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14/06/2022

Paul Vecchiali à l'honneur de Zoom Arrière numéro 6

La sixième livraison de la revue cinéphile Zoom Arrière est sur le point de sortir ! Notre équipe de fines plumes l'a consacrée au cinéaste Paul Vecchiali, plus de 200 pages de textes critiques avec un long entretien (une première pour nous !) qu'il a bien voulu nous accorder.

Cette fois, nous lançons une campagne de pré-commandes sur le site Ulule : Cliquez ICI

Faites l’acquisition de ce super numéro et complétez votre collection.A vot'bon cœur pour reprendre le titre de l'un de ses films.

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De son premier film perdu, Les petits drames en 1961, à son tout nouveau Pas... de Quartier en attente de sortie, le cinéma de Paul Vecchiali se décline sur tout les tons et tous les formats, du court au long, pour le grand écran et pour la télévision, ne reculant devant aucun défi, aucun chemin de traverse, tant qu'il peut préserver son indispensable indépendance. Il aura fait tourner les plus grands, de son idole Danièle Darrieux à Jacques Perrin, de Nicole Courcel à Catherine Deneuve, de Michel Piccoli à Marianne Basler, de Madeleine Robinson à Édith Scob, sans oublier ses fidèles entre les fidèles, Hélène Surgère, Sonia Saviange, Nicolas Silberg et toute une galerie de visages familiers et de corps émouvants qui habitent son univers. Le cinéma est pour Paul Vecchiali une affaire d'admirations, de rencontres et d'amitiés, une exploration de l'intime, lui qui a souvent filmé dans son appartement du Kremlin-Bicêtre à Paris puis dans sa propre maison du Var, la « Villa Mayerling ». C'est aussi une affaire de fidélité et d'exigence à travers ses collaborations avec Noël Simsolo pour l'écriture ou Roland Vincent pour la musique. Ce sont aussi ses aventures de production, indépendante toujours, avec Les films de Gion et Unité 3 pour les premiers films de Jean Eustache ou Chantal Akerman, puis avec Diagonale, créée en 1976, qui produisit Gérard Frot-Coutaz , Marie-Claude Threillou, Jean-Claude Biette ou Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, enfin avec Dialectik qui lui aura permis de monter, en marge du système, ses films récents. Au moment où Paul Vecchiali s'apprête à faire paraître ses mémoires (2 tomes chez Libre et Solidaire), l'équipe de Zoom Arrière vous invite à revisiter son œuvre foisonnante.

21/02/2022

Que ça claque !

La frusta e il corpo (Le Corps et le fouet, 1963) un film de Mario Bava

Un cavalier chevauche au bord de la mer vers un château perché sur une falaise battue par le vent. L'image, superbe, évoque celles des ouvertures de The Pit and the Pendulum (La Chambre des tortures, 1961) ou de The Terror (L'Halluciné, 1963), deux des films fantastiques inspirés des œuvres d'Allan Edgar Poe qui firent le succès de l'américain Roger Corman. Rien d'étonnant quand le scénariste Ernesto Gastaldi explique que les producteurs Luciano Martino et Elio Scardamaglia lui firent voir La Chambre des tortures en lui demandant d'écrire quelque chose dans le même genre. Le fameux scénariste s'exécuta avec l'aide de Ugo Guerra pour remettre un récit qui allie la tradition gothique dans l’esprit de Poe et ces audace qui font tout le sel des productions transalpines du genre. Ce cavalier sombre, c'est Kurt Menliff, de retour dans la demeure familiale pour la mariage de son jeune frère. Mais Kurt n'a rien d'un fils prodigue. Il a été chassé par son père pour avoir séduite et causé la mort de Tania, la fille de la servante Giorgia, qui lui voue depuis une haine tenace, et entretenu une relation sadomasochiste avec Nevenka, sa future belle-sœur et ex-fiancée. Plein de morgue, Kurt revient pour réclamer son héritage, Nevenka incluse. Dans un climat de lourde hostilité, Kurt fini avec le poignard, utilisé par Tania pour se suicider, entre les omoplates. Mais Nevenka, qui a succombé au magnétisme de Kurt et à une séance de flagellation sur la plage, voit désormais apparaître son spectre. Il y a quelque chose de pourri au château des Menliff...

mario bava

Mario Bava est engagé pour mettre en scène cette histoire bien tordue et il va y faire preuve de son talent, faisant de Le Corps et le fouet un sommet de son œuvre fantastique, proche par son atmosphère et ses expérimentations de Opération peur deux ans plus tard. Comme souvent il assure la photographie avec son chef opérateur Ubaldo Terzano et les effets spéciaux, souvent optiques (transparences, jeu sur les perspectives). On retrouve son goût pour les cadrages à travers la végétation, sa manière de dilater le temps, ses brusques embardées de violence, son utilisation du zoom avant très efficace et sa manière de créer une atmosphère de peur en brouillant les repères du temps et de l'espace. Contrairement à Roger Corman dans ses films, Bava évite ici de situer l'action dans un contexte historique précis. Nous sommes quelque part en Europe au XIXeme siècle et cela suffit. Le château des Menliff est une abstraction, une construction mentale comme le village de Opération peur. Il est le château gothique par excellence, avec ses couloirs interminables et sombres, son mobilier pesant, ses cryptes, ses grandes cheminées, ses passages secrets qui lui donnent comme une vie propre, et ce double escalier que l'on a vu et que l'on reverra dans d'autres œuvres du genre. Bava et Terzano, malgré les conditions toujours tendues de tournage (six semaines de tournage et un budget modeste), soignent leurs lumières, travaillant par grandes zones très sombres et taches de lumières marquées, rouges, bleues et vertes qui accentuent l'impression d'irréalité et donnent corps à une ambiance de cauchemar. L'apparition de Kurt après son meurtre est exemplaire. Le bleu incarne la clarté lunaire et dessine un instant comme un masque sur le visage de Nevenka, un éclair rouge sur son visage marque le mélange trouble de la peur et du désir, puis la main de Kurt qui avance vers elle en gros plan est baignée d'une lumière verte d'outre-tombe. Le son est particulièrement travaillé sur cet opus, lui aussi de manière onirique, décalée, avec ce vent qui souffle sur le rivage comme dans toutes les pièces du château, rappelant l'atmosphère de La Chute de la maison Usher (1926) de Jean Epstein, les bruits de pas qui résonnent sur les dalles, où ces grincements de pierre contre pierre, quasi insoutenables, quand le père voit s'ouvrir le passage dissimulé, comme dans Le Masque du démon, dans la cheminée. La partition de Carlo Rustichelli, avec la mélodie obsessionnelle au piano, parachève l’atmosphère fantastique et morbide, si réussie, du film.

