Fenêtre (16/05/2013)
Mud. Un film de Jeff Nichols (2012)
Au moment ou s'ouvre le 66e Festival de Cannes, il me semble intéressant de revenir sur cette sortie tardive du Mud de Jeff Nichols actuellement dans les salles, sortie sans doute due à des contraintes de distribution. Je ne peux m'empêcher de rapprocher ce fait avec sa présentation cannoise, le dernier jour alors que depuis une semaine le festival ressassait comme un mantra que l'édition était décevante. Du coup, j'avais eu l'impression que le film, présenté à un public lassé et ne pensant qu'à son départ imminent, était passé par pertes et profits. Mud reste pour moi une réussite majeur et à vue de nez le meilleur des films de la compétition 2012. A l'époque je n'avais pas encore vu le film précédent de Nichols, Take Shelter (2011) dont plusieurs collègues blogueurs avaient fait l'éloge. Sur le moment, et malgré l'envie que j'en avais, je n'ai pas réussi à écrire quelque chose. Je me suis dit que j'y reviendrais au moment de la sortie en salles et puis le film n'est pas sortit et le souvenir s'est estompé. D'une façon curieuse, il me reste aujourd'hui une impression d'ensemble forte, l'atmosphère, le ton et quelques images qui vont me rester. Si je creuse là-dedans, en faisant l'effort de ne rien lire d'actuel comme l'ensemble élogieux dans le dernier Positif, de ne pas consulter les fiches ici et là, qu'est-ce qui ressort ? Un lieu, les bords du Mississippi, le fleuve, terres et eaux mêlées, des petits îlots, une végétation dense, le soleil. Un espace pour l'Aventure. Des gens vivent là, dans des baraques construites sur les rives, ils ont quelque chose des pionniers. Une rudesse, le verbe rare, une idée de la dignité chevillée au corps, une violence aussi. Il est possible de les voir également comme des refoulés de l'Amérique du XIXe siècle. Ils sont pauvres, ils sont à part mais certains y sont venu volontairement (le personnage joué par Sam Shepard).
Le héros du film est un adolescent flanqué de son camarade et Nichols cite clairement les romans de Mark Twain. Comme dans Tom Sawyer et La vie sur le Mississippi, il est question d'initiation à la vie, à l'amour, à la mort. Beau programme. Les deux enfants rencontrent un drôle de type, Mud, un taulard évadé avec un revolver et des tatouages, joué avec intensité par Matthew McConaughey, réfugié dans un bateau échoué sur un arbre. Belle image. Il y a cette fois du Robert Louis Stevenson, avec cet homme en marge et ses promesses d'aventures et de danger comme Long John Silver quand il entre dans la taverne de l'amiral Benbow. Cette fois la promesse sera tenue. Mud convainc les enfants en leur disant qu'il est là par amour, pour retrouver sa compagne. Faut-il le croire ? Nichols entretien le doute une bonne partie du métrage, sans trop insister parce que l'intérêt, c'est que les personnages y croient. Dans Take shelter, le héros est persuadé qu'une tornade va arriver et « à force de raconter des choses horribles, elles finissent par arriver ». Mais ce n'est pas plus mal. Levez vous orages désirés ! Dans Mud, il y aura de l'action, des coups de feu, de la romance, une femme très belle en danger, le mouvement au sein d'une nature exaltante, le danger, la douleur, la mort, bref comme disait Samuel Fuller, en un mot l'émotion.
J'ai oublié beaucoup de choses de Mud, mais il y a ce plan superbe d'une fenêtre ouverte sur la nuit que contemple le jeune héros. Il se demande s'il doit sortir, affronter les peurs primales pour rejoindre le taulard fascinant sur le fleuve. Les bruits de la nuit entrent avec le vent léger. Image sublime de l'appel de l'Aventure, effrayant mis irrésistible. Besoin de fiction et de rêve. Le jeune héros n'y résiste pas. Ce courant d'air frais, c'est celui du cinéma de Jeff Nichols. Un cinéma franc et direct, qui s'émerveille sans mysticisme, qui raconte sans clin d’œil ni coup de coude complice, sans complaisance. Un cinéma à hauteur d'homme, à hauteur d'imaginaire. Un cinéma devenu rare en résistant aux effets pyrotechniques et au spectaculaire vain dans l'air du temps un peu d'air frais sur le cynisme ordinaire.
09:33 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jeff nichols | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Nous sommes d'accord. Je n'ai peut-être pas assez insisté dans ma note mais la force du cinéma de Nichols tient dans sa croyance absolue dans le pouvoir de la fiction.
Écrit par : dr orlof | 16/05/2013
Rebonjour Vincent, j'ai apprécié ce film (le premier que je voyais de Jeff Nichols) mais j'ai trouve que les adultes phacocytent trop l'histoire au détriment des deux garçons. C'est eux les vrais héros et on ne les voit pas assez. Bonne après-midi.
Écrit par : dasola | 12/06/2013
Enfin un avis qui ne se sent pas obligé de ramener Nichols au cinéma de Terrence Malick avec lequel il partage en réalité de moins en moins de points communs. Il faut insister au contraire sur ce tableau de la vie au bord de l'eau, un bout d'Amérique précaire qui me semble bien mieux filmé par la caméra de Jeff que par celle de Zeitlin. Et cette fin lumineuse en guise de contre-pied à la note pessimiste de "take Shelter"... Superbe.
Écrit par : princécranoir | 15/06/2013
Cela vient sans doute du fait que je n'apprécie guère le cinéma de Malick. Je crois que Nichols a travaillé avec lui et qu'il l'apprécie mais j'avais dû écrire là-dessus, ça aurait été pour dire que je ne voyais pas le rapport. Pour être juste, il y a un petit quelque chose sur quelques plans de nature, mais rien ce cette approche mystique de Malick qui m'agace. Comme vous le soulignez, c'est le tableau d'une parcelle d'humanité, filmée à hauteur d'homme (pas vu le Zeiltin) même si ces hommes ont des rêves. Superbe, on est bien d'accord.
Écrit par : Vincent | 15/06/2013