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11/11/2012

Haneke, amour et petits poissons

Que les choses soient claires d'entrée, je n'ai pas changé d'avis et je n'y suis pas allé. Mais je dois dire, non sans gourmandise, que j'ai aimé lire les textes de Pierre Murat (Télérama, une fois n'est pas coutume), Jean-Philippe Tessé et l'ami Joachim Lepastier (Les Cahiers du Cinéma), ainsi que celui de Buster sur Balloonatic et son virulent débat. Voilà un démontage du système Haneke qui me semble salutaire face à la vague unanimiste, après la déferlante cannoise, des « ho ! » et des « ha ! » d'admiration. Ce que je lis me conforte dans l'idée que je me fais du film dans la mesure où cela me ramène aux souvenirs évidemment douloureux de mes précédentes expériences avec le cinéaste. Expérience qu'il ne me semble pas urgent de renouveler.

Ainsi les évocations de la culotte baissée d'Emmanuelle Riva chez Buster m'ont immédiatement fait penser aux petits poissons de Der siebente Kontinent (Le Septième continent – 1988). Pour ceux qui ne connaissent pas le film, c'est l'histoire d'une famille moyenne (papa, maman, fifille) qui s'ennuie à mourir dans une Autriche gaie comme un gibet. Au lieu de se balancer sous un TGV, ils choisissent une méthode longue et, auparavant, détruisent systématiquement tout ce qu'ils possèdent. Lourde critique de la vilaine société de consommation. Entre les vêtements lacérés et les billets de banque déchirées menus dans les toilettes, Papa fracasse l'aquarium familial et Haneke de filmer, longuement sinon ce n'est pas amusant, les petits poissons s’asphyxier sur le sol. C'est typiquement le genre de plans que Joachim appelle joliment dans son article « plan attentat » et qui sont au cœur de l'art hanekien. Attentat contre le spectateur bien sûr qui se retrouve coincé tout à coup à voir quelque chose qu'il faut bien qualifier de dégueulasse, avec en prime le coup de règle sur les doigts qui le renvoie à sa position de voyeur. Dans un excellent documentaire, Haneke avec son sourire irritant explique que oui, les petits poissons mais que quand même c'est le symbole de la mort de la fillette. Et de feindre de ne pas comprendre que les spectateurs en soient choqués.

Ami lecteur qui peut être est allé t'émouvoir à Amour, il faut s'arrêter un instant sur ces poissons. A ce moment, je peux me poser la question de savoir si Haneke, réalisateur célébré y compris par ceux qui n'aiment pas son discours, a vraiment compris ce qu'est le cinéma. J'exagère, Brutus est un homme honorable et Haneke a sans doute beaucoup réfléchi à la question. C'est pire, il n'a pas foi dans le cinéma, il ne l'aime pas. Alors il le démonte et l'attentat au spectateur se double d'un attentat au cinéma. Qu'est-ce que le fameux effet de rembobinage dans Funny games (1997) sinon l'agression délibérée d'un effet propre à la vidéo, à la télévision, envers la structure logique du film ? Les poissons, c'est pareil. Haneke confond (ou feint de) l'agonie de personnages de fiction joués par des acteurs et la souffrance réelle d'animaux réels qui n'ont eu que le tort de croiser la route du réalisateur ou de son assistant, alors que l'acteur après le tournage sera allé prendre une bière au bar d'en face. Haneke s'offusque mais il oublie (ou feint de) que le spectateur de cinéma fait plus ou moins inconsciemment la différence. Le procédé est dégueulasse parce que le réalisateur change les règle en cours de route. Et qu'il sort de celles du cinéma. Le cinéma est par essence un art de l'illusion, illusion fondamentale du mouvement, tournage sans contraintes chronologiques (il y a des exceptions). Au cinéma, on met un acteur sur une caisse pour qu'il semble plus grand, on lui fait déclarer l'amour fou à un objectif de 50mm, on double les voix, parfois les corps, on triche, on truque. « Les films sont plus harmonieux que la vie », un acteur de cinéma ne trébuche pas sur une réplique, il ne tombe pas par terre. Au théâtre ou au concert, il y a des trous et des fausses notes, il y a un corps avec son humanité fragile, sur une durée réelle. Pas au cinéma ou alors d'une toute autre façon. Et le miracle du cinéma, c'est de créer de l'émotion, l'émotion d'une vérité, avec tout ce faux. C'est je crois, le sujet du Holy motors de Leos Carax cette année.