mario bava

L'autre réussite du film, habileté du scénario et précision de la mise en scène, c'est d'entretenir le flou sur la dimension purement fantastique du récit. Le film maintient un entre-deux entre des figures classiques du fantastique et la possibilité d'un « vraisemblable » qui ne leur doit rien. D'un côté, il y a le fantôme, la possession et l'ombre du vampirisme entretenu par la présence intense de Christopher Lee dans le rôle de Kurt. De l'autre, il y a les principes de machination, comme dans les Hichcock de Riccardo Freda, et, encore plus fascinant, la matérialisation d'un dérèglement mental. Bava fait frémir le rideau des choses réelles cher à Abraham Merritt en jouant sur un trouble proprement cinématographique. Quand le visage de Kurt apparaît derrière la fenêtre de Nevenka, nous le voyons bel et bien. Mais n'est-il pas qu'une simple image mentale de la jeune femme ? Cette atmosphère corrompue et maladive, la haine obsessionnelle de Giorgia, la maladie de Menliff père, la sexualité déviante de Nevenka qui jouit sous la morsure du fouet, tout n'est-il pas lié aux délires d'un cerveau malade ? Bava se garde bien de trancher trop nettement. Son cauchemar emprunte les voies du surréalisme défiant la logique comme il défie les bonnes mœurs. De fait, le film fera frémir les censeurs. En Italie, ils vont demander des coupes et brandir l'interdiction aux mineurs. Le film sera taxé d'obscénité et mis sous séquestre tandis que son affiche sera interdite. Aux États-Unis, tout aussi effarouchés, le film sera distribué dans une version expurgée et réduite d'un quart d'heure. Bagatelles que tout ceci. Le charme vénéneux du château Menliff n'a rien perdu de son éclat. Aux côtés de Lee, celle qui domine le film, c'est la comédienne israélienne Dahlia Lavi dans l'un de ses premiers grands rôles après Il demonio (1963) de Brunello Rondi. Son visage à la beauté mate et l'intensité physique de son jeu la rapprochent de Barbara Steele. Comme la comédienne britannique, elle sait donner des zones d'ombres à son personnage et jouer sur plusieurs registres pour en faire ressortir les fêlures. La crédibilité de l'ensemble repose sur celle du personnage de Nevenka et Lavi donne ici l'une de ses plus belles performances. Christopher Lee est sollicité une nouvelle fois par les italiens pour son potentiel financier, mais Bava sait mettre en valeur sa stature imposante et son charisme diabolique. L'image du vampire séducteur qu'il a créé dans les films de Terence Fisher flotte sur le personnage de Kurt dont la magnétisme sexuel est ici explicite. Aux côtés de ce duo de haute volée, on retrouve la belle Ida Galli, qui possède une belle carrière dans le cinéma de genre sous le pseudonyme d'Evelyn Stewart, Lucinao Pigozzi, autre visage familier à la ressemblance étonnante avec Peter Lorre, en valet boiteux, et Gustavo De Nardo, un fidèle de Bava, dans le rôle de Menliff père. Tony Kendall alias Luciano Stella joue le plus fade frère de Kurt.

mario bava

Les démêlés du film avec la censure ne vont pas faciliter sa carrière. Le Corps et le fouet est un échec public lors de sa sortie en Italie. Les pays anglo-saxons éliminent les scènes de flagellation dans la version tronquée, ce qui le rend incompréhensible. Mais il a acquit avec le temps une réputation qui en font l'un des sommets du gothique à l'italienne comme de l’œuvre de Mario Bava. 

Photographies DR

16:39 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : mario bava |  Facebook |  Imprimer | |

10/01/2022

Hommage à Sidney Poitier

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Le comédien Sidney Poitier en compagnie de John Wayne, sans son toupet, sur cette photographie de plateau de The Gretatest Stroy Ever Told (La Plus grande histoire jamais contée, 1965) de George Stevens. DR.

02/08/2021

Cannes 2021, partie 2

Il y avait pas mal de motos dans les films de Cannes cette année. La scène qui ouvre Ha'berech (Le Genou d'Ahed) de l’israélien Nadav Lapid est très impressionnante. Une grosse cylindrée fonce sur la route sous une pluie battante. Son énorme, gros plans quasi abstraits, puissance de l'engin, vertige de la vitesse. Cette entrée en matière happe dans l'univers de Y., un réalisateur de cinéma qui prépare un film sur la militante palestinienne Ahed Tamimi qui, ayant giflé un policier lors d'une manifestation, en 2017, était devenu un symbole à la suite d'un retentissant procès. Elle s'était attiré une réflexion assez abjecte d'un député de la Knesset : « [il] aurait fallu lui tirer dessus, ne fut-ce que dans le genou. Au moins, elle aurait été assignée à résidence pour le reste de sa vie ». Cette histoire de genou donne son titre au film, mais ne constitue que l'introduction du film, Y. faisant un casting que Lapid filme en très gros plans étouffants, comme ceux de la moto sous la pluie. 

