01/09/2010
La Sandrelli
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04/03/2010
Un maledetto imbroglio
Adapté du roman Quer pasticciaccio brutto de via Merulana (L'affreux pastis de la rue des Merles, 1957) de Carlo Emilio Gadda par Germi, Alfredo Giannetti et Ennio De Concini entre deux peplums, Un maledetto imbrogio (Meurtre à l'italienne – 1959) est certainement un sommet de l'œuvre du réalisateur. Il fait en quelque sorte la synthèse de sa veine néo-réaliste : plongée dans tous les aspects de la vie romaine à la fin des années 50, précision du trait, jeux sur les dialectes (romain, sicilien), variété des décors et des personnages, et puis ce regard mélancolique et sombre, profondément humain, porté sur ses contemporains. Cette humanité, on la trouve de façon exemplaire dans les deux portraits de femme qui illuminent le film, la grande dame Liliana Banducci jouée avec une infinie délicatesse par la belle Eleonora Rossi Drago, et la servante Assuntina venue de la zone des castelli romani, la grande banlieue encore rurale de Rome, rôle dans lequel explose Claudia Cardinale pour sa première prestation majeure. Les mots me manquant, je citerais ceux de Pier Paolo Pasolini alors critique : «Une Cardinale dont je me souviendrais longtemps. Ces yeux qui regardent uniquement selon les angles du côté du nez, ces cheveux noirs décoiffés (...) ce visage d'humble, de chatte, et si sauvagement perdue dans la tragédie » (I film degli altri pubié en France dans Pier Paolo Pasolini, écrits sur cinéma aux éditions Cahier du Cinéma).
Germi, à travers le personnage du commissaire Ingravallo qu'il joue lui-même, qui porte sur ces deux femmes un regard plein de compassion et d'amour. Toutes les deux incarnent à leur manière ce qui manque à sa propre vie, une compagne et une fille, manque existentiel représenté par ces courts passages où Ingravallo se repose quelques instants dans sa chambre spartiate et qui expriment mieux que tout la solitude de l'homme. Tout se joue en finesse chez Germi. L'amour non exprimé pour Liliana, belle femme mûre qui ne peut avoir d'enfant, passe à travers la poupée que remarque le commissaire et, plus tard, après le meurtre, les expressions d'Ingravallo rappellent certains moments du Laura (1944) d'Otto Preminger. C'est très émouvant. Assuntina elle, la fille de la campagne, est enceinte et déclenche les instincts protecteurs du commissaire qui pourra, au prix certes d'une grande douleur, lui éviter l'implication dans le meurtre. Germi magnifie Cardinale (tous les deux de tempérament réservé se sont nous dit-on très bien entendus) et lui offre des plans d'une très grande intensité : le signe de croix en reflet dans un miroir passé, la course finale dans la poussière brûlante en traveling arrière. Il exalte chez elle à la fois son côté très terrien (l'animalité, les gestes brusques, les pieds nus) et le côté « plus grand que nature », le « tragique » de Pasolini (son regard, sa beauté, la force de son jeu).
Le film s'ouvre sur une vue de la fontaine de la Piazza Farnese à Rome accompagnée d'une charmante ritournelle écrite par Germi et mise en musique, guitare mélancolique, par Carlo Rustichelli. Il se poursuit dans un palais romain typique. Aux cris de la victime du vol répondent dix têtes qui apparaissent aux fenêtres ou dans les escaliers couverts et c'est tout un peuple bigarré qui envahi l'écran. On pensera à l'ouverture du Matrimonio all'italianna (Mariage à l'italienne), tourné par Vittorio De Sica l'année d'avant à Naples. A travers la multiplication des interventions, des répliques superposées, du chant du dialecte romain et de la vivacité du montage de Roberto Cinquini, Germi impose un rythme soutenu au film, une vivacité de forme et de sonorité (les bruits de la ville, les dialogues) qui va contraster avec la noirceur de certaines ambiances. Il y aura peu de poses, essentiellement celles d'Ingravallo chez lui et la découverte du meurtre de Banducci par son cousin (Franco Fabrizi, visqueux à souhait) traitée sur un mode à suspense.
