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01/03/2015

Clermont 2015 - Partie 4

Pour revenir à ce que j’écrivais sur l’influence que les événements de ce début d’année ont eu sur ma façon de voir certains films, les courts métrages français abordant des thèmes autour des banlieues et de la religion (pour faire large) ont eu une résonance particulière. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais je ne peux faire abstraction de ce contexte.

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Terremere d’Aliou Sow confronte deux mondes dont les liens se sont distendus. Un jeune homme, banlieusard d’origine mauritanienne, musulman, veut faire enterrer son frère mort d’un accident de voiture sous l’emprise de l’alcool sur la terre natale. Pour l’accompagner dans un pays instable ou rôde la guerre, Abdoulaye embarque trois amis pour convoyer le cercueil. Ils vont vite se rendre compte que le pays qu’ils traversent n’a plus que des rapports lointains avec l’image qu’ils en avaient et, s’ils y sont nés, si leur famille y réside encore, ils y sont aussi décalés que s’ils étaient de parfaits étrangers, entre les bandes armées, l'extrême pauvreté, la réalité d’une violence qui n’a rien à voir avec celle qu’ils connaissent. Les quatre compères ne sont pas des enfants de chœur, sans doute petits truands en France, ils ont des armes et savent s’en servir. Pourtant rien ne pouvait les préparer à cette expérience qui prend un tour initiatique « Marcher dans le désert, c’est comme marcher sur un miroir ». Les quatre personnages ont un côté schématique (le « grand frère » plus réfléchi, la tête brûlée, le taiseux…) qui est dépassé par le jeu des quatre acteurs, excellents, Oumar Diaw, Sofiane Zerman, l'excellent Hichem Yacoubi vu dans Timbuktu (2014) d'Abderrahmane Sissako, et Mahamadou Coulibaly, Et si le scénario de Sow part sur des situations attendues, sa mise en scène sait les enrichir par le soin des descriptions (les détail des rituels de la mise en bière, le village d’arrivée), l’utilisation du son pour générer une atmosphère anxiogène (les coups de feu dans la nuit, les ambiances nocturnes), la fascination pour les grands espaces africains. Il sait alterner moments posés et accélérations, temps de respiration et coups de nerfs. Il amène au final une réflexion intéressante sur la violence, la relativité des conditions, et la perception de la religion, intégrée dans la trame du récit.

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Journée d’appel de Basile Doganis suit un groupe de jeunes d’une cité de banlieue lors de cette initiation citoyenne qui remplace ce que j’ai connu sous le nom de « trois jours ». L’un d’eux, en retard, oblige Momo, un camarade en retrait du groupe car il suit des études, à l’accompagner jusqu’à Versailles pour y assister. Peine perdue, il est refoulé à l’entrée. Il se laisse persuader par Momo d’aller visiter le château. L’idée est intéressante, mais mal exploitée sauf quand les deux garçons tombent en arrêt devant la monumentale toile La Bataille d'Aboukir d'Antoine-Jean Gros me semble-t-il, où les tensions entre leurs origines arabes et leur nationalité française percute l’Histoire à travers l’œuvre d’art. Pour le reste la visite alterne avec le groupe qui suit la fameuse journée. Le réalisateur et scénariste passe en revue divers cas de figure, comme le militaire revenu du Mali et sauvé par son collègue noir, l’inévitable confrontation avec la police, une dialectique un peu appuyée qui est sauvée par le rythme et l’humour.

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Plus intéressant est le film de Pierre-Emmanuel Urcun, Le dernier des céfran, qui partage certains des éléments de Journée d’appel pour raconter la démarche de Rémi qui décide de s’en sortir en s’engageant dans l’armée. Poussé par sa petite amie, il se présente à un entretien avec deux militaires qui vont se révéler complètement givrés. La scène prend vite un tour burlesque presque inquiétant tout en exprimant les préjugés des uns et des autres qui prennent le ton de la paranoïa ordinaire. Pierre-Emmanuel Urcun joue de l’espace de la salle vaste et froide, des différences de plans qui oppressent Rémi et des variations de lumière qui créent l’étrangeté. Peut-être plus que les figures imposées par le sujet, le réalisateur s’attache aux questions de regards des uns sur les autres et sur celui que Rémi porte sur lui-même. Image de la fonction émancipatrice de l’armée, image de la banlieue ici filmée dans un calme paisible et ensoleillé, image que Rémi craint de donner à ses amis, sa bande. Son aveu constitue la seconde partie du film mais plus que contre ses amis, c’est contre ses propres blocages qu’il va devoir lutter.