teodora mihai

Mais très vite, le film part dans une autre direction et Y., ailleurs. Le réalisateur est invité dans une petite colonie dans le désert, la vallée de l'Arava. il doit y présenter l'un de ses films dans un centre culturel à l'invitation de Yahalom, déléguée du ministre de la culture, qui admire son travail. Si Yahalom est sous le charme, elle doit néanmoins faire signer à Y. un document qui l'engage sur ses propos tout en les limitant, une sorte de censure à peine déguisée qui ne fait qu'aiguiser la colère du réalisateur. Lapid procède par longs monologues de son alter-ego (joué par le chorégraphe Avshalom Pollak), seul, face à Yahalom (jouée par la sensible Nur Fibak qui débute à l'écran), et au téléphone avec sa mère (ha ! La mère juive !), qui est atteinte d'un cancer mais est aussi sa proche collaboratrice. Il raconte enfin, en une succession de flash-backs, son expérience limite lors de son service militaire, démonstration par l'absurde de la situation. Ces passages nous font toucher du doigt, parfois jusqu'au vertige, la colère qui le ronge, qui bouillonne et déborde pour livrer un discours très politique et très virulent sur Israël et sa politique et ses valeurs. Virulent et désespéré, ce fond trouve sa forme dans un montage qui fait alterner de longs plans d'ensemble où le vide et la désolation des paysages vaut pour le pays tout entier, et des gros plans sur les visages des deux principaux protagonistes où l'on traque l'évolution de leurs émotions, sans savoir comment les confrontations vont se résoudre. Car ce qui me reste avec le recul, c'est cette tension sensuelle entre Y. et Yahalom, ces visages à quelques centimètres où l'on sent les souffles si proches, et le malaise pourtant, si prenant. Même si Ha'berech n'est pas un film aimable, car c'est un film de souffrance, c'est un film prenant que l'on a envie de consoler.

teodora mihai

Le journal Libération ne recule jamais devant un bon mot. Pour BAC Nord de Cédric Jimenez, ils ont donné comme titre à leur article : « Police partout, cinéma nulle part ». Je n'ai pas vu le film mais ça m'a fait rire. Je suis bon public. C'est aussi un peu ce que j'ai ressenti devant Bonne mère de Hafsia Herzi. La jeune actrice révélée chez Abdellatif Kechiche, passée à la réalisation avec Tu mérites un amour (2019), fait ici le portrait de Nora, une mère-courage qui, dans un quartier nord de Marseille, représente le point d'ancrage d'une famille nombreuse et qui accumule bine des soucis. La faute aux hommes bien sûr, morts, absents, en prison, feignants, au choix. Il n'y a que le plus jeune qui porte encore un peu d'espoir. Loin de moi l'idée de réfuter cette situation, mais l'effet d'accumulation manque un rien de nuance. Le projet de faire, à travers Nora, le portrait de sa propre mère en vaut bien un autre mais le film en reste à cette idée de portrait. Bonne mère ne possède aucune ligne dramatique, aucune tension réelle, rien de ce qui fait le prix du cinéma, pour donner un repère, de Robert Guédiguian. Et je ne parle pas d'une dimension politique ou d'une réflexion sociale qui pourraient être intéressantes. Quand au cinéma, Herzi filme caméra au poing, dans des lieux authentiques mais neutres, sans véritable effort de mise en scène. Elle alterne gros plans, émouvants parfois, de son héroïne, et scènes de groupe dans lesquelles on sent trop l'improvisation. L'abattage des comédiens, surtout des comédiennes, toutes débutantes, insuffle un peu de vie aux micro-situations (un repas, un passage assez drôle où deux des filles tentent une expérience de prestation sadomasochiste). Un film désarmant par sa candeur comme par sa légèreté. 

teodora mihai

Passons au Mexique pour une autre mère-courage, mais d'un tout autre calibre avec le film de Teodora Mihai, La Civil. Cielo, jouée par la vétérante Arcelia Ramirez, voit sa fille adolescente enlevée par un gang. Elle bascule ainsi dans cette violence glaçante qui ensanglante le Mexique depuis des années. Séparée, elle obtient l'aide de son ex-mari, mais ni le paiement de la rançon, ni les demandes d'aides à la police ne vont l'aider à retrouver sa fille. Contactée par un groupe de militaires, elle accepte de les aider et traverse la frontière d'un univers de cruauté sans nom. Teodora Mihai décrit une lente descente aux enfers menée avec obstination par cette femme ordinaire qui découvre la complexité de la situation, les ramifications d'une société minée par le crime et la corruption. Cynisme des jeunes truands, apathie de la police, violence des militaires qui agissent hors du cadre légal, peur de la population terrorisée par les méthodes des trafiquants, le récit de Mihai donne corps avec rigueur au travail d'enquête de son scénariste, le mexicain Habacuc Antonio De Rosario. Le film, surtout, modifie sans cesse la perspective de la situation au fil des découvertes de Cielo. Elle est ainsi amenée par exemple à assister à l'interrogatoire de deux jeunes femmes, membres d'un gang, questionnées à grand coups de matraques dans le visage. La scène suivante nous fait comprendre qu'elles ont été exécutées sans autre firme de procès. De même, si l'ami de la famille se révèle être lui aussi de mèche avec les kidnappeurs de la jeune fille, la façon dont il est enlevé et torturé nous écœure. Un peu comme dans le fameux final de Ladri di biciclette (Le Voleur de bicyclette, 1948) de Vittorio De Sica, Cielo découvre que le jeune truand qu'elle poursuit, prête à le tuer, a aussi une mère tout aussi attachée à son enfant qu'elle, et une famille. Il est lui aussi pris dans une situation qui ne semble pas avoir d'issue. De la même façon, si le père est absent, partit avec une femme plus jeune et guère vaillant, il va tenter de renouer avec Cielo et ses tentatives, un peu trop timides, en font un passionnant personnage pathétique, mais plus profond que prévu. Et son allure de vieux cow-boy fatigué vaut le coup d’œil.

