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09/01/2011

Pour Mohammad Rasoulof

Texte de présentation de la séance du dimanche 9 janvier 2011

Vous allez assister à une séance très particulière de cette série de projections de soutien aux cinéastes iraniens récemment condamnés puisqu'il s'agit de celle consacrée à Mohammad Rasoulof, réalisateur, scénariste et producteur dont nous allons vous présenter le seul film disponible en France à notre connaissance : Jazireh ahani (La vie sur l'eau.)

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Quand Philippe Serve de Cinéma Sans Frontières, le grand architecte de ces journées, m'a proposé d'animer la présentation de ce film, j'ai tout de suite accepté. Je ne connaissais pas du tout Mohammad Rasoulof ni son travail et à Regard Indépendant, nous adorons montrer des films que nous ne connaissons pas de gens qui sont peu ou pas connus, de Jérémie à Lenoir à Gérard Courant en passant par Jean Rollin.

Je pense que nombre d'entre vous êtes dans mon cas aussi nous allons faire connaissance avec ce jeune réalisateur. Il est né en 1973 à Shiraz, une ville assez importante du sud ouest iranien. 6e ville du pays, elle a été brièvement capitale de la Perse au XVIe siècle. Rasoulof y fait des études de sociologie puis bifurque vers le montage qu'il étudie à l'université Sooreh de Téhéran.

De 1991 à 1999, il réalise 6 courts métrages proches du documentaire puis en 2002 un premier long Gagooman que l'on trouve sous le titre anglais the twilight, le crépuscule, mais n'est pas sortit en France à notre connaissance. Le film suivant est celui que nous allons voir et qui le révèle au niveau international. : Jazireh ahani (la vie sur l'eau) en 2005 circule dans les festivals (primé à Telluride, Karlovy Vary et Toronto). En France, il fait partie de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Il est également disponible en DVD.

Mohammad Rasoulof revient au documentaire en 2008 avec Baad-e-daboor, un moyen métrage sur un sujet très sensible : L'accès à Internet et les antennes paraboliques en Iran qui sont un enjeu entre le pouvoir et la population, le premier cherchant à contrôler ce que voit la seconde et la seconde ayant développé une véritable économie parallèle, installant du matériel non bridé avec de grands risques, comme on a pu le voir dans le film de Saman Salour : Taraneh Tanhayie Tehran (Le chant solitaire de Téhéran - 2008). C'est bien sûr un film critique sur la gestion des media par la pouvoir.

Il aide ensuite le jeune cinéaste Vahid Vakilifar en produisant le film Gesher.

En 2009 suit un nouveau long métrage, Keshtzar haye sepid dont le titre anglais est The white meadow, la prairie blanche. Le sujet du film, plutôt poétique est très intriguant puisqu'il s'agit d'un homme chargé de recueillir les larmes des habitants d'un groupe d'iles. Le film se fait dans des conditions difficiles, à la fois logistiques (lieux de tournage) et à cause de la pression de la censure qui s'inquiète de la charge critique du film et refuse les permissions de tournage, situation que Jafar Panahi a dénoncée par ailleurs.

Achevé, le film commence à circuler dans les festivals européens. Lors de la projection en sélection officielle au festival de San Sebastian, Rasoulof critique le régime. Nous sommes en plein pendant la période des élections truquées de 2009. Son intervention est particulièrement mal vue à Téhéran. On lui refuse d'aller à Berlin présenter son film et il est arrêté avec Panahi le 1er mars 2010. Ensemble, ils préparaient un film inspiré des événements politiques consécutifs aux dernières élections iraniennes. Sont également arrêtés une quinzaine de personnes dont le directeur de la photographie de Rasoulof : Ebrahim Ghafori. Rasoulof est libéré assez rapidement contrairement à Panahi qui est retenu juste ce qu'il faut pour qu'il n'aille pas à Cannes occuper son poste de juré.

En décembre, Rasoulof est condamné. Le verdict retient deux motifs : une peine de 5 ans de prison pour “assemblée et collusion contre la sécurité nationale”, et une autre d’un an de prison pour “perturbation de l’opinion publique en faisant un film sans autorisation”.

Dans l'exposition médiatique qui suit cette histoire, Jafar Panahi est mis en avant : il a son renom international, les larmes de Binoche, le siège vide de juré à Cannes. On a tendance pour le grand public à reléguer Rasoulof à deux ligne. Il est « le cinéaste également arrêté en sa compagnie ». Il ne s'agit bien évidemment pas d'opposer deux hommes qui partagent les mêmes engagements et subissent les mêmes peines, mais était important de bien les associer dans les actions de soutien.

Comme le rappelait Philippe en ouverture de ces journées, la censure envers le cinéma, et les autres arts, a toujours existé. C'est un rapport de force ou le pouvoir tente d'empêcher que les choses soient dites ou montrées. Lutter contre cela, c'est faire en sorte que l'on montre ce que l'on veut nous cacher, les œuvres, et c'est là je pense que nous trouvons, associations cinéphiles, notre légitimité.

Avec mon optimisme proverbial, je dirais qu'en faisant connaître Mohammad Rasoulof et en montrant son film, nous remportons une victoire, toute modeste soit elle, sur le pouvoir qui voudrait qu'on l'ignore. Pour les prisonniers d'opinion, les prisonniers politiques, il est important qu'on dise leur nom et que l'on parle d'eux, ceux qui meurent, ce sont ceux que l'on oublie.

Et concernant les œuvres, les censure peuvent remporter des victoires, parfois douloureuses, mais elles ne gagnent pas tant qu'il y a des gens qui bataillent pour montrer. Pour rester en France, c'est vrai que la censure à interdit, saisi le film de Paul Carpita Le rendez-vous des quais  (1953). Mais le film a été retrouvé, restauré, montré enfin, et Paul a encore pu faire deux longs métrages. Aujourd'hui le film fait partie de la grande histoire du cinéma.

Il y a une chanson américaine populaire que j'aime bien, Streets of Laredo. C'est l'histoire des dernières volontés d'un cow-boy blessé à mort. Il dit : « Écrivez à ma mère... Ne mentionnez pas le nom de celui qui m'a tué et son nom disparaitra. ». Nous sommes ici pour dire et redire les noms de Rasoulof et Panahi, et que l'on oublie ceux de leurs juges.

Bonne projection.

07/01/2011

Jafar Panahi par Philippe Serve

C'est une première sur Inisfree, j'ai un invité. Comme je l'ai annoncé, je suis impliqué, avec Regard Indépendant, dans l'organisation de trois journées de projection des films des réalisateurs iraniens Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof à Nice. Philippe Serve, que certains d'entre vous connaissent (mais si, mais si), a eu l'idée de cet évènement et en a été l'architecte enthousiaste. Président de l'association Cinéma Sans Frontières qui tient un ciné-club au Mercury, c'est aussi quelqu'un qui écrit beaucoup et qui, pour l'occasion, a rédigé ce texte sur la carrière et le cinéma de Panahi qu'il a bien voulu me laisser publier en ces colonnes.

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Depuis plusieurs années maintenant, le cinéma iranien ne se résume plus – parlons encore au présent en espérant ne pas devoir lui substituer bientôt une forme passée - à la simple équation : Iran = Abbas Kiarostami et Mohsen Makhmalbaf. Car le nombre et la diversité des nouveaux cinéastes en provenance de ce pays signifient l'éclosion de talents aussi neufs que remarquables. Il faut ainsi citer Samira Makhmalbaf – fille précocement douée de Mohsen – avec La Pomme (1997, elle a alors seulement 17 ans !), Le Tableau noir (1999, Grand Prix du Jury à Cannes), A cinq heures de l'après-midi (2003, Prix du Jury et Prix oecuménique cannois), L’Enfant-Cheval (2009, Prix du Jury à San Sebastian), Bahman Ghobadi (41 ans) avec Un temps pour l'ivresse des chevaux (1999, Caméra d'Or à Cannes), Chansons du pays de ma mère (2002), Les Tortues volent aussi (03) Half Moon (2007), Les Chat persans (2009, Prix spécial du Jury à Un Certain Regard), le moins connus Hassan Yektapanah (Djomeh, 2000), sans oublier la petite soeur de Samira Makhmalbaf, Hana, avec Le Cahier (2007, elle avait 19 ans, Ours d’Argent à Berlin). Mohammad Rasoulof (37 ans, La Vie sur l’eau, 2005) est de ceux-là. Et, surtout, Jafar Panahi.

Né en juillet 1960, Panahi apprend le métier de réalisateur au Collège de Cinéma et de Télévision de Téhéran, puis se fait la main de manière plus pratique sur des courts et moyens métrages pour la télévision. Il réalise un téléfilm en 92, L'Ami, avant de franchir un nouveau palier en devenant l'assistant-réalisateur de Abbas Kiarostami sur Au travers des oliviers (1994).

Dès l'année suivante, il tourne son premier long, Le Ballon blanc (Badkonake sefid), dont il assure aussi le montage) et remporte la très convoitée Caméra d'Or au Festival de Cannes. Le film a bien mérité sa récompense, tant il apparaît maîtrisé. Le scénario - signé Kiarostami – tient sur une demi feuille de papier à cigarette et c'est bien la réalisation de Panahi qui le transcende. Ancré dans une tradition cinématographique où la frontière entre fiction et documentaire se fait plus que ténue, refusant tout effet de caméra ou d'esthétisation du plan, ne boudant pas les plans fixes mais sans leur accorder le caractère systématique que l'on trouve chez Kiarostami, Le Ballon blanc évitait aussi de tomber dans le piège trop récurrent de l'assimilation de films d'enfants – constante du cinéma iranien – avec un obligatoire récit d'apprentissage. Une simple histoire, contée avec beaucoup d'humour et qui coule de la première à la dernière seconde sans le moindre hiatus dans un style documentaire rappelant inévitablement le Néo-réalisme italien. Ajoutons-y une magnifique direction d'acteur, notamment envers l'inoubliable petite Aida Mohammad-Khani, l'héroïne du film. Revoir ce film quinze ans après sa sortie reste un moment de grande fraîcheur et démontre que Jafar Panahi était bien destiné à devenir l'un des plus grands cinéastes de son pays.

