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05/07/2009
La baie sanglante
Tout comme il n'y a pas une perle dans chaque huître, il n'y a pas un chef d'oeuvre derrière chaque titre de Mario Bava. La ressortie sur grand écran de Reazione a catena (La baie sanglante – 1971) m'a permis de vérifier dans des conditions optimales que ce film est très en deçà de sa réputation. Il continue malgré tout à susciter des commentaires aussi dithyrambiques qu'incompréhensible pour tout spectateur un minimum objectif. « 13 personnages, 13 meurtres » disait fièrement il maestro dell'orrore. Tout est dit, mais c'est tout ce qu'il y a à dire. Reazione a catena, littéralement « réaction en chaîne », est une succession de meurtres très graphiques (pendaison, poignardage, empalement à la lance, égorgement, je vous en laisse pour la route) autour de la vente de terrains encadrant une baie à la nature encore préservée. Le film est indéniablement très ludique. On ne sait pas toujours qui tue qui, les assassins se font tuer à leur tour alors que leur victime est encore chaude et certains morts ne le sont pas complètement. Ça entre et ça sort, ça s'épie, ça mijote des coups tordus, vous l'avez compris, c'est Guignol.
Bien sûr, il y a du style, la Bava's touch : cadrages à travers la végétation, travail évocateur sur les sons de la baie, sens du suspense et un final sarcastique bien qu'un peu gratuit. La photographie est signée Bava soi-même (mais il a fait mieux) et l'on peut éventuellement trouver un sous texte grenello-compatible à cette histoire basique qu'ils se sont tout de même mis à trois pour l'écrire. Mais à côté de tout cela, il reste que le film est une mécanique sans âme. Pensez qu'il y a Claudine Auger avec son grain de beauté là (voir figure 1) et qu'elle n'y est jamais utilisée pour son potentiel érotique. Gros problème, comme dans les films de Lucio Fulci période tripes et boyaux, comme parfois chez Dario Argento, les personnages sont schématiques et les acteurs peu ou pas dirigés. Claudio Camaso-Volonté et Luigi Pistilli font plaisir à voir et s'en sortent plutôt bien, mais les quatre jeunes destinés à l'équarrissage sont d'un ridicule achevé malgré la baignade en nu intégral de Brigitte Skay avec cadavre entre deux eaux. De leur côté, le couple Leopoldo Trieste et sa voyante de femme Laura Betti cabotinent en roue libre tandis que Chris Avram est le bellâtre dans toute sa splendeur. Nous sommes très loin des beaux personnages des classiques du giallo, je pense à David Hemmings chez Argento ou aux compositions d'Edwige Fenech.
L'horreur capillaire selon Mario Bava
Bava fait preuve de trop de cynisme pour que l'on s'intéresse à son misérable échantillon d'humanité sans pour autant atteindre à une véritable folie. Par exemple, le personnage joué par Camaso dégage au début une certaine étrangeté mais sa folie est rien moins que convainquante. Le film enchaîne aussi quelques perles de comportement absurde, à commencer par la façon ingénue dont le jeune timide, mon dieu quelle coupe de cheveux, va ouvrir la porte de la villa que lui et ses amis ont envahie par effraction. Ça lui fait les pieds, ce qui lui arrive. On sait que la vraisemblance n'est pas le fort de ce genre de films, mais quand même. Les amateurs ont remarqué combien ce film a influencé la mode des films de tueurs fous ayant déferlé sur l'Amérique (et le monde) dix ans plus tard, la série des Vendredi 13 en particulier (L'empalement du couple faisant l'amour a été pompé tel quel dans l'épisode trois). C'est tout le problème de Reazione a catena que de n'être que la matrice de ce genre de films. Avec un supplément de style si l'on y tient, mais rien de plus.
L'année précédente, Bava avait déjà tourné une variation sur le même thème, Cinque bambole per la luna d'agosto (L'île de l'épouvante – 1970), série de meurtres sur une île autour d'une improbable invention. Guère plus réussi, le film irrite quelque peu par son emploi de zooms migraineux. Mais il dégage un humour noir plus réjouissant, avec l'entassement progressif des cadavres dans la chambre froide, et une étrangeté plus authentique avec la fille à la balançoire. Et puis il y a une jolie danse érotique d'Edwige Fenech. De tout cela, je conclu qu'à l'époque, Bava ne semble pas au mieux de son inspiration. Nous sommes loin des terreurs de La maschera del demonio (Le masque du démon – 1960) ou de Opérazione paura (1966), des perversions de La frusta e il corpo (Le corps et le fouet – 1963), de l'intensité de ses gialli fondateurs ou de l'invention plastique de Ercole al centro della terra (Hercule contre les vampires - 1961) ou de Diabolik (1968). Bref, assez loin du Bava que nous aimons.
Pour un avis nettement plus favorable sur Culturopoing
Et un autre sur Critikat
Et un encore sur Devildead
Sans oublier la chronique de Mariaque pour Kinok
.Photographie : © Carlotta films
17:43 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : mario bava | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Hum, je te trouve un peu sévère même si ce n'est pas le Bava que je préfère non plus. Mais j'aime assez son côté mal élevé (le film est très violent pour l'époque et assez nihiliste : il annonce les premiers Hooper et Craven) et, comme tu le soulignes, il a du style. Mais c'est vrai que certaines incohérences et un final un brin grotesque gâche un peu le plaisir...
