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13/06/2007

A l'épreuve de la mort

En préliminaire, sachez qu'un cinéaste fétichiste du pied aura toujours mon admiration de principe.

Ceci posé, j'ai négocié avec ma compagne la garde quelques heures de ma fillette pour ressentir de nouveau le moelleux contact d'un fauteuil de cinéma. Sur l'écran : Death proof, dernier opus de Quentin Tarantino. Un film qui se voit en salle, si possible bien centré et très prés de l'écran. Par ailleurs, je me demande ce qui est passé dans la tête des distributeurs français pour donner ce titre : Boulevard de la mort. Nous sommes bien dans l'esprit de cet hommage aux bandes d'exploitation, mais il n'y a pas de boulevard et aucun lien avec le sens d'origine. Death proof, « à l'épreuve de la mort », qualifie une voiture de cascadeur renforcée et trafiquée pour les besoins du cinéma. Comme celle de Stuntman Mike, professionnel sur le retour au blouson vintage et jolie balafre. Mike traque des groupes de jeunes et jolies jeunes femmes en virée et utilise sa Dodge Charger équipée canard comme arme mortelle.

Deux parties dans le film. Deux états, deux temps, deux groupes féminins. Une partie nocturne et péri-urbaine, l'autre diurne et campagnarde.

J'ai nettement préféré la seconde. Le film commence par la longue soirée bavarde de la DJ Jungle Julia (Sydney Tamiia Poitier) et de ses copines prêtes à partir pour un week end entre filles. Ca discute comme au début de Réservoir Dogs ou dans les scènes de voiture de Pulp Fiction. Mais si les filles sont charmantes à l'oeil, pleines de pétulance et de saine vulgarité, elles ne sont guères passionnantes. Elles arrivent dans un bar, rien ne se joue autour d'elles, rien d'intéressant. La danse érotique d'Arlène (Vanesa Ferlito) est plus dans l'esprit de From dusk till dawn (Une nuit en enfer du compère Rodriguez) que de la sensualité d'Uma Thurman. Avec le recul, la question se pose de savoir si Tarantino n'a pas poussé son imitation du genre jusqu'à nous monter cette superficialité exprès. La même question peut se poser sur la longueur et les dialogues de remplissage, figure imposée en la matière, y compris, rappelez vous, dans le début de Texas chainsaw massacre(Massacre à la tronçonneuse). Néanmoins une tension s'installe petit à petit avec l'arrivée de Mike. Kurt Russel, l'icône de John Carpenter, montre une fois de plus combien il peut être fascinant quand il est bien filmé. Et l'on sait depuis toujours que Tarantino sait filmer ses héros mieux que personne. Il y a quelques très gros plans à la Argento, une déglutition à la Léone, tout est ultra référencé et j'ai eu un peu de mal à marcher.

Et puis les choses s'accélèrent d'un coup. Le film bascule d'un coup dans l'horreur avec la mort brutale de Pam (Rose McGowan) et vous aspire d'un coup jusqu'à l'accident. Cet accident, c'est peu sa douche de Psychose à Tarantino. Le choc est si violent qu'il fait table rase de ce que l'on vient de voir et conditionne durablement tout ce qui va suivre. Jusqu'ici le travail de mise en scène n'avait (en apparence ?) rien de remarquable, il s'agissait de créer une ambiance et de tourner autour de la dizaine de personnages réunis dans le bar. Belle occupation de l'espace, mais je n'ai pas le souvenir d'un moment marquant. D'un coup, Tarantino nous montre quelque chose comme on a pas l'impression de l'avoir déjà vu. Il suspend le temps avec un léger ralenti mais surtout avec la répétition rapide de l'action selon de point de vue de chaque victime. Cela lui permet de conserver à la fois la violence du choc et sa juste compréhension. Il arrive a allier la vitesse brute des montages de Georges Miller ou Steven Spielberg (cité au passage) et les dilatations du temps de Claude Sautet ou Sam Peckinpah.