Deux ans plus tard (1997), Panahi remporte le Léopard d'Or, récompense majeure du festival de Locarno, avec Le Miroir (Ayneh). Le film part d'une nouvelle histoire de petite fille, le bras en écharpe et obligée de faire seule le chemin menant de l'école à la maison car sa mère n'est pas venue la chercher. Mais l'enfant ne connaît pas le chemin et la jeune actrice finit par vouloir vraiment rentrer chez elle en prenant la poudre d'escampette du bus où le réalisateur l'avait installée ! Le documentaire prend alors le pas sur la fiction et alterne entre les instants joués par la jeune actrice et ceux, bien plus fréquents, où elle refuse d'assumer son rôle, plongeant l'équipe technique dans le chaos de ce qui est devenu du cinéma-vérité. Expérience unique, suprême mise en abyme, Le Miroir possède le même charme irrésistible que Le Ballon Blanc.

2000 sera vraiment l'année de la consécration : Le Cercle (Dayereh) remporte le Lion d'Or à Venise et est unanimement salué comme un chef d'œuvre. Panahi nous expose, caméra le plus souvent portée, quelques heures à Téhéran de la journée d'un certain nombre de femmes dont on suit les pérégrinations à tour de rôle : trois évadées de prison dont une célibataire enceinte, une infirmière, une mère célibataire, une prostituée. La forme circulaire du film épouse totalement le propos et s'y fond. Cercle infernal aux parois duquel ces femmes, éprises de liberté et qui n'en forment plus qu'une seule, simplement déclinée, se heurtent littéralement. Panahi signait là une mise en scène tranchant avec celles de certains autres films iraniens grâce à un rythme très soutenu et pourtant comme distanciée et calme, tournant le dos à tout lyrisme et plus encore à l'hystérie qu'un tel sujet aurait pu provoquer. Film magnifique et, aussi déprimant qu'il puisse paraître, non dépourvu d'espérance, loin de là. D'abord par la formidable envie de vivre, de résister, de toutes ces femmes, par leur courage affiché mais aussi, très paradoxalement, par sa fin : ne faut-il pas voir dans la réunion de toutes ces victimes dans une même cellule comme une sorte de cercle de solidarité que rien ne saurait briser, et porteur, quelque part, de lendemains plus chantants ? Le film fut interdit de sortie en Iran.

Après une telle œuvre, il apparaissait bien difficile de maintenir la barre aussi haute. Sang et or (Talaye sorkh, 2003), avec un scénario à nouveau écrit par Abbas Kiarostami, fut également interdit de projection en Iran, ce qui ne l'empêcha pas de remporter quelques prix, même si moins prestigieux que les précédents. Film très noir, Sang et or met le doigt là où ça fait mal et, bien que décrivant une réalité très iranienne, nous parle aussi d'un monde qui est le nôtre, divisé toujours plus entre "ceux d'en haut", nantis et prospères – même sous un régime islamiste tel que celui des mollahs réduisant leurs libertés individuelles – et "ceux d'en bas", déclassés, désœuvrés et laissés-pour-compte.

Hors Jeu (2006), remporta le Prix du Jury au festival de Berlin. Plus léger dans son humeur et par son humour que Sang et or, il n'en parlait pas moins une nouvelle fois d'un sujet sérieux : la place de la femme dans la société iranienne d'aujourd'hui. Avec ce film, Jafar Panahi restait fidèle à ce qui rendait ses films précédents si précieux : une réalisation proche du documentaire, très souple et surtout sans affectation. Une fois de plus, l'idée était de partager avec le spectateur des instants de vie réelle, de montrer à l'écran des personnages dans toute leur humanité, c'est à dire aussi bien dans le positif que le négatif. Panahi est tout sauf manichéen. Pas question pour lui de désigner les bons et les méchants au sein d'un peuple qui, de toute façons, se retrouve victime d'un régime qu'il condamne de façon souvent métaphorique mais sans la moindre compromission. Son refus systématique de modifier la moindre image de ses films selon les demandes de la censure a fini par en faire le cinéaste iranien à abattre en priorité par le régime. Sa première dénonciation (qui entraîne toutes les autres pour qui veut bien lire le sous-texte) est l'absurdité absolue du monde dans lequel ses personnages tentent de vivre. Dans Hors-Jeu, et à l'inverse de ses deux précédents films, le cinéaste avait donc choisi la voie de la satire, voire de la franche comédie, on y rit souvent. Ce parti-pris n'annulait en rien la force du propos, il aurait même eu tendance à le renforcer. La fin du film, si improbable qu'elle puisse paraître, sonnait ouvertement comme un espoir, comme un appel à ne pas désespérer. Là encore, Hors Jeu s'opposait en quelque sorte à Sang et or.

En février 2010, Jafar Panahi est empêché de se rendre à un débat sur le cinéma iranien au festival de Berlin. Le 1er mars, il est arrêté à son domicile avec ses amis et collègues Mohammad Rasoulof et Mehdi Pourmoussa. Sa femme et sa fille, également emprisonnées, sont remises en liberté 48 heures plus tard. Le milieu du cinéma mondial se mobilise. Le 17, Rasoulof et Pourmassa sont libérés. Panahi, lui, se trouve toujours en prison alors qu’il devrait honorer le Festival de Cannes de sa présence. Membre du jury dont la chaise vide orne la scène du Palais du festival, il sort de prison le 25 mai sous caution. La justice l’accuse de préparer un film contre le régime et sur les manifestations ayant suivi la réélection – contestée - du Président Ahmadinejad en juin de l’année précédente. Le 20 décembre, Jafar Panahi est condamné à six ans de prison et vingt ans d’interdiction de tournage, d’activité politique, de voyages à l’étranger et d’entretiens avec des journalistes, iraniens ou étrangers. Mohammad Rasoulof reçoit lui aussi une sentence de six ans d’emprisonnement. Les deux hommes ont décidé de faire appel.

Notre mobilisation ne fait que commencer.

Philippe Serve

Président de Cinéma sans Frontières

Photographie DR, source blog de l'UFFEJ

05/01/2011

Bilan 2010

Cette année encore, mon décrochage d'avec l'actualité est assez patent, au point qu'un éventuel top risque de ressembler à la simple liste des films vus en salle. Pire, je n'ai pas pas de véritable regret, à l'exception de Memory Lane de Mickael Hers. Ça sera pour 2011. Hors du DVD, point de salut, et je profite de l'occasion pour remercier Laurent de Kinok qui me permet, sinon de combler mon retard, du moins de faire de belles découvertes. En tirant quelques cheveux, voici ce qui se dégage de l'an passé :

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9 films

Film - Socialisme – Jean-Luc Godard

Poetry de Lee Chang-dong

Bruce Springsteen – London calling Live In Hyde Park de Chris Hilson

L'illusionniste de Sylvain Chomet

Lung Boonmee Raluek Chat (Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures) de Apichatpong Weerasethakul.

The gost writer Roman Polanski

The social network de David Fincher

Nanjing ! Nanjing de Lu Chuan

La nuit des horloges de Jean Rollin

2 reprises

Le grand amour et Yoyo de Pierre Etaix

2 courts

Tulum de Dalibor Matanic,

Donde esta Kim Basinger ? d'Édouard Deluc

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12 Découvertes :

Un Maledetto imbroglio (Meurtre à l'italienne) de Pietro Germi (ici)

La notte brava (Les garçons) de Mauro Bolognini (ici)

La banda J & S, storia criminale del far west (Far West story) de Sergio Corbucci (ici)

Fade to black (Fondu au noir) de Victor Zimmerman

Non ho sonno de Dario Argento (ici)

Just pals de John Ford

Pauline à la plage d'Éric Rohmer

Sauve qui peut (la vie) de Jean-Luc Godard

Älskande par (Les amoureux) de Mai Zetterling (ici)

Boxer a smrt (Le boxeur) de Peter Solan (ici)

Spider baby de Jack Hill (ici)

Sometimes in april de Raoul Peck (ici)

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Photographies : Flashback of an idiot/ Capture DVD Montparnasse

06:11 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : top 2010 |  Facebook |  Imprimer | |

03/01/2011

Parfois en avril...

"Yes, it's April again. Every year in April, the rainy season starts. And every year, every day in April, the haunting emptiness descends over our hearts. Every year in April, I remember how quickly life ends. Every year in April, I remember how lucky I am to be alive. Every year in april, i remember…”

De toutes les œuvres de fiction ayant abordé le génocide rwandais de 1994 (vous pouvez vous informer sur Wikipedia), Sometimes in april, réalisé en 2006 par Raoul Peck pour la chaîne de télévision américaine HBO est assez nettement le plus réussi.

D'origine haïtienne, Peck s'était déjà penché sur l'histoire africaine contemporaine avec Lumumba (2000) consacré au leader congolais assassiné en 1960. Pour Sometimes in april, il tourne au Rwanda avec nombre d'acteurs locaux et sur les lieux mêmes où s'est déchaînée la violence de ce printemps de 1994. A partir d'un scénario qu'il écrit lui-même après une phase de recherches intenses avec l'aide de la journaliste Madeleine Mukamabano , Peck propose un film ambitieux qui embrasse les différents aspects de l'évènement en injectant les faits réels dans une trame de fiction classique mais éprouvée. Deux frères, hutus. L'un, Honoré, travaille sans états d'âme pour la RTLM (La Radio Télévision Libre des Mille Collines) qui appelle tous les jours au meurtre des inzenyi (les cafards désignant les tutsis dans la rhétorique raciste du hutu power). L'autre, Augustin, est un militaire légaliste et dépassé par la situation. Il a épousé une tutsie. Peck dépasse habilement le côté fabriqué de la situation en travaillant les complexités et l'ambiguïté de ses personnages. Honoré est ainsi travaillé entre son extrémisme politique et son sens de la famille, finissant par être lui même dépassé par la sauvagerie des miliciens qu'il a contribué à endoctriner. Augustin, s'il est un repère moral au sein du chaos, refusant de collaborer avec l'armée dont il fait partie, n'est pour autant pas un héros. En porte-à-faux, il ne sauve personne et se retrouve le jouet des évènements, incapable de réagir ni en tant que soldat, ni en tant que chef de famille. Peck le place hors jeu, pas tout à fait une victime comme sa femme Jeanne ou son collègue, pas complètement témoin comme la femme du tribunal (le tribunal international mis en place après le génocide à Arusha en Tanzanie). Sa fragilité le rend paradoxalement plus proche en l'éloignant d'une identification qui favoriserait une bonne conscience. Par rapport aux autres films sur les mêmes évènements, Sometimes in april se distingue en ne cherchant pas à distinguer un juste, manière de coller à un schéma occidental hérité de la Shoah. Peck adopte un point de vue strictement rwandais. Africain.

