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01/05/2010

Ouragan sur Manakoora

The moon of Manakoora soon will rise again
Above the island shore
Then I'll behold it in your dusky eyes
And you'll be in my arms once more

Dès les premiers plans, je me suis souvenu que j'avais le film quand j'étais enfant. Le docteur Kersaint, joué par Thomas Mitchell, est accoudé au bastingage d'un navire croisant dans le Pacifique. Il passe au large d'une bande de terre désolée tandis que s'élève le thème, sur un mode nostalgique et doux, The moon of Manakoora composé par Alfred Newman. Le bon docteur plonge dans ses souvenirs et nous dans le film tandis qu'il raconte à une passagère la malédiction de l'île : les amours contrariés de deux indigènes, Marama et Terangi, en butte à la loi inflexible du gouverneur français DeLaage et à un terrible ouragan.

The hurricane sortit fin 1937 est l'un des gros succès commerciaux de John Ford dans les années 30. C'est une production à grand spectacle et gros budget pour laquelle Ford a touché un gros chèque (un record en son temps) de Sam Goldwyn. Le réalisateur voulait tourner dans les mers du sud, mais Goldwyn revînt sur sa promesse et Manakoora fût créée en studios et sur les îles de Californie tandis qu'une seconde équipe prenait quelques plans dans les Samoa. Ford put juste utiliser son ketch acquit en 1934, l'Araner, pour jouer la goelette du capitaine Nagle, ce qui ne calma pas sa frustration. Il semble, mais avec lui rien n'est jamais sûr, qu'il se soit du coup détaché du projet, tournant des plans complémentaires demandés par Goldwyn sans regimber mais la tête ailleurs. Il laissa surtout le gros du travail sur le clou du film, la dévastation de Manakoora par l'ouragan, à Stuart Heisler bombardé réalisateur associé et James Basevi pour les effets spéciaux encore aujourd'hui spectaculaires.

Du coup le film est tenu entre piètre estime et indifférence polie et McBride peut écrire que « ...le réalisateur semble n'avoir rien apporté de personnel ». Cela me semble un peu court, même si le film a des défauts et qu'il ne se compare pas aux grands oeuvres de la période. Paradoxalement, The hurricane m'apparait comme très fordien. Inspiration, personnages, motifs et thèmes, le film possède d'indéniables liens avec le reste du travail de Ford, passé et à venir.

The hurricane s'inscrit dans la vogue des films-catastrophe très prisés par Hollywwod à diverses époques. James Basevi s'était d'ailleurs occupé du tremblement de terre de San Francisco l'année d'avant pour le film de W.S. Van Dyke. Il est également représentatif de l'attrait pour les histoires exotiques à base d'îles paradisiaques, de mélopées envoûtantes et de paréos sensuels. La vedette Dorothy Lamour restant l'icône de ce genre de films. John Ford était lui-même sensible à cette dimension, faisant des îles l'un de ses paradis perdus aux côtés de l'Irlande et de Monument Valley. On retrouve donc ici la description idéalisée d'un mode de vie millénaire, scandé par les rites mêlant une spiritualité primitive et un christianisme pur. Une société conciliant l'esprit de la communauté et respect de l'individu dans laquelle un occidental moderne (le docteur Kersaint comme plus tard Sean Thorton) peut se ressourcer. Le film est construit sur ce schéma fordien classique de l'opposition entre la Loi et la Liberté. A l'époque, Ford est encore loin des nuances amères de The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance – 1962) et se situe clairement du côté des polynésiens, de leur société aux accents libertaires et hédonistes, tempéré par le respect des coutumes ancestrales et de la foi. Sur ce dernier point, Ford, malgré son catholicisme viscéral, fait preuve d'une certaine ironie en montrant la destruction de l'église et de ceux qui s'y sont réfugiés, s'en remettant à une foi étrangère à leur nature profonde. Les survivants seront ceux qui ont utilisé les ressources naturelles de l'île.

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Ford organise son discours à travers l'action, le conflit des idées est celui des hommes, celui entre Terangi victime politique de l'administration française et Delaage, homme rivé à son devoir et au texte de la Loi et celui entre Delaage et Kersaint, véritable pivot du film et sans doute incarnation du réalisateur qui défend une approche humaniste. Ces deux conflits principaux sont nuancés par les positions des autres personnages secondaires, l'amour absolu de Marama, la femme de Delaage qui prêche la tolérance, le pragmatisme parfois égoïste du capitaine Nagle et l'idéalisme du prêtre Paul.

Loi et Liberté, individu et communauté, accents libertaires et foi, tout ceci sonne clairement fordien et l'on retrouve sans surprise au scénario l'homme qui influença beaucoup Ford à l'époque, Dudley Nichols, son collaborateur de 14 films, de Born Reckless en 1930 à The fugitive (Dieu est mort) en 1947. Sur la forme, la photographie est de Bert Glennon qui avait déjà signée celle de The Prisoner of Shark Island (Je n'ai pas tué Lincoln) l'année d'avant et qui travaillera encore avec Ford pour six films dont Stagecoach (La chevauchée fantastique – 1939) et Rio Grande (1950). Lagons aux gris perlés, éclairés par la lune, sombres ambiances du pénitencier, atmosphère quasi fantastique des scènes de prélude à la tempête, c'est du grand art.

The hurricane entretient de nombreux points communs avec le film de 1936, outre la thématique de l'innocent broyé par un système pénitentiaire vicieux et John Carradine en gardien sadique, toute la séquence du bagne est traitée de la même façon expressionniste, avec le même travail sur de vastes ellipses pour évoquer le passage des années. Fordienne toujours la performance de Thomas Mitchell qui semble préparer le Doc Boone de Stagecoach, médecin ivrogne mais philosophe et pourtant compétent, capable ici d'accoucher en plein ouragan. Je note enfin la sensualité certaine dont fait preuve le réalisateur dans la description des moeurs amoureuses des polynésiens, une sensualité inhabituelle quoiqu'un peu désuette compte tenu des codes de l'époque, mais qui ramène à la très belle scène d'ouverture de The long voyage home (Les hommes de la mer – 1940). On peut voir ici l'admiration que Ford portait à Friedrich Wilhelm Murnau dont le Tabu (Tabou – 1931) a certainement été source d'inspiration. On peut voir surtout que Ford a apporté pas mal de choses personnelles à son gros film commercial. Y compris comme Christophe du blog Avis sur des films, une parabole transparente sur la situation irlandaise à laquelle Ford était particulièrement sensible en 1937.

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Alors pourquoi The hurricane n'est-il pas complètement satisfaisant ? L'équilibre entre le spectacle et la dialectique n'est pas réalisé. Autant l'ouragan final est convainquant, autant nombre de scènes de dialogue illustrant les diverses oppositions sont raides et peu inventives. C'est le vent violent qui bouscule tout dans la maison du gouverneur qui met de la vie dans un cadre autrement figé. Le couple vedette, John Hall et Dorothy Lamour est glamour mais sans profondeur. La relation entre le gouverneur (Raymond Massey) et sa femme (Mary Astor) est peu exploitée ce qui finit par donner à la raideur de Delaage un côté mécanique. Et puis Alfred Newman pour la musique, mis à part le thème qui deviendra un standard du genre exotique, a la main lourde. Ses orchestrations sur-dramatisent au point parfois de couvrir les dialogues. Comme certaines oeuvres de la dernière période, The hurricane est plein de choses très fordiennes mais comme tenues à distance. Comme si Ford ne pouvait s'empêcher d'exercer sa poésie tout en refusant de l'impliquer dans un film dont il s'était détaché. En 1963, il reviendra à cette utopie des mers du Sud avec l'Araner et l'île d'Haleakaloa pour Donovan's reef (La taverne de l'irlandais), film solaire, détendu, en technicolor et sans catastrophe. Mais ceci est une autre histoire...