Le travail de la caméra est toujours très virtuose (précision et variétés des cadrages, mouvements rapides, recadrages au cordeau) sans jamais que cette virtuosité ne prenne le pas sur les personnages et la progression dramatique. Ici cette virtuosité révèle une profonde connaissance des lieux et des êtres car elle s'applique de la même manière au palais romain, au village d'Assuntina, au commissariat, aux marché du centre ville et aux faubourgs pauvres. De l'intérieur de la grande bourgeoise à la chambre de la bonne, de celle du commendatore à celle du commissaire, partout, sur tout le monde, le regard de Germi est acéré, précis, sans concession sur ce que ces lieux révèlent de solitude, de misère, de froideur, mais faisant toujours ressortir ce qu'ils expriment de profondément humain. C'est le même regard que celui qui se porte sur les hommes. Germi montre crûment le fiancé d'Assuntina (le Nino Castelnuovo gentil de Jacques Demy et psychopathe chez Lucio Fulci) se prostituer pour de riches américaines, ou l'égoïsme et l'hypocrisie du cousin dont on sent qu'Ingravallo aimerait bien qu'il soit le coupable. Il révèle en deux plans le passé fasciste du mari de Liliana sans s'appesantir dessus. Tous ces aspects, cette façon de faire du cinéma à partir d'un pays, de son peuple, de ses drames, de ses espoirs et de sa complexité, c'est le Néoréalisme Italien.
Là-dessus, Germi greffe son admiration pour le cinéma noir américain. Élément déterminant, la photographie signée de nouveau par Léonida Barboni, noirs profonds et blancs incandescents, compose par ses ambiances l'hommage à une forme qui, souvent, a été également marquée de préoccupations sociales et d'une grande acuité d'observation du réel. Ingravallo porte lunettes noires et chapeau mou, les voitures sont filmées comme dans The big sleep (Le grand sommeil – 1946) de Hawks avec les intérieurs à l'éclairage étudié, et les policiers au regard désabusé arpentent la ville comme chez Fuller ou Kazan.
Dernier aspect important dans ce film, l'humour qui me semble annoncer, même si l'on reste encore dans un véritable drame, le virage radical vers la comédie pure et dure que Pietro Germi effectue avec son film suivant. D'autres films de Germi ne manquent pas d'humour, mais celui-ci vient essentiellement de tel trait de caractère d'un personnage. Cette fois, le traitement global de plusieurs seconds rôles importants relève de la comédie. L'étrange commendatore, la victime du vol, est joué sur un registre grotesque par Ildebrando Santafe tandis que les deux policiers sous les ordres d'Ingravallo rivalisent de gestes et de répliques de pure comédie. On retrouve ici Saro Urzì en sicilien à l'accent à couper au couteau d'autant qu'il a la fâcheuse manie de parler en mangeant ses pannini. Son collègue, joué par l'excellent Silla Bettini a des hésitations délicieuses. La séquence du coup de fil aux carabiniers est un joli moment burlesque. Associé aux portraits de groupes colorés et bruyants, l'ensemble atténue pas mal la noirceur du propos et rapproche une nouvelle fois Germi de Ford, grand maître de la rupture de ton.
Chronique pour Kinok
Photographies : captures DVD Carotta
Sur le Mague
Sur Kurosawa cinéma
Sur L'alligatographe
La page Wikipedia Italie (en italien, donc) pleine d'informations
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03/03/2010
Si sauvagement perdue dans la tragédie
11:13 Publié dans Panthéon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : pietro germi, claudia cardinale | Facebook | Imprimer | |
01/03/2010
Il ferroviere
Il ferroviere (Le disque rouge – 1956) est à la base une idée d'Alfredo Giannetti qui co-signe le scénario avec Germi et Luciano Vincenzoni dont c'est l'un des premiers travaux. Vincenzoni sera dans les années 60 le scénariste de quelques fleurons du western italien signés Léone, Corbucci et Sollima. Germi et Giannetti construisent leur histoire à partir d'observations prises sur le vif, travaillant leur scénario dans un bar identique à celui du film, fréquenté par des cheminots à la retraite, allant jusqu'à leur en lire des passages pour en tester la justesse. Le film est centré autour du personnage d'Andrea Marcocci, conducteur de locomotive haut en couleurs, un homme à l'ancienne qui boit sec, chante fort et joue de la guitare jusqu'à point d'heure avec ses camarades de travail au bar du coin. Un homme rigide, emporté, violent parfois, mais sensible, fidèle en amitié, fier de conduire un engin moderne sur une grande ligne. On imagine sans peine ce que Germi a pu mettre de lui-même dans le personnage, lui qui était réticent à le jouer (le producteur Carlo Ponti aurait aimé Spencer Tracy) et qui se fit doubler pour la voix (par Gualtiero De Angelis, la voix italienne de James Stewart). Au final, le film est dédié à sa fille, Linda, et sa composition magistrale.