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L'attitude occidentale est reléguée à l'arrière-plan, le sentiment de culpabilité passant par le personnage réel de Prudence Bushnell jouée par Debra Winger, membre de l'administration Clinton. Peck n'oublie pourtant rien, ni les atermoiement des américains, traumatisés par leur précédent échec en Somalie, qui discutent sans fin sur la définition de ce qu'est un génocide pour éviter d'intervenir, ni la tentative d'effrayer le colonel Bagosora, artisan majeur de la tragédie, ni le massacre des 10 casques bleus belges qui entraîne le retrait du contingent de l'ONU, ni l'attitude française. Ce dernier point mérite qu'on ouvre une parenthèse. Sans s'étendre sur le sujet, Peck dénonce par petites touches précises, la connivence entre la France et l'aile dure du hutu power. Cela passe par des détails insérés dans des scènes au propos plus large, insérés dans l'action; C'est un portrait de François Mitterrand au dos d'une brochure de propagande hutue que Jeanne montre à son mari, c'est une réplique de Bagosora sur ses « amis français » et, plus tard, l'hélicoptère à la cocarde tricolore qui exfiltre le colonel. Non, on ne verra pas Bernard Kouchner déplorer les victimes, Peck appuie juste où cela fait mal. Il est piquant de noter que le film est co-produit par deux sociétés françaises et réunit nombre de techniciens français, à commencer par le musicien Bruno Coulais qui compose une émouvante partition. Ce qui n'empêche pas le film de n'être sortit qu'en 2008 à l'occasion d'une diffusion sur ARTE et que le DVD se fait toujours attendre. C'est tout à fait regrettable. Fermons la parenthèse.

La force du film, c'est de ne pas se limiter aux faits historiques mais d'explorer leurs implications humaines à travers la mise en scène cinématographique. Le déroulement du génocide est décrit avec précision et clarté, c'est le côté pédagogique de la chose. L'attentat sur l'avion présidentiel qui déclenche les massacres, L'élimination des dignitaires tutsis et hutus modérés (belle et sèche scène de l'assassinat de la première ministre Agathe Uwilingiyimana), les barrages, l'assaut sur les écoles et les églises, l'hôtel des mille collines, l'évacuation des occidentaux, la survie dans les marais, la victoire du FPR (Front Patriotique Rwandais), rebelles tutsis, qui met fin au carnage. C'est assez complet. Peck explore également les origines de la tragédie. Il ouvre son film sur des images de Bill Clinton déclarant que finalement, oui, c'est bien un génocide qui se déroule au Rwanda, associées à des images d'archives, grotesques, des colonisateurs belges qui instaurent dans les années 30 la discrimination entre hutus et tutsis. La grande réussite du film, c'est sa composition en différentes strates temporelles qui l'inscrivent dans le processus de la mémoire. Mémoire et histoire, comme quoi l'homme africain y est bien entré, comme les autres. Les images d'archives sont intégrées dans la fiction, étant présentées symboliquement en 2004, dans une école dont Augustin est l'un des professeurs. Mémoire et transmission auxquelles il faut ajouter une dimension plus spirituelle, voire poétique, introduite par la voix off : «Tous les ans en avril, la saison des pluies commence. Et tous les ans, tous les jours d'avril, un vide poignant descend dans nos cœurs » puis la lettre du frère, Honoré étant emprisonné à Arusha en attente de son procès. Le cinéma est lui présent via un extrait de The great dictator (Le dictateur - 1940) de Chaplin qu'Augustin montre à ses élèves. Peck introduit une forte dimension humaine et une distance par rapport aux évènements, celle du souvenir, de la douleur et de son dépassement.

Ce que la fiction, l'histoire de ces deux frères, permet d'aborder au-delà de la symbolique, c'est l'impact émotionnel de la tragédie sur les êtres et une réflexion sur l'avenir. C'est un peu ce qui me manquait dans le remarquable Nanjing ! Nanjing ! (2009) du chinois Lu Chuan, cette méditation dans le temps qui dépasse l'anecdote. Quand, en 2004, Augustin décide de se rendre à Arusha pour rencontrer son frère et apprendre comment ont disparu les siens, il dépasse son propre deuil et trouve une voie pour affronter l'avenir (l'enfant attendu par Martine, sa nouvelle compagne) comme le pays l'affronte d'une façon inédite par une sorte de thérapie globale à travers les gaçaca, tribunaux locaux inspirés du système traditionnel. Africain. Le film se clos sur une autre très belle scène où Martine se lève pour raconter son histoire et cesser de n'être qu'une victime. Sometimes in april mêle ainsi le récit de la reconstruction du pays avec celle de la reconstruction des êtres.

Une des plus belles scènes du film entrelace ces différents niveaux. A Arusha, dans son hôtel où il hésite à rencontrer son frère, Augustin a une voisine de chambre qui doit témoigner. Dans un premier temps, il entend simplement des sanglots venant de l'autre côté du mur. Puis ils vont se parler à travers la cloison. Puis Augustin décide d'assister à la déposition de la femme, un récit très dur. Il peut le faire de derrière un rideau écoutant la voix aux mots terribles. Il rencontre enfin la femme, et la famille qu'elle a reconstitué. Par ces différentes étapes, ces différents dispositifs jouant sur le hors-champ et les voix, Peck donne à voir la difficulté du témoignage, sa douleur presque insupportable, son absolue nécessité en même temps que le témoignage lui-même et l'idée de justice qui lui donne un cadre. Du grand art. Il faut saluer le travail de montage de Jacques Comets (qui a beaucoup travaillé avec Tonie Marshall) qui donne cohérence et souffle à l'ensemble, l'intelligence de l'utilisation des langues (Kinyarwanda, anglais et français) comme la photographie d'Éric Guichard qui rend les ocres et les verts du pays des mille collines et la beauté de mille visages. L'interprétation est sans failles, le soutien du Rwanda ayant permit des plans amples sans verser dans le spectaculaire. La première du film a eu lieu à Kigali même devant 40 000 personnes. J'imagine que ce fut un moment assez fort. Sometimes in april a beau avoir été produit par la télévision, c'est du sacré grand cinéma.

Par Olivier Barlet dans Africultures

Sur le site d'ARTE avec un entretien avec Raoul Peck

Le DVD

Photographie DR source Allociné

12:49 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raoul peck |  Facebook |  Imprimer | |

01/01/2011

Inisfree vous souhaite une belle année 2011

31/12/2010

Trois jours en soutien aux cinéastes iraniens Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof

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Vendredi 07 - Samedi 08 - Dimanche 09 Janvier 2011

Cinéma Mercury, 16 Place Garibaldi - Nice

Plusieurs associations  cinéphiliques niçoises et Amnesty International organisent les 7, 8 et 9 janvier au cinéma Mercury à Nice, des journées de soutien aux cinéastes iraniens Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof.

Les deux réalisateurs ont été condamnés voici quelques jours par la justice de leur pays à six ans d’emprisonnement, Jafar Panahi se voyant de plus interdit de tournage, de voyage à l’étranger et d’interviews pour une période de vingt ans, autrement dit pour le restant de sa vie professionnelle.

Le chef d’accusation – « participation à des rassemblements et propagande contre le régime » - ne tient évidemment pas la route et ne fait que renforcer l’absurdité et l’inanité du jugement.
A travers ces deux cinéastes, c’est toute la liberté artistique du cinéma iranien qui est aujourd’hui, plus que jamais, menacée de disparaître. Le milieu du cinéma international a aussitôt réagi en exigeant la libération immédiate et inconditionnelle des deux cinéastes.

Les associations co-organistarices de cette manifestation niçoise croient à la nécessaire liberté critique de l’artiste où qu’il se trouve et ont résolument décidé de se mobiliser pour faire entendre la voix de ceux que l’on cherche à bâillonner définitivement. Et parce que nous pensons que la meilleure arme d’un artiste est son œuvre, nous avons choisi de diffuser les cinq long-métrages de Jafar Panahi, tous multi-primés, et le dernier en date de Mohammad Rasoulof. Six films qui bénéficieront d’autant de présentations et seront systématiquement suivis de débats avec le public.

28/12/2010

L'autre monde

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En quelques films, Gilles Marchand (Qui a tué Bambi ? en 2002) et Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien en 2000, Lemming en 2005) ont fait exister un cinéma original, malgré quelques réserves, dans le registre du thriller psychologique. Que l'un écrive pour l'autre ou l'autre pour l'un, les mises en scène sont soignées, les cadres composés avec attention, les ambiances nocturnes sont travaillées parfois avec goût, avec des échappées vers l'onirisme et le fantastique, un érotisme légèrement décalé. Les deux hommes apprécient des acteur solides (Sergi Lopez, Laurent Lucas) et sont capables de proposer de nouveaux visages originaux comme Sophie Quinton dans son premier long métrage. Ils disposent donc de solides arguments pour secouer un cinéma français englué dans ses habitudes quand il ne cherche pas, du côté du cinéma de genre, à imiter avec pathétique le cinéma américain. Las ! Malgré leur relative réussite publique et critique, quelque chose manque (et tout est dépeuplé). Érotisme trop sage, folie trop sage, les machinations, le mystère manque de cette tension qui agrippe, qui secoue, qui fait haleter dans son fauteuil. Il manque cet éblouissement visuel, cette sensation de voir le réel se dérober sous nos yeux à mesure qu'il se dérobe sous les pas des personnages. Il manque de peur véritable. Toutes choses que les inspirateurs de Marchand et Moll (De Palma, Hitchcock, Argento, Carpenter, Lynch, que sais-je) possèdent au plus haut point. On dira que je radote, mais il conviendrait que nos réalisateurs méditent quelques bon gialli de la grande époque ou disons Arrivederci amore, ciao (2006) de Michele Soavi pour passer un cap et nous épater vraiment.

