2014, des films (1er semestre) (28/12/2014)

Galvanisé par l'impressionnant travail de FredMJG qui est partie sur un bilan de son année 2014 avec une note par mois (!), je me lance dans un exercice que j'ai jusqu'ici toujours repoussé : faire le bilan complet d'une année de cinéma. C'est à dire bien au-delà des films vus en salle, toujours peu nombreux, mais ce qui me permet de me replonger dans ce qui fut pour moi le mouvement de 2014. Que mes lecteurs chéris se rassurent, je vais me limiter à deux notes, une par semestre.

Le premier film de l'année a son importance et j'essaye toujours de commencer par quelque chose d'inédit et d'excitant, soit par un classique ayant fait ses preuves. Plongé depuis quelques temps dans le gothique italien, je démarre avec La notte dei diavoli (1972) du vétéran Giorgio Ferroni avec Gianni Garko, une variation sur l’épisode Les Wurdalak déjà illustrée par Mario Bava dans I tre volti della paura (Les trois visages de la peur – 1963), lui même inspiré d'une nouvelle de Tolstoï. Le film possède une atmosphère angoissante réussie malgré une esthétique qui tire sur les années 70, la photographie surtout, et puis Garko réussi un joli voyage au bout de la folie. J’enchaîne avec Nattlek (1966) un film de la réalisatrice suédoise Mai Zetterling dont j'avais beaucoup aimé le premier opus, Älskande Par (Les Amoureux – 1964). Toujours sous une relative influence bergmanienne, le film est plus âpre mais fascinant. Ingrid Thulin est au centre d'une intrigue complexe culminant avec une scène d'inceste dérangeante.

De retour à la maison, j'ai reçu quelques DVD de classiques de la Hammer films. Une envie venue avec ma période fantastique all'italianna. Je découvre enfin Curse of the wherewolf (La nuit du loup garou – 1961) et revoit avec plaisir le fondateur Horror of Dracula (Le cauchemar de Dracula – 1958) tous deux de Terence Fischer. Le premier me déçoit un brin côté récit malgré la très belle direction artistique. Le second est une révélation. Je ne l’avais vu jusqu'ici qu'à la télévision en noir et blanc, il y a donc bien longtemps. Le travail sur les couleurs et la mise en scène avec ses accélérations brutales et le contraste entre les interprétations de Peter Cushing et Christopher Lee m'emballent. Dans le salon plongé dans le noir et le silence, j'ai presque peur. De Fisher, histoire de compléter sa filmographie, je découvre aussi dans la foulée The devil rides out (Les Vierges de Satan - 1968). Le film a très bonne réputation chez les admirateurs du réalisateur et je ne les contredirais pas. Le film est aussi original qu'efficace dans son traitement. Fisher arrive à provoquer une véritable angoisse avec des effets sobres, l'attente, le son, la lumière. Les quelques effets plus mélodramatiques ont un peu vieillit, mais cela ne pèse guère face à l'atmosphère d'ensemble. Encore un peu de fantastique, assez différent, avec le Opéra (1987) de Dario Argento qui manquait à mon palmarès. Le film a fait couler pas mal d'encre et pour beaucoup, il est le début d'une pente artistique qui n'a cessé de glisser. Je n'aime pas non plus l'utilisation du hard-rock dans les scènes de meurtre, pas plus que cette musique d'une façon générale. Mais je trouve pas que cela nuise tant que cela au film. Après tout, Argento a toujours eu des accès d'un goût curieux, douteux diront certains, mais ici il maintient l'équilibre et cela fait partie à sa façon de son cinéma. La musique des Goblin est elle très réussie et Christina Marsillach superbe. Pour parachever le cycle, je montre à ma fille King Kong, le premier, le seul, celui de 1933. Je lui avais promis l'année de ses sept ans, comme je l'avais découvert moi-même. Je poursuis la transmission.

2014

Nous recevons à Nice les cinéastes Joseph Morder et Gérard Courant. Le premier présente L'arbre mort (1987), vaste poème en super 8 où Nice devient ville des tropiques où l'on tombe amoureux de femmes sublimes qui laissent le vent jouer dans leurs robes et leurs cheveux. Le second présente le portrait plein d'humour du premier, et vivent les Morlocks ! Ce sont mes premiers films en salle de l'année. J'y retourne en compagnie de ma fille pour Kaze tachinu (Le vent se lève) de Hayao Miyazaki qui annonce sa retraite. Je vais rester sec pour ce qui est d'écrire sur ce film, ne dépassant pas les dix lignes. Il y avait pourtant beaucoup à dire. Beaucoup a été écrit, le plus souvent sur le ton de la révérence avec comme une pointe d'agacement pour ce fichu japonais dont les films ridiculisent à peu près tout ce qui se fait aujourd'hui. « Ridiculiser » n'est peut être pas le terme juste, mais devant ses films, on retrouve ce que l'on aime profondément dans le cinéma et qui manque tant de fois à tant de films au point que l'on se dit qu'on l'a perdu. Mais non ! Le souffle, l'émotion artistique, la précision dans la description d'une petite herbe folle et l'intensité spectaculaire de ce tremblement de terre qui souffle comme un monstre mythologique, la construction burlesque de la scène de l'avion de papier, la peur langienne des ombres nazies sur les murs, la délicatesse d'un rendez-vous amoureux, la pudeur, l'humanité, la vie, toujours ce sens de l'air et de l'eau. Miyazaki remet les pendules à l'heure, intime et universel, épique et délicat. Tous derrière et lui devant.

