C'est une bonne question (18/07/2007)
Cela fait des années que des amies me conseillent de lire Persépolis, la bande dessinée de Marjane Satrapi. J'ai été plusieurs fois tenté mais je ne suis pas passé à l'acte. Aujourd'hui que Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud en ont fait Persépolis, le film d'animation, je me suis empressé d'acheter le gros volume qui réunit les quatre tomes afin de pouvoir éventuellement asséner sans remords que, comme souvent, le film est moins bien que le livre. Après vision et lecture, c'est le cas. La grande question que je me suis posée avant et qui reste irrésolue après c'est : qu'est-ce qui a pu pousser son auteur à faire ce film ? La bande dessinée est assez proche du cinéma en ce qu'elle travaille aussi le cadre, le rythme, le montage, le temps. Ce sont deux formes d'expression nées au Xxeme siècle, divertissements de masse, d'abord populaires, pouvant prétendre à l'art. Cette proximité rend à mon sens délicate le passage d'une forme à l'autre. Les adaptations cinématographiques de bandes dessinées ne sont exceptionnellement convaincantes et le vice versa. Dans le cas de Persépolis, le projet de film semble d'autant plus vain qu'il est fidèle, et qu'il est l'oeuvre de la dessinatrice. Alors pourquoi ? Pour toucher un plus large public ? La bande dessinée est un succès. Par attirance pour le cinéma ? Le film reprend le même découpage, colle aux dessins et au noir et blanc, déploie des trésors d'invention pour retrouver les transitions entre les cases originales. Tout ce qui est bel et bon dedans était déjà dans les livres, les rares éléments nouveaux n'apportent rien comme l'usage de la couleur pour le présent, procédé très (trop) classique, le remplacement de Kim Wilde par Iron Maiden (problème de droits ?) ou cet effet « subjectif » du missile, déplacé et tape à l'oeil. Concentré, le film perd en nuances et en détails, conservant vaille que vaille la structure en petites histoires au risque de manquer d'une ligne directrice forte. Plus dommageable, l'humour très présent de la bande dessinée alterne de façon plus tranchée dans le film avec des scènes plus dramatiques et mélodramatiques. Avec le renfort de la musique d'Olivier Bernet, c'est un sentiment mélancolique qui domine le film alors que l'humour préservait la distance dans la bande dessinée. Avec le risque de l'émotion facile et d'une morale tranchée, plus complexe à l'origine. Alors ? Alors, rien de plus, rien de moins. Le film en lui même est bien, l'animation réussie avec des passages proches de Miyazaki, des clins d'oeil à quelques tableaux célèbres et une très belle utilisation du noir et blanc. Les voix sont justes, Deneuve ! Darrieux ! Mastroianni ! Abkarian ! Mais je ne peux m'empêcher de rappeler ce mot d'enfant que l'on questionnait sur une des adaptations de Tintin : « Je préfère les livres parce que Tintin n'a pas la même voix au cinéma ». Merveille de la lecture.
22:21 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud, animation, bande dessinée | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Totalement d'accord avec toi! Le film n'est pas désagréable mais n'apporte rien à la BD d'origine. De plus, comme tu le soulignes très justement, le film est beaucoup moins nuancé que l'oeuvre originale et j'avoue avoir été gêné par les scènes mélodramatiques qui prennent en otage le spectateur.
Comme tu le dis : vive la lecture!
Écrit par : Dr Orlof | 18/07/2007
Pour ma part, "les scènes mélodramatiques" ne sont que l'expression d'une réalité qui elle l'est encore plus, je n'ai justement pas trouvé qu'il y avait une volonté de mélodramatiser... Le film ne me semble pas du tout jouer ce registre.
Pour la bédé (que je n'ai pas lue), je dirai simplement qu'un livre est systématiquement plus fort qu'un film (du moins si le livre est bon, Kubrick a fait de grands films avec des livres médiocres). Vouloir le tourner en film est aussi légitime si l'on veut bien penser qu'il doit amener à la lecture de la bédé ou au contraire permettre à un public qui ne lit pas d'au moins voir l'oeuvre. Le cinéma touche un large public qui n'est pas systématiquement celui du livre ou de la bédé! Bref, il y a des tas de raisons qui ne se réduisent pas à la question de savoir ce qu'apporte ou pas, d'un point de vue esthétique ou artistique, ce passage au cinéma.