La suite sur Kinok

Le DVD

Photographie : © Haut et fort source Allociné

27/12/2010

Ça bouge, là-bas derrière...

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Randolph Scott et Barbara Adams dans une pose assez sublime en son genre pour le film The last round-up (1934) de Henry Hathaway. Source Starlet Showcase.

26/12/2010

Double take

Johan Grimonprez est un réalisateur belge qui travaille dans un registre expérimental, fasciné par la figure d'Alfred Hitchcock et la paranoïa engendrée par notre monde moderne. Après avoir abordé les spectaculaires détournements d'avion des années 70 dans Dial-H.I.S.T.O.R.Y en 1997, au titre significatif, il nous plonge avec Double take (2008) dans une sombre histoire mêlant le maître du suspense, son (ses) doubles, la guerre froide,, la course à l'espace, le mur de Berlin, la baie de cochons, JFK, Castro, Khrouchtchev, la sortie de The birds (Les oiseaux -1963) et la silhouette gracile de la débutante Tippi Hedren.

Grimonprez manie toutes sortes d'images : found footage, archives, télévision, extraits de films, documentaires, etc. insérés dans la fine trame des siennes propres. La silhouette massive et lente, familière et inquiétante de Hitchcock hante le métrage sur une musique grondante de Christian Halten. La vrai, celui du début des années 60 et de 1980 au seuil de la mort, son sosie Ron Burrage, doublé du double de la voix Mark Perry, le personnage qu'il s'était crée dans les années 50 pour présenter sur les étranges lucarnes avec un humour souvent noir la série Alfred Hitchcock présente (avec un goût des effets de miroirs), Hitchcock règne, traversant les couloirs du temps. Étrange ambition pour un cinéaste expérimental comme Grimonprez que de chercher à se fondre dans les canons du cinéma classique : film d'une durée standard, près de 90 minutes, et sortie en salles, comme un vrai. La gageure n'est que partiellement tenue. Double take peine à trouver un rythme. L'intrigue de fiction, la rencontre dans un couloir des studios Universal de Hitchcock avec son double, intervient par à-coups, précédé du grondement musical, quand les digressions historiques se laissent trop aller. Double take est alors comme une voiture qui embraye un peu tard dans une forte pente. Mais enfin, on arrive quand même à franchir le col.

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21/12/2010

Rendez-vous en 2011


19/12/2010

Principe de précaution

J'ai eu la même tête que le personnage joué par Jacques Gamblin au soir de ce fichu 21 avril 2002. D'ailleurs, moi aussi je suis jospiniste. Si. La comparaison ne s'arrête pas là, mais question principe de précaution, je partagerais plutôt les idées du personnage joué par Sara Forestier. Comme elle, ma plus grande angoisse quand je vais voter, c'est de me tromper de bulletin de vote par étourderie. Et cela m'a vraiment coûté de voter Chirac le 5 mai. Par ailleurs, j'ai une certaine affection pour les films qui montrent des bureaux de vote, ce qui n'est pas si fréquent. Le dernier en date, un souvenir inoubliable, c'est celui où Denis Podalydès croise Jeanne Balibar dans Dieu seul me voit (1996). J'aime aussi beaucoup l'apparition de Lionel Jospin dans le film. Elle m'a rappelé celle de Jennifer Beals chez Nanni Moretti ou les conseils de Bruce Springsteen au héros de High fidelity (2001). Il y a un jeu avec le réel qui se fait de façon très naturelle. Tout cela pour dire que je me sens très proche de ce que Michel Leclerc et Baya Kasmi ont écrit et filmé dans Le nom des gens. Pour utiliser une expression que j'aime bien : ça me parle, c'est à dire que je vois sur l'écran des gens qui me ressemblent et qui ressemblent à des gens que je connais, que je me sens en phase avec les idées qui sont développées et que, pour une fois dans un film, j'ai l'impression qu'il y a des gens qui ont traversé la même décennie que moi. Ça n'a l'air de rien, mais quand j'y pense il n'y a pas dix films qui m'aient donné cette impression en dix ans.

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Maintenant, la grande question, c'est : est-ce que ça suffit à donner du bon cinéma ? Et, dans le cas présent, la réponse, c'est : pas tout à fait. Disons que c'est typiquement le film que j'aurais aimé plus aimer, l'aimer assez pour m'emballer comme avec le Podalydès, certains Guédiguian, Palombella Rossa (1989) de Moretti ou les deux moyens métrages de Mickaël Hers. D'un autre côté, cette proximité me permet de ricaner par devers moi quand on accuse le film d'invraisemblance, et de faire un effort du côté de sa forme. Car si c'est de ce côté qu'il pêche, c'est aussi ce côté que n'aborderont pas ses défenseurs qui s'en tiendront (de ce que j'ai lu) à son aspect de comédie de mœurs plutôt enlevée, portée par l'abattage de ses acteurs. Je dirais que Michel Leclerc ne manque pas d'idées mais un peu d'ambition. A plusieurs reprises, j'ai regretté qu'il ne pousse pas dans une direction poétique, comme avec ce cygne mort que tient Arthur quand il apprend le décès de sa mère. Plusieurs fois, j'ai regretté qu'il ne lâche pas la bride à la folie douce qui pourrait embraser le couple Gamblin - Forestier, comme quand Cary Grant rencontrait Katharine Hepburn. Les premières vingt minutes m'ont très agréablement surprises. Le mélange des personnages adultes et enfants, le père étudiant joué par Jacques Boudet, c'est fait avec simplicité et force comme dans le Kéoma (1976) d'Enzo G. Castellari dont je me demande bien si Leclerc l'a vu. Le mélange des styles (noir et blanc, super 8) fonctionne au-delà du cliché car il travaille sur les représentations populaires et, oui, l'occupation est encore associée au noir et blanc un peu classieux du cinéma de l'époque tandis que le super 8 est le format familial typique des années 60/70.

Il y a une cohérence derrière les choix qui agit à postériori et qui éloigne radicalement du côté Amélie Poulain, véritable fantaisie intemporelle, alors que Le nom des gens ancre sa comédie légère dans le réel de son époque. La confusion est entretenue par le travail que Leclerc opère sur les clichés, le film jouant sur les représentations que les gens donnent d'eux-même et ont des autres. Le risque est de retomber sur des clichés cette fois narratifs (Les lourds secrets familiaux, les déboires sentimentaux du couple, le sauvetage des crabes). Plus intéressant est ce qui passe de la récente évolution du monde (qui passe aussi par les différentes vues de la mairie), de l'épisode des papiers perdus de la mère à ce parallèle osé lors de l'extermination des poulets par principe de précaution. Le plan final à ce titre est non seulement beau (le couple avec leur enfant devant un paysage urbain avec tour et voie rapide), mais assez inquiétant, interrogation mi-figue mi-raisin sur l'avenir qui contredit, pour peu que que l'on y réfléchisse, la dynamique positive du film.

Reste que si certains plans sur Sara Forestier sont assez sensuels (Son déshabillage devant la fenêtre aux rideaux rouges, son habillage par Arthur lors de la première nuit), le travail photographique de Vincent Mathias est irrégulier, la lumière de certaines scènes est assez plate (Les premières scènes à la radio par exemple). Le montage de Nathalie Hubert est parfois inventif, que ce soit sur les transitions temporelles ou la confusion d'espace qui traduit la confusion de Bahia lors de la scène un peu casse-gueule ou elle finit par prendre le métro nue. D'autres scènes sont plus sages, moins inspirées comme le repas avec les parents qui aurait gagné à mieux exploiter les espaces de l'appartement. Cet entre-deux empêche le film de se réaliser complètement et de dépasser un statut de comédie solide pour quelque chose de plus fort, de plus émouvant qui aurait envoyé au diable le principe de précaution.

Photographie © UGC distribution, source Allociné.

18/12/2010

Regarde les réalisateurs tomber

Il y a un mois, je revisitais Operation Petticoats (Opérations jupons – 1959) avec son sous-marin rose, son Cary Grant et son Tony Curtis. Il y a une semaine pile, je faisais découvrir The party (1968) à ma fille. Mis à part le principe du film dans le film au début qui l'a un peu décontenancé, elle a bien réagit aux innombrables gags, et particulièrement à l'arrivée de l'éléphant. Ouf ! J'ai eu plus de chance avec elle qu'en d'autres occasions où je me suis mouillé pour le cinéma de Blake Edwards que je prise particulièrement (à trois ou quatre œuvres près). Je me souviens avoir emmené un amour de jeunesse voir ce même film en lui assurant que c'était le film le plus drôle du monde. Faut jamais dire ça. Hrundi V. Bakshi ne l'a pas fait rire et elle m'a regardé bizarrement en sortant. Une autre fois, j'étais avec les amis d'un ami, nous devions aller au cinéma et on m'a demandé mon avis. Je l'ai donné. Je venais de voir Skin deep (L'amour est une grande aventure – 1989) que j'avais adoré et je leur ai conseillé, acceptant avec joie d'y retourner. J'y ai beaucoup ri de nouveau, mais tout seul.  Là encore, je me suis attiré de drôles de regards. Morale : le cinéma d'Edwards, sous son apparence populaire, est un cinéma destiné à l'élite des esthètes raffinés. Je lui dois en tout cas quelques fous rires qui ont failli avoir ma peau. Does your dog bites ? Plus maintenant.