Pas de festival de Clermont-Ferrand cette année pour cause d'emploi du temps. Je me console avec quelques westerns américains des années cinquante où passent les visages de Maureen O'Hara, Mara Corday, Yvonne DeCarlo, Martha Hyer et sa robe rouge, et puis je redécouvre Elsa Martinelli au bain dans Indian Fighter (La rivière de nos amours – 1954). Je reviens à quelques gothiques italiens avec Barbara Steele histoire de nourrir ma semaine consacrée à la belle sur Inisfree, puis à quelques westerns italiens signés Giuliano Carnimeo pour un ensemble de chroniques destinées aux Fiches du Cinéma. Ce qui est amusant est que j'avais découvert ces films dans un coffret acheté en Allemagne il y a deux ans mais, malgré le plaisirs pris à ces films, je n'avais pas pu écrire dessus. Je me rattrape donc, d'autant plus volontiers que les films résistent bien à une seconde vision. Dans le lot, il y a également le très intense Per 100 000 dollari t'ammazzo (Le jour de la haine - 1968) de Giovanni Fago qui va m'entraîner sur d'autres pistes un peu plus à l'ouest.

2014

J'aime bien suivre les conseils de mes collègues. Une image de Rossana Podesta sur Nage nocturne me pousse illico à acheter et visionner La red (Le filet - 1953) d'Emilio Fernandez. Suivant ceux de Griffe je découvre Orléans (2013) de Virgil Vernier qu'il avait mis dans son palmarès 2013. Suivant ceux de Christophe, je reviens sur un vieux souvenir télévisuel avec Tendre Poulet (1978) de Philippe De Broca où j'apprécie en effet l'histoire d'amour naissante entre Giradot et Noiret. Gérard Courant m'envoie deux films de Werner Schroeter pour m'initier à l'univers du cinéaste. Je suis séduit par le superbe Willow Springs réalisé en 1973 et en Amérique avec un trio féminin à tomber : Magdalena Montezuma, Christine Kaufmann, Ila von Hasperg. Outre la beauté des images et la manière très sensuelle de filmer ses actrices, le film adopte la forme d'un suspense pour surprendre à chaque instant en se décalant par rapport aux règles du genre. Je rattrape le documentaire original L'Image manquante de Rithy Panh. Pour les fiches, je me plonge dans les tréfonds du cinéma avec un trio de films de Ninjas gratinés, réalisés selon la technique du « deux en un », soit un film acheté au mètre mélangé à de nouvelles scènes tournées à la va-vite. De l'escroquerie sur pellicule parfois drôle à force de nullité.

2014

Revenons aux choses sérieuses avec une série de chefs-d’œuvre signés Franck Borzage. Cela restera pour moi le grand moment de 2014 avec quatre sommets de la transition entre muet et parlant, mélodrames autour du couple Janet Gaynor et Charles Farrell, et puis The river (La femme au corbeau) avec Farrell et Mary Duncan à la place de Gaynor. J'avais découvert le film en salle il y a pas mal d'années mais le lyrisme de certaines scènes, l'incroyable érotisme qui passe dans la relation entre les deux protagonistes sont toujours aussi intenses. Du coup je n'ai plus trop envie de voir autre chose et j'enchaîne avec sa version de Liliom en 1930, Farrell toujours, mais guère plus convaincu qu'avec la version de Lang tournée quelques années plus tard lors de son passage en France. Je revois aussi Three comrades (1938) que j'avais découvert, lui, en son temps au cinéma de minuit. Ce devait être ma première et décisive rencontre avec Borzage. Je verrais enfin un film très curieux Strange cargo (1940), parabole christique avec Clark Gable, la satinée Joan Crawford, et Peter Lorre dans un joli rôle de faux-cul. Quand on voit la puissance de la mise en scène de ce réalisateur, son inventivité constante, sa façon d'être à la fois dans son époque, dans la précision de ce qu'elle est, dans une morale et en même temps dans un monde irréel construit sur une poétique intime, je me dis une nouvelle fois que quelque chose s'est perdu en route. Mais je constate que c'est ce que je pense aussi à propos de Miyazaki, et que, mais si, il y a une continuité. Du moins que rien n'est perdu, qu'il faut juste les hommes (ou les femmes, pas de discrimination, hein) qu'il faut pour perpétuer la flamme.

