01/03/2015
Clermont 2015 - Partie 4
Pour revenir à ce que j’écrivais sur l’influence que les événements de ce début d’année ont eu sur ma façon de voir certains films, les courts métrages français abordant des thèmes autour des banlieues et de la religion (pour faire large) ont eu une résonance particulière. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais je ne peux faire abstraction de ce contexte.
Terremere d’Aliou Sow confronte deux mondes dont les liens se sont distendus. Un jeune homme, banlieusard d’origine mauritanienne, musulman, veut faire enterrer son frère mort d’un accident de voiture sous l’emprise de l’alcool sur la terre natale. Pour l’accompagner dans un pays instable ou rôde la guerre, Abdoulaye embarque trois amis pour convoyer le cercueil. Ils vont vite se rendre compte que le pays qu’ils traversent n’a plus que des rapports lointains avec l’image qu’ils en avaient et, s’ils y sont nés, si leur famille y réside encore, ils y sont aussi décalés que s’ils étaient de parfaits étrangers, entre les bandes armées, l'extrême pauvreté, la réalité d’une violence qui n’a rien à voir avec celle qu’ils connaissent. Les quatre compères ne sont pas des enfants de chœur, sans doute petits truands en France, ils ont des armes et savent s’en servir. Pourtant rien ne pouvait les préparer à cette expérience qui prend un tour initiatique « Marcher dans le désert, c’est comme marcher sur un miroir ». Les quatre personnages ont un côté schématique (le « grand frère » plus réfléchi, la tête brûlée, le taiseux…) qui est dépassé par le jeu des quatre acteurs, excellents, Oumar Diaw, Sofiane Zerman, l'excellent Hichem Yacoubi vu dans Timbuktu (2014) d'Abderrahmane Sissako, et Mahamadou Coulibaly, Et si le scénario de Sow part sur des situations attendues, sa mise en scène sait les enrichir par le soin des descriptions (les détail des rituels de la mise en bière, le village d’arrivée), l’utilisation du son pour générer une atmosphère anxiogène (les coups de feu dans la nuit, les ambiances nocturnes), la fascination pour les grands espaces africains. Il sait alterner moments posés et accélérations, temps de respiration et coups de nerfs. Il amène au final une réflexion intéressante sur la violence, la relativité des conditions, et la perception de la religion, intégrée dans la trame du récit.
Journée d’appel de Basile Doganis suit un groupe de jeunes d’une cité de banlieue lors de cette initiation citoyenne qui remplace ce que j’ai connu sous le nom de « trois jours ». L’un d’eux, en retard, oblige Momo, un camarade en retrait du groupe car il suit des études, à l’accompagner jusqu’à Versailles pour y assister. Peine perdue, il est refoulé à l’entrée. Il se laisse persuader par Momo d’aller visiter le château. L’idée est intéressante, mais mal exploitée sauf quand les deux garçons tombent en arrêt devant la monumentale toile La Bataille d'Aboukir d'Antoine-Jean Gros me semble-t-il, où les tensions entre leurs origines arabes et leur nationalité française percute l’Histoire à travers l’œuvre d’art. Pour le reste la visite alterne avec le groupe qui suit la fameuse journée. Le réalisateur et scénariste passe en revue divers cas de figure, comme le militaire revenu du Mali et sauvé par son collègue noir, l’inévitable confrontation avec la police, une dialectique un peu appuyée qui est sauvée par le rythme et l’humour.
Plus intéressant est le film de Pierre-Emmanuel Urcun, Le dernier des céfran, qui partage certains des éléments de Journée d’appel pour raconter la démarche de Rémi qui décide de s’en sortir en s’engageant dans l’armée. Poussé par sa petite amie, il se présente à un entretien avec deux militaires qui vont se révéler complètement givrés. La scène prend vite un tour burlesque presque inquiétant tout en exprimant les préjugés des uns et des autres qui prennent le ton de la paranoïa ordinaire. Pierre-Emmanuel Urcun joue de l’espace de la salle vaste et froide, des différences de plans qui oppressent Rémi et des variations de lumière qui créent l’étrangeté. Peut-être plus que les figures imposées par le sujet, le réalisateur s’attache aux questions de regards des uns sur les autres et sur celui que Rémi porte sur lui-même. Image de la fonction émancipatrice de l’armée, image de la banlieue ici filmée dans un calme paisible et ensoleillé, image que Rémi craint de donner à ses amis, sa bande. Son aveu constitue la seconde partie du film mais plus que contre ses amis, c’est contre ses propres blocages qu’il va devoir lutter.