Mais pour Haneke et une certaine tendance du cinéma mondial, cette illusion est un problème et l'on cherche par tous les moyens de « faire vrai ». L'on mettra donc en avant une histoire réelle (comme avec Intouchables, mais si), l'on imaginera des mises en scènes qui visent à faire comprendre qu'il n'y a pas de « truc », que l'on ne triche pas (joie du plan séquence alors que le coeur du cinéma, c'est le montage), et c'est comme cela que Nicole Kidman fera pipi sur son partenaire, qu'Emmanuelle Riva baissera sa culotte (je note au passage que c'est déjà elle qui avait fini dans les barbelés au terme de ce travelling qui avait scandalisé Rivette) et que Trintigant trébuche. Comme dans la pornographie, on ne simule pas, mais comme dans la pornographie, on triche quand même. Pour en revenir aux poissons et à cette soudaine irruption du réel au sein d'un dispositif de fiction, sa violence me rappelle les procédés de réalisateurs italiens des années 70 qui inséraient dans leurs histoires de jungle des inserts d'animaux tués vraiment. La tortue de Cannibal holocaust (1980) et le singe de La montagna del dio cannibale (La montagne du dieu cannibale - 1978) sont les exemples les plus célèbres. Le principe en est le même au fond, comme le dispositif du premier film signé Ruggero Deodato qui vise à un fort effet de réel (film dans le film, caméra portée, baratin sur les acteurs disparus, etc.). L'on m'objectera non sans raison qu'il y a une gratuité des effets dans ces films et que ce n'est pas le cas pour Haneke, mais comme spectateur, je ressens de la même façon cette brutalité de la rupture unilatérale du pacte tacite d'illusion propre à la fiction. Et je n'aime pas ça.

Pourtant cette part d'illusion me semble essentielle au cinéma. Quand un personnage tombe de cheval dans un western, on frémit pour le personnage mais on salue aussi la performance du cascadeur. Chez Ford, souvent, la caméra s'attarde deux secondes que l'on voit Yakima Canutt esquisser un geste pour se relever. Une manière de distanciation brechtienne quoi. Sans vouloir surestimer le public, et contrairement à ce que semble croire Haneke, je ne crois pas le spectateur si facilement dupe. Je vois plutôt une acceptation tacite de la part de jeu et de manipulation nécessaire, n'excluant d’ailleurs pas que l'on puisse se faire bousculer un peu. Mais dans un rapport équilibré. Cette distance fonctionne d'autant plus qu'il s'agit d'acteurs connus avec lequel le spectateur a une histoire pré-existante à celle du film. Mettre en scène Jean-louis Trintignant, avec sa voix si caractéristique et son regard si particulier, c'est amener avec lui les personnages qui nous ont accompagnés depuis tant d'années, ceux à qui l'on a ressemblé, que l'on a craint ou aimés, le Roberto de Risi, le Julien de Truffaut, le Marcello de Bertolucci, le Jean-Louis de Rohmer, le Silence de Corbucci, le flic de Labro. J'ai le sentiment que conserver son faux-pas pour « faire vrai » comme le décrit Buster, c'est tout à coup sortir du film et renvoyer le spectateur au Trintignant vieil homme bien réel et à ce qu'il peut y avoir de gênant à voir sa fragilité réelle. Comme je trouve gênant de voir de vrais poissons suffoquer vraiment pour un film.

