cinématographiques classiques : le burlesque, le western, le film de gangster, le road-movie.
Mais Antonin Peretjatko m'apparaît surtout comme le fils (ou petit-fils) spirituel du Jean-Luc Godard léger période Une femme est une femme (1961) et Bande à part (1964) où le Louvre était déjà envisagé comme terrain de jeu. Il y a de pires inspirations quoique la musique pétaradante du générique renvoie aussi à ces comédies populaires avec Louis de Funès à son zénith. La photographie de Simon Roca, colorée et solaire, très estivale, est dans le même esprit. L’ensemble possède un pouvoir euphorique indéniable. Toute cette trépidance nous laisse heureux et légèrement essoufflés, regrettant un poil les moments rares de respiration comme cette séance d'équilibrisme sur les bouteilles, où Vimala Pons arbore un joli collant noir façon Musidora et rappelle qu'elle est à l'origine une artiste de cirque.
Et comme chez Godard, le discours politique est frontal. Si les personnages sont rêveurs, la dimension satirique du film est bien de son temps qui est le notre. Peretjatko les plonge dans une France paniquée, dans une société corsetée par ses interdits (la scène hilarante de la baignade). Les pouvoirs sont moqués sans retenue (Le retour de Sarkozy, la police roulée dans la farine). Comme dans tout bon burlesque, personne ne respecte les règles, par hasard, par avidité, par amour ou simplement pour avoir la paix. Le désir est moteur et chez Peretjatko, il est roi : désir de vacances, désir de mer, désir de Truquette. La dynamique de comédie laisse peu de place à de véritables personnages. Ce sont caricatures et types là encore proches de la bande-dessinée, qui compensent leur simplicité par les performances d'acteurs aimables et qui s'amusent visiblement beaucoup. S'ajoute également le soin que Peretjatko apporte aux seconds rôles dans une certaine tradition du cinéma français. Au final, avec son premier long métrage, le réalisateur œuvre en continuité avec ses courts, éprouvant son univers personnel sur la durée. Mission accomplie avec brio. « Les cigares que j'aime, la musique que j'aime, les gens que j'aime ». Tout un programme pour le film-manifeste d'un anarchisme ludique, débraillé, irrespectueux. So french.
Photographies : © Ecce Films et Shellac
10:44 Publié dans Cinéma, Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cannes 2013, antonin peretjatko | Facebook | Imprimer | |
22/05/2013
Femme debout
Ce qui est très agréable avec l'expérience ZoomArrière, c'est qu'elle donne envie de découvrir des films, éventuellement de les revoir. Suivant les bons conseils de mes camarades, j'ai profité de la promenade dans l'année 1954 pour voir ce qui restera le dernier film réalisé par Jean Grémillon, L'amour d'une femme, avec le curieux sentiment que je l'avais peut être bien déjà vu, mais complètement oublié. Ça arrive. J’inaugure pour l'occasion une note basée sur les photogrammes du film, captures du DVD Gaumont.
De Jean Grémillon, on connaît surtout Remorques (1941) avec le couple Gabin – Morgan, l'océan et les tempêtes, Lumière d'été (1942), film solaire et magique tourné dans les Alpes Maritimes, et Le ciel est à vous (1944) avec Madeleine Renaud en aviatrice. Je ne connais pas du tout sa période muette où il tourne des documentaires, mais il a plusieurs autres titres tout à fait estimables quoique assez oubliés aujourd'hui. Ce n'est pas toujours un nom qui vient immédiatement à l'esprit quand on évoque les cinéastes majeurs des années 30/40, il en fait à mon sens tout à fait partie. C'est un grand cinéaste de la passion, des femmes et des éléments de préférence déchaînés. L'amour d'une femme est a ce titre une magnifique synthèse.
L'héroïne de Grémillon, c'est Micheline Presle, la Boule de Suif de Christian Jaque. Elle incarne la doctoresse Marie Prieur qui débarque sur l'île d'Ouessant pour remplacer le vieux praticien qui prend sa retraite. Elle va devoir se faire accepter dans ce milieu rude et lutter contre les préjugés, mais surtout résoudre ses propres contradictions, passionnante lutte interne entre désir amoureux et accomplissement professionnel. Grémillon la filme magnifiquement avec quelques gros plans comme celui-ci d'une grande puissance d'émotion.
Mais il l’inscrit aussi dans son environnent et montre comment elle va physiquement y prendre sa place. Au début du film, lors de son installation, il y a cette image de Marie découvrant le phare de la Jument depuis sa chambre. Un bâtiment mythique que Philippe Lioret utilisera dans L'équipieren 2004. Je sens un rapport souterrain entre Marie et Mabé, le personnage joué par Sandrine Bonnaire mise dans une situation inversée (elle est l'autochtone). La figure du phare, très avancé sur l'océan, y joue un rôle similaire se prêtant à de multiples symboliques : la solitude, la ténacité, le courage, le défi à relever, la force intérieure.
Carette, Julien Carette, le parigot dans toute sa splendeur se coule en Le Quellec, bedeau breton condamné par Marie Prieur au régime sec. Personnage truculent, fordien, respiration d'un film rude. C'est en le revoyant que je me suis dit que je connaissais déjà le film.
Joli collage, on dirait du Godard avec dix ans d'avance. Gaby Morlay, très classe (en institutrice!) inscrit les dilemmes de Marie dans la continuité. Germaine Leblanc aussi est venue, seule, s'accomplir dans sa mission éducative. Elle a mené le même combat avec bonheur mais non sans une certaine mélancolie. Elle incarne aussi, dans un film qui aborde toutes les facettes d'une situation, la crainte de la solitude quand vient le temps de la retraite. Et pour boucler la boucle, Grémillon introduit à la fin du film la jeune remplaçante de madame Leblanc, jouée par Jacqueline Jehanneuf, dont ce sont les débuts. Elle débarque avec les mêmes rêves que Marie mais elle a trouvé une solution pour concilier vie affective et vie professionnelle. Pour Grémillon, le combat s'inscrit dans la continuité et il progresse.
Filmé à Ouessant, L'amour d'une femme est un film de grand air claustrophobique. Il rend le côté compact du village, un endroit qui peut à la fois être chaleureux et redoutable quand la collectivité s'immisce dans les vies privées et s'oppose à l'intimité. Cette gestion originale de l'espace est une des beautés de la mise en scène de Grémillon.
Dans le village, le bar est le pivot de toutes les actions. Le point où se rencontrent tous les personnages, lieu des conflits, lieu de détente, lieu où se célèbre la victoire de Marie mais où se brise sa passion amoureuse pour le bel ingénieur qui ne sait pas y trouver sa place, pris par ses propres préjugés et son égoïsme.
Grémillon, c'est aussi une dimension spectaculaire. L'océan déchaîné, le canot, le vent, un cinéma physique dans la continuité des ses œuvres précédentes. Malgré l'artifice du studio sur certains plans (pas celui-ci), la traversée de Marie pour secourir un gardien de phare en pleine tempête est le morceau de bravoure du film. Comme dans les films de Howard Hawks, accomplissement de l'être passe par ce courage face au danger partagé et à l'exercice maîtrisé de son métier. Marie est une grande professionnelle.
Et elle le prouvera dans la superbe scène de l'intervention chirurgicale, dans le phare avec la tempête qui hurle au dehors et ces hommes fascinés par les gestes, précis, admirables, de la doctoresse. J'adore les scènes d'opération et celle-ci est au petit poil.
Il y a encore chez Grémillon une dose d'ironie quasi blasphématoire. Tandis que son amie est victime d'une attaque, Marie folâtre avec son amant dans les ruines d'une église. Et Grémillon de nous donner quelques plans somptueux et délicatement érotiques de cette passion qui oublie tout avant que...
A lire chez Doc Orlof
A lire chez Christophe
A lire l'article de Ariane Beauvillard sur Critikat
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18/05/2013
Vengeance all'dente
Il figlio di Django (Le retour de Django). Un film de Osvaldo Civirani (1968)
Pour Les Fiches du cinéma
Cinémascope. Un vaste paysage désolé de montagnes enneigées. Avec un petit effort, le spectateur pourrait se croire dans un western d'Anthony Mann. Mais il s'agit de l'Italie et nous voici à découvrir le film Il figlio di Django (Le retour de Django) qu'Osvaldo Civirani réalise en 1967. Django n'est ici qu'une marque, un nom qui claque comme un signe de reconnaissance. Django meurt d'ailleurs dès la première minute, tué sous les yeux de son fils un peu comme au début de Da uomo a uomo (La mort était au rendez-vous) de Giulio Petroni réalisé la même année. L'enfant survit et il a un indice sur le tueur et son commanditaire. Devenu grand et habile au six-coups, il n'aura de cesse de … « Se venger ! ». Oui. Merci à ma droite, vous connaissez vos classiques. Non, sur ma gauche, je ne me moque pas. Ce Figlio di Django est une agréable surprise. Comme nombre de westerns italiens produits en série en ces années bénies, il aligne une foultitude de figures imposées : musique à la trompette avec chanson pop (ici They Called Him Django chanté par les Wilder Brothers), cavalcades et embuscades, dose de sadisme, passage à tabac, fusillades avec les balles qui miaulent, hommes de mains mal rasés et ricanants. Et si Django n'est plus, son célèbre manteau noir se retrouve sur les épaules d'un personnage de prêtre, ex-tueur à gage reconvertit. Rien de neuf donc mais, comme pour tous les films intéressants du genre, il y a une façon originale de jouer avec ces éléments de base. Une grande partie du charme de ce film tient à ses maladresses et à ses digressions. Le premier quart d'heure est si tarabiscoté qu'il arrive à embrouiller une intrigue simplissime. Il y a un duel qui n'en est pas un, un cavalier qui arrive sur une musique tonitruante pour se faire abattre aussitôt, une selle mexicaine scintillante sur laquelle on insiste avant de l'oublier complètement. Nous ne savons pas trop qui est qui, qui est avec qui et pour faire quoi. Finalement, nous repérons le héros qui est mis en prison avec un joueur de cartes français (savoureux). Nous sommes à la limite de décrocher mais le film acquiert une modeste poésie surréaliste.
Par la suite le film s'éclaircit tout en conservant ces petites touches décalées. Un homme balaie en arrière-plan, une femme secoue un tapis, le barman chinois a un curieux échange avec une entraineuse de saloon. Il y a sur la bande sonore des cris d'animaux insistants, des poules chez le pasteur, des canards, des chiens. Il y a cet intermède musical incongru et inutile, atrocement interprété. Il y a Demofilo Fidani, le roi du film bizarre et fauché, à la décoration. Les personnages semblent parfois comme suspendus, perdus dans leurs pensées avec une façon de faire durer les plans juste un peu trop longtemps comme sur la femme du rancher assassiné qui regarde dans le vague avant de décider de revenir le venger.
