Cannes 2009 - jour 7 (31/05/2009)
Moullet et cerise sur le gâteau
Je ne lis jamais assez bien le programme des projections à Cannes. Avec le temps, j'aime assez me laisser porter par le hasard, les rencontres et les décisions de dernière minute. Je n'avais donc pas fait attention à la programmation du nouveau film de Luc Moullet, La terre de la folie, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Je l'ai attrapé in-extremis en séance du lendemain, près une heure de queue, il fallait bien cela. Le film se présente comme un documentaire dans la lignée de Genèse d'un repas ou d'Anatomie d'un rapport, un documentaire personnel tout à fait typique de son auteur. Je me serais désolé d'avoir manqué cette œuvre qui réjouira tous les admirateurs du grand homme. On y retrouve ce mélange de sérieux et d'humour pince sans rire, la tranquillité de ses cadres, son art du coq à l'âne, sa figure d'enquêteur tenace, son érudition, sa cinéphilie, son sens de l'absurde et son amour pour sa région natale, les Alpes du sud. C'est là en effet que se situe La terre de la folie. C'est elle, faudrait-il écrire. Le point de départ du film est un souvenir de famille assez peu banal puisqu'il s'agit d'un triple meurtre commis à la pioche et au début du siècle pour une histoire de chèvre. Moullet se lance sur la piste de l'atavisme, notant qu'il est lui-même un maniaque du cinéma, de la collection (de films), qu'il déteste les réunions de plus trois personnes (comme dans la chanson de Brassens), et qu'il se plait dans les caves et greniers, loin du tumulte du monde.
Il collectionne ainsi, tout au long du film des faits, des actes de folie conduisant le plus souvent au meurtre, tous ayant eu lieu dans un pentagone au cœur de la région qui comprend Digne et Manosque. Une région peu peuplée, assez isolée et frappée durement par le nuage de Tchernobyl. Le plus célèbre de ces faits divers est sans doute l'affaire Dominici, le triple meurtre de touristes anglais dans la commune de Lurs, dans les Alpes de Haute Provence. Ceux qui se souviennent des articles critiques de Moullet basés sur le déterminisme s'amuseront beaucoup. Les autres aussi tant la façon qu'il a de conter des histoires horribles est pleine de fantaisie. Moullet se met en scène, fait intervenir des membres de sa famille ou des proches et fait se télescoper ces témoignages avec les interventions de personnes plus spécialisées, médecins ou policiers. Une pique envers la politique de Sarkozy en matière de psychiatrie, une pirouette finale avec sa femme (n'oubliez pas de rester jusqu'au bout du générique de fin), un élastique récalcitrant, La terre de la folie est un film plein de santé et nous rassure sur celle de son auteur, en attendant son prochain meurtre à la hache.
Quand on arrive en fin de festival, les derniers jours, à partir du vendredi, dégagent une atmosphère étrange. Les stands se démontent déjà, les projections se font plus rares, les contrôles se décrispent, les festivaliers pensent déjà au proche départ. Je me demandais quoi aller voir quand je me suis rendu compte d'une ultime séance de la Quinzaine qui présentait le nouveau moyen métrage de Mikhaël Hers dont je vous déjà beaucoup parlé avec son précédent opus, Primrose Hill. Celui-ci s'appelle Montparnasse et on y retrouve trois des acteurs du film précédent dont Thibault Vinçon qui tient un rôle de premier plan. Montparnasse est composé de trois histoires sans lien entre elles sauf leur localisation dans le quartier (Montparnasse évidemment) et, sans que ce soit forcément explicite, durant la même nuit. La première est le portrait de deux sœurs très différentes de tempérament qui se retrouvent pour une sortie, la seconde est la soirée de deux hommes unis par la mémoire d'une jeune femme disparue, l'un était son compagnon, l'autre son père. Le troisième segment est l'histoire d'un premier baiser entre un musicien immobile et une jeune femme qui a beaucoup voyagé. Trois histoires ténues reliées par une atmosphère qui constituent une œuvre plus fragile que Primrose Hill.