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Il y a presque un an, nous recevions, avec Regard Indépendant, Jean Rollin pour présenter La nuit des horloges (2008) à Nice. Je connaissais mal ses films mais bien son cinéma qui fait partie de mon imaginaire depuis les merveilleuses affiches dessinées par Druillet dans les années 70. L'homme était fatigué, cela se voyait. Mais dans la salle, quand il a commencé à nous parler, à raconter ses tournages et les innombrables combats qu'il dû mener pour faire ses films, pour donner corps à ses visions mêlant érotisme et fantastique, poésie et monde des rêves, il retrouva en un éclair une énergie et une conviction que bien des cinéastes en meilleure forme auraient pu lui envier. Il nous parla aussi de son film à venir, Le masque de la méduse, toujours les mêmes difficultés, toujours les mêmes aventures, à la marge, en contrebande, comme faire entrer un serpent python dans un musée parisien, pour une image. Comme quand il avait fait allumer une lampe à pétrole dans la salle des figures de cire d'un musée florentin, pour la beauté de l'objet et de sa lumière. Sa morale : tournez n'importe quoi, mais tournez ! Rollin a rejoint les fantômes qui peuplaient ses films et que croisait Ovidie dans son oeuvre-somme.

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Photographies : Director Guild of America (crédit AMPAS) et Fascination - The jean Rollin experience, à visiter absolument.

17/12/2010

La leçon de choses de mademoiselle Mejika

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Kyoshi Mejika (La leçon de choses de mademoiselle Mejika - 1978) relève d'un genre bien particulier du cinéma japonais, le pinku eiga ou cinéma rose, plus précisément de la série développée au sein du studio Nikkatsu dans les années 70 sous le nom de Roman Porno. Ah ! Le porno. Ultime territoire à défricher pour le critique en mal d'originalité et le cinéphile en quête d'émotions fortes. Après le fantastique anglais, l'horreur thaï, le polar asiatique, le western turc et la comédie polissonne italienne, voici un mauvais genre qui nous tend ses multiples bras. L'on réédite l'âge d'or du X américain, on célèbre Joe Sarno à la Cinémathèque Française, on se penche sur les grandes années Marc Dorcel avec un soupir nostalgique pour Marilyn Jess et Brigitte Lahaie. A l'amateur, le roman porno japonais offre un large éventail de possibles restant généralement dans certaines limites. Si roman il y a, le porno est surtout un érotisme assez poussé agrémenté le plus souvent de facéties sado-masochistes dont la plus fameuse est l'art du bondage, ou comment ligoter savamment de jeunes femmes dénudées. En la matière, personne au monde ne fait cela mieux que les japonais. La cruauté envers les femmes est une constante du genre exacerbant une représentation de la violence masculine à leur égard que l'on retrouve chez Akira Kurosawa comme chez Nagisa Oshima ou Seijun Suzuki, très largement donc dans le cinéma nippon que ce soit pour le dénoncer, passer un discours politique ou pour simplement titiller le spectateur. L'abondante production du genre est inégale, immanquablement, mais l'on trouvera dans ce cinéma rose d'authentiques perles esthétiques, de la mise en scène, du fond (parfois) et de véritables auteurs comme Koji Wakamatsu ou Tatsumi Kumashiro. (...)

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15/12/2010

Nice, 1987... 1988

Les souvenirs c’est comme les films super-huit
Ça a comme sa propre vitesse
Faut pas ralentir la machine
De peur de brûler ce qui reste

1983 (Barbara) - Mendelson

10/12/2010

Godard par Corbucci, en guise de conclusion

Frédérique a eu raison de s'interloquer de ma clôture un peu rapide du Cobucci – Godard blogathon hier. En effet, il ne devait prendre fin qu'au premier coup de minuit. Du coup je lui suis reconnaissant d'avoir passé outre et de nous avoir offert, hier, un finale en forme de feux d'artifices autour de Sergio Corbucci, rétablissant quelque peu l'équilibre du double hommage. Éclatant, dynamique, coloré, enthousiasmant, à l'image du cinéma de « l'altro Sergio ». Je profite aussi de l'occasion pour lier le texte d'Anna paru mercredi sur Week-End de JLG, avec mes excuses pour mon défaut de vigilance. Mais ce n'est pas la seule surprise. Hier soir (je suis rentré tard), j'ai découvert que j'avais reçu, des mains diligentes de mon facteur, le numéro 246 de la Revue du Cinéma, Images et son, datée de janvier 1971 et contenant un entretien avec Corbucci mené par Noël (sic) Simsolo. Dans un commentaire précédent, je plaisantait à une remarque de Ran en disant qu'il serait intéressant d'avoir l'avis de Corbucci sur le cinéma de Jean Luc Godard. Par l'une de ces connivences secrètes du hasard qui font tout le sel de l'existence, je vous livre la première question de cet entretien, ainsi que sa réponse :

On vous considère comme un cinéaste commercial ?

J'appelle film commercial un film qui peut plaire à tous les genres de public. Godard est un grand maître et je le respecte beaucoup, mais je pense qu'il a fait plus de mal, chez lui, au cinéma, que nous, avec tous les films que nous avons pu faire, en Italie. Je dis cela malgré mon admiration pour lui, car quand il existe un maître de son envergure, il naît ensuite une série d'imitateurs ; ils essaient de faire le même type de cinéma. C'est vraiment dommage ! De même que Picasso, dans la peinture : beaucoup de gens regardant ses toiles croient que tout le monde est capable d'en faire autant. Dans le cinéma, c'est pareil : des réalisateurs, jeunes ou vieux, regardent les films de Godard et pensent être capables de faire la même chose. Mais ce n'est pas si facile. C'est dans ce sens que je déclare que Godard et Antonioni ont fait du tort au cinéma.

Si quelqu'un a le contrechamp de cette vision, je suis preneur.

09/12/2010

Le tournage de Django par Franco Nero

Le Corbucci – Godard blogathon s'achève ici et sur une belle photographie publiée par Fredérique (Mais pas l'envie d'écrire sur ces deux réalisateurs !). Il est temps de remercier tous ceux qui ont participé par leurs textes et leurs interventions. C'était vraiment passionnant de passer de l'un à l'autre. J'espère que nous pourrons remettre cela à l'occasion. Deux conclusions : le cinéma de Godard est toujours bien vivant et inspire encore. Le cinéma de Corbucci a encore besoin d'un peu d'activisme. La revue italienne Nocturno lui a consacré plusieurs articles dans ses derniers numéros. Dans un texte en ligne, j'apprends avec un sourire d'envie que Quentin Tarantino aimerait lui consacrer un livre. Quelle bonne idée !

Je termine avec Franco Nero (pour Frédérique) racontant (en anglais, désolé, Ran) le tournage de Django (1966) et , bien sûr, la solution du jeu (Bravo à Breccio qui a presque tout identifié).

Solution du jeu : Il fallait trouver 

Per un pugno di dollari : Pour une poignée de dollars (Leone)

Per qualche dollaro in più : Et pour quelques dollars de plus (Leone)

Vamos a matar compañeros : Companeros (Corbucci)

Il buono, il brutto e il cattivo : Le Bon, la Brute et le Truand (Leone)

Giù la testa : Il était une fois la révolution (Leone)

(La) resa dei conti : Colorado (Sollima)

Il mio nome è nessuno : Mon nom est Personne (Valerii)

Faccia a faccia : Le Dernier Face à face (Sollima)

Un dollaro a testa : Navajo Joe (Corbucci)

Il mercenario : El mercenario (Corbucci)

Cangaceiro ! : O Cangaceiro (Fago)

Un dollaro bucato : Le Dollar troué (Ferroni)

Minnesota Clay : Le Justicier du Minnesota (Corbucci)

Lo chiamarono il magnifico : El Magnifico (Barboni)

C’era una volta il west : Il était une fois dans l'Ouest (Leone)

Anche gli angeli mangiano fagioli : Les anges mangent aussi des fayots (Barboni)*

Corri uomo, corri! : Saludos hombre (Sollima)

Altrimenti ci arrabiamo : Attention, on va s'facher (Fondato)*

Dio perdona, io no : Dieu pardonne, moi pas (Colizzi)

Il bestione : Deux grandes gueules (Corbucci)*

Ma che c’entriamo noi con la rivoluzione? : Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? (Corbucci)

Django (Corbucci)

* : ces trois titres ne sont pas des westerns.

Texas peut éventuellement être pris comme allusion à Il Prezzo del Potere (Valerii) et Il mucchio selvaggio est le titre italien de The wild Bunch (La horde sauvage) de Sam Peckinpah comme le nom de la bande de truands de Mon nom est personne. Ringo est un personnage emblématique du genre, joué par Giuliano Gemma initialement. Barboni, c'est Enzo Barboni, l'inventeur de Trinità, et Leone, comme dit Breccio, c'est sans commentaire.

08/12/2010

Godard - Portraits

Le Corbucci - Godard blogathon

Joachim prend le relais avec une belle note sur 365 jours ouvrables qui nous livre la minute où Godard nous dit pourquoi on va au cinéma. Je me suis décidé à voir, enfin, Sauve qui peut (la vie) (1979) mais le temps m'est par trop compté aussi je m'en tiendrais à ma programmation initiale. Voici quelques portraits de Godard et une curiosité, une publicité des années 70 pour un après-rasage réalisé par le groupe Dziga Vertov. 

Par Gérard Courant (série Cinématon 1981)

Par Wim Wenders (Room 666 - 1982)

Par lui même JLG/JLG, portrait de décembre (1994)

07/12/2010

L'adieu aux armes de Sergio Corbucci

Le Corbucci - Godard blogathon

Le bon Dr Orlof décidément inspiré par JLG propose une cinquième note autour de la relation particulière de Godard avec la télévision ou comment il la critique de l'intérieur.

