Obsession ou le dernier romantique (04/10/2012)
Brian De Palma finit par être un peu agaçant quand il parle de Vertigo (Sueurs froides – 1958) à propos de son Obsession (1976) en expliquant qu'il aurait amélioré le film d'Alfred Hitchcock. Ce n'est pas la première fois qu'il fait le coup. Il avait déjà repris un plan du Tenebre (1982) de Dario Argento dans Raising Caïn (L'esprit de Caïn – 1992). Argento, pas trop prêteur, s'en était ému auprès du musicien Pino Donaggio auquel De Palma avoua, tout en précisant : « Mais je l'ai amélioré ! ». « Je prends mon bien où je le trouve » disait Molière. Toujours est-il que pour Vertigo, De Palma reprend quelques critiques habituelles de vraisemblance, en particulier le fait que si Scottie (James Stewart) avait vu le cadavre de « Madeleine », il aurait bien vu que ce n'était pas la même femme que celle dont il s'était épris. Il pointe aussi l'apparition de la nonne venue sonner les cloches à la fin comme ridicule. On sait ce que Hitchcock pensait de « nos amis les vraisemblants » et ce que John Ford avait répondu à quelqu'un qui lui demandait pourquoi, dans Stagecoach (La chevauchée fantastique – 1939), les indiens ne tiraient pas sur les chevaux pour arrêter la diligence : « Dans la réalité, c'est ce qu'ils auraient fait. Mais il n'y aurait plus de film ». Si Hitchcock prend tant de soin à monter les effets du vertige sur son personnage, c'est bien pour justifier les manques de Scottie. Quiconque a subit les effets d'un véritable vertige sait que l'on peut rester prostré des heures, à plus forte raison si l'on vient de voir la femme que l'on aime se défenestrer. Alors, aller inspecter le cadavre... Pour la sonneuse de cloches, outre la poésie fantastique de l'idée, sa présence en cet endroit semble légitime. Plus incongrue aurait été celle d'un plombier.
Dans Obsession, De Palma et Paul Schrader qui signe le scénario prétendent donc améliorer un film qui les a néanmoins beaucoup impressionné. A ce stade, ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre sont aimablement invités à ne pas poursuivre leur lecture (ou alors, il ne faudra pas m'en vouloir). La Nouvelle-Orléans : Michael Courtland voit sa femme et sa fille enlevées et disparaître tragiquement à la suite d'une course poursuite avec les ravisseurs. Seize ans plus tard, à Florence, il rencontre une jeune femme qui est tout le portrait de sa femme. C'est bien sûr une machination. Cette femme, c'est sa fille qui n'était pas dans la voiture fatale. Le scénario repose sur deux postulats difficiles à avaler si l'on y met de la mauvaise volonté : Il est étonnant qu'aucun des policiers ayant encerclé la demeure des ravisseurs (L'un d'eux est resté en arrière avec la fillette, c'est le truc) n'ait eu l'idée de rester sur la scène du crime, ne serait que pour chercher des indices, pas très pro ça. Ensuite, Sandra-Amy accepte pour se venger d'un père qu'elle croit responsable de la mort de sa mère par refus de payer la rançon, de jouer la comédie de l'amour et de l'épouser, avec ce que cela implique, en connaissance de cause. Il faut donc accepter qu'elle passe outre le tabou de l'inceste, tabou fort s'il en est, avec un sang froid qui laisse rêveur. Quelque soit la qualité du jeu de Geneviève Bujold, le personnage ne semble pas si traumatisé par les implications de ce fait (du moins jusqu'à la fin) et elle semble avoir des nerfs d'acier pour maîtriser les émotions inévitables engendrées par la situation. Et je passe sur la mère adoptive italienne qui parle un anglais quasi parfait à l'hôpital.
Je peux comprendre De Palma. Il en a marre qu'on le compare à tout bout de champ à Hitchcock. Mais personne ne l'a obligé a construire sa renommée sur des thrillers rejouant Vertigo, Psychose (1960) ou Rear window (Fenêtre sur cour – 1954), ni à aller chercher Bernard Herrmann qui compose ici une partition superbe mais inévitablement proche de son modèle.