L'une des forces du film est de faire vivre avec beaucoup de subtilité tout un ensemble de personnages autour de cette figure paternelle. Marcocci est au centre mais pas central. Il ferroviere est raconté du point de vue de son plus jeune fils, Sandro, ce qui donne parfois au film un côté Ladri du biciclette (Le voleur de bicyclette – 1948) de Vittorio De Sica avec ce rapport d'admiration du fils au père qui reste le dernier soutien face à la pression sociale. Le film explore également la trajectoire liée de la fille, Giulia jouée par la superbe Sylva Koscina, qui incarne le désir de modernité et s'oppose avec violence aux côtés les plus déplaisant du père, tandis que le personnage de la mère, Sara jouée par Luisa Della Noce, apparaît comme chez John Ford le point de stabilité et de cohésion de la famille. Germi lui réserve quelques unes des scènes les plus sensibles, en particulier celle où elle s'épanche sur son jeune fils, moment bouleversant où elle exprime son idéal de vie et son désespoir de le voir inaccessible. Il faut également citer la composition de Saro Urzì en Gigi, collègue et ami fidèle d'Andrea, l'acteur étant par effet miroir, l'un des acteurs fétiches et l'ami de Pietro Germi.
La mise en scène de Germi se déploie autour de ces personnages avec précision et virtuosité. Le réalisateur compose de saisissants tableaux de groupes, des scènes de bar à la fête de Noël finale, dynamisés par des mouvements vif de la caméra qui donne un tempo soutenu à l'ensemble, magnifiés par le noir et blanc superbe de Léonida Barboni, très contrasté avec de noirs très sombres, des ambiances nocturnes émouvantes, et porté par une belle partition de Carlo Rustichelli avec sa dominante de guitare. Il ferroviere est une véritable épopée ouvrière comme ont pu l'être Grapes of Wrath (Les raisins de la colère -1940) ou How green was my valley (Quelle était verte ma vallée – 1941) de Ford. On retrouve d'ailleurs de ce dernier film l'évocation des mutations de la classe ouvrière à travers le parcours d'une famille. Germi aborde sans concession ni romantisme réducteur trente ans de l'histoire italienne. Le personnage d'Andrea est un homme du passé qui souffre du brutal développement de l'Italie des années 50. Il incarne encore le patriarcat intransigeant, la domination masculine et la fierté de l'ouvrier comme pouvait l'incarner le Gabin des années trente. Andrea accepte mal le désir d'indépendance de son fils aîné et de sa fille. Il provoque par sa rigueur, ses affleurements de violence, mais aussi par sa rude pudeur, l'éclatement de la cellule familiale. Face à la logique du syndicat et contre la machine administrative qui le rétrograde suite à un accident, il tente de s'affirmer comme individu, faisant le choix de refuser la grève pour retrouver sa position sociale. Un choix impossible qui lui fait perdre sur les deux tableaux. Germi l'isole alors, que ce soit au milieu des groupes (la scène du tramway) où dans sa propre maison, le montre en déséquilibre dans des scènes qui se déroulent dans les escaliers quand il y croise sans plus savoir que faire sa fille ou son fils. Un choix profondément humain pourtant qui vaudra bien des reproches à Germi mais qui, par son ambiguïté même, rend le film profondément juste et intemporel. On peut mesurer combien ce genre de films manque aujourd'hui, combien on a perdu le goût, le talent de faire vivre ce type de milieu, de gens, mis à part peut être Robert Guédiguian qui a su montrer les classes populaires comme des êtres de chair et de sang capables de sentiments forts, d'ambiguïtés et d'humanité. Avec sensibilité sans sensiblerie.
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26/02/2010
Une chanson signée Germi
Sinno' me moro
(P. Germi - C. Rustichelli)
Amore, amore, amore, amore mio,
in braccio a te me scordo ogni dolore.
Voglio resta' co' te sinno' me moro,
voglio resta' co' te sinno' me moro.
Voglio resta' co' te sinno' me moro.
Nun piagne amore, nun piagne amore mio,
nun piagne e statte zitto su sto core.
Ma si te fa soffrì, dimmelo pure
quello che m'hai da di', dimmelo pure.
Quello che m'hai da di', dimmelo pure.
Te penso amore, te penso amore mio,
tu sei partito e m'hai lasciata sola.
Ma tu non sai che sento nel core mio,
ce penso er bene tuo che me consola.
