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13/02/2015

Clermont 2015 - Partie 1

D’abord l'affiche, invitation au voyage dans un grand avion rouge entre Hergé et Franquin. Voyages... Jean-Claude Saurel, le président de Sauve qui peut le court métrage, a ouvert l'édition 2015 par un hommage à Michel Renaud, président du Rendez-vous du carnet de voyage, assassiné à la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier avec l'équipe du journal. Il était venu remercier Cabu, lui rapporter des dessins et lui offrir un jambon d'Auvergne. Sur le grand écran de la salle Cocteau, Michel Renaud parle encore des voyages qui forment la jeunesse et bien d'autres choses. Plus tard, dans un charmant court métrage où de très jolies femmes remettent leurs culottes et leurs collants, Antonin Peretjatko propose : « Vous voulez une histoire ? Partez en voyage ! ». Le court métrage à Clermont-Ferrand ce sont des voyages immobiles aux quatre coins du monde, aux quatre coins de notre pays, là où l'on ne va pas, là où l'on ne va plus. De beaux voyages, cette année.

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Autant dégager de suite deux remarques désagréables. Il y a quelques années (1999 quand même) un texte savoureux, Le puy de dogme, listait ce que l'on ne voulait plus voir dans les courts métrages : vomissements, clowns, nez qui saignent, trois notes de piano... des figures, des effets de style trop employés et devenus des clichés pénibles. J'aimerais en rajouter un : celui qui consiste à filmer trop longtemps et à la main un personnage qui avance dos à la caméra. C'est peut être le syndrome Wrestler mais si j'aime bien les nuques, je préfère les visages et surtout cela fini par relever d'un manque flagrant d'imagination.

Le court métrage est un champ formidable d'expérimentation. C'est sa grandeur. Il y a pourtant une forme qui me pose problème. Celle de films assez courts, à cheval souvent entre fiction et documentaire, avec un fort effet de réel qui me dérange mais c'est sans doute le but. Ce n'est pas tant ce qui est montré, les intentions sont assez évidentes, mais la façon dont c'est montré, comme si le film était le fragment d'une œuvre plus conséquente. Il me manque des éléments, quelque chose au niveau des personnages ou du développement de l'idée, qui accroche, qui violente un peu mais pas dans le bon sens. Question de distance, de pudeur aussi. Par exemple Aïssa de Clément-Tréhin-Lalanne nous montre une jeune femme congolaise qui passe une visite médicale pour déterminer son âge réel. Mineure ou majeure, on voit bien que cela va conditionner sont statut de réfugiée potentielle. Clinique, le film enchaîne les gros plans de l'actrice Manda Touré examinée sous toutes les coutures, mais le personnage, mutique, n'existe pas pour moi, pas plus que le médecin auquel Bernard Campan prête sa voix. Je perçois l'intention, mais il y a une ligne trouble entre le symbole que veut véhiculer le personnage et la réalité de la façon dont est filmé l'actrice. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais cette ligne trouble me trouble. Pareil pour Samanta du chilien Francisco Rodriguez, trop de zones obscures dans cette histoire de gamine des rues vivant avec un immigré péruvien et virée de manière expéditive quand débarque la famille du second. Quelle était la nature profonde des relations entre les deux ? Mystère... Return du néo-zélandais Ryan Heron a le même problème, mais le film est en partie sauvé par l'humour des situations. Hole de Martin Edralin, canadien, s'attaque au sujet casse gueule de la sexualité des handicapés. Le trou en question est situé entre deux cabines d'un peep-show par où l'on peut passer son pénis à destination de son voisin. Je ne vous fait pas un dessin. Martin Edralin fait un film où son héros, handicapé sévère, doit solliciter l'aide à son aide-soignant. Comme nous ne sommes pas chez Lee Chang-dong, la question du jeu de l'acteur est délicate. Et d'apprendre que Ken Harrower a eu une vie terrible qu'il surmonte par le jeu (lire ici), ne m'aide en rien. Ce film, comme Aïssa, ayant été primé à Clermont-Ferrand et ailleurs, je dois avoir sensibilité un peu différente de celle de mes contemporains.