Par dessus ces éléments, domine l'amour de la mère pour sa fille, campée une une jolie scène d'ouverture. Cet amour donne à Cielo une énergie, une volonté rageuse qui emporte le film en un tourbillon digne d'une tragédie antique et font de La Civil un des plus beaux, des plus puissants films que j'ai pu voir cette année à Cannes.

(à suivre...)

Photographies  Pyramide Films, © SBS Distribution et © Menuetto - Agustin Paredes

24/07/2021

Cannes 2021, interlude

"Vieillir d’un coup. Ça arrive. Surtout quand ton film participe à un festival. Et qu’il ne gagne pas. Alors que gagne un autre film, dans lequel l’héroïne tombe enceinte d’une Cadillac. Tu vieillis d’un coup. Pour sûr"

Nanni Moretti sur les réseaux sociaux (je ne savais pas qu'il y était)

23/07/2021

Cannes 2021, partie 1

Bon, allez, un effort, colle-toi devant ton clavier et essaye de revenir sur ces journées du 74eme Festival de Cannes. Oublie le stress du passe sanitaire, des tests, des impression de tests, des lecteur de codes de test qui n'aiment pas le soleil, des aménagements obscurs avec l’obligation de tests, des réservations toutes en ligne et de cette fracture créée et entretenue entre ceux qui ont un téléphone intelligent et les autres, tout ce fatras de restrictions, d'injonctions technologiques et d'interdictions qui vont à l'encontre d'un festival qui se veut ouvert, et dont la programmation chante la différence, la liberté, la rébellion et le grand air. Paradoxe cannois qui ne date pas d'hier et qui n'est pas près de se résoudre.

paul verhoeven,leos carax,constance meyer

So may we start ? Commençons donc par Annette nouvel opus de Leos Carax, comédie musicale qui démarre par une splendide scène, un plan séquence virtuose plein de souffle et de musique, rappelant l'interlude excitant de Holy Motors dans l'église. Cette énergie purement cinématographique, pourtant, Carax ne la tient pas sur la durée du film. Son récit, celui d'une histoire d'amour, belle, absolue, entre une cantatrice et un comédien de « stand-up », est ténue comme souvent chez le réalisateur et offre de très beaux moments, comme souvent chez le réalisateur, le passage en mer, la scène de sexe chanté, l'ultime rencontre entre père et fille, et d'autres plus longs, parfois un peu trop longs, comme souvent chez Carax qui semble chercher encore et toujours le bon rythme. Peut être que si mon film préféré dans son œuvre est Holy Motors, c'est peut être parce qu'il est composés de fragments, un dispositif qui lui avait permis d'éviter cet écueil. Dans Annette, il y a des moments qui tirent un peu à la ligne, où l'on se perd quelque peu. Il y a aussi certaines idées qui me laissent dubitatif, comme la façon de représenter la petite fille, malgré tout ce qui a été dit à ce sujet, ou les concerts comme en transe qui m'ont laissé de marbre. Reste cet amour fou du cinéma qui éclate dans chaque instant de la mise en scène et balaie les réticences.

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J'ai retrouvé cette foi, sans mauvais jeu de mots, dans le Benedetta de Paul Verhoeven. Avec une assurance et un réjouissant mauvais esprit, notre homme déploie sa fresque iconoclaste sans temps mort. Benedetta, c'est Showgirls dans un couvent toscan du XVIIeme, le prolongement de son excellent Flesh + Blood (La Chair et le sang, 1984), ma première rencontre avec le cinéaste, et la même impression que dans Starship Troopers (1995), d'une gigantesque farce utilisant les codes de ce qu'il entend démonter : les rapports mêlés du sexe, du pouvoir et de la foi (quoique l'on veuille mettre dans ce mot). Le beau travail de reconstitution, utilisant de superbes abbayes bien réelles, n'étouffe jamais, ni le récit ni le propos, et je m'élève avec vigueur contre les accusations d'académisme, argument souvent bien mal employé pour des cinéastes qui en sont si éloigné. Verhoeven utilise des dialogues qui, outre leur humour savoureux, sonnent tout à fait moderne, ce qui crée un décalage avec l'époque décrite et donne force aux nombreux échanges entre les personnages. Une méthode hardie utilisée en son temps par Gianfranco Mignozzi dans Flavia, la monaca musulmana (Flavia la défroquée, 1974), un film assez proche. 

Car, oui, Benedetta possède l'aspect des films de couvent ou « nonnesploitation », du meilleur de ces œuvres barrées signées Ken Russel, Jess Franco ou Norifumi Suzuki. Il y a aussi du peplum avec ces salles de tortures et globalement un parfum bien agréable de la grande époque du cinéma d'exploitation italien. Verhoeven va plus loin, comme il l'a fait pour le polar ou la science-fiction, en revenant une nouvelle fois à ces personnages de femmes qui se battent comme des diablesses dans des mondes très masculins, dissimulant leurs fêlures sous une volonté de fer. Somptueuse, drôle, inquiétante, hallucinée, sensuelle, effrayante, intelligente, Benedetta est jouée par Virginie Efira qui prend avec les honneurs la suite de Jennifer Jason Leigh, Sharon Stone, Elizabeth Berkley ou Carice van Houten. Verhoeven a l'habileté de laisser planer le doute sur la véritable nature de son héroïne, sainte, mystique, folle, manipulatrice, toujours au bord de la rupture quand elle se met à parler comme la petite fille de The Exorcist (L'Exorciste, 1973) de William Friedkin, autre réalisateur qui n'a pas l'habitude de mâcher ses images. Et puis pour l'athée que je suis, si triste de l'atmosphère de culs-bénis qui a repris le dessus ces dernières décennies, les visions du Christ tour à tour femme ou guerrier façon Game Of Thrones m'ont rempli d'une extase toute laïque. Pourtant, la charge la plus puissante, moins frontale donc plus efficcace, passe les deux personnages les plus lucides du film, le cynique nonce joué par un Lambert Wilson hilarant, et l’abbesse incarnée en majesté par Charlotte Rampling. Ils ne sont dupes de rien, savent qu'ils représentent un pouvoir bien politico-économique et finissent très mal. Comme quoi, même si ce n'est pas évident, le cinéma de Paul Verhoeven est un cinéma moral.

