08/09/2010
Mauvais souvenirs - Partie 1
Pour changer un peu des listes des 10 meilleurs ceci et 15 meilleurs cela, je m'en vais vous narrer mes 10 plus mauvaises expériences au cinéma. Attention, j'ai bien écrit expériences et non pas film. J'ai vécu des moments douloureux, mentalement comme physiquement, avec de très bon films, voire des films que j'adore comme The searchers (La prisonnière du désert – 1956) de Ford. C'est une histoire que j'ai racontée en son temps. Je ne reviendrais pas non plus sur un autre souvenir traumatique lié à mon enfance et que je dois à Michel Lang, merci Michel, également raconté en ces colonnes. Donc voilà :
A tout seigneur, tout honneur. Ma profonde et totale aversion pour le cinéma de Michael Haneke date d'une séance cannoise de son premier long métrage, Der siebente Kontinent (Le Septième Continent) en 1989. Perturbé par la ressemblance avec les titres des films à monde perdu et grosses bestioles de Kevin Connor, je m'étais dis, sans rien en savoir : "Pourquoi pas ?". Et comme j'avais eu une place supplémentaire, j'avais entraîné avec moi une douce amie sur laquelle j'avais alors des vues. La pauvre... Le film, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le portrait d'une famille moyenne autrichienne, papa, maman et fifille, qui s'ennuient à mourir. Littéralement. Ils décident donc de se tuer et, avant de passer à l'acte, détruisent méthodiquement toutes leurs possessions, brisant les meubles, coupant les vêtements en fines lanières, jettant un à un les billets de banque dans les toilettes. C'est silencieux et interminable. Au bout d'une demi-heure, les sièges ont commençé à claquer, et jusqu'à la fin, ce fut l'exode dans la salle. Avec mon amie, nous avons commencé à regarder nos montres (j'en portais une alors) puis elle m'a demandé si je ne voulais pas sortir aussi. Je n'ai jamais eu autant envie de dire oui. Nous étions de plus en plus tassés dans nos sièges. Hélas, je mets un point d'honneur à ne jamais quitter un film en cours. On ne sait jamais. Il peut toujours y avoir un plan, un regard, un troisième rôle qui sauve in-extremis le film. Mais ceux qui étaient entrés ici devaient quitter toute espérance. Mon amie a été gentille, elle s'est laissé convaincre et nous avons tenu jusqu'au bout. L'agonie familiale s'étalait sur l'écran. Nous souhaitions leur mort plus rapide pour abréger notre supplice. Mais Haneke prenait son temps, la vache. Finalement, le père empoisonné bava, les yeux hagards, devant la neige sur l'écran de sa télévison. Noir. Lumière. Les quelques survivants dont nous faisions partie, hébétés, se sont extrait des vastes fauteuils pour sortir. Nous sommes allés manger une glace. Dehors, le monde était beau. Je crois que mon amie m'en a toujours un peu voulu quand même.
Photographie : Onlyne
Dans le registre interminable, Parsifal, le film de Hans-Jürgen Syberberg illustrant l'opéra de Wagner, a été le plus éprouvant. Déjà, je n'aime pas beaucoup la musique de Wagner, ou alors à petite dose sur fond d'attaque d'hélicoptères. Il se trouve qu'à l'époque, ma mère avait une amie et cette amie un fils un peu plus jeune que moi. Toutes deux s'étaient mises en tête que je pourrais aller au cinéma avec lui. Pour moi, le cinéma en salle, cela reste avant tout une activité solitaire. Je suis maniaque sur le choix de la place, je n'aime pas que l'on me parle pendant le film, j'aime pouvoir pleurer, rire ou m'énerver en paix. Pire que tout, je n'aime pas que l'on m'impose le choix du film. Et je n'avais aucune envie de voir Parsifal. M'y voici donc à contre-coeur, passablement remonté quand commence l'oeuvre. Pour ce que je m'en souviens, je n'ai guère apprécié les partit-pris de mise en scène de Syberberg et surtout j'ai détesté le héros. Maigrichon, la coiffure blonde frisée façon lagon bleu, cela n'est pas passé. Il chantait peut-être très bien, mais je l'ai trouvé pire que Lucchini chez Rohmer ce qui n'est pas peu dire. Au bout d'une demi-heure, j'ai commencé à regarder ma montre et le film fait plus de quatre heures. L'enfer. Les yeux ont comencé à me brûler, la tête à me lancer. Avec Wagner, impossible de s'assoupir, d'ailleurs j'étais trop énervé pour y arriver. Je me tournais dans tous les sens sur mon siège. Parfois, je fermais les yeux et je pensais à Excalibur (1981) de John Boorman et je pleurais en silence.