Osvaldo Civirani a une modeste carrière de réalisateur dans le cinéma de genre entre 1963 et 1976. Quelques peplums, une poignée de westerns, et un ultime giallo en 1976. Mais il a aussi une jolie carrière de photographe de plateau pour des films signés Federico Fellini, Pietro Germi et Lucchino Visconti. Quand même. Ceci explique peut être qu'il signe la photographie de plusieurs de ses films, dont celui-ci, gratifié de jolies ambiances nocturnes dans la petite ville où se situe l'action. Si son Figlio di Djangoreste trop timide dans son étrangeté, il offre néanmoins quelques beaux moments. L'inévitable passage à tabac est exercé sur un personnage secondaire, le rancher Grayson, sous les yeux de sa femme, de tout le village qui n'intervient pas et du shérif local qui, western italien oblige, s'échappe discrètement. La scène impressionne par sa violence et sa longueur, la combinaison des deux faisant naître un malaise qui évite la complaisance. Il y a surtout une belle mise en scène des différents groupes et de leur regards croisé sur la scène : les témoins passifs, la femme affolée, le héros attentif, les hommes de main d'un autre rancher théoriquement allié de Grayson qui finissent par intervenir, un peu tard. Dans la longue histoire des passages à tabacs du western italien, celui est très réussi et fait regretter que le réalisateur n'ai pas su conserver ce niveau tout au long du métrage. Il y en aura un second appliqué plus classiquement au héros mais qui fera moins frémir.
L'interprétation est également de qualité variable. Gabriele Tinti dans le rôle titre joue l'implacable à la limite de la parodie involontaire, le regard clair, la mâchoire serrée, excessivement confiant en ses capacités de tireur. Lors du finale dans un saloon, il affronte (presque) tout seul une quinzaine d'adversaires sans sourciller. C'est l'unique incursion dans le western italien du Don César de Gérard Oury et de l'heureux époux de Laura Gemser. Plus intéressant, Guy Madison est un authentique acteur américain qui donne une jolie présence au personnage du père Fleming, le pistolero qui a trouvé la foi. Madison a tourné à Hollywood pas mal de westerns dans les années 50, parfois des bons comme The Charge at Feather River (La Charge sur la rivière rouge - 1953) de Gordon Douglas, The Command (La poursuite dura sept jours - 1954) de David Butler, The Last Frontier (La Charge des tuniques bleues – 1955) d'Anthony Mann ou l'excellent Reprisal ! De George Sherman où il joue avec intensité un métis reniant son identité indienne. Comme tant d'autres, il part au début des années 60 donner un second souffle à sa carrière en Italie. Madison donne ici une présence morale à son personnage qui rend intéressante sa confrontation avec celui joué par Tinti, un difficile rapport père-fils qui justifie une fin inhabituelle. Autour d'eux, du classique, plutôt solide mais inégal notamment pour ce qui est de la partie féminine. A noter Ivan Scratuglia dans le rôle de « 4 Aces » le joueur à l'inénarrable accent français à savourer en version originale. Sans être une révélation du genre, Il figlio di Django réjouira l'amateur à ma gauche, et le curieux de passage sur ma droite.
Photographies : capture DVD Sidonis
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16/05/2013
Fenêtre
Mud. Un film de Jeff Nichols (2012)
Au moment ou s'ouvre le 66e Festival de Cannes, il me semble intéressant de revenir sur cette sortie tardive du Mud de Jeff Nichols actuellement dans les salles, sortie sans doute due à des contraintes de distribution. Je ne peux m'empêcher de rapprocher ce fait avec sa présentation cannoise, le dernier jour alors que depuis une semaine le festival ressassait comme un mantra que l'édition était décevante. Du coup, j'avais eu l'impression que le film, présenté à un public lassé et ne pensant qu'à son départ imminent, était passé par pertes et profits. Mud reste pour moi une réussite majeur et à vue de nez le meilleur des films de la compétition 2012. A l'époque je n'avais pas encore vu le film précédent de Nichols, Take Shelter (2011) dont plusieurs collègues blogueurs avaient fait l'éloge. Sur le moment, et malgré l'envie que j'en avais, je n'ai pas réussi à écrire quelque chose. Je me suis dit que j'y reviendrais au moment de la sortie en salles et puis le film n'est pas sortit et le souvenir s'est estompé. D'une façon curieuse, il me reste aujourd'hui une impression d'ensemble forte, l'atmosphère, le ton et quelques images qui vont me rester. Si je creuse là-dedans, en faisant l'effort de ne rien lire d'actuel comme l'ensemble élogieux dans le dernier Positif, de ne pas consulter les fiches ici et là, qu'est-ce qui ressort ? Un lieu, les bords du Mississippi, le fleuve, terres et eaux mêlées, des petits îlots, une végétation dense, le soleil. Un espace pour l'Aventure. Des gens vivent là, dans des baraques construites sur les rives, ils ont quelque chose des pionniers. Une rudesse, le verbe rare, une idée de la dignité chevillée au corps, une violence aussi. Il est possible de les voir également comme des refoulés de l'Amérique du XIXe siècle. Ils sont pauvres, ils sont à part mais certains y sont venu volontairement (le personnage joué par Sam Shepard).
Le héros du film est un adolescent flanqué de son camarade et Nichols cite clairement les romans de Mark Twain. Comme dans Tom Sawyer et La vie sur le Mississippi, il est question d'initiation à la vie, à l'amour, à la mort. Beau programme. Les deux enfants rencontrent un drôle de type, Mud, un taulard évadé avec un revolver et des tatouages, joué avec intensité par Matthew McConaughey, réfugié dans un bateau échoué sur un arbre. Belle image. Il y a cette fois du Robert Louis Stevenson, avec cet homme en marge et ses promesses d'aventures et de danger comme Long John Silver quand il entre dans la taverne de l'amiral Benbow. Cette fois la promesse sera tenue. Mud convainc les enfants en leur disant qu'il est là par amour, pour retrouver sa compagne. Faut-il le croire ? Nichols entretien le doute une bonne partie du métrage, sans trop insister parce que l'intérêt, c'est que les personnages y croient. Dans Take shelter, le héros est persuadé qu'une tornade va arriver et « à force de raconter des choses horribles, elles finissent par arriver ». Mais ce n'est pas plus mal. Levez vous orages désirés ! Dans Mud, il y aura de l'action, des coups de feu, de la romance, une femme très belle en danger, le mouvement au sein d'une nature exaltante, le danger, la douleur, la mort, bref comme disait Samuel Fuller, en un mot l'émotion.
J'ai oublié beaucoup de choses de Mud, mais il y a ce plan superbe d'une fenêtre ouverte sur la nuit que contemple le jeune héros. Il se demande s'il doit sortir, affronter les peurs primales pour rejoindre le taulard fascinant sur le fleuve. Les bruits de la nuit entrent avec le vent léger. Image sublime de l'appel de l'Aventure, effrayant mis irrésistible. Besoin de fiction et de rêve. Le jeune héros n'y résiste pas. Ce courant d'air frais, c'est celui du cinéma de Jeff Nichols. Un cinéma franc et direct, qui s'émerveille sans mysticisme, qui raconte sans clin d’œil ni coup de coude complice, sans complaisance. Un cinéma à hauteur d'homme, à hauteur d'imaginaire. Un cinéma devenu rare en résistant aux effets pyrotechniques et au spectaculaire vain dans l'air du temps un peu d'air frais sur le cynisme ordinaire.
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12/05/2013
Les indiens sont bien plus près
The exiles. Un film de Kent McKenzie (1961)
Pour Les fiches du Cinéma
At night sometimes it seemed
You could hear the whole damn city crying
Blame it on the lies that killed us
Blame it on the truth that ran us down
(Backstreets – Bruce Springsteen)
Je n'ai jamais eu de problème avec la représentation hollywoodienne des indiens. A partir du moment ou il n'y a ni mépris ni volonté de tourner en ridicule, ce qui a malheureusement été souvent le cas, j'accepte volontiers l'image que le vainqueur donne du vaincu. Et je préfère la cohérence d'un point de vue, par exemple celle des passagers de la diligence de Stagecoach (La chevauchée fantastique – 1939), et l'honnêteté d'une tentative d'approche chez John Ford, Anthony Mann, Georges Sherman, William Wellman ou Sidney Pollack, aux artifices de la mauvaise conscience d'Arthur Penn ou Ralph Nelson. Dans la représentation de « l'autre », le vainqueur ne saurait donner une image juste du vaincu, ni prétendre se mettre à sa place. Il ne peut que retourner le stéréotype comme un gant ce qui ne nous avance pas beaucoup. Le point de vue des indiens, dans l'histoire qui nous intéresse ici, doit être pris en charge par des indiens et, sans surprise, de tels films sont rarissimes. Et c'est là qu'est le scandale.
Ce long préambule pour dire le bonheur de découvrir The exiles, réalisé de 1958 à 1961 mais jamais sortit malgré une sélection au festival de Venise. Certes, le réalisateur Kent Mackenzie n'est pas un indien. C'est un anglo-américain né en 1930 à Londres et dont la famille s'est installée à New-York au début de la seconde guerre mondiale. Il y fera des études de littérature avant que son intérêt pour le cinéma ne le fasse bifurquer vers l'écriture de scénario. Il fait ensuite le voyage vers Hollywood et entre au département cinéma de la University of Southern California. Son court métrage de fin d'études sera le documentaire Bunker Hill, sur ce quartier de Los Angeles qui inspira Charles Bukowski et John Fante. C'est là qu'il rencontre, sensibilisé par son amitié pour Tom Two Arrows (indien Onondaga, artiste et danseur professionnel), les jeunes indiens de la ville basse avec lesquels il sympathise et traîne le soir. C'est là que va naître The exiles, un film entre fiction et documentaire qui donne la parole et l'image à des indiens vrais. Ce sont des femmes et des hommes qui vivent dans cette Amérique de 1960, dans ce quartier de Bunker Hill à Los Angeles. Ce sont eux qui prennent la parole et les voix off donnent au film un aspect choral où pourtant le « Je » domine. Se déroulant sur environ 24 heures, The exilesnous montre des gens exilés dans leur propre pays, entre l'Amérique du vainqueur, une ville gigantesque où ils constituent une sorte de sous-prolétariat, réduits à des petits boulots, au chômage, parfois à la prison, et la réserve de San Carlos, celle-là même qui fut créée en 1872 pour les apaches Chiricahua menés par Cochise. La terre ingrate qui leur a été laissée.
Pour rappeler d'où ils viennent, Kent Mackenzie ouvre son film sur une série de photographies du XIXe siècle prises par Edward Sheriff Curtis, photographe et ethnologue qui travailla à préserver cette mémoire visuelle de 1907 à 1930. Visages nobles et marqués, images d'un temps révolu qui ne saurait se confondre avec la représentation hollywoodienne. Ce qui succède, les visages des héros de Mackenzie, est très différent car beaucoup plus proche. Encore que pour les spectateurs contemporains, une nouvelle couche de temps est venue se superposer sur ces jeunes adultes de la fin des années 50. Nous les découvrons comme les personnages des premiers films de John Cassavetes, buvant du Coca, lisant des comics, conduisant des coupés décapotables, écoutant du rock and roll (jolie bande musicale avec les morceaux des Revels). Une assimilation sans entrain à « l'American way of life » du moment. Toute la journée, ils attendent la soirée où ils pourront partir en virée comme dans une chanson de Bruce Springsteen pour draguer, boire, se battre et brûler doucement leur jeunesse.