Toutes choses se tenant, dans le bouquin d'entretiens avec Michel Cieutat et Philippe Rouyer, Haneke déclare que Spielberg fait un cinéma « épouvantable » avec Schindler's list (1994) (ce qui ramènerait à Gérard Lefort, mais ça suffit). C'est sûr que Spielberg, lui, a foi dans le cinéma et son langage, qu'il sait créer de l'émotion avec un requin mécanique qui ne marche pas, histoire de rester dans le poisson. C'est irréconciliable.

01/06/2012

Cannes séquence 4

Les larmes de Gérard Lefort

« Qui ne versera pas une larme à la vision d’Amour peut être raisonnablement traité de con. » nous assène Gérard Lefort à propos de la nouvelle palme d'or de Michael Haneke. Raisonnablement, c'est un curieux argument critique, même si Lefort prend soin de développer, histoire que l'on ne confonde pas ces larmes avec celles que certains ont pu verser sur Bambi (1942) ou Intouchables (2011). Moi qui me suis soigneusement abstenu de me risquer à ce film et qui voue une solide détestation au cinéma du terrible autrichien, je me suis senti raisonnablement interpellé. J'ai de la mémoire et, à défaut, de bonnes archives. Le coup des larmes à géométrie variable, Lefort nous l'avait déjà servi il y a plus de vingt ans. Dans sa critique de Schindler's list (1994) de Steven Spielberg d'où il ressortait qu'il était passé à côté du sens de la petite fille en manteau rouge. Il y avait aussi tout un passage sur les larmes que l'on ne manquerait pas de verser sur le film, de leur charge d'humanité, avant qu'il ne nous signifie, le stylo solennel : « De ces larmes, il faudra se repentir ». A l'époque, cela m'avait beaucoup travaillé parce que j'avais vu le film deux fois les yeux secs.

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Je pleure rarement au cinéma, un peu plus aujourd'hui mais surtout pour des moments d'intense émotion positive comme quand John Wayne prend Nathalie Wood dans ses bras chez Ford ou sur le dernier plan de Land and freedom (1994) de Ken Loach. Du coup je serais tenté de retourner l'injonction de Lefort sous forme d'interrogations multiples face au large consensus critique sur Amour (c'est beau, c'est fort, c'est fort beau). Ne faudra-t'il pas se repentir des torrents lacrymaux versés sur ce film ? Plus exactement, quelle est la nature de ces larmes unanimes suscitées par un cinéaste jusqu'ici plutôt spécialisé dans le grincement de dents ? Est-ce que l'on pleure devant la pathétique histoire du couple d'octogénaires défaits par la maladie comme devant un mélodrame signé Douglas Sirk ou Mikio Naruse ? Est-ce que l'on pleure de rage ou de peur devant la fragilité de notre condition humaine ? Est-ce que l'on s'apitoie plus ou moins volontairement face aux visages vieillissants des acteurs, Jean-Louis Trintignant dont on connaît la charge de tragédie personnelle, Emmanuelle Riva sur laquelle se superpose le visage de l'héroïne de Resnais et Franju ? Est-ce que l'on pleure de honte parce que, mauvais fils ou mauvaise fille, on n'a pas appelé ses parents depuis un mois ou que l'on a collé sa vieille mère en maison de retraite ? Est-ce que ce ne seraient pas des pleurs d'un lâche soulagement (pas moi, pas moi), quelque chose du petit plaisir tout au fond derrière les sanglots dont parle Truffaut ? Est-ce que l'on pleure sur soi-même, espérant une fin plus rapide ou plus apaisée, ou encore pour soi-même parce qu'il faut bien pleurer ici, si l'on ne veut pas passer raisonnablement pour un con ?