Dans le registre décalé, plusieurs films arrivaient rendre vivant des univers originaux où se débattent des personnages en quête d’ailleurs, un des grands sujets du court métrage. Dans Think big (tous les chemins mènent ailleurs) de Mathieu Z’Graggen, un jeune homme qui travaille dans un club de vacances pour chats tente de prendre le bus à un arrêt qui n’est pus en fonction. Il est embarqué par un type illustrant la maxime d’Audiard « Quand les hommes de 120 kilos parlent, ceux de 60 les écoutent ». Dans un café où l’on joue au bowling, il va rencontrer un couple étrange et le réalisateur enchaîne des scènes curieuse où l’on ne sait pas si l’on va finir en éclat de rire ou en glauquerie. Pas sûr que le héros finisse par partir.

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Dispositif classique pour Mon héros de Sylvain Desclous avec deux frères que tout oppose. Le premier est resté en province, dans l’est de la France, il bricole, faisant de la publicité pour une rôtisserie déguisé en poussin. Il semble heureux. Le second est « monté à Paris » et pilote de riches investisseurs étrangers, japonais en l’occurrence. Il est en crise existentielle. Le hasard les réunit pour une confrontation en forme de bilan, la routine. Mais Mon héros fonctionne bien, sur une mise en scène assurée qui s’attache aux relations entre les personnages et les fait exister au milieu d’une fantaisie qui puise dans le quotidien : Un camion qui surgit d’un chemin paumé, une piscine illuminée dans la nuit, des êtres aimables dont l’ami incarné par Esteban, nature vue chez Petertjatko, où ces deux japonais qui apprécient comme tout le monde un moment de simple bonheur. Sylvain Desclous sait rendre une atmosphère de camaraderie, de fraternité, faire ressortir sans grandes orgues une humanité simple.

People are strange prend le titre d’une chanson des Doors pour le portrait de Julien, autoproclamé sosie de Jim Morrison qui gagne sa vie en faisant visiter la tombe de son idole. Le film signé Julien Hallard est un modeste récit initiatique qui vaut par la performance de l’acteur Franc Bruneau, halluciné, et la présence de Esteban, hilarant dans le rôle de l’ami qui apprend à Julien que le corps du fameux chanteur va être rapatrié aux Etats-Unis. Les deux hommes vont dérober le corps, croiser la route d’une fille ravissante, puis tenter d’organiser l’inhumation des restes morrisoniens. Encore une histoire d’enterrement compliqué pour un film aimable.

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Plus étrange, Philippe Prouff adapte une nouvelle de Julio Cortázar pour L’île à midi. L’aventure d’un steward fasciné par une île qu’il survole régulièrement. Notre homme est entre deux continents (Paris et Beyrouth), entre deux amours, entre deux eaux. Détaché du monde, il fait de ce morceau de terre aperçu le rêve d’un lieu où il pourrait être lui-même. Il va faire des recherches et préparer son départ. Ambitieux, le scénario de Philippe Prouff a eu les moyens de matérialiser ses visions qui rendent, me semble-t-il, bien l’atmosphère de l’écrivain argentin, entre fantaisie, fantastique et onirisme. La photographie sophistiquée de Thomas Robin et le montage de Penda Houzangbe qui jongle avec les nombreux lieux et les différents niveaux de réalité, parachèvent un travail maîtrisé à la lisière du rêve. L’acteur David Kammenos donne au steward sa haute silhouette élégante et ce regard déjà ailleurs qui conviennent à un personnage en partance pour l’étrange.

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De plus en plus étrange comme dirait Alice, Notre dame des hormones de Bertrand Mandico va aussi loin que possible dans le bizarre. Deux actrices, les très belles Elina Löwensson et Nathalie Richard, répètent une pièce dans une étrange demeure au fond des bois tout aussi étranges. Incidemment, elles découvrent un truc étrange, genre machin, sorte de ballon de rugby organique et couinant muni d’un appendice qui évoque ce à quoi vous pensez. La chose affectueuse déclenche chez nos deux dames des pulsions qui n’ont rien d’étrange et tout de sexuel. Difficile d’en dire plus. C’est divisé en chapitres introduits par la voix de Michel Piccoli. C’est du studio sophistiqué qui recrée un univers à la Jacques Demy période Peau d’âne (1970), mais en version trash, et donc par transitivité à la Jean Cocteau, avec les statues vivantes, les miroirs, les végétaux dans la demeure, les bois… étranges. C’est donc un conte de fées, des fées désirantes jusqu’au meurtre, un conte sur la convoitise, le théâtre et les actrices. Que demander de plus ?

Deux films très curieux provenaient du programme Hors les murs de l’Institut français, deux films proches par leurs ambitions formelles mais avec des résultats fort différents. Black Diamond, tourné par Samir Ramdani à Los Angeles est composé de longs plans séquence et d’expérimentations en intérieur autour d’un jeune homme d’un quartier populaire qui se passionne pour l’art et prend en chasse un autre jeune venu photographier le dit quartier. La chasse en question est à la fois virtuose et interminable. Le rapport entre art et condition sociale est intéressant mais le problème du film est de mettre quarante minutes à nous l’exprimer. A l’issue de la course poursuite, le spectateur épuise se demande « Et alors ? ».

