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21/02/2022

Que ça claque !

La frusta e il corpo (Le Corps et le fouet, 1963) un film de Mario Bava

Un cavalier chevauche au bord de la mer vers un château perché sur une falaise battue par le vent. L'image, superbe, évoque celles des ouvertures de The Pit and the Pendulum (La Chambre des tortures, 1961) ou de The Terror (L'Halluciné, 1963), deux des films fantastiques inspirés des œuvres d'Allan Edgar Poe qui firent le succès de l'américain Roger Corman. Rien d'étonnant quand le scénariste Ernesto Gastaldi explique que les producteurs Luciano Martino et Elio Scardamaglia lui firent voir La Chambre des tortures en lui demandant d'écrire quelque chose dans le même genre. Le fameux scénariste s'exécuta avec l'aide de Ugo Guerra pour remettre un récit qui allie la tradition gothique dans l’esprit de Poe et ces audace qui font tout le sel des productions transalpines du genre. Ce cavalier sombre, c'est Kurt Menliff, de retour dans la demeure familiale pour la mariage de son jeune frère. Mais Kurt n'a rien d'un fils prodigue. Il a été chassé par son père pour avoir séduite et causé la mort de Tania, la fille de la servante Giorgia, qui lui voue depuis une haine tenace, et entretenu une relation sadomasochiste avec Nevenka, sa future belle-sœur et ex-fiancée. Plein de morgue, Kurt revient pour réclamer son héritage, Nevenka incluse. Dans un climat de lourde hostilité, Kurt fini avec le poignard, utilisé par Tania pour se suicider, entre les omoplates. Mais Nevenka, qui a succombé au magnétisme de Kurt et à une séance de flagellation sur la plage, voit désormais apparaître son spectre. Il y a quelque chose de pourri au château des Menliff...

mario bava

Mario Bava est engagé pour mettre en scène cette histoire bien tordue et il va y faire preuve de son talent, faisant de Le Corps et le fouet un sommet de son œuvre fantastique, proche par son atmosphère et ses expérimentations de Opération peur deux ans plus tard. Comme souvent il assure la photographie avec son chef opérateur Ubaldo Terzano et les effets spéciaux, souvent optiques (transparences, jeu sur les perspectives). On retrouve son goût pour les cadrages à travers la végétation, sa manière de dilater le temps, ses brusques embardées de violence, son utilisation du zoom avant très efficace et sa manière de créer une atmosphère de peur en brouillant les repères du temps et de l'espace. Contrairement à Roger Corman dans ses films, Bava évite ici de situer l'action dans un contexte historique précis. Nous sommes quelque part en Europe au XIXeme siècle et cela suffit. Le château des Menliff est une abstraction, une construction mentale comme le village de Opération peur. Il est le château gothique par excellence, avec ses couloirs interminables et sombres, son mobilier pesant, ses cryptes, ses grandes cheminées, ses passages secrets qui lui donnent comme une vie propre, et ce double escalier que l'on a vu et que l'on reverra dans d'autres œuvres du genre. Bava et Terzano, malgré les conditions toujours tendues de tournage (six semaines de tournage et un budget modeste), soignent leurs lumières, travaillant par grandes zones très sombres et taches de lumières marquées, rouges, bleues et vertes qui accentuent l'impression d'irréalité et donnent corps à une ambiance de cauchemar. L'apparition de Kurt après son meurtre est exemplaire. Le bleu incarne la clarté lunaire et dessine un instant comme un masque sur le visage de Nevenka, un éclair rouge sur son visage marque le mélange trouble de la peur et du désir, puis la main de Kurt qui avance vers elle en gros plan est baignée d'une lumière verte d'outre-tombe. Le son est particulièrement travaillé sur cet opus, lui aussi de manière onirique, décalée, avec ce vent qui souffle sur le rivage comme dans toutes les pièces du château, rappelant l'atmosphère de La Chute de la maison Usher (1926) de Jean Epstein, les bruits de pas qui résonnent sur les dalles, où ces grincements de pierre contre pierre, quasi insoutenables, quand le père voit s'ouvrir le passage dissimulé, comme dans Le Masque du démon, dans la cheminée. La partition de Carlo Rustichelli, avec la mélodie obsessionnelle au piano, parachève l’atmosphère fantastique et morbide, si réussie, du film.