Ce penso er bene tuo che me consola
12:05 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pietro germi, ccarlo rustichelli | Facebook | Imprimer | |
26/05/2009
Cannes 2009 - jour 2
Tsar et soirée Pietro Germi
De Pavel Lounguine, j'étais resté sur l'impression délicieuse de Svadba (La noce - 2000), brillante comédie illuminée par le visage blond de Mariya Mironova. Tsar, présenté à Un Certain Regard, est très différent, un drame historique aux accents de tragédie classique, Shakespearien étant le mot qui vient rapidement à l'esprit. Le tsar en question, c'est Ivan IV dit le terrible joué par Pyotr Mamonov. En fin de règne, le despote est une sorte de Caligula vieillit, aigri, cruel et paranoïaque. Il a a créé une garde spéciale qui porte comme signe de reconnaissance une tête de chien au pommeau de la selle. Comme il voit des conspirations partout, Ivan envoie ses sujets, même loyaux, dans un sombre donjon où ils subissent des tortures qui nous rappellent les grandes heures du peplum italien des années 60. Mystique, cela va ensemble, il prie abondamment Dieu et envoie chercher un ami d'enfance, Philippe, religieux d'une grande autorité morale, pour devenir métropolite de Moscou, l'équivalent du pape pour les orthodoxes. Celui-ci, joué avec beaucoup de noblesse par Oleg Iankovski, s'emploie à ramener le tsar à la raison et s'oppose ainsi à son pouvoir absolu. Je ne sais pas s'il faut lire entre les images de Tsar un portrait de la Russie actuelle, mais il est difficile de ne pas y penser. Tout comme il est difficile de ne pas évoquer les images du dernier film d'Eseinstein, Ivan Groznyy (Ivan le terrible - 1944) métaphore en creux du pouvoir de Staline en son temps. L'ombre du maître soviétique plane sur certaines scènes, notamment dans les compositions sophistiquées des cérémonies religieuses avec les jeux d'ombres et de lumière, les gros plans expressionnistes et les visages aux traits puissants.
Source : dossier de presse
Visuellement, le film est superbe et Lounguine s'est attaché le chef opérateur de Clint Eastwood, Tom Stern, pour éclairer Ivan priant à la lueur de bougies ou les sombres ambiances du donjon. Des cavaliers galopent au ralentit dans la neige, Ivan vêtu d'or traverse un verger en fleur, Une bataille entre russes et polonais autour d'un pont est traitée en plans rapides quasi abstraits. La puissance des images est renforcée par l'impression d'authenticité dégagée par les décors et les costumes. Le film a eu les moyens. Il y a de belles idées de mise en scène également. Un long mouvement suit Ivan, de face, que ses serviteurs revêtent un à un des nombreux éléments qui composent son costume de tsar. Partit de sa chapelle en chemise de nuit, il devient petit à petit le monarque au regard impitoyable et couvert d'or au moment de rencontrer son peuple.
J'ai été aussi sensible à la trouvaille du personnage de la petite fille qui est enlevée, qui se sauve, est découverte, prise sous la protection de Philippe, s'enfuit, avant de devenir la mascotte d'Ivan et dont on se demande si l'innocence saura toucher le coeur du tsar. Elle apporte une touche de magie, de féerie au sein d'une histoire plutôt sombre. Elle aide aussi à pénétrer un film qui n'est pas d'un abord facile si, comme moi, l'on est guère versé en histoire russe ni en rite orthodoxe. Pouvoir absolu contre force morale, bien contre mal, manipulation politique de la religion contre intégrité, corruption contre désir de rédemption, le film est d'abord la lutte spirituelle de deux hommes. Elle rappelle celle de Thomas More et du roi Henry VIII illustrée dans A Man for All Seasons (Un homme pour l'éternité - 1966) réalisé par Fred Zinnemann, analogie plus proche de nous pour mieux saisir les enjeux de cette histoire complexe que Loungine enlève sans temps morts avec une grande maîtrise de ses effets. Il y a dans ce projet quelque chose des films à grands spectacles actuellement produits en Chine et qui explorent eux aussi une histoire prestigieuse, mouvementée et violente, avec les rapports complexes au pouvoir et au pays.
