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19/11/2013

Soutien à Mohammad Rasoulof

Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof rencontre de nouveaux problèmes avec les autorités de son pays. Il semblait évident, après la projection de son dernier film dans la sélection Un Certain regard à Cannes en mai 2013, qu'il serait délicat de retourner en Iran. Rasoulof a pris le risque il y a un peu plus d'un mois et s'est vu confisquer son passeport dès son arrivée, comme l'explique un article de Rue 89. Il se retrouve "interdit de quitter le territoire alors qu’il vit avec sa famille en Allemagne". L'information est restée discrète, peut-être en rapport avec les tentatives de dialogue actuel entre Iran et Occident. Néanmoins, les organisateurs du Festival du film de Stockholm ont manifesté le 12 novembre devant l'ambassade d'Iran en Suède, les yeux bandés de tissus noirs en observant plusieurs minutes de silence.

"Si on m'ôtait le droit de tourner et de montrer mes films, j'aimerais que mes confrères se mobilisent", a déclaré le réalisateur suédois d'origine égyptienne Tarik Saleh.

Dans ce contexte, je relaie l'appel de soutien lancé par Marlène, artiste établie à Mouans-Sartoux :

(…) L'objectif est de récolter un maximum de signatures et d’emails de soutien pour aider pacifiquement Mohammad Rasoulof à retrouver très vite son passeport, sa liberté de circulation et de création. Son dernier film Les Manuscrits ne brûlent pas a reçu le Prix Fipresci par le Jury Œcuménique dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes. A cette occasion, Mohammad Rasoulof avait pu se rendre au Festival  pour y recevoir sa récompense en main propre. Mais depuis, il  a été interdit de sortie du territoire iranien et n’a pu assister ni au Festival de Hambourg,  ni à celui de  Stockholm. Merci d'envoyer votre soutien à Mohammad Rasoulof  à l’adresse suivante : marleneartstyle@gmail.com

 

05/06/2013

Cannes 2013 : Les manuscrits ne brûlent pas

Cette année, il n'y a pas eu que le film d'Abdellatif Kechiche à ne pas avoir de générique de fin. Mais si pour le réalisateur palmé ce n'est que certainement une question de temps, Mohammad Rasoulof n'a pas mentionné son équipe artistique et technique pour des questions de sécurité. Son film, Dast-neveshtehaa nemisoozand (Les manuscrits ne brûlent pas) au titre inspiré par le titre d'un livre de Mikhail Boulgakov est à ma connaissance la première attaque frontale du régime iranien. Il s'éloigne radicalement des allusions et métaphores poétiques en cours depuis plus de trente ans pour donner un thriller politique sombre, voire désespéré, qui démonte avec précision les mécanismes de la censure ordinaire et de la répression des intellectuels et artistes. Il expose sur l'écran la face sombre du pouvoir. « J'appelle un chat un chat et et Rollet un fripon »disait Boileau, Rasoulof montre avec la même franchise la friponnerie ordinaire qui se décline en manipulation, intimidation, espionnage, séquestration et meurtre.

cannes 2013,mohammad rasoulof

A ce point j'exprime le vif regret que les médias, l'imposant pack cannois de radios, journaux et télévisions venus du monde entier, n'aient pas consacré une fraction du temps consacré aux ébats des héroïnes de Kéchiche ou du nombre d’huîtres par techniciens pour se préoccuper un peu plus d'un réalisateur qui a mis ses tripes sur l'écran, ça et le reste. Dast-neveshtehaa nemisoozand a été conçu et réalisé dans la clandestinité, tourné sur place et achevé en Allemagne, en prenant des risques que l'on ne me sure pleinement qu'au terme des 125 minutes du film. Rasoulof relativise d'un coup la notion de courage au cinéma, comme il réaffirme sa foi dans son art à rendre compte du monde comme il va mal, à en être le témoin engagé au cœur d'une réalité douloureuse. Il est ainsi éloigné au possible des donneurs de leçons et du chœur des pleureuses, mais je ne vise personne. Du coup j'en avais un peu mal au cœur de lire les quelques lignes dans Libération avec cette phrase : « (…) font passer au second plan la question d'une mise en scène qui ne peut, de toutes façons, que s'effacer ». Qu'est-ce que ça veut dire ? Que le film pourrait être mauvais (il ne l'est pas) que l'on en parlerait quand même pour son contexte ? Que c'est ce contexte qui justifie, comme certains le pensent, la présence du film à Un Certain Regard ? Que l'on devrait ignorer l’œuvre devant la force du témoignage ? Rasoulof et son équipe ont fait un film. Comme on voit dans celui-ci un poète faire de la poésie. Parce que c'est leur métier, leur vocation, leur engagement. « Effacer la question de la mise en scène », c'est mépriser l'essence de leur travail et le sens profond du film. Le contexte et l’œuvre, bon sang !

