Cannes 2009 - jour 2 (26/05/2009)

Tsar et soirée Pietro Germi

De Pavel Lounguine, j'étais resté sur l'impression délicieuse de Svadba (La noce - 2000), brillante comédie illuminée par le visage blond de Mariya Mironova. Tsar, présenté à Un Certain Regard, est très différent, un drame historique aux accents de tragédie classique, Shakespearien étant le mot qui vient rapidement à l'esprit. Le tsar en question, c'est Ivan IV dit le terrible joué par Pyotr Mamonov. En fin de règne, le despote est une sorte de Caligula vieillit, aigri, cruel et paranoïaque. Il a a créé une garde spéciale qui porte comme signe de reconnaissance une tête de chien au pommeau de la selle. Comme il voit des conspirations partout, Ivan envoie ses sujets, même loyaux, dans un sombre donjon où ils subissent des tortures qui nous rappellent les grandes heures du peplum italien des années 60. Mystique, cela va ensemble, il prie abondamment Dieu et envoie chercher un ami d'enfance, Philippe, religieux d'une grande autorité morale, pour devenir métropolite de Moscou, l'équivalent du pape pour les orthodoxes. Celui-ci, joué avec beaucoup de noblesse par Oleg Iankovski, s'emploie à ramener le tsar à la raison et s'oppose ainsi à son pouvoir absolu. Je ne sais pas s'il faut lire entre les images de Tsar un portrait de la Russie actuelle, mais il est difficile de ne pas y penser. Tout comme il est difficile de ne pas évoquer les images du dernier film d'Eseinstein, Ivan Groznyy (Ivan le terrible - 1944) métaphore en creux du pouvoir de Staline en son temps. L'ombre du maître soviétique plane sur certaines scènes, notamment dans les compositions sophistiquées des cérémonies religieuses avec les jeux d'ombres et de lumière, les gros plans expressionnistes et les visages aux traits puissants.

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Source : dossier de presse

Visuellement, le film est superbe et Lounguine s'est attaché le chef opérateur de Clint Eastwood, Tom Stern, pour éclairer Ivan priant à la lueur de bougies ou les sombres ambiances du donjon. Des cavaliers galopent au ralentit dans la neige, Ivan vêtu d'or traverse un verger en fleur, Une bataille entre russes et polonais autour d'un pont est traitée en plans rapides quasi abstraits. La puissance des images est renforcée par l'impression d'authenticité dégagée par les décors et les costumes. Le film a eu les moyens. Il y a de belles idées de mise en scène également. Un long mouvement suit Ivan, de face, que ses serviteurs revêtent un à un des nombreux éléments qui composent son costume de tsar. Partit de sa chapelle en chemise de nuit, il devient petit à petit le monarque au regard impitoyable et couvert d'or au moment de rencontrer son peuple.

J'ai été aussi sensible à la trouvaille du personnage de la petite fille qui est enlevée, qui se sauve, est découverte, prise sous la protection de Philippe, s'enfuit, avant de devenir la mascotte d'Ivan et dont on se demande si l'innocence saura toucher le coeur du tsar. Elle apporte une touche de magie, de féerie au sein d'une histoire plutôt sombre. Elle aide aussi à pénétrer un film qui n'est pas d'un abord facile si, comme moi, l'on est guère versé en histoire russe ni en rite orthodoxe. Pouvoir absolu contre force morale, bien contre mal, manipulation politique de la religion contre intégrité, corruption contre désir de rédemption, le film est d'abord la lutte spirituelle de deux hommes. Elle rappelle celle de Thomas More et du roi Henry VIII illustrée dans A Man for All Seasons (Un homme pour l'éternité - 1966) réalisé par Fred Zinnemann, analogie plus proche de nous pour mieux saisir les enjeux de cette histoire complexe que Loungine enlève sans temps morts avec une grande maîtrise de ses effets. Il y a dans ce projet quelque chose des films à grands spectacles actuellement produits en Chine et qui explorent eux aussi une histoire prestigieuse, mouvementée et violente, avec les rapports complexes au pouvoir et au pays.

