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29/04/2015

Un film de 1976

25/04/2015

L'avènement de la femme serpent

Kashin no irezumi : ureta tsubo (La vie secrète de Madame Yoshino - 1976) Un film de Masaru Konuma.

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Pour commencer, je prendrais la précaution de signaler que je ne suis en rien un spécialiste du Japon. Je n'y ai jamais mis les pieds, je n'ai jamais vu une pièce de théâtre Kabuki et l'idée de me faire tatouer fait frissonner d'horreur le douillet que je suis. J'ai juste quelques notions d'histoire et de culture générale, venues le plus souvent par le cinéma. C'est écrit. Ceci posé, la perception que j'ai de l'amour chez les japonais, du rapport amoureux homme-femme, est marqué d'une violence singulière. C'est la première chose qui me vient à l'esprit quand je pense à leur cinéma sous cet angle. D'Akira Kurosawa (« Idiot de samouraï ! ») à Nagisa Oshima, de Kenji Mizoguchi à Seijun Suzuki, de Sohei Immamura à Kōji Wakamatsu, les fruits de la passion sont très épicés. C'est un festival de domination, de brutalité, souvent de viols, de coups, de pleurs, de cris, d'étreintes nerveuses, dans l'urgence. Les femmes crient comme de douleur, les hommes sont frénétiques, maladroits et pervers. Sous le double règne du sadisme et du masochisme, la tendresse est rare. L'incompréhension règne entre les sexes, amour et sexualité comme parasités par les contraintes sociales voire politiques. S'ajoutent deux spécialités fascinantes et exotiques, le tatouage aux multiples significations, et le bondage ou la pratique sophistiquée du ficelage de dames.

masaru konuma,naomi tani

Nous retrouvons tout cela dans Kashin no irezumi : ureta tsubo (La vie secrète de Madame Yoshino) tourné en 1976 par Masaru Konuma. Ce film fait partie des « Romans pornos » produits à partir de 1970 par le studio Nikkatsu alors en perte de vitesse. Une spécialité qui permit à Konuma de passer d'assistant à réalisateur et de devenir un maître en la matière avec une prédilection pour le sadomasochisme. Il avait trouvé sa voie. Le « Roman porno » est l'appellation maison du film érotique ou pinku eiga (littéralement : film rose) selon la Nikkatsu. Il n'est pourtant pas pornographique au sens occidental du terme, la simulation est la règle et les japonais floutent ou insèrent un petit cache sur tout ce qui se passe trop explicitement entre les jambes. Pas question de voir un poil ! Nombre de ces productions très populaires ont bénéficié de moyens conséquents, écran large, 35mm, photographie, décors et costumes soignés, il y eu de véritables réussites et l'édifiante histoire de madame Yoshino en fait partie.

Cette dame vit seule et fabrique de superbes poupées traditionnelles représentant des personnages du théâtre Kabuki. Veuve après six mois de mariage, elle a élevé seule sa fille Takako, désormais une jeune femme, et entretien le souvenir de son amour défunt. Mais pas seulement. A la limite, ça commence comme un film de Yasujirō Ozu. La fille vient visiter sa mère, elles parlent de leurs vies. Takako évoque ses projets et reproche à sa mère de se murer dans le souvenir de l'époux disparu. Masaru Konuma construit en quelques touches sobres et intimistes une opposition de styles et de caractères. Madame Yoshino en kimono et postures traditionnelles, réservée avec ses gestes posés, Takako jeune femme moderne à l'occidentale, vive et dynamique. Changement de ton quand, à l'occasion d'une scène de salle de bain à priori innocente, la fille empoigne violemment le sein de sa mère qui la repousse avec douceur. A partir de ce geste troublant, nous quittons Ozu sans retour. Le scenario de Kiyoharu Matsuoka introduit Hideo, jeune ami bientôt petit ami de Takako, dans lequel Madame Yoshino croit reconnaître (et pour cause) un ancien amant, acteur de Kabuki qui l'aurait violée dans sa jeunesse. Le scénario n'est pas très clair sur le sujet et j'en suis à me demander si cet acteur n'est pas aussi le père de Takako ce qui ouvre des perspectives hardies. C'est déjà assez complexe. Les deux femmes vont entrer dans une rivalité amoureuse pour le jeune homme en une succession de scènes de plus en plus tordues aboutissant à l'inévitable rencontre entre Éros et Thanatos.

Surtout Madame Yoshino, dont des flashbacks révèlent ses étreintes passées en coulisses avec l'acteur, va faire valser sa façade prude avec en point d'orgue le tatouage sur tout le corps, lors d'une scène assez hallucinante, du dessin d'une poupée du Kakubi, figure de la femme serpent qui renvoie à un classique du cinéma fantastique asiatique (que l'on se souvienne du superbe Green snake (1993) de Tsui Hark). Madame Yoshino est d'abord une femme dominée. Nous la voyons droguée et violée par son patron au début du film, traitée comme un objet et frappée par le tatoueur, rudoyée par Hideo. Transcendée par son superbe tatouage, elle devient autre à l'issue d'un bain bien symbolique et revient subjuguer en une contre plongée explicite le tatoueur, inverse les rapports et peut revenir vers Hideo pour une ultime étreinte où, serpent divin, elle fascine l'homme et peut prendre la position dominante. Acrobatique aussi. Viendra la confrontation finale avec sa fille qui brise, toujours symboliquement via un miroir, le charme.

masaru konuma,naomi tani

On le voit, le film présente une richesse de thèmes et de motifs que Masaru Konuma explore dans une mise en scène précise alliant rigueur classique, dans les cadres, l'utilisation des décors, la précision de la gestuelle, et des accès baroques que ce soit dans la photographie de Katsu Mori qui évoque Mario Bava, et le montage sophistiqué de Toyoharu Nishimura renforcé de la musique à base de percussions hypnotiques de Yasuo Higuchi. L'opposition entre les deux femmes et le double visage de Madame Yoshino se traduit par le télescopage de ces deux tendances qui forment le style du réalisateur. Ce qui frappe, comme dans les autres films de ce genre que je connais, c'est la beauté formelle des films. Écran large, cadres millimétrés, travail sur la profondeur de champ et les couleurs, soin apporté aux décors et aux accessoires. Je ne suis pas surpris d'apprendre que Konuma avait travaillé avec Seijun Suzuki et admirait ses films. Ils ont la même façon d'investir le cinéma de genre et d'en faire quelque chose d'unique et personnel. Konuma manie le symbole avec allégresse. Il multiplie les figures du double, les effets miroirs, poussant les scènes dans leur retranchements.

Il y a trois grands moments. Dans le premier, madame Yoshino, après avoir fait l'amour avec Hideo, observe depuis un grenier où elle a du se cacher, sa fille faire l'amour avec le jeune homme (quelle santé!). Elle se met à se caresser, créant un troublant ménage à trois. Cette scène fait écho à celle initiale de la salle de bain comme à la confusion sur Hideo que madame Yoshino identifie à l'acteur Kabuki. Konuma crée une image forte, gardant les deux actions sur la même image en jouant sur le cadre et la profondeur. Toute la scène finale est un grand moment d'érotisme à la tonalité fantastique où le tatouage semble s'animer d'une vie propre sur le corps de la femme. Là encore, cadre, éclairages aux couleurs vives, montage musical, contribuent à sublimer les émotions de cette femme qui abolit par le sexe les frontières du temps. Mais le sommet du film, c'est la séance de tatouage, centrale et très détaillée. Pour la réaliser, Masaru Konuma a fait appel, à un tatoueur traditionnel, filmant ses mains au travail pour les gros plans. Nous avions vu Madame Yoshino troublée par le jeune artiste au regard sombre. Il apparaît comme un signe du destin à notre héroïne sous la pluie semblable avec son ombrelle à Meiko Kaji. Son désir l'amène a franchir le pas. Dans l'atelier du tatoueur, au sein d'une ambiance gothique de nuit d'orage, l'acte initiatique prend toute sa valeur, dégage tout son potentiel fantasmatique. Madame Yoshino se livre, par strates, mais totalement. Elle se tord de douleur sous les mains expertes mais impitoyables du tatoueur qui voit en elle comme une matière brute à son chef d’œuvre. Il est comme possédé par son travail de créateur. Encore un beau symbole ! Sans ménagement, il la dévêt petit à petit, faisant progresser le dessin dans sa plus secrète intimité, niant son humanité quand il la frappe lorsque ses convulsions l'empêchent de travailler comme il faut. Douleur, sexe, art, la scène laisse sur les genoux. Elle est suive par celle du bain d'une musicalité tout en retenue, qui voit émerger une nouvelle madame Yoshino, femme-déesse révélée, conquérante.

masaru konuma,naomi tani

Tout ceci fonctionne aussi par la grâce de l’interprétation, encore que les femmes soient mieux servies que les hommes. Keizô Kanie en tatoueur est ténébreux à souhait. Dans le rôle de Hideo, Shinshô Nakamaru manque un peu de charisme mais je ne suis pas le mieux placé pour en juger. Takako Kitagawa a l'insolence et la légèreté physique nécessaire à Takako. Mais la star du film, c'est la splendide Naomi Tani qui laisse sans mot, sans souffle, dans son incarnation de madame Yoshino. A la Nikkatsu, elle est la reine du sadomasochisme avec deux autres films importants réalisée par Konuma, Hana to hebi (Fleur secrète – 1974) et Ikenie fujin (Une femme à sacrifier - 1974) qui furent de gros succès, suivis de bien d'autres. D'une très grande beauté classique, elle est aussi à l'aise dans les scènes de jeu dramatique que dans les scènes érotiques pour lesquelles elle fait preuve d'un tempérament rare, s'affranchissant de tous les tabous, donnant un réalisme sensuel et sauvage à la séance de tatouage, au hasard. Elle sait nous entraîner sur des fleuves houleux aux confins des territoires secrets de son personnage.

Photographies DR

A lire chez le Cinéphile Stakhanoviste

Sur Critikat

20/04/2015

Big racket

Il grande racket (Big racket - 1976), un film d'Enzo G. Castellari

Texte pour les Fiches du Cinéma

«C'est un film fasciste. C'est un film abject. C'est un film idiot. Il est fasciste parce que, en mélangeant le stéréotype du justicier solitaire avec celui du policier rendu impuissant dans l'exercice de ses fonctions par les règles de l'état de droit [...], Il soutient l'idéologie réactionnaire selon laquelle la criminalité ne se combat pas en appliquant les lois, mais en opposant violence à violence selon la loi du talion : dent pour dent, meurtre pour meurtre», écrivit sur Il grande racket signé Enzo G. Castellari, l'année de sa sortie, le fameux critique italien Morando Morandini dans Il Giorno. Il y a de ça. Alors par quel étrange paradoxe, par quelle secrète perversité, me suis-je réjouis en pleine conscience de ce polar très violent et si peu subtil ? Un peu par esprit de contradiction, sans doute, mais surtout parce que la mise en scène de Castelleri est superbe et que le film, dans son genre et à tous les niveaux, est une réussite. Comme l'était d'ailleurs son premier polar en 1973, La polizia incrimina, la legge assolve (Témoin à abattre) avec Franco Nero en flic acharné.

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Castellari, c'est le réalisateur de Quella sporca storia nel west (Django porte sa croix -1968) et de Keoma (1976) ce qui permet d'être indulgent sur le reste de sa filmographie. Castellari aime le cinéma d'une manière viscérale, passionnée et exubérante. Pour peu qu'on le laisse faire et qu'il soit en forme, il fera d'une simple scène un morceau de bravoure, tirant les possibilités au maximum, avec des élans tragiques, des accès mélodramatiques, des éclairs de violence, découplant l'action, dilatant le temps, usant avec gourmandise de ralentis, de flashbacks, de distorsion du son, de cadres improbables, s'emparant d'idées vues chez les autres et dont il s'est dit : « Ça, il faut que je le mette dans un film ! ». Ainsi, dans Il grande racket , Castellari a sans doute été traumatisé par l’accident de voiture dans Les choses de la vie (1970) de Claude Sautet. Alors quand son inspecteur Nico Palmieri qui traque un gang de racketteurs à Rome, est surprit par la bande dans un terrain vague, il est balancé dans sa voiture du haut d'une colline et dévale en tonneaux la pente. Castellari plante sa caméra dans l’habitacle et fait valser son acteur, Fabio Testi, entre bris de verre et cigarettes, au ralentit comme il l'a vu faire à Michel Piccoli. La scène est impressionnante sans être gratuite puisque c'est le traumatisme originel qui va amener Palmieri à faire de son enquête une quête personnelle. Le film est ainsi plein des admirations cinéphiles de Castellari (Sam Peckinpah en particulier) comme de son goût prononcé pour le western. Quasiment tous ses films y reviennent d'une façon où de l'autre.

Il faut dire que le genre policier à l’italienne ou poliziottesco dont Il grande racket est l'un des plus beaux fleurons, est d'un point de vue économique un genre qui prend le relais du western en déliquescence au début des années soixante dix. Il naît d'une tradition de films policiers critiques « de gauche » (Francesco Rosi, Damiano Damiani, Elio Petri...), de formes héritées du western (ce sont les mêmes techniciens, les mêmes acteurs que l'on va retrouver), et de l'exploitation, souvent sans nuance, des peurs de l'Italie des années de plomb, en proie à la violence (politique, terroriste, criminelle). D’où cette production abondante et populaire, un rien démagogique, qui mettra en scène des héros d'une pièce, policiers, magistrats, journalistes de base, en butte au crime comme à la corruption des élites. Palmieri, dans le scénario signé Castellari, Massimo De Rita et Dino Maiuri, spécialistes du genre qui ont travaillé de concert sur Città violenta (1970) et Revolver (1973) de Sergio Sollima, est donc chargé de cette affaire de racket orchestré par une bande d'affreux particulièrement vicieux, dirigés dans l'ombre par un mystérieux marseillais (Ah ! Ces étrangers!) et une grosse huile dont on ne connaîtra l’identité qu'à la fin.

enzo g. castellari

Le film est divisé en trois parties, chacune correspondant à une gradation dans l'implication de Palmieri. D'abord, il mène l'enquête officiellement. Ensuite, dessaisi mais toujours dans la police, il continue de son propre chef. Enfin, pour le grand final, il poursuit son action après avoir été viré de la police. Chaque passage d'étape est sanctionné par un échec retentissant : l'enlèvement et le viol, suivi du suicide de la fille du restaurateur, la fusillade qui dégénère en massacre à la gare Tiburtina de Rome et le lynchage du jeune Piccio. Et à chaque fois, l'action est relancée par l'arrivée de nouveaux personnage essentiels : le champion de ball-trap, le truand à l'ancienne Pepe et le détenu Domenico. Du coup, si les figures imposées du genre sont bien présentes, Castelleri maintient un intérêt constant, voire grandissant, par une narration plus complexe que prévue. Structure en étoile où chacun des récits de la première heure converge via les personnages quand Palmieri recrute les différentes victimes du gang pour mener sa guerre personnelle, quelque chose comme « Les 5 salopards de la vengeance ». Ce qui nous ramène inévitablement au western et à Peckinpah puisque la fusillade finale démarque The wild bunch (La horde sauvage – 1969). Castellari mène son affaire à un rythme soutenu, avec l'aide de son monteur favori, Gianfranco Amicucci, et de la partition très pop des frères De Angelis. Les ambiances sont soignées, que ce soit dans la descriptions quasi documentaire des rues de Rome en 1976 ou dans l'utilisation de vastes décors (la gare, l'usine du final) dans lesquels Castellari donne la pleine (dé)mesure de son goût pour l'action. C'est dans cette approche formelle que réside toute la séduction du film, le pur plaisir du film de genre.

