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30/05/2009

Cannes 2009 - jour 6

Ne me parle pas de révolution

D'entrée, je savais que ce serait le meilleur film du festival. Une nouvelle fois, Giù la testa (Il était une fois...la révolution), réalisé par Sergio Leone en 1971 a été à la hauteur. C'est un film que j'ai découvert vers 10 ans dans la salle du quartier où j'habitais à Paris et j'ai été marqué à vie. Les nombreuses scènes d'exécution par fusillade m'avaient, et continuent de m'impressionner. Je me rends compte aujourd'hui qu'elles sont traitées par Leone comme les scènes de duel dans ses films précédent, un rituel mis en scène avec force détails et où le temps est comme suspendu. Que Leone leur ait donné cette place dans ce film là en dit assez long sur son état d'esprit du moment. C'est un film au destin chaotique. Au départ, Leone devait seulement le produire. Il envisage comme réalisateur Peter Bogdanovich mais ça se passe mal. Il rêve de Sam Peckinpah. Il y a finalement complot et il se retrouve aux commandes du film une semaine avant le début du tournage. C'est pourtant le film dans lequel il semble avoir mis le plus de lui-même, loin des jeux de la trilogie du dollar et de la superbe mécanique lyrique de C'éra une volta il west (Il était une fois dans l'ouest - 1968), loin du rêve étrange et pénétrant de C'era una volta in America (Il était une fois en Amérique - 1984).

Leone.jpg

Leone sur le tournage (*) source : festival de Cannes

Giù la testa s'ouvre sur le jet d'urine du péon-bandido Juan qui pisse contre un tronc d'arbre sur une colonie de fourmis. Vision assez rare si l'on y pense. Le repas dans la diligence, le sandwich de Juan, la tranche de citron de John, l'œuf gobé par Gunther Reza, c'est aussi un film de grande bouffe, ancré dans l'humain, dans ce qu'il a de plus animal. Mais aussi dans ce qu'il porte de rêves et d'espoirs brisés, tout ce que l'on peut lire dans le regard de John, les yeux magnifiques de James Coburn. Politique, épique, poétique, violent, drôle, déchirant, nostalgique, picaresque, sarcastique, c'est un film où Leone remplace pour une fois les citations cinéphiles par des notations personnelles comme les souvenirs de l'époque fasciste (Gunther Reza et les fosses Ardéatines) où son sentiment politique en pleines années de plomb avec la fameuse tirade de Juan à John.

Comme l'a écrit Giré dans son livre somme sur le western européen, Giù la testa est comme un bon vin, il vieillit bien. Chaque vision supplémentaire révèle de nouvelles saveurs. La version proposée ici était une restauration de la cinémathèque de Bologne, présentée par son directeur Gian Luca Farinelli accompagné des deux filles du maître dont on commémore, faut-il le rappeler le vingtième anniversaire de la disparition. Ses filles aussi sont très réussies. Quand j'étais jeune, les films de Leone étaient souvent repris en salle l'été. Ceux qui pensent le connaître parce qu'ils ont vu la belle édition DVD, même sur un joli home cinéma, ceux-là doivent absolument faire l'expérience de la salle. Il n'y a que là que se déploie toute la beauté de l'œuvre portée par les « Sean, Sean, Sean... » d'Ennio Morricone que vous fredonnerez toute la soirée et sans doute au delà. C'est Carlotta qui devrait assurer en France la ressortie salle du film et peut être une nouvelle édition DVD. Quien sabe ?

Le soir, j'ai diné avec des amis dont un journaliste à La Marseillaise. La conversation a roulé sur deux noms : Tarantino et Michael Haneke qui présentait ce jeudi Das Weisse Band (Le ruban blanc). C'est là que j'ai creusé l'idée que Cannes cette année avait organisé la confrontation brillante de deux conceptions opposées du cinéma. Comme je m'enflammait pour la scène où Mélanie Laurent se prépare pour la soirée dans Inglorious Basterds, je fis perfidement remarquer que Haneke ne savait pas filmer les femmes. « Il s'en moque, ce n'est pas son problème » me rétorqua le journaliste. C'est juste, mais c'est le mien. Haneke a fait jouer Huppert, Binoche, Noémie Watts, Aissa Maiga et Nathalie Richard, mais vous pouvez courir pour trouver un plan où elle sont belles. Je veux dire par là où l'on trouve de la beauté dans le regard du metteur en scène, de l'empathie, de l'amour pour son personnage. On cite souvent Bergman à propos du cinéaste autrichien, mais si dur que soit, disons Viskningar och rop (Cris et chuchotements - 1972), on trouve toujours cette beauté, cette sensibilité, cette sensualité dans la façon dont Bergman filme Harriet Andersson ou Liv Ullmann. Il est piquant de remarquer que l'une des scènes emblématiques d 'Antichrist de Lars von Trier est une auto-mutilation vaginale opérée par le personnage joué par Charlotte Gainsbourg, à rapprocher de celle effectuée, jute avant de diner, par le personnage joué par Isabelle Huppert dans La pianiste, film de Haneke. Faut-il voir dans le prix d'interprétation l'expression d'une solidarité ? Von Trier n'est pas un tendre non plus. Il a fait d'Emily Watson, Bjork et Nicole Kidman des figures de martyre et n'oublions jamais qu'il est celui qui fit aboyer Deneuve. Il y a un monde entre sa Kidman et celle de Kubrick, pourtant pas réputé comme émotif. Que mes lecteurs et surtout mes lectrices ne se méprennent pas. « Savoir filmer les femmes » n'est pas à prendre au pied de la lettre, où l'on voit le maçon, mais comme expression sensible. Il n'y à (presque) pas de femme dans Giù la testa, mais une telle façon de filmer le regard de James Coburn.