Pas si simple, ces larmes. D'autant qu'avec Haneke, on peut légitimement se demander où il veut en venir. Que l'on me comprenne bien, ce n'est pas le thème qui m'effraie. J'ai le souvenir d'agonies douloureuses chez Ingmar Bergman, Isao Takahata, Clint Eastwood ou Akira Kurosawa. C'est une question de regard et de point de vue. Or je ne goûte guère le regard de Haneke et moins encore la place qu'il me destine en tant que spectateur. Après ses visons successives de la famille, du couple, de la société, des enfants, du sexe et de l'éducation, je ne me sens guère enclin à aborder l'agonie avec lui. Je lis ici et là qu'il a changé cette fois (ce qui me rappelle quelqu'un). Encore une affirmation qui incite à la prudence. Chacun, le président Moretti le premier, met en avant la performance des acteurs. Soit, mais l'on parle du coup bien peu de la mise en scène du film et à voir la bande annonce, je sens un redoutable terrain familier : les couleurs funèbres (Darius Khondji moins coloré que chez Allen ou Jeunet !), le principe du huis clos qui jusqu'ici a surtout eu pour but de piéger le spectateur, cette froideur qui émane des cadres rigides, cette lenteur aux silences épais et cette musique pourtant fort belle qui résonne comme une marche funèbre. Et puis il y a quelque chose qui me gène toujours, quoique l'on en dise, quel que soit le sentiment de réel que l'on veuille donner et le talent avec lequel on le donne : nous sommes face à un film, à un jeu d'acteurs quand bien même l'on verra Trintignant changer les couches de Riva, à une œuvre de fiction. Nous sommes face à un spectacle. Alors qu'est-ce que l'on vient voir ici ? Question fondamentale qui prenait cette année à Cannes un sens aigu entre l'exorcisme de Mungiu, la tête arrachée à mains nues de Reygadas, les femmes cougar de Seidl ou Nicole Kidman faisant pipi sur Zac Efron. Une question à laquelle Haneke donne une réponse dans un entretien avec Serge Toubiana où il se révèle nettement plus sympathique que ses films. Je lui en sais gré. A propos de Funny games (1997), il explique que c'est un film à voir si l'on en a besoin et qu'il répond à ceux qui lui reprochent d'avoir été manipulés : « Mais pourquoi êtes-vous restés ? ». C'est donc ainsi : à moins d'être critique appointé, il est permis de faire son Bartleby et d'en rester à « J'aimerais mieux pas ». Je sais pourquoi j'ai besoin de voir la Samaritaine filmée par Carax, la fenêtre ouverte de Nichols ou la robe rouge et noire d'Anne Consigny chez Resnais. Je ne sens pas, raisonnablement, le besoin d'aller verser ma larme chez Haneke.

Photographie : © Films du losange/Denis Manin

08/09/2010

Mauvais souvenirs - Partie 1

Pour changer un peu des listes des 10 meilleurs ceci et 15 meilleurs cela, je m'en vais vous narrer mes 10 plus mauvaises expériences au cinéma. Attention, j'ai bien écrit expériences et non pas film. J'ai vécu des moments douloureux, mentalement comme physiquement, avec de très bon films, voire des films que j'adore comme The searchers (La prisonnière du désert – 1956) de Ford. C'est une histoire que j'ai racontée en son temps. Je ne reviendrais pas non plus sur un autre souvenir traumatique lié à mon enfance et que je dois à Michel Lang, merci Michel, également raconté en ces colonnes. Donc voilà :