Il est facile de dénoncer ce plaisir comme régressif, de reprocher à Castellari d'évacuer par l'action et le schématisme des personnages toute réflexion. D'accord, Castellari n'est pas Fritz Lang. Il choisi son camp qui est celui du poliziottesco et se fait la traduction des angoisses de l'italien moyen coincé entre les deux mâchoires de la violence criminelle et ce celle de l'état. Symboliquement, Castellari joue le petit rôle d'un patron de trattoria racketté, et c'est sa fille Stefania qui joue le rôle de la fille martyrisée du restaurateur, après avoir été la fille sacrifiée du policier joué par Franco Nero dans La polizia incrimina, la legge assolve. Pourtant son film n'est pas plus fasciste que ceux de la série des Dirty Harry. Pas plus, pas moins. Je pense aussi que Morando Morandini le traite un peu vite d'idiot. Peut être est-il plus facile de faire la part des choses aujourd'hui plutôt que dans l'Italie de l'époque où les passions politiques et sociales étaient exacerbées. Avec le recul, il est possible de mieux voir les nuances dans les gros sabots du film.

enzo g. castellari

Le comparer à des films équivalents est aussi intéressant, comme Milano trema: la polizia vuole giustizia (1973) signé Sergio Martino, ou Uomini si nasce poliziotti si muore (1976) par Ruggero Deodato. Dans ces deux cas fonctionnant sur les mêmes ressorts et l'on peut dire les mêmes valeurs, je ne perçois ni recul par rapport aux actions des personnages (Quand le flic tord le cou du truand blessé chez Deodato par exemple), ni la moindre tentative de lien entre les policiers et les victimes (Chez Martino, on envoie bandits et otages valser dans le décor sans état d'âme). Les gros sabots pèsent dix tonnes. L’interprétation compte pour beaucoup. Fabio Testi qui jouait la même année chez Andrzej Żuławski dans L'important c'est d'aimer arrive à donner une véritable épaisseur à Palmieri. Nombre de seconds rôles sont excellents comme Renzo Palmer en père désespéré, Vincent Gardenia en truand de l'ancienne école ou Sal Borgese, vieil ami du couple Bud Spencer – Terence Hill, en adjoint de Palmieri. Autour d'eux, c'est un festival de ces trognes du cinéma de genre italien dont les trois acteurs qui jouent les méchants frères de Kéoma. Et puis il y a la belle Marcella Michelangeli qui campe un personnage féminin de méchante plus féroce que les mâles. Leur force de conviction permet de faire passer bien des choses et le geste final joué par Testi a une tout autre force que celui du fade Luc Merenda chez Martino.

Il me semble que la manipulation du spectateur chez Castellari est tempérée par un certain nombre d'éléments qui apportent un contrepoint bienvenu. Le passage le plus troublant est le lynchage de Piccio. Avec son oncle Pepe, il se font piéger par le gang lors d'un hold-up. Malgré l'intervention de Palmieri et de ses hommes, les membres du gang arrivent à manipuler une foule qui s'empare du jeune homme et le massacre. Cette foule, même manipulée, ce sont les braves gens que défend Palmieri. Ce sont aussi d'une certaine façon les spectateurs qui approuvent les méthodes de l'inspecteur et qui font le succès du film. Castellari renvoie une image dérangeante de la violence et des dangers de la manipulation, notion sensible en ces années troubles et qui revient lors de l'épisode qui implique un groupe politisé. Cette scène très amère sonne comme un avertissement avant que Palmieri ne passe définitivement son Rubicon. Certes, les méchants sont irrécupérables, infects et sadiques, et leur mort se vit comme une catharsis. C'est sans doute plus acceptable dans le cadre irréel du western que dans celui contemporain, réaliste, du polar. Mais du côté des braves gens, Castellari montre bien la façon dont l'exercice de la violence en retour les détruit de l'intérieur. Le restaurateur est le cas le plus frappant, basculant franchement dans la folie sous la double action de la douleur et de la vengeance. Mazzarelli, le patron de boîte de nuit handicapé après son tabassage finit mi homme, mi machine, passablement illuminé quand il crie « Tu ne sais pas que je suis invulnérable ! ». Palmieri reste le plus intéressant. Là où le Harry de Clint Eastwood se met en retrait où menace de démissionner face aux carences de sa hiérarchie, Palmieri passe outre et s’affranchit en conscience de la loi qu'il défend. Il recrute un groupe de mercenaires composé majoritairement de truands, et d'un fou, pour ce qui est clairement une vengeance hors de tout cadre. Le massacre final sonne comme un échec complet et le geste final rageur et désespéré de l'inspecteur rejoint celui de son collègue dans La polizia incrimina, la legge assolve qui se rendait compte du prix qu'il avait payé pour faire son boulot et qui, ayant dans un éclair la vison de sa propre fin, comprenait qu'il avait gagné une victoire mais sans doute pas la guerre. Le formidable film d'action à l’adrénaline n'est peut être pas si idiot que cela.

Photographies : Son of celluloïd

13/04/2015

A la découverte de Akihiro/Miwa

Miwa : à la recherche du lézard noir (2010) un film de Pascal-Alex Vincent

Texte pour Les Fiches du Cinéma

L'histoire du cinéma est pleine de récits incroyables, mais peu sont aussi étonnants que celui de Miwa. C'est celui que choisi de nous raconter Pascal-Alex Vincent dans son documentaire réalisé en 2010. Miwa, c'est le nom de scène de Akihiro Maruyama, né Shingo Maruyama en 1935 à Nagasaki et qui vivra dix ans plus tard le second bombardement à l'arme atomique de l'histoire. Miwa est un artiste homme qui a construit sa carrière en créant, en habitant, un personnage d'artiste femme. Un travesti si l'on veut mais le terme, techniquement juste, est bien limité pour rendre compte du destin unique de ce jeune homme un peu androgyne qui a vécu, et vit toujours, la vie d'une star féminine. Chanteur, acteur de cinéma et de théâtre, compositeur, écrivain, icône gay et d’avant-garde, poète et muse, Miwa/Akihiro traverse quelques cinquante années de l’histoire du Japon. Il/elle est toujours là « où ça se passe ». Au contact des mouvements les plus novateurs, des artistes les plus exigeants. Dans les années cinquante, c'est l'écrivain Yukio Mishima qui en tombe amoureux. A cette époque, Miwa est encore Akihiro et chante dans les cabarets, un répertoire marqué par la chanson française, Édith Piaf (qu'il adore et interprète en français dans le texte), Charles Trénet et Gilbert Bécaud. Mishima adapte pour le théâtre un roman de Edogawa Rampo, Le lézard noir, autour des aventures hautes en couleurs d'une femme criminelle et sophistiquée, Fantômas en robes lamées et talons hauts. Après l'échec d'une première adaptation cinématographique avec Machiko Kyô, Mishima convainc Akihiro de jouer le rôle sur les planches. La tournée est un succès et en 1968 un nouveau film est réalisé par Kinji Fukasaku qui sera aussi un gros succès international. C'est ce film, sortit tardivement en France en 1982 qui le fera connaître au public hexagonal. A ce stade, Akihiro explique qu'il s'était rendu compte combien il fascinait habillé en femme, et combien on l'ignorait en homme. Et en 1970, à la mort de Mishima, il prend le nom de Miwa (« Beau cercle »).

pascal-alex vincent,miwa

Dès les années soixante, Miwa/Akihiro se glisse dans le mouvement contestataire, étudiant et artistique ici comme ailleurs. En 1964, après avoir été touché de la détresse d'une population ouvrière à l'occasion d'un spectacle dans une province minière, Miwa/Akihiro qui militait déjà pour les droits des homosexuels, s'implique dans le social et écrit ce qui sera son plus gros succès musical, Yoitomake no Uta (La chanson de l'ouvrier-journalier). A la même époque, il collabore avec le metteur en scène Shûji Terayama, figure de proue de l'underground avec La Marie-Vison qui sera un triomphe au théâtre, et le film Sho o Suteyo, Machi e Deyō (Jetons nos livres, sortons dans la rue – 1971). Et Miwa poursuit sa carrière unique avec des spectacles réguliers, tours de chant et théâtre. Devenu une icône, on va la retrouver avec une nouvelle génération, Takeshi Kitano l'invite dans ses émissions télévisées puis lui donne un rôle dans Takeshi's (2005). Plus étonnant encore, il rencontre Hayao Miyazaki qui lui confie la voix de Moro, la déesse louve de Princesse Mononoké (1997) et celle de la sorcière des landes pour Hauru no Ugoku Shiro (Le château dans le ciel - 2004). En 2007, il joue le rôle de Sissi dans l'adaptation sur scène de L’aigle à deux têtes de Jean Cocteau.

pascal-alex vincent,miwa

Miwa est toujours là, avec ses perruques blondes, ses robes colorées et satinées, ses foulards, ce raffinement un peu kitsch mêlant modernité et tradition. Le documentaire rappelle que dans le théâtre Kabuki, les rôles de femmes sont tenus par des hommes. Pascal-Alex Vincent construit son film autour d'entretiens récents avec Miwa qui pose en majesté, icône recevant comme autrefois les grandes courtisanes dans leur boudoir. Miwa parle d'une voix douce et habitée d'une solide détermination. C'est sans biaiser qu'il évoque les blessures de sa jeunesse liées à son homosexualité. On devine un être toujours à fleur de peau dans ce visage troublant, masculin-féminin qui conserve son pouvoir d’ambiguïté et de fascination comme aux temps du lézard noir. La grande réussite du film est de laisser cette fascination s'exercer et de nous ouvrir à toute cette culture japonaise pas toujours bien connue. Ce qui est par ailleurs remarquable, ce sont les passerelles établies par les artistes japonais avec notre culture française, les chansons bien sûr, mais aussi le théâtre et le cinéma (Terrayama admirait par exemple le cinéma de Marcel Carné). Le film embrasse avec clarté une longue période de l'après-guerre à la période contemporaine, des années de contestation à celle de la chute des grands studios, du monde de la scène à celui de l'écran. L'ensemble se complète d'un livret dense qui reprend les propos de Miwa et permet de revenir sur tel ou tel point. Et pour parfaire notre approche occidentale, la présente édition propose la version japonaise, un poil plus longue, du documentaire, ainsi que le numéro de l'émission Tracks d'ARTE consacrée aux japonais extravagants, Kitano en tête, mais aussi, bouclons la boucle, Kinji Fukasaku dont le retrait pour cause de maladie de Sono Otoko, Kyōbō ni Tsuki (Violent Cop - 1989) permit à Kitano de passer à la réalisation. La recherche du lézard noir se révèle l'épatante découverte d'un artiste unique.

A lire sur Critikat

Photographies DR

06/04/2015

J'avais fini par le croire immortel...

Manoel De Oliveira (par Gérard Courant) 1908 - 2015

31/03/2015

Espions à l'italienne

Operazione Goldman (1966) d'Antonio Margheriti et Le spie vengono dal semifreddo (L'espion qui venait du surgelé - 1966) de Mario Bava.

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Le succès dès 1962 des aventures de l'agent 007 au service secret de sa majesté va faire de l'espion le personnage emblématique du cinéma d'action des années soixante. Dans le sillage de résultats exponentiels, une frénésie de films de toutes nationalités déferle sur les écrans du monde, lâchant sur les écrans des agents aux multiples talents et aux matricules les plus divers. Harry Palmer, Matt Helm, OSS117, Coplan, 008, 077, Bob Fleming, notre homme Flint, Bulldog Drummond, le tigre qui se parfume à la dynamite, le Monocle... Les producteurs italiens, avec ce sens de l'à-propos qui fait leur charme alimentent le marché à coup de petites bandes, le plus souvent en coproduction avec la France, l’Espagne ou l'Allemagne. Si ce genre se laisse aller à la plus grande fantaisie, il s'en tient à quelques éléments clefs déclinés à l'infini ou plutôt jusqu'à la lassitude de spectateurs du samedi soir et des salles de quartier. Lieux exotiques, héros décontractés, jeunes filles accortes et court vêtues, bases secrètes, gadgets improbables, coupés sport rutilants, savants fous et maîtres du monde diaboliques, une bonne bagarre et un zeste d'érotisme. Servez frais.

C'est dans cette collection de cocktails que plongent les éditions Artus pour une nouvelle série « Eurospy ». Première salve avec deux titres signés en 1966 de maîtres du cinéma populaire, Operazione Goldman d'Antonio Margheriti et Le spie vengono dal semifreddo (L'espion qui venait du surgelé) de Mario Bava (Rattaché pourtant à la collection Ciné-fumetti).

Opération chéquier

Le film d'Antonio Margheriti respecte les codes du genre à la lettre jusque dans ses volontés de décalage. L'espion Harry Senneth nous est présenté comme un non violent dont l'arme de prédilection est un carnet de chèques avec crédit illimité auprès du trésor américain. Méthode douce sauf pour le contribuable. Nous le verrons pourtant distribuer force tatanes et manchettes aux sbires du vilain dans les couloirs de sa base secrète, forcément secrète, un peu à la façon de Bruce Lee quelques années plus tard, ce qui confirme le côté visionnaire de Margheriti. Dans le même esprit, le supérieur de Senneth est une femme, la belle capitaine Patricia Flanagan jouée par sexy Diana Loris. Mais reculant devant leur audace, Margheriti et ses scénaristes Alfonso Balcáza, Ernesto Gastaldi et José Antonio de la Loma, ne font presque rien de cette intéressante situation. Bien que présentée comme experte en karaté, elle ne fait rien de plus que la James Bond girl moyenne et se réfugie dans la poitrine virile de son subordonné. Elle disparaît même à la moitié du film pour ne revenir qu'à l'occasion de l'inévitable baiser final.

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Le vilain de cette affaire se nomme Rehte. Brasseur de métier, il a une base sous Cap Kennedy, un laser, un superbe pupitre de commande qui sert le whisky avec glace, enlève des savants, et veut dominer le monde. La routine. Ses sbires sont innombrables et vêtus de noir façon Diabolik. Margheriti aime les effets spéciaux et les bricolages. Dans Operazione Goldman, il s'en donne à cœur joie avec les maquettes de la base de Rehte, sa chambre cryogénique où il congèle les savants enlevés, et un superbe raz de marée de lave qui dévastera tout ceci. Il mêle ces décors de studio à des stock-shots de la NASA, toujours à la limite de la parodie. Le film fonctionne bien, c'est à dire que l'on ne s'ennuie pas, que l'on sourit souvent et que l'on s'amuse sans arrière-pensée. Cela tient au rythme soutenu, porté par le montage de l'espagnol Juan Luis Oliver. Vif et précis, il ne donne jamais dans l'agitation et arrive à lier aussi bien que possible les éléments disparates composant le film. La partition très sixties, jazzy et enlevée signée par Riz Ortolani achève de lier la sauce. Côté distribution, tout le monde s'amuse beaucoup. Diana Loris et Wandisa Guida sont très agréables à regarder, Folco Lulli en Rehte pastiche sans retenue le Blofeld bondien, pianotant sur ses consoles avec conviction. Paco Sanz, l'inoubliable pasteur allumé de Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux - 1967) est un impeccable professeur séquestré. Dans le rôle de Senneth, Anthony Eisley dont le titre de gloire est d'avoir tourné pour Samuel Fuller dans The Naked Kiss (1964) manque un peu de charisme, son détachement frôlant l'absence. Au final, nous tenons avec cette Opérazione Goldman un petit film très agréable qui est une bonne introduction au genre.

Franco, Ciccio et le grand Vincent

"Le film le plus terrible dans lequel j'ai joué. Tout ce qui pouvait aller de travers l'a fait » disait Vincent Price de Le spie vengono dal semifreddo signé la même année par Mario Bava en personne. Coproduction avec l'américaine AIP de Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, producteurs de Roger Corman, ce film est l'étrange conjonction de la suite de Doctor Goldfoot and the Bikini Machine (1965) de Norman Taurog et d'un projet bien italien de parodie avec le duo Franco et Ciccio. Ce duo mérite quelques explications. Franco Franchi et Ciccio Ingrassia, le petit rond et grimacier associé au grand longiligne et imperturbable, ont formé un duo comique à usage exclusivement transalpin, incroyablement populaire chez eux, à peu près inconnus ailleurs. Leur humour, un burlesque très démonstratif, a quelque chose du duo américain Abbott et Costello. Comme « Il Principe » Totò, leurs films relèvent souvent de la parodie des succès du moment. Franco et Ciccio ont une bonne centaine de films à leur actif avec des titres comme Per un pugno nell'occhio (1965) ou I due figli dei Trinità (1972). Pourtant ils auront été dirigés par les plus grands, Luigi Comencini, Steno, Federico Fellini, les frères Taviani, Lucio Fulci ou Sergio Corbucci. Et ici par Mario Bava.

