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14/07/2009

Le tombeau des lucioles

Alors que mes camardes blogueurs discourent sur le dernier Woody Allen ou le dernier Podalydès en se réconciliant avec la comédie française, je demeure depuis quelques jours avec une boule au fond de la gorge et pleure tel la fausse-tortue de Lewis Carroll. Je pense à la réplique du personnage joué par Charles Denner dans L'homme qui aimait les femmes (1977) de François Truffaut, quand il demande à la petite fille en larmes dans l'escalier : « Mais est-ce qu'au fond, tout au fond, tu ne ressens pas un tout petit plaisir ? ». Et j'en conclu que si, certainement.

Tout cela parce que j'ai voulu vérifier si je pouvais montrer Hotaru no Haka (Le tombeau des lucioles – 1988) du maître Isao Takahata à ma fille. J'avais entendu dire que le film était un peu dur, un peu triste. J'aurais dû me méfier. J'aurais dû lire Didier Péron : « Le Tombeau des lucioles n'est pas seulement l'un des meilleurs dessins animés sortis des studios japonais Ghibli mais aussi l'un des plus redoutables lacrymogènes jamais mis en circulation. ». Vous m'objecterez que cela ne m'aurait pas empêché d'aller y voir, et vous aurez raison. Hotaru no Haka est un film bouleversant et qui redonne sa pleine signification au mot. C'est l'un de ces films avec lesquels il y a un « avant »  et un « après ». Un de ces films qui sont capables de vous faire ressentir en profondeur les sentiments qu'ils illustrent.

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Isao Takahata, alors associé avec Hayao Miyazaki dans la création des studios Ghibli, se lance à la fin des années 80 dans l'adaptation en animation d'une nouvelle Akiyuki Nosaka écrite en 1967. Le texte à une forte teneur autobiographique. Comme son héros, Nosaka alors jeune adolescent, a vécu les ravages de la fin de la guerre au Japon en 1945 et vu sa jeune sœur mourir de malnutrition. La nouvelle est imprégnée de son sentiment de culpabilité et participe de son travail de deuil. Hotaru no Haka fait vivre à l'écran Seita et sa petite sœur Setsuko, quatre ans, qui tentent de survivre dans un pays en plein effondrement, continuellement bombardé par les forteresses volantes américaines, dont les structures, certitudes et liens sociaux s'écroulent. Leur mère est tuée dès le début dans un bombardement et leur père, officier, est en mer. On comprend vite qu'il ne reviendra pas. Après un épisode douloureux chez une tante à l'égoïsme prononcé, les deux enfants s'installent dans un abri abandonné et tentent de se créer un petit monde à eux, refuge illusoire.

Le film ne joue pas le suspense. Il s'ouvre par la mort de Seita commentée par son fantôme qui a la réplique glaçante : « Je suis mort la nuit du 21 septembre 1945 ». C'est lui qui raconte l'histoire après avoir retrouvé le fantôme de sa sœur. Cette donnée de base est déterminante pour produire le profond sentiment de mélancolie, l'essence tragique qui baigne le film. Il est clair que l'émotion dégagée par Hotaru no Haka ne tient pas à son seul sujet. Des histoires d'enfance broyées par la violence de la guerre ou la folie des hommes, il y en a eu quelques unes. L'émotion tient à l'adéquation rare entre le fond et la forme, la seconde sublimant le premier. Le film est d'une beauté douloureuse en même temps que ses images sont belles et justes. Hotaru no Haka se situe au niveau du Kid (1921) de Charlie Chaplin, de Germania anno zero (Allemagne année zéro - 1948) de Roberto Rossellini, de Father and daughter (2000) de Michaël Dudok de Wit ou de Idi e smotri (Requiem pour un massacre – 1985) de Elem Klimov. Et nos larmes, il faut y revenir, proviennent tout à la fois de l'empathie avec le sort des personnages, du sentiment aigu de perte que le film fait naître en nous et de l'esthétique qui provoque ce sentiment.

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L'art de Takahata se nourrit de la grande tradition du cinéma japonais : l'intensité et le sens du mouvement de Akira Kurosawa, l'expression sensible de Kenji Mizoguchi, la rigueur des cadres et le sens du détail de Yasujirō Ozu. Mais on retrouve également dans le traitement de la violence ou dans l'invention formelle quelque chose de proche de cinéastes plus récents comme Immamura (la séquence après le bombardement) ou Oshima (les plans très larges sur le stade ou au bord de mer). Indéniablement, il y a chez Takahata une faculté à filmer l'enfance et les enfants exceptionnelle. Il faut voir la délicatesse et la précision des mouvements et des expressions de Setsuko qui s'accroupi quand elle comprend qu'elle ne pourra pas voir sa mère (et sans doute quand elle commence à comprendre qu'elle est morte). Et dans la même scène, la réaction de Seita, à la fois si dérisoire, si touchante et si juste, qui essaye de la consoler en faisant des tours sur une barre suspendue en criant « Regarde le balèze ! ». L'utilisation de multiples détails presque insignifiants se mêle à des scènes de grande ampleur (les bombardements) et décuple la force des moments les plus tragiques. Takahata enchaîne des passages qui pourraient être pleins de drôlerie et de légèreté s'ils n'étaient pas comme surplombés par l'ombre de la mort. Ainsi lors de la scène du bord de mer où le frère poursuit la sœur, jeu plein de mouvement et de rires, interrompu un peu plus loin quand Setsuko, suivant un crabe, découvre un cadavre enveloppé d'une natte derrière une barque. Le poids du destin donne par contrecoup une valeur inestimable à ces multiples instants de bonheur issus du monde de l'enfance et de l'entrée en adolescence. Cette construction très rigoureuse passe par l'alternance de séquences à l'animation virtuose avec des séquences très dépouillées travaillées dans le détail des gestes et des expressions et plusieurs plans immobiles, de simples dessins particulièrement émouvants qui « figent » l'histoire, comme cette image sombre de la dernière nuit de Seita et Setsuko, le garçon serrant sa sœur morte contre lui.

L'un des sommets du film, presque insoutenable par la douceur de ses motifs, est construit autour de la chanson Home, sweet home interprétée par Amelita Galli-Curci, un vieil enregistrement craquant joué sur un ancien gramophone. De joyeuses jeunes femmes retrouvent leur maison au bord du lac, à la fois symboles de la paix retrouvée et de ce que Setsuko ne deviendra jamais. A mesure que la chanson s'élève, la caméra traverse le lac et vient revisiter l'abri des deux enfants. L'image de la petite fille, ses jeux, ses rires, ses petites occupations, surgissent par fragments, apparaissant et disparaissant en fondus. Ce n'est pas encore son fantôme, c'est déjà son souvenir. Là encore, l'intensité de ce qui est exprimé se nourrit de la simplicité ce que qui est montré. Cette scène est l'une des plus belles représentations du sentiment de perte au cinéma qu'il m'ait été donné de voir.

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Seita est un personnage tout à fait passionnant qui permet à Takahata de garder son film de tout sentimentalisme ainsi que de l'ambiguïté propre au contexte. Seita est un jeune adolescent qui se comporte comme tel. C'est aussi un jeune japonais de 1945 qui porte en lui les marques de l'éducation de son époque. Alors que Setsuko est un bloc d'innocence, Seita est un mélange très humain d'insouciance, d'orgueil, de fierté nationaliste, de dévouement, de courage et d'amour, légèreté et responsabilité mêlées. L'intelligence de Takahata est de révéler ces différentes facettes par petites touches, parfois dans le même moment. Ainsi, chez la fameuse tante, il est le frère attentionné mais aussi le garçon qui passe ses journées comme en vacances, se laisse vivre en lisant des bandes-dessinées exaltant le soldat nippon. Après tout, c'est de son âge, mais dans le contexte et confronté à un monde adulte qui s'écroule et se replie sur sa survie, c'est ce qui noue le drame. Seita est finalement incapable, malgré ses efforts, de sauver sa sœur. Il prend des décisions au mauvais moment, avec courage mais trop tard. Il n'est pas de taille face à la violence du monde. Cette violence aussi, Takahata l'aborde de front, sans complaisance et par petites touches. C'est un groupe de galopins qui nous révèle par la bande l'état dramatique des conditions de vie des deux enfants. Un plan de cadavres carbonisés, quelques réflexions d'adultes, l'incompréhension de Seita quand on lui apprend que le pays a capitulé. Cela suffit a restituer le contexte. La première scène, avec l'indifférence des passants devant les corps mourants de jeunes garçons dans la gare, suffit à donner l'ampleur de la débâcle morale du pays. S'y ajoute une once de cynisme avec la réplique de celui qui se désole du sordide spectacle « alors que les américains seront bientôt là ». On retrouve cette débâcle dans la faillite des adultes, de la tante au médecin en passant par le paysan. Mais Takahata sait nuancer le sombre tableau de quelques touches d'humanité, la main anonyme qui laisse quelque nourriture près de Seita mourant ou l'attitude du policier.