De tous les westerns réalisés par Sergio Corbucci, son dernier en 1974, Il bianco, il giallo, il nero (Le blanc, le jaune et le noir) a la plus mauvaise réputation. Rien ne serait à sauver de cet adieu au genre auquel on reproche son manque d'imagination, de rythme, ses concessions à la mode déjà déclinante du western comique, le cabotinage de Tomas Milian et surtout, un humour raz des pâquerettes assaisonné d'une dose de vulgarité.

Mouais. Autant avouer de suite que j'ai pris beaucoup de plaisir à ce film, que j'y ai ri de bon cœur et sans remords, voire même avec une certaine jubilation comme on dit chez Télérama. Il est facile de comprendre la déception des admirateurs des contes cruels de Django (1966) ou Il grande silenzio (Le grand silence – 1968), et de ceux qui avaient aimé les aventures colorées de Il mercenario (Le mercenaire – 1968) ou Companeros ! (1970). Mais si l'on remet Il bianco, il giallo, il nero en perspective dans la carrière de Sergio Corbucci, au-delà du western, on pourra mieux lui faire une place et comprendre son importance. Mieux, ce film est passionnant pour explorer l'essence du cinéma de son auteur tant il est à la fois un bilan, un manifeste (parodique) et une ouverture. Il permet aussi de bien situer où se trouve le malentendu avec Corbucci, les raison parfois (mais pas toujours) justifiées pour le sous-estimer.

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Il bianco, i giallo, il nero suit les aventures picaresques d'un improbable trio : l'intègre shérif Black Jack joué par Eli Wallach, le truand sympathique et athlétique d'origine suisse Blanc de Blanc joué par Giuliano Gemma, et le serviteur japonais apprenti samouraï Sakura joué par Tomas Milian. Tous les trois recherchent un poney sacré enlevé par de faux indiens et se disputent une bonne vieille malle pleine de dollars. L'argument, co-écrit avec pas moins de six scénaristes vaut ce qu'il vaut, c'est à dire pas grand chose. Mais il a donné déjà de bon résultats. On voit que Corbucci joue avec deux idées classiques : une parodie inspirée de Soleil rouge (1971), western de Terence Young avec Alain Delon, Charles Bronson et Toshiro Mifune en samouraï, et évidemment celle du trio lancé à la chasse au trésor dans le classique de Sergio Leone Il buono, il brutto, il cattivo (Le bon, la brute et le truand – 1966) auquel le titre fait clairement référence.

Souvent surnommé « L'autre Sergio », Corbucci s'est amusé avec dérision de son rapport avec Leone. On se souvient du personnage joué par Tomas Milian déclarant dans La banda J.S. (Far west story - 1972) « Celui qui a inventé les spaghettis, c'était un génie et il a du se faire de l'argent » en dévorant un plat de pâtes. Leone qui a toujours eu une haute estime de lui-même disait des westerns italiens « On m'avait désigné comme le père du genre ! Je n'avais eu que des enfants tarés. ». Mais Corbucci était passé à l'acte avant lui avec Massacro al Grande Canyon (Massacre au grand canyon – 1964) sortit trois mois avant le, il est vrai mythique, Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars). Les deux hommes se connaissaient bien, ont travaillé ensemble vers 1959 et tourné côte à côte dans le désert d'Alméria. Face au succès et à la reconnaissance acquise par Leone, Corbucci peut parodier son film fétiche avec l'emblématique interprète de Tuco et faire dire à l'un de ses personnages « ...vergognati di fare vivere i tuoi bambini come dei barboni. Leone, questo devi diventare... » Barboni signifiant clochards mais étant aussi le patronyme d'Enzo Barboni, réalisateur des films de Trinità, tandis que « Tu devrais devenir un Leone/lion » est explicite. Plus largement, Il bianco, i giallo, il nero passe à la moulinette dix ans de western all'italiana. La première scène, savoureuse, voit la femme de Black Jack lui passer un savon en règle, lui reprochant une vie ratée. Le long monologue est constitué de titres de westerns italiens et autres fines allusions que le shérif écoute stoïquement avant de lancer « Ma ché c'entriamo noi, con la rivoluzione ? », titre originale du film précédent de Corbucci. L'effet comique est renforcé du fait que d'habitude, les personnages d'Eli Wallach sont ceux qui agonisent les autres de paroles.

La distribution va dans le même sens. Wallach c'est Leone, mais aussi tous les acteurs hollywoodiens venus trouver un second souffle en Europe. Giuliano Gemma incarne le western italien première manière, celui des Ringo et autres Arizona Colt, héros décontractés. Milian, c'est le renouvellement apporté par les personnages de mexicains (avec arrière-plan politique) et la tentation de greffer des éléments asiatiques sur un genre qui s'épuise. On peut aussi dire que Wallach incarne la tradition classique, Gemma le héros invincible et Milian la veine parodique. Bref, tout cela se tient, j'ose dire que cela fait sens. Et puisque c'est un adieu, Corbucci reprend aussi nombre de motifs qui ont jalonné sa carrière. Le shérif bien sûr, qu'il aime honnête, courageux et un peu idiot, et Black Jack d'être le digne héritier des personnages joués par Franck Wolf ou Gastone Moschin. Gemma joue un étranger un peu truand comme le polonais et le suédois joués par Franco Nero faisant équipe avec Tony Musante et déjà Milian. On trouvera aussi un Milian enterré jusqu'au cou, un cercueil contenant de l'argent, un cimetière (grand motif corbuccien), une prostituée rousse et une séquence de travestissement bouffonne. Je note un clin d'oeil à Howard Hawks quand, de derrière un muret, Gemma jette de la dynamite pour que Wallach tire dessus. Cet ensemble très référencé, mais sans parasiter l'action, peut dérouter celui qui s'attend à un pur récit, mais devrait réjouir par ce regard posé sur le genre et la réflexion un peu désabusée menée sur la fin d'un cycle.

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Le rapport à la comédie est important dans Il bianco, il giallo, il nero. Il faut commencer par rappeler que la comédie est le domaine de prédilection de Sergio Corbucci. Il en a fait avant ses peplums et ses westerns, il en a fait après et même ses films les plus sombres en contiennent une bonne dose. C'est de la comédie italienne, du sud, romaine, maniant l'humour noir, la parodie, le grotesque. D'où peut être malentendu si l'on ne considère cet aspect que comme accessoire alors qu'il me semble central. Corbucci manie le gag dans un esprit très bande dessinée, visuel et immédiat, jouant sur l'anachronisme et les ressorts éternels de la Comédia dell'arte. Blanc de Blanc porte une croix blanche sur son marcel rouge, façon d'arborer sa nationalité suisse. Il file sur la moto d'un démonstrateur ambulant. Plus tard, Black Jack tombe d'un pont tout droit dans la nacelle du side-car que Blanc de Blanc va séparer de l'engin. Plus loin encore, le shérif transforme cette nacelle en une variation du pousse-pousse asiatique qu'il oblige le Suisse à tirer tandis que le japonais court derrière. Ironie et répétition. Un esprit cartoon que l'on retrouve dans les oreilles démesurément allongées de Sakura lors de son sauvetage. Les gags construits sur la distance sont plus laborieux comme le mal de dent de Sakura ou l'évasion.

Reste le fameux gag du pet de Poney qui a traumatisé les commentateurs. Il mérite que l'on s'y attarde car à lire les compte rendus, il y en aurait pléthore. Il y en a deux, bien intégrés à l'intrigue. Au-delà de la finesse de l'idée, certes discutable, son rejet est symptomatique d'une éducation cinéphile. Les codes de représentation dans lesquels nous avons baigné (et baignons toujours largement) aux USA comme en Europe, bannissent nombre de choses liées au corps, le sexe en premier lieu, mais aussi nombre de fonctions naturelles. Le cinéma italien, plus direct dans son approche, a beaucoup fait pour l'évolution de ces représentations. Ainsi la première fois que j'ai vu un homme uriner à l'écran, c'était Rod Steiger dans le premier plan de Giù la testa ! (Il était une fois la révolution – 1971) de Sergio Leone. Plan coupé dans les copies américaines. Il suffit d'évoquer certaines scènes de Fellini, Ferreri ou Pasolini pour comprendre la nature de leur apport. Aujourd'hui, les choses ont évolué et Kubrick a pu filmer Nicole Kidman assise sur ses toilettes. On sera peut être moins sensible, ce qui n'est pas sûr.

Il bianco, il giallo, il nero est aussi une comédie de la parole, d'un phrasé, d'une langue spécifiquement romaine que Corbucci a développé spécialement avec Tomas Milian dès leur première collaboration et qu'il parodie ici avec son japonais de bazar. Le personnage de Sakura est prétexte au plaisir du jeu de mot, car il comprend tout de travers. Il faut avouer que cet humour ne passe pas la traduction. La version française est authentiquement vulgaire, la version anglaise plate. Les amateurs des Marx Brothers savent quels peuvent être les dégâts d'une version française. Ceci posé, Milian n'est pas Groucho et il faut aussi accepter (supporter) le jeu outré du cubain. Ce n'est pas, je le concède, évident pour tout le monde mais si l'on aime les Monty Pythons ou John Belushi, on devrait être à l'aise. Milian s'est beaucoup amusé avec Sakura, au point de le reprendre en bloc dans un film contemporain, Delitto al ristorante cinese (1981) du frère Bruno. Par contraste, Corbucci fait jouer Wallach tout en sobriété, loin des exubérants Tuco ou Cacopoulos. Gemma seul reste fidèle à lui même.

Globalement, ce côté comique marqué du film est à la fois un retour aux comédies de l'époque Totò (les mots, les gestes) et l'annonce d'un retour au genre qui va se poursuivre avec Bluff l'année suivante, un démarquage du succès américain de The sting (L'arnaque – 1973). Corbucci a fait le tour du western, en épousant toutes les inflexions, il referme le cycle dans un éclat de rire, comme Black Jack retourne à sa famille après avoir rêvé mener la grande vie avec les dollars et la belle prostituée.