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Après ça, une œuvre comme Robuste de Constance Meyer apparaît bien sage. Le film a son charme, axé sur la rencontre d'une jeune femme assurant la sécurité d'un acteur d'un certain âge mais quelque peu fantasque. C'est filmé de manière classique mais sans chichi ce qui est parfois une qualité. Ce qui fonctionne, c'est la rencontre de deux corps, de deux générations, de deux manières de jouer aussi, celui de Déborah Lukumuena et celui de Gérard Depardieu. La première est une découverte, retenue, sensible, physique, elle évite, grâce au scenario intelligent de Meyer, la somme de clichés redoutés sur une jeune femme noire et, disons, enveloppée. Meyer la filme comme un personnage, pas comme un sujet d'étude. Et elle est confrontée à celui qui, mieux que tout autre, a fait du mépris des clichés une façon de vivre, une façon d'être. Depardieu est encore plus massif, il souffle, s'épuise, mange et boit en une composition en forme d'autoportrait, fascinant sa partenaire comme se réalisatrice. Il y trouve une forme d'équilibre et un rôle dans la lignée du superbe Bellamy joué pour Chabrol. Quelques belles scènes viennent bousculer la trop grande sagesse de Robuste, celle du restaurant en particulier.

(à suivre)

Deux avis opposés sur Benedetta ici et

Lire également chez Newstrum.

Photographies © UGC Distribution, Guy Ferrandis et Diaphana Distribution

27/04/2021

Dont give up

Emouvante réouverture du cinéma Nuovo Sacher à Rome, supervisée par Nanni Moretti en personne qui ouvre les grilles au public. Une image d'espoir pour toutes les salles.




21:34 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nanni moretti |  Facebook |  Imprimer | |

31/03/2021

Hôtel Mimosa

En juin dernier, j'ai été sollicité par Jérôme Momcilovic pour participer à un sujet autour de La Baie des anges (1962) de Jacques Demy. le résultat, Les Anges niçois de Jacques Demy, diffusé sur EARTE, est disponible jusqu'en février 2023. Intervient aussi le spécialiste du cinéma sur la Côte d'Azur, René Prédal. Lors du tournage, nous avons eu le coup de chance de tomber sur l'endroit qui a servi à créer l'hôtel Mimosa du film. Jusqu'ici, nous étions nombreux à penser qu'il s'agissait du palais Lascaris (où certaines scènes ont bien été tournées, en particulier celles de la chambre et du balcon).


11/02/2021

Hommage

Saluons Jean-Claude carrière, fameux scénariste mais aussi metteur en scène, ici d'un court métrage intitulé La Pince à ongles (1969) avec Michael Lonsdale. 


10/02/2021

Un homme d'action

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Sam Peckinpah sur le tournage de The Wild Bunch (La Horde sauvage, 1969), photographie Bernie Abramson (Source Variety)

03/02/2021

"L'expérience commune des arts"

Ce n'est pas que l'on désespère mais on commence à trouver le temps long loin des salles de cinéma. Chacun l'exprime à sa manière mais voici quelqu'un qui le fait de manière émouvante et forte, Steven Spielberg pour la revue Esquire. Texte en anglais avec ma traduction maison :

« In the current health crisis, where movie theatres are shuttered or attendance is drastically limited because of the global pandemic, I still have hope bordering on certainty that when it’s safe, audiences will go back to the movies. I’ve always devoted myself to our movie-going community — movie-going, as in leaving our homes to go to a theatre, and community, meaning a feeling of fellowship with others who have left their homes and are seated with us. In a movie theatre, you watch movies with the significant others in your life, but also in the company of strangers. That’s the magic we experience when we go out to see a movie or a play or a concert or a comedy act. We don’t know who all these people are sitting around us, but when the experience makes us laugh or cry or cheer or contemplate, and then when the lights come up and we leave our seats, the people with whom we head out into the real world don’t feel like complete strangers anymore. We’ve become a community, alike in heart and spirit, or at any rate alike in having shared for a couple of hours a powerful experience. That brief interval in a theatre doesn’t erase the many things that divide us: race or class or belief or gender or politics. But our country and our world feel less divided, less fractured, after a congregation of strangers have laughed, cried, jumped out their seats together, all at the same time. Art asks us to be aware of the particular and the universal, both at once. And that’s why, of all the things that have the potential to unite us, none is more powerful than the communal experience of the arts. »

« Dans la crise sanitaire actuelle, où les salles de cinéma sont fermées ou la fréquentation est considérablement limitée en raison de la pandémie mondiale, j’ai encore un espoir proche de la certitude que, lorsque ce sera sûr, le public reviendra au cinéma. Je me suis toujours consacré à notre communauté de gens qui vont au cinéma - aller au cinéma, dans le sens de quitter nos maisons pour aller en salle ; et communauté, dans le sens d'un sentiment de camaraderie avec d’autres qui ont quitté leurs maisons et sont assis avec nous. Dans une salle de cinéma, vous regardez des films avec les personnes importantes de votre vie, mais aussi en compagnie d'étrangers. C’est la magie que nous vivons lorsque nous sortons pour voir un film, une pièce de théâtre, un concert ou un spectacle. Nous ne savons pas qui sont tous ces gens assis autour de nous, mais lorsque l'expérience nous fait rire, pleurer, applaudir ou contempler, et puis quand les lumières s'allument et que nous quittons nos sièges, les personnes avec lesquelles nous nous dirigeons vers le le monde réel ne sont plus désormais de parfaits étrangers. Nous sommes devenus une communauté de cœur et d’esprit, ou du moins semblables d'avoir partagé pendant quelques heures une expérience puissante. Ce bref intervalle dans une salle n’efface pas les nombreuses choses qui nous divisent: la race ou la classe ou la croyance ou le sexe ou la politique. Mais notre pays et notre monde se sentent moins divisés, moins fracturés, après qu'une assemblée d'étrangers a ri, pleuré, sauté de leurs sièges ensemble, tous au même moment. L'art nous demande d'être conscients du particulier et de l'universel, à la fois. Et c’est pourquoi, de toutes les choses qui ont le potentiel de nous unir, aucune n’est plus puissante que l’expérience commune des arts. »