Affiche source : Carteles

Photographie : toutleciné.com

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28/04/2010

10 films d'animation - partie 2, les longs

A l'origine de cette frénésie de listes sur les meilleurs films d'animation, le blog Plan-C qui compile les différentes réponses. Côté longs métrages, certains choix sont des crève-coeurs. J'avoue ne pas être un enthousiaste forcené de l'animation japonaise moderne, même si j'ai aimé tel ou tel titre de Katsuhiro Ōtomo, Satoshi Kon ou Mamoru Oshii, mais je me suis endormi à Patlabor. Je ne suis pas non plus convaincu par les adaptations de bandes dessinées, que ce soit Lucky Luke, Tintin ou Persépolis. Voici donc 10 titres qui, à défaut d'être les « meilleurs », sont parmi mes préférés et certainement ceux qui m'ont le plus marqué :

Le roi et l'oiseau (1979) de Paul Grimault

Prévert aux textes avec le roi Charles V et trois font huit et huit font seize de Takicardie, l'oiseau , la charmante bergère et le petit ramoneur de rien du tout. Avec le robot qui inquiète ma fille et le joueur d'orgue de barbarie. Un classique à la technique d'animation d'une souplesse (presque) inégalée. Dormez, dormez, petits oiseaux...

Tonari no Totoro (Mon voisin Totoro – 1988) de Hayao Miyazaki

Beau comme la rencontre de Lewis Caroll et de Yasujirō Ozu dans le Japon des années 50. Sobre, pas de méchant, pas d'antagoniste, pas vraiment d'histoire mais la plus belle description de l'imaginaire de deux petites filles. Chef d'oeuvre, pour une fois que l'expression a un sens.

Sleeping beauty (La belle au bois dormant – 1959) de Clyde Geronimi

Contrairement à Serge Daney, mes parents ont commencé à m'initier au cinéma avec Disney. Bon, avoir un enfant permet de replonger dans cette vaste filmographie. Surprise, Sleeping beauty a très bien vieillit. La princesse est piquante, le prince pas trop niais, Maléfique tellement réussie que la majorité des méchants disneyiens à venir l'imitent, et puis le dragon... Au-delà, le film, en tant que film, est une splendeur, peut être la production la plus ambitieuse des studios Disney : écran large, perfection de l'animation, travail sur les décors et la profondeur de champ, originalité du graphisme, utilisation d'une partition classique. Mon préféré.

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Hotaru no Haka (Le tombeau des lucioles – 1988) de Isao Takahata

Inspiré du roman de Akiyuki Nosaka, le film lacrymogène par excellence dont je vous ai entretenu il y a peu. Développé par le studio Ghibli en parallèle avec Totoro, il en est en quelque sorte la face sombre mais en partage l'exigence de l'animation, la perfection dramatique, la sensibilité à l'enfance et un lien étroit avec la tradition du grand cinéma japonais. Au-delà, c'est une histoire terriblement dure et profondément triste qui, que, enfin bref...

The lord of the ring (Le seigneur des anneaux – 1978) de Ralph Bakshi

Quand le maître de l'animation adulte américaine s'attaque au monumental bouquin de J.R.R. Tolkien. Mon premier film d'animation non disneyien et donc un choc terrible. Le film n'a pas que des qualités mais il m'a durablement marqué. Pendant 20 ans, avec mon frère, nous avons attendu la suite. Usant et abusant du procédé rotoscopique, Bakshi réussi pourtant à donner à son oeuvre une véritable originalité graphique (les décors sont somptueux) et certaines scènes sont authentiquement terrifiantes ou épiques. La partition de Léonard Rosenman est grandiose et je ne m'en suis jamais lassé. Trois ans plus tard, Heavy metal de Gérald Potterton sera un second choc du même ordre, avec aujourd'hui, les mêmes réserves. Taarna forever.

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Chiken run (2000) de Nick Park et Peter Lord

Les pères de Wallace et Gromit passent l'Atlantique et avec un coup de main de Steven Spielberg offrent leur premier long métrage. Perfection de l'animation, sens du détail, humour et parodie des films de guerre, goût pour les machines folles, on retrouve l'essentiel de ce qui fait le succès des courts métrages. Et puis le film tient la distance. Le premier long avec leurs personnages fétiches sera tout aussi réussi.

Sen to Chihiro no Kamikakushi (Le voyage de Chihiro – 2001) de Hayao Miyazaki

D'accord,il y en a deux mais moins, c'est trop me demander. Très ambitieux, le film est à l'opposé de Tonari no Totoro tout en le rejoignant sur l'essentiel. Complexe et pourtant toujours clair, inventif jusqu'à l'exubérance (le défilé des dieux), grandiose et intime, sophistiqué et pourtant parfois aussi simple que la trace du train fendant les flots. Désolé pour la princesse louve et le cochon volant, je n'ai plus de place.

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Kirikou et la sorcière (1998) de Michel Ocelot

Consécration d'une oeuvre imposante, le film de Michel Ocelot ouvre aussi une période faste pour le long métrage d'animation français avec les films de Jacques-Rémy Gired ou Sylvain Chomet. Redécouvert avec ma fille il y a peu, je ne souvenais plus combien le film est original, dans son graphisme comme dans sa construction. Très sensuel aussi avec l'extraordinaire personnage de Karaba la sorcière.

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The Nightmare Before Christmas (L'étrange Noël de Mr Jack – 1993) de Harry Selick

Scénarisé par Tim Burton, ce qui a eu l'effet pervers de sous estimer le travail de son auteur, The Nightmare Before Christmas est un bijou macabre et drôle, musical et d'une invention permanente. Danny Elfman à la musique donne un de ses chef d'oeuvres. Définitivement une autre façon de voir Noël.

Anastasia (1997) de Don Bluth et Gary Goldman

Pendant une quinzaine d'années, Don Buth a représenté la principale alternative aux productions Disney. Si je trouve que An american tail (Fievel et le nouveau monde - 1986) a un poil (de souris) vieillit, j'ai revu Anastasia avec beaucoup de plaisir. Le film se présente comme un conte de fée musical, impressionnant techniquement, retrouvant finalement la formule des classiques disneyiens qui fait un retour en force dans les années 90. Outre la virtuosité de la mise en scène, on pourra apprécier le couple de héros qui fonctionne sur le principe de la « screwball comedy » canonique de façon réjouissante. Et puis la chauve-souris Bartok est une belle réussite.

Photograhies : Screenrant, 24 frames a second, Oomu.org et Gomme et gribouillages. DR.

26/04/2010

10 films d'animation - partie 1, les courts

Via Ed de Nightswimming et Frédérique, voici donc une proposition de dresser une liste des dix films d'animations préférés. Mission acceptée. Mais ce n'est pas simple. Je ne fais pas partie de ceux qui envisagent l'animation comme un genre, mais comme une technique qui se décline d'ailleurs de manières très diverses, du dessin animé proprement dit à l'animation en volume, des poupées au sable en passant par les papiers découpés, le grattage sur la pellicule et le numérique. Donc reste au final les films et leurs auteurs. Et trois problèmes à surmonter : limiter le nombre de films d'Hayao Miyazaki, ne pas faire d'anti-Disney primaire et concilier longs et courts métrages. Après deux jours d'intense cogitation, je me suis raisonné sur les deux premiers points et j'ai décidé de faire deux listes, une de courts et une de longs. Je sais, je triche, mais c'est plus amusant. Pour les courts, je vous mets les liens pour aller les voir.

Bad luck Blackie (1949) de Tex Avery

Difficulté annexe, sélectionner un seul cartoon dans l'oeuvre immense du grand Tex. Bon, comme beaucoup, je l'ai découvert à travers les programmations de Patrick Brion, à Noël souvent. Comme beaucoup j'en pleure de rire et, pour cette fois, je choisis cette adorable histoire du chat noir qui provoque les chutes d'objets les plus improbables sur un chien aussi stupide que méchant. Progression, rythme, gags, musicalité, c'est parfait. (lien)

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Father and daughter (Père et fille – 2000) de Michael Dudok de Wit

J'ai déjà beaucoup parlé de ce film qui a été un grand choc. Illustration d'un sentiment universel à l'aide d'un dessin très stylisé et d'une animation sobre mais puissante. Et puis la musique. Un niveau d'émotion rare au cinéma, d'autant plus étonnant qu'il ne passe jamais par les expressions des visages. Un autre film parfait. (lien)

Syrinx (1965) de Ryan Larkin

La musique de Debussy et du sable animé en noir et blanc pour une évocation légendaire. Une poésie et une délicatesse infinie pour ce chef d'oeuvre canadien d'un auteur rare. (lien)

A close shave (Rasé de près - 1995) de Nick Park

Wallace et Gromit. Qu'ajouter d'autre ? Le plus délirant des quatre courts, même si j'ai un faible pour le pingouin de Wrong trousers (1993). (lien extrait)