L'ensemble reste mis en scène avec élégance, même si l'on décèle l'abandon des recherches visuelles ayant marqué les oeuvres les plus remarquables. Sergio Corbucci tend à un style plus épuré, direct, plus simple. Son monteur favori, Eugenio Alabiso est toujours aux commandes et enchaîne les péripéties sans temps mort, maniant l'ellipse hardiment. Mais il s'est assagi, exception faite de la scène bouffonne où nos trois héros se déguisent en danseuses de saloon, se font draguer puis déclenchent une bagarre fameuse. La photographie de l'espagnol Luis Cuadrado qui avait signé les superbes ciels de La banda J.S. est conforme aux canon du genre. Il y a toujours de belles choses ici et là, l'entrée des héros dans le village déserté, la précision des scènes d'action, l'utilisation de l'écran large, la composition de la première scène avec ses multiples personnages répartis en profondeur. Corbucci a toujours le chic pour tirer partie des extérieurs espagnols que l'on a vus cent fois. Seule véritable concession à la mode, c'est l'une des rares fois qu'Ennio Morricone ne signe pas la musique, confiée aux frères De Angelis qui composent un thème sautillant, énervant mais qui finit par s'imposer.

Il bianco, il giallo, il nero, avec ses limites, est un film plus intéressant qu'il n'y paraît, souvent distrayant, important au sein de la carrière de son auteur, attachant par certains côtés si l'on veut bien le voir à travers le regard fatigué du shérif Black Jack.

podcast

Sur Psychovision

La chronique de Tepepa.

Photographies : Flixter

06/12/2010

Godard contre Kubrick

Pour filer la métaphore cycliste, le Dr Orlof fait une belle course fond sur le col du St Godard avec un nouvel article, Godard décortiqué, sur la présence de notre homme deans le travail de Gérard Courant. De son côté, Ed de Nightswimming nous propose un de ces classements dont il a le secret. Êtes vous godardien ?

A l'origine de ce texte, il y a la découverte, voici quelques années, de la vidéo ci-dessous sur le toujours excellent et toujours multilingue O Signo do dragao. Cet extrait provenait de l'une de mes émissions cultes du temps que je regardais la télévision. Ah ! Cinéma, cinémas, la musique déchirante de Franz Waxman, les peintures de Guy Peellaert, le cri de Rita Hayworth dans Lady from Shanghai et les portes d'Aphaville. J'imagine que tous ceux qui suivaient ce magasine télévisé sur Antenne 2 dans les années 80 s'en souviennent avec les yeux humides. Donc je regarde et, comme souvent avec Godard, au bout d'une minute, je fais des bonds sur mon siège, excité, passionné et furieux. Les idées roulent dans ma petite tête, puis je temporise, je prends le temps de la réflexion en même temps que des notes, et puis le temps file, et puis comme on ne badine pas avec le contenu copyrighté, je constate que la vidéo a été retirée. Me voici avec un texte embryonnaire, une grande envie d'en découdre, mais plus de quoi travailler. Et pas question de se lancer de mémoire, la mienne est trop aléatoire. Je laisse donc macérer le temps que la vidéo ressorte, ailleurs. Magie d'Internet.

 

Donc voilà.

C'était ça, Cinéma, cinémas, et je trouve ça passionnant bien qu'en même temps ça me fasse grimper aux rideaux. Godard dans ses œuvres. Rien que sa façon de dire « C'est du Peckinpah, si tu veux ». Moi, je n'y tiens pas. En même temps c'est ici qu'il a cette belle phrase sur la télévision qui fabrique de l'oubli et le cinéma des souvenirs. Godard a la passion de la critique de cinéma. Devenu metteur en scène, il a fait vivre cette passion dans ses films. Rien ne l'enthousiasme plus que de confronter les images entre elles et nul peut être plus que lui n'a autant pensé (sur) les images. Reste que, comme toute l'équipe historique des Cahiers du Cinéma, il a construit cette réflexion sur des positions tranchées, des clivages marqués, une confrontation des films et des auteurs où se mêlent aux critères esthétiques des considérations politiques et morales. A cela s'ajoute chez JLG ce désir de la dispute dont j'ai déjà parlé. Il y a dans telle ou telle prise de position une part de provocation qui appelle une réponse. Mais son style, quelque peu ombrageux, puis sa réputation font que la réponse ne se fait pas.

La démonstration est ici exemplaire. Godard reçoit l'équipe de tournage (Guy Girard et Michel Boujut) au sein de son atelier ou de son laboratoire. Il confronte deux images, deux passages de deux films : Full metal jacket (1988) du réalisateur américain Stanley Kubrick et 79 veranos (79 printemps – 1969) du cinéaste cubain Santiago Álvarez. Il y a deux écrans l'un au dessus de l'autre, un peu comme Godard filmait Numéro 2 (1975). A première vue, tout oppose les deux films et leurs auteurs, la grosse production classique d'apparence, américaine (même si le film a été tourné en Angleterre) d'un auteur célèbre et célébré, face à un film poème, expérimental et très engagé d'un réalisateur cubain par ailleurs combattant de la révolution. Ce qui me gène, c'est le choix de la confrontation de ces deux films (au lieu d'une comparaison), les arguments utilisés et la plus value morale qui est donnée à l'un contre l'autre. Ce n'est pas tant sur le principe que je m'élève. Godard défend un cinéma qu'il aime et qu'il pratique, c'est son droit. Son dispositif est parfait. Mais sous l'habillage démonstratif, scientifique pourrait-on dire, il se permet de passer sous silence un certain nombre de faits, d'ignorer la spécificité de certaines situations et de passer en force au risque de l'énormité, le tout avec une parfaite mauvaise foi, renforcé du fait que ce n'est pas Boujut qui va lui faire la moindre remarque. Bien mieux, lors de l'échange autour du film de John Wayne de 1968, Godard se paie le luxe d'apparaître magnanime (ceci dit, il n'aurait plus manqué qu'il soutienne l'idée d'interdire un film). On sent trop le plaisir qu'il a de se mesurer lui-même avec Kubrick, n'abordant jamais le caractère particulier de l'œuvre et de l'homme.

Prenons l'histoire du ralenti. Chez Peckinpah il est inclus dans un montage très fragmenté, rapide, enchaînant les points de vue. Il s'agit de dilater le temps, de donner une respiration au sein des déchaînements de violence. Chez Kubrick, qui l'a peu utilisé, c'est tout autre chose. Il s'agit de donner du poids à un moment précis, celui de la mort de l'un de ces soldats que l'on suit dans un tourbillon ininterrompu depuis le début du film. Là, il est isolé et le ralenti, comme le plan subjectif juste avant, très large, accentue le sentiment d'isolement et de vulnérabilité. Chez Peckinpah c'est un point virgule, chez Kubrick c'est un point final. On peut dire aussi que chez Peckinpah c'est une façon de faire avancer l'action en la morcelant, alors que chez Kubrick c'est une suspension du temps pour figer l'action. Il est difficile de croire que Godard ne fait pas la différence d'autant que le ralenti kubrickien est proche de celui qu'il utilisa dans Sauve qui peut (la vie). Donner de la densité à un instant , à un geste bien particulier. Et celui d'Alvarez n'est guère différent puisqu'il s'agit de figer, de densifier un instant, ici de douleur. La seule différence se situe au niveau du personnage. Alvarez fait un film dont le personnage est un peuple en lutte, disons comme quand Eisenstein fait Octobre (1927), alors que Kubrick fait un film sur des individus envoyés dans la guerre. Godard ne nous dit pas que Full metal jacket n'est pas un film sur la guerre du Vietnam, mais mais un film sur le conditionnement à la guerre et l'effet de ce conditionnement. C'est là que se situe le travail documentaire de Kubrick. La guerre du Vietnam, en tant que fait historique, politique, est une abstraction que Kubrick rend en ne montrant justement pas l'ennemi, en ne faisant aucun discours alors qu'Alvarez conclut son plan par un intertitre qui sonne comme un slogan. La guerre de Kubrick ce sont de jeunes gens qui tirent aveuglément sur la façade d'un bâtiment qui pourrait être de n'importe où. Et qui meurent parfois. Et quand ils découvrent leur ennemi, c'est une gamine de 13 ans. Car le contre-champ existe. Kubrick doute de l'homme quand Alvarez croit dans le peuple. Godard ne nous dit pas que Kubrick est un artiste misanthrope, obsédé de contrôle et farouchement individualiste. Comment imaginer qu'il ait pu faire un film « américain » ?

Côté mauvaise foi, la sortie sur les grands acteurs hollywoodiens jouant les officiers allemands est un grand moment. J'allais citer John Wayne mais, le saviez vous, il a bel et bien joué un commandant de navire allemand dans The sea chase (Le renard des océans – 1955) pour John Farrow. Il y est bien entendu un allemand anti-nazi. Inutile de vous dire qu'il y est crédible comme moi en pape. Évidemment très peu l'on fait. Stewart, Bogart, Cooper, Grant, McQueen, Eastwood, certainement pas. Et quand on voit ce qu'à donné Marlon Brando en officier de la Wermarch pour Edward Dmytryk, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. C'est un peu comme quand on a imposé des acteurs espagnols à John Ford pour faire les indiens dans Cheyenne Autumn (Les Cheyennes – 1964), cela ne fonctionne pas terrible. A plus forte raison, penser qu'un acteur américain puisse jouer un vietnamien, c'est difficilement imaginable. Tant qu'au contraire...

Ce dont Godard ne parle pas, qui est essentiel et sur lequel on pourrait se rejoindre, c'est la différence d'accès aux films entre Kubrick et Alvarez, une différence économique qui est aussi un acte politique. Mais chacun des deux faisait les films qui lui ressemblait. Les deux visions sont complémentaires, pas antagonistes. On peut penser à bien des films qui auraient été plus pertinents pour la démonstration de Godard. Mais il lui fallait un adversaire à sa taille.

05/12/2010

Lo smemorato di Collegno : la comédie selon Corbucci

Le Corbucci - Godard Blogathon

A lire certains contributeurs, je me demande si je n'aurais pas du partir sur un article général pour présenter Sergio Corbucci. Alea jacta est comme on dit du côté de la gare de l'est. Le Dr Orlof propose un doublé superbe sur Godard avec Made in USA et Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard réalisé en 2009 par Alain Fleischer et qui lui permet d'approfondir les rapports de JLG avec ses contemporains. Ran répond de belle manière au questionnaire Godard sur De son coeur le vampire. une constante se dessine : Anna Karina.