A tout seigneur, tout honneur. Ma profonde et totale aversion pour le cinéma de Michael Haneke date d'une séance cannoise de son premier long métrage, Der siebente Kontinent (Le Septième Continent) en 1989. Perturbé par la ressemblance avec les titres des films à monde perdu et grosses bestioles de Kevin Connor, je m'étais dis, sans rien en savoir : "Pourquoi pas ?". Et comme j'avais eu une place supplémentaire, j'avais entraîné avec moi une douce amie sur laquelle j'avais alors des vues. La pauvre... Le film, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le portrait d'une famille moyenne autrichienne, papa, maman et fifille, qui s'ennuient à mourir. Littéralement. Ils décident donc de se tuer et, avant de passer à l'acte, détruisent méthodiquement toutes leurs possessions, brisant les meubles, coupant les vêtements en fines lanières, jettant un à un les billets de banque dans les toilettes. C'est silencieux et interminable. Au bout d'une demi-heure, les sièges ont commençé à claquer, et jusqu'à la fin, ce fut l'exode dans la salle. Avec mon amie, nous avons commencé à regarder nos montres (j'en portais une alors) puis elle m'a demandé si je ne voulais pas sortir aussi. Je n'ai jamais eu autant envie de dire oui. Nous étions de plus en plus tassés dans nos sièges. Hélas, je mets un point d'honneur à ne jamais quitter un film en cours. On ne sait jamais. Il peut toujours y avoir un plan, un regard, un troisième rôle qui sauve in-extremis le film. Mais ceux qui étaient entrés ici devaient quitter toute espérance. Mon amie a été gentille, elle s'est laissé convaincre et nous avons tenu jusqu'au bout. L'agonie familiale s'étalait sur l'écran. Nous souhaitions leur mort plus rapide pour abréger notre supplice. Mais Haneke prenait son temps, la vache. Finalement, le père empoisonné bava, les yeux hagards, devant la neige sur l'écran de sa télévison. Noir. Lumière. Les quelques survivants dont nous faisions partie, hébétés, se sont extrait des vastes fauteuils pour sortir. Nous sommes allés manger une glace. Dehors, le monde était beau. Je crois que mon amie m'en a toujours un peu voulu quand même.

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Photographie : Onlyne

Dans le registre interminable, Parsifal, le film de Hans-Jürgen Syberberg illustrant l'opéra de Wagner, a été le plus éprouvant. Déjà, je n'aime pas beaucoup la musique de Wagner, ou alors à petite dose sur fond d'attaque d'hélicoptères. Il se trouve qu'à l'époque, ma mère avait une amie et cette amie un fils un peu plus jeune que moi. Toutes deux s'étaient mises en tête que je pourrais aller au cinéma avec lui. Pour moi, le cinéma en salle, cela reste avant tout une activité solitaire. Je suis maniaque sur le choix de la place, je n'aime pas que l'on me parle pendant le film, j'aime pouvoir pleurer, rire ou m'énerver en paix. Pire que tout, je n'aime pas que l'on m'impose le choix du film. Et je n'avais aucune envie de voir Parsifal. M'y voici donc à contre-coeur, passablement remonté quand commence l'oeuvre. Pour ce que je m'en souviens, je n'ai guère apprécié les partit-pris de mise en scène de Syberberg et surtout j'ai détesté le héros. Maigrichon, la coiffure blonde frisée façon lagon bleu, cela n'est pas passé. Il chantait peut-être très bien, mais je l'ai trouvé pire que Lucchini chez Rohmer ce qui n'est pas peu dire. Au bout d'une demi-heure, j'ai commencé à regarder ma montre et le film fait plus de quatre heures. L'enfer. Les yeux ont comencé à me brûler, la tête à me lancer. Avec Wagner, impossible de s'assoupir, d'ailleurs j'étais trop énervé pour y arriver. Je me tournais dans tous les sens sur mon siège. Parfois, je fermais les yeux et je pensais à Excalibur (1981) de John Boorman et je pleurais en silence.

Malgré cette terrible séance, j'ai cédé et remis cela avec mon jeune disciple. On a beau dire que la foudre ne frappe jamais deux fois un même endroit, cette deuxième tentative n'a pas été plus heureuse. L'olibrius m'a entraîné voir King Solomon's Mines (Allan Quatermain et les mines du roi Salomon ) réalisé (hem) par Jack Lee Thompson en 1985. Je me doutais que ce ne serait pas bon, j'ignorais que ce serait pire. Moi, grand vénérateur d'Indiana Jones, j'ai du supporter le pillage en règle des opus spielberguiens, le jeu grotesque de Richard Chamberlain, les cris de Sharon Stone débutante, les explosions d'arrière plan débordant sur les personnages d'avant plan, le saut à la perche dans la lave, les personnages caricaturaux et gesticulants, la musique de Jerry Goldsmith parodiant celle de John Williams, les transparences minables, les répliques lourdingues et l'incroyable scène où Quatermain et sa copine sont jetés par des cannibales dans une marmite géante et barbotent au milieu de légumes en plastiques. Le film semblait s'enfoncer sans fin dans une spirale de ridicule. J'ai souffert. Plus tard, j'ai lu le très beau roman de H.H.Ridder Haggard et j'ai soupiré.

