14/07/2011
Moustache tombante et oeil bridé
Un film fabuleux, inimaginable, sorte de Jardin des supplices en délire, mis en scène par Ziegfield et costumé par un Adrian paranoïaque. Jamais on ne refera un tel film. (Jean Boullet / La méthode N°9 – juin 1962)
Tout à commencé par une photographie du musée Jean Boullet réunit par Alain Petit dans le numéro 22 de Vampirella en 1976. Une photographie de Myrna Loy, star des années trente, cheveux tirés en arrière, robe vaporeuse, fume cigarette, yeux délicatement bridés, éclairages sophistiqués "à la Sternberg", debout sur un maginfique motif en cercle avec dragon. On peut rêver un monde en contemplant une telle photographie. Le film, c'est The mask of Fu Manchu, réalisé par Charles Brabin en 1932. Fu Manchu c'est le péril jaune vu par les occidentaux, un terrible docteur machiavélique créé par l'écrivain Sax Rohmer en 1913 et porté à l'écran plusieurs fois. Calot de cuir ou petite toque à pompon, longues moustaches tombantes, ongles démesurés, rictus sardonique, c'est Wong Fei-hung version génie du mal, le Fantômas oriental. Un personnage de film d'horreur qui est ici incarné par rien moins que le grand Boris Karloff tout juste sortit de sa composition en monstre de Frankenstein pour James Whale (C'est Christopher Lee, autre monstre sacré, qui reprendra le rôle dans une série de films britanniques des années 60).
The mask of Fu Manchu est une expression délirante et poétique de l'impérialisme occidental triomphant de l'époque, d'un racisme luxuriant et assuré qui prend avec le recul nécessaire (Pas trop, vous ne verrez plus rien) un certain charme parodique. Du même type qu'une lecture de Tintin au Congo ou qu'une vision des Tarzan MGM. The mask of Fu Manchu est d'ailleurs un film MGM. Le film véhicule les clichés à la pelleteuse. L'Orient est mystérieux, les supplices raffinés, les « faces de citron » chères à Buck Danny sont fourbes et cruels et ils en veulent à la femme blanche, blonde comme il se doit. "Voulez vous des femmes comme celle-ci pour épouses ? Partez à la conquête et enfantez ! Tuez l'homme blanc et prenez ses femmes ! » déclare un Fu Manchu exalté à ses hordes de disciples réunis dans une salle secrète et souterraine, tout en préparant le sacrifice de l'héroïne palpitante. Tout est dit. A l'époque, la Chine qui avait pourtant d'autres problèmes, avait émis une protestation officielle.
Le film est de l'époque « Pré-code », c'est à dire avant que Hollywood ne se dote de règles strictes de bonne conduite sur les écrans de cinéma, ce qui conduisit les auteurs à, je ne résiste pas à l'expression, se brider question sexe, violence et politique. La réplique provocante sera coupée par la suite, ce qui est bien dommage parce qu'elle est, à sa façon, un sommet du film. Le racisme brut qu'elle exprime se retrouve dans la distribution puisque les rôles de vilains chinois sont tenus par des occidentaux (Karloff et Loy qui joue sa fille), ainsi que dans une étrange hiérarchie qui voit les asiatiques avoir des serviteurs noirs, que je me permettrais d'appeler noirs-potiches car ils ne disent rien et sont disposés dans l'image comme autant d'éléments de décor. Lors de la scène de l'opération, ils sont même debout sur des socles. Révélateur également d'autres fantasmes, tous ces figurants sont magnifiquement musclés et ne portent que des pagnes. Ce qui n'empêche pas les héros, blancs, de les assommer d'un revers de main. Le lecteur perspicace l'aura compris, The mask of Fu Manchu est une série B. Produite pourtant par la MGM dont ce n'était pas trop le genre, c'est une série B très soignée, bénéficiant du luxe induit par la politique de prestige de la maison mère, et du talent de ses collaborateurs fétiches, en particulier Cédric Gibbons à la direction artistique, Warren Newcombe aux effets spéciaux (il signera plus tard ceux de Forbiddden planet en 1956) et Adrian aux costumes. Série B néanmoins avec ses 68 minutes bien tassées et ses ressorts feuilletonesques, ses intérieurs anglais dépouillés (et platement filmés) alternant avec la sophistication du repaire de Fu Manchu. C'est là que l'imagination se déploie sans retenue : vastes espaces de studio, surfaces immaculées et luisantes de faux marbre, de verre et d'acier poli, machines infernales aux lignes élégantes, architectures art-déco orientalisantes, compositions équilibrées façon expressionnisme allemand, luxe satiné des costumes, noir et blanc vibrant de la lumière de Tony Gaudio (Chef opérateur du Robin Hood de Curtiz et du Hight Sierra de Walsh).
L'intrigue tourne autour du trésor de Genghis Kahn que les anglais s'en vont piller en toute bonne conscience pour empêcher que Fu Manchu ne s'empare du cimeterre et du masque d'or du grand roi. Les scénaristes mélangent sérial, aventures et un peu de science-fiction avec le rayon électrique que Fu Manchu dirige de son ongle. Soulèvement indigène et occultisme sont également au rendez vous, mais ce n'a guère d'importance. Ce qui compte, c'est la prestation déchaînée de Karloff avec son accent amélioré d'un cheveux sur la langue (unique) et quelques scènes radicales mêlant sadisme et érotisme. Le papa de l'héroïne est placé sous une cloche géante actionnée par deux noirs-potiches tandis que le docteur diabolique lui fait boire de l'eau salée. Un autre vaillant explorateur est placé entre deux plaques munies de pointes. Tant qu'à la confection du sérum empoisonné... Le sommet est atteint quand le jeune premier, bien inconsidérément, se jette dans la gueule du loup. La fille de Fu l'emmène alors dans les souterrains, lui fait arracher la chemise (joli torse) et fouetter par ses deux serviteurs (noirs bien sûr). Admirable plan où elle s'excite « Plus vite, plus vite ». Puis elle le fait détacher et installer dans un de ces lits qui n'ont existé qu'à Hollywood, satin, estrade, pour lui tripoter le poitrail. J'imagine que c'est le genre de scène qui devait électriser Jean Boullet. Il faut avoir vu cela une fois dans sa vie. Il s'en dégage une poésie érotique qui transcende le matériau de départ. Le film souffre pourtant des prestations médiocres des héros « occidentaux ». Il aurait pu sans cela prétendre au rang d'un King Kong (1933) ou d'un Island of losts souls (1933). Finalement, les gentils s'emparent du rayon de la mort et déciment sans remords à coup d'arcs électriques la masse des jaunes séditieux. Mais le redoutable docteur est-il véritablement mort ? C'est le bonheur !
Photographie : collection personnelle
A lire sur The ligue of deads films en anglais avec vidéo
Sur Only the cinéma en anglais avec photographie du torse du héros.
Sur Black Hole avec plein de très belles photographies
17:07 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : charles brabin | Facebook | Imprimer | |