Rappelons donc ce contexte. Mohammad Rasoulof est un jeune réalisateur né dans le sud de l'Iran qui est révélé par Jazireh Ahani (La vie sur l'eau – 2005), film d'une grande beauté visuelle qui utilise la métaphore à travers le portrait d'un groupe replié sur lui-même, vivant dans un grand cargo abandonné aux ordres d'un capitaine, tyran tranquille. En 2009, lors de la répression suite aux élections truquées de mars, le réalisateur présente son nouveau film Keshtzar haye sepid, toujours inédit, au festival de San Sebastian. Il évoque alors la situation dans son pays. La réaction ne se fera pas attendre. Alors qu'il prépare son prochain film avec Jafar Panahi, les deux hommes et leur équipe sont arrêtés. Ils sont condamnés à de la prison et à vingt ans d'interdiction de tournage. Néanmoins, Rasoulof présentera en 2011 Bé omid e didar (Au revoir) à Cannes, toujours à Un Certain Regard, film tourné semi-clandestinement, toujours dans un registre réservé, et qu'il ne pourra venir présenter, retenu en Iran. Il accompagne cette fois son film, entouré de son équipe, mais tous ou presque sont sortis du pays et il semble peu probable qu'ils y retournent sans risque aujourd'hui.

cannes 2013,mohammad rasoulof

L’œuvre donc. Dast-neveshtehaa nemisoozand relate les manœuvres de basse police autour du manuscrit d'un écrivain, opposant au régime, racontant dans ses mémoires la tentative d’assassinat collectif d'un groupe d'intellectuels devant se rendre à un congrès. Leur bus devait être précipité dans un ravin par leur chauffeur. L'attentat était commandité par un homme de pouvoir, mais il a échoué et sa révélation est embarrassante. Cet homme, Morteza, met tout en œuvre pour retrouver les copies du texte. Il utilise pour ce faire les services de deux hommes, police parallèle et politique entre barbouzes et nervis, petits truands et tueurs, mais convaincus. On pense à l'affaire Ben Barka ou aux méthodes du stalinisme triomphant. Intimidations, chantage, discrédit, enlèvement, élimination de témoins et meurtre, toute la panoplie est déployée. Dans son approche précise et détaillée des mécanismes de la répression, Rasoulof retrouve les accents du cinéma d'un Costa-Gavras dans les années 70, État de siège (1972) en particulier, ou encore le Garage Olimpo (1999) de l'argentin Marco Bechis, avec cette atmosphère lourde, paranoïaque, et ces couleurs sombres, ocres, gris et bleus. Nombre de scènes se situent dans des intérieurs calfeutrés, lors de petits matins blêmes, photographiés dans l'esprit du film noir. Le réalisateur renforce cette esthétique d'une atmosphère hivernale où la glaciation des cœurs et des esprits trouve un écho dans le froid et la neige qui règnent à l'écran.