Malgré cette terrible séance, j'ai cédé et remis cela avec mon jeune disciple. On a beau dire que la foudre ne frappe jamais deux fois un même endroit, cette deuxième tentative n'a pas été plus heureuse. L'olibrius m'a entraîné voir King Solomon's Mines (Allan Quatermain et les mines du roi Salomon ) réalisé (hem) par Jack Lee Thompson en 1985. Je me doutais que ce ne serait pas bon, j'ignorais que ce serait pire. Moi, grand vénérateur d'Indiana Jones, j'ai du supporter le pillage en règle des opus spielberguiens, le jeu grotesque de Richard Chamberlain, les cris de Sharon Stone débutante, les explosions d'arrière plan débordant sur les personnages d'avant plan, le saut à la perche dans la lave, les personnages caricaturaux et gesticulants, la musique de Jerry Goldsmith parodiant celle de John Williams, les transparences minables, les répliques lourdingues et l'incroyable scène où Quatermain et sa copine sont jetés par des cannibales dans une marmite géante et barbotent au milieu de légumes en plastiques. Le film semblait s'enfoncer sans fin dans une spirale de ridicule. J'ai souffert. Plus tard, j'ai lu le très beau roman de H.H.Ridder Haggard et j'ai soupiré.
En salle, l'enfer, c'est les autres. Les ronfleurs, les tousseurs, les renifleurs, les commentateurs, les froisseurs de papier de bonbon, désormais les croqueurs de pop-corn, une seule de ces engeances peut transformer votre séance en cauchemar. Je m'étais rendu ce soir là dans la petite salle art et essai que j'aimais fréquenter sur la place Garibaldi. Pour une raison inconnue, on reprenait Excalibur. La salle est très petite mais ça ne se refuse pas. J'entre, je suis seul, le film commence, c'est royal. Débarquent alors quatre personnes qui vont se révéler très vite s'être trompés de film, de salle, de cinéma, sans doute même de quartier. Après les remarques ironiques sur la rusticité de la salle, le film a été systématiquement moqué tout du long, avec rires gras et plaisanteries associées sans aucun égard pour ma petite personne. Je pense qu'ils ne m'ont même pas vu, enfoncé que j'étais au second rang. Bien sûr, je n'ai rien dit, je suis un garçon réservé et puis j'ignorais leur carrure. Prudence. Ce qui est terrible avec ces échappés de multiplexe, c'est que l'on finit très vite par voir le film comme eux. Ainsi, c'est la première fois que j'ai remarqué le tuyau qui fait jaillir la fumée de la bouche de Morgane jouée par la belle Helen Mirren. Mais c'est dur, très dur. Je les les ai maudits et s'ils se reconnaissent, qu'ils sachent bien que ma malédiction court toujours. Ils auraient pu partir, j'aurais dû sortir. Pour me consoler, j'ai revu le film plusieurs fois depuis et je me suis mentalement excusé auprès de John Boorman. Quelques années plus tard, à une séance de Cannes Classic de San duk bei do (La rage du tigre - 1971), le même phénomène s'est produit mais quelqu'un que je ne serais jamais a lancé un sonore "Fermez vos gueules !" et la poésie de Chang Cheh a triomphé. Ce souvenir est aimablement dédié à Père Delauche.
(à suivre)
12:25 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : michael haneke, jack lee thompson, chang cheh, hans-jürgen syberberg, john boorman | Facebook | Imprimer | |