Dans le registre décalé, plusieurs films arrivaient rendre vivant des univers originaux où se débattent des personnages en quête d’ailleurs, un des grands sujets du court métrage. Dans Think big (tous les chemins mènent ailleurs) de Mathieu Z’Graggen, un jeune homme qui travaille dans un club de vacances pour chats tente de prendre le bus à un arrêt qui n’est pus en fonction. Il est embarqué par un type illustrant la maxime d’Audiard « Quand les hommes de 120 kilos parlent, ceux de 60 les écoutent ». Dans un café où l’on joue au bowling, il va rencontrer un couple étrange et le réalisateur enchaîne des scènes curieuse où l’on ne sait pas si l’on va finir en éclat de rire ou en glauquerie. Pas sûr que le héros finisse par partir.
Dispositif classique pour Mon héros de Sylvain Desclous avec deux frères que tout oppose. Le premier est resté en province, dans l’est de la France, il bricole, faisant de la publicité pour une rôtisserie déguisé en poussin. Il semble heureux. Le second est « monté à Paris » et pilote de riches investisseurs étrangers, japonais en l’occurrence. Il est en crise existentielle. Le hasard les réunit pour une confrontation en forme de bilan, la routine. Mais Mon héros fonctionne bien, sur une mise en scène assurée qui s’attache aux relations entre les personnages et les fait exister au milieu d’une fantaisie qui puise dans le quotidien : Un camion qui surgit d’un chemin paumé, une piscine illuminée dans la nuit, des êtres aimables dont l’ami incarné par Esteban, nature vue chez Petertjatko, où ces deux japonais qui apprécient comme tout le monde un moment de simple bonheur. Sylvain Desclous sait rendre une atmosphère de camaraderie, de fraternité, faire ressortir sans grandes orgues une humanité simple.
People are strange prend le titre d’une chanson des Doors pour le portrait de Julien, autoproclamé sosie de Jim Morrison qui gagne sa vie en faisant visiter la tombe de son idole. Le film signé Julien Hallard est un modeste récit initiatique qui vaut par la performance de l’acteur Franc Bruneau, halluciné, et la présence de Esteban, hilarant dans le rôle de l’ami qui apprend à Julien que le corps du fameux chanteur va être rapatrié aux Etats-Unis. Les deux hommes vont dérober le corps, croiser la route d’une fille ravissante, puis tenter d’organiser l’inhumation des restes morrisoniens. Encore une histoire d’enterrement compliqué pour un film aimable.
Plus étrange, Philippe Prouff adapte une nouvelle de Julio Cortázar pour L’île à midi. L’aventure d’un steward fasciné par une île qu’il survole régulièrement. Notre homme est entre deux continents (Paris et Beyrouth), entre deux amours, entre deux eaux. Détaché du monde, il fait de ce morceau de terre aperçu le rêve d’un lieu où il pourrait être lui-même. Il va faire des recherches et préparer son départ. Ambitieux, le scénario de Philippe Prouff a eu les moyens de matérialiser ses visions qui rendent, me semble-t-il, bien l’atmosphère de l’écrivain argentin, entre fantaisie, fantastique et onirisme. La photographie sophistiquée de Thomas Robin et le montage de Penda Houzangbe qui jongle avec les nombreux lieux et les différents niveaux de réalité, parachèvent un travail maîtrisé à la lisière du rêve. L’acteur David Kammenos donne au steward sa haute silhouette élégante et ce regard déjà ailleurs qui conviennent à un personnage en partance pour l’étrange.