Tourné à Johannesburg, Hillbrown du nom d’un quartier populaire de la citée sud-africaine, est l’œuvre de Nicolas Boone. Le film est également composé de plans séquences virtuoses (une dizaine), mais qui chaque fois renouvellent leur dispositif. Nous suivons successivement des personnages, seuls ou en groupe, qui font l’expérience de la violence. Mais nous ne savons jamais au départ quelle forme cela va prendre. Il y a les victime, les gangs, et un homme à qui il n’arrive finalement rien. Le film établi une tension très forte avec laquelle il joue sur nos nerfs. Nous avons véritablement l’impression d’être immergés dans les rues de la ville, ses centre commerciaux, ses immeubles insalubres, ce cinéma où se situe une impressionnante descente de truands armés de mitraillettes. En arrière-plan, sans insister, se révèle toute une violence sociale, la pauvreté, le sort des femmes, la drogue et le reste. Le travail complexe de la caméra portée rend plus impressionnant encore le travail de jeu avec des comédiens recrutés sur place.

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En animation, Sébastien Laudenbach à l’œuvre riche, et Sylvain Derosne proposaient Daphné ou la belle plante, une animation image par image de la transformation d’un arbre en statue sur le récit d’une jeune femme travaillant dans une boite à strip-tease. La beauté des images renvoyait à la sensibilité de la jeune femme et son récit faisait penser au portrait des deux filles de Orléans (2012) de Virgil Vernier. 8 balles de Franck Terrier est le récit de la traque d’un paisible père de famille qui recherche l’homme qui les a attaqué, n’ayant comme seul indice une odeur de friture. L'animation est originale, mêlant dans le même plan les décors de la ville de Taipei où se déroule l’action, aux visions traumatiques qui hantent le personnage, et aux matérialisations des odeurs qui le guident. Carapace de Florent Molinié utilise une technique de peinture sur des images tournées avec des acteurs réels, Juliette Lamboley et Laurent Debecque, qui donne une esthétique intéressante à un récit autour des blocages physiques d’une jeune femme amoureuse mais incapable de passer à l’acte.

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Rattrapé sur le site de Télérama, Territoire permet de découvrir les bergers siffleurs d’Aas, vallée d’Ossau dans les Pyrénées. Il permet aussi de vérifier la possibilité d’un cinéma fantastique excitant qui joue le jeu sans second degré facile. Signé Vincent Paronnaud, complice de Marjane Satrapi sur Poulet aux prunes (2011), Territoire se situe en 1957 et le berger siffleur, un taiseux comme on en fait plus, pense que ses brebis sont victimes d’un loup. Mais il observe aussi des militaires en manœuvres auxquels on distribue d’étranges pilules. Le loup n’y est pour rien, comme vont en faire la douloureuse expérience deux jeunes touristes allemands. Le berger siffleur va devoir faire appel à toutes ses ressources d’homme des montagnes pour combattre la menace. Vincent Parronaud brasse quelques grands thèmes du genre, mutations, expériences militaires mal maîtrisées, lycanthropie, et fait culminer son film par le siège d’une bergerie façon George Romero. Plans majestueux des montagnes, beauté des scènes nocturnes éclairées par Alfredo Altamirano, crescendo maîtrisé dans la tension, vivacité des scènes d’action, retournement de situation finale attendu mais espéré, présence physique de Jean-Marc Desmond dans le rôle principal, le film est un pur plaisir des sens autant qu’un pur plaisir de cinéma.

Ici s’achève cette évocation de la sélection 2015. Je n’ai pas abordé tous les films vu mais je dois dire que je n’en ai vu que très peu qui m’aient déplu. Ce n’est pas toujours le cas, c’est donc bien le signe d’une belle année.

Photographies Unifrance, Télérama et DR

Un entretien avec Basile Dogani sur le site de Télérama

Un entretien avec Sylvain Desclous, sur Télérama, pareil.

Le site du film Le dernier des céfran

28/02/2015

Clermont 2015 - Des cinéastes

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Au centre Jérôme Vlément-Wilz, son acteur, et Antonin Peretjatko.

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Ursula Meier

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Léa Mysius, Flora Molinié et Philippe Prouff

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Xaver Xylophon

 

27/02/2015

Clermont 2015 - Partie 3

Programmes spéciaux

Difficile, en ce me concerne, de ne pas voir les films de la sélection 2015 sans penser à la violence de ce début d'année. Sans tenter de les lire pour y chercher une compréhension, peut être une consolation. Oui, quelque chose qui me rassure, une voix, un regard, différents même si c'est dans l'illusion confortable de la salle. En ouverture, Jean-Farès (1999) de Lyes Salem donnait le ton. Le réalisateur faisait partie du jury, mais le film faisait une ouverture idéale. Driss, joué par Salem lui-même, est le personnage principal et unique de cette fiction aussi courte que percutante. Il sort de la clinique où vient de naître son enfant et décide de faire partager sa joie à sa famille et à sa belle-famille. La première est algérienne et musulmane, la seconde vieille France. En dix minutes, lui qui se définit comme athée va éprouver tout le poids des préjugés culturels et confessionnels autour du choix du prénom de l'enfant. Son euphorie sera mise à rude épreuve. Le dispositif est simple, le discours clair. Le film fonctionne sur la performance de l'acteur, la qualité du texte, et leur mise en valeur dans l'espace confiné de la cabine téléphonique. La caméra traque les changements d'humeur du malheureux héros qui finit par envoyer tout le monde au diable.