Écrit par : el pibe | 19/07/2007
je ne puis que te conseiller de lire la BD et de te faire ton opinion. j'ai été un peu provocateur, d'autant que je ne crois pas qu'un livre soit forcément meilleur qu'un film. Ce sont deux choses différentes et le résultat d'une adaptation dépend du réalisateur. Ford a fait un grand film d'un grand livre ( Les raisins de la colère) et un grand film d'un livre moyen (L'homme tranquille). Hawks a magnifiquement adapté Chandler et Hemingway. Mais il faisait des films de Hawks. Je suis gêné avec ce film parce que c'est la même personne qui fait la même chose avec deux média différents. C'est quand même inhabituel. Est-ce que ça veut dire que Satrapi ne considère pas son travail en BD aboutit ? J'en doute.
Écrit par : Vincent | 19/07/2007
Lu mais pas vu (et n'verrai sans doute pas), la problématique posée par vous est bougrement intéressante. Mais qui en aurait douté ?
Écrit par : mariaque | 19/07/2007
Ni vu ni lu, mais la question des adaptations est éternelle. Pourquoi adapter ? Parce que nous sommes dans une société où les media se confondent. Un seul ne suffit plus, surtout lorsque c'est une BD. Je ne suis pas un fan de BD, je ne connaissais pas Persepolis, maintenant je connais, et je pense qu'une bonne partie des Français connaissent. Un bon coup de pub, du frique à gogo, et puis un auteur veut toujours en faire plus. Pourquoi ne pas s'en tenir à la qualité d'une première oeuvre, une unique et magnifique oeuvre ? Multiplier, empocher et consommer à défaut de qualité !
Écrit par : dol | 19/07/2007
Réduire le film à une question économique, quand bien même ce serait dans l'air du temps, c'est je crois franchement abusé et relève d'un conformisme intellectuel un peu vain. Quant à dire que "les français connaissent", c'est un peu surestimer la bédé... Bref, autant la question de l'adaptation est intéressante, autant la dérive "cinéma" = faire du fric est plus que oiseuse. Bref, le passage au cinéma, c'est une tentation évidente (un peu comme un acteur qui se met derrière la caméra) et c'est aussi le désir de se confronter à autre chose. En fait, j'ai du mal à percevoir le pb sous l'angle d'un jugement : comme le dit vincent, le film est bien et c'est là l'essentiel...
Bref, je reste calme sur le dernier commentaire et confirme que la problématique de l'adaptation est passionante.
Écrit par : el pibe | 19/07/2007
A mon avis, l'adaptation de BD au cinéma a souvent été la fausse bonne idée par excellence, car on a vite établi l'équation BD=story board alors que le temps de lecture, l'attention portée à certaines cases plutôt qu'à d'autres sont essentielles dans la perception d'une BD. Le nombre d'échecs est impressionnant. Voir par exemple les films de Bilal qui n'ont jamais paru convaincants (j'en ai vu qu'un seul, mais le reste n'a pas l'air fameux en dépit d'efforts pharaoniques pour restituer le foisonnement graphique du dessinateur). Cela dit, ces dernières années "Sin City", "Old Boy", "History of Violence" (trois adaptations) ont été quand même (quoi qu'on en pense) des films qui ont vraiment tenté quelque chose. Pour ma part, ce sont des vraies réussites parce qu'elles s'éloignent de leurs modèles graphiques et en proposent une approche assez complémentaire. Mais la plus grande réussite récente reste "American Splendor" de Springer Bergman et Pulcinni (pas sûr de l'orthographe). Non content d'être une hybridation entre BD et cinéma, le film est aussi une hybridation entre fiction et documentaire, récit autobiographique et "shorts stories" à la Raymond Carver ou Brautigan. Vraiment à voir !
Cela dit, bon week-end et bonnes vacances.
Écrit par : Joachim | 20/07/2007
Une simple précision d'un amateur de BD et de cinéma : chaque art a son originalité propre. Pour la BD, c'est le découpage - il n'existe pas vraiment de montage - et pour le cinéma, c'est le montage. Un film tiré d'une oeuvre doit se l'approprier et en proposer sa propre vision. Si c'est pour refaire du copier-coller, c'est inutile et on peut fort justement se poser la question de l'adaptation : pour toucher un public plus large, pour faire connaître l'oeuvre, etc.
Écrit par : Casaploum | 22/07/2007
Je suis largement sur la même logueur d'onde que Joachim, même si j ferais à "Sin city" le même reproche d'être très proche, trop proche de la BD originale, sans la réinventer.
Sur l'importance de "Persepolis", la BD, elle est quand même très connue, elle a été publiée dans Libération, et je rappelle juste qu'elle a obtenu le prix à Angoulème qui est en quelque sorte l'équivalent de la palme cannoise. Ce n'est pas rien pour une oeuvre à l'origine "indépendante" éditée par une petite boite, "l'Association".