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Fast film (2003) de Virgil Widrich

Incroyable tour de force en papiers découpés et pliés selon les techniques de l'origami. Un film qui est aussi un hommage fou au grand cinéma. Caractéristique de l'inventivité de l'animation moderne alliant tradition, technologie et expérimentation (lien)

Vincent (1982) de Tim Burton

Difficile de passer à côté de ce titre. (lien)

Vincent Malloy is seven years old
He’s always polite and does what he’s told
For a boy his age, he’s considerate and nice
But he wants to be just like Vincent Price

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For the Birds (Drôles d'oiseaux sur une ligne à haute tension – 2000) de Ralph Eggleston

L'humour des studios Pixar à son meilleur concentré en moins de trois minutes. (lien)

Der Fuehrer's Face (1943) de Jack Kinney

Donald est un génie (et Daffy aussi). Il est sortit bien des choses passionnantes des studios Disney dont ce court métrage où Donald se cauchemarde en Allemagne nazie. C'est un pur film de propagande, un peu le pendant du Blitz wolf (1941) de Tex Avery, bourré d'inventions visuelles (travail sur les déformations, utilisation plastique de la musique comme dans Fantasia en 1940) et de gags hilarants comme le petit déjeuner ou le coucou hitlerien. (lien)

Le cyclope de la mer (1998) de Philippe Jullien

Un gardien de phare recueille un petit poisson sur une composition originale de Yann Tiersen. Une animation en volume de la nouvelle génération française, à la suite des essais de Jean-Manuel Costa dans les années 80 (La tendresse au maudit, Orphée). (lien, partie 1)

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Et en plus je ne sais plus compter ! Pour le dixième, je vous proposerais donc, ex-aequo, Les oiseaux sont des cons, petit poéme illustré de Chaval datant de 1965, au texte inoubliable et aux dessins très noirs (lien), et puis, parce que quand même l'animation à l'Est ce n'est pas rien, le classique Tango (1980) du maître polonais Zbignew Rybczyński. 36 personnages, sept mois de travail, guettez la superbe blonde qui entre sur la gauche. (lien)

Photographies : Hollywood Animation Archive, DR, Tim Burton Collective, Wikipedia

21/04/2010

Spider baby

La profonde crise du cinéma hollywoodien dans les années 60 a favorisé, entre autres choses, l'émergence d'un certain cinéma américain indépendant. Non qu'il n'ait pas existé auparavant, mais la période le voit se développer et rencontrer le succès. Son essor correspond à la fermeture des départements « B » des grands studios et surfe sur les derniers coups portés au code de censure dit code Hays qui cède face à la libéralisation des moeurs et aux audaces venues d'Europe. En retour, ce cinéma va influencer Hollywood à un point que l'on ne mesurait peut être pas à l'époque. Par cinéma indépendant, il ne faut pas entendre le cinéma à visée intellectuelle régulièrement promu aujourd'hui par le festival de Sundance. Non, il s'agit de films produits en marge du système, le plus souvent loin de ses centres décisionnels (Georges Romero fait ses premiers films à Pittsburg).

Ce sont des films à petits budgets, des films d'exploitation souvent, destinés aux drive-in et aux salles de quartier, aux salles artistiques parfois, des météores sur pellicule au ton particulier, brisant les règles en vigueur pendant quatre décennies. Des films qui auraient pu rester noyés dans la masse d'un cinéma de consommation courante ou d'un ghetto auteurisant, mais qui, par une conjonction favorable et l'acharnement de quelques hommes, se sont révélés comme autant de pépites. Là, oui, nous pouvons parler d'authentiques films cultes. Ces films ont eu de fervents admirateurs, rares au début, et parmi eux de futurs réalisateurs. Il seront séduits par l'audace des images, la force des propos et la liberté des réalisations, et c'est là que l'on pourra mesurer à quel point ces films ont influencé les quarante années qui ont suivi à coup d'invention et d'énergie. Aujourd'hui encore, au risque du cul-de-sac.

Quoique très différents, je mettrais dans ce cinéma indépendant les délires gore d'Hershell Gordon Lewis, les films inclassables et sensibles de John Cassavetes, les cartoons mammaires de Russ Meyer, le gothique façon Roger Corman, les westerns de Monte Hellman, et puis quelques oeuvres uniques, magnifiques diamants noirs : Carnival of the souls (1962) de Herk Harvey, Night of the living dead (La nuit des morts vivants – 1968) de Georges Romero, le hippie Easy rider (1969) de Dennis Hopper et jusqu'au Texas Chainsaw massacre (Massacre à la tronçonneuse – 1974) de Tobe Hooper.

Et puis, il y a le Spider baby de Jack Hill.

A suivre sur Kinok

Le DVD

Le site officiel

Sur Série Bis

Sur Sueurs froides

Sur Les déjantés du ciné (avec traduction de la comptine)

Sur Flickerama

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18/04/2010

Comptine

Screams and moans and bats and bones
Teenage monsters in haunted homes
The ghosts on the stair
The vampires bite
Better beware, there's a full moon tonight

Cannibal spiders creep and crawl
Boys and ghouls having a ball
Frankenstein, Dracula and even the Mummy
Are sure to end up in someone's tummy

Take a fresh rodent, some toadstools and weeds
And an old owl and the young one she breeds
Mix in seven legs of an eight-legged beast
Then you are all set for a cannibal feast

Sit around the fire with the cup of brew
A fiend and a werewolf on each side of you
This cannibal orgy is strange to behold
And the maddest story ever told

 

spider-baby.JPG

Photographie : DR

23:06 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jack hill |  Facebook |  Imprimer | |

17/04/2010

Canine

Ela na sou po (J'ai quelque chose à te dire – 2000) est un court métrage de Katerina Filiotou. Un conte sensuel et drôle qui voit un petit bout de femme bien installée dans son univers familial vivre un moment de pulsion solaire avec un jeune homme beau comme un demi-dieu, Grec bien sûr. De retour chez elle, sa joie est telle qu'elle ne peut se retenir de la faire partager à mari et enfants dans un irrépressible fou-rire. Sensible, fluide, lumineux, le film de Katherina Filiotou est un petit bijou qui rend heureux avec un petit arrière-goût mélancolique pas désagréable du tout.

canine.jpg

Pourquoi vous parler de ce film modeste et éclatant à propos de Kynodontas (Canine – 2009) de Yorgos Lanthimos ? Parce qu'il ne faudrait pas croire que les jeunes cinéastes grecs font tous des films aussi pénibles que celui-ci malgré la flopée de prix et d'éloges qu'il a récolté.  Kynodontas se vautre avec complaisance dans la prétention de la forme, la provocation des images et le blême du fond. Papa, vieux cadre pas trop dynamique dont on se demande bien en quoi consiste son boulot, a reclus son fils et ses deux filles avec l'accord tacite de maman qui était funambule ou danseuse dans une autre vie. Ils vivent en vase clos dans une charmante villa avec parc et piscine, les enfants acceptant les histoires à dormir debout que raconte papa sur l'extérieur. Bien évidemment, il va y en avoir un des trois qui va avoir envie d'aller vérifier par lui-même. Pourquoi pas ? Acharné à faire décalé, à cultiver l'originalité, à bien marteler sa critique de la société-tu-m'auras-pas et de l'éducation-piège-à-c...,  Lanthimos ne propose finalement qu'une variation sur The village (Le village – 2003) pensum déjà peu léger de M. Night Shyamalan, revu dans l'esprit de  Michael Haneke. Quel programme enthousiasmant chers lecteurs !

A suivre sur Kinok

L'avis d'Ed(isdead)

Sur Lanterna magica

Sur Critikat par Marion Pasquier (« La fin du film est un cadeau que l’on aimerait voir plus souvent à l’écran... »). Comme quoi je peux être ouvert.

Un entretien avec le réalisateur sur Excessif

Photographie : source MK2

15/04/2010

Basculements

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- Qu'est-ce que tu dirais si je t'envoyais mon verre à la figure ?

- Vas-y.