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Le réalisateur René Vautier (source Africultures)

Le festival rendait hommage au cinéaste René Vautier récemment disparu avec Afrique 50, un documentaire tourné en 1949 pour la Ligue française de l'enseignement. Au vu du résultat final, le film sera interdit, ses négatifs saisis et Vautier condamné à de la prison. Résistant à 16 ans, diplômé de l'IDHEC, militant communiste, le réalisateur a 21 ans quand il rentre dans le tas et fait de son film un brûlot anticolonialiste, une première. Afrique 50 est un portrait virulent de la colonisation ordinaire sur un texte en colère. Exploitation, répression, spoliation, massacres, Vautier démonte le système avec lucidité et des images directes. Seul le final qui propose un espoir du côté du communisme peut apparaître avec le recul, naïf. Mais pas plus que celui de Jean Renoir dans La vie est à nous (1936). Cela n'ôte rien à la force du film qui met en lumière la face obscure du « temps béni des colonies ». Comme plus tard Alain Resnais et Chris Marker dans Les statues meurent aussi (1953, interdit lui aussi), Vautier rappelle quelques vérités salutaires sur une période pas si lointaine qui devrait éclaircir les rapports toujours complexes entre l'Afrique et la France. Je vois aussi quelque chose de moral dans le fait qu'Afrique 50, après toutes ses vicissitudes, dont le sauvetage in-extremis d'une partie des négatif par l'auteur, soit montré en 2015 à un large public et que ses images comme sa parole puissent toujours porter alors que les faux-culs sont réduits au silence.

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Dans un tout autre registre, histoire de se détendre, Subconscious password (Jeu de l’inconscient – 2013) est un film d’animation très inventif de Chris Landreth. Je connaissais ce cinéaste canadien pour Ryan (2004), un remarquable documentaire sur le travail de Ryan Larkin, autre animateur canadien, mais de la génération précédente, auteur du magique Syrinx (1965) en sables animés sur une musique de Claude Debussy. Subconscious password repose sur une situation bien connue des festivaliers : se faire aborder par une personne qui vous connaît et dont on est incapable de se rappeler le prénom. « Mais qui est ce type ? »  se demande Landreth. Le temps que le type en question aille chercher deux verres au bar, nous plongeons dans l’esprit du réalisateur qui va aller chercher dans les tréfonds de son inconscient une piste, une trace, ce fichu prénom. Cette recherche va prendre la forme d’un jeu télévisé où le candidat, Landreth donc, va se faire aider par les personnes qui hantent son esprit. Et il y a foule, de John Wayne à Yoko Ono, de H.P.Lovecraft à Bernadette Soubirous, et puis bien sûr Maman. L’animation est extraordinaire avec des images numériques qui retravaillent des images réelles dans un mouvement hystérique. Il y a une idée à la seconde, c’est brillant et hilarant, avec ce qu’il faut d’auto-cruauté.

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L’Agence du Court Métrage proposait avec Cavalier express un programme de huit films courts d’Alain Cavalier. Filmeur comme il aime à se définir, Cavalier a un parcours atypique, depuis les années soixante où l’on peut le situer en marge de la Nouvelle Vague avec des films comme Le combat dans l’île (1962) ou La chamade (1968), productions classiques avec grosses vedettes, puis un changement de direction où des projets ambitieux artistiquement se doublent de la recherche d’une large autonomie. Cavalier travaille sur un système de tournage qui tend à toujours plus de simplification pour plus de liberté et la mise en avant du plaisir pur de filmer. Il y aura ainsi les longs métrages Le plein de super (1976), Thérèse (1986), Le Paradis (2014)… Qui vont alterner avec des formes courtes où Cavalier est seul avec sa caméra face à son sujet, se rapprochant du travail d’un écrivain. Cavalier express donne un bel aperçu de ce type de films. Lettre filmée : Lettre d’Alain Cavalier (1982) sur l’écriture du scénario de Thérèse, J’attends Noël (2007) petit récit plein d’humour un soir de finale de coupe du monde de football. Portrait : La matelassière (1987) tourné dans l’atelier de l’ouvrière, La rémouleuse (1987) tourné sur le plateau d’une grosse production, et L’illusionniste (1992) plein d’espoir, trois portraits de femmes dont Cavalier fait ressortir les qualités de courage et de ténacité, un rapport au travail fait d’endurance et d’exigence. Expérimentations enfin avec le (forcément) très beau Elle seule (1982) qui compile dans La chamade les plans où règne Catherine Deneuve, une œuvre de pure fascination, Faire la mort (2011) est une méditation sur son travail de cinéaste autour de la mise en scène de la mort et de la violence, Agonie d’un melon (2007) contemple le pourrissement accéléré du fruit oublié sur une table de jardin agrémenté de quelques réflexions sur les cerveaux de grands malades de l’histoire. L’ensemble trouve sa cohérence dans le regard que porte Cavalier, qui intervient souvent en voix off, soit en narrateur, soit en commentateur, revenant par exemple sur les conséquences physiques de travail, « Ça fait mal» demande-t-il à la rémouleuse et à la matelassière en parlant de, et filmant, leurs mains. Il se dégage de l’ensemble une réflexion sur son propre travail de cinéaste, sur l’aspect artisanal, sur les questions morales qui l’agitent, sur ce qui le pousse à tourner encore et encore.

