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19/06/2009

Père et fille

C'est peut être l'une des façons les plus amusantes de s'initier à l'oeuvre de William Shakespeare. Edward Lionheart dont la belle et tragique et triste histoire nous est contée dans Theater of blood (Théâtre de sang – 1973) de Douglas Hickox, est un immense acteur tout dévoué au répertoire du Grand Barde. Hélas, sors cruel, la fine fleur de la critique londonienne ne goûte guère son jeu et lui refuse son prix annuel. De désespoir, Lionheart se défenestre sous les yeux de sa fille aimante, Edwina. Il survit. Recueilli par un groupe de clochards, il médite alors une terrible vengeance. Tremblez scribouillards ! Bientôt vous tomberez victimes de mises à mort sophistiquées puisées dans les pièces de Shakespeare.

Theater of blood se situe dans la droite ligne du succès du dyptique The Abominable Dr. Phibes (L'abominable Dr Phibes – 1971) et Dr. Phibes Rises Again (Le retour de l'abominable Dr. Phibes – 1972) de Robert Fuest. Vincent Price y élimine pareillement un groupe de personnes, accomplissant une vengeance à coup de meurtres ludiques et raffinés reliés entre eux par une thématique (Les 7 plaies d'Égypte pour le premier film de la série). Vincent Price. Tout ou presque est déjà écrit avec le nom de l'acteur.

Vincent Malloy is seven years old
He’s always polite and does what he’s told
For a boy his age, he’s considerate and nice
But he wants to be just like Vincent Price

En incarnant avec Lionheart une parodie délirante de lui-même, Price donne toute sa démesure et nourrit de son cabotinage génial le délire du cabot shakespearien. Grande cape noire, moustache frémissante, regard halluciné accentué par les cadres tordus et l'utilisation du grand angle, Lionheart est le représentant déchu d'une époque disparue, un dinosaure de la scène. Avec ses multiples déguisements habiles (hommage à Lon Chaney ?) et son maquillage de scène outrancier, il est comme revenu de l'au-delà. Il ne survit qu'à travers ses multiples créations, dans une perpétuelle représentation. En élaborant ses meurtres au sein même d'extraits de pièces de Shakespeare, il est tout autant acteur que metteur en scène. Réfugié dans un théâtre baroque désaffecté, régnant sur une troupe de clochards plus proches de zombies que d'authentiques SDF, il est l'homme-théâtre total, abolissant la frontière entre réel et fiction, entre vie et mort, et Theater of blood est un grinçant hommage à la passion du jeu.

Le film possède une autre dimension, plus émouvante et plus discrète, tempérant quelque peu le spectacle de grand-guignol. Theater of blood est une ode assez touchante à l'amour filial. Le film est tout entier baigné de la dévotion d'Edwina pour son père, une admiration et un amour qui prennent toute leur dimension lors de la scène finale sur laquelle plane l'ombre du roi Lear. Pour peu que l'on s'y arrête un moment, on constate que ce n'est pas un thème si fréquent. De toutes les combinaisons familiales, le rapport père-fille semble le moins abordé au cinéma. Les récits de filiation passent le plus souvent par des rapports père-fils. L'intelligence de Hickox est de tramer son récit de vengeance de notations subtiles qui donnent à ressentir, à déduire, le lien profond entre Edwina et son père, jusqu'à ce qu'il se révèle dans toute sa tragique ampleur. Car Lionheart, tout à son obsession meurtrière, est aveugle à sa façon. Avec le recul, la première scène dans le cimetière qui découvre la jeune femme allongée au pied de la tombe de son père dévoile sa véritable nature théâtrale, au plein sens du terme.

théâtre de sang light.jpg

Car Edwina a tout appris de son père. Son art du postiche, son goût du jeu, la passion de Shakespeare et son habileté au déguisement. Son appétence pour le meurtre aussi avec un féroce humour noir. Et le film d'opposer sans affectation le jeu flamboyant de Price à celui, retenu, maîtrisé, sobre, de Diana Rigg. Diana. Ici une pause pour dire toute mon admiration pour l'immortelle interprète de miss Peel. Que ne suis-je, madame, un poète de race, pour dire à (votre) louange un immortel blason. Diana Rigg, sa distinction naturelle, sa classe, la douceur de son visage, la fermeté de son maintien, la souplesse de son physique, l'espièglerie de son regard, ses fossettes au coin des lèvres et ses bottes de cuir. Blanches ici. Et montantes. Theater of blood est une occasion de rappeler qu'il serait dommage de la limiter à la compagne de John Steed sur le petit écran. Parfaitement complémentaire de Vincent Price, elle apporte le supplément d'âme déterminant à l'habile film de série.

Car Hickox n'est pas un foudre de guerre sur grand écran. Une carrière discrète d'où émergent un polar qui voit John Wayne en mission à Londres (Brannigan – 1975) et une évocation de la guerre des Zoulous avec Burt Lancaster (Zulu dawn – 1979). Et puis surtout ce film. Sa technique accuse ici des défauts très années 70 : caméra genre sur l'épaule, abus du grand angle, photographie bleu-gris assez terne, une recherche du cadrage tordu parfois gratuite. Mais le sujet l'inspire et il retourne ces défauts en sa faveur. Le côté banal des scènes d'enquête et des extérieurs tranche avec les ambiances réussies du théâtre et des mises en scènes macabre de Lionheart. Cela renforce l'antagonisme entre réel et fiction, présent et passé. Certaines idées font mouche comme l'ombre de Price dans la cave du marchand de vin où il prépare un meurtre, celui inspiré par Richard III avec noyade dans un fût de Chambertin 1964. Les meurtres sont mis en scène avec beaucoup d'imagination et ne trahissent pas le scénario d'Anthony Greville-Bell. Tous font preuve d'un humour noir « so british » tout à fait réjouissant. J'ai un faible pour un homicide périphérique, celui du policier en planque dans un coffre de voiture. Mais je vous laisse le plaisir de la découverte. Hickox bénéficie surtout d'une très belle distribution à laquelle il laisse la bride sur le cou avec Ian Hendry (qui fut le premier partenaire de John Steed), Robert Morley, Michael Hordern, Harry Andrews, Jack Hawkins et Diana Dors qui subit, sous un casque de coiffeur, le sort de Jeanne d'Arc.

theatre de sang.jpg

Dernier élément capital, la musique composée par Michael J. Lewis. Compositeur lui aussi plutôt discret, Lewis est particulièrement inspiré pour le film, avec un thème fort aux accents romantiques, délicat quand il est repris à la mandoline ou au clavecin, épique quand se déchaînent les violons. Il donne une musicalité propre à chaque grande scène, comme les roulements de tambour sur Le marchand de Venise où le thème repris en sourdine pour la décapitation nocturne. C'est la musique encore qui nous ramène à l'idée d'un passé prestigieux, et ce dès le beau générique qui utilise des extraits de films muets, des adaptations de Shakespeare.

Était-ce là un visage qui dût être exposé à la fureur des vents, supporter les profonds roulements du tonnerre aux coups redoutables, et les traits perçants et terribles des rapides éclairs qui se croisaient dans tous les sens ?

Photographie : collection personnelle

Affiche : source Carteles

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