Retour à une certaine légèreté avec la soirée consacrée au réalisateur Pietro Germi. Acteur et réalisateur disparu en 1974, il débute dans la veine néo-réaliste après la guerre puis devient un réalisateur emblématique de la comédie italienne avec Un maledetto imbroglio (Meurtre à l'italienne -1959) dans lequel il joue aux côtés de Claudia Cardinale, Divorzio all'italiana (Divorce à l'italienne - 1961) avec Mastroianni, Sedotta e abbandonata (Séduite et abandonnée - 1964) avec Stéfania Sandrelli et le film repris cette année, Signore e signori (Ces messieurs-dames - 1966) qui remportera la grand prix à Cannes aux côtés du film de Claude Lelouch. Le documentaire de Claudio Bondi, Pietro Germi, il bravo, il bello, il cattivo, retrace les grande étapes de sa carrière avec le bon goût de se focaliser sur les films, respectant l'intimité d'un homme assez secret. Le film est composé de nombreux entretiens avec ses acteurs et ses actrices, ainsi que d'émissions télévisées avec Germi et de reportages sur les tournages. Côté actrices, il y a quelques perles d'époque où l'on retrouve Virna Lisi, Claudia Cardinale et Stéfania Sandrelli. Et puis, cerise sur le gâteau, il y a des essais avec la belle Nicoletta Machiavelli, ce qui aurait suffit à illuminer ma soirée.
Mais ce n'était rien à côté du film. Signore e signori est un fleuron virtuose de la comédie all'italiana. Cela se passe dans une petite ville de province, à Trévise en Vénétie. Le film suit un groupe de notables (un médecin, un comptable, un pharmacien...) et leurs épouses, dans le train train de leur vie quotidienne et leurs relations amoureuses. Celles-ci sont basées sur le mensonge, l'hypocrisie, la domination des hommes sur les femmes et l'oppression sociale sur les sentiments. Germi l'illustre en trois actes, trois petites histoires très drôles et très cruelles comme il se doit. La première est centrée sur le docteur, marié à une femme bien plus jeune et qui pense se moquer d'un ami qui lui a confié son impuissance avant de se rendre compte que ce n'est qu'une ruse pour se rapprocher de l'épouse peu farouche. Le second segment, plus long, met en scène Osvaldo Bisigato, formidablement joué par Gastone Moschin, pâle comptable tyrannisé par sa femme et ses enfants, qui tombe amoureux de Milena, la serveuse d'un café campé par la bellissime Virna Lisi. Cette histoire, c'est le coeur du film et l'unique tentative de l'un des personnages pour briser le carcan social. Bisigato, fou d'amour et on le comprend, quitte femme et enfants, crie le nom de sa maîtresse dans la nuit et veut affirmer haut et fort la force et la pureté de son amour. Mais dans l'Italie de 1965, pas de divorce possible et famille comme amis pèsent de tout leur poids pour briser le couple. Lors de la plus belle scène du film, Bisigato entraîne Milena à travers la place bondée de monde, au milieu des pigeons s'envolant, aux yeux de tous. Cet homme est un archétype de la comédie italienne, modeste, pas terriblement séduisant, un peu pitoyable, il révèle de grandes qualités de coeur et de courage, comme le faisait Alberto Sordi à la fin de Una vita difficile. Un peu pathétique, il est très émouvant. La troisième partie est assez retorse, puisqu'elle montre nos bons bourgeois manipulés habilement par une jeune fille de la campagne qui passe de l'un à l'autre mais se révèle mineure. Après avoir fustigé le conformisme de façade de ses héros, Germi révèle leur hypocrisie profonde tout en mettant en scène le même type de comportement chez la famille paysanne. Le père exploite sans honte la vertu de sa fille puisqu'il achètera le retrait de sa plainte. Une façon de se moquer du culte de l'argent dans l'italie de l'époque. Au passage, Germi qui a souligné la domination masculine et ses ravages, s'amuse à monter la véritable force de la femme puisque c'est l'une des épouses (jouée par la belle Olga Villi, je crois) qui résout le problème à coup de millions de lires et payera de son corps la sauvegarde des apparences et le retour à une vie « normale », où les hommes sortent leurs femmes légitimes sur la place, au milieu du vol des pigeons.
A ces histoires de coucheries qui peuvent sembler triviales, Pietro Germi donne une forme d'une grande élégance, que ce soit la photographie en noir et blanc d'Aiace Parolin, la musique entêtante et légère de Carlo Rustichelli et la virtuosité du travail de la caméra, valsant au sein des groupes avec une sûreté, une précision d'horloger. La première partie, avec la présentation des couples et leur départ pour la fête, est placée sous le signe d'un rythme effréné. La seconde, l'histoire du comptable, délaisse un temps les larges plans de groupe pour un portrait plus délicats des deux héros, laissant les scènes durer pour faire naître l'émotion, comme lors du dialogue auprès du canal. La troisième partie, un peu plus sombre, est plus découpée, Germi s'employant à faire monter la tension pour mieux enfermer son groupe dans sa bassesse avant de résoudre son récit par une pirouette plutôt leste. Mais toujours élégante.
(à suivre)
08:05 Publié dans Festival | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cannes 2009, pietro germi, pavel lounguine | Facebook | Imprimer | |