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Il est piquant de noter que Hotaru no Haka a été réalisé dans les studios Ghili en parallèle avec Tonari no Totoro (Mon voisin Totoro – 1988) de Hayao Miyazaki. J'ignore de quelle façon les liens entre les deux hommes et les équipes respectives ont pu jouer sur le résultat final des deux films. Ils sont, au premier abord, complètement opposés, celui de Miyazaki est un poème élégiaque d'où la figure du mal est absente alors que celui de Takahata est un véritable requiem. Ils ont pourtant plus d'un point commun, à commencer par leur très haute exigence artistique. On retrouve chez les deux réalisateurs (Notons au passage que Takahata ne dessine pas contrairement à Miyazaki) le talent pour créer des univers d'enfance. Setsuko est proche de Mei (dans la forme et dans l'esprit) et les attitudes de Satsuki, guère plus jeune que Seita, sont proches : protection de la cadette, substitut des parents plus ou moins présents, courage, réactions encore mal maîtrisées. Proches aussi les nombreux jeux des couples d'enfants, l'importance de la nourriture et le motif du bain. Important également la relation presque fusionnelle avec la nature. C'est l'un des points qui me séduisent le plus dans les films des deux maîtres. Leur faculté à donner vie à un Japon qui n'existe peut être plus, un pays rural équilibré à la nature luxuriante, foisonnante d'insectes, de fleurs et d'animaux, avec ses champs à taille humaine, bien ordonnés, capable de donner les plus beaux spectacles, l'imposant camphrier ou les vols de lucioles dans le ciel d'été. Un pays de paix.

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Hotaru no Haka a suscité pas mal de textes inspirés. On y sent que le critique de cinéma se trouve devant une œuvre pas banale et il tente de se montrer à la hauteur. Ceci tend à prouver que l'on a besoin de celles-ci pour écrire ceux-là. Ernest Rister a ainsi comparé le film à Schindler's List (La liste de Schindler – 1993) de Steven Spielberg. Je suppose qu'il rapproche l'intensité dramatique des deux films. Mais à travers le personnage de Seita, je ferais volontiers le lien avec le Jaimie d'Empire of the sun (Empire du soleil – 1987), autre remarquable description d'une enfance prise dans la guerre, lui aussi inspiré d'un récit autobiographie, celui de J.G. Ballard. On y trouve la même franchise dans la description des sentiments contradictoires qui animent leurs jeunes héros, fascination des choses militaires, initiation brutale au monde adulte, ouverture paradoxale d'un espace de liberté. Mais pour Seita, le chaos environnant est trop redoutable, les égoïsmes de la débâcle trop puissants. Avec sa sœur, il est la génération sacrifiée à un rêve cruel et dominateur. On pourra trouver une éventuelle consolation dans la présence de leurs esprits contemplant, unis et apaisés, la grande cité moderne illuminée. Kobé reconstruite et florissante. La persistance d'un rêve tel une boîte de bonbons à nouveau pleine et le vol nocturne des lucioles toujours recommencé.

Photographies : captures DVD Kaze (en cours)

Dossier très complet sur Buta connection

Dossier Teledoc avec étude de la première scène

Sur Asie Passion

Un article de Gilles Ciment

Sur Anime click (en italien)

Un article de Roger Ebert (en anglais)

Un article de Daniel Etherington (en anglais)

11/07/2009

Absence

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Hotaru no haka (Le tombeau des lucioles - 1988) de Isao Takahata (capture DVD Kaze)

09/07/2009

Fais moi rire !

Est-il besoin de longuement discourir sur Fais moi plaisir !, le quatrième opus d'Emmanuel Mouret ? Est-il besoin d'évoquer le long héritage de gags qui passent par la fermeture éclair de Howard Hawks via Yves Robert, les déboires de l'homme face à la technologie de Jacques Tati, le marivaudage en chambre de François Truffaut et Eric Rohmer, les soirées et les toilettes de Blake Edwards, et la ligne claire de Hergé ? Est-il besoin de s'étendre sur les qualités d'écriture cinématographique du réalisateur qui nous propose rien moins qu'une version légère du Eyes wide shut de Stanley Kubrick ? Non.

Il suffit de dire combien le film est drôle, intelligent et sensuel. Bien évidemment tout ceci est subjectif. Drôle par exemple. Il m'est arrivé plus d'une fois d'entraîner à un film de miennes connaissances, parfois très proches, leur faisant valoir combien je l'avais trouvé drôle. Il ne faut jamais faire cela. S'ils restent de marbre, tout proches qu'ils soient, la séance se transforme en cauchemar. Et puis il y a bien des façons de rire et, tout bien pesé, aucune n'est indigne. On peut même rire contre le film si nécessaire. Le pire qu'il puisse lui arriver, c'est l'indifférence ou l'ennui.

Chez Mouret, le rire passe par une étroite connivence entre le spectateur, le réalisateur et l'acteur. Comme chez Tati, Truffaut, Lewis... Il fait appel à la participation dans la construction de gags, s'apparentant en cela au suspense. Notre héros va-t'il faire enfin partir l'ascenseur ?  Va t'il enfin copuler avec la belle blonde ? Se décidera-t'il à embrasser la jolie brune ? Et tout ceci repose sur une profonde empathie avec le personnage. J'ai dit que je ne développerais pas plus. Pour créer la connivence, Mouret nous propose la chute de reins de Frédérique Bel, les mains graciles de Judith Godrèche et le regard profond de Déborah François. Fais moi plaisir ! C'est fait.

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En plus développé mais tout aussi enthousiaste chez le bon Docteur Orlof.

Photographies : © Pyramides distribution

05/07/2009

La baie sanglante

Tout comme il n'y a pas une perle dans chaque huître, il n'y a pas un chef d'oeuvre derrière chaque titre de Mario Bava. La ressortie sur grand écran de Reazione a catena (La baie sanglante – 1971) m'a permis de vérifier dans des conditions optimales que ce film est très en deçà de sa réputation. Il continue malgré tout à susciter des commentaires aussi dithyrambiques qu'incompréhensible pour tout spectateur un minimum objectif. « 13 personnages, 13 meurtres » disait fièrement il maestro dell'orrore. Tout est dit, mais c'est tout ce qu'il y a à dire. Reazione a catena, littéralement « réaction en chaîne », est une succession de meurtres très graphiques (pendaison, poignardage, empalement à la lance, égorgement, je vous en laisse pour la route) autour de la vente de terrains encadrant une baie à la nature encore préservée. Le film est indéniablement très ludique. On ne sait pas toujours qui tue qui, les assassins se font tuer à leur tour alors que leur victime est encore chaude et certains morts ne le sont pas complètement. Ça entre et ça sort, ça s'épie, ça mijote des coups tordus, vous l'avez compris, c'est Guignol.

Bien sûr, il y a du style, la Bava's touch : cadrages à travers la végétation, travail évocateur sur les sons de la baie, sens du suspense et un final sarcastique bien qu'un peu gratuit. La photographie est signée Bava soi-même (mais il a fait mieux) et l'on peut éventuellement trouver un sous texte grenello-compatible à cette histoire basique qu'ils se sont tout de même mis à trois pour l'écrire. Mais à côté de tout cela, il reste que le film est une mécanique sans âme. Pensez qu'il y a Claudine Auger avec son grain de beauté là (voir figure 1) et qu'elle n'y est jamais utilisée pour son potentiel érotique. Gros problème, comme dans les films de Lucio Fulci période tripes et boyaux, comme parfois chez Dario Argento, les personnages sont schématiques et les acteurs peu ou pas dirigés. Claudio Camaso-Volonté et Luigi Pistilli font plaisir à voir et s'en sortent plutôt bien, mais les quatre jeunes destinés à l'équarrissage sont d'un ridicule achevé malgré la baignade en nu intégral de Brigitte Skay avec cadavre entre deux eaux. De leur côté, le couple Leopoldo Trieste et sa voyante de femme Laura Betti cabotinent en roue libre tandis que Chris Avram est le bellâtre dans toute sa splendeur. Nous sommes très loin des beaux personnages des classiques du giallo, je pense à David Hemmings chez Argento ou aux compositions d'Edwige Fenech.