Retour à une certaine légèreté avec la soirée consacrée au réalisateur Pietro Germi. Acteur et réalisateur disparu en 1974, il débute dans la veine néo-réaliste après la guerre puis devient un réalisateur emblématique de la comédie italienne avec Un maledetto imbroglio (Meurtre à l'italienne -1959) dans lequel il joue aux côtés de Claudia Cardinale, Divorzio all'italiana (Divorce à l'italienne - 1961) avec Mastroianni, Sedotta e abbandonata (Séduite et abandonnée - 1964) avec Stéfania Sandrelli et le film repris cette année, Signore e signori (Ces messieurs-dames - 1966) qui remportera la grand prix à Cannes aux côtés du film de Claude Lelouch. Le documentaire de Claudio Bondi, Pietro Germi, il bravo, il bello, il cattivo, retrace les grande étapes de sa carrière avec le bon goût de se focaliser sur les films, respectant l'intimité d'un homme assez secret. Le film est composé de nombreux entretiens avec ses acteurs et ses actrices, ainsi que d'émissions télévisées avec Germi et de reportages sur les tournages. Côté actrices, il y a quelques perles d'époque où l'on retrouve Virna Lisi, Claudia Cardinale et Stéfania Sandrelli. Et puis, cerise sur le gâteau, il y a des essais avec la belle Nicoletta Machiavelli, ce qui aurait suffit à illuminer ma soirée.

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Pietro Germi : source Festival de Cannes

Mais ce n'était rien à côté du film. Signore e signori est un fleuron virtuose de la comédie all'italiana. Cela se passe dans une petite ville de province, à Trévise en Vénétie. Le film suit un groupe de notables (un médecin, un comptable, un pharmacien...) et leurs épouses, dans le train train de leur vie quotidienne et leurs relations amoureuses. Celles-ci sont basées sur le mensonge, l'hypocrisie, la domination des hommes sur les femmes et l'oppression sociale sur les sentiments. Germi l'illustre en trois actes, trois petites histoires très drôles et très cruelles comme il se doit. La première est centrée sur le docteur, marié à une femme bien plus jeune et qui pense se moquer d'un ami qui lui a confié son impuissance avant de se rendre compte que ce n'est qu'une ruse pour se rapprocher de l'épouse peu farouche. Le second segment, plus long, met en scène Osvaldo Bisigato, formidablement joué par Gastone Moschin, pâle comptable tyrannisé par sa femme et ses enfants, qui tombe amoureux de Milena, la serveuse d'un café campé par la bellissime Virna Lisi. Cette histoire, c'est le coeur du film et l'unique tentative de l'un des personnages pour briser le carcan social. Bisigato, fou d'amour et on le comprend, quitte femme et enfants, crie le nom de sa maîtresse dans la nuit et veut affirmer haut et fort la force et la pureté de son amour. Mais dans l'Italie de 1965, pas de divorce possible et famille comme amis pèsent de tout leur poids pour briser le couple. Lors de la plus belle scène du film, Bisigato entraîne Milena à travers la place bondée de monde, au milieu des pigeons s'envolant, aux yeux de tous. Cet homme est un archétype de la comédie italienne, modeste, pas terriblement séduisant, un peu pitoyable, il révèle de grandes qualités de coeur et de courage, comme le faisait Alberto Sordi à la fin de Una vita difficile. Un peu pathétique, il est très émouvant. La troisième partie est assez retorse, puisqu'elle montre nos bons bourgeois manipulés habilement par une jeune fille de la campagne qui passe de l'un à l'autre mais se révèle mineure. Après avoir fustigé le conformisme de façade de ses héros, Germi révèle leur hypocrisie profonde tout en mettant en scène le même type de comportement chez la famille paysanne. Le père exploite sans honte la vertu de sa fille puisqu'il achètera le retrait de sa plainte. Une façon de se moquer du culte de l'argent dans l'italie de l'époque. Au passage, Germi qui a souligné la domination masculine et ses ravages, s'amuse à monter la véritable force de la femme puisque c'est l'une des épouses (jouée par la belle Olga Villi, je crois) qui résout le problème à coup de millions de lires et payera de son corps la sauvegarde des apparences et le retour à une vie « normale », où les hommes sortent leurs femmes légitimes sur la place, au milieu du vol des pigeons.

A ces histoires de coucheries qui peuvent sembler triviales, Pietro Germi donne une forme d'une grande élégance, que ce soit la photographie en noir et blanc d'Aiace Parolin, la musique entêtante et légère de Carlo Rustichelli et la virtuosité du travail de la caméra, valsant au sein des groupes avec une sûreté, une précision d'horloger. La première partie, avec la présentation des couples et leur départ pour la fête, est placée sous le signe d'un rythme effréné. La seconde, l'histoire du comptable, délaisse un temps les larges plans de groupe pour un portrait plus délicats des deux héros, laissant les scènes durer pour faire naître l'émotion, comme lors du dialogue auprès du canal. La troisième partie, un peu plus sombre, est plus découpée, Germi s'employant à faire monter la tension pour mieux enfermer son groupe dans sa bassesse avant de résoudre son récit par une pirouette plutôt leste. Mais toujours élégante.

(à suivre)

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