La force du film tient à sa structure qui fait perdre les repères temporels, le film fonctionnant en boucle d'une part, et par plusieurs flashbacks qui ne sont pas identifiés comme tels d'autre part. Seules certaines allusions permettent au spectateur de reconstituer le temps du récit. Cela permet de ménager suspense et surprises, d'accroître la tension, mais aussi de faire ressentir ce que vivent les personnages persécutés, pour lesquels le temps s'étire jusqu'à se figer dans des attentes angoissantes. Rasoulof use aussi de nombreux plans séquences pour gérer son rythme, régulier mais lent. Mais ce procédé, qui n'a rien ici de gratuit, est également une façon pour le réalisateur de faire découvrir ses personnages par fragments de temps, d'amener le spectateur à les reconstruire comme il l'a fait pour le récit. Car l'autre originalité de ce film, c'est de nous mettre largement du point de vue du tueur. Le personnage principal est un exécutant de base, un homme ordinaire que l'on verra symboliquement se fondre dans la foule anonyme à la fin. Au fil des scènes, nous découvrons sa famille, son jeune fils qui doit être opéré, sa femme qui attend à l’hôpital, et ses soucis avec un virement qui n'arrive pas. Nous comprendrons plus tard que cet argent et le prix de ses meurtres commandés. Et pourtant, au détour d'une de ses nombreuses conversations téléphonique, il déclare ne pas agir pour l'argent mais pour Dieu. Rasoulof n'insiste pas sur ce point. Simplement nous modifions notre point de vue sur lui, passant par des phases où il est presque sympathique et d'autres où il est glaçant de violence froide. Une des grandes trouvailles de mise en scène est cette simple pince à linge dont le tueur s'empare presque machinalement après s'être préparé un sandwich dans le frigo du poète qu'il séquestre. Ce qu'il fera plus tard de cette pince, sa manière de le faire, sont proprement terrifiants. De la même façon, son collègue, plus à distance, nous montre tour à tour son amitié pour l'homme qui partage sa mission et son côté impitoyable quand nous le devinons éliminer un enfant témoin d'une tentative d'exécution.

Parfaitement interprété, le film explore les différentes façon de se tenir (du moins de tenter) face au pouvoir : composer, collaborer, se mettre à l'écart, résister ou en être, organiquement, l'émanation. Ce pouvoir tout puissant et sans aucun scrupule ne laisse aucune porte de sortie. Le film est donc d'un pessimisme total, uniquement tempéré par sa propre existence. En le faisant exister à tout prix, Mohammad Rasoulof confirme qu'il est un réalisateur majeur, et son film est une date, dans l'historie du cinéma iranien comme dans celui du film politique. Et parler de sa mise en scène comme de son contexte est le moindre des hommages à lui rendre.

Photographies DR

02/06/2011

Cannes 2011 : femmes

Dans un art toujours très dominé par les hommes, les personnages féminins restent les vecteurs privilégiés pour parler du monde comme il va. Surtout comme il va mal. Comme au bon vieux temps des cinémas de genre, la femme est d'abord victime idéale et face à la démission des hommes, ses combats désespérés n'en sont que plus beaux et j'en ai vu quelques uns qui sont purs sanglots.