Écrit par : Dr Orlof | 05/07/2009
J'ai le même avis sur La baie sanglante, on ne retrouve pas le style Bava, on n'y retrouve ni sa mise en scène léchée, ni ses couleurs éclatantes, ses décors gothico-surnaturels, et ses chorégraphies meurtrières. En résumé on ne retrouve pas l'atmosphère d'antan, son approche de la peur si particulière. On est très loin de ses chefs d'oeuvres Les trois visages de la peur, Six femmes pour l'assassin ou Le masque du démon. On n'est clairement pas dans la même époque. Les années 70 réussissent beaucoup moins à Bava. Elles sont à Bava ce que sont les années 90 à Dario Argento. J'aime bien en revanche L'île de l'épouvante, giallo très honorable de 1970, mais très en deçà de ce qu'il a produit précédemment.
Écrit par : Rom | 05/07/2009
j'ai découvert Bava avec ce film et c'est peu dire que j'avais été bien refroidi. j'avais trouvé ça affreusement je m'en foutiste. j'ai le souvenir de zooms vraiment horribles.
heureusement, j'en ai vu d'autres depuis.
Écrit par : Christophe | 06/07/2009
Je suis peut être un peu sévère, mais c'est aussi en réaction à tout ce que j'ai pu lire à l'occasion de la ressortie du film. Je l'avais découvert il y a une quinzaine d'années en VHS et j'avais eu la réaction de Christophe. Heureusement que je connaissais déjà "Le masque du démon" et "La fille qui en savait trop". Pour ce qui est de la violence et du nihilisme, il me semble qu'à l'époque, on en avait déjà vu d'autres (Corbucci, Romero...). j'ai l'impression que c'est un peu comme pour "Halloween" de Carpenter, tellement copié par la suite qu'il n'impressionne plus du tout.
Et finalement, je crois que je me suis plus amusé avec "L'île..." même si les zooms y sont bien plus terribles.
Écrit par : Vincent | 06/07/2009
Je suis tombé dessus il y a quelques mois, mais découragé par la VF, je n'ai pas été au-delà de la baignade de Brigitte dans le lac. Le peu que j'en ai vu ne me donne effectivement pas de regrets et ce que je lis sur le film par ailleurs m'étonne également quelque peu. Tout ça m'a l'air quand même filmé à l'arrache.
En revanche, datant de cette époque et toujours dans le genre dérangeant, un autre Bava, "Les chiens enragés" m'a assez marqué (même si je préfère moi aussi, ceux des années 60).
Écrit par : Edisdead | 08/07/2009
Ma vieille VHS était en français aussi. Je ne connais pas "Chiens enragés", mais un Bava, je me laisserais tenter quand même.
Écrit par : Vincent | 09/07/2009
Diable, on néglige ses collègues kinokiens ?!
Et ça, c'est du poulet à la milaniase ?:
http://www.arkepix.com/kinok/DVD/BAVA_Mario/baiesanglante.html
Quant à L'Ile de l'Epouvante:
Valant surtout pour sa renversante plastique (une direction artistique ébouriffante, tout en mobilier space-pop, relayée par un goût du casting idoine et signifiant (la couleur des yeux des différents protagonistes révèle leur nature)), servie par un sens du plan (perspectives, profondeurs, travelling) et des effets (flous manipulateurs) plus que par son montage parfois hasardeux (y compris lorsqu'il constitue un moteur incontournable de l'intrigue (le magnétophone), son script fumeux (un vague Dix Petits Nègres-like important visiblement peu au maestro), ce faux giallo (peu de codes du genre sont respectés, à commencer par les meurtres, sobres, hors champ voire hors bobine (la dispariton de Nick est incompréhensiblement négligée par le récit !)) - et vrai piteux whodunit - constitue malgré tout un sacré morceau de thrilling baroque psychédélisant (impression accentuée par une BO omniprésente entre free-jazz et transe pop hallucinogène), à l'humour noir iconoclaste et excitant (la chambre froide où sont pendues les victimes), qu'il convient de supporter deux longs premiers tiers un brin ridicules et décousus avant de parvenir à se bien familiariser avec un ton finalement assumé, à défaut d'être cohérent.
Une curiosité insulaire (le film fut aussi distribué sous le présomptueux titre de L'Ile de l'Epouvante) plus qu'un jalon.
Écrit par : mariaque | 19/07/2009
C'est bon, le poulet à la milanaise !
J'avais bien mis la main sur votre article kinokien et j'avais prévu de rajouter le lien mais face à ma paresse congénitale, vous êtes toujours plus rapide :)
Ceci dit je vous trouve bien indulgent avec le film, je suis beaucoup plus d'accord avec ce que vous écrivez sur la "Baie de l'épouvante". A bientôt donc chez vous ou dan s ces colonnes.
Écrit par : Vincent | 20/07/2009
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