Sur cette base documentaire se superpose le commentaire ou chacun d'une voix étrangement neutre, raconte sa vie et ou apparaît ce qui est spécifique à leurs existences : le lien avec la réserve, le racisme ordinaire, la violence des rapports, le problème de la boisson présenté comme une calamité majeure, mais aussi l'attachement à certains rites conservés au sein de la communauté. Quand la nuit est bien avancée, le film nous entraîne sur la colline « Hill X » où les indiens se réunissent pour danser sur des musiques qui n'ont plus rien de rock and roll. Ils y retrouvent les rythmes et les gestes de leurs ancêtres, des gestes désespérés, comme une transe collective. Et l'on se souvient de la « Ghost Dance » au crépuscule des nations indiennes qui entendait faire revenir les bisons massacrés et chasser les blancs des terres. Le film prend alors des accents quasi-fantastiques par cette ambiance nocturne et un montage qui épouse le rythme de la musique et accélère avec la sarabande tandis que se résout une intrigue sentimentale en rappel à la contemporanéité du film. Et le film de s'achever sur un petit matin mélancolique à l'ombre du funiculaire Angels Flight.
The exiles possède deux dimensions qui enrichissent son propos déjà original. Sans fausse pudeur, Kent Mackenzie montre la place de la femme dans la communauté, victime de la violence machiste mais paradoxalement plus adaptée à la modernité. C'est une femme, Yvonne Williams, qui prend la parole la première. Elle doit assurer les tâches quotidiennes dans son petit appartement tandis que les hommes glandent, les fesses dans les canapés. Mais Yvonne se révèle la plus déterminée à s'en sortir, à faire des plans d'avenir, alors que les hommes sont comme anesthésiés par leur sort difficile. Pour elle, le rêve américain, même étriqué, reste un possible. Cette approche sensible donne non seulement de beaux portraits mais évite tout apitoiement facile. Et cela n'empêche pas le réalisateur de se montrer délicat à l'occasion dans tel geste, tel regard masculin (la scène du rasage par exemple).
L'autre dimension élargit le portrait en dépassant celui du groupe. The exiles est une plongée dans Bunker Hill, un quartier qui sera complètement détruit au début des années 60 juste après que le film soit terminé. Le documentaire Bunker Hill : A tale of urban renewal réalisé en 2009 et proposé en bonus revient sur cette histoire mouvementée, des luxueuses demeures de la belle époque au dynamisme d'un quartier populaire dont les habitants ont été chassés pour réaliser de juteuses opérations immobilières en détruisant sans sourciller près d'un siècle d'histoire. Même la colline a été arasée lors des travaux. Une histoire triste qui mêle politique, architecture, social, environnement et pognon, mélange détonnant que nous retrouverons dans le gaullisme immobilier qui défigura une bonne partie de Paris. The exiles est ainsi un témoignage rare sur le quartier et sa vie d'alors organisée autour du fameux téléphérique (seul survivant actuellement) entre ville haute et ville basse. Sans insister, Mackenzie ouvre le champ d'une lecture politique où les indiens sont aussi des pauvres, les pauvres des pauvres. Drôle de civilisation qui a si peu de considération pour son passé, ses courtes racines, son histoire, et ne saurait donc en avoir pour celles des autres. Le réalisateur relie discrètement le sort des « natives » à celui de tout un petit peuple éternellement sacrifié à l’inflexible loi de l'argent.
Photographies © Milestone Films
Un site sur le photographe Edward S. Curtis
11:49 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : kent mckenzie | Facebook | Imprimer | |
10/05/2013
1954 en 10 (autres) films
Le duo Fred Astaire - Cyd Charisse domine sans conteste l'année 1954 sur Zoom Arrière et suivent quelques oeuvres magnifiques. Aussi je vous propose cette fois dix films qui ne sont pas dans la tête du peloton, dix films à découvrir, éventuellement à rédécouvrir si l'on a l'impression de les avoir trop vus. Avec par ordre d'entrée en scène Donna Reed et sa robe noire, Monty Clift sans sa trompette, un des merveilleux monstres animés par le regretté Ray Harryhausen, le premier western en relief, Ava Gardner et sa robe blanche au clair de lune africain dans les bras de la moustache frémissante de Clark Gable, Guy Madison dans le premier western en CinémaSCope de la Warner, le monde fantastique du Dr T., Lee Van Cleef chez Hugo Fregonese, Silvana Mangano dans un double rôle pour une lecture colorée de l'Odyssée, les martiens atomiseurs qui craignent l'eau et un admirable duo féminin vu par Allan Dwan. Photographies DR, piquées un peu partout.
09:37 Publié dans Blog, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fred zinnemann, gordon douglas, john ford, eugène lourié, david butler, roy rowland, hugo fregonese, allan dwan, byron haskin | Facebook | Imprimer | |
08/05/2013
Terence Hill est Django
Preparati la bara ! (Django, prépare ton cercueil). Un film de Ferdinando Baldi (1968)
L'apparition fantomatique de Django, vêtu de noir et traînant son cercueil dans le film éponyme de Sergio Corbucci en 1966, ne pouvait rester sans descendance, succès oblige. Comme le Ringo de Duccio Tessari ou l'homme sans nom de Sergio Leone, Django est un mythe instantané dont la force visuelle indéniable a inspiré, plus ou moins bien et plutôt moins que plus, une foultitude de clones, vengeurs au verbe rare, à la barbe de trois jours et à la détente vive au-delà de toute vraisemblance.
Le Django de Préparati la bara ! (Django, prépare ton cercueil – 1968) est l'un de ces démarquages opportunistes. Au film de Corbucci, les producteurs reprennent sans sourciller les multiples signes extérieurs (Le manteau noir, le cimetière, le cercueil, la mitrailleuse) et surtout l'équipe créative : Franco Rossetti au scénario et Enzo Barboni à la photographie. Franco Nero étant partit tenter sa chance en Amérique, c'est un autre beau gosse au regard bleu qui reprend le manteau noir sur ses épaules. Un jeune acteur qui ne cesse de monter, Mario Girotti devenu Terence Hill l'année précédente avec un succès : Dio perdonna... io no (Dieu pardonne... moi pas) de Giuseppe Colizzi inaugurant son tandem avec Bud Spencer sur un registre encore sérieux. A ses côtés, deux méchants très méchants et très classieux, Horst Franck, acteur allemand vu chez Georges Lautner, Dario Argento ou Enzo G. Castellari, et l'élégant Luigi Montefiori dit George Eastman, icône du cinéma populaire italien qui porte avec conviction d'impayables costumes rayés façon mafioso. Et puis pour faire bonne mesure, quelques figures burinées sans lesquelles le western all'italiana ne serait pas ce qu'il est : le maître d'armes Spartaco Conversi, José Torres, Franco Balducci et Luciano Rossi.
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Photographies source Tre ragazzi d'oro
A lire chez Tepepa
A lire sur Psychovision
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06/05/2013
Chasseurs
The hunters(2011) de Chris Briant
J’avoue que j'ai marché à The hunters jusqu’à ce moment, à cet échange de répliques au bout d'une petite heure dans un français impeccable. The hunters est bel un film français (avec un peu de Belgique et de Luxembourg), réalisé par Chris Briant alias Etienne Huet, écrit par Michael Lehman alias le frère du réalisateur, et tourné en France, en Lorraine dans un fort qui évoque celui de la scène de présentation du commando de Brad Pitt dans Inglorious Basterds (2009) de Quentin Tarantino. Ici ce fort incarne le fort Goben que l'on imagine de l'époque de la guerre de Sécession. The hunters ressemble ainsi complètement à un film américain, une des thrillers flirtant avec le fantastique comme ils en ont fait beaucoup et comme de jeunes réalisateurs français ont envie d'en faire, quitte à passer outre Atlantique pour satisfaire leur désir. Curieux mimétisme qui rappelle les italiens dans les années 60 et 70 investissant le cinéma de genre à partir des modèles hollywoodiens, avec le même jeu sur les pseudos.
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Photographie © Raven Banner Entertainment
Le site du film
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25/04/2013
Paris au mois d'août
Paris brûle-t-il ? - Un film de René Clément (1966)
René Clément a une position un peu particulière dans l'histoire du cinéma français. Il démarre très fort aux côtés de Jacques Tati, co-réalisateur sur ses premiers courts métrages, puis c'est La bataille du rail en 1944, monument épique à la gloire de la Résistance des cheminots, film tourné à chaud qui combine le spectaculaire (le déraillement final) à des moments plus sobrement intenses (l'exécution) qui valent bien ce que Roberto Rossellini fait au même moment en Italie avec Roma città aperta (Rome ville ouverte). Clément apparaît alors comme un espoir neuf du cinéma d'après-guerre. Il est immédiatement reconnu, fêté et célébré dans de nombreux festivals. Il rejoint Jean Cocteau pour l'assister sur La belle et la bête (1946) avant de revenir à la Résistance sur un autre mode avec Le père tranquille puis l'intense huis-clos en sous-marin de Les maudits (1947). Dans le même temps, Clément se coule dans la continuité du cinéma d'avant-guerre, travaillant sur Jeux interdits (1952) avec les duettistes Jean Aurenche et Pierre Bost, et s'appuyant sur des adaptations littéraires (Zola, Duras, etc.). C'est ce qui lui vaudra d'être épinglé par François Truffaut dans son célèbre article, Une certaine tendance du cinéma français. Il ne fera pas partie des admirations des jeunes loups des Cahiers du Cinéma qui lui préfèrent l'ascétisme de Robert Bresson ou la chaleur de Jean Renoir ou Jacques Becker. Clément va incarner une idée de la perfection technique qui sera opposée aux essais libres de la Nouvelle Vague, surtout avec ses thrillers Plein soleil (1960) et Les félins(1964). Il agace peut être aussi par son côté touche-à-tout, ses succès publics et une impressionnante tripotée de prix. Taxé d'académisme, il entrera finalement à l'Académie des Beaux-arts en 1986.
Dans cette carrière, Paris brûle-t-il ? en 1966 incarne mieux que tout autre titre de sa filmographie les contradictions d'un réalisateur pris entre deux générations. L'ancienne qu'il tente de dépasser par l'innovation technique, la nouvelle qui ne le reconnaît pas comme l'un des siens. Le cul entre deux chaises si je puis me permettre. Avec peut être un peu d'orgueil, Clément s'isole, aidé par son renom et sa réputation à l'international. C'est cette dernière qui amène le producteur Paul Graetz à lui confier son grand projet, le récit épique de la libération de Paris en août 1944, film à grand spectacle entendant rivaliser avec The longest day (Le jour le plus long – 1962) produit par Darryl F. Zanuck et recréant le débarquement en Normandie avec une distribution longue comme le bras. Considéré généralement avec condescendance, Paris brûle-t-il ? a acquit avec le temps le même statut que son rival américain : celui d'un film commémoratif compassé régulièrement diffusé à la télévision. Pourtant, à le revoir près de cinquante ans après sa sortie, s'il n'est pas exempt des défauts de la superproduction, il révèle des qualités bien réelles et sur certains points, le temps a travaillé pour lui.