De plus en plus étrange comme dirait Alice, Notre dame des hormones de Bertrand Mandico va aussi loin que possible dans le bizarre. Deux actrices, les très belles Elina Löwensson et Nathalie Richard, répètent une pièce dans une étrange demeure au fond des bois tout aussi étranges. Incidemment, elles découvrent un truc étrange, genre machin, sorte de ballon de rugby organique et couinant muni d’un appendice qui évoque ce à quoi vous pensez. La chose affectueuse déclenche chez nos deux dames des pulsions qui n’ont rien d’étrange et tout de sexuel. Difficile d’en dire plus. C’est divisé en chapitres introduits par la voix de Michel Piccoli. C’est du studio sophistiqué qui recrée un univers à la Jacques Demy période Peau d’âne (1970), mais en version trash, et donc par transitivité à la Jean Cocteau, avec les statues vivantes, les miroirs, les végétaux dans la demeure, les bois… étranges. C’est donc un conte de fées, des fées désirantes jusqu’au meurtre, un conte sur la convoitise, le théâtre et les actrices. Que demander de plus ?
Deux films très curieux provenaient du programme Hors les murs de l’Institut français, deux films proches par leurs ambitions formelles mais avec des résultats fort différents. Black Diamond, tourné par Samir Ramdani à Los Angeles est composé de longs plans séquence et d’expérimentations en intérieur autour d’un jeune homme d’un quartier populaire qui se passionne pour l’art et prend en chasse un autre jeune venu photographier le dit quartier. La chasse en question est à la fois virtuose et interminable. Le rapport entre art et condition sociale est intéressant mais le problème du film est de mettre quarante minutes à nous l’exprimer. A l’issue de la course poursuite, le spectateur épuise se demande « Et alors ? ».
Tourné à Johannesburg, Hillbrown du nom d’un quartier populaire de la citée sud-africaine, est l’œuvre de Nicolas Boone. Le film est également composé de plans séquences virtuoses (une dizaine), mais qui chaque fois renouvellent leur dispositif. Nous suivons successivement des personnages, seuls ou en groupe, qui font l’expérience de la violence. Mais nous ne savons jamais au départ quelle forme cela va prendre. Il y a les victime, les gangs, et un homme à qui il n’arrive finalement rien. Le film établi une tension très forte avec laquelle il joue sur nos nerfs. Nous avons véritablement l’impression d’être immergés dans les rues de la ville, ses centre commerciaux, ses immeubles insalubres, ce cinéma où se situe une impressionnante descente de truands armés de mitraillettes. En arrière-plan, sans insister, se révèle toute une violence sociale, la pauvreté, le sort des femmes, la drogue et le reste. Le travail complexe de la caméra portée rend plus impressionnant encore le travail de jeu avec des comédiens recrutés sur place.
En animation, Sébastien Laudenbach à l’œuvre riche, et Sylvain Derosne proposaient Daphné ou la belle plante, une animation image par image de la transformation d’un arbre en statue sur le récit d’une jeune femme travaillant dans une boite à strip-tease. La beauté des images renvoyait à la sensibilité de la jeune femme et son récit faisait penser au portrait des deux filles de Orléans (2012) de Virgil Vernier. 8 balles de Franck Terrier est le récit de la traque d’un paisible père de famille qui recherche l’homme qui les a attaqué, n’ayant comme seul indice une odeur de friture. L'animation est originale, mêlant dans le même plan les décors de la ville de Taipei où se déroule l’action, aux visions traumatiques qui hantent le personnage, et aux matérialisations des odeurs qui le guident. Carapace de Florent Molinié utilise une technique de peinture sur des images tournées avec des acteurs réels, Juliette Lamboley et Laurent Debecque, qui donne une esthétique intéressante à un récit autour des blocages physiques d’une jeune femme amoureuse mais incapable de passer à l’acte.
Rattrapé sur le site de Télérama, Territoire permet de découvrir les bergers siffleurs d’Aas, vallée d’Ossau dans les Pyrénées. Il permet aussi de vérifier la possibilité d’un cinéma fantastique excitant qui joue le jeu sans second degré facile. Signé Vincent Paronnaud, complice de Marjane Satrapi sur Poulet aux prunes (2011), Territoire se situe en 1957 et le berger siffleur, un taiseux comme on en fait plus, pense que ses brebis sont victimes d’un loup. Mais il observe aussi des militaires en manœuvres auxquels on distribue d’étranges pilules. Le loup n’y est pour rien, comme vont en faire la douloureuse expérience deux jeunes touristes allemands. Le berger siffleur va devoir faire appel à toutes ses ressources d’homme des montagnes pour combattre la menace. Vincent Parronaud brasse quelques grands thèmes du genre, mutations, expériences militaires mal maîtrisées, lycanthropie, et fait culminer son film par le siège d’une bergerie façon George Romero. Plans majestueux des montagnes, beauté des scènes nocturnes éclairées par Alfredo Altamirano, crescendo maîtrisé dans la tension, vivacité des scènes d’action, retournement de situation finale attendu mais espéré, présence physique de Jean-Marc Desmond dans le rôle principal, le film est un pur plaisir des sens autant qu’un pur plaisir de cinéma.