mario bava

L'autre réussite du film, habileté du scénario et précision de la mise en scène, c'est d'entretenir le flou sur la dimension purement fantastique du récit. Le film maintient un entre-deux entre des figures classiques du fantastique et la possibilité d'un « vraisemblable » qui ne leur doit rien. D'un côté, il y a le fantôme, la possession et l'ombre du vampirisme entretenu par la présence intense de Christopher Lee dans le rôle de Kurt. De l'autre, il y a les principes de machination, comme dans les Hichcock de Riccardo Freda, et, encore plus fascinant, la matérialisation d'un dérèglement mental. Bava fait frémir le rideau des choses réelles cher à Abraham Merritt en jouant sur un trouble proprement cinématographique. Quand le visage de Kurt apparaît derrière la fenêtre de Nevenka, nous le voyons bel et bien. Mais n'est-il pas qu'une simple image mentale de la jeune femme ? Cette atmosphère corrompue et maladive, la haine obsessionnelle de Giorgia, la maladie de Menliff père, la sexualité déviante de Nevenka qui jouit sous la morsure du fouet, tout n'est-il pas lié aux délires d'un cerveau malade ? Bava se garde bien de trancher trop nettement. Son cauchemar emprunte les voies du surréalisme défiant la logique comme il défie les bonnes mœurs. De fait, le film fera frémir les censeurs. En Italie, ils vont demander des coupes et brandir l'interdiction aux mineurs. Le film sera taxé d'obscénité et mis sous séquestre tandis que son affiche sera interdite. Aux États-Unis, tout aussi effarouchés, le film sera distribué dans une version expurgée et réduite d'un quart d'heure. Bagatelles que tout ceci. Le charme vénéneux du château Menliff n'a rien perdu de son éclat. Aux côtés de Lee, celle qui domine le film, c'est la comédienne israélienne Dahlia Lavi dans l'un de ses premiers grands rôles après Il demonio (1963) de Brunello Rondi. Son visage à la beauté mate et l'intensité physique de son jeu la rapprochent de Barbara Steele. Comme la comédienne britannique, elle sait donner des zones d'ombres à son personnage et jouer sur plusieurs registres pour en faire ressortir les fêlures. La crédibilité de l'ensemble repose sur celle du personnage de Nevenka et Lavi donne ici l'une de ses plus belles performances. Christopher Lee est sollicité une nouvelle fois par les italiens pour son potentiel financier, mais Bava sait mettre en valeur sa stature imposante et son charisme diabolique. L'image du vampire séducteur qu'il a créé dans les films de Terence Fisher flotte sur le personnage de Kurt dont la magnétisme sexuel est ici explicite. Aux côtés de ce duo de haute volée, on retrouve la belle Ida Galli, qui possède une belle carrière dans le cinéma de genre sous le pseudonyme d'Evelyn Stewart, Lucinao Pigozzi, autre visage familier à la ressemblance étonnante avec Peter Lorre, en valet boiteux, et Gustavo De Nardo, un fidèle de Bava, dans le rôle de Menliff père. Tony Kendall alias Luciano Stella joue le plus fade frère de Kurt.

mario bava

Les démêlés du film avec la censure ne vont pas faciliter sa carrière. Le Corps et le fouet est un échec public lors de sa sortie en Italie. Les pays anglo-saxons éliminent les scènes de flagellation dans la version tronquée, ce qui le rend incompréhensible. Mais il a acquit avec le temps une réputation qui en font l'un des sommets du gothique à l'italienne comme de l’œuvre de Mario Bava. 

Photographies DR

16:39 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : mario bava |  Facebook |  Imprimer | |

Commentaires

Bonjour Vincent, très belle chronique sur ce Bava que j'ai vu il y a longtemps. Bravo pour l'agencement entre infos historiques sur la réalisation du film, le contexte de production, puis la dimension analytique.

Écrit par : Raphaël | 09/03/2022

Belle chronique mais je n'arrive pas pour autant à être aussi enthousiaste que toi. J'avais trouvé le film un poil compassé et je le trouve quand même, en dépit de ses qualités, un tantinet en-dessous du "Masque du démon" ou de "Six femmes pour l'assassin".

Écrit par : Dr Orlof | 17/03/2022

Belle chronique mais je n'arrive pas pour autant à être aussi enthousiaste que toi. J'avais trouvé le film un poil compassé et je le trouve quand même, en dépit de ses qualités, un tantinet en-dessous du "Masque du démon" ou de "Six femmes pour l'assassin".

Écrit par : Dr Orlof | 17/03/2022

Bonjour, Raphaël, merci de ton passage. j'essaye une nouvelle forme qui mêle les choses, un peu dans l'esprit de ce que je je fais pour les bouquins;

Bonjour, chez Doc, C'est un des premiers bava que j'avais découvert et il m'a marqu". j'y suis revenu il y a peu et je trouve le film toujours aussi troublant et surtout très soigné dans sa mise en scène. Mon préféré dans ce registre ça reste "Opération peur"

Écrit par : Vincent | 18/03/2022

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