Ceci posé, il y a eu plein de films qui m'ont ravi dans la sélection internationale. That day of the month (Ce jour du mois) de Jirassaya Wongsutin, jeune réalisatrice thaïlandaise est en quelque sorte l'anti-Kechiche (pas pu résister). En trente minutes, elle explore la relation entre deux jeunes filles, Goy et Lee, dont la complexité et la nature profonde sont révélées par petites touches et les rebondissement d'un scénario qui joue sur la concentration de temps et de lieu. Il y a du trivial puisque tout part d'une histoire de règles tardives et une certaine crudité dans les dialogues. Mais c'est traité avec beaucoup de délicatesse, passant par une façon de filmer les visages de Arachaporn Pokinpakorn et Jiraporn Saelee. De la salle de classe à la piscine, le cadre isole les deux jeunes filles dans une lumière vive mais délicate signée Mattanee Uajarernsup, traquant dans les variations d'expression le jeu entre manipulation et sincérité. Un jeu auquel la jeunesse conserve une part d'innocence et qui va basculer quand l'amitié se révèle une véritable passion. That day of the month est le portrait de deux adolescentes au moment d'un basculement quand se découvrent l'amour et la sexualité. Il y a plus de sensualité dans le plan des deux pieds qui se frôlent dans la piscine que dans dix minutes de galipettes. La réalisatrice ne néglige pas d'évoquer un arrière-plan social. Les différences entre les deux adolescentes sont physiques de façon évidente, et révèlent aussi deux éducations, deux approches de la vie et des aspirations divergentes, qu'elles tentent de surmonter par leur amour. Ce n'en est que plus beau.

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Dans les grands espaces du Kirghizstan, Peregon (En menant le bétail) de Ruslan Akun m'a touché d'abord par la justesse d'écriture et de jeu des deux enfants Aidana et Tynai qui mènent un troupeau de moutons avec leur père. Frère et sœur se comportent sur leur cheval comme les miens (d'enfants) sur le siège arrière de la voiture, jeux et disputes, c'est pas moi c'est lui, punition. Cela crée un effet familier dans le contexte on ne peut plus dépaysant des vastes paysages sauvages filmés avec souffle. Le père se laissant embarquer par un politicien en tournée électorale sorti d'un film de Kusturica, voilà les deux enfants laissés au milieu de la steppe Kirghize. «Attendez moi » qu'il dit le paternel. Après un orage et une nuit, les deux enfants sans se démonter entreprennent de terminer le boulot et mènent le troupeau jusqu'à la yourte familiale et leur mère. Akun filme une épopée tranquille entre Howard Hawks du côté de la Red River et William Friedkin quand il s'agit de franchir un pont sur lequel, je ne mettrais pas un pied. Le réalisateur garde la bonne distance vis à vis de ses petits héros, entre récit initiatique et sens inné du jeu de l'enfance. Il laisse une part d'irrésolu dans la jolie scène finale où l'absence du père (inconséquent ou victime?) s'oppose à la stabilité rassurante incarnée par la mère.

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Ce sont aussi les qualités de direction de la fillette qui font le prix d'Inspection de Gala Sukhanova, russe. L'inspection en question est menée par deux assistantes sociales flanquées d'un reporter venu évaluer les progrès de la mère, entre alcoolisme et pauvreté criante. C'est la fillette qui les reçoit et donne le change en l'absence de maman. La garde de l'enfant est en jeu. La fillette affronte les adultes, leurs questions et leurs regards entre compassion, suspicion et fatalisme (russe !) avec vaillance, sur une fine ligne entre fragilité et assurance. Surtout elle reste une enfant authentique qu'elle montre un pot de confiture ou chante une chanson. Elle est un soupçon d'espoir dans un univers désespérant. Un portrait de la Russie contemporaine terrible que l'on retrouve dans l'Ukraine de Lystopad de Masha Kondakova avec son héroïne qui rêve de voyage, dans la Roumanie des jeunes adolescents trafiquants de Sthozina de Dan Radu Mihai, et dans la Georgie de The fish that drowned de George Sikharulidze, particulièrement sombre, où le délabrement des maisons vaut pour celui d'un pays où il faut batailler pour enterrer la jeunesse tuée dans les manifestations. No futur.

A suivre...

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