 

14/11/2020

Zoom Arrière n° 4 : le cinéma muet français

Après De Palma, Moretti et Oshima, le collectif de cinéphiles (il en reste !) Zoom Arrière, dont j'ai l'honneur et le plaisir de faire partie, propose son quatrième ouvrage pour meubler les heures de reconfinement. Cette fois nous nous sommes attaqués à une période, celle du cinéma muet français. L'équipe s'est étoffée de nouvelles plumes brillantes, le livre aussi, des frères Lumière à Louis Feuillade, d'Alice Guy (mais non elle n'est pas oubliée !) à Alfred Machin, de Germaine Dulac à René Clair, en passant par Méliès et Jean Epstein, 312 pages présentées ainsi :

Chronologiquement sont abordées les œuvres de 78 cinéastes de cette époque, à travers l'évocation de plus de 250 films. 16 contributrices et contributeurs (parmi lesquels 5 nouvelles signatures !) se succèdent pour dresser le panorama le plus large possible des 35 premières années d'un art vivant, privé de son mais éloquent. Des pionniers aux diverses avant-gardes, des réalisateurs vedettes aux artisans méconnus, des films d'art aux films clandestins, des burlesques aux serials, le continent s'avère immense, riche de sa diversité, pourvoyeur de découvertes et toujours sujet aux confrontations de points de vue.

L'ouvrage se commande via le site Zoom Arrière en cliquant simplement sur l'image ci-dessous.

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10/11/2020

Passage d'un train en gare de Bushey

Confinement, le retour... Et retour des programmations de films rares sur Henri, la plate-forme de la Cinémathèque Française. Jusqu'au 18 novembre, vous pourrez découvrir des films étonnants tournés avec le procédé Biograph en 68 mm utilisant une caméra Mutagraph et un projecteur Mutoscope. Mis au point par William K. L. Dickson, Elias Bernard Koopman et Hermann Casler, qui fondèrent la société du même nom (que D.W. Griffith rejoignit en 1908), ce système donne une image remarquablement claire et stable, comme plus tard les films en 70 mm. Son format atypique entraina sa disparition, mais les films qui sont restés composent un portrait émouvant de l'Europe au tournant du siècle. Vous pouvez le découvrir dans cette compilation issue des collections du Eye Filmmuseum hollandais et du British Film Institute anglais. Il s'ouvre par un travelling excitant sur un train traversant la gare de Bushey dans le Hertfordshire, à peine vitesse, toute vapeur dehors. Puisque l'on ne peut pas voyager, partons dans le temps. (cliquez sur l'image).

Screenshot_2020-11-10 The Brilliant Biograph (Auteurs divers, 1897-1902) à voir en ligne sur HENRI, la plateforme de nos co[...].png

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14/10/2020

Cinéma Japonais (conférence en ligne)

Suite de cette série de conférences en lignes données pour Cannes Université lors du confinement. Celle-ci était consacrée aux cinéastes japonais en colère des années soixante, Nagisa Oshima, Shohei Imamura, Seijun Suzuki et Kōji Wakamatsu. C'était la première ! 

28/07/2020

Marqué au fer

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21/06/2020

Truffaut parle

Superbe document issu des archives de la RTS, un long entretient avec Christian Defaye pour l'émission Spécial Cinéma du 10 décembre 1975.

20/05/2020

Au bord du lac

Le Genou de Claire (1970) d'Éric Rohmer

Le film étant diffusé jusqu'en octobre sur la plate forme d'ARTE, l'occasion est bonne de ressortir ce texte écrit pour le défunt site Kinok à l'occasion d'une édition DVD. C'est aussi l'occasion de signaler l'ensemble des articles de l'équipe de Zoom arrière consacré au cinéaste : R comme Rohmer.

Le Genou de Claire c'est d'abord la belle barbe de Jean-Claude Brialy dans le rôle de Jérôme qui me fait toujours irrésistiblement penser à celle que portait mon père dans les années 70. Ce sont les chaussettes blanches de collégienne que porte Béatrice Romand quand elle entre dans le cinéma de Rohmer. C'est la blondeur de Fabrice Lucchini au début de sa carrière, qui fait lui aussi sa première apparition chez le maître. C'est le teint pain d'épice et les courbes délicates de Laurence de Monaghan au genou tentateur et si parfait. C'est l'accent roumain de Aurora Cornu, sa démarche posée et ses mains délicates.

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Le Genou de Claire est l'une des plus éclatantes réussites d'Eric Rohmer. Il suit immédiatement Ma nuit chez Maud et peu se voir comme un contre-pied. A la neige de Clermont-Ferrand, au noir et blanc de Nestor Almendros, aux dialogues en profondeur sur la foi, Pascal et l'amour, au visage un rien sévère de Jean-Louis Trintignant, se substituent le soleil d'été sur le lac d'Annecy, les cerisiers sous la brise, les couleurs de montagne du même chef opérateur, un marivaudage (le terme est particulièrement bien adapté ici) brillant et la décontraction barbue de Jean Claude Brialy. Le film a la grâce et la légèreté des jeunes filles en fleur. Le rose est sa couleur, comme celle de ses intertitres.