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L'horreur capillaire selon Mario Bava

Bava fait preuve de trop de cynisme pour que l'on s'intéresse à son misérable échantillon d'humanité sans pour autant atteindre à une véritable folie. Par exemple, le personnage joué par Camaso dégage au début une certaine étrangeté mais sa folie est rien moins que convainquante. Le film enchaîne aussi quelques perles de comportement absurde, à commencer par la façon ingénue dont le jeune timide, mon dieu quelle coupe de cheveux, va ouvrir la porte de la villa que lui et ses amis ont envahie par effraction. Ça lui fait les pieds, ce qui lui arrive. On sait que la vraisemblance n'est pas le fort de ce genre de films, mais quand même. Les amateurs ont remarqué combien ce film a influencé la mode des films de tueurs fous ayant déferlé sur l'Amérique (et le monde) dix ans plus tard, la série des Vendredi 13 en particulier (L'empalement du couple faisant l'amour a été pompé tel quel dans l'épisode trois). C'est tout le problème de Reazione a catena que de n'être que la matrice de ce genre de films. Avec un supplément de style si l'on y tient, mais rien de plus.

L'année précédente, Bava avait déjà tourné une variation sur le même thème, Cinque bambole per la luna d'agosto (L'île de l'épouvante – 1970), série de meurtres sur une île autour d'une improbable invention. Guère plus réussi, le film irrite quelque peu par son emploi de zooms migraineux. Mais il dégage un humour noir plus réjouissant, avec l'entassement progressif des cadavres dans la chambre froide, et une étrangeté plus authentique avec la fille à la balançoire. Et puis il y a une jolie danse érotique d'Edwige Fenech. De tout cela, je conclu qu'à l'époque, Bava ne semble pas au mieux de son inspiration. Nous sommes loin des terreurs de La maschera del demonio (Le masque du démon – 1960) ou de Opérazione paura (1966), des perversions de La frusta e il corpo (Le corps et le fouet – 1963), de l'intensité de ses gialli fondateurs ou de l'invention plastique de Ercole al centro della terra (Hercule contre les vampires - 1961) ou de Diabolik (1968). Bref, assez loin du Bava que nous aimons.

Le DVD

Pour un avis nettement plus favorable sur Culturopoing

Et un autre sur Critikat

Et un encore sur Devildead

Sans oublier la chronique de Mariaque pour Kinok

.Photographie : © Carlotta films

17:43 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : mario bava |  Facebook |  Imprimer |

03/07/2009

Il Etaix une bonne nouvelle

Nous allons enfin pouvoir revoir (ou découvrir) Yoyo, Le soupirant et les autres. La nouvelle est tombée vendredi dernier. Après des années de procédure, le tribunal de grande instance de Paris a tranché : Pierre Étaix et Jean-Claude Carrière ont été rétablis dans leurs droits et vont pouvoir entreprendre le travail de restauration et de diffusion des cinq films bloqués depuis trop longtemps. Dans la foulée de l'action menée par de nombreux sympathisants s'est créée l'association "Il Étaix une fois...". Cette association s'est fixée deux objectifs, à savoir favoriser la transmission du patrimoine artistique de Pierre Étaix, et apporter une assistance technique, logistique, juridique, matérielle ou financière aux auteurs rencontrant des difficultés pour produire, exploiter, diffuser et jouir librement de leurs œuvres. Je ne voudrais pas être pessimiste, mais il risque d'y avoir du boulot. Pour en savoir plus vous pouvez visiter le site.

Contact : etaixasso@gmail.com

02/07/2009

Hommage au grand nez

Karl Malden (1912 - 2009)

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Le capitaine Oskar Wessels pour John Ford

L'inspecteur Larrue pour Alfred Hitchcock

Harold 'Mitch' Mitchell, Archie Lee Meighan et le père Barry pour Elia Kazan

Frenchy Plante pour Delmer Daves

Tom Fitch pour Henry Hattaway

Franco Arno pour Dario Argento

Le général Omar N. Bradley pour Franklin J. Schaffner

Jim Gentry pour King Vidor

et quelques autres avec l'un des nez les plus remarquables de l'histoire du cinéma.

 

Photographie : capture DVD Cheyenne autumn (1964)

24/06/2009

Voici venu le temps

Bienvenue au pays des guerriers de poursuite, chasseurs de primes qui, pour quelques Krobans de plus, traquent les bandits d'escapade ravisseurs de jeunes filles. Bienvenue au pays des ounailles, animaux mythiques à la chair succulente, gardés par des bergers exploités qui les nourrissent de leur sang. Bienvenue au pays des inventeurs de machines étranges, belles et impossibles, qui meurent s'ils jouissent. Bienvenue en Guiraudie.

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La Guiraudie est un pays situé au niveau du Tarn, en un temps qui doit au XVIIe français comme au western, au Champignac du Spirou de Franquin comme au Rouergue en rumeurs de Tardi et Christin. On y porte des noms étonnants nécessitant une certaine pratique pour être prononcés correctement : Fogo Lompla, Soniéra Noubi-Datch, Rimamba Stomadis Bron, Chaouch Malines... En Guiraudie, on parle un français châtié. On ne dit pas « ça » mais « cela ». On y a le phrasé délicat d'Antoine Doinel. En Guiraudie, les téléphones se branchent sur les fontaines, on boit d'étranges breuvages au son d'un rock qui déchire et, comme on a des noms à coucher dehors, on y dort souvent et l'on peut passer des journées entières dans les arbres. Le western encore. Dans Voici venu le temps, réalisé en 2005, la Guiraudie se dit l'Obitanie.

C'est bien la même chose, le territoire cinématographique d'Alain Guiraudie, réalisateur aveyronnais atypique, comme on dit, sauf que cette fois, le mot correspond bien. Il fait partie de cette génération tranquille et régionale, attachée à son terroir sans le folklore, comme Yves Caumont ou les frères Larrieu. Guiraudie arpente son territoire depuis 1990, nous en révélant petit à petit les us et coutumes, nous faisant pénétrer ses secrets et nous le rendant familier. Terrain de jeu et espace de toutes les fictions, la Guiraudie est un pays de contes et légendes et les titres des films, toujours très beaux, Les Héros sont immortels (1990), Ce vieux rêve qui bouge (2001), Pas de repos pour les braves (2003), Le roi de l'évasion (présenté à Cannes cette année) sont chargés du souffle de l'aventure, de nostalgie et d'espoir.

(Lire la suite sur Kinok)

Le DVD

Sur Critikat

Sur Film de Culte

22/06/2009

Voyages avec Chabrol

Claude Chabrol blog-a-thon

J'ai un peu hésité avant de partir sur un article d'ensemble tellement ma relation avec l'oeuvre de Claude Chabrol est chaotique et présente de lacunes. Mais à la réflexion je me suis rendu compte qu'elle avait été présente tout au long de mon parcours cinéphile (on va dire ça comme ça) et surtout que certains de ses films, des images, des moments venus de ses films, me ramènent, sinon à l'enfance, du moins à l'entrée en adolescence. Ainsi Romy Schneider, allongée nue dans un parc, recevant sur son corps un cerf-volant et forçant de manière provoquant le jeune homme venu le récupérer à le prendre, est une de mes premières images érotiques fortes au cinéma. Jusqu'à ce que je retrouve l'extrait grâce à Internet, j'aurais été incapable de vous dire que c'était un film de Chabrol, Les Innocents aux mains sales (1975), ni même qui était l'actrice. Mais que l'on évoque cette histoire de cerf-volant et la scène revivait sous mes yeux. Je me souviens aussi très bien de l'impression que m'avaient laissés Le boucher (1970) et l'un des films avec le couple Stéphane Audran – Michel Bouquet, peut être bien Juste avant la nuit (1971), découverts à la télévision. Pour moi, vers 1974/1980, ces films représentaient un cinéma « adulte », que je ne comprenais, ni forcément appréciais toujours, mais qui m'ouvrait d'autres horizons que celui que je pratiquais plus naturellement, celui du western en particulier. Je découvrais des préoccupations d'adultes, des histoires plus sombres, des résolutions moins tranchées, des personnages plus quotidiens, au physiques « ordinaires » comme ceux incarnés par Jean Yanne ou Michel Bouquet. Avec le recul, je me rends compte que ce sont des acteurs que j'ai toujours aimé par la suite. J'avais aussi raconté il y a quelque temps, comment était né le désir de voir Nada (1974) à partir de simples photographies sur un programme de télévision, Et comment ce désir est resté lové dans l'inassouvissement jusqu'en 2007. C'est étonnant comme un cinéphile peut être têtu. Et comment certains films peuvent vous séduire par trois fois rien.