Ici s’achève cette évocation de la sélection 2015. Je n’ai pas abordé tous les films vu mais je dois dire que je n’en ai vu que très peu qui m’aient déplu. Ce n’est pas toujours le cas, c’est donc bien le signe d’une belle année.
Photographies Unifrance, Télérama et DR
Un entretien avec Basile Dogani sur le site de Télérama
Un entretien avec Sylvain Desclous, sur Télérama, pareil.
Le site du film Le dernier des céfran
16:33 Publié dans Cinéma, Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : clermont 2015, aliou sow, basile doganis, pierre-emmanuel urcun, mathieu z’graggen, sylvain desclous, julien hallard, philippe prouff, bertrand mandico, samir ramdani, nicolas boone, vincent paronnaud, sébastien laudenbach, franck terrier, sylvain derosne, florent molinié | Facebook | Imprimer | |
18/07/2007
C'est une bonne question
Cela fait des années que des amies me conseillent de lire Persépolis, la bande dessinée de Marjane Satrapi. J'ai été plusieurs fois tenté mais je ne suis pas passé à l'acte. Aujourd'hui que Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud en ont fait Persépolis, le film d'animation, je me suis empressé d'acheter le gros volume qui réunit les quatre tomes afin de pouvoir éventuellement asséner sans remords que, comme souvent, le film est moins bien que le livre. Après vision et lecture, c'est le cas. La grande question que je me suis posée avant et qui reste irrésolue après c'est : qu'est-ce qui a pu pousser son auteur à faire ce film ? La bande dessinée est assez proche du cinéma en ce qu'elle travaille aussi le cadre, le rythme, le montage, le temps. Ce sont deux formes d'expression nées au Xxeme siècle, divertissements de masse, d'abord populaires, pouvant prétendre à l'art. Cette proximité rend à mon sens délicate le passage d'une forme à l'autre. Les adaptations cinématographiques de bandes dessinées ne sont exceptionnellement convaincantes et le vice versa. Dans le cas de Persépolis, le projet de film semble d'autant plus vain qu'il est fidèle, et qu'il est l'oeuvre de la dessinatrice. Alors pourquoi ? Pour toucher un plus large public ? La bande dessinée est un succès. Par attirance pour le cinéma ? Le film reprend le même découpage, colle aux dessins et au noir et blanc, déploie des trésors d'invention pour retrouver les transitions entre les cases originales. Tout ce qui est bel et bon dedans était déjà dans les livres, les rares éléments nouveaux n'apportent rien comme l'usage de la couleur pour le présent, procédé très (trop) classique, le remplacement de Kim Wilde par Iron Maiden (problème de droits ?) ou cet effet « subjectif » du missile, déplacé et tape à l'oeil. Concentré, le film perd en nuances et en détails, conservant vaille que vaille la structure en petites histoires au risque de manquer d'une ligne directrice forte. Plus dommageable, l'humour très présent de la bande dessinée alterne de façon plus tranchée dans le film avec des scènes plus dramatiques et mélodramatiques. Avec le renfort de la musique d'Olivier Bernet, c'est un sentiment mélancolique qui domine le film alors que l'humour préservait la distance dans la bande dessinée. Avec le risque de l'émotion facile et d'une morale tranchée, plus complexe à l'origine. Alors ? Alors, rien de plus, rien de moins. Le film en lui même est bien, l'animation réussie avec des passages proches de Miyazaki, des clins d'oeil à quelques tableaux célèbres et une très belle utilisation du noir et blanc. Les voix sont justes, Deneuve ! Darrieux ! Mastroianni ! Abkarian ! Mais je ne peux m'empêcher de rappeler ce mot d'enfant que l'on questionnait sur une des adaptations de Tintin : « Je préfère les livres parce que Tintin n'a pas la même voix au cinéma ». Merveille de la lecture.
22:21 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud, animation, bande dessinée | Facebook | Imprimer | |