(à suivre)

(*) : Un éminent membre du Forum western movie confirme mes soupçons. Il s'agit en fait d'une photographie de tournage de C'éra una volta il west (Il était une fois dans l'ouest - 1968). Je vous revaudrais ça dès que j'ai le temps de scanner un peu.

Commentaires

Très beau texte, bravo!

Mais tu dis: "Ceux qui pensent le connaître parce qu'ils ont vu la belle édition DVD, même sur un joli home cinéma, ceux-là doivent absolument faire l'expérience de la salle".

Je ne suis pas tout à fait d'accord. J'ai vu tous les Leone en salle, je les ai tous vu à la télé, puis en VHS, puis en DVD. La musique de Morricone marche à tous les coups. La beauté est là à chaque fois, le regard de James Coburn aussi. Je n'ai pas souvenir d'une quelconque hiérarchisation de ses films que je les ai découverts en salle ou pas. J'ai même vu mon premier Sergio Leone sur une télé noir et blanc. Le choc était là, et l'aurais-je vu en salle, il n'aurait pas été plus fort. Je l'ai revu plus tard en salle, c'était tout aussi sublime. Pour moi, Leone fait un cinéma qui transcende le média sur lequel on le découvre. Il faudrait que j'essaye Giu la testa sur mon téléphone portable, voir ce que ça donne:-)

Écrit par : tepepa | 02/06/2009

Je t'assure que depuis que je l'ai en DVD, je l'ai bien revu une demi-douzaine de fois (dont une après avoir lu tes "petites choses dans...") mais là c'était encore autre chose. C'est peut être le contexte, le partage avec un public d'admirateurs, le fait que les projections à Cannes sont toujours de très grande qualité, ou de retrouver, plus ou moins inconsciemment le grain de la photo tel que je l'avais découvert en salle à l'origine (j'ai découvert tous les Leone en salle, mais les autres supports, j'en suis d'accord, n'ont jamais empêché mon plaisir).
J'ai eu le même effet il y a trois ans avec la version restaurée de "La prisonnière du désert", bien que l'avais vu de toutes les façons possibles, sauf sur téléphone, j'ai été bluffé, j'avais l'impression de le voir pour la première fois.
Il faut dire que j'ai ce mysticisme de la salle. Jusqu'à ce que j'ai ma fille, je ne considérais pas avoir vu un film avant de l'avoir vu en salle. Depuis j'ai évolué sur la question, mais il me reste quelque chose de cet intégrisme :)

Écrit par : Vincent | 03/06/2009

A propos de la scène d'ouverture, je me demande si ce n'est pas une réponse à celle de La Horde Sauvage où les fourmis dévoraient un scorpion... Puisque Sam Peckinpah avait été envisagé pour tourner le film... D'ailleurs, je n'ai pas l'impression que les sentiments entre les deux réalisateurs aient été cordiaux (le nom de Sam Peckinpah figure sur une tombe dans Mon nom est Personne... Plutôt grinçant comme hommage...)

Écrit par : Zaitchick | 12/08/2009

J'ai la même impression que vous sur les sentiments des deux réalisateurs. Je crois qu'ils se sentaient un peu en concurrence. Pourtant, c'est bien Léone qui voulait Peckinpah pour le film, alors... Cette idée des fourmis, j'aime beaucoup.

Écrit par : Vincent | 18/08/2009

Effectivement, Leone voulait Peckinpah...
L'affaire ne s'est pas faite.
Et finalement, il a dû tourner lui-même le film.
Leone en a peut-être gardé une forme de rancune à l'encontre du réalisateur américain ?
Pure spéculation de ma part.

Écrit par : Zaitchick | 18/08/2009

Effectivement, la façon dont Leone s'est retrouvé sur le film est compliquée mais je crois qu'il en voulait plus à son producteur et même à sa famille qui ont "comploté" (le mot est de lui) pour l'amener à faire le film.

Écrit par : Vincent | 18/08/2009

Excellente cette idée que les fourmis renvoient à celles de Peckinpah, ça me plait...

Écrit par : tepepa | 22/08/2009

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