En salle, l'enfer, c'est les autres. Les ronfleurs, les tousseurs, les renifleurs, les commentateurs, les froisseurs de papier de bonbon, désormais les croqueurs de pop-corn, une seule de ces engeances peut transformer votre séance en cauchemar. Je m'étais rendu ce soir là dans la petite salle art et essai que j'aimais fréquenter sur la place Garibaldi. Pour une raison inconnue, on reprenait Excalibur. La salle est très petite mais ça ne se refuse pas. J'entre, je suis seul, le film commence, c'est royal. Débarquent alors quatre personnes qui vont se révéler très vite s'être trompés de film, de salle, de cinéma, sans doute même de quartier. Après les remarques ironiques sur la rusticité de la salle, le film a été systématiquement moqué tout du long, avec rires gras et plaisanteries associées sans aucun égard pour ma petite personne. Je pense qu'ils ne m'ont même pas vu, enfoncé que j'étais au second rang. Bien sûr, je n'ai rien dit, je suis un garçon réservé et puis j'ignorais leur carrure. Prudence. Ce qui est terrible avec ces échappés de multiplexe, c'est que l'on finit très vite par voir le film comme eux. Ainsi, c'est la première fois que j'ai remarqué le tuyau qui fait jaillir la fumée de la bouche de Morgane jouée par la belle Helen Mirren. Mais c'est dur, très dur. Je les les ai maudits et s'ils se reconnaissent, qu'ils sachent bien que ma malédiction court toujours. Ils auraient pu partir, j'aurais dû sortir. Pour me consoler, j'ai revu le film plusieurs fois depuis et je me suis mentalement excusé auprès de John Boorman. Quelques années plus tard, à une séance de Cannes Classic de San duk bei do (La rage du tigre - 1971), le même phénomène s'est produit mais quelqu'un que je ne serais jamais a lancé un sonore "Fermez vos gueules !" et la poésie de Chang Cheh a triomphé. Ce souvenir est aimablement dédié à Père Delauche.

(à suivre)

23/04/2008

Chez les normands

Le cinéma Lux, à Caen, est un bien beau cinéma et sa programmation me fait régulièrement regretter de ne pas habiter cette riante cité. D'ailleurs on y mange des tripes et on y boit un délicieux calva, pas dans la salle, hein, en ville, mais je m'égare. Donc, au Lux, on ne manque pas de belles idées et je ne dis pas cela parce que j'y des amis. Jugez en plutôt. Depuis le 2 avril et jusqu'au 2 juillet, ils proposent un cycle de 15 films de John Ford. 15 oeuvres essentielles, des plus connues à d'autres un peu plus rares comme Lost patrol (La patrouille perdue – 1934) ou Sergeant Rutledge (Le sergent noir – 1960) réédité sur une belle copie l'an dernier. Et puis Ford, ça se voit en salle au moins une fois dans sa vie.
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Dans un tout autre registre, l'équipe du Lux renouvelle une intrigante expérience. Ils avaient diffusé en 2000 simultanément, c'est à dire côte à côte sur le même écran, les deux versions de Psychose, celle de Hitchcock et celle de Van Sant. Rebelote avec les deux versions de Funny games, l'autrichienne et l'US toutes deux de Michael Haneke. L'évènement aura lieu le mercredi 7 mai à 21h00.

Juste en passant, je signale que le principe de la télécommande, Mel Brooks l'avait utilisé dans Spaceballs en 1987 et que le gag dérivait des interactions d'Hellzapopin' (1941) et de certains films de Tex Avery. Juste en passant.