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Première fois 3.jpg
- Crache moi dessus.
- Quoi ?
- Cra-che-moi-des-sus !
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C'est le privilège du cinéma d'être capable de saisir, dans son entier déroulement, de tels moments ou tout bascule. Cette attirance entre deux êtres qui se fait irrésistible. Cette passion qui fait tomber tous les blocages et les peurs diffuses. La réalisation d'un acte libre, ce cet acte libre qu'Albert appelle de ses voeux, "Un acte libre qui rompt le cours du temps" comme l'explique Anna. Un acte qui nous change en profondeur, avec un avant et un après. Une véritable inflexion de nos vies. C'est si rare, il y a de quoi avoir peur, vraiment.

Les mises en scène de Bruno Podalydès et de Sam Taylor-Wood s'organisent autour de ce moment, explorant le temps et l'espace autour de ce mouvement des êtres, du passage de deux à un.

Ce qui est drôle dans Dieu seul me voit (1996), c'est que les deux personnages, Anna et Albert, on théorisé cet acte, qu'ils discutent longuement ce moment de basculement, mais qu'Albert ne se résout pas à en être le moteur. Podalydès explore ses mille et une micro-reculades, ses esquives, décrit ces liens invisibles qui immobilisent son corps et son âme. Et ce geste violent, inédit, ludique et si chargé de sexualité, du jet du verre d'eau au visage, malgré le courage d'avoir cédé à l'impulsion, ne suffit pas. Albert pense trop.

Ce qui est beau dans Love you more (2008), c'est le contraire. Georgia et Peter ne théorisent rien. Jeunes encore, ils ont la candeur de l'innocence malgré leurs touchantes attitudes d'affranchis. Ils ne pensent pas et s'abandonnent à leur instinct. La communion intellectuelle autour du morceau des Buzzcocks les réunit mais ne suffit pas à briser les inhibitions. Par contre le geste de la bière crachée au visage repose sur la même idée que chez Podalydès avec le même sous-entendu sensuel. Il est ici suffisant, les digues de la peur cèdent et la passion déferle.

Ce qui est charmant et paradoxal chez Podalydès, c'est que ce sera finalement Anna qui aura ce geste libre, doux, apaisant, sur la cuisse d'Albert, alors que le suspense est construit minutieusement sur l'attente de l'action de l'homme.

Ce qui est touchant chez Taylor-Wood, c'est la lumière solaire qui baigne la scène, cette scène si ordinaire et si unique, lumière divine qui transcende le trivial.

Ce qui est émouvant dans ces deux scènes, c'est d'avoir réussi à montrer cette première fois, cette douceur, cette violence, cet abandon à l'autre. La joie de la passion.

09/04/2010

Rome plutôt que vous

Et vous, votre café, vous le faites comment ? Avec des coquilles d'œuf dans le filtre comme chez John Ford ? Avec une de ces machines sophistiquées à capsules qui permettent de vous le vendre dix fois plus cher ? A la cafetière électrique qui donne le plus souvent une lavasse claire à l'américaine ? Ou bien à la cafetière italienne ? La cafetière italienne, c'est le mieux. Tous les gens de qualité savent que les italiens font le meilleur café. Vous ne savez pas vous en servir ? Alors précipitez vous sur Rome plutôt que vous premier long métrage de l'algérien Tariq Teguia sortit en 2006. Il y a un plan séquence où Zina, jouée par la belle Samira Kaddour, réalise l'opération en temps réel dans la cuisine familiale. Elle pourrait faire autre chose comme éplucher les légumes pour le taboulé, mais ça aurait fait trop long. Je sais, j'ai l'air de faire de l'ironie facile. Ce n'est pas (tout à fait) le cas. Il est vrai que la tentation est grande de faire léger avec un film si sérieusement dense, comme il n'est pas mauvais de faire sérieux avec des films plus légers.

La suite sur Kinok

Rome.jpg
Le DVD

Sur Excessif

Chez MadameDame à laquelle j'ai également emprunté la photographie.

 

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30/03/2010

Je veux voir

Emmanuelle Riva, nous dit-on, n'avait rien vu à Hiroshima. Catherine Deneuve, qui est une femme bien organisée, entend bien voir quelque chose au Sud Liban de la violente et rapide guerre de 2006. Elle saisi donc l'occasion offerte par le couple de cinéastes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige de faire sur place un film qui repose sur ce désir de voir. Désir de Deneuve mais aussi désir des auteurs qui se sont retrouvés bloqués en France pendant le conflit et l'ont suivi comme la grande Catherine, vous ou moi, sur leur écran de télévision. Désir qui se complique de celui d'(a)voir Deneuve, désir de cinéaste pour susciter celui du spectateur et rassurer accessoirement celui des producteurs. Désir de revoir aussi, de la part des réalisateurs libanais, revoir cette part de leur pays meurtri. Désir qui s'incarne dans l'acteur Rabih Mroué, qui fera office de guide pour Deneuve puisqu'il est originaire de la région dévastée. La constitution de ce couple d'acteurs injectée dans le dispositif documentaire lui donne une part de fiction. On l'aura compris, Je veux voir est un film à tiroirs.

Je_veux_voir.jpg

A cette injonction « Je veux voir », Mroué répond « Allons-y », tel le personnage de William Holden dans The wild bunch (La horde sauvage – 1969) de Sam Peckinpah, ce qui est sûrement la comparaison la plus incongrue que je puisse trouver à propos du film. Pour préciser les choses et se donner un repère, un objectif est nommé : voir/revoir la maison de la grand mère de l'acteur. Et Deneuve de mettre des chaussures à talon plats adaptés à la situation, une tenue élégante( toujours) mais sobre, et en voiture, Simone ! Non, pardon Catherine, ce n'est pas un bon mot facile. A plusieurs reprises votre visage de rayonnante sexagénaire m'a fait penser à celui de la Signoret période Le chat (1971) ou L'aveu (1970). Une grande actrice, une femme engagée et courageuse, capable de porter un regard sur le monde.

Chronique à suivre sur Kinok

le DVD

Photographie © Patrick Swirc

Sur la Kinopithèque

Sur le Ciné-Club de Caen

Sur Excessif

Sur Politis

26/03/2010

Odes à la Muse Nue (copinage)

Scream Queen quatre étoiles, plus délicieusement vulgaire que Barbara Steele, plus onctueuse et intense que Barbara Bach et Caroline Munro réunies dans le waterbed d'Ursula Andress,  Edwige Fenech est l'argument principal des deux productions, qui n'auraient vraisemblablement de sens sans elle (comme souvent les films dans lesquels elle avance en « starring »).

Icône masochiste au sein de réguliers cauchemars à la plastique plus-psyché-tu-meurs, la belle brune, peu regardante (voir ses softies grivois en pensionnat, commissariat ou hôpital) mais fort regardée, se fait la docile et inlassable victime de la hardiesse, ou la plus vénale envie, de tout son entourage.

Mariaque succombe au(x) charme(s) de la belle Edwige dans deux gialli de Sergio Martino, chroniqués sur Kinok.

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Photographie : DR

23/03/2010

Visions de l'impossible

Depuis le 10 mars et jusqu'au 31 août 201, vous pouvez, si vous êtes à Paris, visiter l'exposition proposée par le Mémorial de la Shoah : Filmer les camps, de Hollywood à Nuremberg. John Ford, Georges Stevens, Samuel Fuller.

Ford, dès les années trente, parallèlement à sa carrière de réalisateur, collabore avec les services secrets (l'OSS), fait du renseignement à l'occasion de ses croisières sur son yacht l'Araner, et met sur pied, de sa propre initiative, une équipe d'opérateurs capables d'intervenir sur le terrain en cas de guerre. Il sont prêts bien avant Pearl Harbour et l'entrée en guerre des USA en 1941, donnant naissance à la Field Photographic Branch (FPB). Les hommes seront sur tous les théâtres d'opération, Ford lui-même filmant la bataille de Midway en 1942.

Georges Stevens, lui, rejoint et met sur pied la Special Coverage Unit (SPECOU) en vue de filmer le débarquement de Normandie. L'unité sera de tous les combats d'Omaha Beach jusqu'au coeur de l'Allemagne. En 1945, ils sont présents quand l'armée américaine ouvre les portes du camp de concentration de Dachau.

Samuel Fuller est soldat dans la fameuse Big Red One dont il racontera l'histoire dans son film magnifique de 1980. En 1945, son unité libère le camp de Falkenau en Tchécoslovaquie et Fuller est chargé de tourner un documentaire quand les américains forcent la population allemande à se rendre au camp pour enterrer les morts. Ce sera son premier film, tourné avec avec la caméra Bell & Howell 16 mm à manivelle que sa mère lui avait offerte.