Le film est en quelque sorte l'aboutissement d'une certaine manière d'Eric Rohmer. Le patient polissage d'une forme mise au service de son amour pour la beauté des jeunes filles, l'art, les mots, et les livres. Cette forme est celle du cinéma classique et je souscris à ceux qui le rattachent au cinéma de Griffith. Format « carré » venu de la peinture, grande précision des compositions organisées en fonction de la lumière naturelle, des lignes de force du paysage et du déplacement des personnages, les images de Rohmer respirent l'harmonie. La caméra se déplace peu, uniquement pour accompagner un couple marchant sous les frondaisons, souligner l'arrivée de Laura ou s'approcher doucement du couple, Claire et Gilles, juché sur l'échelle, mangeant des cerises et attirant sans le vouloir le regard et les sentiments contradictoires de Jérôme. Et puis pas de musique.

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Ce dispositif ne rend en rien le film aride. Tout son mouvement interne, le jeu du jeu des sentiments, est vif et prenant. Rien d'ennuyeux non plus. Rohmer est bavard, mais à la manière de Howard Hawks. « Vous trouvez que je parle trop ? ». Très peu de champ-contrechamp monotones mais plutôt une série de portraits qui se répondent comme lors des très belles scènes entre Jérôme et Aurora où le temps des plans fait naître le sentiment de la complicité, ou lors de la ballade en montagne de Jérôme et Laura. Voici donc comment Rohmer nous fait pénétrer son petit monde.

Chez lui, on a des préoccupations élevées (ce qui n'empêche pas la mesquinerie de certains). On y parle donc littérature, beauté, art et amour en abondance. Chez Rohmer, on vit dans de belles maisons qui portent une longue histoire, avec de beaux jardins même s'ils sont négligés, et éventuellement vue sur le lac. On voyage beaucoup (Jérôme est diplomate, Laura sur le départ, Aurora citoyenne du monde) et on a des métiers sympathiques comme attaché d'ambassade ou écrivain. On a le goût des belles et bonnes choses et une relation au temps plutôt proustienne, c'est à dire que l'on a le temps de le sentir couler. La seule manifestation d'un « autre monde » sera incarnée par le gardien du camping voisin, individu vulgaire au sens premier, avec son survêtement grossier, dont l'irruption dans la délicate comédie sera l'occasion pour Jérôme de révéler l'un des aspects les moins sympathiques de sa personnalité. Il n'y a pourtant pas là de quoi s'offusquer.

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Le Genou de Claire est un film de vacances, non seulement parce que les protagonistes sont en villégiature mais parce qu'ils sont tous pris à un « entre-deux » de leur vie. Jérôme va pour se marier et liquide à sa façon celui qu'il était, faisant le point sur sa carrière de séducteur et vendant la maison familiale. Aurora est entre deux livres et s'engage dans un projet en étudiant son ami. Laura est au point de passage de l'adolescence et doit partir en Angleterre. Sa mère vient de se séparer. Finalement, Claire seule est dans une situation stable, dans son histoire bien rangée avec Gilles. A travers la leçon qu'il lui donne, non sans méchanceté, Jérôme assouvit son désir tout en ramenant la jeune fille à un entre-deux sentimental.

Ce sont peut être de ces multiples variations sur « l'entre-deux » qui font l'excitante fascination de ce film. Rohmer nous sollicite dans les jeux sentimentaux de la petite bande et nous met constamment en position de chercher à deviner qui pense quoi. Les personnages sont suffisamment denses pour se prêter à toutes les hypothèses. Après tout, Aurora cherche peut être à séduire une nouvelle fois Jérôme à travers ses défis littéraires. Et après tout, Jérôme ne joue-t'il pas le jeu en connaissance de cause ? De Jérôme et de Laura, on ne sait jamais vraiment qui est dupe de l'autre et jusqu'à quel point le séducteur n'est pas véritablement séduit. Même problème avec Claire : quelle est la part de jalousie et celle de jeu dans l'attitude de Jérôme à son égard ? Jusqu'à quel point est-il sincère quand il entre dans le détail de ses sentiments lors de ses discussions avec Aurora ? Que de questions.

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On voit que l'art de Rohmer est ici de nous donner des pistes en nous montrant tout ce qui n'est pas dit : les gestes, les regards, les attitudes, toute une matière à grande mise en scène. Par exemple, les jeux de mains entre Jérôme et Aurora, parfois plus qu'affectueux, parasitent constamment leurs dialogues posés et créent une tension sentimentale permanente. Ce double niveau rend chaque confrontation passionnante et rappelle que Rohmer, au delà d'une forme classique, était un admirateur de deux spécialistes de ce genre de cinéma du sous entendu jouissif : Alfred Hitchcock et Howard Hawks.

Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que j'écrive que Le Genou de Claire avec sa mécanique parfaite est son Rio Bravo (1959) sentimental.

Photographies : captures DVD Les films du Losange

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02/05/2020

Tu peux pas test

The Big Doll House (1971), un film de Jack Hill.

S'il était besoin de démontrer l'inanité du test dit de Bechdel, le film de Jack Hill, The Big Doll House (1971) serait tout à fait adapté. C'est en tout cas ce que je me suis dit après l'avoir vu, un sourire narquois aux lèvres. Mais qu'est-ce que ce fichu test ? C'est une idée de l'auteure de bandes dessinées Alison Bechdel et de son amie Liz Wallace qui, se désolant de la place des personnages féminins dans les films, ont mis au point ce test en trois questions :

  • Y a-t-il au moins deux personnages féminins portant des noms ?
  • Ces deux femmes se parlent-elles ?
  • Leur conversation porte-t-elle sur un sujet autre qu’un personnage masculin ?

jack hill

Répète après moi les trois questions !