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Le vélo était à l’honneur cette année avec une rétrospective en trois programmes. L’occasion de voir et revoir des classiques sublimes comme Father and daughter (2000) de Michael Dudok de Wit (comment ça, vous ne l’avez pas vu ?!) ou L’école des facteurs (1947) de Jacques Tati qui s’entraînait pour Jour de fête (1949). Plusieurs films documentaires exaltaient le vélo comme instrument de liberté comme Two wheels good (2012) de l’irlandais Barry Gene Murphy qui donnait envie de se mettre en selle illico et de faire défiler sous ses roues les routes sinuantes dans des paysages infinis. Jitensha (Le vélo) du japonais Dean Yamada proposait une variante originale. Un jeune homme solitaire et coincé comme seuls peuvent l’être les japonais voit son vélo volé pièce par pièce sur plusieurs jours. Un mystérieux correspondant lui propose une partie de chasse au trésor dans la ville pour retrouver et remonter la bécane. Au gré des situations, il va se reconstruire lui-même. C’est un joli conte.

De ceux que j’ai vu , le plus original est Le quepa sur la vilni ! que signait Yann Le Quellec en 2013. Tourné dans les beaux paysages du massif des Corbières, le film bénéficie du concours de deux grands cyclistes, Bernard Menez en postier retraité qui reprend du service pour mener une caravane publicitaire à bicyclette, et Bernard Hinault dans le rôle de lui-même un peu comme Cantona chez Ken Loach, sorte de dieu-coach spirituel et physique à la sentence immortelle : « Réveille le blaireau qui est en toi ». Bien sûr, il faut savoir que Hinault, quintuple vainqueur du tour de France était surnommé « Le blaireau » pour sa ténacité, sinon c’est moins drôle. Outre les deux Bernard, il y a Christophe, le chanteur aux mots bleus dans le rôle d’un maire qui commandite la caravane publicitaire pour le lancement d’une salle de cinéma municipale et la suit à dos d’âne, et toute une troupe de jeune comédiens dont deux jeunes et jolies jeunes femme (Alix Bénézech et Pauline Bayle). Comme Peretjatko, Guillaume Brac (dans un registre plus sombre quand même), Benoît Forgeard ou Gérald Eustache Mathieu, Le Quellec pratique un cinéma ludique, coloré, sensuel, où la province peut redevenir le terrain de jeu de toutes les folies, où les corps peuvent se révéler de différentes façons, dans le dépassement physique comme dans l’érotisme de la jolie scène de la baignade, le burlesque où la bacchanale organisée par le village voisin. À vélo, dans la troupe de Le Quellec, on respire le grand air, j’oserais même dire qu’il y a quelque chose de westernien dans l’odyssée loufoque de cette caravane. La photographie de Nicolas Guicheteau participe de ce goût pour le paysage changeant sous la pluie, le soleil éclatant ou la brume, comme les plans larges qui privilégient les portraits de groupe.

A suivre…

Photographies DR

22/02/2015

Clermont 2015 - quelques images

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L'affiche

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La salle Jean Cocteau, le cœur du festival

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Juste avant la projection

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Jean-Claude Saurel, le président de Sauve qui peut le court métrage, ouvre le festival à vélo.