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Le cheval d'orgueil (collection personnele)

Mes parents, je crois, ont toujours apprécié le cinéma de Chabrol. J'ai très vite pris l'habitude d'aller au cinéma seul, j'ai donc un souvenir assez précis des quelques fois où j'y suis allé en famille ou avec l'un de mes mes parents. Pour Chabrol, je le rattache à une séance avec ma mère du Cheval d'orgueil, à sa sortie en 1980. nous avions été au Mélies, à Nice, un petit cinéma Art et Essai aux salles format poche typique de ce qui se faisait à l'époque. Il a disparu depuis, mais c'était le genre à garder un film comme Diva (1981) de Beineix pendant plus de deux ans. Le cheval d'orgueil est tiré du roman autobiographique de Pierre-Jakez Hélias sur son enfance bretonne et qui connu à l'époque un gros succès. L'histoire se déroule au début du XXe siècle. J'imagine que ma mère, qui avait aimé le livre et qui avait passé ses vacances enfant en Bretagne, était attirée par la reconstitution. De mon côté, j'avais aussi aimé le livre et je gardais un frais souvenir des nombreuses vacances passées là-bas. J'ajouterais perfidement que, exilé sur la Côte d'Azur, je regrettais les vastes plages de sable fin de la baie d'Audierne face aux douloureux galets de la promenade des anglais. Du film, je garde là aussi une impression d'ensemble, un rythme posé, presque lent donc inhabituel pour moi, peu de dialogues, le vert des paysages et le côté intimiste de scènes entre François Cluzet dans l'un de ses premiers rôles et Bernadette le Sachez qui jouait la mère, une actrice au physique très doux, à la rousseur pâle que j'ai regretté de ne pas avoir vue plus souvent. J'avais aussi été marqué par cette scène, très chabrolienne à la réflexion, où le marquis (Michel Robin), patron du grand père (joué par Jacques Dufilho) employé comme domestique, lui demande de lui cracher dessus pour se faire pardonner une insulte d'honneur. Cette façon de montrer les relations de classe est très proche de ce que Chabrol fera quinze ans plus tard dans La cérémonie.

Curieusement, je n'ai pas suivi Chabrol dans les années 80. J'avais pourtant aimé Violette Nozière (1978) et l'adaptation télévisée de Fantomas vers 80 dont Chabrol réalisé deux épisodes. J'y suis revenu avec L'enfer (1994) et surtout La cérémonie (1995). Ce dernier film, je crois, a été pour beaucoup une redécouverte de Chabrol. Peut être avait-il atteint une nouvelle maîtrise de son art. Peut être que j'avais atteint l'âge de l'apprécier pleinement mais dès lors, je suis devenu un fidèle, avec une véritable passion pour des films comme Au coeur du mensonge (1999) et La fille coupée en deux (2007). C'est qu'il n'est pas facile à suivre, Chabrol. Après un démarrage brillant au coeur de la Nouvelle Vague, entre Truffaut et Godard, il n'hésite pas à se tourner vers un cinéma très commercial, des films de genre comme les épisodes du Tigre avec Roger Hannin. Les biches en 1968 ouvre un premier âge d'or, une période riche de sa collaboration avec Stéphane Audran. Les années 70 seront plus chaotiques, avec des échecs, des incompréhensions, une rupture assez large avec la critique. Les années 80 poursuivent ce mouvement mais contrairement à ses camarades de la Nouvelle Vague (sauf Truffaut qui meurt), Chabrol négocie la transition avec le public, notamment à travers les films populaires mettant en scène l'inspecteur Lavardin. Le début des années 90 verront Chabrol retrouver l'appréciation de son travail de réalisateur avec un sommet, La cérémonie.

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Le boucher (source Filmreference)

Il a désormais un statut bien établi, une image respectable et respectée, même si ses films ne manquent pas de mordant. Je pense qu'il n'en est pas dupe. Son sens de l'humour et sa conception de la mise en scène, influencée par deux de ses maîtres Alfred Hitchcock et Fritz Lang, masquent la force de son propos jusqu'à ce qu'il éclate brutalement au visage du spectateur. La violence qui éclate souvent à la fin de ses films est le résultat d'un patient travail de sape opéré tout au long du film. Chabrol, comme Lang et Hitchcock est un grand maître de la frustration, de l'irrésolu, de l'inassouvi, du manque. Ses personnages n'en sont pas toujours bien conscients, mais cela les ronge, jusqu'à la folie, jusqu'au mensonge, jusqu'au meurtre, jusqu'à l'absurde quand le vide des vies révèle l'étendue de sa béance. La scène la plus emblématique de cette révélation serait pour moi celle tirée de La femme infidèle (1969) qui exprime un si terrible désespoir. Face à ce vide la bonne conscience de la bourgeoisie se désagrège et provoque la violence. L'intelligence de Chabrol est d'avoir aussi montré que le recours à cette violence, dans un rapport de classe, mène à une impasse, celle des anarchistes de Nada comme celle des jeunes femmes de La cérémonie ou la réaction de Violette Nozière. L'intelligence de Chabrol est de l'avoir montré dans toute sa complexité, de chercher à comprendre sans jamais chercher à juger, mais sans jamais renoncer à son regard caustique. Aujourd'hui, l'oeuvre de Chabrol m'apparaîtrait plus riche et plus cohérente, globalement, même si elle n'a pas l'homogénéité de cette de Truffaut. De même sa mise en scène, discrète mais précise, se dissimule sous une certaine bonhomie et n'a pas les fulgurances de celle de Godard. Elle nécessite un peu d'efforts pour révéler ses beautés, le charme de ses mouvements, le sens des raccords, la sensualité des plans. Plus proche de Rohmer, il reste avant tout un conteur, mais il a le cinéma chevillé au corps. Chabrol est un pessimiste gai et son cinéma est toujours aussi précieux.

Claude Chabrol sur Inisfree

21/06/2009

Ca commence aujourd'hui...

Et jusqu'au 30 juin, Ray Young de Flickhead propose le Claude Chabrol Blog-a-thon pour honorer le cinéaste qui fêtera son 79 anniversaire le 24 juin. Et notre hôte ouvre les réjouissances avec un article intitulé Reading Claude Chabrol on line qui recense un grand nombre de chroniques de la blogosphère des cinéphiles américains. De quoi élargir nos réflexions sur un cinéaste que nous croyons trop bien connaître.

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19/06/2009

Père et fille

C'est peut être l'une des façons les plus amusantes de s'initier à l'oeuvre de William Shakespeare. Edward Lionheart dont la belle et tragique et triste histoire nous est contée dans Theater of blood (Théâtre de sang – 1973) de Douglas Hickox, est un immense acteur tout dévoué au répertoire du Grand Barde. Hélas, sors cruel, la fine fleur de la critique londonienne ne goûte guère son jeu et lui refuse son prix annuel. De désespoir, Lionheart se défenestre sous les yeux de sa fille aimante, Edwina. Il survit. Recueilli par un groupe de clochards, il médite alors une terrible vengeance. Tremblez scribouillards ! Bientôt vous tomberez victimes de mises à mort sophistiquées puisées dans les pièces de Shakespeare.

Theater of blood se situe dans la droite ligne du succès du dyptique The Abominable Dr. Phibes (L'abominable Dr Phibes – 1971) et Dr. Phibes Rises Again (Le retour de l'abominable Dr. Phibes – 1972) de Robert Fuest. Vincent Price y élimine pareillement un groupe de personnes, accomplissant une vengeance à coup de meurtres ludiques et raffinés reliés entre eux par une thématique (Les 7 plaies d'Égypte pour le premier film de la série). Vincent Price. Tout ou presque est déjà écrit avec le nom de l'acteur.

Vincent Malloy is seven years old
He’s always polite and does what he’s told
For a boy his age, he’s considerate and nice
But he wants to be just like Vincent Price

En incarnant avec Lionheart une parodie délirante de lui-même, Price donne toute sa démesure et nourrit de son cabotinage génial le délire du cabot shakespearien. Grande cape noire, moustache frémissante, regard halluciné accentué par les cadres tordus et l'utilisation du grand angle, Lionheart est le représentant déchu d'une époque disparue, un dinosaure de la scène. Avec ses multiples déguisements habiles (hommage à Lon Chaney ?) et son maquillage de scène outrancier, il est comme revenu de l'au-delà. Il ne survit qu'à travers ses multiples créations, dans une perpétuelle représentation. En élaborant ses meurtres au sein même d'extraits de pièces de Shakespeare, il est tout autant acteur que metteur en scène. Réfugié dans un théâtre baroque désaffecté, régnant sur une troupe de clochards plus proches de zombies que d'authentiques SDF, il est l'homme-théâtre total, abolissant la frontière entre réel et fiction, entre vie et mort, et Theater of blood est un grinçant hommage à la passion du jeu.

