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31/03/2015

Espions à l'italienne

Operazione Goldman (1966) d'Antonio Margheriti et Le spie vengono dal semifreddo (L'espion qui venait du surgelé - 1966) de Mario Bava.

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Le succès dès 1962 des aventures de l'agent 007 au service secret de sa majesté va faire de l'espion le personnage emblématique du cinéma d'action des années soixante. Dans le sillage de résultats exponentiels, une frénésie de films de toutes nationalités déferle sur les écrans du monde, lâchant sur les écrans des agents aux multiples talents et aux matricules les plus divers. Harry Palmer, Matt Helm, OSS117, Coplan, 008, 077, Bob Fleming, notre homme Flint, Bulldog Drummond, le tigre qui se parfume à la dynamite, le Monocle... Les producteurs italiens, avec ce sens de l'à-propos qui fait leur charme alimentent le marché à coup de petites bandes, le plus souvent en coproduction avec la France, l’Espagne ou l'Allemagne. Si ce genre se laisse aller à la plus grande fantaisie, il s'en tient à quelques éléments clefs déclinés à l'infini ou plutôt jusqu'à la lassitude de spectateurs du samedi soir et des salles de quartier. Lieux exotiques, héros décontractés, jeunes filles accortes et court vêtues, bases secrètes, gadgets improbables, coupés sport rutilants, savants fous et maîtres du monde diaboliques, une bonne bagarre et un zeste d'érotisme. Servez frais.

C'est dans cette collection de cocktails que plongent les éditions Artus pour une nouvelle série « Eurospy ». Première salve avec deux titres signés en 1966 de maîtres du cinéma populaire, Operazione Goldman d'Antonio Margheriti et Le spie vengono dal semifreddo (L'espion qui venait du surgelé) de Mario Bava (Rattaché pourtant à la collection Ciné-fumetti).

Opération chéquier

Le film d'Antonio Margheriti respecte les codes du genre à la lettre jusque dans ses volontés de décalage. L'espion Harry Senneth nous est présenté comme un non violent dont l'arme de prédilection est un carnet de chèques avec crédit illimité auprès du trésor américain. Méthode douce sauf pour le contribuable. Nous le verrons pourtant distribuer force tatanes et manchettes aux sbires du vilain dans les couloirs de sa base secrète, forcément secrète, un peu à la façon de Bruce Lee quelques années plus tard, ce qui confirme le côté visionnaire de Margheriti. Dans le même esprit, le supérieur de Senneth est une femme, la belle capitaine Patricia Flanagan jouée par sexy Diana Loris. Mais reculant devant leur audace, Margheriti et ses scénaristes Alfonso Balcáza, Ernesto Gastaldi et José Antonio de la Loma, ne font presque rien de cette intéressante situation. Bien que présentée comme experte en karaté, elle ne fait rien de plus que la James Bond girl moyenne et se réfugie dans la poitrine virile de son subordonné. Elle disparaît même à la moitié du film pour ne revenir qu'à l'occasion de l'inévitable baiser final.

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Le vilain de cette affaire se nomme Rehte. Brasseur de métier, il a une base sous Cap Kennedy, un laser, un superbe pupitre de commande qui sert le whisky avec glace, enlève des savants, et veut dominer le monde. La routine. Ses sbires sont innombrables et vêtus de noir façon Diabolik. Margheriti aime les effets spéciaux et les bricolages. Dans Operazione Goldman, il s'en donne à cœur joie avec les maquettes de la base de Rehte, sa chambre cryogénique où il congèle les savants enlevés, et un superbe raz de marée de lave qui dévastera tout ceci. Il mêle ces décors de studio à des stock-shots de la NASA, toujours à la limite de la parodie. Le film fonctionne bien, c'est à dire que l'on ne s'ennuie pas, que l'on sourit souvent et que l'on s'amuse sans arrière-pensée. Cela tient au rythme soutenu, porté par le montage de l'espagnol Juan Luis Oliver. Vif et précis, il ne donne jamais dans l'agitation et arrive à lier aussi bien que possible les éléments disparates composant le film. La partition très sixties, jazzy et enlevée signée par Riz Ortolani achève de lier la sauce. Côté distribution, tout le monde s'amuse beaucoup. Diana Loris et Wandisa Guida sont très agréables à regarder, Folco Lulli en Rehte pastiche sans retenue le Blofeld bondien, pianotant sur ses consoles avec conviction. Paco Sanz, l'inoubliable pasteur allumé de Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux - 1967) est un impeccable professeur séquestré. Dans le rôle de Senneth, Anthony Eisley dont le titre de gloire est d'avoir tourné pour Samuel Fuller dans The Naked Kiss (1964) manque un peu de charisme, son détachement frôlant l'absence. Au final, nous tenons avec cette Opérazione Goldman un petit film très agréable qui est une bonne introduction au genre.