En 1945, Ford supervise un montage d'images tournées lors de la libération des camps, en particulier celles des hommes de Georges Stevens à Dachau. Ce montage donne naissance à un film que signe Ray Kellog alors opérateur, futur spécialiste des effets spéciaux et réalisateur de seconde équipe prestigieux. Ce film est destiné à préparer le procès de Nuremberg. Il dure une heure et prend le titre de Nazi concentration camps. Dans le documentaire Imaginary Witness : Hollywood and the Holocaust (Hollywood et la Shoah - 2004) de Daniel Anker, on explique que ce film ne fut finalement pas vraiment montré au grand public. Les images étaient considérées comme trop dures et rapidement, avec le plan Marshall et le début de la guerre froide, les priorités changèrent. Ces images pourtant sont les principales archives qui existent du cauchemar concentrationnaire. On va les retrouver en partie dans Nuit et Brouillard (1956) d'Alain Resnais, puis c'est Stanley Kramer qui va les intégrer de façon spectaculaire dans son film de télévision Judgment at Nuremberg en 1959 puis dans la version cinéma en 1961 ou elles sont commentées par le personnage joué par Richard Widmark.

L'exposition retrace la façon dont ces images sont parvenues jusqu'à nous.

Les images sur lesquelles ont travaillé Ford et Kellog sur le PhiblogZophe et le film Nazi concentration camp (attention, c'est assez éprouvant).

Le site du Mémorial de la Shoah

22/03/2010

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La Banda J.& S. Cronaca criminale del Far West (Far West story – 1972) de Sergio Corbucci. Captures DVD Wild Side.

21/03/2010

La poêle dans les nuages

Quand on aime le travail d'un réalisateur et que l'on commence à connaître une part conséquente de son oeuvre, il se développe un sentiment de familiarité bien agréable. Le plaisir de retrouver des thèmes, des figures, un ton, un sens du temps et de l'espace, le goût d'un certain jeu d'acteur, des mots, des paysages, certains choix musicaux, bref, tout ce qui constitue la mise en scène et tout ce qui est mis en scène. La part de risque, c'est que cette familiarité ne devienne pantoufle, les motifs de simples trucs, et le plaisir de glisser progressivement vers l'ennui. C'est là qu'intervient le talent dans la façon de nourrir ce sentiment de familiarité de la capacité de renouvellement du metteur en scène, de sa façon d'introduire des variations, d'explorer plus avant certaines pistes, d'emprunter tout à coup d'inattendus chemins. Et cela sans se perdre. Fichu métier.

Quel chemin tortueux pour vous dire tout le bien que je pense de La Banda J.& S. Cronaca criminale del Far West (Far West story – 1972) du maestro Sergio Corbucci. Un film peu connu tourné au moment ou le western italien sombre dans la parodie à la suite de l'énorme succès du personnage de Trinità. La Banda J.& S. sera un échec commercial et il n'était devenu visible que dans des copies minables, aux couleurs délavées, et vraisemblablement incomplètes. Dans plusieurs textes, on s'étonne de la soudaine cécité du shérif Franciscus alors qu'il n'y a pas motif. C'est un peu comme quand on voit la version mutilée de Rio Bravo et que l'on s'étonne des trous soudains dans la porte de la prison. Saluons donc comme il se doit le travail de Wild Side qui rétabli le film dans sa cohérence, rend justice à la photographie splendide du fidèle Alejandro Ulloa et de Luis Cuadrado, et propose une version originale indispensable.

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J. c'est Jed Trigado, bandit de grand chemin, et Jed, c'est Tomas Milian. Il a récupéré le béret du Ché et s'est emmitouflé dans les pelisses massives des héros de Il grande silenzio (Le grand silence – 1968). Il faut le voir, dans la toute première scène, exposer sa philosophie de Robin des bois anar à un petit cochon tout rose. Cochonnet volé bien sûr. Il faut le voir engloutir une plâtrée de spaghettis, hilarant pied de nez aux détracteurs du genre, déclarant « Celui qui a inventé les spaghettis c'était un génie, et il a du se faire un paquet d'argent ! ». Exubérant, macho, grossier, terriblement bavard, individualiste et solidaire, animal et libre, Jed est l'occasion pour Milian de peaufiner le personnage de peone débrouillard qui a fait sa gloire et qui annonce le « er Monnezza » folklorique des polars des années 70. Jed utilise la langue vernaculaire romaine, truffée de turpiloquio, une façon de parler mêlant imprécations, grossièretés et beaucoup d'humour. L'utilisation de ce langage renforce l'aspect latin de ce western iconoclaste et le rapproche de certains films de Pasolini, rapprochement que Corbucci souligne en faisant jouer Laura Betti, égérie pasolinienne s'il en fût, dans le personnage de la maquerelle, pendant féminin de Jed. Il est donc évident que cet aspect se perd complètement dans la version française qui se contente d'une vulgarité vulgaire. Or il faut que fusent les Figli della mignotta !

S. c'est Sonny et Sonny, c'est Susan George, britannique beauté blonde à l'oeil humide, juste sortie du traumatisant Straw dogs (Les chiens de paille – 1971) de Sam Peckinpah. Habillée à la garçonne façon informe, seul son regard exprime sa féminité. Elle n'en a pas l'air mais c'est bien elle le personnage principal de cette histoire. D'ailleurs c'est son prénom que reprennent les choeurs d'Ennio Morricone (inspiré, le maestro). Et puis Sergio Corbucci lui a réservé les attributs de ses héros précédents. Quand on la découvre, elle porte un chapeau à large bords à la façon de Franco Nero, traînant derrière elle, sur un chariot, un cercueil. Tiens donc. Plus tard, c'est elle qui subira le rituel du passage à tabac sans lequel il ne saurait y avoir de véritable héros corbuccien. Admirative et amoureuse, elle s'attache à la destinée de Jed, endurant ses coups, sa tentative de viol, sa tentative de vente, son turpiloquio, et son goût pour les rousses aux gros seins. On évoque souvent Bonnie et Clyde pour Sonny et Jed. Il me semble que l'on est bien plus près de Gelsomina et de Zampano, les frustres héros de La strada (1954) de Federico Fellini. Susan George est tout aussi « déféminisée » que l'était Giulietta Masina et leurs regards d'enfants sont si proches. Le côté bandit du couple compte bien moins que le portrait d'une relation étrange mêlant soumission, masochisme, tendresse et violence. A la fois très animale et très pudique. Deux solitudes qui se ressemblent et qui pourtant s'opposent, l'un cultivant son animalité (bouffe, sexe et liberté), l'autre tentant de conserver la tête dans les nuages. Corbucci ne suivra pas la pente du tragique. Son film est aussi le récit d'une émancipation, de l'affirmation de Sonny, qui passera par un renversement final des rôles, forçant Jed à reconnaître sa part la plus humaine. Il nous force à considérer Sonny en tant que personne en refusant assez radicalement la moindre touche érotique. Il offre juste à sa courageuse interprète un moment plus sensuel lors de la brève séquence de l'hôtel de luxe. Et puis bien sûr ce long plan de baiser, d'une infinie tendresse, d'une grande animalité, un baiser comme on en a jamais vu.

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Ceci fait de Sonny un personnage rare sinon exceptionnel dans l'univers codifié du western. Une femme-enfant, femme d'action, femme-femme qui intègre toutes les aspirations des héroïnes souvent particulières de Sergio Corbucci. Le western italien est avare de beaux personnages féminins à quelques exceptions près (Claudia Cardinale chez Sergio Leone, Luciana Paluzzi chez Ferdinando Baldi, Martine Beswick chez Damiano Damiani). Corbucci, lui, n'a cessé de faire de ses femmes le contre-champ nécessaire à sa violence baroque. Dans ses films, elles aspirent à sortir de la sauvagerie ambiante et proposent, souvent en vain, un espoir d'apaisement aux âmes masculines torturées. Maria essaye de fuir le monde fou de Django (1966) comme Pauline tente d'arracher Silence à son destin dans Il grande silenzio. Claire est la seule personne censée de l'équipée de I Crudeli (1967). Virginia tente de se faire une place au soleil dans Gli specialisti (Le spécialiste – 1969) et Columba porte un regard lucide sur les révolutionnaires de pacotille de Il mercenario (1970). Leurs aspirations leur sont propres et ne sont pas de simples prétextes scénaristiques. Elles en payent souvent le prix : Pauline et Virginia meurent, Maria et Claire sont sérieusement meurtries. Sonny est la victoire de toutes ces femmes, réussissant à s'affirmer et à entraîner Jed à sa suite. Et trois pas derrière s'il vous plaît.