Ce que je peux appeler la portée politique du film a évolué. En 1966, Paris brûle-t-il ? s'inscrit pleinement dans une vision gaullienne de l'histoire récente. Le peuple de Paris prenant les armes incarne l'image d'une France éternelle et résistante qui envahi avec la victoire les Champs-Élysées pour une descente triomphale de Mongénéral. Le chagrin et la pitié (1971), Lacombe Lucien (1974) et livres de Robert Paxton viendront avec la décennie suivante. En 1966, De Gaulle, réélu difficilement face à François Mitterrand l'année précédente, n'est plus l'homme de Londres mais le président d'une France qui s'ennuie, qui a besoin d'air et qui le fera bientôt savoir à coup de pavés. Une façon ironique de rejouer l'insurrection de 1944. Dans ce contexte, le film de René Clément apparaît comme une œuvre du bon côté du manche bien que le réalisateur s'en soit défendu. Il faut dire que la superproduction était tributaire de nombreuses autorisations, de soutien logistique, de syndicats pointilleux et d'un Partit Communiste encore puissant et sourcilleux quand à son image, ce qui a amené Paul Graetz a certains compromis. Aujourd'hui, il est possible de prendre le recul nécessaire. Le De Gaulle de 1944 et celui de 1966 se fondent dans l'histoire. Le film se détache de son contexte parasitaire (Jean-Louis Bory le soupçonnait de militer pour les législatives de 1967) et laisse mieux apparaître ses équilibres internes. Il se révèle plus subtil que ce qui en a été dit. Par exemple, la présence d'anciens républicains espagnols devenus membres de la fameuse 2éme DB du général Leclerc dans le premier détachement à pénétrer dans Paris. Ce rôle a été occulté jusqu'à de récentes réhabilitations. S'il n'y a rien d'appuyé, ils sont pourtant bien présents dans le film de Clément. On lit sur les half-tracks qui traversent la Seine les noms de « Madrid », «Ebro » et « Libération » qui sont ceux de la « Nueve », l'unité du capitaine Raymond Dronne (Joué par Georges Staquet, « morts aux cons », c'est lui), et l'on assiste bien à l'arrivée du lieutenant Amado Granell à l'hôtel de ville. Il sera, premier officier « français » reçu par le Conseil National de la Résistance et Georges Bidault. Le-dit Bidault étant le grand oublié volontaire du film pour cause d'Algérie ( je ne rentre pas dans les détails), le traitement de la scène est une façon élégante de botter en touche : c'est le mouvement de la fraternisation entre soldats et insurgés qui est montré. Ce qui est est symptomatique, c'est la façon dont Clément montre ou suggère finalement pas mal de choses que l'on trouvera si on la curiosité de les chercher. Autre joli exemple, le jeu musical sur Maréchal nous voilà et La marseillaise lors de la prise de Matignon suffit à évoquer le pétainisme et les nombreux retournements de veste. Il est inévitable qu'il y aura des regrets sur le traitement de tel ou tel point, du passé de Choltitz aux femmes tondues, mais globalement, Clément arrive à tenir un certain équilibre et maîtrise sa masse de personnages (protagonistes réels dont la plupart étaient encore bien vivants, souvent en fonction et donc attentifs à leur image), et de faits sans perdre de vue l'objectif du film : donner une fresque épique sur un événement à la force symbolique indiscutable.
"Sois bien ignoble, Jean-Louis" (René Clément sur le tournage)
Car la libération de Paris, c'est l'exorcisme collectif d'une nation qui vient de passer quatre années à genoux. C'est aussi la base d'une idée politique qui prend corps dans le programme du CNR. Plus qu'un cours d'histoire, ce que n'est jamais un film, Paris brûle-t-il ? est le sentiment de l'histoire vivante en un temps et un lieu précis. Son héros n'est pas à chercher dans sa pléiade de vedettes mais c'est la ville et sa population. Clément y réussit en attachant la même importance à ses stars qu'à ses figurants. Certes Chaban-Delmas est joué par Alain Delon mais il disparaît rapidement pour ne plus revenir. Jean-Paul Belmondo a sa scène, jolie d'ailleurs, et puis c'est tout. On se rappelle tout aussi bien la jeune fille rampant pour récupérer des armes sous la fusillade ou les jeunes résistants, un communiste et une catholique, se saluant sur les boulevards. Toute la dernière partie du film met en scène la population en armes, mêlant si bien plans reconstitués et archives en un montage habile signé Robert Lawrence que, le noir et blanc aidant, on ne distingue plus les uns des autres, avant que le documentaire de s'impose définitivement avec la descente de Mongénéral sur les Champs le 26 août.
Le talent de René Clément éclate dans les nombreuses trouvailles purement visuelles qui créent ce sentiment d'exhaltation à partir d'images parfois quasi abstraites mais fortes. Il y a cette forêt mouvante de bras qui cache l'entrée des chars alliés, il y a cette illumination progressive de la place de l'hôtel de ville sur les notes de Maurice Jarre, il y a l'utilisation tragique, quasi fantastique, des projecteurs lors de l'exécution des étudiants-résistants à la cascade du bois de Boulogne, il y a ce drapeau déchiré par mille mains et ces cloches qui se mettent interminablement en branle. Le réalisateur contrebalance le lyrisme par des touches plus moderato comme ce couple de commerçants qui découvre que les troupes qui entrent en ville sont françaises, par l'humour avec l'épisode de la vieille parisienne laissant intervenir les hommes de Pierre de La Fouchardière où la recherche du trajet depuis la porte d'Italie. C'est le meilleur du film. Il n'y a plus de vedettes mais un collectif, mais un mouvement. Le plus beau plan du film, c'est ce raccord sur une jeune femme qui grimpe sur un char et ce soldat qui l'entraîne. Raccord dans le mouvement, exhalation du mouvement, élan de la caméra, soudain sentiment de la libération, le soulagement, le joie pure. La silhouette anonyme qui embrasse le tankiste tout aussi anonyme a la puissance d'un tableau de Delacroix. Au crédit du film, il y a sans hésiter la partition de Jarre qui poursuit sur ses réussites de Lawrence of Arabia (1962) et Dr Jivago (1965) pour David Lean. Sa musique très présente fait corps avec le film et achève d'en faire décoller les plus beaux moments.
Il y a également un aspect du film qui prend toute sa valeur aujourd'hui. C'est le portrait du Paris de 1965, pas encore défiguré par, ironie, le gaullisme immobilier. Ce Paris est encore très proche de celui de 1944, sans voies sur berges, sans tour Montparnasse, sans trou des Halles, et autres horreurs du même genre. C'est dit-on pour cette raison que le film fut mis en chantier, avant que les projets urbanistiques ne rendent le tournage en extérieurs trop compliqué. Le film devient un témoignage précieux dont René Clément est conscient, donnant un portrait en creux de la ville revendiquée terrain de jeu par les ténors de la Nouvelle vague. Son Paris rejoint ceux de Godard, Truffaut ou Rohmer. La vision de ces grandes avenues désertées et des petites rues sans voitures ni l'infect mobilier urbain ont aujourd'hui quelque chose de magique.
"Et tu meurs, à la fin ?" (Montand et Schneider sur le tournage)
Les défauts du film, j'y reviens, sont liés à son côté superproduction. Nombre des vedettes font pâle figure face à l'authenticité des figurants. Le rôle de Romy Schneider fut coupé sur injonction de son époux qui trouvait la scène trop mauvaise. Faudrait voir... mais les américains semblent peu concernés par leurs figures sans épaisseur. Yves Montand place de la Concorde est assez caricatural. Les morts absurdes (Montand, Perkins, etc.) sont trop fabriquées pour émouvoir et elles ont tendance à enrayer le mouvement d'ensemble. L'état major clandestin s'en sort mieux. Clément se sert des visages connus ou en passe de le devenir pour rendre clair les différentes factions. Mais il n'y a globalement guère de personnages à défendre. Gert Fröbe avec Von Choltitz et Orson Welles en consul de Suède (il devait essayer de financer ses films), font les plus belles compositions. Jean-Louis Trintignant a la lourde charge d'incarner l'abjection de la collaboration, ce qu'il fait bien. Bruno Cremer en Rol-Tanguy et Claude Rich dans un savoureux double rôle sont le meilleur de la distribution française. Cremer par sa présence, Rich parce qu'il s'amuse beaucoup.
Des acteurs venus de tous les horizons, de plusieurs générations, le film aurait pu être une sorte de film de la réconciliation autour de l'exhalation d'un destin commun et d'une pratique du cinéma empruntant à la tradition comme à l'innovation. Il ne le sera pas. Reste un film hybride, superproduction, poème épique et reconstitution documentaire, un grand écart que Clément maîtrise et auquel il impose malgré tout sa marque, incluant la grosse machine dans sa thématique fétiche de la France en guerre, Paris brûle-t-il ? gagne à être vu en regard de ses autres films, comme l'une des facettes, la plus lumineuse, d'une époque complexe. Il dépasse par là son modèle américain, donnant à voir au-delà du spectacle l'âme d'une ville et d'un peuple.
Photographies Toutle ciné, AFP.com et © Roger Viollet
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13/04/2013
1953 en 10 films
Belle année que l'année 1953 sur Zoom Arrière qui voit l'unanimité se faire autour du film de Stanley Donen. Voici, histoire de mettre quelques images sur la longue liste du tableau, dix films qui m'ont marqué, qui ne me quittent pas, dix images qui ont illuminé les écrans il y a soixante ans. Photographies DR.
De haut en bas (sans ordre de préférence d'ailleurs) : Across the wide Missouri (Au-delà du Missouri)de William Wellman, Manon des sources de Marcel Pagnol (poil au col), Le carosse d'or de Jean Renoir, Singing in the rain, inévitablement (Chantons sous la pluie) de Stanley Donen et Gene Kelly, The big sky (La captive aux yeux clairs) de Howard Hawks, beau à en pleurer, The big heat (Réglement de comptes) de Fritz Lang, vous reprendrez bien un café ? The Bad and the Beautiful (Les ensorcelés) de Vincente Minelli, The sun shines bright (Le soleil brille pour tout le monde) un des plus beaux films de John Ford, et Westward the women (Convoi de femmes) toujours de Wellman qui boucle cet exceptionel panorama.
