Détective Dee (29/05/2011)

 Autant commencer par ce qui fâche. Di Renjie (Détective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme) a été tourné par Tsui Hark avec une caméra digitale Red One (comme The social network (2010) de David Fincher) et à plusieurs reprises (la capture du guerrier albinos, la confrontation finale dans le Bouddah creux) certains plans prennent cette platitude de l'image vidéo. C'est terne, c'est fade. Et puis surtout, cela jure avec la superbe photographie de Chi Ying Chan et Chor Keung Chan, avec leurs riches compositions picturales aux éclairages sophistiqués. Nous avons échappé de peu à la 3D mais je m'interroge. Pourquoi de tels plans sont-ils passés ? Pourquoi donnent-ils cet effet alors que le reste du métrage m'a réjouit l'œil ? Je n'ai rien contre le numérique par principe, ni contre la 3D par ailleurs suite à mes expériences avec le Coraline de Harry Selik et Ichimei (Hara-kiri : mort d’un samouraï) de Takashi Miike . Mais là, bon sang, ce n'est tout simplement pas beau. La dernière fois que j'ai expérimenté ce décalage, c'était sur le Lady Jane(2007) de Robert Guédiguian. Et les regrets étaient du même type.

tsui hark

A cela, je peux ajouter que Di Renjie s'inscrit parfaitement dans la démarche technologique de son auteur. Tsui Hark a toujours été un fou de technique, que ce soit l'emploi de filtres, l'usage de brumes, d'objectifs déformants, d'effets numériques, de cadrages acrobatiques et de mouvements impossibles. Chez lui, pourtant, tout ces partit-pris qui l'éloignent radicalement d'un, disons, Hou Hsiao Hsien, s'inscrivent en les faisant avancer technologiquement dans l'héritage des films de la grande époque des studios de Hong Kong : Goût de l'écran large en ShawScope, Technicolor, tournage en studio et effets. Hark prolonge également, avec respect me semble-t'il, une tradition, picturale, celle de l'opéra, et littéraire, ici l'adaptation d'un roman de Lin Qianyu inspiré du personnage réel de l'époque de la dynastie Tang ayant donné lieu à plusieurs séries de romans dont le fameux juge Ti de Robert Van Gulik. Hark apporte néanmoins sa fascination pour les modèles occidentaux qu'il sait, à son meilleur, transcender et inspirer en retour. Ses larges vues de la cité de l'impératrice renvoient à quelques solides classiques hollywoodiens tandis que le Bouddah géant m'a évoqué un colosse de Rhodes tout aussi redoutable.

Ceci posé, Di Renjie est un film excitant au possible reléguant les essais lourdingues de Chen Kaige ou John Woo à l'anecdotique. Digne des précédents The blade (1995) ou Seven swords (2005). Il y a chez Tsui Hark un plaisir de l'histoire, du feuilleton au sens le plus noble du terme, celui cher à Alexandre Dumas (Dee est le d'Artagnan de l'impératrice). Plaisir du rebondissement, du spectacle, volonté d'émerveiller à travers des scènes conçues comme autant de morceaux de bravoure, comme chez Sergio Leone ou Chang Cheh. Mais il y a chez lui, toujours, quelque chose de direct, de franc. Il ne cherche pas à « faire sens » ni à « faire joli ». Et au milieu de ce Barnum cinématographique, la force de Hark, de son cinéma, c'est le traitement des personnages et de leur relations. Une histoire très humaine qui s'insère dans la trame du spectacle et lui donne un supplément d'âme, d'humour souvent et de relative profondeur. C'est par exemple le désir de paternité du jeune héros de Time and tide (2000) et son histoire avec la fliquette lesbienne. C'est la relation entre Wong Fei-hung et la délicieuse 13e tante. Ce sont les origines coréennes des personnages de Seven swords. Ce sont ces connivences secrètes que chante le mendiant aveugle du second Once Upon a Time in China. Ce sont des sentiments souvent inexprimés mais soulignés par la mise en scène, passant par des gestes esquissés, des allusions, des regards, qui éloignent des héros monolithiques et schématiques des collègues de Hark et rendent ambigus ou relatifs les commentaires politiques que l'on se plait à lire de-ci, de-là.

Dans Di Renjie, il y a un quatuor passionnant formé de Dee, de l'impératrice, de Shangguan Jing'er, la guerrière à son service et l'albinos Pei Donglai . Amour, estime, devoir, trahison, pouvoir, tout se mêle dans des figures qui s'opposent et se complètent selon les combinaisons. Autant de figures doubles (y compris le vieil ami du juge) autour du pivot Dee, lui même tiraillé entre des sentiments contradictoires. Ce dispositif complexe se construit au sein de l'enquête du juge et irrigue les compositions grandioses, toujours très travaillées chromatiquement (variations de rouges, de blanc, d'or) sans jamais en perturber le déroulement.

Autre marque remarquable du cinéma de Hark, sa façon de filmer les femmes et la place qu'il leur donne (Il avait « repris » à John Woo la série A better tomorrow pour faire du personnage de Chow Yun Fat l'élève un peu gauche d'une redoutable femme d'action). Il y a toujours une grande pudeur dans la description des sentiment, amour naissant avec Jing'er et dissimulé avec l'impératrice, associée à une sensualité très physique. Ainsi la magnifique scène entre Dee et Jing'er où celle-ci, envoyée pour s'occuper (et surveiller) le juge sortit de prison pour mener l'enquête, tente de le séduire et se voit interrompue par une attaque de flèches trouant presque silencieusement les parois de papier. Le ballet érotique devient chorégraphie d'action en continuité. Samo Hung, complice de Jackie Chan et Bruce Lee en son temps s'est occupé de régler les combats. C'est beau comme de la comédie musicale grand cru. La plus belle scène d'un film qui tranche résolument sur le tout venant de l'action au XXIe siècle.

L'avis d'Edouard de Nightswimming et quelques autres sur le Panoptique d'avril.

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