Photographies Vincent Jourdan

20/02/2015

Clermont 2015 - Partie 2

A chaque pays ses problèmes et ses angoisses. Dans Moul Lkelb (L'homme au chien), que j'avais vu à Nice où il avait reçu le grand prix, un jeune homme solitaire a reporté toute son affection sur son chien. Lors d'une baignade à la plage, l'animal disparaît. Sur la foi de gamins du quartier, il le croit enlevé pour des combats clandestins où des expériences médicales. Fragile et naïf, voici notre héros qui descend avec le courage de l'inconscience et de l'amour dans les bas-fonds de Casablanca. Le voyage est rude au cœur d'un monde pauvre et violent. La mise en scène de Kamal Lazraq qui a tourné avec de nombreux non-professionnels, crée une tension tangible tout en travaillant une atmosphère entre film noir et quasi-fantastique. Un voyage au bout de la nuit pour cet Orphée en quête de son Eurydice canine, où le dérisoire devient essentiel. Paradoxe de cet homme qui n'éprouve plus de sentiments que pour un animal et s'est coupé du monde en quasi autiste. Ce sont pourtant ces sentiments pour le chien qui vont réveiller en lui d'authentiques qualités humaines.

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Hédi, le Père de Lotfi Achour est lui aussi bousculé dans sa vie tranquille quand il prend en charge une jeune femme sur le point d'accoucher dans son taxi tunisien. A la maternité, elle déclare qu'il est le père de l’enfant. Passé le bouleversement que la nouvelle provoque dans la vie familiale et dans le voisinage de l'homme, le film propose une réflexion habile sur la place de la femme et le regard de la société sur la vie privée, affective, des gens. Lotfi Achour est attentif à ses personnages et arrive à leur donner assez de profondeur en quelques plans (la femme du taxi, le policier) et quelques détails qui sonnent juste, en les inscrivant avec naturel dans leur environnement. Le réalisateur ne manque pas non plus d'humour. Il pose aussi délicatement la question de savoir ce qu'est un père avec une jolie réponse où Hédi nettoie les pieds de sa fillette après une promenade au bord de mer. Un geste simple qui prend toute sa valeur après les épreuves traversées. Joli travail photographique de Frédéric de Pontcharra sur une lumière douce en accord avec la simplicité des caractères.

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Chaque pays ses problèmes donc. L'américaine de The bravest, the boldest (Le plus courageux, le plus audacieux) réalisé par Moon Moison, cherche à échapper à deux militaires (un prêtre et un officier), venus lui apporter une nouvelle que l'on imagine mauvaise. Jeu de cache cache dans un ensemble style HLM joué tout en retenue. L’étudiante chinoise de Guilty de King Fai Wan est condamnée un an après une manifestation pour la démocratie à Hong Kong. Le film s'attache au désarroi de sa jeune héroïne et aux regards que lui portent les autres, sa mère, ses camarades étudiants et une jeune policière qui pourrait être sa sœur. Adrienne, la suissesse de Jour J de Julia Bünter désespère d'avoir enfin un orgasme avant ses trente ans. Avatar de Bridget Jones, elle multiplie fiévreusement les expériences. C'est souvent drôle, comme avec son amie chauffeur de camion, pas toujours léger, léger... Maryam du film homonyme de Sidi Saleh est indonésienne et musulmane. Elle travaille dans une riche famille catholique. Le jour de Noël, elle se retrouve à garder le frère autiste et à l'emmener à la messe de minuit. Choc des cultures, des classes et des religions ! Mais la mise en scène fait le choix d'avant plans aussi flous qu'envahissants qui agacent sur la durée. Dommage car le sujet est intéressant et Meyke Vierna en Maryam a un jeu séduisant sous son voile.

Très réussi dans sa redoutable efficacité, Ja vi elsker (Oui, nous aimons) du norvégien Hallvar Witzo est une comédie satirique en quatre tableaux autour de la fête nationale. Norvégienne, comme l'omelette. Le titre est le début des paroles de l'hymne national. Quatre groupes de personnages de différentes générations, de différentes conditions, dans différents lieux du pays nordique, la vivent de façon différente mais toujours apocalyptique. Chaque tableau est un plan-séquence réglé au millimètre qui évoque les mises en scène de Roy Andersson ou Aki Kaurismaki. L'humour mordant de Hallvar Witzo s'exprime dans les déplacements des personnages dans l'espace du plan, le travail sur le son en décalage parfois avec l'action, et le jeu avec le cadre, culminant avec l'homme qui s'enferme dehors, nu, dans un paysage recouvert de neige. Ludique, hilarant, féroce.

Jolie réussite aussi pour le film d'animation allemand Road trip signé Xaver Xylophon. La technique et l'ambiance urbaine, précise, anxiogène et pourtant séduisante, m'ont fait penser au travail de Ralph Bakshi. Julius est un jeune berlinois qui rêve d'ailleurs. Il passe son temps à réparer une moto et à projeter un voyage. Mais le véhicule récalcitrant accumule les pannes et Julius trouve refuge dans un bar où il se lie avec la serveuse, ou bien sur les toits en compagnie d'un vieil homme philosophe dont le plaisir est d'agacer les pigeons. C'est un film plein d'humour un peu mélancolique qui joue sur la durée, sur des gestes suspendus, des fragments de rencontres, des morceaux de mouvements, orchestrés par un montage inventif qui fait progresser le récit par à-coups, élans et coups de mou. Un état de spleen contemplatif rendu par l'animation simple et la ligne claire des dessins, soutenu par une partition jazzy écrite par le réalisateur.