Cette évolution de la place de la femme vers le centre du film est marquée par le traitement de plusieurs motifs typiques du réalisateur : le shérif, le vilain capitaliste et la mitrailleuse. Telly Savalas campe un shérif Franciscus conforme aux canons corbucciens, sûr de lui et déterminé, régulièrement joué par Sonny et Jed sans pour autant perdre de sa prestance. Corbucci a l'idée, à mi-parcours et à l'issue d'une scène intense dans un entrepôt de grains, de le rendre aveugle. Il n'en reste pas moins dangereux mais permet à Corbucci d'exercer à son encontre un humour noir assez inédit, dans le style de Bunuel dirais-je. De la même façon, Eduardo Fajardo joue une nouvelle fois avec élégance un gros propriétaire impitoyable à la tête d'une horde d'hommes de main. Lancé aux trousses de Jed qui a enlevé sa femme, il rentrera chez lui tranquillement dès qu'il l'aura récupérée. Ce peu d'acharnement pourra frustrer l'amateur d'action mais est le signe que l'enjeu du film est ailleurs. Du coup la sacro-sainte mitrailleuse, bien présente, bien déterrée par Jed, sera peu employée. Pas de massacre final des rurales. Le héros, c'est Sonny vous dis-je !

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Et puis La Banda J.& S. est un beau film. Un film de ciels. Soleil couchant, soleil levant, soleil rasant, soleil jouant dans les feuillages. Un film de nuages tranquilles à l'infini. La mise en scène de Corbucci orchestre cette opposition entre les décors pelés et boueux aux dominantes grises et marrons avec les lumières superbes des cieux vers lesquels s'élèvent les regards de Sonny et Jed en même temps qu'une caméra contemplative. Alejandro Ulloa et Luis Cuadrado ont ici une photographie proche de celle de Nestor Almendros, recherchant les moments magiques entre chien et loup. Inspiré, Corbucci filme le réel au sein de l'univers irréel du genre. Il filme le temps qu'il fait, la sensation de froid, le vent qui court sur les roches désolées, la pluie qui transperce au crépuscule, la boue qui englue les pas, la poussière dans la chaleur, la texture accueillante du maïs. La nature ici est refuge et complice : la rivière qui permet de fuir le shérif, l'arbre pour surprendre le traître, le grain qui dissimule (la grande séquence d'action du film, montée au petit poil une fois encore par Eugenio Alabiso). La Banda J.& S. est peut être le film le plus sensible et le plus poétique de son auteur. Son héros débraillé rêve aux cummulonimbus en y cherchant une figure féminine aux seins de déesse tandis que sa compagne y voit des symboles de civilisation, une poêle et une trompette.

Photographies : Wild Side

Un très beau texte de Tepepa

Sur Psychovision

Sur Spaghetti western (en anglais)

La chronique sur Kinok

Par Sylvain Perret sur 1Kult

16/03/2010

Godard / Graves

Tiens, non...

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12/03/2010

Godard / Rohmer

10/03/2010

Terres de rêve

Terminant de lire Le goût de la beauté d'Éric Rohmer, je pensais à sa phrase «Au cinéma le classicisme n'est pas par derrière, mais en avant» en revoyant Across the Wide Missouri (Au-delà du Missouri – 1951) de William Wellman. Ce film, qui suit les aventures d'un groupe de chasseurs de fourrures en contrée indienne dans l'Amérique du début du XIXe siècle, se rattache à une veine souvent qualifiée d'élégiaque illustrée notamment par Howard Hawks avec The big sky (La captive aux yeux clairs – 1952) et André de Toth avec The indian fighter (La rivière de nos amours – 1955). On peut à la limite y ajouter le Wagonmaster (Le convoi des braves – 1950) de John Ford pour l'esprit et, plus tardif et plus solitaire, le Jeremiah Johnson (1971) de Sidney Pollack.

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Classique, Wellman l'est certainement, incarnant à merveille le type du réalisateur aventurier, pilote de chasse durant la première guerre mondiale, sportif, fort en gueule, buveur, tyrannique, réactionnaire et machiste, formé à l'école du muet, tournant vite, aimant les défis physiques autant que techniques, à l'aise dans le système des studios et prêt à toutes les batailles avec les producteurs. Respecté mais pas au point que Across the wide Missouri ne soit amputé d'un bon quart d'heure par la MGM. Pour Wellman, le cinéma, c'est avant tout l'expression d'une liberté d'action et de pensée. Comme le rappelle Bertrand Tavernier dans Amis américains, les opinions tranchées de Wellman ne l'empêchent pas de s'investir dans des projets généreux comme son film sur le lynchage, The ox-bow incident (L'étrange incident) en 1943, ou de proposer d'étonnants portraits de femmes dans Westward the women (Convoi de femme – 1951). Dans le film qui nous intéresse, la description des indiens reste aujourd'hui exceptionnellement juste (et Maria Elena Marques sacrément plus crédible que Debra Paget ou Elsa Martinelli dont le bain, pourtant...).

En avant donc, car Across the wide Missouri, pour peu que l'on se laisse traverser par les bourrasques vivifiantes traversant ses grands espaces, laisse loin derrière lui nombre de films à grand sujet et savantes constructions psychologiques des années 50, sans même parler des révisions déchirantes et cinématographiquement pénibles des années 60.

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Dans La nuit des horloges (2007), son dernier film en date que nous avons présenté à Nice, Jean Rollin rend hommage à l'esprit du cinéma de Wellman par l'évocation d'un passage de Yellow Sky (La ville abandonnée – 1948). Au tout début, un groupe de cavaliers arrive en vue d'une ville. Hirsutes, dépenaillés, suants, mal rasés, on se croirait en plein western italien si ce n'était le noir et blanc très contrasté de Joe MacDonald. Puis on reconnaît le regard de Gregory Peck et le rictus de Richard Widmark. Bref, le groupe entre dans un saloon. Au dessus du bar, il y a un grand tableau qui représente une femme nue lascivement emportée par un cheval. « J'aimerais bien savoir ce qu'elle a de prévu quand elle aura fini de monter ce cheval » dit un homme. « J'aimerais savoir ou va ce cheval » traduit Jean Rollin via son alter-ego Michel Jean, dont le cinéma a fait sien cet appel au rêve.

Across the wide Missouri illustre à la perfection cet appel. Wellman donne à voir le sentiment même de la liberté, l'euphorie d'un corps libre maître de ses mouvements. La découverte des vastes territoires Indiens est un grand moment d'ivresse cinématographique. Les homme menés par Clark Gable sont venus chercher là un monde accordé à leurs désirs. Un monde à la beauté sans limite, rude, violent voire cruel, mais où l'homme prend sa juste mesure au sein d'une nature encore souveraine. Les hommes dévalent la pente face à une immense étendue de lacs et de forêts, de toute la vitesse de leurs chevaux. La princesse indienne qui les menés jusque là les accompagne dans leur course, les dépasse, telle une déesse, un centaure femelle. Bien qu'elle soit habillée, c'est elle la femme du tableau et le film fait récit de ce qui se passa après qu'elle eut finit sa course.

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Qu'est-ce qui fait la force du western ? Le sentiment bouleversant qui se dégage de ce film et des films qui lui ressemblent ? Sans doute cette idée d'un idéal de vie, ce goût de liberté qui semble si lointain mais si absolu. Pourtant Wellman n'est ni naïf, ni mystique, pas plus que ne l'étaient Ford, Walsh, Hawks ou Pollack. La terre promise n'est pas vierge, les indiens l'habitent. L'homme reste l'homme et la violence l'accompagne, même s'il la fuit. Mais dans ces films passe l'idée d'un possible, le portait d'hommes tels qu'ils devraient être. Je me suis amusé à penser que ces trappeurs ne devaient pas se laver souvent, que les sanitaires brillaient par leur absence, mais qu'il n'y avait pas là-bas ni téléphones mobiles, ni train de banlieue, ni ronds points ; qu'ils pouvaient boire, fumer et manger mal sans subir d'incessants messages cherchant à les culpabiliser pour le trou de la sécu. La belle vie, quoi. Un esprit mal intentionné pourra toujours me faire remarquer qu'il n'y a pas non plus de cinéma sur ces terres de rêve, mais quand on vit dans un film, est-ce bien nécessaire ?