Franco, Ciccio et le grand Vincent

"Le film le plus terrible dans lequel j'ai joué. Tout ce qui pouvait aller de travers l'a fait » disait Vincent Price de Le spie vengono dal semifreddo signé la même année par Mario Bava en personne. Coproduction avec l'américaine AIP de Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, producteurs de Roger Corman, ce film est l'étrange conjonction de la suite de Doctor Goldfoot and the Bikini Machine (1965) de Norman Taurog et d'un projet bien italien de parodie avec le duo Franco et Ciccio. Ce duo mérite quelques explications. Franco Franchi et Ciccio Ingrassia, le petit rond et grimacier associé au grand longiligne et imperturbable, ont formé un duo comique à usage exclusivement transalpin, incroyablement populaire chez eux, à peu près inconnus ailleurs. Leur humour, un burlesque très démonstratif, a quelque chose du duo américain Abbott et Costello. Comme « Il Principe » Totò, leurs films relèvent souvent de la parodie des succès du moment. Franco et Ciccio ont une bonne centaine de films à leur actif avec des titres comme Per un pugno nell'occhio (1965) ou I due figli dei Trinità (1972). Pourtant ils auront été dirigés par les plus grands, Luigi Comencini, Steno, Federico Fellini, les frères Taviani, Lucio Fulci ou Sergio Corbucci. Et ici par Mario Bava.

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De ce projet bicéphale, il sortira deux versions. L'italienne mettant en valeur le duo comique, l'américaine capitalisant le succès de Vincent Price. La bonne idée des éditions Artus est de proposer les deux. Mais l'une comme l'autre ont les mêmes défauts. Peu inspiré Bava ne fait guère preuve de son talent, même s'il se débrouille pour placer un de ses plans fétiches derrière des plantes. Le docteur Goldfoot est cette fois l'inventeur de robots en forme de demoiselles court vêtues qui vont draguer les officiers de l'OTAN et exploser au premier baiser appuyé. Face à cette redoutable menace, Franco et Ciccio sont deux apprentis espions suivant leurs cours par correspondance, se révélant deux catastrophes quand il s'agit de passer à la pratique. Il sont néanmoins aidés par un espion authentique et américain joué par le juvénile chanteur Fabian, et sa fiancée jouée par la belle Laura Antonelli qui fait ici ses débuts. Franco et Ciccio dévorent littéralement la version italienne par leurs pitreries pas toujours supportables (j'avoue avoir du mal avec les grimaces hyperboliques de Franco qui va jusqu'à se déguiser en poulet), et seul Vincent Price en roue libre arrive à exister. Le spectateur indulgent pourra s'amuser de quelques gags, en particulier la parodie du Dr Folamour de Stanley Kubrick qui voit le duo assis sur une bombe atomique pour tenter de la désamorcer.

Mario Bava n'a visiblement le cœur à rien. Malgré le sujet, il n'y a aucun de ses fameux effets de lumière ni de ses jeux habiles sur les décors. L'empilement anarchique de scènes ne reculant devant aucun excès échoue à créer une folie pop comme dans le contemporain et collectif Casino Royale. A vrai dire, Bava n'est pas à l'aise avec la comédie comme il le prouvera encore avec Roy Colt e Winchester Jack (1970). La version américaine est remontée sans sa participation, et la musique de Lallo Gori remplacée par une partition de Les Baxter. Mario Bava détestait le film et comme il n'y a pas de justice, ce fut l'un de ses plus gros succès au box-office italien. A moins d'être un fan de Franco et Ciccio, on s'ennuie vite, et l'on regarde passer les jambes des jeunes femmes. Bava pourra se rattraper l'année suivante avec son superbe Diabolik. Pas tout à fait de l'espionnage, mais du grand cinéma.

En complément de ces deux éditions, Alain Petit pour le premier et Eric Peretti pour le second, apportent leurs éclairages érudits sur le genre et les coulisses des deux films.

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