Ceci posé, Obsession est un film magnifique que j'ai eu beaucoup de plaisir à redécouvrir dans l'édition restaurée par Wild Side. C'est un vieux souvenir que ce film. A sa sortie début 1977, j'avais été traumatisé par l'intensité de sa bande-annonce et l'affiche française avec les morceaux de journaux découpés formant le message des ravisseurs. Je n'avais pas vu le film, mais j'avais conservé cette image de thriller angoissant. J'ai découvert le film bien des années plus tard, à la télévision et ce qui m'avait marqué c'est le côté romantique du film, la force des sentiments de Courtland, sa fidélité à la mémoire des siens, le choc que l'on imagine quand il rencontre Sandra dans l'église. Participent la partition de Herrmann avec cette délicieuse valse lente et le côté sacré donné par les chœurs, et la photographie du grand Vilmos Zsigmond avec ses effets de diffusion utilisés pour atténuer les différences entre les deux époques et qui donnent une atmosphère irréelle à tout le film. Même la scène de cauchemar s'intègre sans heurt. Lumière entre chien et loup, atmosphère de l'église, vibration des néons dans la scène de l'aéroport (un effet heureux à priori pas calculé au départ), rendu de la texture des pierres dans le mausolée ou le cimetière, le film est visuellement une fête pour les yeux. Aujourd'hui, je trouve le film bien équilibré entre cette partie romantique et la partie thriller, le pur suspense.
Ce qui me frappe aussi maintenant que j'en connais la petite histoire, c'est la façon dont le film (et donc un peu Vertigo) a résisté à ses auteurs. Le projet cinématographique de De Palma et Schrader, comme des autres cinéastes majeurs de leur génération (Michael Cimino, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, Martin Scorcese, William Friedkin, etc.), c'est de revisiter l'âge d'or du cinéma américain avec un regard sur ce qui n'était pas, ou ne pouvait pas être montré. Du moins pas directement. Violence, névroses, sexe, l'envers du décor. C'est flagrant par exemple dans le remake réalisé par Schrader en 1982 du Cat People de Jacques Tourneur qui rend explicite tout ce qui était suggéré de la métaphore sexuelle du personnage d'Irena. Hitchcock laisse les implications des actes de Scottie dans Vertigo à l'appréciation du spectateur s'il veut jouer au psychanalyste. Il maintient une distance par l’utilisation de James Stewart, l'image de l'acteur, et l'élégance de la mise en scène, les ellipses indispensables. Le scénario d'Obsession prévoyait de renverser la table, avec une partie où Sandra-Amy était en hôpital psychiatrique et un inceste consommé sans ambiguïté. Par un ensemble de concours de circonstances, la partie « asile » est abandonnée sur les conseils de Bernard Herrmann et sans doute des considérations budgétaires. Puis la séquence de Michael couchant avec sa fille, tournée effectivement, est complètement modifiée pour devenir une scène entre rêve et cauchemar qui entretien le doute. Les options artistiques, photographie, décors, musique, donnent au film une classe visuelle renforcée par l'absence de violence graphique (sauf la mort du personnage de John Lihtgow et encore) inhabituelle chez De Palma, comme de nudité, tout aussi étonnant de la part de celui qui filmera Angie Dickinson se caressant sous sa douche dans Dressed to kill (Pulsion – 1980).
Autre élément déterminant, l'interprétation de Clift Robertson. Geneviève Bujold est souvent saluée pour sa prestation dans ce film, sa faculté à jouer à la fois la femme et l'enfant, à la fois l'enfant dans la femme lors du final, mais aussi plus littéralement, idée assez gonflée qui fonctionne grâce à elle, l'enfant de dix ans dans les flashback. Elle est magnifique mais elle bénéficie d'une grande richesse de situations. Robertson, acteur assez classique, en décalage en 1976 avec les maîtres de l'Actor studio du moment (Brando, Pacino, Hoffman, De Niro), est pourtant essentiel en ce qu'il renoue avec la manière d'un James Stewart ou d'un Cary Grant. Il offre une présence, un repère, qui permet à sa partenaire de s'appuyer et de se donner à fond. Dans la scène finale, elle a cette performance à faire passer, d'être l'enfant ressortant sous l'adulte, elle a les pleurs, les répliques, la faiblesse, l'émotion. Mais c'est autour de Robertson qu'elle peut construire, parce qu'il est là en pivot, pour elle et la caméra de De Palma. Il n'a qu'un mot à dire, une expression à tenir. Et c'est le plus difficile. Et il le fait.
A travers lui, Obsession renoue, contre l'idée de départ de ses auteurs, avec l'élégance de son modèle, avec sa délicatesse, avec une certaine idée du cinéma. C'est ce qui en fait ressortir la tonalité majeure qui est celle du romantisme du personnage masculin. Courtland porte avec lui les valeurs du gentleman du Vieux-Sud, une certaine éthique. C'est une métaphore peut être bien de la relation de De Palma, et avec lui les cinéastes de cette génération, envers le classicisme hollywoodien. Un amour total, absolu, au point de vouloir renouer avec une chose morte. Avant de se rendre compte qu'existent finalement leurs propres enfants.