Et maintenant pour quelque chose de complètement différent...

Par quel bout prendre Lo smemorato di Collegno, comédie italienne de 1962 réalisée par Sergio Corbucci avec Totò ? Peu connu voire totalement ignoré en nos contrées, l'objet me semble nécessiter une étude physico-chimique par décomposition de ses constituants que, lecteurs que j'aime, je vais réaliser sous vos yeux esbaudis.

En première approche, « comédie italienne » est le bout le plus familier. L'un des grands genres du cinéma transalpin. Célébré pendant plus de vingt ans puis pleuré pendant le même laps de temps. Ne nous y fions pas. Des tests poussés nous apprennent que la comédie italienne recouvre une grande variété de films et que, longtemps, elle ne fut guère considérée. Rappelons par exemple que le passage, au début des années 60, de Pietro Germi ou de Vittorio de Sica à la comédie ne fut reçu qu'avec des pincettes, et des accusations de traîtrise au néo-réalisme et au cinéma dit sérieux. Il fallu le travail acharné de critiques, la reconnaissance de festivals prestigieux et le soutien sans faille du public pour imposer quelques noms comme Dino Risi, Mario Monicelli puis Ettore Scola. Mais sous la plage se dissimule la face cachée de l'iceberg. Genre populaire entre tous, la comédie italienne a produit des milliers de titres dont une large partie est restée à usage national. Lo smemorato di Collegno fait partie du bataillon des sans grades signés Steno, Lucio Fulci, Giorgio Bianchi, Vittorio Cottafavi, Mario Mattoli ou...Sergio Corbucci. Il y a sans doute à explorer dans cette luxuriance, tant chez les stakanovistes du genre que chez ceux qui se feront un nom ailleurs. Mais ce n'est pas sans risque car on trouvera là une majorité de films anodins, vite vus et justement oubliés. Puisque nous en parlons, Lo smemorato di Collegno est l'histoire d'un amnésique, inspirée du procès Bruneri/Canella de 1926. Un homme qui cherche à trouver une histoire, la sienne, et auquel on en propose plusieurs. On en voudra pas à la France de ne pas s'être intéressée à ce film, nous avions alors (et c'est toujours le cas) nos propres comiques à usage interne. Mais le cinéphile bien né est un chercheur acharné et il n'hésite pas à trier des monceaux de caillasse pour dégoter quelques perles.

Penchons nous alors sur le composé « Totò ». Antonio Focas Flavio Angelo Ducas Comneno De Curtis di Bisanzio Gagliardi dit Totò, napolitain né en 1898 et monument national comme la fontaine de Trevi, la pasta all'arabiatta et Garibaldi. Totò a joué dans plus de cent films. Devenu très malade des yeux en 1956, il ne ralenti pas le rythme, incarnant toujours le même type de personnage, Totò, à mi chemin entre Chaplin et De Funes (qui le doubla en français et joua avec lui deux fois). Très populaire en son temps, ses films étaient pourtant mal reçus, souvent, par la critique. Il est toujours l'objet d'un culte fervent et, sur les marchés, sous les arcades, on le trouve toujours entre les posters de Marilyn et de James Dean. En France, son comique reposant beaucoup sur la parole et un type régional marqué, font qu'il n'est connu que pour quelques œuvres atypiques et de haute volée : le courageux père de famille de L'oro di Napoli (L'or de Naples - 1954) de Vittorio de Sica, le truand napolitain de I soliti ignoti (Le pigeon - 1958) de Monicelli et le moine de Uccellaci e uccellini (Des oiseaux petits et gros - 1966) de Pasolini. On voyait souvent à une époque sa collaboration avec Fernandel dans La Loi, c'est la loi (1958) de Christian-Jaque.

Lo smemorato di Collegno est plus typique. Totò a joué sept fois pour Sergio Corbucci au début des années 60, un Corbucci qui semble s'être beaucoup amusé à ces comédies souvent scénarisées par son frère Bruno, au point qu'il y fait de petites apparitions décontractées. Ce sont des films véhicules pour le Stradivarius Totò, faits pour mettre en valeur son extraordinaire force comique. Évadé d'un asile, notre amnésique est reconnu par une femme comme étant son mari, riche industriel. Il y a embrouille et la justice s'en mêle. A la barre défilent d'autres personnes (de petits truands, une veuve immigrée) qui affirment reconnaitre le smemorato. C'est donc un film de procès, de ces procès farfelus et bouffons comme on en a pu voir chez Sacha Guitry ou John Ford. Totò y donne toute sa démesure entre tirades déclamatoires à l'absurde précis et longs silences rendus intenses par son regard absent. Il y donne aussi libre cours à son goût du travestissement (en infirmier, en bonne sœur, en chasseur alpin), toujours très digne, toujours noble. Il a aussi cette présence tout à coup poignante quand il parcourt, voûté, avec son chapeau à plume, les quais du Tibre, avec sur les talons le chien qui sait, seul, la vérité sur l'homme. Passe alors l'ombre d'Umberto D.

Le dernier composé, c'est Sergio Corbucci que l'on sait bien aimé sur Inisfree. Sa veuve aimante, Nori Corbucci raconte l'anecdote suivante sur Taxi drivers : Le critique d'art Antonello Trombadori rencontre Federico Fellini accompagné de Corbucci à Rome et se présente devant le premier avec une sorte de révérence. Et Fellini de répliquer : « Vous feriez mieux de vous incliner devant Corbucci, parce que l'on parlera toujours de Totò et donc aussi de Corbucci. De moi, je ne sais pas...». Corbucci est aujourd'hui connu et plutôt bien connu pour ses westerns. Ils lui ont assuré en leur temps, succès et reconnaissance internationale. Mais comme pour beaucoup de réalisateurs de genre qui se sont révélé dans un créneau particulier, une large part de son travail est méconnu. Le western ne représente guère que 20% d'une filmographie de plus de 60 titres. Corbucci faisait de la comédie avant de faire des westerns et quand ce genre fut épuisé, il y revint jusqu'à sa mort. Ce qui permet d'affirmer que la comédie est le trait caractéristique de son cinéma. A de rares exceptions près, il mise sur l'humour avec délectation. Un humour aux multiples visages, ironique, satirique, noir profond dans Il grande silenzio (Le grand silence – 1968) ou Django (1966), parodique quand il démarque La dolce vita (1960), grotesque ou bon enfant quand il met en scène le duo Bud Spencer et Terence Hill, parfois un peu raz de terre. Mais de l'humour toujours, de ce ton et de ce style très romain, élégant et trivial à la fois, féroce aux grands, capable de tendresse aux petits, profondément pétri d'humanité. Un humour que l'on retrouve chez Pasolini, Nanni Moretti ou Fellini sur les aspects les plus excessifs, avec l'influence de la caricature et de la bande dessinée.

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Lo smemorato di Collegno est bien dans ce ton avec une mise en scène discrète, visant à l'élégance de la comédie classique américaine. Un noir et blanc limpide signé Enzo Barboni qui avait débuté avec Corbucci l'année précédente et sera un collaborateur fidèle avant de passer à la mise en scène sous le pseudonyme d'E.B. Clucher et d'inventer le personnage de Trinita. Beaucoup de soin est apporté aux décors, studio, studio, du tribunal, de l'asile et de la maison de Ballarini dont le côté artificiel rappelle le Hollywood des années 30 comme les téléphoni bianchi de l'époque fasciste. La musique de Pièro Piccioni est discrète, les plans sont larges, organisés autour de Totò comme Leo McCarey ou Sam Wood organisaient les leurs autour des frères Marx. Il s'agit de mettre le prince en valeur, de saisir pleinement ses expressions, ses gestes, lui qui est comme lâché en liberté dans le film. Aucun des effets affectionnés plus tard dans les péplums ou les westerns, débrayages d'espace ou profondeur de champ. Ce n'est pas aussi beau, question cinéma pur, que les constructions des duels de Django ou les formes circulaires de Il mercenario (Le mercenaire – 1968) mais il serait dommage de passer à côté de ce qui est déjà typiquement corbuccien. On retrouve des constantes, une conception mathématique de la mise en scène venue de son admiration pour Howard Hawks, l'éclatement du récit dans le temps avec l'utilisation de flashbacks enchâssés dans la scène de procès, le goût des portraits de groupes composés par accumulation, à-plat, et la place des personnages féminins. Ce dernier point est caractéristique. Au milieu du déchaînement de bêtise et de veulerie, la tendresse du réalisateur va au personnage de madame Polacich jouée par Elvy Lissiak. Jeune veuve de guerre, immigrée des Balkans, elle essaye de se recaser pour assurer l'avenir de son fils. C'est à elle que le smemorato réserve sa sympathie. « Je voulais l'entendre de ta... pardon, de votre bouche » lui dit-il quand elle avoue sa tentative de manipulation. C'est l'un des moments les plus émouvants du film, comme les regards fatigués et la silhouette voûtée par tant de bêtise que Corbucci sait mettre en valeur lors des dernières minutes qui voient s'éloigner son héros, errant à la recherche d'une vie qui lui échappe, avant la pirouette finale.

Bien sûr, il est amusant de retrouver tel ou tel trait de style que l'on a déjà repéré dans les films plus tardifs. C'est de la critique saumon qui remonte le courant, pas bobsleigh qui suit la pente naturelle du temps. Quand on parle d'artisanat à propos de réalisateurs du cinéma de genre, c'est à des films comme celui-ci qu'il faut penser plus qu'aux œuvres les plus ambitieuses. Facile à trouver en Italie, ce film, comme tous ceux du tandem Totò/Corbucci restent hélas inédits chez nous et ne bénéficient pas de sous titrage français. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas tenter l'expérience.

Affiche Antoniodecurtis.org