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De ce projet bicéphale, il sortira deux versions. L'italienne mettant en valeur le duo comique, l'américaine capitalisant le succès de Vincent Price. La bonne idée des éditions Artus est de proposer les deux. Mais l'une comme l'autre ont les mêmes défauts. Peu inspiré Bava ne fait guère preuve de son talent, même s'il se débrouille pour placer un de ses plans fétiches derrière des plantes. Le docteur Goldfoot est cette fois l'inventeur de robots en forme de demoiselles court vêtues qui vont draguer les officiers de l'OTAN et exploser au premier baiser appuyé. Face à cette redoutable menace, Franco et Ciccio sont deux apprentis espions suivant leurs cours par correspondance, se révélant deux catastrophes quand il s'agit de passer à la pratique. Il sont néanmoins aidés par un espion authentique et américain joué par le juvénile chanteur Fabian, et sa fiancée jouée par la belle Laura Antonelli qui fait ici ses débuts. Franco et Ciccio dévorent littéralement la version italienne par leurs pitreries pas toujours supportables (j'avoue avoir du mal avec les grimaces hyperboliques de Franco qui va jusqu'à se déguiser en poulet), et seul Vincent Price en roue libre arrive à exister. Le spectateur indulgent pourra s'amuser de quelques gags, en particulier la parodie du Dr Folamour de Stanley Kubrick qui voit le duo assis sur une bombe atomique pour tenter de la désamorcer.

Mario Bava n'a visiblement le cœur à rien. Malgré le sujet, il n'y a aucun de ses fameux effets de lumière ni de ses jeux habiles sur les décors. L'empilement anarchique de scènes ne reculant devant aucun excès échoue à créer une folie pop comme dans le contemporain et collectif Casino Royale. A vrai dire, Bava n'est pas à l'aise avec la comédie comme il le prouvera encore avec Roy Colt e Winchester Jack (1970). La version américaine est remontée sans sa participation, et la musique de Lallo Gori remplacée par une partition de Les Baxter. Mario Bava détestait le film et comme il n'y a pas de justice, ce fut l'un de ses plus gros succès au box-office italien. A moins d'être un fan de Franco et Ciccio, on s'ennuie vite, et l'on regarde passer les jambes des jeunes femmes. Bava pourra se rattraper l'année suivante avec son superbe Diabolik. Pas tout à fait de l'espionnage, mais du grand cinéma.

En complément de ces deux éditions, Alain Petit pour le premier et Eric Peretti pour le second, apportent leurs éclairages érudits sur le genre et les coulisses des deux films.

24/03/2015

Lectures pour tous

Sur Zoom arrière, c'est l'occasion de retourner en 1975. Sur Les nuits du chasseur de films, les garçons sont de sortie pour un cache-cache printanier. Citizen poulpe écrit un long article sur le Tonnerre de Guillaume Brac et je me dis qu'il serait temps que je finisse le mien. À rebours d'une certaine critique officielle, les blogueurs ont accueilli avec plus d'intérêt le dernier opus eastwoodien, et plus de finesse me semble-t-il. Florilège :

"... Clint Eastwood en a pleinement conscience et American Sniper, loin de toute hagiographie, se révèle une entreprise de déconstruction de l'héroïsme américain." sur For now we see through a glass darkly

"Pour Eastwood, il est évident que l'acte de tirer n'est pas un acte anodin : pas d'éloge donc des troufions ni de croisade contre de prétendus barbares mais une description minutieuse de la folie guerrière vécue de l'intérieur." chez le Bon Dr Orlof

" Il est sûr que les américains possèdent un sens patriotique qui nous échappe sans doute. J'ai vu moi un excellent film de guerre avec des scènes qui n'éludent pas l'horreur de ce qui se produit sur ces champs de bataille improvisés en plein cœur des villes détruites." chez Pascale Sur la route du cinéma.

"Dans l'ombre du Dr Clint classique, il se trouve toujours un Mr Eastwood maniériste pour venir distordre la perspective ordinaire." chez Timothée Gérardin dans Fenêtre sur cour.

"Le cinéaste garde ses distances avec lui, ne lui offrant que sa compassion pour ce destin cruel, déshumanisé qui a été décidé pour lui par d’autres et qui l’a mis à l’écart de la vie." par Erwan Desbois sur Playlist Society (Via FredMJG)

blogs,clint eastwood

Photographie Keith Bernstein

17/03/2015

La solitude du sniper de fond

American sniper (2014) un film de Clint Eastwood

Une grande part des réflexions qui suivent, je me les suis faites avant de découvrir le nouveau film de Clint Eastwood, Américan sniper. Je n'ai pas pu éviter de tomber sur les discours polémiques, chez Libération (Didier Péron et Julien Gester), Télérama (Aurélien Ferenczi), et la sortie de Michael Moore qu'il a nuancée par la suite. Je me suis dit : « Que se passe-t-il ? » Notre homme Clint, après avoir été plus ou moins canonisé, voire embaumé prématurément à l'occasion de films moins excitants, se retrouve attaqué comme au bon vieux temps des années soixante dix, réactionnaire, dangereusement ambigu, propagandiste, nationaliste, impérialiste. Certains ont même dégainé le bon vieux et définitif « fasciste » de Pauline Kael. « Voilà, me dis-je, qui doit lui donner un sacré coup de jeune ». Et quelque part, du côté de son travail de cinéaste sur son pays, son histoire, ses valeurs, ses complexités, ses errements, il y a quelque chose de réjouissant à voir ceux qui se sont contorsionnés autour de ses plus beaux films pour en faire un réalisateur respectable, qui se sont découvert avec surprise une sensibilité commune autour des destins de Will Munny, de Charlie Parker ou de Red Stovall, se retrouver bien embêtés quand Eastwood revient à un sujet qui fâche, ici la guerre en Irak. Eastwood pourtant n'a pas changé. Il est toujours ce cinéaste conservateur, profondément américain, parfois agaçant, qui poursuit une réflexion sur son pays et la tension qui existe entre ses idéaux et ce qui les mine, la violence. Violence urbaine chez Dirty Harry, violence sociale de Mystic river (2003) et Million dollar baby (2004), violence politique de J. Edgar (2011) à l'intérieur et, dans son nouveau film, à l'extérieur. C'est cette ligne qui le rapproche de John Ford, moins le sens de la communauté. Les personnages de Eastwood sont des solitaires et seuls Bronco Billy et Josey Wales, presque malgré eux, arrivent à recréer quelque chose.

Vu d'ici, de l'Europe, il est certain que l'Amérique profonde dont Eastwood est un excellent guide, n'est pas faite pour rassurer. Nous sommes plus à l'aise avec un Michael Moore, mais sommes nous plus avancés ? Eastwood dérange mais pousse, du moins devrait pousser, à la réflexion. Moore dénonce mais nous conforte dans nos idées et nous donne une sorte de bonne conscience. Ceci dit, les deux visions sont légitimes et en tant que spectateur, j'apprécie de pouvoir avoir les deux points de vue. Tout ceci se cristallise dans le personnage de Chris Kyle, inspiré d'un tireur d'élite bien réel, au centre de cet Américan Sniper. Eastwood ne choisit pas un brave GI's de base, ni un tortionnaire d'Abou Ghraïb, mais un de ces soldats haut de gamme, les Navy Seals, dont la première mission est la protection des troupes au sol qui progressent pas à pas, la seconde de traquer les plus redoutables de leurs ennemis. Kyle est de la même unité que ces hommes qui ont pisté Ben Laden et l'ont exécuté au Pakistan. Le sniper, c'est un type qui s'embusque et, fort d'une technologie de pointe, abat ses cibles de loin. Comme le relève Moore, le sniper a aujourd'hui une image négative. Il personnifie la mort qui frappe sans prévenir, bien loin du face à face héroïque. Mais qu’est-ce qu'un sniper sinon un soldat particulièrement doué ? Pour le tir s'entend. Cette notion de don, notion mystique, religieuse, bien américaine, est très présente dans le western, ce don balistique qui est vécu dans quelques grandes œuvres comme un talent et une malédiction. C'est le beau film de Henry King, The gunfighter (La cible humaine – 1950). Concentré, précis, efficace, le bon tireur d'élite est celui qui fait bien son boulot. Et qu'est-ce que le bon boulot pour un soldat en temps de guerre, sinon d'éliminer un maximum d'ennemis pour assurer la victoire ?

J'ai été surpris, dans ce que j'ai lu, de ne pas voir mentionné le lien avec le Sergeant York (1941) de Howard Hawks, jusqu'à l'excellent article de Jean-Baptiste Thoret dans Charlie-Hebdo (tiens). Le parallèle me semblait évident, connaissant le goût classique d'Eastwood. York, lui aussi inspiré d'un véritable soldat, héros de la première guerre mondiale, est un tireur d'élite. Héritier lointain de La Longue Carabine Œil-de-Faucon, il est chasseur d’exception et vient de l'Amérique profonde, le Tennessee quand Kyle est du Texas. Il part au loin, au-delà de l'Atlantique, pour défendre une certaine idée de son pays. Sur le front il va aider sa compagnie grâce à ses talents de tireur et abat les soldats allemands comme pipes à la foire. On le verra même imiter le cri du dindon pour faire sortir les têtes ennemies de leur tranchée. Même si Hawks donne à son personnage un dilemme moral, l'objection de conscience pour motifs religieux, York n'a pas lors de cette scène centrale d'états d'âme. Rapprocher York et Kyle est riche. Les ressemblances comme les différences s'incarnent physiquement. York a la prestance élancée et le regard clair de Gary Cooper, le lancier du Bengale, le Mr Deeds de Franck Capra., Beau Geste. Kyle a la stature épaisse, massive de Bradley Cooper (!), l'air buté et parfois perdu derrière lequel on lit comme une fêlure. York transgresse ses croyances religieuses pour celles de son pays et le salut de ses camarades. Kyle est un cow-boy raté qui se raccroche à une vision frustre de ces valeurs inculquées de façon traumatisantes par son père. York était élevé par une mère sublime comme les américains en ont le secret. Les corps disent ce qui sépare des hommes aux parcours similaires.

Ces différences doivent élargir la réflexion à la guerre, à son effet sur l'homme et ses séquelles. Sergeant York en 1941 est le film d'un pays prêt à entrer dans une guerre contre de redoutables idéologies totalitaires, et à ce niveau, il est sûr de lui. Hawks est par ailleurs un cinéaste aristocratique et tout à fait conservateur. American sniper se situe durant une guerre dont le moins que l'on puisse en dire est qu'elle n'a pas fait l'unanimité, y compris en Amérique même. Et à ce niveau, il me semble que c'est un film qui doute. Il ne faudrait pas confondre le film et son personnage. Eastwood montre les certitudes de son personnage au cœur d'un environnement contradictoire. Contrairement à ce que j'ai pu lire, le film multiplie les éléments qui s'opposent à la vision de Kyle, même s'ils ne prennent pas une forme de revendication. Il y a son frère qui repart, dégoûté « Qu'ils aillent se faire foutre », avec ce regard qui en a trop vu au point de ne pouvoir en parler à son propre frère. Il y a les doutes plus clairement exprimés par son camarade, dans une scène où l'on sent qu'il ne pourra pas lui en parler jusqu'à un certain point, sachant que Kyle ne comprendrait pas. Il y a le regard de sa femme qui le voit sombrer petit à petit et qui est le marqueur des changements que la guerre opère sur son époux. Il y a le personnage du psy qui essaye de formuler ces changements, s’étonne de sa froideur, de son assurance. Il y a le regard du cinéaste sur cet homme, qui nous colle à lui, à son fonctionnement, à ses décisions, sans le juger, mais avec lucidité.

On a reproché un peu vite à Eastwood de ne pas aborder les mensonges de l'administration Bush, la fable des armes de destruction massives, les tortures, les lois d'exceptions... Mais ce n'est pas le propos du cinéaste de faire un film à thèse, un film de dénonciation pour se donner bonne conscience. Il s'intéresse à l'effet de cette guerre sur l'américain de base. Si Kyle avait des doutes, il ne serait pas Kyle et ce serait un autre film. Légitime, mais un autre film. Pareil pour les irakiens. J'ai lu le reproche fait à Eastwood de ne pas filmer l'autre, comme Robert Guédiguian ne savait pas filmer les policiers. Mais les irakiens sont filmés tels que Kyle peut les voir. Dans une zone de guerre. Il y a le traducteur qui collabore, les combattants et les civils pris entre deux feux. Si un film doit donner le point de vue de ceux-là, ce doit être un film fait par des irakiens. Avec franchise, Eastwood pose dès la première scène l'enjeu de son film. Les premières cibles de Kyle sont une jeune femme et un enfant. Tirera ? Tirera pas ? La réponse qui est apportée sans ambiguïté pose la question de l'humanité d'un homme confronté à de telles situation, qui doit prendre pareilles décisions. La question aussi d'une situation qui amène de tels actes. Comment concilier ces choix extrêmes avec les valeurs d'un pays tel que l'Amérique ? Du moins les valeurs qu'il met en avant et sur lesquelles qu'il prétend reposer. Et si l'on admet que, comme Kyle, de choix il n'y a pas, comment espérer pour de tels hommes retrouver une vie normale sans danger ? Comment espérer sauvegarder sa part d'humanité ? Cela semble pour Eastwood quasi impossible. Que Kyle, le soldat véritable prenant relais du personnage fictionné à la toute fin, ait été tué par un autre vétéran schizophrène, prend force de symbole. On pensera à « Qui a vécu par l'épée périra par L'épée ». Indirectement, Kyle est tué par la violence exercée en Irak.

Une chose m'a frappé, c'est l'utilisation, sur ces dernières images documentaires, de la version de la sonnerie aux morts orchestrée par Ennio Morricone pour Il ritorno di Ringo (Le retour de Ringo – 1966) de Duccio Tessari. Je m’étonne qu'avec toutes les version disponibles, Eastwood ait choisi celle venue d'Italie qui accompagne les images d'un enterrement bidon, une mise en scène macabre où l'on veut faire croire à la femme de Ringo que son époux est mort. La construction d'un héros pour mieux voler son héritage. Je doute qu'il ne s'agisse que de nostalgie leonienne. J'y vois un signe fort et toute la différence avec le final bouffon de Quentin Tarantino qui utilisait les accents de Trinità sur son film contre les vilains esclavagistes.

Que fallait-il faire ? Eastwood ne cherche pas à trancher et à côté de cette violence exercée qui mine son personnage, il montre la violence de l'ennemi, une violence qu'il faut voir en face, comme nous l'avons vue en face, en ce début d'année. Comme Kyle la voit le 11 septembre 2001. Là encore, je n'y vois pas la justification d'une politique, celle de l'administration Bush Junior, tout aussi calamiteuse que celle de son père, avec ses mensonges, ses bêtises et son naufrage moral. Mais c'est la justification du personnage, l'impact de l’événement sur un esprit élevé dans une caricature des valeurs de l'Amérique. Eastwood me semble clair sur le sujet. Kyle enfant est élevé dans la violence, la fable des loups, des moutons et des chiens, la chasse, le culte de la performance, le déficit affectif, le déficit sexuel d'un homme construit par des préceptes schématiques, à coup de ceinturon. Plus tard son entraînement à la Kubrick chez les Navy Seals donnera un être de force et de frustrations. L'intelligence de la mise en scène d'Eastwood est d'insérer toute cette construction de Kyle en flashback au moment de son premier tir. Il explicite superbement le processus qui aboutit à la décision finale. Et ça fait froid dans le dos.