On retrouve dans ce nouveau film les mêmes qualités plastiques, le même goût pour de longs plans en travelling arrière sur les personnages qui discutent en marchant, le même sens du suspense sentimental, la même pudeur dans l'expression de l'émotion et la même faculté à faire ressentir ce qui se passe entre les gens, entre les phrases dont ils ne sont pas avares. La musique tient toujours beaucoup de place, le troisième segment mettant en scène un groupe en concert. Question ambiance, il y a une belle photographie nocturne et, on a beau avoir vu Paris la nuit sous toutes les coutures, le regard porté par Mikhaël Hers sur le quartier séduit, il en capte la mélancolie de l'ambiance comme il le faisait du parc de St Cloud. Hers fait également partie de ceux qui savent filmer les femmes et ce n'est le moindre mérite de son film de mette en avant de remarquables actrices, Adélaïde Leroux, Lolita Chammah qui ressemble à sa mère, Aurore Soudieux et la superbe Sandrine Blancke. Et puis cette fois, il n'ya pas d'équivalent à la scène déshabillée que j'avais eu un peu de mal à accepter. Donc en ce qui me concerne, ce film, c'était le bonheur. Le baiser final de la troisième histoire, sur une terasse au coeur de la nuit est un très beau baiser de cinéma. Comme Primrose Hill, Montparnasse explore des moments où l'on passe, inconsciemment ou non, un cap. On surmonte une deuil, on accepte de se livrer, on commence une histoire. Le film évoque parfois une série de gammes musicales ou les esquisses préparatoire d'un peintre en vue d'un tableau important. Hers peaufine ici ses thématiques, sa direction impeccable d'acteur, une mise en scène qui cherche et souvent trouve une musique personnelle. Dégagé d'une trop grande contrainte dans le récit, le film distille un charme plus libre et plus léger. En ce qui me concerne, il peut continuer de faire ce genre de films pendant quelques temps, mais il paraît qu'il prépare son premier long métrage. On peut imaginer qu'il a hâte et vous pouvez imaginer que c'est quelque chose que je suis impatient de découvrir.
Il semble que je ne sois pas le seul et je trouve amusant d'avoir réuni pour cette journée et dans cette note les deux cinéastes. Luc Moullet a en effet dit de Mikhaël Hers qu'il était "plus grand cinéaste français de demain ". Cochon qui s'en dédit !
(à suivre)
00:17 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cannes 2009, luc moullet, mikhael hers | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Cette seconde réussite de M. Hers serait une bonne nouvelle. Si je te comprends bien, et malgré ce titre très connoté, il continue de tracer une voie très personnelle hors des sentiers balisés de l'intimisme à la française.
J'espère pouvoir découvrir ça à l'occasion.
Si tu as un jour l'intention de lancer, à la suite de Moullet, une grande campagne pour la promotion du "plus grand cinéaste français de demain", je te filerai un coup de main.
Écrit par : Edisdead | 03/06/2009
Au risque d'employer un mot passe-partout, la plus grande qualité du cinéma de Mikhaël Hers, c'est vraiment sa musicalité, quand bien même il ne filme qu'un dialogue entre deux personnes autour d'une table. C'est d'ailleurs essentiellement à partir des blogs musicaux qu'est parti le buzz autour de Primrose Hill.
Quant au film de Moullet, j'ai été frappé que le générique fasse apparaître "la terre de la folie de Luc Moullet" d'une seule traite et avec la même typographie, comme si "la folie de Luc Moullet" était une entité en elle-même que dans ce film, il se proposait d'examiner. J'y vois là une sorte d'auto-psychanalyse joyeuse (à la manière dont "Anatomie d'un rapport" était aussi une psychanalyse de couple joyeuse). Ce n'est d'ailleurs pas anodin que le film se termine par l'intervention de sa femme. Pour autant, même si j'ai toujours la plus grande sympathie pour ce cinéaste et cette démarche qui consiste à traquer le dadaïsme dans son propre code génétique, il m'a manqué un petit quelque chose pour être tout à fait convaincu et emporté : peut-être une trop grande homogénéité dans la façon de présenter les faits qui finit par virer à l'accumulation d'exemples, peut-être un manque de progression dans l'enquête (s'agit-il d'éclaircir un mystère ? Pas vraiment, j'ai l'impression)... Mais reste, cependant ce sentiment qu'on peut faire du cinéma vivant et inventif à partir du matériau le plus improbable qui soit. Et ça, c'est vrai que ça n'a pas de prix !
Écrit par : Joachim | 05/06/2009
Ed, j'espère que tu pourras le voir un de ces quatre. Pour ce qui est de la promotion, on va peut être attendre son premier long. Il est loin des quarante et quelques films du grand Luc :)
Joachim, le terme me semble très approprié. Comme tu l'avais souligné sur le précédent, il y a quelque chose dans ses films, dans la façon dont il compose ses scènes, qui rapproche son cinéma d'un certain type de morceaux, de l'univers de groupes qui travaillent sur une émotion, une atmosphère, un petit morceau de vie. Je ne m'y connais pas beaucoup en la matière, mais je pense à Echo and the Bunnymen, quelques groupes pop du même tonneau. et la musique est toujours très présente physiquement dans le film.
Écrit par : Vincent | 08/06/2009