00:10 Publié dans Blog, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : john ford, howard hawks, jean renoir, marcel pagnol, vincente minnelli, stanley donen, gene kelly, fritz lang | Facebook | Imprimer | |
10/04/2013
Des feux mal éteints
Cornered (Pris au piège) - Un film d'Edward Dmytryk (1945)
Après avoir personnifié Philip Marlowe, le fameux détective de Raymond Chandler, dans Murder, My Sweet (Adieu, ma belle - 1944) , Dick Powell retrouve le réalisateur Edward Dmytryk l'année suivante pour un superbe film noir intitulé Cornered (Pris au piège). Enquêteur toujours aussi doué, mais amateur cette fois, Powell joue le rôle de Laurence Gerard, un pilote canadien fraîchement démobilisé, qui part sur les traces des responsables de la mort de sa jeune épouse, une française fusillée avec les membres de son réseau de résistants. Dans ce film à l'arrière-plan passionnant, le portrait d'une Amérique minée par ses pulsions les plus inavouables (argent, sexe, pouvoir), laisse place à celui du monde de l'immédiat après-guerre qui n'a pas totalement exorcisé ses démons malgré la victoire. Nazis et collaborateurs courent toujours et Gerard les traque de la France dévastée (saisissants paysages apocalyptiques) à l'Argentine en passant par la Suisse. Au détective malin et un brin cynique, se substitue un homme déterminé mais blessé. Au propre, il porte une cicatrice sur le côté de la tempe. Au figuré, traumatisé, il est animé d'un furieux désir de vengeance. L'originalité du film vient de cette pulsion qui anime le héros, le rendant redoutablement efficace et pourtant souvent maladroit car trop sûr de lui.
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Photographie source Dr Macro
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30/03/2013
Caresser le rêve
10 millions - Un film de Jérémie Lenoir (2013)
Retour en Guinée pour Jérémie Lenoir après Foniké (2005) et Foniké [en guise de manifeste] (2008) et rappelons au passage que Foniké est un mot de la langue Soussou qui signifie «jeunesse». Retour à Conakry, de mai à juin 2012 pour ce nouveau documentaire poétique, politique et musical couplé à son travail avec la scène rap et hip-hop locale. 10 millions, du titre de l'une des chansons, morceau puissant, ouvre à nouveau une fenêtre directe sur le quotidien de ces jeunes guinéens. Elle leur permet de s'adresser directement à nous, les yeux dans les yeux, et de raconter leur vie, leurs galères, leurs espoirs, leur rage de vivre et de jouer des mots comme des instruments. S'y superpose le regard du réalisateur, pudique et discret, attentif, que l'on sent cette fois encore plus en empathie avec ce pays et ces gens. Un sentiment qui se renforce sans doute de l'expérience, de la connaissance plus intime née des expériences artistiques et humaines.
Conakry printemps 2012, rien n'a changé. Le pays reste pauvre, la démocratie une coquille vide, les réformes une incantation, le pouvoir... et bien mettez ici l'épithète que vous voulez, il sera adapté. Pour la jeune génération, tout est question de survie. L'absence de travail, les problèmes de nourriture, d'eau, d'électricité. « Comment se tenir propre dans ce pays ? » demande une jeune femme. L'avenir apparaît plus bouché que jamais. C'est ce qu'ils chantent, ce qu'ils scandent, ce qu'ils crient en plusieurs langues, avec ce qui leur reste : la poésie. Une arme brute gonflée des sanglots de la colère.
Du film sourd une grande impression de tristesse, une lassitude qui tranche avec l'énergie des films précédents. Le désarroi étouffe la colère et domine les textes des jeunes rappeurs. Outre les problèmes du quotidien, ils évoquent les disparus et contemplent à l'horizon un grand hôtel inaccessible, arrogante forteresse du pouvoir et de l'argent. Devant eux ne reste que la mer et un au-delà inimaginable. Cette tonalité sombre, renforcée par de nombreuses scènes nocturnes ou avec des ciels gris menaçants, est à peine atténuée par des moments plus apaisés, ceux où la musique change de registre : le morceau joué dans la voiture, la ballade à la guitare sur le générique final).
Ce sentiment donne de l'unité à un film composé comme un carnet mêlant poésies et croquis, sorte de carnet de voyage musical. Jérémie Lenoir fait montrer d 'une indéniable progression dans la maîtrise de son expression cinématographique. A l'énergie brute du filmage caméra au poing du premier opus, s'est substituée une plus grande assurance et un désir de recherche. 10 millions est un film qui ose. Il cherche et souvent trouve des formes originales en synergie avec la musique qu'il filme. Il y a par exemple cette scène incroyable où les rappeurs postillonnent tant et plus sur l'objectif de la caméra avant que la main du réalisateur ne surgisse pour essuyer l'objectif. Il y a ce superbe plan séquence sur les mains jouant du bolon dans la voiture. Il y a cet orage qui menace au loin. Il ya ces scènes éclairées à la lampe-torche. Il y a ces respirations du film, plans fixes et composés, ce motif du dormeur qui se réveille difficilement dessous son rideau rouge tranchant avec la pauvreté de la pièce. Il y a le visage lumineux d'Anny Kassy. Il y a le sentiment d'un voyage inédit dans une Afrique loin des clichés. Un voyage rude mais beau, beau mais rude, une façon de s'approcher de l'autre (vieille lune critique) qui prend ici un sens concret, une façon de caresser le rêve.
Film : Antoine filmé par Anny Kassy
Photographie : Capture DVD J. Lenoir
Le site Foniké
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11/03/2013
L'abominable Ogroff des bois
Ogroff - Un film de Norbert Moutier (1983)
Ogroff est un film tourné par Norbert Moutier, N. G. Mount pour faire plus joli à l'international. Ce film de 1983 est un véritable défi au spectateur qui n’a sans doute jamais vu quelque chose de pareil et qui devra faire appel à des ressources inédites pour tenir le temps du métrage. C’est également un défi au critique tant il est difficile de trouver un bout par lequel prendre cet objet filmique et tant il sera vain d’émettre un avis de quelque ordre soit il. A côté d’Ogroff, les films de Bruno Mattei, Demofilo Fidani, Ed Wood ou de Jean Rollin quand il faisait le mercenaire pour Eurociné, doivent être sérieusement réévalués. Ogroff est l’histoire d’un tueur fou qui sévit dans les bois du côté d’Orléans. Il y a aussi des zombies et un prêtre-vampire, mais il n’y a pas grand chose d’autre à dire de l’histoire. Techniquement Ogroff est une collection ahurissante de ratés à tous les niveaux. Un festival de faux raccords, dans le mouvement, la continuité et la lumière qui passe d’un plan à l’autre de l’ombre à la lumière, du bleu au vert, et sans prévenir. Tourné en muet, Ogroffa été intégralement postsynchronisé, mais semble t’il de mémoire car peu de sons sont calés sur les images. Les rares dialogues sont récités sans entrain, ce qui n’arrange pas le jeu approximatif des comédiens, à l’exception de l’apparition bienvenue de Howard Vernon à la fin du film (soyez patients). Je n’ose parler de ce qui fait office de musique. Le problème du film, ce n’est pas tant l’amateurisme de la chose mais son côté systématique. Pourtant on sent à ce niveau que cette critique n’est guère utile, pire pourrait passer pour du mépris. Le côté rudimentaire, primitif, d’Ogroff, est consubstantiel à son projet : faire un film fantastique de série Z en France, en 1983. Ce qui est original, c’est qu’il ne s’agit pas d’une commande, mais bien d’un projet délibéré et assumé tel. Ogroff est un film d’auteur.
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Ogroff par Orlof
Photographie Artus Films
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06/03/2013
Au bois de mon coeur
Périssable paradis - Un film de Gérard Courant (2002)
Le cinéma de Gérard Courant possède trois dimensions mais ne nécessite aucune lunette spéciale pour les percevoir. Je peux l’exprimer ainsi : la première est celle de l’archiviste. Gérard Courant filme tous les jours ou presque, comme on s’étire en se levant ou comme on se brosse les dents le soir. Pour se sentir bien, pour s’entretenir au physique comme au mental. Comme un dessinateur ne quitte pas son carnet de croquis, comme un cycliste qui a besoin de ses quelques dizaines de kilomètres réguliers. Pour mener à bien ce programme, Gérard Courant filme tout. Tout ce qui tombe sous son œil inlassablement curieux. Filmeur à l’œil-caméra, c’est son côté frère Lumière, eux qui tout à la joie de leur invention ont filmé les mille et une choses de leur quotidien, les gens, les lieux, sans préméditation ni se rendre compte immédiatement qu’ils fabriquaient de précieuses archives pour le futur. Gérard Courant, lui en est conscient, mais il s’efforce de retrouver l’innocence du geste. L’enfance de l’art. Son côté archiviste l’amène à trier, ordonner, classer, monter, montrer et préserver. Son œuvre est ainsi composée d’une base de centaines d’heures d’archives filmées, de sons aussi, et le temps travaille pour elle.
La seconde dimension est une dimension poétique. Il ne suffit pas de voir, il faut savoir regarder. S’il filme tout, Gérard Courant ne filme pas n’importe quoi. Il porte sur le monde un regard qui se veut à la fois discret et aimant. Qu’il filme les cinéastes, les actrices, les vélos, les rues de son enfance, les cinémas ou les arbres, il filme l’objet et le sentiment d’affection qu’il lui porte. Au travail contemplatif de sa mise en scène, qui vise à se faire oublier, se juxtapose un mouvement d’empathie pour le sujet. Une démarche poétique qui permet à la de révéler la beauté des choses et des gens. Il suffit de se souvenir de ce sourire lumineux de Sandrine Bonnaire dans ce Cinématon d’avant Pialat.
La troisième dimension, enfin, en une dimension transversale. Normal pour une troisième dimension. Les archives sont agencées, sous la conduite du regard poétique, en des constructions parfois complexes, parfois simples, qui brassent le temps, les espaces et des formats différents d’images (super 8, vidéo, 16 et 35 mm, intertitres) pour constituer soit une série (les Cinématons, les portraits de groupes, les cinémas où ont été projetés les films de Courant, etc.), soit un film individuel trouvant sa cohésion dans un thème (portraits de Joseph Morder ou de Luc Moullet, Chambery-Les Arcs, etc.). J’y vois une analogie avec le travail d’un géologue qui, à partir des différents types de roches affleurant la surface, dessine la coupe d’un terrain pour en raconter l’histoire.
Périssable paradis est un bel exemple de ce dernier type et éclairera, je l’espère, cette première partie toute théorique. C’est que ce principe des trois dimensions est capital pour saisir tout le plaisir que l’on peut avoir aux films de Gérard Courant. De 1985 à 2000, le cinéaste a habité face au bois de Vincennes au 103 avenue de Gravelle. Toutes ces années, il a donc filmé de différentes façons de multiples moments (les archives), depuis sa fenêtre, en promenade, à l’occasion d’une course cycliste, d’un événement météorologique remarquable (la neige, la neige sur Paris c’est toujours superbe), à l’occasion du tournage d’autres films ou d’événements particuliers. Périssable paradis est donc la chronique poétique d’un lieu, ce bois de Vincennes aimé, qui traverse les années, collection de petits instants, une aube, un crépuscule, fragments de Cinématons tournés là (transversalité), tournage de Chambery-Les Arcs, entretien pour la télévision, petites saynètes jouées pour l’occasion avec les amis, Moullet, Morder, Alain Riou, Arnaud Dazat à la Cipale. Précis selon son habitude, Courant donne les dates et les lieux, des informations et part à l’occasion sur les traces du passé avec le cinéaste Ali Akika (La mythique Université de Vincennes des années 70 aujourd’hui disparue).