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Quelques films encore au sein d'une sélection très riche, des film que vous pourrez peut être attraper au gré des diffusions, trop rares mais bon, télévisées, ou bien en festival. Crocodile de l'anglaise Gaëlle Denis, étrange histoire où un homme affronte le crocodile d'un zoo parce que sa fill ea été tuée en vacances par un saurien. Le vaurien. Une idée de grandeur du québécois Vincent Biron montre la soudaine solitude d'un maire battu aux élections, fasciné par ses voisins qui organisent des parties fines. Vicenta est un documentaire équatorien en animation, croisement original réalisé par Carla Valencia qui offre un portrait de sa grand-mère venue de Bolivie au Chili et dont le destin est rattrapé par le coup d'état de Pinochet en 1973. Couleurs sépia et trait noir. Makkhi de Umesh Kulkarni est une amusante satire de l'entreprise moderne et indienne autour de deux chasseurs de mouches professionnels employés dans un restaurant de luxe. No free lunch (On a rien sans rien), film israélien de Leeron Revah parle aussi de l’esprit d'entreprise autour d'une rencontre professionnelle sous le signe du mensonge. Jolie composition de l'actrice Nelly Tagar.

A suivre...

Photographies DR

13/02/2015

Clermont 2015 - Partie 1

D’abord l'affiche, invitation au voyage dans un grand avion rouge entre Hergé et Franquin. Voyages... Jean-Claude Saurel, le président de Sauve qui peut le court métrage, a ouvert l'édition 2015 par un hommage à Michel Renaud, président du Rendez-vous du carnet de voyage, assassiné à la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier avec l'équipe du journal. Il était venu remercier Cabu, lui rapporter des dessins et lui offrir un jambon d'Auvergne. Sur le grand écran de la salle Cocteau, Michel Renaud parle encore des voyages qui forment la jeunesse et bien d'autres choses. Plus tard, dans un charmant court métrage où de très jolies femmes remettent leurs culottes et leurs collants, Antonin Peretjatko propose : « Vous voulez une histoire ? Partez en voyage ! ». Le court métrage à Clermont-Ferrand ce sont des voyages immobiles aux quatre coins du monde, aux quatre coins de notre pays, là où l'on ne va pas, là où l'on ne va plus. De beaux voyages, cette année.

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Autant dégager de suite deux remarques désagréables. Il y a quelques années (1999 quand même) un texte savoureux, Le puy de dogme, listait ce que l'on ne voulait plus voir dans les courts métrages : vomissements, clowns, nez qui saignent, trois notes de piano... des figures, des effets de style trop employés et devenus des clichés pénibles. J'aimerais en rajouter un : celui qui consiste à filmer trop longtemps et à la main un personnage qui avance dos à la caméra. C'est peut être le syndrome Wrestler mais si j'aime bien les nuques, je préfère les visages et surtout cela fini par relever d'un manque flagrant d'imagination.

Le court métrage est un champ formidable d'expérimentation. C'est sa grandeur. Il y a pourtant une forme qui me pose problème. Celle de films assez courts, à cheval souvent entre fiction et documentaire, avec un fort effet de réel qui me dérange mais c'est sans doute le but. Ce n'est pas tant ce qui est montré, les intentions sont assez évidentes, mais la façon dont c'est montré, comme si le film était le fragment d'une œuvre plus conséquente. Il me manque des éléments, quelque chose au niveau des personnages ou du développement de l'idée, qui accroche, qui violente un peu mais pas dans le bon sens. Question de distance, de pudeur aussi. Par exemple Aïssa de Clément-Tréhin-Lalanne nous montre une jeune femme congolaise qui passe une visite médicale pour déterminer son âge réel. Mineure ou majeure, on voit bien que cela va conditionner sont statut de réfugiée potentielle. Clinique, le film enchaîne les gros plans de l'actrice Manda Touré examinée sous toutes les coutures, mais le personnage, mutique, n'existe pas pour moi, pas plus que le médecin auquel Bernard Campan prête sa voix. Je perçois l'intention, mais il y a une ligne trouble entre le symbole que veut véhiculer le personnage et la réalité de la façon dont est filmé l'actrice. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais cette ligne trouble me trouble. Pareil pour Samanta du chilien Francisco Rodriguez, trop de zones obscures dans cette histoire de gamine des rues vivant avec un immigré péruvien et virée de manière expéditive quand débarque la famille du second. Quelle était la nature profonde des relations entre les deux ? Mystère... Return du néo-zélandais Ryan Heron a le même problème, mais le film est en partie sauvé par l'humour des situations. Hole de Martin Edralin, canadien, s'attaque au sujet casse gueule de la sexualité des handicapés. Le trou en question est situé entre deux cabines d'un peep-show par où l'on peut passer son pénis à destination de son voisin. Je ne vous fait pas un dessin. Martin Edralin fait un film où son héros, handicapé sévère, doit solliciter l'aide à son aide-soignant. Comme nous ne sommes pas chez Lee Chang-dong, la question du jeu de l'acteur est délicate. Et d'apprendre que Ken Harrower a eu une vie terrible qu'il surmonte par le jeu (lire ici), ne m'aide en rien. Ce film, comme Aïssa, ayant été primé à Clermont-Ferrand et ailleurs, je dois avoir sensibilité un peu différente de celle de mes contemporains.