Le film possède une autre dimension, plus émouvante et plus discrète, tempérant quelque peu le spectacle de grand-guignol. Theater of blood est une ode assez touchante à l'amour filial. Le film est tout entier baigné de la dévotion d'Edwina pour son père, une admiration et un amour qui prennent toute leur dimension lors de la scène finale sur laquelle plane l'ombre du roi Lear. Pour peu que l'on s'y arrête un moment, on constate que ce n'est pas un thème si fréquent. De toutes les combinaisons familiales, le rapport père-fille semble le moins abordé au cinéma. Les récits de filiation passent le plus souvent par des rapports père-fils. L'intelligence de Hickox est de tramer son récit de vengeance de notations subtiles qui donnent à ressentir, à déduire, le lien profond entre Edwina et son père, jusqu'à ce qu'il se révèle dans toute sa tragique ampleur. Car Lionheart, tout à son obsession meurtrière, est aveugle à sa façon. Avec le recul, la première scène dans le cimetière qui découvre la jeune femme allongée au pied de la tombe de son père dévoile sa véritable nature théâtrale, au plein sens du terme.

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Car Edwina a tout appris de son père. Son art du postiche, son goût du jeu, la passion de Shakespeare et son habileté au déguisement. Son appétence pour le meurtre aussi avec un féroce humour noir. Et le film d'opposer sans affectation le jeu flamboyant de Price à celui, retenu, maîtrisé, sobre, de Diana Rigg. Diana. Ici une pause pour dire toute mon admiration pour l'immortelle interprète de miss Peel. Que ne suis-je, madame, un poète de race, pour dire à (votre) louange un immortel blason. Diana Rigg, sa distinction naturelle, sa classe, la douceur de son visage, la fermeté de son maintien, la souplesse de son physique, l'espièglerie de son regard, ses fossettes au coin des lèvres et ses bottes de cuir. Blanches ici. Et montantes. Theater of blood est une occasion de rappeler qu'il serait dommage de la limiter à la compagne de John Steed sur le petit écran. Parfaitement complémentaire de Vincent Price, elle apporte le supplément d'âme déterminant à l'habile film de série.

Car Hickox n'est pas un foudre de guerre sur grand écran. Une carrière discrète d'où émergent un polar qui voit John Wayne en mission à Londres (Brannigan – 1975) et une évocation de la guerre des Zoulous avec Burt Lancaster (Zulu dawn – 1979). Et puis surtout ce film. Sa technique accuse ici des défauts très années 70 : caméra genre sur l'épaule, abus du grand angle, photographie bleu-gris assez terne, une recherche du cadrage tordu parfois gratuite. Mais le sujet l'inspire et il retourne ces défauts en sa faveur. Le côté banal des scènes d'enquête et des extérieurs tranche avec les ambiances réussies du théâtre et des mises en scènes macabre de Lionheart. Cela renforce l'antagonisme entre réel et fiction, présent et passé. Certaines idées font mouche comme l'ombre de Price dans la cave du marchand de vin où il prépare un meurtre, celui inspiré par Richard III avec noyade dans un fût de Chambertin 1964. Les meurtres sont mis en scène avec beaucoup d'imagination et ne trahissent pas le scénario d'Anthony Greville-Bell. Tous font preuve d'un humour noir « so british » tout à fait réjouissant. J'ai un faible pour un homicide périphérique, celui du policier en planque dans un coffre de voiture. Mais je vous laisse le plaisir de la découverte. Hickox bénéficie surtout d'une très belle distribution à laquelle il laisse la bride sur le cou avec Ian Hendry (qui fut le premier partenaire de John Steed), Robert Morley, Michael Hordern, Harry Andrews, Jack Hawkins et Diana Dors qui subit, sous un casque de coiffeur, le sort de Jeanne d'Arc.

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Dernier élément capital, la musique composée par Michael J. Lewis. Compositeur lui aussi plutôt discret, Lewis est particulièrement inspiré pour le film, avec un thème fort aux accents romantiques, délicat quand il est repris à la mandoline ou au clavecin, épique quand se déchaînent les violons. Il donne une musicalité propre à chaque grande scène, comme les roulements de tambour sur Le marchand de Venise où le thème repris en sourdine pour la décapitation nocturne. C'est la musique encore qui nous ramène à l'idée d'un passé prestigieux, et ce dès le beau générique qui utilise des extraits de films muets, des adaptations de Shakespeare.

Était-ce là un visage qui dût être exposé à la fureur des vents, supporter les profonds roulements du tonnerre aux coups redoutables, et les traits perçants et terribles des rapides éclairs qui se croisaient dans tous les sens ?

Photographie : collection personnelle

Affiche : source Carteles

Le DVD

Sur Horreur-web

Sur Krinein

Sur Devildead

16/06/2009

Diana Rigg aux mille visages

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Diana Rigg joue la fille dévouée du grand acteur shakespearien Edward Lionheart dans Theatre of blood (Théâtre de sang - 1973) de Douglas Hickox. Captures DVD MGM.

15/06/2009

Hawks

Deux articles en anglais autour de l'oeuvre de Howard Hawks que tous ceux qui l'ont vue disent hallucinante comme chante le poète. Tout d'abord Howard Hawks: A man for all genres de Luke Baynes sur le site Examiner.com. Un article qui se place d'emblée sous le patronage de la French auteur theory et qui cite Jean-Luc Godard pour faire bonne mesure. Rapide tour d'horizon d'une oeuvre aux multiples facettes, aux multiples richesses. Avec en prime deux extraits vidéo dont le fameuse scène dite de la bière sanglante dans Rio Bravo (1959).

59? Et oui bon sang mais c'est bien sûr ! Rio Bravo fête cette année ses 50 ans. Le film des films a un demi-siècle et pas une ride. Je sens les idées qui se bousculent, mais sois sage o ma joie et tiens-toi plus tranquille. Et pour patienter, voici un texte de Leo Grin sur Big Hollywood : Haunted by the Memory of Her Song: Fifty Years of Rio Bravo qui s'ouvre sur l'immortelle ballade :

The sun is sinking in the west
The cattle go down to the stream
The redwing settles in her nest
It’s time for a cowboy to dream….

13:26 Publié dans Web | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : howard hawks |  Facebook |  Imprimer |

14/06/2009

Broken arrow au coin du feu

Sur le forum western movies la discussion « autour du feu » du mois de juin roule autour de Broken arrow (La flèche brisée – 1950), le film de Delmer Daves avec James Stewart. Stewart y incarne Thomas Jeffords, personnage réel dans une version romancée, forcément, de ses efforts pour ramener la paix entre blancs et apaches dirigés par le chef Cochise. Dans le film, Cochise est incarné par Jeff Chandler, beau et digne mais assez moyennement crédible. Jeffords y tombe amoureux d'une belle indienne, jouée par une habituée de ce type de rôles, Debra Paget. Je n'ai pas encore eu le temps de revoir ce film qui fait partie des oeuvres qui ont marqué mon enfance. Pour être franc, je ne m'en sens pas trop l'envie, peut être pour préserver le souvenir de ce film qui a façonné pour des années une vision simpliste de l'histoire de l'ouest.

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Daves, non sans mérite à l'époque, fait un des premiers films « progressistes » vis à vis des indiens. Il développe l'idée que la compréhension entre les deux communautés était possible, qu'entre gens d'honneur et sensés, une juste paix est possible, que la justice peut triompher et l'Amérique en sortie grandie. C'est un voeux pieux mais un joli mensonge. Avec le temps et la compréhension des oeuvres de Ford, de Fuller ou d'Aldrich, Broken arrow tient très mal la route sur le fond, plus mal encore que d'autres westerns du même tonneau qui ont eu l'habileté de décaler le problème comme Devil's Doorway (La Porte du diable) d'Anthony Mann tourné la même année, Across the wide Missouri (Au-delà du Missouri – 1951) de William Wellman ou l'élégiaque The big Sky (La captive aux yeux clairs – 1952) de Howard Hawks. Reste l'élégance de la mise en scène de Daves, qui ne cessera de s'affirmer tout au long des années 50, une mise en scène au beau classicisme, et surtout la prestation de James Stewart qui apporte au film l'idéalisme des films de Franck Capra et cette dose d'humanité qui transcende les clichés. Si je me décide, ça sera pour lui.

Pour prolonger la réflexion, je vous invite aussi à lire le texte rude mais bien vu de Tepepa qui aborde les problèmes que le film peut poser aujourd'hui. Et rappelle au passage quelques évidences que la nostalgie tente de nous faire oublier.