« We need to talk about Kevin » ne cesse de répéter Éva à son mari trop débonnaire. Kevin est leur fils et ce n'est pas un cadeau. Bébé braillard, il donne lieu à un excellent gag lorsque la mère stoppe le landau près d'un marteau piqueur en action pour souffler un moment. En grandissant, cela ne s'arrange pas et Kevin prend une place de choix dans la série des sales gosses, entre les adolescents de Gus Van Sant et la petite Regan de William Friedkin. Lynne Ramsay, réalisatrice anglaise jusqu'ici plutôt portée vers un registre délicat (Le court Gasman en 1998, Ratcatcher en 1999 et Morven Callar en 2002) propose une mise en scène très travaillée, brillante par moments avec une construction éclatée dans le temps (sur près de vingt ans), une photographie sophistiquée signée Seamus McGarvey (qui a fait la photographie magnifique de Love you more (2008) de Sam Taylor-Wood) et des cadrages très pensés. Trop peut être. L'ensemble est surtout très voyant et m'a plutôt évoqué le travail de Dario Argento (utilisation de la couleur rouge, grands espaces modernes et froids qui créent l'angoisse, utilisation du format Scope) et de Brian De Palma (Les scènes choc, la gestion du hors champ). Je n'attendais pas forcément Ramsay de ce côté. Mais si le film intrigue et fait illusion au début, son côté systématique et le manque de finesse des effets ne tiennent pas la distance. Très rapidement, le spectateur prend de l'avance sur le film. Par exemple quand la petite sœur reçoit un cochon d'Inde pour Noël, on devine de suite que la pauvre bestiole va mal finir. Toute à ses effets, Lynne Ramsay accumule les trous de scénario, incohérences et invraisemblances. Le traitement des personnages n'arrange rien. Sans nuance, le père est l'Absence, la fillette l'Innocence, Kevin le Mal. Souligné, surligné, nous avons compris. La mère, portée par la prestation habitée de Tilda Swinton est plus intéressante même si ses réactions sont difficilement compréhensibles. Pour des parents issus d'une classe aisée, leur incapacité à réagir dès la petite enfance aux étrangetés de leur progéniture est dure à avaler. Le jeu de l'actrice tient trop de la performance pour laisser place à une véritable émotion. Cela se voit trop. Cela ne se voyait pas chez Ellen Burstyn dans The exorcist (1973).

Tout aussi stylisé mais nettement plus réussi, Miss Bala du réalisateur mexicain Gerardo Naranjo nous plonge via son héroïne dans la terrifiante atmosphère de guerre des gangs du côté de Tijuana (on parle de 20 000 morts en 5 ans). Stéphanie Sigman joue Laura, jeune fille pauvre qui rêve de devenir reine de beauté d'un concours télévisé. Pas de chance, elle se retrouve prise dans une fusillade et tape dans l'œil du truand Lino Valdez (Noe Hernandez) qui la manipule pour la faire travailler dans son gang. Ballotée de passage d'armes à la frontière avec les USA en dépôt de cadavre, de torture en fusillades, elle est réduite à une chose dont on use et abuse, plongée dans un monde de cauchemar, absurde et violent, sans logique et sans espoir. La mise en scène de Naranjo, très pensée elle aussi, rend parfaitement ce sentiment d'impuissance en épousant au plus près le point de vue de Laura. Ce partit pris tenu de bout en bout lui permet de donner une certaine originalité à des scènes assez classiques (embuscades, fusillades), jouant sur le son et le hors champs. Quelques belles idées donnent de l'intensité et à chaque scène de l'originalité. C'est ainsi que le décor est plongé dans l'obscurité, que les balles se déchaînent autour d'une Laura couchée au fond de sa voiture, que la révélation finale passe par des paires de chaussures vues de dessous le lit où elle s'est réfugiée. Naranjo utilise aussi les cadrages pour donner à lire partiellement une action qui déborde sur les côtés ou dessous le cadre. Le réalisateur entretient habilement l'ambiguïté sur son couple principal. Laura, victime, n'en subit pas moins la fascination de son bourreau, sentiment mêlé de résignation. Lino laisse, lui, poindre un embryon de sentiment pour la jeune fille qui humanise un peu la bête. Mais comme le général chargé de le traquer, il abuse de Laura dans la même position plutôt avilissante. Bien qu'un peu systématique dans ses effets, Miss Bala ne manque ni de souffle, ni d'intensité, sans sacrifier à la réflexion sur un pays ravagé par la violence, réflexion toujours intégrée dans l'action (les échanges avec les USA, la corruption, le fonctionnement des gangs) sans la parasiter. Laura prend valeur de symbole et le jeu de Stéphanie Sigman en vaut bien d'autres plus acclamés.