Photographies : captures DVD Sidonis et Warner (DR)

04/03/2010

Un maledetto imbroglio

Adapté du roman Quer pasticciaccio brutto de via Merulana (L'affreux pastis de la rue des Merles, 1957) de Carlo Emilio Gadda par Germi, Alfredo Giannetti et Ennio De Concini entre deux peplums, Un maledetto imbrogio (Meurtre à l'italienne – 1959) est certainement un sommet de l'œuvre du réalisateur. Il fait en quelque sorte la synthèse de sa veine néo-réaliste : plongée dans tous les aspects de la vie romaine à la fin des années 50, précision du trait, jeux sur les dialectes (romain, sicilien), variété des décors et des personnages, et puis ce regard mélancolique et sombre, profondément humain, porté sur ses contemporains. Cette humanité, on la trouve de façon exemplaire dans les deux portraits de femme qui illuminent le film, la grande dame Liliana Banducci jouée avec une infinie délicatesse par la belle Eleonora Rossi Drago, et la servante Assuntina venue de la zone des castelli romani, la grande banlieue encore rurale de Rome, rôle dans lequel explose Claudia Cardinale pour sa première prestation majeure. Les mots me manquant, je citerais ceux de Pier Paolo Pasolini alors critique : «Une Cardinale dont je me souviendrais longtemps. Ces yeux qui regardent uniquement selon les angles du côté du nez, ces cheveux noirs décoiffés (...) ce visage d'humble, de chatte, et si sauvagement perdue dans la tragédie » (I film degli altri pubié en France dans Pier Paolo Pasolini, écrits sur cinéma aux éditions Cahier du Cinéma).

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Germi, à travers le personnage du commissaire Ingravallo qu'il joue lui-même, qui porte sur ces deux femmes un regard plein de compassion et d'amour. Toutes les deux incarnent à leur manière ce qui manque à sa propre vie, une compagne et une fille, manque existentiel représenté par ces courts passages où Ingravallo se repose quelques instants dans sa chambre spartiate et qui expriment mieux que tout la solitude de l'homme. Tout se joue en finesse chez Germi.  L'amour non exprimé pour Liliana, belle femme mûre qui ne peut avoir d'enfant, passe à travers la poupée que remarque le commissaire et, plus tard, après le meurtre, les expressions d'Ingravallo rappellent certains moments du Laura (1944) d'Otto Preminger. C'est très émouvant. Assuntina elle, la fille de la campagne, est enceinte et déclenche les instincts protecteurs du commissaire qui pourra, au prix certes d'une grande douleur, lui éviter l'implication dans le meurtre. Germi magnifie Cardinale (tous les deux de tempérament réservé se sont nous dit-on très bien entendus) et lui offre des plans d'une très grande intensité : le signe de croix en reflet dans un miroir passé, la course finale dans la poussière brûlante en traveling arrière. Il exalte chez elle à la fois son côté très terrien (l'animalité, les gestes brusques, les pieds nus) et le côté « plus grand que nature », le « tragique » de Pasolini (son regard, sa beauté, la force de son jeu).

Le film s'ouvre sur une vue  de la fontaine de la Piazza Farnese à Rome accompagnée d'une charmante ritournelle écrite par Germi et mise en musique, guitare mélancolique, par Carlo Rustichelli. Il se poursuit dans un palais romain typique. Aux cris de la victime du vol répondent dix têtes qui apparaissent aux fenêtres ou dans les escaliers couverts et c'est tout un peuple bigarré qui envahi l'écran. On pensera à l'ouverture du Matrimonio all'italianna (Mariage à l'italienne), tourné par Vittorio De Sica l'année d'avant à Naples. A travers la multiplication des interventions, des répliques superposées, du chant du dialecte romain et de la vivacité du montage de Roberto Cinquini, Germi impose un rythme soutenu au film, une vivacité de forme et de sonorité (les bruits de la ville, les dialogues) qui va contraster avec la noirceur de certaines ambiances. Il y aura peu de poses, essentiellement celles d'Ingravallo chez lui et la découverte du meurtre de Banducci par son cousin (Franco Fabrizi, visqueux à souhait) traitée sur un mode à suspense.

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Le travail de la caméra est toujours très virtuose (précision et variétés des cadrages, mouvements rapides, recadrages au cordeau) sans jamais que cette virtuosité ne prenne le pas sur les personnages et la progression dramatique. Ici cette virtuosité révèle une profonde connaissance des lieux et des êtres car elle s'applique de la même manière au palais romain, au village d'Assuntina, au commissariat, aux marché du centre ville et aux faubourgs pauvres. De l'intérieur de la grande bourgeoise à la chambre de la bonne, de celle du commendatore à celle du commissaire, partout, sur tout le monde, le regard de Germi est acéré, précis, sans concession sur ce que ces lieux révèlent de solitude, de misère, de froideur, mais faisant toujours ressortir ce qu'ils expriment de profondément humain. C'est le même regard que celui qui se porte sur les hommes. Germi montre crûment le fiancé d'Assuntina (le Nino Castelnuovo gentil de Jacques Demy et psychopathe chez Lucio Fulci) se prostituer pour de riches américaines, ou l'égoïsme et l'hypocrisie du cousin dont on sent qu'Ingravallo aimerait bien qu'il soit le coupable. Il révèle en deux plans le passé fasciste du mari de Liliana sans s'appesantir dessus. Tous ces aspects, cette façon de faire du cinéma à partir d'un pays, de son peuple, de ses drames, de ses espoirs et de sa complexité, c'est le Néoréalisme Italien.

Là-dessus, Germi greffe son admiration pour le cinéma noir américain. Élément déterminant, la photographie signée de nouveau par Léonida Barboni, noirs profonds et blancs incandescents, compose par ses ambiances l'hommage à une forme qui, souvent, a été également marquée de préoccupations sociales et d'une grande acuité d'observation du réel. Ingravallo porte lunettes noires et chapeau mou, les voitures sont filmées comme dans The big sleep (Le grand sommeil – 1946) de Hawks avec les intérieurs à l'éclairage étudié, et les policiers au regard désabusé arpentent la ville comme chez Fuller ou Kazan.

Dernier aspect important dans ce film, l'humour qui me semble annoncer, même si l'on reste encore dans un véritable drame, le virage radical vers la comédie pure et dure que Pietro Germi effectue avec son film suivant. D'autres films de Germi ne manquent pas d'humour, mais celui-ci vient essentiellement de tel trait de caractère d'un personnage. Cette fois, le traitement global de plusieurs seconds rôles importants relève de la comédie. L'étrange commendatore, la victime du vol, est joué sur un registre grotesque par Ildebrando Santafe tandis que les deux policiers sous les ordres d'Ingravallo rivalisent de gestes et de répliques de pure comédie. On retrouve ici Saro Urzì en sicilien à l'accent à couper au couteau d'autant qu'il a la fâcheuse manie de parler en mangeant ses pannini. Son collègue, joué par l'excellent Silla Bettini a des hésitations délicieuses. La séquence du coup de fil aux carabiniers est un joli moment burlesque. Associé aux portraits de groupes colorés et bruyants, l'ensemble atténue pas mal la noirceur du propos et rapproche une nouvelle fois Germi de Ford, grand maître de la rupture de ton.