Affiche source Ciné.CH

10/06/2009

Claude Chabrol blog-a-thon

Claude Chabrol fêtera ses 79 ans le 24 juin prochain. Pour l'occasion, nos amis américains proposent à l'initiative de Flickhead un blog-a-thon du 21 au 30 juin autour du metteur en scène du Boucher (1970). Ray Young, l'animateur de Flickhead qui par ailleurs a créé le Claude Chabrol Project, nous annonce « Ten Days’ Wonder ». Je serais ravi de participer, j'ai même déjà reçu de quoi travailler avec Les biches (1968), Juste avant la nuit (1971) et Marie-Chantal contre Dr Kha (1965). Si certains de mes camarades blogueurs sont tentés, je vous rappele qu'il suffit, entre les dates proposées, d'écrire un ou plusieurs articles sur Chabrol et de le signaler à l'organisateur qui centralise l'ensemble des contributions. D'ici là pour patienter, vous pouvez passer lire le beau texte de Griffe sur le tout récent Bellamy.

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Photographie : source Film référence

09/06/2009

Maestro

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Sergio Corbucci pensif devant Franco Nero décontracté sur le tournage de Il mercenario (Le mercenaire - 1968). Source Tout le ciné (© DR).

04/06/2009

David Carradine (so long)

Ça serait dommage de limiter David Carradine à Bill mais quand même. Moi aussi, j'ai regardé "petit scarabée" à la télévision assis sur la moquette quand j'avais 12 ans. Il a une fimographie impressionante en volume, avec un nombre incroyable de mauvaises choses. Il faut pourtant se souvenir qu'il a été Woody Guthrie pour Hal Ashby, le coureur automobile vêtu de noir appelé Frankenstein pour Paul Bartel, syndicaliste pour Martin Scorcese aux côtés de son père John éminente figure fordienne, frère James en compagnie de ses frères Keith et Robert pour Walter Hill, qu'il a joué pour Jean Yanne et Ingmar Bergman mais ce n'étaient pas leurs meilleurs films, qu'il levait bien la jambe contre Chuck Norris et qu'après tout mourir au cinéma sur « How do i look ? «  / « You look ready », c'était la grande classe.

02/06/2009

Cannes 2009 - jour 9

Audiard pour l'extinction des feux

Ça se termine. Les tentes sur la plage se replient, le marché est fermé, quelques centaines de privilégiés se préparent pour la soirée de clôture. L'air bruit de rumeurs, de spéculations, parfois d'informations plus fiables. Reste un long marathon de reprises des films de la compétition qui permet dès 8h30 de combler quelques lacunes. Un ensemble de paramètres et la sortie prochaine d'Antichist m'ont amené à terminer cette édition par le film de Jacques Audiard, Un prophète. Je me méfie toujours des éloges qui peuvent entourer un film français parce qu'après tout, notre cinéma national est le local de l'étape. Sur ce plan, le festival n'échappe pas à une sorte d'effet football. Et puis l'an passé, la palme avait déjà été à un français, alors, point trop n'en faut. Bref, il fallait faire un choix, j'ai vu Un prophète puis je suis rentré chez moi pour décompresser et suivre la cérémonie sur une télévision.

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Le film de Jacques Audiard a une force indéniable mais je n'ai pas trouvé qu'il ait vraiment été plus loin (ou ailleurs) que le déjà très fort De battre mon coeur s'est arrêté (2005). Pour peu que l'on s'y arrête un moment, les deux films se ressemblent beaucoup. Audiard réinvestit les formes du polar classique, tant américain que français entre José Giovanni et l'inévitable Jean-Pierre Melville. Il explore des relations père-fils marquées par le désir d'émancipation du second et la violence du premier qui peine à transmettre par dureté et prend conscience un peu tard de son erreur. L'analogie est renforcée par une nouvelle composition convaincante de Niels Arestrup qui joue ici César Luciani, un truand corse emprisonné, prenant sous son aile le petit délinquant arabe Malik, joué lui par le débutant Tahar Rahim. A la base, Luciani pense manipuler Malik pour ses propres intérêts. Mal dégrossi, le jeune homme apprendra vite après un premier meurtre à valeur initiatique. Le film est le récit de son apprentissage, de la construction subtile de son propre empire et de sa réussite à la façon d'un Scarface d'aujourd'hui. Le film dégage une morale tant ambiguë qu'ironique puisque l'accomplissement du personnage passe par la prison. La taule comme école de vie et des valeurs du libéralisme. Il y a un côté anarchiste chez Audiard qui renvoie dos à dos truands à l'ancienne, petits voyous, gangs ethniques et mouvance islamiste, leurs codes, leurs croyances, leurs coutumes, leur sens de « l'honneur », tout un bric à brac qui ne tient pas devant la formule lapidaire de Malik : « Je travaille pour ma gueule ».

Ici encore, je note l'analogie entre ce parcours et celui du personnage joué par Romain Duris dans le film précédent qui finissait par se sortir d'une situation risquée pour réussir là où l'on ne l'attendait pas, manager et compagnon de la pianiste chinoise. L'introduction d'une dimension fantastique donne une originalité supplémentaire à cette histoire somme toute classique et en justifie le titre à priori énigmatique. Malik est accompagné dans sa vie quotidienne à la prison par le fantôme de l'homme qu'il a tué pour Luciani. Rêves, prémonitions, ouverture des sens, c'est ce qui vaudra son surnom de prophète et le respect, teinté comme souvent chez les truands de superstition, du chef d'une bande rivale qui deviendra une pièce maîtresse du jeu de Malik.

La mise en scène d'Audiard poursuit l'utilisation de formes utilisées depuis Sur mes lèvres (2001). Une caméra très mobile, proche des acteurs, partit pris ici justifié pleinement par le milieu carcéral, les espaces confinés des cellules, des salles de visite, du cachot d'isolement. Collant au corps de Malik, elle donne la sensation physique d'avoir perdu tout repère. Au début du film, quand il est dans le fourgon cellulaire qui l'emmène en prison, de brefs plans, comme des flashes, montrent les dernières images du dehors qu'il aura avant longtemps. Instable, le cadre traduit la tension permanente dans laquelle vivent ces hommes et le risque de la violence à tout moment. Il y a un très beau travail de direction artistique puisque les décors sont tous construits en studio. Tout ce que l'on voit est illusion. J'ai également apprécié le travail sur les voix. Les arabes parlent arabe, les corses corses et, comme dans tout récit d'apprentissage, la connaissance passe par la maîtrise de la langue. C'est en se mettant à parler le corse que Malik franchit un cap décisif et commence inconsciemment à mettre Luciani sous sa coupe. Indéniablement, question cinéma, Un prophète est plusieurs coudées au-dessus des ombreux polars actuels qu'il est inutile de nommer.

 

Ainsi s'achèvent mes aventures cannoises pour cette année. Vous m'accorderez quelques jours pour souffler, et puis pour rattraper mon retard sur Kinok. A tout bientôt.

Photographie : Roger Arpajou, soucre Allociné

01/06/2009

Cannes 2009 - jour 8

La subversion du silence

C'est un peu par paresse que j'avais manqué à l'époque Yadon ilaheyya (Intervention divine - 2002) le précédent film d'Elia Suleiman dont j'avais entendu tant de bien. J'étais donc assez tenté par The time that remains présenté cette année en compétition officielle. Un ami dont je respecte profondément les avis m'a dit après la projection officielle, « C'est palmable ». J'ai donc mobilisé mon énergie sur cette journée pour le voir et, de fait en ressortant, je me disais aussi que ce film ferait une jolie palme de consensus. Ce dernier mot ayant été banni sans doute du vocabulaire du jury, vous savez ce qu'il en advint. C'est bien dommage parce que le film de Suleiman est impeccable, équilibré comme une belle lame, brassant l'intime et l'Histoire, le tragique et le dérisoire, et en plus c'est souvent très drôle.

Le film commence en 1948 quand la Haganah, l'armée du futur état d'Israël, investit la petite ville de Nazareth pour en prendre le contrôle. C'est la première guerre israëlo-arabe et le début du drame pour le peuple palestinien. La famille Suleiman vit à Nazareth et le père du réalisateur fait partie de la résistance. Une partie de la famille fuit en Jordanie comme des milliers d'autres palestiniens, tandis que les parents du réalisateur choisissent de rester (si l'on peut parler de choix) et deviennent des arabes israéliens à leur corps défendant. Il faut dire que le père est capturé par les soldats de la Haganah et sévèrement passé à tabac puis laissé pour mort.

En fait le film ne commence pas tout à fait là. Il commence aujourd'hui, par un trajet en taxi, un chauffeur bavard, un orage et une route qu'ils ne trouvent pas. Derrière, dans l'ombre, c'est E.S. Lui-même qui rentre chez lui. Si le chauffeur est perdu, le réalisateur voit se réveiller en lui les souvenirs et l'évocation de l'historie mêlée de sa famille et cette terre si convoitée, si compliquée, peut commencer. Quatre épisodes, quatre périodes, le temps qui passe, les hommes qui passent et des questions qui demeurent. Il y a un indéniable côté proustien à The time that remains, ne serait-ce que le titre, mais d'un Proust nourrit à l'art du burlesque.