Il ne faut pas se méprendre. Le film explique, donne des éléments, interroge, mais n'impose rien. Même s'il y a comme à la grande époque le petit côté provocateur, ce rictus eastwoodien. Il est temps de revenir une fois encore à un film fondamental : The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance – 1962) de John Ford. Et oui. Le film qui interroge la relation entre la démocratie américaine et la violence fondatrice, la légende et les faits, l'idéal et le réel. Quand Tom Doniphon tue Valance, c'est un travail de sniper, de loin, quasiment de dos. Mais c'est cet acte qui permet à l'avocat Ransom Stoddart de faire entrer le territoire dans la civilisation, de faire passer la loi avant la force. Mais il y a un coût moral : la débâcle de Doniphon et les remords de Stoddart. Le parallèle avec Chris Kyle est excitant. Le sniper est surnommé « la légende », celle qu'il vaut mieux imprimer que les faits, à l'Ouest comme à l'est. Mais je note que ce surnom est toujours donné à Kyle dans le film dans des contextes de dérision (le repas au camp où il est inventé) ou douloureux (On lit souvent sur son visage l'agacement de Kyle à l'entendre). Une légende dure à porter. Comme Ford, Eastwood montre ce qu'il y a derrière la légende, son mécanisme, peut être son utilité sociale.Il y a aussi quelque chose entre amertume et mélancolie quand on considère le prix à payer. Au lieu de s'agacer des images du final, il serait plus intéressant de s'interroger sur le décalage entre ce que nous avons vu de qui était Kyle, de ses actions, et de ces américains ordinaires saluant le passage de son convoi funéraire. Qu'a-t-il été amené à faire pour eux ? Est-ce que cela en valait la peine ? On retrouve là des thèmes et des formes travaillés par le réalisateur dans son diptyque sur Iwo-Jima.

La légende, le western... l'argument qui m'a le plus énervé, c'est celui de cette forme westernienne adoptée par Eastwood. « Western » utilisé avec condescendance et mépris, vous pensez si j'apprécie. C'est oublier que pour le réalisateur, le western est avec le jazz, la forme typique de l'art américain. Quelle est tout sauf mineure comme si cela était encore à prouver. Le film contient par ailleurs sa propre critique du modèle. Kyle en bon texan est élevé dans une atmosphère western, les rodéos, les bars, les fringues. Mais là encore Eastwood croque en quelques scènes un esprit dégradé, réduit à quelques signes. Sa mise en scène, loin du côté pépé que déplore Ferenczi ou du navet vu par Marcela Iacub ( je ne dis rien, je me retiens), est tout en puissance avec la maîtrise et le goût d'un spécialiste, nourri de classicisme qui n'est pas un gros mot. Le western est donc présent comme les formes du film de guerre qui permettent de mêler action (superbes scènes haletantes sans la recherche d’esbroufe d'un Ridley Scott) et réflexion allant à l'essentiel, avec cette lenteur un rien funèbre qui est la marque du cinéaste depuis si longtemps. Il nous offre ainsi la scène finale qui voit Kyle aller au bout de son obsession en abattant d'un tir exceptionnel son rival irakien. Et puis le groupe isolé sur le toit et cette tempête qui arrive, idée visuelle, idée de suspense, façon aussi de signifier la perte de repères. Son objectif atteint, Kyle se retrouve en plein brouillard, image vivante et déchainée de son désarroi. C'est une idée magnifique exécutée de main de maître.

Concourant à la beauté du film, il faut mentionner la photographie acérée du fidèle Tom Stern qui éclaire les crépuscules eastwoodiens depuis 2002 et les interprétations, non seulement des deux vedettes, Bradley Cooper et la belle Sienna Miller, mais aussi l’ensemble des seconds rôles qui sonnent tous justes, sauf peut être le sniper irakien un peu trop fabriqué, mais qui donnent un grand naturel au film. C'est une qualité que l'on ne souligne pas assez dans le travail du réalisateur, cette attention à l'ensemble des acteurs, même pour des personnages qui n'ont pas sa sympathie. Sienna Miller dans le rôle de la femme de Kyle apporte, outre la touche de légèreté de leur scène de rencontre, un contrepoint sensible à toute cette violence. Comme souvent chez Eastwood, malgré son image machiste, la femme est un repère moral, plus pragmatique et plus lucide, dévouée comme la secrétaire d'Edgar J. Hoover. Elle est du coup souvent victime, comme les épouses des hommes de Mystic river ou la compagne de Bird, où encore reléguée comme la mère de famille de Madison Country jouée par Meryl Streep.

Prolongeant les récents Gran Torino et J. Edgar, American Sniper fait pour moi partie des réussites de son auteur, un nouveau portrait au couteau d'une Amérique que nous avons un peu de mal à appréhender ici. Je trouve dommage que le film soit accueilli en France avec les pincettes d'un anti-américanisme trop confortable. La guerre en Irak était une saloperie et une saloperie dangereuse. Entre autres, elle a contribué à libérer les forces redoutables d'Al Quaida, de Daech et consort. C'est une réalité qui se contrefiche des incantations bien-pensantes. Impossible pour moi de voir ce film sans penser aux journées de début janvier. Je pense aux policiers du RAID qui sont intervenus contre les tueurs de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher. Je me dis qu'eux aussi sont des spécialistes, des snipers, et je me dis qu'ils n'ont sans doute pas agi avec plus d'états d'âme qu'un Chris Kyle. Le contexte n'est pas tout à fait le même, mais la même semaine, une fillette de dix ans se faisait sauter sur un marché au Nigeria tuant une vingtaine de personnes. Je sens qu'il y a un lien dans tout ce foutoir mais c'est pour moi aussi confus que douloureux. S'il y a beaucoup de points d'interrogations dans ce texte c'est que j'ai beaucoup de questions, beaucoup de craintes, aucune certitude. Et j'ai trouvé dans le film de Clint Eastwood un écho à ce trouble, une tentative de lui donner une forme, de l'approcher avec les moyens du cinéma. Une réflexion pas toujours agréable mais bien éloignée de ce que certains on cru voir.

09/03/2015

Des cinéphiles et des Dieux

Voici un nouveau questionnaire qui tombe bien à propos, concocté par Ludovic de Cinématique, sur les Dieux et le Cinéma. Mon Dieu que dire, sinon que le blog Inisfree, à l'image de son modèle fordien se veut terre d'harmonie et de tolérance, quoique sa plume soit aussi peu croyante qu'il est possible. Mon Olympe est un plateau où se réunissent de simples hommes autour d'une caméra, préférant les « moteurs » et « action » aux « Amen » et « Allah Akhbar », ma terre promise se situe du côté de Monument Valley, mes temples sont des salles aux écrans immaculés, mes icônes des photographies d’exploitation. Et Dieu dans tout ça ? Et bien voyons...

1) Parmi tous ceux qui ont été représentés au cinéma, quel est votre dieu préféré ?

Le monolithe kubrickien de 2001 (1968)

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2) Quel édifice religieux, présent dans un film, vous a donné envie de vous y attarder ?

Les édifices en ruine où s'isolent les amants de The quiet man (L'homme tranquille) de Ford ou L'amour d'une femme (1953) de Grémillon.

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3) Quel personnage de prêtre vous a le plus marqué ?

Klaus Kinski, prête révolutionnaire et halluciné dans El Chuncho (Quien sabe ? - 1966) de Damiano Damiani.

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4) Quel est le film le plus blasphémateur que vous connaissez ?

Viridiana (1960) de Luis Bunuel

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5) Quel Jésus de cinéma vous semble le plus fidèle à l’original ? Et le moins ?

Tous ceux que l'on ne voit pas, ou presque, mais qui sont évoqués dans Ben Hur (1958) de William Wyler, Life of Brian (1979) des Monty Pythons, Il ladrone (Le larron – 1980) de Pasquale Festa Campanile. Je citerais aussi Cambreau, joué par Ian Hunter dans le très curieux et allégorique Strange cargo (Le cargo maudit - 1940) de Frank Borzage.

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Le moins, je me souviens d'un curieux film de Luigi Comencini, Cercasi Gesù (L'Imposteur - 1983) avec Beppe Grillo.

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6) Pour quel film mythologique, avez-vous un faible ?

Si je m'en tiens à la mythologie pure, Ercole al centro della terra (Hercule contre les vampires - 1961) de Mario Bava. Excalibur (1981) de John Boorman est un enchantement pour ce qui est des mythes celtes.

Dans le registre des peplums religieux, The sign of the cross (Le signe de la croix – 1934) de Cécil B. De Mille est extraordinaire avec son combat des nains contre les amazones et ses vierges chrétiennes dévorées par des crocodiles.

7) Quel est votre film de moines (ou de nonnes) favori ?

Raining in the moutain (1979) de King Hu, je n'avais jamais vu ça avant.

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8) Parmi les films abordant la religion juive, quel est votre préféré ?

Le plus original, Pork and milk (2004) de Valérie Mrejen sur jeunes juifs ayant réussi à se sortir du milieu ultra orthodoxe. Historiquement, le Rabbi Jacob (1973) de Gérard Oury.

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9) Même question pour l’islam ?

Mes collègues ayant beaucoup cité le magnifique Al Massir (Le destin - 1997) de Youssef Chahine, je mentionnerais , c'est d'actualité, le Timbuktu de Abdherramane Sissoko

10) Quel film a su le mieux traduire l’intensité du monde païen ?

Princesse Mononoké (1996) de Hayao Miyazaki sur le conflit entre les anciens Dieux et les hommes.

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11) Sous les traits de quelle actrice aimeriez-vous voir une apparition de la Vierge Marie ?

Edwige Fenech !

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12) Dans quelle œuvre avez-vous trouvé dépeint le plus fidèlement un rituel religieux ?

Chez John Ford, il y a toujours une façon très originale et sensible, simple, d'aborder les rituels de la religion catholique : la fête dans l'église en construction de My Darling Clementine (La poursuite infernale – 1946), la messe de Noël de Donovan's reef (La taverne de l’irlandais – 1963), la cérémonie funèbre dans They where expandable (Les sacrifiés – 1945), l'enterrement expéditif de The searchers (La prisonnière du désert – 1957)... Il sait à l'occasion monter d'autres religions comme le chant de mort des apaches dans Rio grande (1950).

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13) Un miracle vous permet d’entrer véritablement à l’intérieur d’un film : lequel ?

J'irais bien faire un tour du côté d'Inisfree

14) Quel est votre Diable préféré ?

Les diables français hauts en couleurs, Jules Berry ou Michel Simon.

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15) Avez-vous découvert une religion au cinéma ?

A peu près toutes, y compris les plus étonnantes comme les rites vaudous chez Tourneur et Rudolph Maté, les Haoukas chez Rouch, les Amish et les aborigènes chez Weir, les juifs ultra-orthodoxes chez Gitaï ou Lumet, les orthodoxes chez Cimino et Tarkovski, les religions asiatiques...

16) Quel est à vos yeux le plus grand cinéaste chrétien ?

Luis Bunuel, parce qu'il maîtrise le sujet, Pasolini juste derrière.

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17) Dans la république islamique dépeinte par Michel Houellebecq dans son dernier roman, Soumission, quels cinéastes ou quels films auraient, à votre avis, droit de cité ?

Je ne sais pas trop à quoi ressemblerait cette république islamique, n'étant pas lecteur de Houellebecq, mais j'imagine que l'on trouverait le même genre de films que ce qui sort actuellement comme par exemple en Iran Facing Mirrors (Face aux miroirs - 2011) de Negar Azarbayjani . En Arabie Saoudite, les salles sont interdites depuis les années 80, mais il existe une salle IMAX à Khobar, donc voilà, au pire on pourra voir des films en IMAX.

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18) Quel film vous obligerait-on à revoir sans cesse si vous séjourniez aux Enfers ?

L’œuvre complète de Michael Haneke, quoi d'autre ?

19) Étant entendu que la cinéphilie est pour vous une sorte de religion, quel en est le ou les dieux ? Le ou les prophètes ? Les rites principaux ?

Disons un Panthéon, une Olympe en forme d'immense studio de tournage où se créent toutes les histoires et où les prophètes-critiques chantent les louanges des Réalisateurs-Dieux et des actrices-Déesses.

Les fidèles respectent les rites de la salle, de l'ouverture du rideau, de la tombée de l'obscurité, de l'apparition du divin rai de lumière, de la sainte Version Originale et du silence en projection, sauf pour rire ou psalmodier « C'est pas possible ! ». Parfois, avant la projection, le moine-projectionniste vient présenter une relique de la céleste pellicule qui suscitera des murmures d'admiration. A l'issue de la cérémonie, il est possible d'applaudir ou de siffler, mais avec tact. Vient ensuite la lecture des écritures des vénérés prophètes ou le recueillement devant les saintes icônes affichées dans le hall. Les fidèles peuvent alors se retrouver autour d'une bière et se livrer à des joutes verbales et contradictoires autour des miracles filmés en évitant les débordements physiques et le point Goodwin.

20) Y-a-t-il une scène ou un film qui ait un jour choqué vos convictions, que celles-ci soit de nature religieuse ou non ?

Ce qui me choque au cinéma, c'est quand on veut me prendre pour une bille. Donc cela arrive. Je m'en tiendrais à mon grand traumatisme classique, Il grande silenzio (Le grand silence – 1968) où Sergio Corbucci m'a dévasté en montrant la victoire complète du mal dans un western.

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04/03/2015

La nonne et les affreux

La settima donna (La dernière maison sur la plage - 1978), un film de Francesco "Franco" Prosperi

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Parmi les actrices que je qualifierais de félines, Florinda Bolkan se taille la part de la lionne. Grands yeux sombres au regard intense soulignés par la ligne effilée des cils, bouche pleine soufflant le chaud et le froid, longues mains aux doigts fins et longs pour la griffe comme pour la caresse, cheveux très bruns en masse de longues mèches de méduse, Florinda Bolkan a le geste souple et puissant de la danseuse, le corps irradiant de sensualité volontaire, une force où affleure comme une faille, un grain de folie. Elle donne à ses personnages une présence rare à l’écran, enfin plus unique que rare, laissant deviner leur bouillonnement intérieur. Florinda Bolkan dégage une vitalité qui explose les cadres balisés d’un cinéma de genre qu’elle a beaucoup fréquenté. Aux réalisateurs qui cherchent à aller vers des terres moins connues, elle donne corps sans retenue aux visions les plus audacieuses, prête à s’abandonner aux univers fantasmatiques les plus tordus. Elle aura ainsi été pour Lucio Fulci la sorcière martyrisée de Non si sevizia un paperino (La longue nuit de l’exorcisme – 1972) et Una lucertola con il pelle di donna (Le venin de la peur – 1971) en proie aux délirants cauchemars de Carol. Elle aura été la maîtresse du flic joué par Gian Maria Volonté, victime de ses fantasmes politico-sexuels, dans Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon – 1970) d’Elio Petri. Aura porté l’incroyable robe de Nina dans Metti, una sera a cena (Disons, un soir à dîner - 1969) de Giuseppe Patroni Griffi. Elle est la meilleure (la seule ?) raison de découvrir La settima donna (Terreur ou La dernière maison sur la plage – 1978).

francesco prosperi

Dans ce film signé Francesco Prosperi, Florinda Bolkan est une nonne qui a réuni cinq jeunes filles de ses élèves pour la répétition du Songe d’une nuit d’été du grand Will. Elles sont installées dans une grande et belle villa au bord de la mer. Un cadre idyllique qui est investi par trois jeunes truands en cavale après une attaque de banque sanglante. Traqués par la police, ils doivent se faire oublier. A vrai dire, Prosperi et ses scénaristes racontent ça dans l’autre sens, le hold-up d’abord, la villa ensuite. Puis ils jouent sur cette situation anxiogène au possible d’autant que nos jeunes voyous, très peu professionnels, laissent parler leurs hormones et initient un jeu pervers avec les jeunes donzelles à base d’intimidation, humiliation et provocations à caractère sexuel, violence, viol et meurtre.