Bonnes nouvelles en provenance d'Iran, les cinéastes Mohammad Rasoulof et Jafar Panahi tournent toujours en dépit de leur condamnation à ne plus exercer leur métier. Certes les films ont été faits en semi-clandestinité, c'est à dire qu'ils n'ont pas eu l'autorisation mais qu'on les a laissé faire, mais ils existent. Rasoulof a même été autorisé à se rendre à l'étranger et l'on a cru un moment qu'il viendrait à Cannes recevoir son prix de la mise en scène.

Bé omid e didar (Au revoir) a été présenté dans la sélection Un certain regard et s'il ne faut pas oublier le contexte ni les conditions de sa réalisation, il convient d'en parler en en faisant abstraction autant que possible. Et d'aborder l'œuvre en tant que telle. Bé omid e didar est le portrait d'une jeune avocate jouée par la talentueuse et belle Leyla Zareh (quelle robe elle avait lors de la présentation du film !). Spécialisée dans les affaires liées aux droits de l'homme, elle est enceinte. Son époux a été exilé dans le sud ou il travaille comme ouvrier sur un chantier après avoir été journaliste pour une publication interdite. Elle se voit retirer ses affaires. On l'empêche de travailler. Isolée socialement et professionnellement, elle jette l'éponge et veut partir. Quitter l'Iran. Elle entreprend alors une course d'obstacle pour se procurer un passeport et un ticket pour ailleurs. « N'importe où » dit-elle sans illusion. Visuellement, ce nouveau film tranche avec Jazireh ahani (La vie sur l'eau – 2004), au foisonnement des personnages répond la solitude de l'avocate tandis que le film décline toute une gamme de couleurs sombres et froides, un aspect renforcé par l'utilisation de la vidéo, qui se justifie par son côté pratique, bien sûr, mais aussi dans la description d'un quotidien bouché. Les intérieurs sont nombreux, bureaux, chambres d'hôtel et appartements, étroits et se ressemblants tous. Murs bleutés ou gris, mobilier impersonnel, pas de fantaisie. Pas de personnalité ou alors par toutes petites touches comme le vernis à ongles qu'il faudra enlever ou la petite tortue d'eau que l'avocate nourrit avec attention et qui finit, elle, par se faire la malle. La caméra de Rasoulof cadre avec rigueur les pièces où l'on ne peut rien cacher et les toits où son héroïne va griller une cigarette. Les mouvements sont rares et discrets, Rassoulof préférant jouer du montage et de plans séquence qui traduisent l'absence d'intimité et la sensation d'étouffement (la scène de la perquisition). Il s'attarde longuement sur les traits de Leyla Zareh tandis que le monstre étatique reste sans visage, comme cet étroit guichet où l'on fait passer les passeports pour les contrôler ou le bureau du responsable des faux passeports où l'on entre jamais. Kafka à Téhéran. Démarches toujours renouvelées, règne de l'arbitraire, violence feutrée, surveillance de tous les instants et toujours ce sentiment de danger qui ne quitte jamais et use les nerfs. Bé omid e didar est un film sur la difficulté qu'il y a à conserver l'espoir, exorcisme en forme de fiction des peurs et des angoisses présentes de son auteur. Il y a pourtant, de-ci, de-là, quelques touches humoristiques, cette légèreté que j'avais aimé dans Jazireh ahani. C'est un humour grinçant mais révélateur d'un regard porté sur les êtres. Ainsi l'employé qui vient retirer la parabole interdite de l'avocate, motif cher au cinéaste (voir son documentaire de 2008 Baad-e-daboor) ou le ballet inutile des policiers qui perquisitionnent. Mohammad Rasoulof nous livre un film sombre et carré, un autoportrait en avocate, il donne de ses nouvelles, inquiétantes en ce qui concerne l'homme, rassurantes en ce qui concerne son cinéma.

16/05/2011

Cannes jour 3

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Bé omid e didar de Mohammad Rasoulof, Les neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian et Habemus papam de Nanni Moretti, belle journée.

