04/03/2015
La nonne et les affreux
La settima donna (La dernière maison sur la plage - 1978), un film de Francesco "Franco" Prosperi
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Parmi les actrices que je qualifierais de félines, Florinda Bolkan se taille la part de la lionne. Grands yeux sombres au regard intense soulignés par la ligne effilée des cils, bouche pleine soufflant le chaud et le froid, longues mains aux doigts fins et longs pour la griffe comme pour la caresse, cheveux très bruns en masse de longues mèches de méduse, Florinda Bolkan a le geste souple et puissant de la danseuse, le corps irradiant de sensualité volontaire, une force où affleure comme une faille, un grain de folie. Elle donne à ses personnages une présence rare à l’écran, enfin plus unique que rare, laissant deviner leur bouillonnement intérieur. Florinda Bolkan dégage une vitalité qui explose les cadres balisés d’un cinéma de genre qu’elle a beaucoup fréquenté. Aux réalisateurs qui cherchent à aller vers des terres moins connues, elle donne corps sans retenue aux visions les plus audacieuses, prête à s’abandonner aux univers fantasmatiques les plus tordus. Elle aura ainsi été pour Lucio Fulci la sorcière martyrisée de Non si sevizia un paperino (La longue nuit de l’exorcisme – 1972) et Una lucertola con il pelle di donna (Le venin de la peur – 1971) en proie aux délirants cauchemars de Carol. Elle aura été la maîtresse du flic joué par Gian Maria Volonté, victime de ses fantasmes politico-sexuels, dans Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon – 1970) d’Elio Petri. Aura porté l’incroyable robe de Nina dans Metti, una sera a cena (Disons, un soir à dîner - 1969) de Giuseppe Patroni Griffi. Elle est la meilleure (la seule ?) raison de découvrir La settima donna (Terreur ou La dernière maison sur la plage – 1978).
Dans ce film signé Francesco Prosperi, Florinda Bolkan est une nonne qui a réuni cinq jeunes filles de ses élèves pour la répétition du Songe d’une nuit d’été du grand Will. Elles sont installées dans une grande et belle villa au bord de la mer. Un cadre idyllique qui est investi par trois jeunes truands en cavale après une attaque de banque sanglante. Traqués par la police, ils doivent se faire oublier. A vrai dire, Prosperi et ses scénaristes racontent ça dans l’autre sens, le hold-up d’abord, la villa ensuite. Puis ils jouent sur cette situation anxiogène au possible d’autant que nos jeunes voyous, très peu professionnels, laissent parler leurs hormones et initient un jeu pervers avec les jeunes donzelles à base d’intimidation, humiliation et provocations à caractère sexuel, violence, viol et meurtre.
Le film suit les grands lignes du succès de Wes Craven The last house on the left (La derrière maison sur la gauche – 1972) avec le retournement final qui voit les victimes rependre la main et exercer sur leurs bourreaux une violence équivalente, sauvage. Craven s’était inspiré du film d'Ingmar Bergman Jungfrukällan (La Source - 1960) et de l’épisode de l’écrivain dans A clockwork orange (Orange mécanique – 1971) de Stanley Kubrick. Mais il n’en avait conservé que le côté spectaculaire de la violence et au recul moral de Kubrick substituait un jeu ambigu avec le spectateur. L’identification sans nuance avec les victimes, obtenue par la violence des images, amenait de façon de façon un peu sournoise à accepter le côté « œil pour œil » de la vengeance finale. Le film de Wes Craven a donné des idées à nombre d’imitateurs, les italiens n’étant pas les derniers. Francesco Prosperi s’engouffre à fond dans cette voie, greffant un rien de polar pour la première scène, quelque effets venus du giallo et la mode des films de couvent ou « nunsploitation », peut être la dimension la plus intéressante de son film.
Mais globalement, je peux écrire que La settima donna est un film assez ignoble dans ce qu’il flatte les instincts les plus bas de son spectateur via une mise en scène outrancière qui ne vise qu’à l’effet. Il y a une complaisance dans la description des différentes brutalités qui passe par l‘emploi du ralentit, de gros plans hideux au grand angle sur les visages, suants, ricanant, hallucinés, maquillés comme au carnaval, caméra portée et vues subjectives. « Vous en voulez ? En voilà ! » semble nous dire Prosperi, mais sans que cela débouche sur une critique où même une réflexion sur le voyeurisme et la violence. Au contraire, il semble complice, satisfait, ce qui se traduit par un film qui accumule des situations sur le fil du ridicule. Outrances et incohérences règnent, à commencer par les actes d'Aldo lors du hold-up, ses meurtres gratuits qui renvoient à certaines scènes de polars signés Umberto Lenzi ou Ruggero Deodato, des experts, où la gratuité de la violence est si énorme qu’elle en devient risible. Le meurtre de la femme de chambre au fer à repasser entre aussi dans cette catégorie.
Le jeu frénétique de Flavio Andreini et Stefano Cedrati ôte à leurs personnages toute nuance, donc toute possibilité de suspense, sans même leur donner une véritable folie. Ray Lovelock, joli blondinet plus intéressant qu’on ne le dit, campe un Aldo plus trouble, mais nous voyons son côté manipulateur venir à vingt kilomètres. Face à ce trio, les jeunes femmes ne sont pas plus gâtées, quintette de poules au bord d’une route. La scène la plus parlante, est celle de la fuite de Lucia, interminable course à pieds dans les sentiers du bord de mer, où la demoiselle s’arrête plusieurs fois et semble se retourner pour donner le temps à son poursuivant de la rattraper. Ce n’est certes pas Marilyn Burns coursée par Leatherface !
Film ignoble, donc, et d’autant que par certains aspects, la mise en scène est intéressante, de la photographie de Cristiano Pogany à la musique de Roberto Pregadio quand il ne fait pas du synthé-pop-disco, et dans l’inventivité de certaines scènes exploitant le vaste espace de la villa. Quelques idées aussi comme les masques que portent les jeunes filles jouant Shakespeare, élément qui ne sera hélas plus utilisé par la suite. Et puis il y a Florinda Bolkan. Elle donne à son personnage, le plus intéressant du lot, une véritable épaisseur, une ambiguïté, une autorité qui vient de sa prestance et de ce passé que l’on devine par touches, chose refusée à tous les autres. Du coup, ses déchirements à ne pouvoir protéger ses élèves est crédible, tout comme sa fragilité quand sont révélés ses secrets et ses doutes sur son engagement religieux. Cela donne quelques-unes des meilleures scènes du film : son embarras lors du repas, sa tristesse infinie quand elle recouvre le corps de Lucia assassinée, ses regards quand elle est amenée à soigner Nino exprimant son conflit intérieur. Lors de la scène finale, quasi grotesque, elle tente par quelques gestes, une tentative de détourner le regard, d’occuper une position morale dans tout ce fatras, mais Prosperi s’en désintéresse. Dommage.
A lire sur Abordages sous la plume de Manchec
12:09 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : francesco prosperi | Facebook | Imprimer | |