Le film suit les grands lignes du succès de Wes Craven The last house on the left (La derrière maison sur la gauche – 1972) avec le retournement final qui voit les victimes rependre la main et exercer sur leurs bourreaux une violence équivalente, sauvage. Craven s’était inspiré du film d'Ingmar Bergman Jungfrukällan (La Source - 1960) et de l’épisode de l’écrivain dans A clockwork orange (Orange mécanique – 1971) de Stanley Kubrick. Mais il n’en avait conservé que le côté spectaculaire de la violence et au recul moral de Kubrick substituait un jeu ambigu avec le spectateur. L’identification sans nuance avec les victimes, obtenue par la violence des images, amenait de façon de façon un peu sournoise à accepter le côté « œil pour œil » de la vengeance finale. Le film de Wes Craven a donné des idées à nombre d’imitateurs, les italiens n’étant pas les derniers. Francesco Prosperi s’engouffre à fond dans cette voie, greffant un rien de polar pour la première scène, quelque effets venus du giallo et la mode des films de couvent ou « nunsploitation », peut être la dimension la plus intéressante de son film.

francesco prosperi

Mais globalement, je peux écrire que La settima donna est un film assez ignoble dans ce qu’il flatte les instincts les plus bas de son spectateur via une mise en scène outrancière qui ne vise qu’à l’effet. Il y a une complaisance dans la description des différentes brutalités qui passe par l‘emploi du ralentit, de gros plans hideux au grand angle sur les visages, suants, ricanant, hallucinés, maquillés comme au carnaval, caméra portée et vues subjectives. « Vous en voulez ? En voilà ! » semble nous dire Prosperi, mais sans que cela débouche sur une critique où même une réflexion sur le voyeurisme et la violence. Au contraire, il semble complice, satisfait, ce qui se traduit par un film qui accumule des situations sur le fil du ridicule. Outrances et incohérences règnent, à commencer par les actes d'Aldo lors du hold-up, ses meurtres gratuits qui renvoient à certaines scènes de polars signés Umberto Lenzi ou Ruggero Deodato, des experts, où la gratuité de la violence est si énorme qu’elle en devient risible. Le meurtre de la femme de chambre au fer à repasser entre aussi dans cette catégorie.

Le jeu frénétique de Flavio Andreini et Stefano Cedrati ôte à leurs personnages toute nuance, donc toute possibilité de suspense, sans même leur donner une véritable folie. Ray Lovelock, joli blondinet plus intéressant qu’on ne le dit, campe un Aldo plus trouble, mais nous voyons son côté manipulateur venir à vingt kilomètres. Face à ce trio, les jeunes femmes ne sont pas plus gâtées, quintette de poules au bord d’une route. La scène la plus parlante, est celle de la fuite de Lucia, interminable course à pieds dans les sentiers du bord de mer, où la demoiselle s’arrête plusieurs fois et semble se retourner pour donner le temps à son poursuivant de la rattraper. Ce n’est certes pas Marilyn Burns coursée par Leatherface !

Film ignoble, donc, et d’autant que par certains aspects, la mise en scène est intéressante, de la photographie de Cristiano Pogany à la musique de Roberto Pregadio quand il ne fait pas du synthé-pop-disco, et dans l’inventivité de certaines scènes exploitant le vaste espace de la villa. Quelques idées aussi comme les masques que portent les jeunes filles jouant Shakespeare, élément qui ne sera hélas plus utilisé par la suite. Et puis il y a Florinda Bolkan. Elle donne à son personnage, le plus intéressant du lot, une véritable épaisseur, une ambiguïté, une autorité qui vient de sa prestance et de ce passé que l’on devine par touches, chose refusée à tous les autres. Du coup, ses déchirements à ne pouvoir protéger ses élèves est crédible, tout comme sa fragilité quand sont révélés ses secrets et ses doutes sur son engagement religieux. Cela donne quelques-unes des meilleures scènes du film : son embarras lors du repas, sa tristesse infinie quand elle recouvre le corps de Lucia assassinée, ses regards quand elle est amenée à soigner Nino exprimant son conflit intérieur. Lors de la scène finale, quasi grotesque, elle tente par quelques gestes, une tentative de détourner le regard, d’occuper une position morale dans tout ce fatras, mais Prosperi s’en désintéresse. Dommage.

A lire sur Abordages sous la plume de Manchec

01/03/2015

Clermont 2015 - Partie 4

Pour revenir à ce que j’écrivais sur l’influence que les événements de ce début d’année ont eu sur ma façon de voir certains films, les courts métrages français abordant des thèmes autour des banlieues et de la religion (pour faire large) ont eu une résonance particulière. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais je ne peux faire abstraction de ce contexte.

clermont 2015

Terremere d’Aliou Sow confronte deux mondes dont les liens se sont distendus. Un jeune homme, banlieusard d’origine mauritanienne, musulman, veut faire enterrer son frère mort d’un accident de voiture sous l’emprise de l’alcool sur la terre natale. Pour l’accompagner dans un pays instable ou rôde la guerre, Abdoulaye embarque trois amis pour convoyer le cercueil. Ils vont vite se rendre compte que le pays qu’ils traversent n’a plus que des rapports lointains avec l’image qu’ils en avaient et, s’ils y sont nés, si leur famille y réside encore, ils y sont aussi décalés que s’ils étaient de parfaits étrangers, entre les bandes armées, l'extrême pauvreté, la réalité d’une violence qui n’a rien à voir avec celle qu’ils connaissent. Les quatre compères ne sont pas des enfants de chœur, sans doute petits truands en France, ils ont des armes et savent s’en servir. Pourtant rien ne pouvait les préparer à cette expérience qui prend un tour initiatique « Marcher dans le désert, c’est comme marcher sur un miroir ». Les quatre personnages ont un côté schématique (le « grand frère » plus réfléchi, la tête brûlée, le taiseux…) qui est dépassé par le jeu des quatre acteurs, excellents, Oumar Diaw, Sofiane Zerman, l'excellent Hichem Yacoubi vu dans Timbuktu (2014) d'Abderrahmane Sissako, et Mahamadou Coulibaly, Et si le scénario de Sow part sur des situations attendues, sa mise en scène sait les enrichir par le soin des descriptions (les détail des rituels de la mise en bière, le village d’arrivée), l’utilisation du son pour générer une atmosphère anxiogène (les coups de feu dans la nuit, les ambiances nocturnes), la fascination pour les grands espaces africains. Il sait alterner moments posés et accélérations, temps de respiration et coups de nerfs. Il amène au final une réflexion intéressante sur la violence, la relativité des conditions, et la perception de la religion, intégrée dans la trame du récit.

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Journée d’appel de Basile Doganis suit un groupe de jeunes d’une cité de banlieue lors de cette initiation citoyenne qui remplace ce que j’ai connu sous le nom de « trois jours ». L’un d’eux, en retard, oblige Momo, un camarade en retrait du groupe car il suit des études, à l’accompagner jusqu’à Versailles pour y assister. Peine perdue, il est refoulé à l’entrée. Il se laisse persuader par Momo d’aller visiter le château. L’idée est intéressante, mais mal exploitée sauf quand les deux garçons tombent en arrêt devant la monumentale toile La Bataille d'Aboukir d'Antoine-Jean Gros me semble-t-il, où les tensions entre leurs origines arabes et leur nationalité française percute l’Histoire à travers l’œuvre d’art. Pour le reste la visite alterne avec le groupe qui suit la fameuse journée. Le réalisateur et scénariste passe en revue divers cas de figure, comme le militaire revenu du Mali et sauvé par son collègue noir, l’inévitable confrontation avec la police, une dialectique un peu appuyée qui est sauvée par le rythme et l’humour.

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Plus intéressant est le film de Pierre-Emmanuel Urcun, Le dernier des céfran, qui partage certains des éléments de Journée d’appel pour raconter la démarche de Rémi qui décide de s’en sortir en s’engageant dans l’armée. Poussé par sa petite amie, il se présente à un entretien avec deux militaires qui vont se révéler complètement givrés. La scène prend vite un tour burlesque presque inquiétant tout en exprimant les préjugés des uns et des autres qui prennent le ton de la paranoïa ordinaire. Pierre-Emmanuel Urcun joue de l’espace de la salle vaste et froide, des différences de plans qui oppressent Rémi et des variations de lumière qui créent l’étrangeté. Peut-être plus que les figures imposées par le sujet, le réalisateur s’attache aux questions de regards des uns sur les autres et sur celui que Rémi porte sur lui-même. Image de la fonction émancipatrice de l’armée, image de la banlieue ici filmée dans un calme paisible et ensoleillé, image que Rémi craint de donner à ses amis, sa bande. Son aveu constitue la seconde partie du film mais plus que contre ses amis, c’est contre ses propres blocages qu’il va devoir lutter.

Dans le registre décalé, plusieurs films arrivaient rendre vivant des univers originaux où se débattent des personnages en quête d’ailleurs, un des grands sujets du court métrage. Dans Think big (tous les chemins mènent ailleurs) de Mathieu Z’Graggen, un jeune homme qui travaille dans un club de vacances pour chats tente de prendre le bus à un arrêt qui n’est pus en fonction. Il est embarqué par un type illustrant la maxime d’Audiard « Quand les hommes de 120 kilos parlent, ceux de 60 les écoutent ». Dans un café où l’on joue au bowling, il va rencontrer un couple étrange et le réalisateur enchaîne des scènes curieuse où l’on ne sait pas si l’on va finir en éclat de rire ou en glauquerie. Pas sûr que le héros finisse par partir.

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Dispositif classique pour Mon héros de Sylvain Desclous avec deux frères que tout oppose. Le premier est resté en province, dans l’est de la France, il bricole, faisant de la publicité pour une rôtisserie déguisé en poussin. Il semble heureux. Le second est « monté à Paris » et pilote de riches investisseurs étrangers, japonais en l’occurrence. Il est en crise existentielle. Le hasard les réunit pour une confrontation en forme de bilan, la routine. Mais Mon héros fonctionne bien, sur une mise en scène assurée qui s’attache aux relations entre les personnages et les fait exister au milieu d’une fantaisie qui puise dans le quotidien : Un camion qui surgit d’un chemin paumé, une piscine illuminée dans la nuit, des êtres aimables dont l’ami incarné par Esteban, nature vue chez Petertjatko, où ces deux japonais qui apprécient comme tout le monde un moment de simple bonheur. Sylvain Desclous sait rendre une atmosphère de camaraderie, de fraternité, faire ressortir sans grandes orgues une humanité simple.

People are strange prend le titre d’une chanson des Doors pour le portrait de Julien, autoproclamé sosie de Jim Morrison qui gagne sa vie en faisant visiter la tombe de son idole. Le film signé Julien Hallard est un modeste récit initiatique qui vaut par la performance de l’acteur Franc Bruneau, halluciné, et la présence de Esteban, hilarant dans le rôle de l’ami qui apprend à Julien que le corps du fameux chanteur va être rapatrié aux Etats-Unis. Les deux hommes vont dérober le corps, croiser la route d’une fille ravissante, puis tenter d’organiser l’inhumation des restes morrisoniens. Encore une histoire d’enterrement compliqué pour un film aimable.

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Plus étrange, Philippe Prouff adapte une nouvelle de Julio Cortázar pour L’île à midi. L’aventure d’un steward fasciné par une île qu’il survole régulièrement. Notre homme est entre deux continents (Paris et Beyrouth), entre deux amours, entre deux eaux. Détaché du monde, il fait de ce morceau de terre aperçu le rêve d’un lieu où il pourrait être lui-même. Il va faire des recherches et préparer son départ. Ambitieux, le scénario de Philippe Prouff a eu les moyens de matérialiser ses visions qui rendent, me semble-t-il, bien l’atmosphère de l’écrivain argentin, entre fantaisie, fantastique et onirisme. La photographie sophistiquée de Thomas Robin et le montage de Penda Houzangbe qui jongle avec les nombreux lieux et les différents niveaux de réalité, parachèvent un travail maîtrisé à la lisière du rêve. L’acteur David Kammenos donne au steward sa haute silhouette élégante et ce regard déjà ailleurs qui conviennent à un personnage en partance pour l’étrange.

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De plus en plus étrange comme dirait Alice, Notre dame des hormones de Bertrand Mandico va aussi loin que possible dans le bizarre. Deux actrices, les très belles Elina Löwensson et Nathalie Richard, répètent une pièce dans une étrange demeure au fond des bois tout aussi étranges. Incidemment, elles découvrent un truc étrange, genre machin, sorte de ballon de rugby organique et couinant muni d’un appendice qui évoque ce à quoi vous pensez. La chose affectueuse déclenche chez nos deux dames des pulsions qui n’ont rien d’étrange et tout de sexuel. Difficile d’en dire plus. C’est divisé en chapitres introduits par la voix de Michel Piccoli. C’est du studio sophistiqué qui recrée un univers à la Jacques Demy période Peau d’âne (1970), mais en version trash, et donc par transitivité à la Jean Cocteau, avec les statues vivantes, les miroirs, les végétaux dans la demeure, les bois… étranges. C’est donc un conte de fées, des fées désirantes jusqu’au meurtre, un conte sur la convoitise, le théâtre et les actrices. Que demander de plus ?

Deux films très curieux provenaient du programme Hors les murs de l’Institut français, deux films proches par leurs ambitions formelles mais avec des résultats fort différents. Black Diamond, tourné par Samir Ramdani à Los Angeles est composé de longs plans séquence et d’expérimentations en intérieur autour d’un jeune homme d’un quartier populaire qui se passionne pour l’art et prend en chasse un autre jeune venu photographier le dit quartier. La chasse en question est à la fois virtuose et interminable. Le rapport entre art et condition sociale est intéressant mais le problème du film est de mettre quarante minutes à nous l’exprimer. A l’issue de la course poursuite, le spectateur épuise se demande « Et alors ? ».

Tourné à Johannesburg, Hillbrown du nom d’un quartier populaire de la citée sud-africaine, est l’œuvre de Nicolas Boone. Le film est également composé de plans séquences virtuoses (une dizaine), mais qui chaque fois renouvellent leur dispositif. Nous suivons successivement des personnages, seuls ou en groupe, qui font l’expérience de la violence. Mais nous ne savons jamais au départ quelle forme cela va prendre. Il y a les victime, les gangs, et un homme à qui il n’arrive finalement rien. Le film établi une tension très forte avec laquelle il joue sur nos nerfs. Nous avons véritablement l’impression d’être immergés dans les rues de la ville, ses centre commerciaux, ses immeubles insalubres, ce cinéma où se situe une impressionnante descente de truands armés de mitraillettes. En arrière-plan, sans insister, se révèle toute une violence sociale, la pauvreté, le sort des femmes, la drogue et le reste. Le travail complexe de la caméra portée rend plus impressionnant encore le travail de jeu avec des comédiens recrutés sur place.

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En animation, Sébastien Laudenbach à l’œuvre riche, et Sylvain Derosne proposaient Daphné ou la belle plante, une animation image par image de la transformation d’un arbre en statue sur le récit d’une jeune femme travaillant dans une boite à strip-tease. La beauté des images renvoyait à la sensibilité de la jeune femme et son récit faisait penser au portrait des deux filles de Orléans (2012) de Virgil Vernier. 8 balles de Franck Terrier est le récit de la traque d’un paisible père de famille qui recherche l’homme qui les a attaqué, n’ayant comme seul indice une odeur de friture. L'animation est originale, mêlant dans le même plan les décors de la ville de Taipei où se déroule l’action, aux visions traumatiques qui hantent le personnage, et aux matérialisations des odeurs qui le guident. Carapace de Florent Molinié utilise une technique de peinture sur des images tournées avec des acteurs réels, Juliette Lamboley et Laurent Debecque, qui donne une esthétique intéressante à un récit autour des blocages physiques d’une jeune femme amoureuse mais incapable de passer à l’acte.

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Rattrapé sur le site de Télérama, Territoire permet de découvrir les bergers siffleurs d’Aas, vallée d’Ossau dans les Pyrénées. Il permet aussi de vérifier la possibilité d’un cinéma fantastique excitant qui joue le jeu sans second degré facile. Signé Vincent Paronnaud, complice de Marjane Satrapi sur Poulet aux prunes (2011), Territoire se situe en 1957 et le berger siffleur, un taiseux comme on en fait plus, pense que ses brebis sont victimes d’un loup. Mais il observe aussi des militaires en manœuvres auxquels on distribue d’étranges pilules. Le loup n’y est pour rien, comme vont en faire la douloureuse expérience deux jeunes touristes allemands. Le berger siffleur va devoir faire appel à toutes ses ressources d’homme des montagnes pour combattre la menace. Vincent Parronaud brasse quelques grands thèmes du genre, mutations, expériences militaires mal maîtrisées, lycanthropie, et fait culminer son film par le siège d’une bergerie façon George Romero. Plans majestueux des montagnes, beauté des scènes nocturnes éclairées par Alfredo Altamirano, crescendo maîtrisé dans la tension, vivacité des scènes d’action, retournement de situation finale attendu mais espéré, présence physique de Jean-Marc Desmond dans le rôle principal, le film est un pur plaisir des sens autant qu’un pur plaisir de cinéma.