09/01/2011

Pour Mohammad Rasoulof

Texte de présentation de la séance du dimanche 9 janvier 2011

Vous allez assister à une séance très particulière de cette série de projections de soutien aux cinéastes iraniens récemment condamnés puisqu'il s'agit de celle consacrée à Mohammad Rasoulof, réalisateur, scénariste et producteur dont nous allons vous présenter le seul film disponible en France à notre connaissance : Jazireh ahani (La vie sur l'eau.)

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Quand Philippe Serve de Cinéma Sans Frontières, le grand architecte de ces journées, m'a proposé d'animer la présentation de ce film, j'ai tout de suite accepté. Je ne connaissais pas du tout Mohammad Rasoulof ni son travail et à Regard Indépendant, nous adorons montrer des films que nous ne connaissons pas de gens qui sont peu ou pas connus, de Jérémie à Lenoir à Gérard Courant en passant par Jean Rollin.

Je pense que nombre d'entre vous êtes dans mon cas aussi nous allons faire connaissance avec ce jeune réalisateur. Il est né en 1973 à Shiraz, une ville assez importante du sud ouest iranien. 6e ville du pays, elle a été brièvement capitale de la Perse au XVIe siècle. Rasoulof y fait des études de sociologie puis bifurque vers le montage qu'il étudie à l'université Sooreh de Téhéran.

De 1991 à 1999, il réalise 6 courts métrages proches du documentaire puis en 2002 un premier long Gagooman que l'on trouve sous le titre anglais the twilight, le crépuscule, mais n'est pas sortit en France à notre connaissance. Le film suivant est celui que nous allons voir et qui le révèle au niveau international. : Jazireh ahani (la vie sur l'eau) en 2005 circule dans les festivals (primé à Telluride, Karlovy Vary et Toronto). En France, il fait partie de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Il est également disponible en DVD.

Mohammad Rasoulof revient au documentaire en 2008 avec Baad-e-daboor, un moyen métrage sur un sujet très sensible : L'accès à Internet et les antennes paraboliques en Iran qui sont un enjeu entre le pouvoir et la population, le premier cherchant à contrôler ce que voit la seconde et la seconde ayant développé une véritable économie parallèle, installant du matériel non bridé avec de grands risques, comme on a pu le voir dans le film de Saman Salour : Taraneh Tanhayie Tehran (Le chant solitaire de Téhéran - 2008). C'est bien sûr un film critique sur la gestion des media par la pouvoir.

Il aide ensuite le jeune cinéaste Vahid Vakilifar en produisant le film Gesher.

En 2009 suit un nouveau long métrage, Keshtzar haye sepid dont le titre anglais est The white meadow, la prairie blanche. Le sujet du film, plutôt poétique est très intriguant puisqu'il s'agit d'un homme chargé de recueillir les larmes des habitants d'un groupe d'iles. Le film se fait dans des conditions difficiles, à la fois logistiques (lieux de tournage) et à cause de la pression de la censure qui s'inquiète de la charge critique du film et refuse les permissions de tournage, situation que Jafar Panahi a dénoncée par ailleurs.

Achevé, le film commence à circuler dans les festivals européens. Lors de la projection en sélection officielle au festival de San Sebastian, Rasoulof critique le régime. Nous sommes en plein pendant la période des élections truquées de 2009. Son intervention est particulièrement mal vue à Téhéran. On lui refuse d'aller à Berlin présenter son film et il est arrêté avec Panahi le 1er mars 2010. Ensemble, ils préparaient un film inspiré des événements politiques consécutifs aux dernières élections iraniennes. Sont également arrêtés une quinzaine de personnes dont le directeur de la photographie de Rasoulof : Ebrahim Ghafori. Rasoulof est libéré assez rapidement contrairement à Panahi qui est retenu juste ce qu'il faut pour qu'il n'aille pas à Cannes occuper son poste de juré.

En décembre, Rasoulof est condamné. Le verdict retient deux motifs : une peine de 5 ans de prison pour “assemblée et collusion contre la sécurité nationale”, et une autre d’un an de prison pour “perturbation de l’opinion publique en faisant un film sans autorisation”.