Mais cette longue histoire d’amour entre Courant et le bois de Vincennes est traversée d’un drame qui donne une intensité particulière au film. En 1999 la France est traversée d’une formidable tempête qui dévaste, entre autre, le bois. Des arbres plusieurs fois centenaires sont arrachés, le paysage est ravagé, les routes coupées, le paradis qui semblait immémorial révèle sa fragilité. Il est blessé, il pourrait mourir. Déjà, comme il est dit à un moment du film, le Bois de Vincennes est un espace préservé de l’urbanisation implacable de Paris. Rien n’est acquit au bois, ni sa force, ni sa faiblesse. A la douceur du temps qui passe, Gérard Courant juxtapose la violence de la mort qui frappe. Mais il ne s’y résout pas et la dernière partie montre la lente convalescence du lieu, la paix progressivement retrouvée l’histoire qui se poursuit. Le film ne manque pas non plus d’humour, entre Moullet enterré jusqu’au cou dans les débris d’arbres, Morder traversant l’écran en monstre du bois sur les cris de King Kong (1933) en bande son, et cette profession de foi : à la question « êtes vous fou ? » posée par la télévision, Courant répond « sans doute, mais je le serais certainement plus si je devais attendre un ou deux ans pour faire un film ». Le cinéaste livre en passant sa conception de la pratique cinématographique dont Périssable paradisest un bel exemple.
Toute ceci ne serait rien s’il ne s’ajoutait le rapport au spectateur. Si les films de Gérard Courant permettent la découverte, ils peuvent toucher plus profondément ceux qui partagent les centres d’intérêt du réalisateur. Ainsi l’amateur de cyclisme ne pourra que retrouver sa passion dans Chambéry-Les Arcs, celui du cinéma de Philippe Garrel se réjouir des documents incomparables réunis par Courant dans ses entretiens avec l’auteur de L’enfant secret. En ce qui me concerne, j’ai vécu mon enfance parisienne aux portes du bois de Vincennes, Porte Dorée. Le bois, le lac Daumesnil, le petit temple, la Cipale, le rocher dominant le zoo de Vincennes, le parc floral, étaient autant de destinations des promenades familiales. C’est dire si le moindre des plans de Périssable paradis est pour une madeleine proustienne me ramenant à l’époque où je cavalais dans les feuilles tombées des marronniers. Cette faculté de partager de la matière intime sans pathos, avec délicatesse, sans avoir l’air d’y toucher, est la grande force du cinéma de Gérard Courant. Il nous propose de partager ici un peu de l’air frais sous les frondaisons d’un endroit unique au monde, quelque chose d’un art de vivre et de filmer.
Pour information, Périssable paradis sera diffusé le 15 mars 2013 au Forum des Images, à Paris. Séance à 19h00 en compagnie du court métrage Dévotion (1982).
Photographies : capture DVD Gérard Courant
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04/03/2013
Lincoln (2)
Ford, Ford, Ford !
D’un classicisme à l’autre, le cinéma de Steven Spielberg a un lien très fort avec celui de John Ford. C’est un lien évident mais à mon sens trop souvent abordé en surface, à l’occasion d’un cadrage ou d’une citation littérale, parfois sur le lien à l’Amérique ou sur le sentimentalisme. Belle exception, l’article de Christian Viviani sur Lincoln dans le Positif de févier qui va plus profondément. Les différences existent bien sûr, mais le lien est organique. Les deux hommes viennent de minorités (catholique irlandais, juif) et en ont souffert dans leur jeunesse. Ce sont des hommes au double visage. L’un fort, celui de réalisateurs célèbres et célébrés, producteurs, hommes de pouvoir dans leur domaine, et un plus sombre lié à une lucidité sur la nature humaine, un pessimisme viscéral qui pourtant ne l’emporte pas sur la part idéaliste mais la nuance. Cette contradiction interne est le moteur de leur cinéma, un cinéma auquel ils vouent une passion totale. Le rapport à leur pays est certes fondamental. Comme Franck Capra, ils ont une conscience aigue de ce que le système américain leur a apporté. Et ils font de l’histoire de ce pays la matière brute de leur œuvre. Avec Lincoln, il est inévitable que l’on convoque l’un des plus beaux films de Ford, Young mister Lincoln (Vers sa destinée– 1939). Ford prend Lincoln à ses débuts, jeune avocat de Springfield et homme politique débutant juché sur un tonneau pour haranguer ses concitoyens. Spielberg le prend dans les derniers mois de sa vie, menant le combat qui donne rétrospectivement le sens à son engagement.
A plus de 70 ans de distance, Spielberg procède de la même manière que Ford, montrant dans le même mouvement la légende et l’homme, l’irruption de l’icône (le chapeau !) au sein du récit à hauteur d’homme. On se rappellera ainsi cette scène où le Lincoln fordien se dresse tout à coup dans son bureau face à deux plaignants et déplie la grande silhouette de Henry Fonda pour devenir par un jeu de cadre et de lumière le président légendaire. Mais il montre également Lincoln arriver (avec le chapeau, déjà) sur un âne à Springfield. Spielberg reprend ce principe et multiplie les touches triviales avec humour, Lincoln à quatre pattes pour mettre des bûches dans la cheminé, Lincoln se couchant par terre à côté de son fils, Lincoln agonisant son entourage de ses histoires (plus ou moins) drôles. Et dans l’un de ces couloirs étriqués de la Maison Blanche, tout à coup un cadre et un contrejour dessinent la silhouette inoubliable. Il y a également tout ce qui a trait à la reconstitution et qui cherche par un effet de réel à contrebalancer l’importance historique de ce qui se joue. Dans un registre plus émouvant, on rapprochera l’insistance d’Ann Ruthledge à ce que le Lincoln de Ford fasse son droit avec la réplique de la femme du Lincoln de Spielberg : « Ne reviens pas sans avoir gagné ». Ce sont également deux films sur la parole, le film de Ford trouvant son climax dans un procès, mettant en valeur les dons d’orateur de Lincoln et sa force de conviction, mais sans rien dissimuler de sa roublardise. Ils possèdent en outre un niveau de lecture avec le moment de leur réalisation, que ce soient les années Roosevelt ou les années Obama. Il y a quelque chose d’exaltant à voir ces deux films dialoguer à travers les décennies. On pourrait poursuivre ce dialogue avec l’épisode Civil war de How the west was won (lLa conquête de l’Ouest – 1962), construit autour d’un dialogue Grant-Sherman et reléguant le spectacle de la guerre à une brève introduction et à une scène dans un hôpital de campagne ; et puis il y a un autre beau film bavard sur la politique, The last hurrah (La derniere fanfare – 1957). Lincoln est un grand film dans l’héritage fordien.
De l’art du compromis
Film ouvert, Lincoln prolonge à la fois Munich (sur les questions de choix dans le cadre d’une démocratie en guerre) et surtout Amistad (1998), film peu estimé (à tort, tu penses !) dans la filmographie de Spielberg. Un film également taxé d’« académisme », nouvelle marotte des détracteurs du cinéma du réalisateur, remplaçant « immature » car passé la cinquantaine, c’était nécessaire de se renouveler. Amistad comme Lincoln est un film sur la parole, sur l’apprentissage de la parole de l’autre et sur les joutes politico judicaires qui ont fait évoluer la condition et les droits des noirs en Amérique. Lincoln est le récit d’une action politique, film politique (un peu) et sur la politique (beaucoup). Écrit comme cela, ce n’est pas forcément excitant. Ca l’est pourtant car rares sont les films ayant abordé de façon centrale le sujet. Advise and consent (Tempête à Washington – 1962) d’Otto Preminger, la scène de débat dans le village de Land and Freedom (1996) de Ken Loach, Le promeneur du Champ de Mars (2002) de Robert Guédiguian, The last Hurrah… Spielberg innove en la matière puisque l’intégralité du film décrit un mécanisme politique sans rien dissimuler de la part de mesquinerie, de calcul, de manipulation, de tractation, d’intérêts privés, qui en font partie, et pourtant en faisant ressentir la grandeur de l’objectif. Lincoln est un grand film sur le compromis nécessaire sur la voie de l’idéal. La fin et les moyens. Spielberg décrit chez Lincoln la conviction profonde qui l’habite, conviction qu’il partage, ce serait la part idéaliste du réalisateur. Et il montre les moyens utilisés, exprimant là sa part de doute sur la nature humaine. La conclusion du film est à la même double face. Lincoln paye de sa vie sa victoire, la violence enraye l’avancée obtenue. Mais l’esclavage est aboli, l’Union sera sauve et les noirs pénètrent pour la première fois dans l’enceinte du Congrès, ouvrant une nouvelle histoire avec ses reculades (le Ku Klux Klan, les lynchages, la ségrégation), mais un mouvement progressiste de conquête âpre des droits, le mouvement des droits civiques, Martin Luther King et in fine un président noir en héritier de Lincoln. Un chemin pas pavé de roses, inachevé, mais qui grimpe. On comprend que cet éloge du compromis agace ceux qui aimeraient que cela aille plus vite, plus complètement. Spielberg le prend en compte avec le personnage de Stevens, tout en montrant que c’est par l’acceptation de cette idée de compromis, difficilement, que la bataille est gagnée.
Poussons le raisonnement, Lincoln est un grand film social-démocrate. Mais si. La grande scène du film, c’est bien sûr le vote. Et il n’y a pas plus de suspense dans cette scène que dans une douche à polémique. L’enjeu est ailleurs. Que nous montre le film ? Les sentiments de ceux que l’on a vu s’agiter dans leur tambouille de basse politique. Et qui prennent tout à coup conscience de l’importance du moment, de cet instant de haute politique où va écrire l’Histoire. Les visages sont graves, les yeux humides, nous voyons l’explosion de joie avec le chant Battle cry of freedom qui sera repris avec des chœurs lorsque nous suivrons Stevens à l’extérieur (un procédé fordien encore). Nous voyons le leader démocrate, battu, quitter le Congrès de dos. Lui aussi vient de prendre la mesure de l’événement, il disparait dans le passé et il le sait. Lincoln, lui, en connaissait déjà l’importance. Les autres la découvrent et sur leur visage se lit ce sentiment bien particulier de ceux qui vivent, en conscience, l’Histoire en train de se faire et faite avec eux. Ah c’est autrement exaltant que ce que l’on voit d’ordinaire sur un écran, mais je ne donnerais pas de noms. Histoire de nous faire redescendre en douceur, Spielberg fait suivre par une jolie scène où Stevens rapporte le texte original de l’amendement à celle que l’on prend pour sa domestique (là il y a un petit suspense), mais qui se révèle être sa compagne. Au vrai elle était les deux, madame Lydia Hamilton Smith. On mesurera (perfidement en ce qui me concerne) l’écart avec le Django Unchained de Quentin Tarantino, qui se défoule d’une colère qui a un siècle de retard, prétendant montrer l’Histoire sans être capable de l’inscrire dans la durée ni dans une réflexion plus large. Des combats d’hier, Spielberg fait un film pour aujourd’hui et sans doute pour demain, comme ceux de Ford. Je pourrais parler d’un artiste au sommet de son art si ce n’était le cas depuis bien longtemps.
