Cannes 2021, partie 1 (23/07/2021)

Bon, allez, un effort, colle-toi devant ton clavier et essaye de revenir sur ces journées du 74eme Festival de Cannes. Oublie le stress du passe sanitaire, des tests, des impression de tests, des lecteur de codes de test qui n'aiment pas le soleil, des aménagements obscurs avec l’obligation de tests, des réservations toutes en ligne et de cette fracture créée et entretenue entre ceux qui ont un téléphone intelligent et les autres, tout ce fatras de restrictions, d'injonctions technologiques et d'interdictions qui vont à l'encontre d'un festival qui se veut ouvert, et dont la programmation chante la différence, la liberté, la rébellion et le grand air. Paradoxe cannois qui ne date pas d'hier et qui n'est pas près de se résoudre.

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So may we start ? Commençons donc par Annette nouvel opus de Leos Carax, comédie musicale qui démarre par une splendide scène, un plan séquence virtuose plein de souffle et de musique, rappelant l'interlude excitant de Holy Motors dans l'église. Cette énergie purement cinématographique, pourtant, Carax ne la tient pas sur la durée du film. Son récit, celui d'une histoire d'amour, belle, absolue, entre une cantatrice et un comédien de « stand-up », est ténue comme souvent chez le réalisateur et offre de très beaux moments, comme souvent chez le réalisateur, le passage en mer, la scène de sexe chanté, l'ultime rencontre entre père et fille, et d'autres plus longs, parfois un peu trop longs, comme souvent chez Carax qui semble chercher encore et toujours le bon rythme. Peut être que si mon film préféré dans son œuvre est Holy Motors, c'est peut être parce qu'il est composés de fragments, un dispositif qui lui avait permis d'éviter cet écueil. Dans Annette, il y a des moments qui tirent un peu à la ligne, où l'on se perd quelque peu. Il y a aussi certaines idées qui me laissent dubitatif, comme la façon de représenter la petite fille, malgré tout ce qui a été dit à ce sujet, ou les concerts comme en transe qui m'ont laissé de marbre. Reste cet amour fou du cinéma qui éclate dans chaque instant de la mise en scène et balaie les réticences.

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J'ai retrouvé cette foi, sans mauvais jeu de mots, dans le Benedetta de Paul Verhoeven. Avec une assurance et un réjouissant mauvais esprit, notre homme déploie sa fresque iconoclaste sans temps mort. Benedetta, c'est Showgirls dans un couvent toscan du XVIIeme, le prolongement de son excellent Flesh + Blood (La Chair et le sang, 1984), ma première rencontre avec le cinéaste, et la même impression que dans Starship Troopers (1995), d'une gigantesque farce utilisant les codes de ce qu'il entend démonter : les rapports mêlés du sexe, du pouvoir et de la foi (quoique l'on veuille mettre dans ce mot). Le beau travail de reconstitution, utilisant de superbes abbayes bien réelles, n'étouffe jamais, ni le récit ni le propos, et je m'élève avec vigueur contre les accusations d'académisme, argument souvent bien mal employé pour des cinéastes qui en sont si éloigné. Verhoeven utilise des dialogues qui, outre leur humour savoureux, sonnent tout à fait moderne, ce qui crée un décalage avec l'époque décrite et donne force aux nombreux échanges entre les personnages. Une méthode hardie utilisée en son temps par Gianfranco Mignozzi dans Flavia, la monaca musulmana (Flavia la défroquée, 1974), un film assez proche. 

Car, oui, Benedetta possède l'aspect des films de couvent ou « nonnesploitation », du meilleur de ces œuvres barrées signées Ken Russel, Jess Franco ou Norifumi Suzuki. Il y a aussi du peplum avec ces salles de tortures et globalement un parfum bien agréable de la grande époque du cinéma d'exploitation italien. Verhoeven va plus loin, comme il l'a fait pour le polar ou la science-fiction, en revenant une nouvelle fois à ces personnages de femmes qui se battent comme des diablesses dans des mondes très masculins, dissimulant leurs fêlures sous une volonté de fer. Somptueuse, drôle, inquiétante, hallucinée, sensuelle, effrayante, intelligente, Benedetta est jouée par Virginie Efira qui prend avec les honneurs la suite de Jennifer Jason Leigh, Sharon Stone, Elizabeth Berkley ou Carice van Houten. Verhoeven a l'habileté de laisser planer le doute sur la véritable nature de son héroïne, sainte, mystique, folle, manipulatrice, toujours au bord de la rupture quand elle se met à parler comme la petite fille de The Exorcist (L'Exorciste, 1973) de William Friedkin, autre réalisateur qui n'a pas l'habitude de mâcher ses images. Et puis pour l'athée que je suis, si triste de l'atmosphère de culs-bénis qui a repris le dessus ces dernières décennies, les visions du Christ tour à tour femme ou guerrier façon Game Of Thrones m'ont rempli d'une extase toute laïque. Pourtant, la charge la plus puissante, moins frontale donc plus efficcace, passe les deux personnages les plus lucides du film, le cynique nonce joué par un Lambert Wilson hilarant, et l’abbesse incarnée en majesté par Charlotte Rampling. Ils ne sont dupes de rien, savent qu'ils représentent un pouvoir bien politico-économique et finissent très mal. Comme quoi, même si ce n'est pas évident, le cinéma de Paul Verhoeven est un cinéma moral.

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Après ça, une œuvre comme Robuste de Constance Meyer apparaît bien sage. Le film a son charme, axé sur la rencontre d'une jeune femme assurant la sécurité d'un acteur d'un certain âge mais quelque peu fantasque. C'est filmé de manière classique mais sans chichi ce qui est parfois une qualité. Ce qui fonctionne, c'est la rencontre de deux corps, de deux générations, de deux manières de jouer aussi, celui de Déborah Lukumuena et celui de Gérard Depardieu. La première est une découverte, retenue, sensible, physique, elle évite, grâce au scenario intelligent de Meyer, la somme de clichés redoutés sur une jeune femme noire et, disons, enveloppée. Meyer la filme comme un personnage, pas comme un sujet d'étude. Et elle est confrontée à celui qui, mieux que tout autre, a fait du mépris des clichés une façon de vivre, une façon d'être. Depardieu est encore plus massif, il souffle, s'épuise, mange et boit en une composition en forme d'autoportrait, fascinant sa partenaire comme se réalisatrice. Il y trouve une forme d'équilibre et un rôle dans la lignée du superbe Bellamy joué pour Chabrol. Quelques belles scènes viennent bousculer la trop grande sagesse de Robuste, celle du restaurant en particulier.

(à suivre)

Deux avis opposés sur Benedetta ici et

Lire également chez Newstrum.

Photographies © UGC Distribution, Guy Ferrandis et Diaphana Distribution

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