Ici s’achève cette évocation de la sélection 2015. Je n’ai pas abordé tous les films vu mais je dois dire que je n’en ai vu que très peu qui m’aient déplu. Ce n’est pas toujours le cas, c’est donc bien le signe d’une belle année.

Photographies Unifrance, Télérama et DR

Un entretien avec Basile Dogani sur le site de Télérama

Un entretien avec Sylvain Desclous, sur Télérama, pareil.

Le site du film Le dernier des céfran

28/02/2015

Clermont 2015 - Des cinéastes

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Au centre Jérôme Vlément-Wilz, son acteur, et Antonin Peretjatko.

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Ursula Meier

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Léa Mysius, Flora Molinié et Philippe Prouff

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Xaver Xylophon

 

27/02/2015

Clermont 2015 - Partie 3

Programmes spéciaux

Difficile, en ce me concerne, de ne pas voir les films de la sélection 2015 sans penser à la violence de ce début d'année. Sans tenter de les lire pour y chercher une compréhension, peut être une consolation. Oui, quelque chose qui me rassure, une voix, un regard, différents même si c'est dans l'illusion confortable de la salle. En ouverture, Jean-Farès (1999) de Lyes Salem donnait le ton. Le réalisateur faisait partie du jury, mais le film faisait une ouverture idéale. Driss, joué par Salem lui-même, est le personnage principal et unique de cette fiction aussi courte que percutante. Il sort de la clinique où vient de naître son enfant et décide de faire partager sa joie à sa famille et à sa belle-famille. La première est algérienne et musulmane, la seconde vieille France. En dix minutes, lui qui se définit comme athée va éprouver tout le poids des préjugés culturels et confessionnels autour du choix du prénom de l'enfant. Son euphorie sera mise à rude épreuve. Le dispositif est simple, le discours clair. Le film fonctionne sur la performance de l'acteur, la qualité du texte, et leur mise en valeur dans l'espace confiné de la cabine téléphonique. La caméra traque les changements d'humeur du malheureux héros qui finit par envoyer tout le monde au diable.

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Le réalisateur René Vautier (source Africultures)

Le festival rendait hommage au cinéaste René Vautier récemment disparu avec Afrique 50, un documentaire tourné en 1949 pour la Ligue française de l'enseignement. Au vu du résultat final, le film sera interdit, ses négatifs saisis et Vautier condamné à de la prison. Résistant à 16 ans, diplômé de l'IDHEC, militant communiste, le réalisateur a 21 ans quand il rentre dans le tas et fait de son film un brûlot anticolonialiste, une première. Afrique 50 est un portrait virulent de la colonisation ordinaire sur un texte en colère. Exploitation, répression, spoliation, massacres, Vautier démonte le système avec lucidité et des images directes. Seul le final qui propose un espoir du côté du communisme peut apparaître avec le recul, naïf. Mais pas plus que celui de Jean Renoir dans La vie est à nous (1936). Cela n'ôte rien à la force du film qui met en lumière la face obscure du « temps béni des colonies ». Comme plus tard Alain Resnais et Chris Marker dans Les statues meurent aussi (1953, interdit lui aussi), Vautier rappelle quelques vérités salutaires sur une période pas si lointaine qui devrait éclaircir les rapports toujours complexes entre l'Afrique et la France. Je vois aussi quelque chose de moral dans le fait qu'Afrique 50, après toutes ses vicissitudes, dont le sauvetage in-extremis d'une partie des négatif par l'auteur, soit montré en 2015 à un large public et que ses images comme sa parole puissent toujours porter alors que les faux-culs sont réduits au silence.

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Dans un tout autre registre, histoire de se détendre, Subconscious password (Jeu de l’inconscient – 2013) est un film d’animation très inventif de Chris Landreth. Je connaissais ce cinéaste canadien pour Ryan (2004), un remarquable documentaire sur le travail de Ryan Larkin, autre animateur canadien, mais de la génération précédente, auteur du magique Syrinx (1965) en sables animés sur une musique de Claude Debussy. Subconscious password repose sur une situation bien connue des festivaliers : se faire aborder par une personne qui vous connaît et dont on est incapable de se rappeler le prénom. « Mais qui est ce type ? »  se demande Landreth. Le temps que le type en question aille chercher deux verres au bar, nous plongeons dans l’esprit du réalisateur qui va aller chercher dans les tréfonds de son inconscient une piste, une trace, ce fichu prénom. Cette recherche va prendre la forme d’un jeu télévisé où le candidat, Landreth donc, va se faire aider par les personnes qui hantent son esprit. Et il y a foule, de John Wayne à Yoko Ono, de H.P.Lovecraft à Bernadette Soubirous, et puis bien sûr Maman. L’animation est extraordinaire avec des images numériques qui retravaillent des images réelles dans un mouvement hystérique. Il y a une idée à la seconde, c’est brillant et hilarant, avec ce qu’il faut d’auto-cruauté.

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L’Agence du Court Métrage proposait avec Cavalier express un programme de huit films courts d’Alain Cavalier. Filmeur comme il aime à se définir, Cavalier a un parcours atypique, depuis les années soixante où l’on peut le situer en marge de la Nouvelle Vague avec des films comme Le combat dans l’île (1962) ou La chamade (1968), productions classiques avec grosses vedettes, puis un changement de direction où des projets ambitieux artistiquement se doublent de la recherche d’une large autonomie. Cavalier travaille sur un système de tournage qui tend à toujours plus de simplification pour plus de liberté et la mise en avant du plaisir pur de filmer. Il y aura ainsi les longs métrages Le plein de super (1976), Thérèse (1986), Le Paradis (2014)… Qui vont alterner avec des formes courtes où Cavalier est seul avec sa caméra face à son sujet, se rapprochant du travail d’un écrivain. Cavalier express donne un bel aperçu de ce type de films. Lettre filmée : Lettre d’Alain Cavalier (1982) sur l’écriture du scénario de Thérèse, J’attends Noël (2007) petit récit plein d’humour un soir de finale de coupe du monde de football. Portrait : La matelassière (1987) tourné dans l’atelier de l’ouvrière, La rémouleuse (1987) tourné sur le plateau d’une grosse production, et L’illusionniste (1992) plein d’espoir, trois portraits de femmes dont Cavalier fait ressortir les qualités de courage et de ténacité, un rapport au travail fait d’endurance et d’exigence. Expérimentations enfin avec le (forcément) très beau Elle seule (1982) qui compile dans La chamade les plans où règne Catherine Deneuve, une œuvre de pure fascination, Faire la mort (2011) est une méditation sur son travail de cinéaste autour de la mise en scène de la mort et de la violence, Agonie d’un melon (2007) contemple le pourrissement accéléré du fruit oublié sur une table de jardin agrémenté de quelques réflexions sur les cerveaux de grands malades de l’histoire. L’ensemble trouve sa cohérence dans le regard que porte Cavalier, qui intervient souvent en voix off, soit en narrateur, soit en commentateur, revenant par exemple sur les conséquences physiques de travail, « Ça fait mal» demande-t-il à la rémouleuse et à la matelassière en parlant de, et filmant, leurs mains. Il se dégage de l’ensemble une réflexion sur son propre travail de cinéaste, sur l’aspect artisanal, sur les questions morales qui l’agitent, sur ce qui le pousse à tourner encore et encore.

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Le vélo était à l’honneur cette année avec une rétrospective en trois programmes. L’occasion de voir et revoir des classiques sublimes comme Father and daughter (2000) de Michael Dudok de Wit (comment ça, vous ne l’avez pas vu ?!) ou L’école des facteurs (1947) de Jacques Tati qui s’entraînait pour Jour de fête (1949). Plusieurs films documentaires exaltaient le vélo comme instrument de liberté comme Two wheels good (2012) de l’irlandais Barry Gene Murphy qui donnait envie de se mettre en selle illico et de faire défiler sous ses roues les routes sinuantes dans des paysages infinis. Jitensha (Le vélo) du japonais Dean Yamada proposait une variante originale. Un jeune homme solitaire et coincé comme seuls peuvent l’être les japonais voit son vélo volé pièce par pièce sur plusieurs jours. Un mystérieux correspondant lui propose une partie de chasse au trésor dans la ville pour retrouver et remonter la bécane. Au gré des situations, il va se reconstruire lui-même. C’est un joli conte.

De ceux que j’ai vu , le plus original est Le quepa sur la vilni ! que signait Yann Le Quellec en 2013. Tourné dans les beaux paysages du massif des Corbières, le film bénéficie du concours de deux grands cyclistes, Bernard Menez en postier retraité qui reprend du service pour mener une caravane publicitaire à bicyclette, et Bernard Hinault dans le rôle de lui-même un peu comme Cantona chez Ken Loach, sorte de dieu-coach spirituel et physique à la sentence immortelle : « Réveille le blaireau qui est en toi ». Bien sûr, il faut savoir que Hinault, quintuple vainqueur du tour de France était surnommé « Le blaireau » pour sa ténacité, sinon c’est moins drôle. Outre les deux Bernard, il y a Christophe, le chanteur aux mots bleus dans le rôle d’un maire qui commandite la caravane publicitaire pour le lancement d’une salle de cinéma municipale et la suit à dos d’âne, et toute une troupe de jeune comédiens dont deux jeunes et jolies jeunes femme (Alix Bénézech et Pauline Bayle). Comme Peretjatko, Guillaume Brac (dans un registre plus sombre quand même), Benoît Forgeard ou Gérald Eustache Mathieu, Le Quellec pratique un cinéma ludique, coloré, sensuel, où la province peut redevenir le terrain de jeu de toutes les folies, où les corps peuvent se révéler de différentes façons, dans le dépassement physique comme dans l’érotisme de la jolie scène de la baignade, le burlesque où la bacchanale organisée par le village voisin. À vélo, dans la troupe de Le Quellec, on respire le grand air, j’oserais même dire qu’il y a quelque chose de westernien dans l’odyssée loufoque de cette caravane. La photographie de Nicolas Guicheteau participe de ce goût pour le paysage changeant sous la pluie, le soleil éclatant ou la brume, comme les plans larges qui privilégient les portraits de groupe.

A suivre…

Photographies DR

20/02/2015

Clermont 2015 - Partie 2

A chaque pays ses problèmes et ses angoisses. Dans Moul Lkelb (L'homme au chien), que j'avais vu à Nice où il avait reçu le grand prix, un jeune homme solitaire a reporté toute son affection sur son chien. Lors d'une baignade à la plage, l'animal disparaît. Sur la foi de gamins du quartier, il le croit enlevé pour des combats clandestins où des expériences médicales. Fragile et naïf, voici notre héros qui descend avec le courage de l'inconscience et de l'amour dans les bas-fonds de Casablanca. Le voyage est rude au cœur d'un monde pauvre et violent. La mise en scène de Kamal Lazraq qui a tourné avec de nombreux non-professionnels, crée une tension tangible tout en travaillant une atmosphère entre film noir et quasi-fantastique. Un voyage au bout de la nuit pour cet Orphée en quête de son Eurydice canine, où le dérisoire devient essentiel. Paradoxe de cet homme qui n'éprouve plus de sentiments que pour un animal et s'est coupé du monde en quasi autiste. Ce sont pourtant ces sentiments pour le chien qui vont réveiller en lui d'authentiques qualités humaines.

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Hédi, le Père de Lotfi Achour est lui aussi bousculé dans sa vie tranquille quand il prend en charge une jeune femme sur le point d'accoucher dans son taxi tunisien. A la maternité, elle déclare qu'il est le père de l’enfant. Passé le bouleversement que la nouvelle provoque dans la vie familiale et dans le voisinage de l'homme, le film propose une réflexion habile sur la place de la femme et le regard de la société sur la vie privée, affective, des gens. Lotfi Achour est attentif à ses personnages et arrive à leur donner assez de profondeur en quelques plans (la femme du taxi, le policier) et quelques détails qui sonnent juste, en les inscrivant avec naturel dans leur environnement. Le réalisateur ne manque pas non plus d'humour. Il pose aussi délicatement la question de savoir ce qu'est un père avec une jolie réponse où Hédi nettoie les pieds de sa fillette après une promenade au bord de mer. Un geste simple qui prend toute sa valeur après les épreuves traversées. Joli travail photographique de Frédéric de Pontcharra sur une lumière douce en accord avec la simplicité des caractères.

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Chaque pays ses problèmes donc. L'américaine de The bravest, the boldest (Le plus courageux, le plus audacieux) réalisé par Moon Moison, cherche à échapper à deux militaires (un prêtre et un officier), venus lui apporter une nouvelle que l'on imagine mauvaise. Jeu de cache cache dans un ensemble style HLM joué tout en retenue. L’étudiante chinoise de Guilty de King Fai Wan est condamnée un an après une manifestation pour la démocratie à Hong Kong. Le film s'attache au désarroi de sa jeune héroïne et aux regards que lui portent les autres, sa mère, ses camarades étudiants et une jeune policière qui pourrait être sa sœur. Adrienne, la suissesse de Jour J de Julia Bünter désespère d'avoir enfin un orgasme avant ses trente ans. Avatar de Bridget Jones, elle multiplie fiévreusement les expériences. C'est souvent drôle, comme avec son amie chauffeur de camion, pas toujours léger, léger... Maryam du film homonyme de Sidi Saleh est indonésienne et musulmane. Elle travaille dans une riche famille catholique. Le jour de Noël, elle se retrouve à garder le frère autiste et à l'emmener à la messe de minuit. Choc des cultures, des classes et des religions ! Mais la mise en scène fait le choix d'avant plans aussi flous qu'envahissants qui agacent sur la durée. Dommage car le sujet est intéressant et Meyke Vierna en Maryam a un jeu séduisant sous son voile.

Très réussi dans sa redoutable efficacité, Ja vi elsker (Oui, nous aimons) du norvégien Hallvar Witzo est une comédie satirique en quatre tableaux autour de la fête nationale. Norvégienne, comme l'omelette. Le titre est le début des paroles de l'hymne national. Quatre groupes de personnages de différentes générations, de différentes conditions, dans différents lieux du pays nordique, la vivent de façon différente mais toujours apocalyptique. Chaque tableau est un plan-séquence réglé au millimètre qui évoque les mises en scène de Roy Andersson ou Aki Kaurismaki. L'humour mordant de Hallvar Witzo s'exprime dans les déplacements des personnages dans l'espace du plan, le travail sur le son en décalage parfois avec l'action, et le jeu avec le cadre, culminant avec l'homme qui s'enferme dehors, nu, dans un paysage recouvert de neige. Ludique, hilarant, féroce.

Jolie réussite aussi pour le film d'animation allemand Road trip signé Xaver Xylophon. La technique et l'ambiance urbaine, précise, anxiogène et pourtant séduisante, m'ont fait penser au travail de Ralph Bakshi. Julius est un jeune berlinois qui rêve d'ailleurs. Il passe son temps à réparer une moto et à projeter un voyage. Mais le véhicule récalcitrant accumule les pannes et Julius trouve refuge dans un bar où il se lie avec la serveuse, ou bien sur les toits en compagnie d'un vieil homme philosophe dont le plaisir est d'agacer les pigeons. C'est un film plein d'humour un peu mélancolique qui joue sur la durée, sur des gestes suspendus, des fragments de rencontres, des morceaux de mouvements, orchestrés par un montage inventif qui fait progresser le récit par à-coups, élans et coups de mou. Un état de spleen contemplatif rendu par l'animation simple et la ligne claire des dessins, soutenu par une partition jazzy écrite par le réalisateur.