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Il y a un plan marquant, d'une terrible violence, dans la première partie. Une colonne de la Haganah s'avance de dos, sur la gauche de l'écran, ils sont vainqueurs et paradent. Sur la droite déboule une jeune femme qui les insulte copieusement. D'un mouvement vif, un soldat israélien sort un revolver et tire une balle dans la tête de la jeune femme. C'est glaçant. C'est aussi le seul plan de ce type dans tout le film. C'est habile. La violence dégagée dans ce plan suffit à créer une tension qui perdurera, même inconsciemment dans toutes les autres scènes du film. Y compris dans la scène de la torture du père, traitée par de violents contrastes entre la brutalité de l'action, le calme impressionnant du lieu (une oliveraie avec son de cigales), l'étrange détachement des soldats, l'humour noir de la mise en scène (la façon dont les soldats regardent tomber le corps qu'ils ont lancé par dessus un parapet a un fort côté dessin animé) et le silence. Du coup, on est à peine étonné que le père soit toujours vivant deux plans plus loin et d'ailleurs aucune explication ne sera donnée. Plus tard, d'autres scènes mettant en jeu des situations tendues, d'affrontement, seront traitées par l'humour. Les irruptions des policiers au domicile des Suleiman, la bataille dans la rue interrompue par le passage d'une femme avec une poussette qui dit aux soldats « Pourquoi vous ne rentrez pas chez vous ? », la patrouille qui vient faire respecter le couvre feu lors d'une soirée branchée et dont les membres se mettent à danser dans leur véhicule, et puis le moment hilarant où la tourelle d'un tank suit sans faiblir un palestinien qui sort sa poubelle. Mais toujours, on garde le souvenir de ce coup de feu du début.

Burlesque donc, le burlesque de Tati, de Keaton, de Kaurismaki ou d'Abel et Gordon. Un burlesque avec tout ce que cela implique de précision dans la mise en scène, d'inventivité dans l'utilisation du cadre et de la profondeur de champ, de jeu avec le son, pour produire des images non seulement fortes mais encore chargées de sens. Et puis claires. Les affrontements entre Elia enfant et le directeur israélien de son école, deux attitudes, une phrase, le mutisme de l'enfant, suffisent à traduire le destin absurde des arabes-israéliens comme leur esprit de résistance. Chaque cadre est précisément composé, ménageant les possibilités de surprise et ses propres hors champs pour créer des effets comiques. Par exemple un gant de ménage rose qui sort de derrière une cloison pour payer un enfant qui vient de faire une course. Par exemple un ami qui saisit Elia de retour à Nazareth, par surprise de derrière un pilier. Tout ceci est si bien calculé que la caméra n'a pas besoin de bouger. De mémoire, il n'y a de tout le film qu'un seul travelling latéral sur Elia à l'école. Le mouvement est toujours interne au plan. Au niveau des compositions, le film est bien du sud, méditerranéen. Les couleurs sont vives, la lumière baignée de soleil. Il y a d'ailleurs un jeu sophistiqué entre les couleurs chaudes qui appartiennent au passé (les oliviers, les murs, les boiseries du vieux café, les meubles de la maison familiale) et les couleurs pétantes de tout ce qui est moderne, symbole aussi d'un temps sans passé qui est celui d'un peuple auquel on a volé les racines. Suleiman a parfois des compositions étonnantes qui semblent venir d'autres formes artistiques, je pense à un plan où une voiture arrive au sommet d'une pente, sur une colline arrondie. L'image semble sortie d'une bande dessinée ou d'un film de Tex Avery.

L'autre aspect marquant du film est son utilisation du silence. C'est de lui que naît l'émotion. C'est par lui que passe la force de résistance des palestiniens qui s'opposent souvent par une indifférence résolue exprimée par la dignité de leur silence. Une grande partie de The time that remains est consacré aux rapports entre Elia et sa mère. Dans la dernière partie où elle est âgée et malade, leur rapport passe sans quasiment aucune parole. De mémoire là encore, il me semble d'Elia Suleiman ne prononce quasiment pas un mot de tout le film. Cela donne une force que je n'hésite pas à qualifier de fordienne à certains passages comme le coup de la tasse sur le balcon. Mais basta, je me rends compte que j'ai envie de vous raconter les mille et un détails de ce film, tous ces moments précieux, ces morceaux de temps qui constituent The time that remains. Un film qui confirme la naissance d'un très grand cinéaste.

Un dernier détail. Il y a un passage dans lequel Suleiman-dans-le-film croise un policier qui fait la circulation avec des gestes de danseur. Je me suis demandé si Suleiman-réalisateur s'était inspiré de cette vidéo que l'on trouvait sur Internet il y a trois, quatre ans, qui montrait (pris sur le vif ou caméra cachée ?) un policier de Ramallah dans le même genre de délire poétique.

Photographie : Festival de Cannes

(à suivre)

31/05/2009

Cannes 2009 - jour 7

Moullet et cerise sur le gâteau

Je ne lis jamais assez bien le programme des projections à Cannes. Avec le temps, j'aime assez me laisser porter par le hasard, les rencontres et les décisions de dernière minute. Je n'avais donc pas fait attention à la programmation du nouveau film de Luc Moullet, La terre de la folie, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Je l'ai attrapé in-extremis en séance du lendemain, près une heure de queue, il fallait bien cela. Le film se présente comme un documentaire dans la lignée de Genèse d'un repas ou d'Anatomie d'un rapport, un documentaire personnel tout à fait typique de son auteur. Je me serais désolé d'avoir manqué cette œuvre qui réjouira tous les admirateurs du grand homme. On y retrouve ce mélange de sérieux et d'humour pince sans rire, la tranquillité de ses cadres, son art du coq à l'âne, sa figure d'enquêteur tenace, son érudition, sa cinéphilie, son sens de l'absurde et son amour pour sa région natale, les Alpes du sud. C'est là en effet que se situe La terre de la folie. C'est elle, faudrait-il écrire. Le point de départ du film est un souvenir de famille assez peu banal puisqu'il s'agit d'un triple meurtre commis à la pioche et au début du siècle pour une histoire de chèvre. Moullet se lance sur la piste de l'atavisme, notant qu'il est lui-même un maniaque du cinéma, de la collection (de films), qu'il déteste les réunions de plus trois personnes (comme dans la chanson de Brassens), et qu'il se plait dans les caves et greniers, loin du tumulte du monde.

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Il collectionne ainsi, tout au long du film des faits, des actes de folie conduisant le plus souvent au meurtre, tous ayant eu lieu dans un pentagone au cœur de la région qui comprend Digne et Manosque. Une région peu peuplée, assez isolée et frappée durement par le nuage de Tchernobyl. Le plus célèbre de ces faits divers est sans doute l'affaire Dominici, le triple meurtre de touristes anglais dans la commune de Lurs, dans les Alpes de Haute Provence. Ceux qui se souviennent des articles critiques de Moullet basés sur le déterminisme s'amuseront beaucoup. Les autres aussi tant la façon qu'il a de conter des histoires horribles est pleine de fantaisie. Moullet se met en scène, fait intervenir des membres de sa famille ou des proches et fait se télescoper ces témoignages avec les interventions de personnes plus spécialisées, médecins ou policiers. Une pique envers la politique de Sarkozy en matière de psychiatrie, une pirouette finale avec sa femme (n'oubliez pas de rester jusqu'au bout du générique de fin), un élastique récalcitrant, La terre de la folie est un film plein de santé et nous rassure sur celle de son auteur, en attendant son prochain meurtre à la hache.

Quand on arrive en fin de festival, les derniers jours, à partir du vendredi, dégagent une atmosphère étrange. Les stands se démontent déjà, les projections se font plus rares, les contrôles se décrispent, les festivaliers pensent déjà au proche départ. Je me demandais quoi aller voir quand je me suis rendu compte d'une ultime séance de la Quinzaine qui présentait le nouveau moyen métrage de Mikhaël Hers dont je vous déjà beaucoup parlé avec son précédent opus, Primrose Hill. Celui-ci s'appelle Montparnasse et on y retrouve trois des acteurs du film précédent dont Thibault Vinçon qui tient un rôle de premier plan. Montparnasse est composé de trois histoires sans lien entre elles sauf leur localisation dans le quartier (Montparnasse évidemment) et, sans que ce soit forcément explicite, durant la même nuit. La première est le portrait de deux sœurs très différentes de tempérament qui se retrouvent pour une sortie, la seconde est la soirée de deux hommes unis par la mémoire d'une jeune femme disparue, l'un était son compagnon, l'autre son père. Le troisième segment est l'histoire d'un premier baiser entre un musicien immobile et une jeune femme qui a beaucoup voyagé. Trois histoires ténues reliées par une atmosphère qui constituent une œuvre plus fragile que Primrose Hill.