Dans l'exposition médiatique qui suit cette histoire, Jafar Panahi est mis en avant : il a son renom international, les larmes de Binoche, le siège vide de juré à Cannes. On a tendance pour le grand public à reléguer Rasoulof à deux ligne. Il est « le cinéaste également arrêté en sa compagnie ». Il ne s'agit bien évidemment pas d'opposer deux hommes qui partagent les mêmes engagements et subissent les mêmes peines, mais était important de bien les associer dans les actions de soutien.

Comme le rappelait Philippe en ouverture de ces journées, la censure envers le cinéma, et les autres arts, a toujours existé. C'est un rapport de force ou le pouvoir tente d'empêcher que les choses soient dites ou montrées. Lutter contre cela, c'est faire en sorte que l'on montre ce que l'on veut nous cacher, les œuvres, et c'est là je pense que nous trouvons, associations cinéphiles, notre légitimité.

Avec mon optimisme proverbial, je dirais qu'en faisant connaître Mohammad Rasoulof et en montrant son film, nous remportons une victoire, toute modeste soit elle, sur le pouvoir qui voudrait qu'on l'ignore. Pour les prisonniers d'opinion, les prisonniers politiques, il est important qu'on dise leur nom et que l'on parle d'eux, ceux qui meurent, ce sont ceux que l'on oublie.

Et concernant les œuvres, les censure peuvent remporter des victoires, parfois douloureuses, mais elles ne gagnent pas tant qu'il y a des gens qui bataillent pour montrer. Pour rester en France, c'est vrai que la censure à interdit, saisi le film de Paul Carpita Le rendez-vous des quais  (1953). Mais le film a été retrouvé, restauré, montré enfin, et Paul a encore pu faire deux longs métrages. Aujourd'hui le film fait partie de la grande histoire du cinéma.

Il y a une chanson américaine populaire que j'aime bien, Streets of Laredo. C'est l'histoire des dernières volontés d'un cow-boy blessé à mort. Il dit : « Écrivez à ma mère... Ne mentionnez pas le nom de celui qui m'a tué et son nom disparaitra. ». Nous sommes ici pour dire et redire les noms de Rasoulof et Panahi, et que l'on oublie ceux de leurs juges.

Bonne projection.

31/12/2010

Trois jours en soutien aux cinéastes iraniens Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof

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Vendredi 07 - Samedi 08 - Dimanche 09 Janvier 2011

Cinéma Mercury, 16 Place Garibaldi - Nice

Plusieurs associations  cinéphiliques niçoises et Amnesty International organisent les 7, 8 et 9 janvier au cinéma Mercury à Nice, des journées de soutien aux cinéastes iraniens Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof.

Les deux réalisateurs ont été condamnés voici quelques jours par la justice de leur pays à six ans d’emprisonnement, Jafar Panahi se voyant de plus interdit de tournage, de voyage à l’étranger et d’interviews pour une période de vingt ans, autrement dit pour le restant de sa vie professionnelle.

Le chef d’accusation – « participation à des rassemblements et propagande contre le régime » - ne tient évidemment pas la route et ne fait que renforcer l’absurdité et l’inanité du jugement.
A travers ces deux cinéastes, c’est toute la liberté artistique du cinéma iranien qui est aujourd’hui, plus que jamais, menacée de disparaître. Le milieu du cinéma international a aussitôt réagi en exigeant la libération immédiate et inconditionnelle des deux cinéastes.

Les associations co-organistarices de cette manifestation niçoise croient à la nécessaire liberté critique de l’artiste où qu’il se trouve et ont résolument décidé de se mobiliser pour faire entendre la voix de ceux que l’on cherche à bâillonner définitivement. Et parce que nous pensons que la meilleure arme d’un artiste est son œuvre, nous avons choisi de diffuser les cinq long-métrages de Jafar Panahi, tous multi-primés, et le dernier en date de Mohammad Rasoulof. Six films qui bénéficieront d’autant de présentations et seront systématiquement suivis de débats avec le public.