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Quelques films encore au sein d'une sélection très riche, des film que vous pourrez peut être attraper au gré des diffusions, trop rares mais bon, télévisées, ou bien en festival. Crocodile de l'anglaise Gaëlle Denis, étrange histoire où un homme affronte le crocodile d'un zoo parce que sa fill ea été tuée en vacances par un saurien. Le vaurien. Une idée de grandeur du québécois Vincent Biron montre la soudaine solitude d'un maire battu aux élections, fasciné par ses voisins qui organisent des parties fines. Vicenta est un documentaire équatorien en animation, croisement original réalisé par Carla Valencia qui offre un portrait de sa grand-mère venue de Bolivie au Chili et dont le destin est rattrapé par le coup d'état de Pinochet en 1973. Couleurs sépia et trait noir. Makkhi de Umesh Kulkarni est une amusante satire de l'entreprise moderne et indienne autour de deux chasseurs de mouches professionnels employés dans un restaurant de luxe. No free lunch (On a rien sans rien), film israélien de Leeron Revah parle aussi de l’esprit d'entreprise autour d'une rencontre professionnelle sous le signe du mensonge. Jolie composition de l'actrice Nelly Tagar.

A suivre...

Photographies DR

07/01/2015

Noir de proximité

The Big Night (La Grande Nuit - 1951) Un film de Joseph Losey

Texte pour les Fiches du Cinéma

George La Main a le sang bouillonnant de son adolescence. Ce sang ne fait qu'un tour quand il voit, le jour de son anniversaire, son père humilié publiquement par Al Judge, un journaliste un peu louche. Cela se passe dans le bar paternel, devant les habitués, et ce qui traumatise George, c'est que son père accepte sans piper mot la punition infligée par Judge, quelques coups de canne infligés selon ces rituels propres aux truands. L'adolescent ne sait plus quoi croire sur ce père qui vient de faire preuve en quelques instants de son autorité (une gifle bien sentie), et de son affection (la surprise de l'anniversaire). C'est pour lui insupportable et il s'enfuit dans la nuit urbaine, mû à la fois par un désir de vengeance et une question lancinante : pourquoi ?

joseph losey

The Big Night (La Grande Nuit) est le dernier film de Joseph Losey avant son départ pour l'Europe, film dont il abandonne le montage plutôt que de transiger avec la HUAC, commission d'enquête traquant le communiste à Hollywood en ces riantes années de la chasse aux sorcières. Losey, qui a fait partie du Parti Communiste Américain, préfère l'exil. À vrai dire tout cet arrière plan ne semble pas transparaître dans The big night, sinon que le film est ramassé à 75 minutes, sec comme un coup de trique, ce qui découle peut être de sa finition en urgence. Par contre, c'est clairement un film noir social qui, comme la majorité des grandes œuvres du genre, est d'abord une plongée dans la face sombre de l'Amérique. Après l'intolérance dans The Boy with Green Hair (Le garçon aux cheveux verts – 1948) et la critique des valeurs matérielles dans The Prowler (Le Rôdeur -1950), Losey et ses scénaristes, Hugo Butler, Ring Lardner Jr., et l'auteur du roman d'origine Stanley Ellin, s'attachent à travers la quête existentialiste de George à une réflexion sur le poids que le passé fait peser sur l'avenir dans une société gangrenée par la violence sociale. Cette violence qui trouve son expression visuelle spectaculaire dans la correction publique administrée par Judge révèle une violence généralisée qui régit les rapports humains. D'entrée, George est bousculé dans la rue par une bande de petites frappes. Sa fragilité, son côté enfant, est mis en exergue. Les rapports père-fils, souvent compliqués à cet âge, sont décrits sous le signe de l’autoritarisme. Le père refuse les questionnements de son fils, il refuse ses états d'âme. Les rapports homme-femme seront régis par la même violence que George va découvrir petit à petit. La ville elle-même est agressive, montrée par Losey en une succession de décors misérables, étroits, bruyants, cadrés serrés, étouffante et sale, exerçant une violence psychologique via son atmosphère sur les êtres.

joseph losey

L'esthétique de film noir adoptée par Losey et son chef opérateur Hal Mohr renforce ce sentiment d'oppression avec ses noirs profonds, ses ambiances le plus souvent nocturnes, les forts contrastes, les zones d'ombre, et les effets de suspense qui jouent sur les règles du genre. La violence de la première scène suffit à nous faire craindre les actions à venir lors de ce voyage initiatique dans lequel se lance George. L'enfant revêt symboliquement les habits d'adulte, le chapeau mou, et s'empare d'un revolver. Lui aussi veut exercer sa part de violence. Pris dans ce milieu, les personnes qui l'entourent ont baissé les bras à l'image de son père ou tentent de profiter de lui. Losey décrit entre les images cette hiérarchie de la misère de salle de boxe en bar louche, où règne la loi du plus fort. George n’accepte pas et rue dans les brancards, maladroit mais décidé. Il fait sa propre expérience et va se frotter à la réalité du monde et de l'amour au terme de cette longue nuit. Avec subtilité, Losey l'amène à découvrir l'humanité derrière les masques sociaux et la relativité des notions de bien et de mal, le courage qui peut se dissimuler derrière la résignation. George aura même l'occasion de découvrir ses propres préjugés racistes à travers une rencontre étonnante avec une chanteuse de jazz noire. Au final, il va découvrir les raisons de la bastonnade de son père. Le spectateur, aux côtés de George, n'est pas au bout de ses surprises.

Malgré la dureté générale du film et le portrait au couteau de l'Amérique de l'époque, Losey dégage par sa façon de filmer ses personnages, proche, leur part la plus attachante. Chacun fait ce qu'il peut et devenir adulte, c'est l'accepter. Cette comédie humaine pitoyable et grandiose s'incarne dans des acteurs confondants de naturel comme Preston Foster (le père), la délicate Joan Loring, Philip Bourneuf, et Dorothy Comingore qui fut la seconde épouse de Charles Foster Kane dans le film d'Orson Welles, l'actrice dont le brave Orson disait qu'elle finirait comme son personnage. A noter l’apparition du futur réalisateur Robert Aldrich lors de la scène du match de boxe. Reste le cas du jeune héros, le seul bémol que j'émettrais. John Drew Barrymore, fils de John et père de la jolie Drew, membre du clan Barrymore donc, ne m'a pas semblé très convaincant en George avec un jeu fiévreux un peu théâtral. Disons pour comparer ce qui peut l'être que dans le genre rebelle sans cause, il n'est pas du niveau d'un Farley Granger chez Nicholas Ray ou d'un John Dall chez Joseph H. Lewis.

Photographies source Film Society Lincoln Center.

A lire également sous la plume de Griffe

Par Édouard sur Kinok.

09:00 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : joseph losey |  Facebook |  Imprimer | |

04/01/2015

2014, petit bilan

Trois chefs d’œuvre, deux inédits excitants, un film sensible, deux fidélités, un western agréable, un court métrage : dix, le compte y est. le-vent-se-leve-11.jpg

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De haut en bas et plutôt dans l'ordre : Kaze tachinu (Le vent se lève) de Hayao Miyazaki,  Kaguya-hime no monogatari (Le Conte de la princesse Kaguya) de Isao Takahata, Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, Kodachrome de Agathe Corniquet, Julien Doigny, Nicolas Lebecque, Thyl Mariage et Lydie Wisshaupt-Claudel, La chambre bleue de Mathieu Amalric, La machina de Thierry Paladino, Jimmy's hall de Ken Loach, Au fil d'Ariane de Robert Guédiguian, The salvation de Kristian Levring et  Moul lkelb (L’homme au chien) de Kamal Lazraq. Photographies : Studios Ghibli - Le pacte - Alfama films - Zentropa - DR.

28/12/2014

2014, des films (1er semestre)

Galvanisé par l'impressionnant travail de FredMJG qui est partie sur un bilan de son année 2014 avec une note par mois (!), je me lance dans un exercice que j'ai jusqu'ici toujours repoussé : faire le bilan complet d'une année de cinéma. C'est à dire bien au-delà des films vus en salle, toujours peu nombreux, mais ce qui me permet de me replonger dans ce qui fut pour moi le mouvement de 2014. Que mes lecteurs chéris se rassurent, je vais me limiter à deux notes, une par semestre.

Le premier film de l'année a son importance et j'essaye toujours de commencer par quelque chose d'inédit et d'excitant, soit par un classique ayant fait ses preuves. Plongé depuis quelques temps dans le gothique italien, je démarre avec La notte dei diavoli (1972) du vétéran Giorgio Ferroni avec Gianni Garko, une variation sur l’épisode Les Wurdalak déjà illustrée par Mario Bava dans I tre volti della paura (Les trois visages de la peur – 1963), lui même inspiré d'une nouvelle de Tolstoï. Le film possède une atmosphère angoissante réussie malgré une esthétique qui tire sur les années 70, la photographie surtout, et puis Garko réussi un joli voyage au bout de la folie. J’enchaîne avec Nattlek (1966) un film de la réalisatrice suédoise Mai Zetterling dont j'avais beaucoup aimé le premier opus, Älskande Par (Les Amoureux – 1964). Toujours sous une relative influence bergmanienne, le film est plus âpre mais fascinant. Ingrid Thulin est au centre d'une intrigue complexe culminant avec une scène d'inceste dérangeante.

De retour à la maison, j'ai reçu quelques DVD de classiques de la Hammer films. Une envie venue avec ma période fantastique all'italianna. Je découvre enfin Curse of the wherewolf (La nuit du loup garou – 1961) et revoit avec plaisir le fondateur Horror of Dracula (Le cauchemar de Dracula – 1958) tous deux de Terence Fischer. Le premier me déçoit un brin côté récit malgré la très belle direction artistique. Le second est une révélation. Je ne l’avais vu jusqu'ici qu'à la télévision en noir et blanc, il y a donc bien longtemps. Le travail sur les couleurs et la mise en scène avec ses accélérations brutales et le contraste entre les interprétations de Peter Cushing et Christopher Lee m'emballent. Dans le salon plongé dans le noir et le silence, j'ai presque peur. De Fisher, histoire de compléter sa filmographie, je découvre aussi dans la foulée The devil rides out (Les Vierges de Satan - 1968). Le film a très bonne réputation chez les admirateurs du réalisateur et je ne les contredirais pas. Le film est aussi original qu'efficace dans son traitement. Fisher arrive à provoquer une véritable angoisse avec des effets sobres, l'attente, le son, la lumière. Les quelques effets plus mélodramatiques ont un peu vieillit, mais cela ne pèse guère face à l'atmosphère d'ensemble. Encore un peu de fantastique, assez différent, avec le Opéra (1987) de Dario Argento qui manquait à mon palmarès. Le film a fait couler pas mal d'encre et pour beaucoup, il est le début d'une pente artistique qui n'a cessé de glisser. Je n'aime pas non plus l'utilisation du hard-rock dans les scènes de meurtre, pas plus que cette musique d'une façon générale. Mais je trouve pas que cela nuise tant que cela au film. Après tout, Argento a toujours eu des accès d'un goût curieux, douteux diront certains, mais ici il maintient l'équilibre et cela fait partie à sa façon de son cinéma. La musique des Goblin est elle très réussie et Christina Marsillach superbe. Pour parachever le cycle, je montre à ma fille King Kong, le premier, le seul, celui de 1933. Je lui avais promis l'année de ses sept ans, comme je l'avais découvert moi-même. Je poursuis la transmission.

2014

Nous recevons à Nice les cinéastes Joseph Morder et Gérard Courant. Le premier présente L'arbre mort (1987), vaste poème en super 8 où Nice devient ville des tropiques où l'on tombe amoureux de femmes sublimes qui laissent le vent jouer dans leurs robes et leurs cheveux. Le second présente le portrait plein d'humour du premier, et vivent les Morlocks ! Ce sont mes premiers films en salle de l'année. J'y retourne en compagnie de ma fille pour Kaze tachinu (Le vent se lève) de Hayao Miyazaki qui annonce sa retraite. Je vais rester sec pour ce qui est d'écrire sur ce film, ne dépassant pas les dix lignes. Il y avait pourtant beaucoup à dire. Beaucoup a été écrit, le plus souvent sur le ton de la révérence avec comme une pointe d'agacement pour ce fichu japonais dont les films ridiculisent à peu près tout ce qui se fait aujourd'hui. « Ridiculiser » n'est peut être pas le terme juste, mais devant ses films, on retrouve ce que l'on aime profondément dans le cinéma et qui manque tant de fois à tant de films au point que l'on se dit qu'on l'a perdu. Mais non ! Le souffle, l'émotion artistique, la précision dans la description d'une petite herbe folle et l'intensité spectaculaire de ce tremblement de terre qui souffle comme un monstre mythologique, la construction burlesque de la scène de l'avion de papier, la peur langienne des ombres nazies sur les murs, la délicatesse d'un rendez-vous amoureux, la pudeur, l'humanité, la vie, toujours ce sens de l'air et de l'eau. Miyazaki remet les pendules à l'heure, intime et universel, épique et délicat. Tous derrière et lui devant.

Pas de festival de Clermont-Ferrand cette année pour cause d'emploi du temps. Je me console avec quelques westerns américains des années cinquante où passent les visages de Maureen O'Hara, Mara Corday, Yvonne DeCarlo, Martha Hyer et sa robe rouge, et puis je redécouvre Elsa Martinelli au bain dans Indian Fighter (La rivière de nos amours – 1954). Je reviens à quelques gothiques italiens avec Barbara Steele histoire de nourrir ma semaine consacrée à la belle sur Inisfree, puis à quelques westerns italiens signés Giuliano Carnimeo pour un ensemble de chroniques destinées aux Fiches du Cinéma. Ce qui est amusant est que j'avais découvert ces films dans un coffret acheté en Allemagne il y a deux ans mais, malgré le plaisirs pris à ces films, je n'avais pas pu écrire dessus. Je me rattrape donc, d'autant plus volontiers que les films résistent bien à une seconde vision. Dans le lot, il y a également le très intense Per 100 000 dollari t'ammazzo (Le jour de la haine - 1968) de Giovanni Fago qui va m'entraîner sur d'autres pistes un peu plus à l'ouest.

2014

J'aime bien suivre les conseils de mes collègues. Une image de Rossana Podesta sur Nage nocturne me pousse illico à acheter et visionner La red (Le filet - 1953) d'Emilio Fernandez. Suivant ceux de Griffe je découvre Orléans (2013) de Virgil Vernier qu'il avait mis dans son palmarès 2013. Suivant ceux de Christophe, je reviens sur un vieux souvenir télévisuel avec Tendre Poulet (1978) de Philippe De Broca où j'apprécie en effet l'histoire d'amour naissante entre Giradot et Noiret. Gérard Courant m'envoie deux films de Werner Schroeter pour m'initier à l'univers du cinéaste. Je suis séduit par le superbe Willow Springs réalisé en 1973 et en Amérique avec un trio féminin à tomber : Magdalena Montezuma, Christine Kaufmann, Ila von Hasperg. Outre la beauté des images et la manière très sensuelle de filmer ses actrices, le film adopte la forme d'un suspense pour surprendre à chaque instant en se décalant par rapport aux règles du genre. Je rattrape le documentaire original L'Image manquante de Rithy Panh. Pour les fiches, je me plonge dans les tréfonds du cinéma avec un trio de films de Ninjas gratinés, réalisés selon la technique du « deux en un », soit un film acheté au mètre mélangé à de nouvelles scènes tournées à la va-vite. De l'escroquerie sur pellicule parfois drôle à force de nullité.