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On retrouve dans ce nouveau film les mêmes qualités plastiques, le même goût pour de longs plans en travelling arrière sur les personnages qui discutent en marchant, le même sens du suspense sentimental, la même pudeur dans l'expression de l'émotion et la même faculté à faire ressentir ce qui se passe entre les gens, entre les phrases dont ils ne sont pas avares. La musique tient toujours beaucoup de place, le troisième segment mettant en scène un groupe en concert. Question ambiance, il y a une belle photographie nocturne et, on a beau avoir vu Paris la nuit sous toutes les coutures, le regard porté par Mikhaël Hers sur le quartier séduit, il en capte la mélancolie de l'ambiance comme il le faisait du parc de St Cloud. Hers fait également partie de ceux qui savent filmer les femmes et ce n'est le moindre mérite de son film de mette en avant de remarquables actrices, Adélaïde Leroux, Lolita Chammah qui ressemble à sa mère, Aurore Soudieux et la superbe Sandrine Blancke. Et puis cette fois, il n'ya pas d'équivalent à la scène déshabillée que j'avais eu un peu de mal à accepter. Donc en ce qui me concerne, ce film, c'était le bonheur. Le baiser final de la troisième histoire, sur une terasse au coeur de la nuit est un très beau baiser de cinéma. Comme Primrose Hill, Montparnasse explore des moments où l'on passe, inconsciemment ou non, un cap. On surmonte une deuil, on accepte de se livrer, on commence une histoire. Le film évoque parfois une série de gammes musicales ou les esquisses préparatoire d'un peintre en vue d'un tableau important. Hers peaufine ici ses thématiques, sa direction impeccable d'acteur, une mise en scène qui cherche et souvent trouve une musique personnelle. Dégagé d'une trop grande contrainte dans le récit, le film distille un charme plus libre et plus léger. En ce qui me concerne, il peut continuer de faire ce genre de films pendant quelques temps, mais il paraît qu'il prépare son premier long métrage. On peut imaginer qu'il a hâte et vous pouvez imaginer que c'est quelque chose que je suis impatient de découvrir.

Il semble que je ne sois pas le seul et je trouve amusant d'avoir réuni pour cette journée et dans cette note les deux cinéastes. Luc Moullet a en effet dit de Mikhaël Hers qu'il était "plus grand cinéaste français de demain ". Cochon qui s'en dédit !

(à suivre)

30/05/2009

Cannes 2009 - jour 6

Ne me parle pas de révolution

D'entrée, je savais que ce serait le meilleur film du festival. Une nouvelle fois, Giù la testa (Il était une fois...la révolution), réalisé par Sergio Leone en 1971 a été à la hauteur. C'est un film que j'ai découvert vers 10 ans dans la salle du quartier où j'habitais à Paris et j'ai été marqué à vie. Les nombreuses scènes d'exécution par fusillade m'avaient, et continuent de m'impressionner. Je me rends compte aujourd'hui qu'elles sont traitées par Leone comme les scènes de duel dans ses films précédent, un rituel mis en scène avec force détails et où le temps est comme suspendu. Que Leone leur ait donné cette place dans ce film là en dit assez long sur son état d'esprit du moment. C'est un film au destin chaotique. Au départ, Leone devait seulement le produire. Il envisage comme réalisateur Peter Bogdanovich mais ça se passe mal. Il rêve de Sam Peckinpah. Il y a finalement complot et il se retrouve aux commandes du film une semaine avant le début du tournage. C'est pourtant le film dans lequel il semble avoir mis le plus de lui-même, loin des jeux de la trilogie du dollar et de la superbe mécanique lyrique de C'éra une volta il west (Il était une fois dans l'ouest - 1968), loin du rêve étrange et pénétrant de C'era una volta in America (Il était une fois en Amérique - 1984).

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Leone sur le tournage (*) source : festival de Cannes

Giù la testa s'ouvre sur le jet d'urine du péon-bandido Juan qui pisse contre un tronc d'arbre sur une colonie de fourmis. Vision assez rare si l'on y pense. Le repas dans la diligence, le sandwich de Juan, la tranche de citron de John, l'œuf gobé par Gunther Reza, c'est aussi un film de grande bouffe, ancré dans l'humain, dans ce qu'il a de plus animal. Mais aussi dans ce qu'il porte de rêves et d'espoirs brisés, tout ce que l'on peut lire dans le regard de John, les yeux magnifiques de James Coburn. Politique, épique, poétique, violent, drôle, déchirant, nostalgique, picaresque, sarcastique, c'est un film où Leone remplace pour une fois les citations cinéphiles par des notations personnelles comme les souvenirs de l'époque fasciste (Gunther Reza et les fosses Ardéatines) où son sentiment politique en pleines années de plomb avec la fameuse tirade de Juan à John.

Comme l'a écrit Giré dans son livre somme sur le western européen, Giù la testa est comme un bon vin, il vieillit bien. Chaque vision supplémentaire révèle de nouvelles saveurs. La version proposée ici était une restauration de la cinémathèque de Bologne, présentée par son directeur Gian Luca Farinelli accompagné des deux filles du maître dont on commémore, faut-il le rappeler le vingtième anniversaire de la disparition. Ses filles aussi sont très réussies. Quand j'étais jeune, les films de Leone étaient souvent repris en salle l'été. Ceux qui pensent le connaître parce qu'ils ont vu la belle édition DVD, même sur un joli home cinéma, ceux-là doivent absolument faire l'expérience de la salle. Il n'y a que là que se déploie toute la beauté de l'œuvre portée par les « Sean, Sean, Sean... » d'Ennio Morricone que vous fredonnerez toute la soirée et sans doute au delà. C'est Carlotta qui devrait assurer en France la ressortie salle du film et peut être une nouvelle édition DVD. Quien sabe ?

Le soir, j'ai diné avec des amis dont un journaliste à La Marseillaise. La conversation a roulé sur deux noms : Tarantino et Michael Haneke qui présentait ce jeudi Das Weisse Band (Le ruban blanc). C'est là que j'ai creusé l'idée que Cannes cette année avait organisé la confrontation brillante de deux conceptions opposées du cinéma. Comme je m'enflammait pour la scène où Mélanie Laurent se prépare pour la soirée dans Inglorious Basterds, je fis perfidement remarquer que Haneke ne savait pas filmer les femmes. « Il s'en moque, ce n'est pas son problème » me rétorqua le journaliste. C'est juste, mais c'est le mien. Haneke a fait jouer Huppert, Binoche, Noémie Watts, Aissa Maiga et Nathalie Richard, mais vous pouvez courir pour trouver un plan où elle sont belles. Je veux dire par là où l'on trouve de la beauté dans le regard du metteur en scène, de l'empathie, de l'amour pour son personnage. On cite souvent Bergman à propos du cinéaste autrichien, mais si dur que soit, disons Viskningar och rop (Cris et chuchotements - 1972), on trouve toujours cette beauté, cette sensibilité, cette sensualité dans la façon dont Bergman filme Harriet Andersson ou Liv Ullmann. Il est piquant de remarquer que l'une des scènes emblématiques d 'Antichrist de Lars von Trier est une auto-mutilation vaginale opérée par le personnage joué par Charlotte Gainsbourg, à rapprocher de celle effectuée, jute avant de diner, par le personnage joué par Isabelle Huppert dans La pianiste, film de Haneke. Faut-il voir dans le prix d'interprétation l'expression d'une solidarité ? Von Trier n'est pas un tendre non plus. Il a fait d'Emily Watson, Bjork et Nicole Kidman des figures de martyre et n'oublions jamais qu'il est celui qui fit aboyer Deneuve. Il y a un monde entre sa Kidman et celle de Kubrick, pourtant pas réputé comme émotif. Que mes lecteurs et surtout mes lectrices ne se méprennent pas. « Savoir filmer les femmes » n'est pas à prendre au pied de la lettre, où l'on voit le maçon, mais comme expression sensible. Il n'y à (presque) pas de femme dans Giù la testa, mais une telle façon de filmer le regard de James Coburn.

(à suivre)

(*) : Un éminent membre du Forum western movie confirme mes soupçons. Il s'agit en fait d'une photographie de tournage de C'éra una volta il west (Il était une fois dans l'ouest - 1968). Je vous revaudrais ça dès que j'ai le temps de scanner un peu.