Après cela, je trouve bien pâle le succès de Guillaume Gallienne Les Garçons et Guillaume, à table ! (2013). Zoome arrière m'amène à découvrir, enfin, In harm's way (Première Victoire – 1965) de Otto Preminger avec une jolie romance vieillissante entre John Wayne et Patricial Neal et puis la danse impudique de Barbara Bouchet. Un couple intéressant aussi dans Hustle (La cité des dangers - 1975) de Robert Aldrich avec Catherine Deneuve et Burt Reynolds. Je montre à ma fille la trilogie Back to the future et La Marseillaise (1938) de Renoir.

2014

Je me décide enfin à voir Pilgrimage (1933) de John Ford. Dans son livre, Joseph McBride met le film très haut mais, allez savoir pourquoi, il est resté trois ans sur mes étagères. Après Borzage, je reste au sommet. Là encore, je ne dépasserais pas quelques lignes pour Inisfree. Le film m'a peut être trop secoué. L'histoire de cette mère qui envoie son fils à la guerre où il y reste, plutôt que de lui voir épouser une femme qu'elle estime indigne de lui, est du très grand Ford, nous faisant passer du mélodrame à la comédie et à la pure tragédie d'un plan à l'autre, avec une aisance, une assurance qui laissent la bouche ouverte et l’œil humide, avant de vous diffuser une impression profonde et durable, et ce sentiment que l'humanité a un bon fond malgré tout ce qui nous en fait douter chaque jour. Et puis Ford avec ce film casse une nouvelle fois les images toutes faites qui existent sur lui. Voilà un film dont le protagoniste est une mère égoïste et butée, une femme d'un certain âge rien moins que sexy. Comme je l'ai lu quelque part, Hannah Jessop jouée avec justesse par Henrietta Crosman, est une première version du Ethan Edwards que John Wayne interprétera 23 ans plus tard. Pour m'en remettre, rien ne vaut une vison semestrielle de The quiet man (L'homme tranquille – 1952).

Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot où Catherine Deneuve joue son âge est sympathique mais anecdotique. Giovanni Fago, disais-je un peu plus haut. Je vois son O' Cangaçeiro de 1970 avec Tomas Milian parlant à sa vache avant de devenir bandit pour la venger. Le cangaceiro, c'est une sorte de bandit d'honneur ayant sévi dans la région du Sertão au Brésil avec une dimension sociale et politique. Quoiqu'en dise le réalisateur, ce film d’aventures picaresques et mystiques tourné sur place avec de superbes extérieurs, a plein de liens avec le western italien. Mais par un intéressant effet de ricochets, il m'amène à voir le O Cangaceiro de 1953 signé Lima Barreto avec sa fameuse chanson que Fago avait récupérée. Puis, suivant les conseils avisés de Frédérique via Zoom Arrière, je passe à du plus authentique avec deux films de Glauber Rocha. A ma grande honte je n'avais jamais rien vu ce ce représentant emblématique du cinéma novo, nouvelle vague du cru.

2014

Il est temps d'aller faire un tour à Cannes. Petit tour cette année, mais qui me permet de voir deux films admirables Timbuktu d'Abderrahmane Sissako et Le Conte de la princesse Kaguya de Isao Takahata. Du coup Miyazaki sera moins seul. Bonne surprise avec le film de Ken Loach et l'histoire hongroise avec des chiens, White God de Kornel Mundruczó. Moment pénible avec le film d'Olivier Assayas. Bilan globalement positif.

Comme j'ai terminé le roman de H.R.Haggard, je vois la version 1937 de King Solomon's mines (Les Mines du Roi Salomon) signée Robert Stevenson. Comme c'est le 6 juin, je montre à ma fille The longest day (Le jour le plus long – 1962) et passe un moment à lui expliquer qui sont les américains, les allemands, les anglais, etc. Puis je la délasse avec l'agréable E per tetto un cielo di stelle (Ciel de plomb - 1968) de Giulio Petroni avec le beau Giuliano Gemma. Comme il est arrivé premier pour l'année 1967 sur Zoom arrière, je découvre avec délice le I walked with a zombie (Vaudou – 1943) de Jacques Tourneur. Comme je me plonge dans une histoire de la guerre d'Espagne, après un court séjour à Barcelone, je revois une version en espagnol de L’Espoir d'André Malraux, sur youtube et sans sous-titres. Je n'y retrouve pas vraiment mes lointains souvenirs d'enfance, mais le film est intéressant. Je termine ce semestre avec Park Row, dynamique histoire de journalisme plein d'encre, de fureur et de conviction signée Samuel Fuller. Bientôt l'été...

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