A partir de là, on est censé mesurer le sexisme d'un film, un peu comme on fait des tests qualité pour mesurer l'adéquation des boulons ou des pastilles de menthe dans l'industrie. Que cette idée ait pu germer dans des cerveaux américains ne surprendra personne. Cette histoire de test, cela m'a fait penser à la méthode du professeur Evans Pritchard dans Dead Poets Society (Le Cercle des poètes disparus, 1989) de Peter Weir, un système de graphe censé mesurer la qualité d'un poème. Ces pages mêmes que le professeur joué par Robin Williams fait déchirer à ses élèves d'un geste libérateur. Autant je peux comprendre que l'on s'irrite de la manière dont sont représenté (ou non représenté) tel ou telle partie de l'humanité, ou tel événement, autant je trouve aussi grotesque qu'inutile de vouloir appliquer ce genre de grille de lecture à une œuvre de l'esprit. C'est le même principe qui faisait voir au maccarthysme des rouges partout ou à la critique de gauche des années 60/70 des fascistes dans le moindre film qui n'était pas révolutionnaire. Que l'on utilise des outils venus de l'industrie pour parler d'art (même très mineur, ce qui est le cas du film de Hill) me semble significatif et désolant. Quand une œuvre déplaît, et les motifs peuvent en être légitimes, on peut s'abstenir ou en faire la critique. Et quand une œuvre plaît, on se la passe entre gens de goût, c'est à dire de goûts proches, ou du moins ouverts d'esprit. Moi, j'aime les films de John Ford et je déteste ceux de Michael Haneke. Je ne vois pas au nom de quel masochisme je continuerais à voir les seconds quand je peux me repaître des premiers. Et si j'ai déjà expliqué le pourquoi du comment, je ne me vois pas créer un « test de Haneke » que je ferais subir à mes visionnages. On me dira que derrière ces problèmes de représentation, il y a des questions politiques d'égalité. Je répondrais que oui, mais ce n'est pas une raison. Le combat politique est une chose, la création artistique en est une autre, voilà pour eux !

jack hill

Viens un peu là qu'on te teste !

Ce qui nous ramène à notre The Big Doll House. Voilà un film produit par une femme, Jane Schaffer, pour la New World Picture de Roger Corman, qui devait être réalisé par une femme, Stephanie Rothman, qui déclina la proposition par manque d'enthousiasme pour le projet, avec une distribution essentiellement féminine. Il y a des héroïnes et des méchantes et des figurantes, et juste trois types perdus là-dedans, un mollasson et deux idiots. Si l'on applique les critères du test, il y a bien plusieurs femmes portant des noms, elles se parlent entre elles et elles ne parlent pas (ou peu) d'hommes. C'est normal car nous sommes dans un film de femmes en prison, ou WIP (pour Women In Prison), et donc leur principal sujet de conversation, c'est l'évasion. Mais vous aurez deviné à ce stade que, bien que The Big Doll House passe haut la main le test, c'est un pur film d'exploitation jouant sans aucun complexe à titiller les bas instincts des spectateurs, les mâles en particulier. C'est même l'un des films matrice du genre. L'action se déroule dans un pays exotique ou de jeunes et jolies jeunes femmes sont emprisonnées et doivent subir les pires avanies, de la part des gardiennes comme de leurs co-détenues. Elles portent de seyantes tenues dévoilant leur belles jambes, parfois un peu plus. Elles sont maquillées et coiffées avec soin. Elles sont américaines dans un bagne des Philippines, comme les hauts responsables sont occidentaux. Aux autochtones la figuration intelligente. Le genre requiert ses scènes obligatoires et Jack Hill coche toutes les cases : scène de douche, bagarre dans la boue, tortures imaginatives à forte connotation sexuelle, rapports lesbiens, morts cruelles, évasion, élimination des méchantes et fin ouverte.

Tout ceci est bien réjouissant pour peu que l'on ait le sens du second degré et puis Jack Hill fait preuve à la fois de métier et de retenue. S'il est dommage qu'il ne retrouve pas l'inventivité délirante de son Spider Baby (1968), il sait donner du rythme à ses aventures carcérales, faire gentiment monter la tension lors des scènes de torture par les cadres et le montage, jouant le suspense plutôt que l'effet graphique, et conserve l'équilibre entre les principales protagonistes. Parmi elles, crevant déjà l'écran, Pam Grier fait ses vrais débuts et chante Long Time Woman sur le générique d'ouverture, chanson que reprendra l'admiratif Quentin Tarantino dans Jackie Brown (1997). A ses côtés, Judith Brown, qui a tué son mari violent, Pat Woodel qui joue une détenue politique (!) habile à la mitraillette, et l’émouvante Brooke Mills en junkie. Voilà de quoi méditer sur les films où les femmes avec des noms parlent entre elles de se faire la malle. Et vous pouvez essayer les tests de la lampe sexy, de Mako Mori ou celui de Furiosa, ça marche aussi.

jack hill

Gratte moi le dos et je t'explique la lampe sexy...

Photographies © New World Pictures

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30/03/2020

Grands espaces

C'est l'un des plus beaux films du monde ! Découvrez ce beau texte de Jean-Marie Buchet publié en 1963 sur Script. Revue belge du cinéma 7 autour de Hatari ! (1963), de Howard Hawks avec John Wayne, Elsa Martinelli, des rhinocéros et des girafes. Cliquer sur l'image.

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Photographie capture d'écran © Paramount Pictures

29/03/2020

Jeu jour 5

Confinés, confinées, amis cinéphiles, bonjour ! 17h00, c'est le moment de notre rendez-vous quotidien pour le jeu de l'atelier cinéma de Cannes Université. Cinquième jour sous le signe du court métrage que l'on fête jusqu'au 31 mars. Une image tirée d'un film. A vous de deviner le titre du film (en VO ou VF) et le réalisateur. 1 point pour le titre, 1 point pour l'auteur. Des indices vous seront donnés si nécessaire. Tous les films choisis ont été étudiés lors des séances de l'atelier cinéma. L'image sera postée simultanément sur la page Facebook de Cannes Université. Bonne recherche !

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Et le conseil du jour : pour les amateurs de Nanni Moretti, découvrez le site www.sacherfilm.eu Outre des informations sur sa salle d cinéma à Rome et ses productions, vous trouverez en ligne ses courts métrages dont certains inédits en France.

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