Ceci posé, il y a eu plein de films qui m'ont ravi dans la sélection internationale. That day of the month (Ce jour du mois) de Jirassaya Wongsutin, jeune réalisatrice thaïlandaise est en quelque sorte l'anti-Kechiche (pas pu résister). En trente minutes, elle explore la relation entre deux jeunes filles, Goy et Lee, dont la complexité et la nature profonde sont révélées par petites touches et les rebondissement d'un scénario qui joue sur la concentration de temps et de lieu. Il y a du trivial puisque tout part d'une histoire de règles tardives et une certaine crudité dans les dialogues. Mais c'est traité avec beaucoup de délicatesse, passant par une façon de filmer les visages de Arachaporn Pokinpakorn et Jiraporn Saelee. De la salle de classe à la piscine, le cadre isole les deux jeunes filles dans une lumière vive mais délicate signée Mattanee Uajarernsup, traquant dans les variations d'expression le jeu entre manipulation et sincérité. Un jeu auquel la jeunesse conserve une part d'innocence et qui va basculer quand l'amitié se révèle une véritable passion. That day of the month est le portrait de deux adolescentes au moment d'un basculement quand se découvrent l'amour et la sexualité. Il y a plus de sensualité dans le plan des deux pieds qui se frôlent dans la piscine que dans dix minutes de galipettes. La réalisatrice ne néglige pas d'évoquer un arrière-plan social. Les différences entre les deux adolescentes sont physiques de façon évidente, et révèlent aussi deux éducations, deux approches de la vie et des aspirations divergentes, qu'elles tentent de surmonter par leur amour. Ce n'en est que plus beau.

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Dans les grands espaces du Kirghizstan, Peregon (En menant le bétail) de Ruslan Akun m'a touché d'abord par la justesse d'écriture et de jeu des deux enfants Aidana et Tynai qui mènent un troupeau de moutons avec leur père. Frère et sœur se comportent sur leur cheval comme les miens (d'enfants) sur le siège arrière de la voiture, jeux et disputes, c'est pas moi c'est lui, punition. Cela crée un effet familier dans le contexte on ne peut plus dépaysant des vastes paysages sauvages filmés avec souffle. Le père se laissant embarquer par un politicien en tournée électorale sorti d'un film de Kusturica, voilà les deux enfants laissés au milieu de la steppe Kirghize. «Attendez moi » qu'il dit le paternel. Après un orage et une nuit, les deux enfants sans se démonter entreprennent de terminer le boulot et mènent le troupeau jusqu'à la yourte familiale et leur mère. Akun filme une épopée tranquille entre Howard Hawks du côté de la Red River et William Friedkin quand il s'agit de franchir un pont sur lequel, je ne mettrais pas un pied. Le réalisateur garde la bonne distance vis à vis de ses petits héros, entre récit initiatique et sens inné du jeu de l'enfance. Il laisse une part d'irrésolu dans la jolie scène finale où l'absence du père (inconséquent ou victime?) s'oppose à la stabilité rassurante incarnée par la mère.

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Ce sont aussi les qualités de direction de la fillette qui font le prix d'Inspection de Gala Sukhanova, russe. L'inspection en question est menée par deux assistantes sociales flanquées d'un reporter venu évaluer les progrès de la mère, entre alcoolisme et pauvreté criante. C'est la fillette qui les reçoit et donne le change en l'absence de maman. La garde de l'enfant est en jeu. La fillette affronte les adultes, leurs questions et leurs regards entre compassion, suspicion et fatalisme (russe !) avec vaillance, sur une fine ligne entre fragilité et assurance. Surtout elle reste une enfant authentique qu'elle montre un pot de confiture ou chante une chanson. Elle est un soupçon d'espoir dans un univers désespérant. Un portrait de la Russie contemporaine terrible que l'on retrouve dans l'Ukraine de Lystopad de Masha Kondakova avec son héroïne qui rêve de voyage, dans la Roumanie des jeunes adolescents trafiquants de Sthozina de Dan Radu Mihai, et dans la Georgie de The fish that drowned de George Sikharulidze, particulièrement sombre, où le délabrement des maisons vaut pour celui d'un pays où il faut batailler pour enterrer la jeunesse tuée dans les manifestations. No futur.

A suivre...

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