Photographies : © 20th Century Fox
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03/03/2013
Lincoln (1)
A mon père et à mon fils pour leur anniversaire.
Lincoln est, comme presque toujours chez Steven Spielberg, un alliage riche entre préoccupations intimes et thématiques universelles, désir de montrer et pudeur viscérale, innovations formelles et volonté de perpétuer la grande forme classique hollywoodienne.
La fête des pères
Lincoln est tout d’abord un jalon essentiel de son obsession pour la figure paternelle. C’est un aspect de son œuvre assez souvent commenté. Les origines en sont connues. Le père de Steven Spielberg est celui qui introduit une caméra à la maison, caméra dont s’emparera son jeune fils. C’est aussi celui dont le travail entraîne d’incessants déménagements puis qui quitte la famille, laissant le jeune garçon désemparé. D’où une œuvre cinématographique riche en pères absents, incompétents, inconséquents où tout simplement maladroits. La palme revient au Roy Neary de Close encounters of the third kind (Rencontres du troisième type – 1978) qui plante femme et enfants pour embarquer dans le vaisseau mère des extraterrestres. Spielberg signe le scénario original. Il a 29 ans, sans attaches. Avec le temps, cette vision va évoluer avec des pères de substitution (les personnages de John Malkovich dans Empire of the sun (1987), du capitaine Miller dans Saving private Ryan (1998, dédié à son père) voire Oscar Schindler. Puis le père s’amende avec le personnage de Tom Cruise dans War of the worlds (2005), double inversé de Close encounters of the third kind, lui fait des pieds et des mains pour ramener la marmaille au foyer. Exception de taille, le Martin Brody de Jaws (1975), flic new-yorkais qui accepte de s’installer dans ce trou perdu d’Amity pour le bien de sa famille. Une station balnéaire, lui qui a horreur de l’eau. Et s’il embarque à la chasse au grand requin blanc, c’est d’abord en pensant à la sécurité de ses deux fils. A l’autre bout de cette filmographie, Lincoln, le 13e président des États-Unis pris en 1865 à la fin de la guerre de Sécession, manœuvrant de toute son habileté politique pour imposer le 13e amendement qui abolit l’esclavage. Le Lincoln de Spielberg est très proche de son Martin Brody. Comme lui, il combat une force monstrueuse et destructrice qui menace la cohésion de la communauté (Amity, l’Union) et directement ses fils (les attaques du requin, l’état de guerre). Lincoln et Brody, chacun à leur échelle, se battent pour préserver l’avenir de leurs enfants de toutes les ressources de leurs talents (physique, politique). Ils sont aussi tous les deux des hommes de responsabilité en butte à d’autres pouvoirs établis (les notables, les élus esclavagistes). Si Brody doit affronter sa phobie de l’eau, Lincoln, « Honest Abe » doit accepter les compromis et les manœuvres peu glorieuses. Dans leur combat obsessionnel et déterminé, ces deux personnages peuvent être rapprochés du Capitaine Achab de Melville (Voir là dessus le beau texte de Buster sur Balloonatic) et le sont littéralement par les mises en scène du réalisateur.
Lincoln apparaît ainsi un grand film sur la paternité. Le président est un père qui assume et qui assure. Père de la Nation, héritier direct des pères fondateurs, il fait ce qu’il faut pour conserver la cohésion de « la grande maison » son thème de campagne de 1860. Pour lui l’esclavage mine l’Union et il doit être éradiqué pour assurer son développement et partant son avenir. Conscient des sacrifices qu’il impose, de la guerre qui s’éternise, Lincoln ne recule pas devant les moyens : corruption, manipulations, mensonges. Père de famille, Lincoln est le père aimant que Spielberg montre dans une très belle scène rejoindre son fils cadet endormi entre ses soldats de plomb et des plaques photographiques d’enfants noirs vendus comme esclaves. Le réalisateur compose des images pleine de simple tendresse, quasi onirique quand père et fils sont derrière un rideau baigné de lumière, images qui renvoient aussi à d’autres images célèbres du président JFK jouant avec ses enfants à la Maison Blanche. Un façon de marquer une continuité. Lincoln est aussi le père qui accepte les aspirations de son aîné qui bout de ne pouvoir s’engager. Affrontant assez durement la mère, il accepte finalement de le laisser suivre sa voie, sachant que la meilleure protection qu’il puisse lui offrir sera la réussite de sa politique. Lincoln est encore le père qui éduque, laissant les terribles clichés à son cadet, proposant à son aîné de visiter un hôpital militaire où il aura une révélation du visage de la guerre, mais de façon détournée, involontaire en voyant une brouette pleine de membres amputés (Dans War of the worlds, la fille de Cruise découvre également par hasard les cadavres sur la rivière). Spielberg nuance le portrait en ne cachant rien des failles intimes, le souvenir d’un fils mort, les échanges parfois terribles avec sa femme, hésitations, maladresses. Mais au final, Lincoln est le film de la réconciliation avec la figure paternelle à l’ombre de la grande figure historique. Spielberg est désormais sexagénaire et il a cinq enfants.
Mise en scène
L’ouverture de Lincoln est une merveille. Quelques photographies d’époque pour dire ce qu’était l’esclavage puis une courte scène de bataille illustre tout ce que l’on verra de la terrible guerre de Sécession. C’est une empoignade sauvage entre sudistes en uniformes gris et soldats noirs de l’Union en uniforme bleu, uniformisés dans une mare de boue, sous la pluie. Et ça s’étrangle, ça se cogne, ça se fracasse à mains nues, vision préhistorique dans un bourbier d’apocalypse. Spielberg capable de la vaste scène du débarquement en Normandie n’a cette fois pas besoin de plus, comme il montrait la prise de Shanghai avec la mort de deux soldats chinois sur un toit. A ce magma originel répond, deux heures plus tard, la reddition du général Lee au général Grant à Appomattox. Uniformes impeccables et figés, salut des vainqueurs au vaincu. Une scène posée et muette, juste le frémissement des chevaux. Cette dignité retrouvée, c’est la promesse de la réconciliation. Juste avant, nous avons eu la visite de Lincoln sur un champ d’après la bataille. Scène muette, juste le pas des chevaux, composition en écho à quelques tableaux célèbres avec cadavres et épaves des combats. Le prix a payer. Economie de moyens pour montrer les ravages d’une guerre de cinq ans dont les possibilités spectaculaires ne sont plus à démontrer. Mais ce ne sera pas le film. Le véritable film est introduit par une autre scène très belle aussi. Deux soldats noirs racontent leur combat à Lincoln en visite sur le front. Ils expriment leur fierté de soldats et l’un d’eux cite les mots du président. Libres, ils préfigurent l’avenir, des citoyens responsables et engagés. Ils sont la vision d’un idéal. Spielberg évite toute grandiloquence en mettant en avant le jeu subtil des deux acteurs, cadre large pour leur donner de l’espace, façon de se tenir, d’envoyer leurs répliques, justesse de la façon de dire les mots. A leurs cotés, deux soldats blancs, de nouveaux engagés. Spielberg les montre plus maladroits, visiblement troublés par ces deux noirs portant le même uniforme qu’eux qui font si soldats, qui semblent mieux savoir pourquoi ils se battent. A l’idéal, Spielberg juxtapose la vision des difficultés à venir, le fossé qui va subsister, qui sera celui de la race mais aussi social et culturel. Au centre, en contrechamp, Lincoln est assis, surélevé, dominant de sa stature mais penché en avant avec bienveillance. Il est l’arbitre, il écoute. Dans cette courte scène si admirablement composée, Lincoln sait pourquoi et pour qui il va se battre. Avec cette scène Spielberg donne à voir à la fois l’homme et sa légende (le discours, le chapeau !), l’expression de l’idéal et la lucidité quand sa réalisation. Simplicité apparente du dispositif, complexité du sens et des niveaux de lecture, du grand art.
Avec le concours de ses collaborateurs habituels, Michael Kahn au montage, Januz Kaminski à la photographie, John Williams au commentaire musical, Spielberg orchestre sur un rythme soutenu les mécanismes qui vont mener à l’adoption du fameux amendement. Il mène de front l’immersion du spectateur dans le mécanisme politique visible des débats au Congrès, avec le mécanisme souterrain mettant en jeu deux équipes, le cabinet du Président à la Maison Blanche et des sortes d’hommes de main chargés des opérations de corruption. S’ajoutent les mécanismes psychologique et moral de Lincoln et du personnage clef de Thaddeus Stevens (Congressiste radical joué par Tommy Lee Jones), mécanismes intimes qui vont motiver les deux personnages tout au long du processus. Cette immersion passe par une reconstitution riche, que l’on imagine précise mais sans être excessivement spectaculaire et un scénario écrit par David Koepp, déjà auteur de Munich (2006) qui livre un grand nombre d’informations factuelles, fait rencontrer de nombreux personnages, sans que l’accumulation de détails fasse perdre le mouvement d’ensemble. En bon cinéaste américain classique, Spielberg essaye de rester le plus clair possible et trouve un point d’équilibre entre son histoire et l’Histoire. Il laisse de côté ses fameux travellings rapides en avant pour privilégier de simples recadrages, répartissant les paroles dans des compositions élaborées ou des champs-contrechamps calculés à la seconde. Il réserve des dispositifs plus complexes au couple présidentiel, avec les jeux de miroir lors des échanges dans la chambre. Tous les acteurs sont impeccables, y compris Daniel Day Lewis dans une composition qui aurait pu écraser le film. Mais non. A l’intérieur de ses cadres minutieux, Spielberg laisse affleurer les zones d’ombres, les aspirations que l’on refoule, les non dits à l’occasion de quelques moments forts comme le soudain coup de gueule de Lincoln frappant des deux mains sur la table ou le visage bouleversé de Stevens sur le point de mentir au Congrès. Le mouvement irrésistible du film possède cette beauté des grands classiques, comme une symphonie de Beethoven, traversé d’éclats d’images, la vision fulgurante de Lincoln-Achab se rêvant à la proue d’un navire filant sur l’océan, la scène du rideau déjà citée, l’étrange tableau de Lincoln sur son lit de mort, l’oreiller sanglant.
(A suivre)
Photographies : © 20th Century Fox
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28/02/2013
La pluie qui chante
Till the clouds roll by (La pluie qui chante) est une chanson de Jérôme Kern qui donne son titre au film hommage que la MGM consacre au compositeur en 1946. Comédie musicale à grand spectacle, c'est une œuvre typique du prestigieux studio hollywoodien, à la réalisation composite comme l'était Ziegfeld folies en 1945. Le film est signé Richard Whorf qui était surtout un acteur et a ensuite beaucoup réalisé pour la télévision. Il fait également intervenir deux spécialistes du genre, George Sidney que l'on a connu plus aérien pour un final bourratif qui laisse une impression d’écœurement, et surtout Vincente Minnelli qui dirige avec les yeux de l'amour mais d'une main sûre Judy Garland pour les meilleurs moments du film. Ce n'est donc pas la mise en scène qui donne son unité à la chose, mais la direction artistique de l'inamovible Cédric Gibbons, la production d'Arthur Freed maître du genre, la photographie en « glorious technicolor » de George J. Folsey et Harry Stradling, et l'équipe des techniciens canal habituel de la firme au lion. L’ensemble dégage un parfum inimitable de sophistication avec un petit côté prétentieux (distribution quatre étoiles, décors fastueux, ton solennel) qui n'est ici nullement équilibré par la vision d'un cinéaste. Facteur non négligeable, c'est bien le moins, la musique de Jérôme Kern.
