Femme debout (22/05/2013)

Ce qui est très agréable avec l'expérience ZoomArrière, c'est qu'elle donne envie de découvrir des films, éventuellement de les revoir. Suivant les bons conseils de mes camarades, j'ai profité de la promenade dans l'année 1954 pour voir ce qui restera le dernier film réalisé par Jean Grémillon, L'amour d'une femme, avec le curieux sentiment que je l'avais peut être bien déjà vu, mais complètement oublié. Ça arrive. J’inaugure pour l'occasion une note basée sur les photogrammes du film, captures du DVD Gaumont.

jean grémillon

De Jean Grémillon, on connaît surtout Remorques (1941) avec le couple Gabin – Morgan, l'océan et les tempêtes, Lumière d'été (1942), film solaire et magique tourné dans les Alpes Maritimes, et Le ciel est à vous (1944) avec Madeleine Renaud en aviatrice. Je ne connais pas du tout sa période muette où il tourne des documentaires, mais il a plusieurs autres titres tout à fait estimables quoique assez oubliés aujourd'hui. Ce n'est pas toujours un nom qui vient immédiatement à l'esprit quand on évoque les cinéastes majeurs des années 30/40, il en fait à mon sens tout à fait partie. C'est un grand cinéaste de la passion, des femmes et des éléments de préférence déchaînés. L'amour d'une femme est a ce titre une magnifique synthèse.

jean grémillon

L'héroïne de Grémillon, c'est Micheline Presle, la Boule de Suif de Christian Jaque. Elle incarne la doctoresse Marie Prieur qui débarque sur l'île d'Ouessant pour remplacer le vieux praticien qui prend sa retraite. Elle va devoir se faire accepter dans ce milieu rude et lutter contre les préjugés, mais surtout résoudre ses propres contradictions, passionnante lutte interne entre désir amoureux et accomplissement professionnel. Grémillon la filme magnifiquement avec quelques gros plans comme celui-ci d'une grande puissance d'émotion.

jean grémillon

Mais il l’inscrit aussi dans son environnent et montre comment elle va physiquement y prendre sa place. Au début du film, lors de son installation, il y a cette image de Marie découvrant le phare de la Jument depuis sa chambre. Un bâtiment mythique que Philippe Lioret utilisera dans L'équipieren 2004. Je sens un rapport souterrain entre Marie et Mabé, le personnage joué par Sandrine Bonnaire mise dans une situation inversée (elle est l'autochtone). La figure du phare, très avancé sur l'océan, y joue un rôle similaire se prêtant à de multiples symboliques : la solitude, la ténacité, le courage, le défi à relever, la force intérieure.

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Carette, Julien Carette, le parigot dans toute sa splendeur se coule en Le Quellec, bedeau breton condamné par Marie Prieur au régime sec. Personnage truculent, fordien, respiration d'un film rude. C'est en le revoyant que je me suis dit que je connaissais déjà le film.

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Joli collage, on dirait du Godard avec dix ans d'avance. Gaby Morlay, très classe (en institutrice!) inscrit les dilemmes de Marie dans la continuité. Germaine Leblanc aussi est venue, seule, s'accomplir dans sa mission éducative. Elle a mené le même combat avec bonheur mais non sans une certaine mélancolie. Elle incarne aussi, dans un film qui aborde toutes les facettes d'une situation, la crainte de la solitude quand vient le temps de la retraite. Et pour boucler la boucle, Grémillon introduit à la fin du film la jeune remplaçante de madame Leblanc, jouée par Jacqueline Jehanneuf, dont ce sont les débuts. Elle débarque avec les mêmes rêves que Marie mais elle a trouvé une solution pour concilier vie affective et vie professionnelle. Pour Grémillon, le combat s'inscrit dans la continuité et il progresse.

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Filmé à Ouessant, L'amour d'une femme est un film de grand air claustrophobique. Il rend le côté compact du village, un endroit qui peut à la fois être chaleureux et redoutable quand la collectivité s'immisce dans les vies privées et s'oppose à l'intimité. Cette gestion originale de l'espace est une des beautés de la mise en scène de Grémillon.

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Dans le village, le bar est le pivot de toutes les actions. Le point où se rencontrent tous les personnages, lieu des conflits, lieu de détente, lieu où se célèbre la victoire de Marie mais où se brise sa passion amoureuse pour le bel ingénieur qui ne sait pas y trouver sa place, pris par ses propres préjugés et son égoïsme.

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Grémillon, c'est aussi une dimension spectaculaire. L'océan déchaîné, le canot, le vent, un cinéma physique dans la continuité des ses œuvres précédentes. Malgré l'artifice du studio sur certains plans (pas celui-ci), la traversée de Marie pour secourir un gardien de phare en pleine tempête est le morceau de bravoure du film. Comme dans les films de Howard Hawks, accomplissement de l'être passe par ce courage face au danger partagé et à l'exercice maîtrisé de son métier. Marie est une grande professionnelle.

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Et elle le prouvera dans la superbe scène de l'intervention chirurgicale, dans le phare avec la tempête qui hurle au dehors et ces hommes fascinés par les gestes, précis, admirables, de la doctoresse. J'adore les scènes d'opération et celle-ci est au petit poil.

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Il y a encore chez Grémillon une dose d'ironie quasi blasphématoire. Tandis que son amie est victime d'une attaque, Marie folâtre avec son amant dans les ruines d'une église. Et Grémillon de nous donner quelques plans somptueux et délicatement érotiques de cette passion qui oublie tout avant que...

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