Photographies : Wild Side - Photofest
12:27 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : brian de palma, alfred hitchcock | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Bravo de défendre VERTIGO qui est un de mes films cultes. Francois Truffaut disait de ce film que c'était " un grand film malade", moi je le qualifierai de chef d’œuvre mal aimé pour plusieurs raisons :
un générique qui est à lui seul un petit bijou !
une première séquence choc accrocheuse, chose qu'Hitchcock considérait comme indispensable. Une technique expérimentale pour nous montrer le vertige avec un travelling arrière et un zoom avant !
Tout le reste du film est sur un autre registre car c'est un faux film policier ou au delà de ce genre, c'est plutôt le thème de l'amour fou cher au surréaliste qui est développer de manière très intrigante et avec grand lyrisme. Une séquence finale de la part d'un cinéaste qui était à la fois un auteur et avait aussi le sens commercial. Cette fin très sèche et glaçante non commerciale et un NON HAPPY END HOLLYWOODIEN , donc c'est une prise de risque ! Avec Psycho et la Mort aux trousses, c'est une des musiques les plus angoissantes et forte de Bernard Hermmann.
De nombreux critiques jusqu’ici classer dans leur top 100 en numéro 1 : " Citizen Kane", désormais c'est " VERTIGO" !
Écrit par : philippe frey | 04/10/2012
Comme tu le soulignes, Philippe, "Vertigo" trône désormais au panthéon des cinéphiles, il n'a guère besoin d'être défendu même par moi :))
Nous sommes bien d'accord sur le film même si j'avoue que ce n'est pas celui de Hitchcock que je préfères.
Et pour De Palma, malgré toutes les réserves que je puis avoir sur ce qu'il dit, j'aime beaucoup "Obsession". j'avais aussi un culte pour Geneviève Bujold quand j'étais ado et il m'en est resté quelque chose.
Écrit par : Vincent | 06/10/2012
Très belle chro Vincent, qui donne envie de revoir ce classique de De Palma et accessoirement si je puis dire Vertigo. J'ose le provoquant "accessoirement" car j'ai toujours eu beaucoup de mal avec James Stewart (sauf depuis la récente découverte du brillant Anatomie d'un meurtre de Preminger, mais ça c'est une autre histoire comme chantait le grand Gérard (pouf pouf !).
Écrit par : dr frankNfurter | 13/10/2012
Merci, cher docteur. Je suis un très grand fan de Jimmy, sa voix très particulière et puis il faut regarder ses mains, c'est un régal. Jamais vu ses westerns avec Anthony Mann ?
Écrit par : Vincent | 17/10/2012
Je dois t'avouer que les seuls western avec Jimmy sont les extraits parodiés du Grand détournement - La classe américaine ^^
Mais merci je note :-)
Écrit par : dr frankNfurter | 17/10/2012
Dans "Le grand détournement", ce sont uniquement des films Warner, on ne voit donc ce cher Jimmy que dans le western "Attaque au Cheyenne Club" avec Fonda (amusant mais pas très bon), assez loin de ses grand moments des années 50 :) ça vaut le coup d'y jeter un œil et même les deux.
Écrit par : Vincent | 17/10/2012
Bonjour Vincent,
beau texte sur Obsession, un film que j'aime beaucoup. J'ai pour l'instant résisté au rachat pour l'édition WIld Side : vaut-elle le coût selon toi ?
Je me rappelle du caractère obsédant justement de la musique et de la photo légèrement floutée, l'image comme vue à travers un voile. La performance de Bujold, incarnant la féminité à différents âges, donne un côté bizarre et malsain au film, que la musique de Herrmann ne se prive pas d'accentuer. Lors d'un voyage à Florence, j'avais tenu à voir l'église San Miniato, noeud du film, d'où j'ai pris quantité de photos : se retrouver dans Obsession, c'était assez extraordinaire.
Écrit par : Raphaël | 20/10/2012
Bonjour Raphaël, Merci pour le texte. L'édition Wild Side je l'ai trouvée vraiment bien, pour ce que je suis expert en la matière :) Les bonus sont très intéressants ce qui est loin d'être toujours le cas et le film est beau (je l'avais vu une ou deux fois en salles).
Je suis allé à Florence une fois, mais je ne me souvenais plus à ce moment de l'église. En revoyant le film, je me suis fait la réflexion que la prochaine fois, j'irais y faire un tour. Vous devriez publier quelques-unes des ces photos, ça serait intéressant. A bientôt.
Écrit par : Vincent | 21/10/2012