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26/02/2013
Dita Parlo est la dame de pique
Assistant de René Clément dans les années 50, Léonard Keigel a eu une brève carrière de films méconnus, portés sur l'étrange, comme Qui ? (1970) avec le couple Romy Schneider et Maurice Ronet. La dame de pique est son second film, réalisé en 1965 et édité avec un soin particulier par les éditions Les Documents Cinématographiques dont il faut saluer l'initiative de sortir cette œuvre dan un DVD qui est aussi un bel objet (Digipack sophistiqué, cartes sur papier glacé, suppléments conséquents). Ce sont l'écrivain Julien Green et son fils adoptif Éric qui sont à l'origine du projet et choisissent d'adapter la nouvelle d'Alexandre Pouchkine parue en 1833 et quelque peu modifiée au passage. La nouvelle avait déjà été adaptée plusieurs fois pour l'écran. C'est aussi Green qui va chercher le réalisateur Keigel pour mettre en scène son scénario, réalisateur avec lequel il avait déjà travaillé pour Leviathan en 1962. Peu familier, c'est le moins que je puisse dire, avec l'œuvre de l'académicien, je ne saurais dire à quel point ce film est proche de son travail ni à quel point Keigel s'est approprié le projet. Toujours est-il que La dame de pique est un film atypique, non seulement pour son époque mais pour le cinéma français en général, relevant d'une tradition du fantastique à base littéraire qui a donné de bien belles choses mais de façon très ponctuelle. Des années 60, il n'a guère d'équivalent que dans le superbe court métrage de Robert Enrico La rivière du hibou adapté d'Ambrose Bierce et éventuellement l’envoûtant Un roi sans divertissement (1962) de François Leterrier adapté de Giono.
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Photographie de l'éditeur
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21/02/2013
Clermont 2013 - Partie 4 : Un peu plus loin
C'est peut être un signe des temps, mais nombre de films parlaient d'immigration et d'immigrés. Le kurde coincé dans son sous-sol bruxellois dans Sidewalk de Berivan Binevsa, les nouveaux arrivants aux États-Unis apprenant la langue dans l'intéressant Hôtel Pennsylvania de Marc Raymond Wilkins ou les maliens cherchant à gagner l'Europe dans l'animation de Luc Perz Miniyamba. Le film le plus détonnant sur ce thème venait d'Israël, Welcome and... our condoléances (Bienvenue et... sincères condoléances) de Leon Prudovsky. Ce film a une image assez moche, mais c'est fait exprès. Le film est censé avoir été réalisé par Mischa, un gamin de 12 ans qui filme au caméscope le voyage de sa famille d'URSS en Israël en 1991 quand l'émigration a été permise lors de la dislocation de l’empire soviétique. Le dispositif justifie donc cette image passée à la définition aléatoire et les mouvements de la caméra à la main. Mais rapidement, on se rend compte qu'il ne s'agit pas de mouvements anarchiques mais que la caméra est toujours là où il faut et raconte l'histoire avec une redoutable précision. C'est donc un joli travail « à la façon de » de la part du réalisateur, d'autant que le film est une comédie très réussie. La famille de Mischa rejoint dont la Terre Promise, pleine d'espoir, mais elle se trouve confrontée à un sacré problème quand la vieille tante meurt dans l'avion avant d'arriver. A l'aéroport, la situation prend un tour absurde puisque personne ne sait que faire de la morte. La seule ressource de la famille est de faire croire qu'elle est toujours vivante pour pouvoir la faire naturaliser, entrer et se faire enterrer. On imagine les nombreuses possibilités qu'ouvre cette incroyable situation, manière aussi de pointer les différences entre nouveaux arrivants avec leurs costumes passés et leurs réflexes de juifs soviétiques complètement perdus et les autorités en place, fonctionnaires blasés et ne connaissant que le règlement. De nombreux gags jouent sur ces opposition, d'autres sur le suspense, d'autres encore utilisent le dispositif de l'enfant filmeur qui assure également, comme un conte épique et dérisoire, la voix off. Un grand moment.
J'ignorais qu'il y avait différentes catégories de citoyens en Angleterre. On this island de Matthew Knott raconte l'édifiante histoire d'une professeur de grec, immigrée grecque elle-même, qui doit passer un examen particulièrement gratiné pour obtenir une catégorie supérieure, et se fait aider par un jeune fonctionnaire british pur jus postulant pour un poste dans l'une de ces instances européennes qui ont mis la Grèce à genoux. La situation ne manque pas de piquant et le réalisateur tire le meilleur partit de son dispositif, avec un grand moment quand son héroïne donne une représentation théâtrale dénonçant le sort fait à son pays. Mais à l’impossible nul n'est tenu et elle apprendra que personne ne peut acquérir ce niveau de citoyenneté, pas même Madonna. Ni les anglais ayant des défaillances dans la connaissance de leur propre culture. Le film dit des choses bien graves avec cet humour typiquement anglais où pointent parfois des accents de colère. Il y a de jolies notations sur les cultures nationales et ce qu'elles doivent l'une à l'autre, sur la façon dont elles sont considérées et maîtrisées par leurs nationaux. Cela passe parfois par de simples allusion visuelles comme ces colonnes grecques sur la peinture murale d'un vénérable bâtiment anglais. L'interprétation de Michele Valley et James Norton est excellente, comme la très belle photographie de Brian Fawcett.
Autre parabole lorgnant cette fois vers le fantastique avec le très beau Foxes de l’Irlandais Lorcan Finnegan. Un couple est installé dans un grand lotissement dont ils sont les seuls occupants. La crise est passée par là. Ils ont la seule pelouse tondue du coin et la seule lumière, le soir venu. On se croirait dans The walking dead. Si monsieur part travailler tous les matins, madame qui est photographe, n'a plus de boulot. La crise toujours. Dans cet environnement abandonné des hommes, la nature repointe le bout de son nez. En l’occurrence le museau de renards que Ellen se met à traquer avec son téléobjectif avant de devenir de plus en plus proche d'une tout autre manière. Le film, baigné de la lumière travaillée (ambiances nocturnes, ombres, tonalités bleutées métalliques) de Miguel De Olaso, emprunte des accents franchement fantastiques, faisant peut être référence aux femmes renards de la mythologie chinoise qui inspirèrent un très beau roman à Abraham Merritt. Mary Ruane dans le rôle de Ellen est une bien belle rousse.
A l'opposé de cette situation où se délitent les liens (amoureux, sociaux) jusqu'au retour à la vie sauvage, Best if used by de l'américaine Aemilia Scott raconte la façon dont ces liens peuvent se tisser à nouveau. C'est son premier film et elle en tient le rôle principal. Avec beaucoup de candeur et un soupçon de macabre, le film s'enclenche sur le refus d'une jeune femme, employée dans un supermarché, d'abandonner le corps de son compagnon soudainement défunt. Elle a donc l'idée de dérober le corps et de l'emmener dans la chambre froide de son lieu de travail. Là, au fur et à mesure des rencontres (les autres employés, la famille) va s'organiser une drôle de veillée funèbre, célébration de la vie autour du corps mort. C'est un film véritablement agréable grâce à sa belle mécanique de comédie et sa tonalité en équilibre. Aemilia Scott fait preuve de conviction et nous lui en sommes gré.
Le meilleur sera cette fois encore pour la fin. Qurban (sacrifice) vient d'Azerbaïdjan, pays du Caucase et visiblement une rude contrée. Le film est signé Anar Abbasov et il s'ouvre sur un somptueux panoramique circulaire à 360° sur une ferme. C'est le matin, lumière froide, légères brumes, les sons discrets de la campagne qui se réveille. Une femme sort et commence les travaux routiniers bien qu'elle soit enceinte. Puis un homme sort et il va s'installer pour prier. Tout est exprimé au cours de ce lent mouvement, de la beauté rude du lieu, de ceux qui y vivent et de leurs rapports. J'avoue avoir craint un moment une démonstration de pure technique, mais le reste du film m'a vite rassuré. Nous voici donc dans une famille musulmane traditionnelle dont Abbasov filme avec précision et attention les gestes du quotidien. On s'y croirait. Notre homme a trois filles. De sa femme il espère ardemment un fils et prie avec ferveur pour être exaucé. On craint un instant le cliché mais si l'homme laisse travailler sa femme, nous le voyons tendre avec ses filles. Il part. Il va se rendre sur le mont Athos pour y effectuer le sacrifice rituel, celui d'Abraham. Un mouton pour la vie de son fils. Nous le suivrons donc acheter un mouton, le choisir et l'emmener sur la montagne. Quand la voiture ne peut plus gravir les pentes rocailleuses, il part à pied. Son voyage est le centre du récit et autour de cet homme, tout en restant à sa hauteur, Abbasov filme en écran large une nature impressionnante comme une émanation du divin. Avec son chef opérateur Semion Amanatov (qui a débuté sur le premier film d'Abbasov, Beethoven, en 2009), le réalisateur filme les hautes montagnes, les vastes alpages, les brumes épaisses, la pluie et un superbe orage de grêle. C'est rare de filmer un véritable orage de grêle en montagne et ça inspire le respect. On pourrait penser qu'en luttant contre les éléments, l'homme et le mouton vont devenir amis, mais ce ne sera pas le cas. Pourtant, le scénario réserve une surprise de taille quand notre homme arrive enfin au lieu du sacrifice. Abbasov y décri de façon documentaire le défilé des pèlerins venus accomplir le même rite. Il y a là quelques plans assez durs, mais que l'on peut accepter dans le contexte. Reste que, tout en étant athée jusqu'à la moelle, on peut être sensible à cette belle réplique « Dieu n'a pas besoin de sang, mais d'amour ». Le film ne s'arrête pas à cette réflexion morale, mais poursuit sa route au cœur de cet homme et de ses bouleversements intimes. Le film réserve encore quelques surprises de taille pour revenir, apaisé, à la ferme, pour un final émouvant dans sa simplicité. Alors ce bébé, garçon ou fille ? Vous ne croyez quand même pas que je vais vous le dire ! Prix spécial du jury.
Photographies : Bref magazine
Un entretien autour du film On this island
Le site d'Aemilia Scott
Un entretien avec Lorcan Finnegan
17:54 Publié dans Cinéma, Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : clermont ferrand, court métrage, anar abbasov, aemilia scott, lorcan finnegan, matthew knott, leon prudovsky | Facebook | Imprimer | |