Chronique pour Kinok

Photographies : captures DVD Carotta

Le DVD

Sur le Mague

Sur Kurosawa cinéma

Sur L'alligatographe

La page Wikipedia Italie (en italien, donc) pleine d'informations

10:39 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : pietro germi |  Facebook |  Imprimer | |

01/03/2010

Il ferroviere

Il ferroviere (Le disque rouge – 1956) est à la base une idée d'Alfredo Giannetti qui co-signe le scénario avec Germi et Luciano Vincenzoni dont c'est l'un des premiers travaux. Vincenzoni sera dans les années 60 le scénariste de quelques fleurons du western italien signés Léone, Corbucci et Sollima. Germi et Giannetti construisent leur histoire à partir d'observations prises sur le vif, travaillant leur scénario dans un bar identique à celui du film, fréquenté par des cheminots à la retraite, allant jusqu'à leur en lire des passages pour en tester la justesse. Le film est centré autour du personnage d'Andrea Marcocci, conducteur de locomotive haut en couleurs, un homme à l'ancienne qui boit sec, chante fort et joue de la guitare jusqu'à point d'heure avec ses camarades de travail au bar du coin. Un homme rigide, emporté, violent parfois, mais sensible, fidèle en amitié, fier de conduire un engin moderne sur une grande ligne. On imagine sans peine ce que Germi a pu mettre de lui-même dans le personnage, lui qui était réticent à le jouer (le producteur Carlo Ponti aurait aimé Spencer Tracy) et qui se fit doubler pour la voix (par Gualtiero De Angelis, la voix italienne de James Stewart). Au final, le film est dédié à sa fille, Linda, et sa composition magistrale.

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L'une des forces du film est de faire vivre avec beaucoup de subtilité tout un ensemble de personnages autour de cette figure paternelle. Marcocci est au centre mais pas central. Il ferroviere est raconté du point de vue de son plus jeune fils, Sandro, ce qui donne parfois au film un côté Ladri du biciclette (Le voleur de bicyclette – 1948) de Vittorio De Sica avec ce rapport d'admiration du fils au père qui reste le dernier soutien face à la pression sociale. Le film explore également la trajectoire liée de la fille, Giulia jouée par la superbe Sylva Koscina, qui incarne le désir de modernité et s'oppose avec violence aux côtés les plus déplaisant du père, tandis que le personnage de la mère, Sara jouée par Luisa Della Noce, apparaît comme chez John Ford le point de stabilité et de cohésion de la famille. Germi lui réserve quelques unes des scènes les plus sensibles, en particulier celle où elle s'épanche sur son jeune fils, moment bouleversant où elle exprime son idéal de vie et son désespoir de le voir inaccessible. Il faut également citer la composition de Saro Urzì en Gigi, collègue et ami fidèle d'Andrea, l'acteur étant par effet miroir, l'un des acteurs fétiches et l'ami de Pietro Germi.

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La mise en scène de Germi se déploie autour de ces personnages avec précision et virtuosité. Le réalisateur compose de saisissants tableaux de groupes, des scènes de bar à la fête de Noël finale, dynamisés par des mouvements vif de la caméra qui donne un tempo soutenu à l'ensemble, magnifiés par le noir et blanc superbe de Léonida Barboni, très contrasté avec de noirs très sombres, des ambiances nocturnes émouvantes, et porté par une belle partition de Carlo Rustichelli avec sa dominante de guitare. Il ferroviere est une véritable épopée ouvrière comme ont pu l'être Grapes of Wrath (Les raisins de la colère -1940) ou How green was my valley (Quelle était verte ma vallée – 1941) de Ford. On retrouve d'ailleurs de ce dernier film l'évocation des mutations de la classe ouvrière à travers le parcours d'une famille. Germi aborde sans concession ni romantisme réducteur trente ans de l'histoire italienne. Le personnage d'Andrea est un homme du passé qui souffre du brutal développement de l'Italie des années 50. Il incarne encore le patriarcat intransigeant, la domination masculine et la fierté de l'ouvrier comme pouvait l'incarner le Gabin des années trente. Andrea accepte mal le désir d'indépendance de son fils aîné et de sa fille. Il provoque par sa rigueur, ses affleurements de violence, mais aussi par sa rude pudeur, l'éclatement de la cellule familiale. Face à la logique du syndicat et contre la machine administrative qui le rétrograde suite à un accident, il tente de s'affirmer comme individu, faisant le choix de refuser la grève pour retrouver sa position sociale. Un choix impossible qui lui fait perdre sur les deux tableaux. Germi l'isole alors, que ce soit au milieu des groupes (la scène du tramway) où dans sa propre maison, le montre en déséquilibre dans des scènes qui se déroulent dans les escaliers quand il y croise sans plus savoir que faire sa fille ou son fils.  Un choix profondément humain pourtant qui vaudra bien des reproches à Germi mais qui, par son ambiguïté même, rend le film profondément juste et intemporel. On peut mesurer combien ce genre de films manque aujourd'hui, combien on a perdu le goût, le talent de faire vivre ce type de milieu, de gens, mis à part peut être Robert Guédiguian qui a su montrer les classes populaires comme des êtres de chair et de sang capables de sentiments forts, d'ambiguïtés et d'humanité. Avec sensibilité sans sensiblerie.

Chronique pour Kinok

Le DVD

Sur l'Encinémathèque

Sur Critikat

Photographies : capture DVD Carlotta

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18/02/2010

Bancs Publics

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En 1992, Versailles rive gauche révèle un metteur en scène et un comédien, deux frères, Bruno et Denis Podalydès. Primé à Clermont-Ferrand puis césarisé et exceptionnellement distribué en salle compte tenu de sa durée de 45 minutes, le film pose les bases d'un univers particulier qui cite Tati, Hergé et Truffaut, et présente une épatante galerie d'acteurs (Isabelle Candelier, Philippe Uchan, Michel Vuillermoz, Jean-Noël Brouté). Comédie sentimentale et burlesque dont la mise en scène se déchaîne dans l'espace clos d'un minuscule studio envisagé comme la cabine des Marx Brothers, le film est un petit bijou.

En 1998, Dieu seul me voit, sous titré Versailles chantiers, affine, développe et affirme cet univers et le talent de son réalisateur. Il l'installe aussi dans la durée. À la troupe du film précédent se greffent la sublime Jeanne Balibar et une autre génération d'acteurs comiques avec Daniel Ceccaldi et Maurice Baquet. Prenant le contre-pied de Versailles Rive gauche, Podalydès déploie sa mise en scène dans de nombreux espaces et multiplie les situations. Le film est peut être la plus belle comédie de ces trente dernières années, cela dit en toute objectivité.

En 2009, trois long métrages plus loin dont deux adaptations plutôt prestigieuses de Gaston Leroux, Bruno Podalydès revient à ses amours et aborde, enfin, la troisième gare avec Bancs publics (Versailles rive Droite). Sa notoriété, son talent et un budget sans doute plus confortable lui permettent de réunir une distribution assez impressionnante, façon The longest day (Le jour le plus long – 1962), pour l'injecter dans son petit monde versaillais. Le résultat manifeste une ambition qui tranche agréablement sur le tout venant de la comédie française de ce début de millénaire mais n'est pas franchement convaincant. Et il m'en coûte de l'écrire.

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Le DVD

Photographie © UGC

17/02/2010

36 vues du pic Saint Loup

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Le dernier film en date de Jacques Rivette, sortit bien trop discrètement en 2009, a le parfum du Sud. La photographie d'un beau classicisme d'Irina Lubtchansky (collaboratrice, outre de Rivette, d'Otar Iosseliani et de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet) baigne de lumière solaire la vaste campagne et vibre de la chaleur des nuits d'été. La bande son très travaillée fourmille de bruissements de feuilles, de stridences d'insectes, de chants d'oiseaux. Comme pour mieux faire apprécier toute cette beauté, un bref passage à Paris se charge de vous rappeler le boucan urbain. A la suite du petit cirque de province dirigé par Kate (Jane Birkin) et auquel vient se joindre l'italien Vittorio (Sergio Castellitto), nous traversons des paysages qui semblent hors du temps, la France immémoriale comme on dit, des villages de pierre dorée, des places paisibles bordées de platanes, des petites routes tranquilles, des montagnes bleutées. Le pic Saint Loup en Languedoc-Roussillon.

Hors du temps. Presque hors du monde. Toute la beauté de ce film, la beauté qui est la matière du film, nous est livrée avec une étrange douleur. Les paysages sont presque vides, comme les villages traversés, comme les bancs des spectateurs sous le chapiteau. D'ailleurs, ces rares spectateurs sont muets, ils ne réagissent pas, ne rient pas. Et y a t'il rien de plus terrible, de plus terriblement triste qu'un clown faisant son numéro dans le silence indifférent ?

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Le DVD

Photographie © Les Films du Losange