Sur la remarque de Casaploum, j'ai écris cette note l week end ou j'ai lu "Délirius" de Druillet et je trouve que nombre de bandes dessinées de ce calibre ont plus qu'un découpage, un véritable montage très proche, y compris dans l'approche du mouvement, de celui du cinéma.
Écrit par : Vincent | 22/07/2007
D'accord, je ne vais pas polémiquer, mais la BD ne peut ajouter du son et de la durée dans ses cases, d'où un terme précis qui renvoie à l'art de la BD, le découpage. C'était juste pour dire qu'il ne sert à rien d'adapter une BD case par case au cinéma (comme ce fut le cas de Sin City) car cela n'apporte rien.
Écrit par : Casaploum | 23/07/2007
Ce n'est pas vraiment une polémique :) mais c'est intéressant. Je me suis fait les mêmes réflexions sur les différences, et sur le son, par exemple, la BD a les onomatopées. Comme pour le mouvement, elle crée l'illusion de façon graphique. C'est d'ailleurs amusant que la BD traduit le son via la phonétique et le graphisme (les étoiles, les majuscules...) tandis que le cinéma cherche souvent à obtenir un effet sonore à partir de sons parfois très éloigné de ce qui est montré (le cri de Tarzan).
Sur la conclusion, nous sommes bien d'accord.
Écrit par : Vincent | 23/07/2007
Je n'ai pas lu la BD mais après avoir vu la Bande-Annonce, je ne voulais pas voir le film et puis j'y suis allée et j'ai été éblouie. C'est une vraie réussite dans le dessin, les voix, la musique. Le prix du jury à Cannes est amplement mérité. Mais je lirai certainement un jour la BD.
Écrit par : dasola | 26/07/2007
Moi, j'ai trouvé le film moins bon que la bande dessinée. A vrai dire je l'ai trouvé médiocre au possible, bête dans sa plastique et sans mise en scène.
La plastique de la bande dessinée était parfaitement cohérente, réfléchie. Satrapi agrégeait des références picturales iraniennes à d’autres plus occidentales. Elle travaillait sur la dualité, la mixité. Ce qui, évidemment, était l’illustration de sa construction identitaire, un pied dans le moyen orient et un pied dans l’occident. Elle s’insérait sa plastique à la perfection dans cette dialectique scripturaire des écrivains francophones en exil.
En terme de mise en scène, les bas reliefs iraniens permettaient un travail sur les masses humaines, dont elle se détachait peu à peu. Elle se construisait par rapport au monde, dans un combat d’esthétique et de symbole. Elle en jouait, intégrant dans sa représentation les symboles avant de les rejeter comme un rejette un costume. C’était simple, fin, efficace, brillant.
Or, la dimension autobiographique a totalement disparu de l'esthétique du dessin animé. Il ne cherche à produire que du beau. C'est beau, certes, mais très vain. On flirte avec la référence vide, l'esthétique expressionniste sans rapport (et mal exploité d'ailleurs)... Le montage est hiératique. C’est simple, pas un plan ne se donne à voir simplement. Il y a constamment de la mise en scène grossière et de l’emphase dramatique. C’est de l’esbroufe visuelle et narrative à tout berzingue, mais c’est vide, une belle coquille pour une histoire qui elle, reste intéressante. Mais le cinéma, si c’est le fond et la forme, là, ce n’en est pas.
Écrit par : S. du aaablog | 28/07/2007
Stephane, très heureux de votre passage et de l'éclairage plus bande dessinée que cinéma. Vous avez très joliment exprimé l'essence du style des livres et leur réussite. Au niveau des références, on a beaucoup parlé de Spiegelman et de son "Maus" mais j'y trouve aussi du Will Eisner, notament dans l'utilisation du noir et blanc et les découpages. Sur le film, j'ai exprimé mes réserves, je ne serais aussi dur que vous. Je constate aussi à lire les commentaires que ceux qui n'ont pas lu les livres ont été sensibles au film (Dasola, El Pibe), ce qui semble aller dans le sens de l'élargissement du public. dans un entretien au "Monde", Satrapi se refuse à donner ses raisons profondes pour être passée au dessin animé. Les interprêtations restent ouvertes.
Écrit par : Vincent | 29/07/2007
J'ai un tout petit peu préféré le film au livre, eh oui! et je ne suis pas toute seule. Je lu le livre après avoir vu le film qui m'a énormément plu. J'ai été "bluffée" par l'animation. C'est très drôle. Et j'ai apprécié que le personnage de la grand-mère soit plus étoffé que dans le livre. Mais il faut lire le livre et voir le film dans l'ordre que l'on veut.
Écrit par : dasola | 21/12/2007