2014

Revenons aux choses sérieuses avec une série de chefs-d’œuvre signés Franck Borzage. Cela restera pour moi le grand moment de 2014 avec quatre sommets de la transition entre muet et parlant, mélodrames autour du couple Janet Gaynor et Charles Farrell, et puis The river (La femme au corbeau) avec Farrell et Mary Duncan à la place de Gaynor. J'avais découvert le film en salle il y a pas mal d'années mais le lyrisme de certaines scènes, l'incroyable érotisme qui passe dans la relation entre les deux protagonistes sont toujours aussi intenses. Du coup je n'ai plus trop envie de voir autre chose et j'enchaîne avec sa version de Liliom en 1930, Farrell toujours, mais guère plus convaincu qu'avec la version de Lang tournée quelques années plus tard lors de son passage en France. Je revois aussi Three comrades (1938) que j'avais découvert, lui, en son temps au cinéma de minuit. Ce devait être ma première et décisive rencontre avec Borzage. Je verrais enfin un film très curieux Strange cargo (1940), parabole christique avec Clark Gable, la satinée Joan Crawford, et Peter Lorre dans un joli rôle de faux-cul. Quand on voit la puissance de la mise en scène de ce réalisateur, son inventivité constante, sa façon d'être à la fois dans son époque, dans la précision de ce qu'elle est, dans une morale et en même temps dans un monde irréel construit sur une poétique intime, je me dis une nouvelle fois que quelque chose s'est perdu en route. Mais je constate que c'est ce que je pense aussi à propos de Miyazaki, et que, mais si, il y a une continuité. Du moins que rien n'est perdu, qu'il faut juste les hommes (ou les femmes, pas de discrimination, hein) qu'il faut pour perpétuer la flamme.

Après cela, je trouve bien pâle le succès de Guillaume Gallienne Les Garçons et Guillaume, à table ! (2013). Zoome arrière m'amène à découvrir, enfin, In harm's way (Première Victoire – 1965) de Otto Preminger avec une jolie romance vieillissante entre John Wayne et Patricial Neal et puis la danse impudique de Barbara Bouchet. Un couple intéressant aussi dans Hustle (La cité des dangers - 1975) de Robert Aldrich avec Catherine Deneuve et Burt Reynolds. Je montre à ma fille la trilogie Back to the future et La Marseillaise (1938) de Renoir.

2014

Je me décide enfin à voir Pilgrimage (1933) de John Ford. Dans son livre, Joseph McBride met le film très haut mais, allez savoir pourquoi, il est resté trois ans sur mes étagères. Après Borzage, je reste au sommet. Là encore, je ne dépasserais pas quelques lignes pour Inisfree. Le film m'a peut être trop secoué. L'histoire de cette mère qui envoie son fils à la guerre où il y reste, plutôt que de lui voir épouser une femme qu'elle estime indigne de lui, est du très grand Ford, nous faisant passer du mélodrame à la comédie et à la pure tragédie d'un plan à l'autre, avec une aisance, une assurance qui laissent la bouche ouverte et l’œil humide, avant de vous diffuser une impression profonde et durable, et ce sentiment que l'humanité a un bon fond malgré tout ce qui nous en fait douter chaque jour. Et puis Ford avec ce film casse une nouvelle fois les images toutes faites qui existent sur lui. Voilà un film dont le protagoniste est une mère égoïste et butée, une femme d'un certain âge rien moins que sexy. Comme je l'ai lu quelque part, Hannah Jessop jouée avec justesse par Henrietta Crosman, est une première version du Ethan Edwards que John Wayne interprétera 23 ans plus tard. Pour m'en remettre, rien ne vaut une vison semestrielle de The quiet man (L'homme tranquille – 1952).

Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot où Catherine Deneuve joue son âge est sympathique mais anecdotique. Giovanni Fago, disais-je un peu plus haut. Je vois son O' Cangaçeiro de 1970 avec Tomas Milian parlant à sa vache avant de devenir bandit pour la venger. Le cangaceiro, c'est une sorte de bandit d'honneur ayant sévi dans la région du Sertão au Brésil avec une dimension sociale et politique. Quoiqu'en dise le réalisateur, ce film d’aventures picaresques et mystiques tourné sur place avec de superbes extérieurs, a plein de liens avec le western italien. Mais par un intéressant effet de ricochets, il m'amène à voir le O Cangaceiro de 1953 signé Lima Barreto avec sa fameuse chanson que Fago avait récupérée. Puis, suivant les conseils avisés de Frédérique via Zoom Arrière, je passe à du plus authentique avec deux films de Glauber Rocha. A ma grande honte je n'avais jamais rien vu ce ce représentant emblématique du cinéma novo, nouvelle vague du cru.

2014

Il est temps d'aller faire un tour à Cannes. Petit tour cette année, mais qui me permet de voir deux films admirables Timbuktu d'Abderrahmane Sissako et Le Conte de la princesse Kaguya de Isao Takahata. Du coup Miyazaki sera moins seul. Bonne surprise avec le film de Ken Loach et l'histoire hongroise avec des chiens, White God de Kornel Mundruczó. Moment pénible avec le film d'Olivier Assayas. Bilan globalement positif.

Comme j'ai terminé le roman de H.R.Haggard, je vois la version 1937 de King Solomon's mines (Les Mines du Roi Salomon) signée Robert Stevenson. Comme c'est le 6 juin, je montre à ma fille The longest day (Le jour le plus long – 1962) et passe un moment à lui expliquer qui sont les américains, les allemands, les anglais, etc. Puis je la délasse avec l'agréable E per tetto un cielo di stelle (Ciel de plomb - 1968) de Giulio Petroni avec le beau Giuliano Gemma. Comme il est arrivé premier pour l'année 1967 sur Zoom arrière, je découvre avec délice le I walked with a zombie (Vaudou – 1943) de Jacques Tourneur. Comme je me plonge dans une histoire de la guerre d'Espagne, après un court séjour à Barcelone, je revois une version en espagnol de L’Espoir d'André Malraux, sur youtube et sans sous-titres. Je n'y retrouve pas vraiment mes lointains souvenirs d'enfance, mais le film est intéressant. Je termine ce semestre avec Park Row, dynamique histoire de journalisme plein d'encre, de fureur et de conviction signée Samuel Fuller. Bientôt l'été...

15:58 Publié dans Blog, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : 2014 |  Facebook |  Imprimer | |

22/12/2014

1972 en 10 (autres) films

Belle année de cinéma que 1972 comme le montre la rétrospective de l’équipe de Zoom Arrière. Une année où se côtoient les maîtres au sommet de leur art (Buñuel, Fellini, Pasolini, Bresson, Rohmer, Kubrick, Peckinpah, Leone, Cassavetes...), l'explosion du nouvel Hollywood avec Coppola, Bogdanovich, Friedkin, Ritchie, Sarafian, Pollack entre autres, et un cinéma de genre toujours dynamique et inventif avec les films de Martino, Baldi, Siegel, Ho, Sasdy, Hough ou Carnimeo. Comme le montre avec limpidité l'éditorial en images d’Édouard, la violence est la caractéristique majeure de l'époque, se déclinant de multiples façons et en repoussant chacune à leur façon la représentation. Le sexe n'est pas en reste, se mêlant à la violence pour secouer le spectateur dans des scènes qui vont marquer l'imaginaire et provoquer la polémique comme les viols de Deliverance et A clockwork orange (Orange mécanique), les rapports sado-masochistes de Lo strano vizio della Signora Wardh (L'Étrange Vice de madame Wardh) ou La cagna (Liza). Rien n'est plus sacré, Marlon Brando passe le beurre et John Wayne se fait tuer dans le dos par un affreux chevelu. Voici dix film qui participent de cette année exceptionnelle. Photographies DR.

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20/12/2014

Jolie mouche (hommage)

Chère Virna Lisi,

J'ai appris votre disparition ce 18 décembre avec je l'avoue une grande peine. Comme souvent, je me suis un peu irrité en lisant les nécrologies sentant un peu trop la fiche toute faite. Mais c'est le jeu. J'imaginais votre sourire indulgent et comme avec le chat de Cheshire, tout votre visage se matérialisant autour. Votre sourire... En France, tout le monde y est allé de son couplet sur votre prestation en Catherine de Médicis pour Patrice Chéreau adaptant Dumas. Brillante idée d'avoir tourné avec un metteur en scène de prestige, il en jette plus dans votre filmographie qu'Alex Joffé ou Henri Verneuil, et puis c'est plus récent en notre époque de mémoire courte.

Pourtant, si vous étiez remarquable en Catherine, vous y apparaissiez vieillie, enlaidie, cruelle et cynique, et ce portrait ne saurait en rien rendre compte de ce que vous avez été sur les écrans ni de ce que vous évoquez pour moi.

virna lisi

Vous êtes, chère Virna, une des plus belles femmes apparues comme autant de miracles au cinéma vers 1960. Je pense à vos sublimes contemporaines, Claudia Cardinale, Giovanna Ralli, Catherine Spaak, Marilù Tolo, Stefania Sandrelli et quelques autres. Vous y avez apporté de la grâce mêlée à une pointe d'impertinence latine, une douceur vive, un humour pétillant et sensuel, avec chez vous en particulier une expression d'indulgence qui tempérait les effets de votre beauté incandescente. Ce sourire, votre sourire, large et franc, m'est inoubliable avec cette petite mouche au coin de la bouche, point d'exclamation rehaussant votre blondeur comme chez Marilyn à qui l'on a voulu vous faire ressembler chez Richard Quine. Vous avez eu assez de lucidité pour rester vous même et laisser Hollywood de côté. Mais pas trop loin.

Voilà. Pour retrouver ce sourire éclatant, cette grâce énergique, cet œil vif et malicieux, il faut vous revoir à vos débuts chez Joffé dans Les hussards en 1955 aux côtés de Giovanna Ralli et de Bourvil que vous retrouverez à plusieurs reprises. Vous y portez à ravir le corsage échancré 1800. Il faut vous voir en toge diaphane entre les beaux mâles Steve Reeves et Gordon Scott pour le Romolo e Remo (Romulus et Rémus - 1961) de Sergio Corbucci. Corbucci que vous inspirez puisqu'il vous fait dominer la distribution pléthorique de Il giorno più corto (Le Jour le plus court) en 1963 où vous portez de multiples tenues dont une superbe combinaison d'aviatrice façon Hélène Boucher. Avec cela, il y a la brune émouvante pour Pietro Germi, la collégienne chef de bande dans 5 marines per 100 ragazze (1961) de Mario Mattoli, où vous êtes entourée d'une belle bande de comiques (Ugo Tognazzi, Mario Carotenuto, Ciccio et Franco), le corsage à la rose aux côté d'Alain Delon, les lunettes intello pour Joseph Losey, la tenue orientale de Oggi, domani, dopodomani (1965) où Marcello Mastroianni, un rien mufle, vous revend à un émir, l'écharpe dans le vent du côté d'Étretat...

virna lisi

Dans tout ceci, il n'y a pas que des chefs d’œuvre, mais chère Virna ne vous en offusquez pas. Si vous n'avez pas eu la carrière d'une Claudia, vous faites partie de ces actrices qui même noyées au milieu de productions internationales poussives, y apportent toujours quelques minutes de lumière. Et vous avez préféré, aux temps difficiles du cinéma italien, la discrétion et le silence.

Votre mouche et votre sourire vont me manquer, chère Virna, encore qu'il me suffise de me replonger dans n'importe lequel des titres de votre filmographie, même chez Chéreau, pour y les y retrouver, espiègles, indispensables.

Photographies DR et Carl Fischer (1966)

19/12/2014

L'espace, camarades !

Planeta bur (La planète des tempêtes - 1959) un film de Pavel Klouchantsev

Texte pour les Fiches du Cinéma

En 1962, l'URSS a encore une longueur d'avance sur les USA dans la course à l'espace. John Fitzgerald Kennedy a galvanisé ses troupes avec la Nouvelle Frontière et en promettant un américain sur la Lune avant la fin de la décennie. Sur les écrans, Hollywood déverse des soucoupes volantes, des robots massifs et des monstres folkloriques. Qu'à cela ne tienne ! Les studios de Leningrad vont montrer ce qu'est un space-opéra marxiste-léniniste et ils ont sous la main le projet ambitieux de Pavel Klouchantsev, Planeta bur (La planète des tempêtes). Klouchantsev est loin d'être un débutant même si ce film est son premier long métrage de fiction. Il a débuté en 1930 et, opérateur de formation, il s'est intéressé aux effets spéciaux qu'il va développer et utiliser dans de nombreux films documentaires sur l’espace, sa passion. Il connaît un gros succès avec Doroga k zvezdam (La route des étoiles) qui sort en 1957 au moment du lancement du premier Spoutnik. Planeta Bur sort l'année du voyage de Youri Gagarine. Ces deux films fascineront les américains, en particulier Stanley Kubrick qui imagine déjà un voyage vers Jupiter. Klouchantsev envoie ses astronautes vers la planète Vénus avec des moyens, une vision ample et un zeste de propagande. Les valeureux soviétiques, dont une partie est victime d'un astéroïde, vont affronter diverses péripéties, un atterrissage périlleux, des décisions cornéliennes, un environnement hostile mais pas trop, des gaz toxiques, des dinosaures placides, une plante carnivore hilarante, des espèces de lézards sauteurs, et un décollage catastrophe. La liste n'est pas limitative, ouf !

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Planeta bur m'a laissé perplexe, faisant le grand écart entre la série B et la production de prestige, entre Star Trek et Andrei Tarkovski. Il est tour à tour ennuyeux et intéressant, amusant et pompeux. La volonté de rompre avec une esthétique occidentale (comprendre américaine) de pur divertissement bon marché se traduit par le choix de mise en valeur des extérieurs grandioses, par une volonté de réalisme dans les décors des vaisseaux, le soin apporté aux costumes et accessoires, les effets de vol ou d'apesanteur. Sur ces points, on comprend l'intérêt que pouvait manifester Kubrick qui reprendra les mêmes options. Cela donne de belles séquences comme Masha flottant dans l'habitacle avec beaucoup de naturel ou celle du survol de la surface de Vénus par un vaisseau. Par contre le robot John, construit par l'équipier américain pas très sympathique qui accompagne l'expédition, ne renouvelle pas le cliché de la boite de conserve sophistiquée et John n'a pas l'humour de Robby.

Sur la surface de Vénus les choses se compliquent et si les superbes décors naturels sont photographiés avec talent, Klouchantsev se lance dans des délires mal assumés avec une faune locale qui ne dépareillerait pas un film d'Ed Wood. Le numéro d'équilibrisme est difficile à tenir d'autant que les effets sont limités par la technique de l'époque. Les dinosaures sont statiques et les lézards sauteurs semblent sortis des studios de la Toho japonaise, le royaume des cascadeurs en costumes zippés. Le montage n'est pas utilisé pour dynamiser l'action et, curieux paradoxe, l'accumulation de péripéties sur une durée assez courte (83 minutes) n'empêche pas l'ennui de s'installer. Un ennui qui se renforce avec les personnages peu développés, comme est peu développé dramatiquement l'opposition entre l'individualisme de l’américain et l'esprit collectif de ses collègues. Les états d'âme de la seule femme du groupe laissée en orbite, le machisme étant bien partagé entre soviétiques et occidentaux, sont plus intéressants mais restent très théoriques. Faut-il faire confiance à la ligne du parti qui dirige avec lucidité l'expédition depuis notre bonne vieille terre où se laisser aller à ses sentiments ? La réponse est dans la question. Les quelques larmes que verse Masha nous semblent bien peu de choses pourtant elles furent reprochées durement au réalisateur. Une cosmonaute soviétique ne pleure pas !

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L'ironie d'aujourd'hui est peu facile. Planeta bur a tout de la curiosité un peu surannée nécessitant un peu de patience de la part du spectateur contemporain. Mais celui-ci pourra se laisser séduire par la photographie de Arkadi Klimov, les atmosphères soignées de la surface vénusienne, et de jolies trouvailles poétiques comme la découverte finale dont je ne dirais rien. A noter que les affaires étant ce qu'elles sont malgré les guerres froides, Roger Corman achètera le film et s'empressera d'en faire deux versions tripatouillées selon ses habitudes : Voyage to the Prehistoric Planet (1965) et Voyage to the Planet of Préhistoric Women (1968), le second avec le concours d'un jeune débutant nommé Peter Bogdanovich. Aucun de ces films n'a grandi l'histoire du cinéma. Planeta bur, lui, aventure dans les paysages balayés par les vents vénusiens, aura été un film étape, un jalon et une source d'inspiration, ce qui n'est pas rien.

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Photographies : DVD Artus Film DR