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A partir de là, la donne change pour le second groupe. Pas le temps de se demander si l'on est repartit pour vingt minutes de tchatche. Le superbe jeu de Mike sur le pied superbe d'Abernathy (Rosario Dawson) suffit à faire monter la sauce. Et puis ce groupe, c'est autre chose. Les quatre nouvelles filles sont des professionnelles, elles sont sur un tournage. Alors ça parle potin de plateau, anecdotes, références directes, clins d'oeils. Tarantino croise cette fois Mad Max avec La nuit américaine. Coup de génie, deux des filles sont des cascadeuses. Mieux, l'une d'elle est une véritable cascadeuse : Zoé Bell, j'ai craqué, doublait Uma Thurman sur les deux Kill Bill. Tarantino a visiblement décidé de se projeter dans la blonde décontractée et néo-zélandaise qui entraîne ses amies à la recherche d'une Dodge Challenger, voiture du film culte Vanishing point (Point limite zéro de Richard Sarafian) Du coup, outre cette idée tordue et excitante, on se dit rapidement que la rencontre avec Mike va faire des étincelles. Promesse tenue au-delà du raisonnable. L'action embraye rapidement et une autre idée géniale que je ne vous révélerais pas débouche sur une poursuite motorisée cinématographique en diable et sans doute la plus prenante depuis que sont apparus sur les écrans la V8 interceptor de Mad Max et le camion de Raiders of the lost Ark (Les aventuriers de l'arche perdue). D'autant que, tournée à l'ancienne (sans effets numériques), la scène gagne une densité inhabituelle pour notre époque frileuse. Comme dans Stagecoach de Ford où l'on sait que c'est un véritable bonhomme qui saute de cheval en cheval, on voit bien que Zoé Bell ne fait pas semblant. Ni Tracie Thoms qui conduit.

A ceux qui me rappelleraient à ce point que le dernier film qui m'a motivé en salles est Ne touchez pas la hache de Rivette, je répondrais que justement, c'est ce que j'aime au cinéma. Et quand on va voir un film de voitures qui vont vite, il faut qu'elles aillent vraiment vite et que l'on ait envie de freiner sur le siège de devant. Sinon, mieux vaut rester chez soi.

Je vois Tarantino comme Sergio Léone. Quelqu'un qui accumule les icônes et les références de genres pour se créer un univers personnel et abstrait. Univers de pur cinéma. Tarantino est un artiste abstrait. Il est proche en cela de ceux qui pratiquent le « found footage », de gens comme Virgil Vidrich qui re-filme les classiques du cinéma sur des papiers découpés (Avez vous vu Fastfilm ?). Avec ses faux raccords, ses fausses rayures, ses fausses sautes de pellicule qui lui permettent aussi de faire progresser sa narration, Tarantino est un faussaire de génie. De génie parce qu'il faut aussi dire que si aucun des films « grindhouse » n'a jamais eu les moyens qu'il déploie, rares sont les réalisateurs qui ont eu son talent.

 

Alors, quel sens à tout cela ? Le même sans doute qu'il y avait, outre les films cités, à des oeuvres comme Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars), Night of the living Dead (La nuit des mors vivants) ou les merveilleux gialli de Dario Argento. Le plaisir de la forme et du jeu.

 

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Le site du film

Photographies : © TFM Distribution

08/06/2007

Mélancolies

Je précise d'entrée que je ne me sens nullement mélancolique en ce moment. C'est ce titre du dossier du mois dans la revue Positif qui m'a semblé un fil rouge approprié pour cette note.

 

Pour rendre un véritable hommage à Jean-Claude Brialy, c'est ici.

 

Derry nous a signalé en commentaire des pensées du 23 la sortie d'un numéro spécial Grindhouse de l'équipe de Mad Movies. Je ne lis plus la revue depuis quelques années, mais ce numéro vaut le coup d'oeil. Il y a notamment un bel article mélancolique de Christophe Lemaire sur les salles de quartier parisiennes avec des photographies et des pavés de presse de la fin des années 70 / début des années 80 qui peuvent mettre la larme à l'oeil si l'on a connu cette époque. Je suis un peu limite en age pour cela mais Lemaire, c'est aussi l'équipe de la revue Starfix (Gans, Boukhrief, Cognard, Headline...) qui m'a pas mal influencé à partir de 1983.

 

Mélancolie dans l'interprétation du Temps des Cerises par Gina, la chanteuse éprise du Porco Rosso.

 

Suzuki à Paris. Je n'y serais pas, pas encore de vacances, mais je ne peux résister à l'occasion d'évoquer la figure du cinéaste japonais Seijun Suzuki auquel rend hommage depuis le 31 mai et jusqu'au 30 juin, la Maison de la Culture du Japon à travers une très complète rétrospective. Il est né à Tokyo en 1923 et comme il existe d'excellentes notices biographiques, je vous propose de vous reporter à celle de cinétude. Je ne ferais pas mieux que Julien Gester. Suzuki, j'ai découvert ses films il y a un peu plus d'un an grâce à un ami (merci Alain) et aux très beaux coffrets édités par Canal. Car il s'agit bien de découverte au plein sens du mot tant l'univers de Suzuki permet de ressentir à nouveau l'émerveillement devant un film neuf. Et c'est bien pour être émerveillé que l'on va au cinéma, non ? Sa période désormais la plus connue se situe dans les années 60 et son sommet est pour beaucoup La marque du tueur réalisé en 1967. Alors employé par la société Nikkatsu qui fabrique à la chaîne des mélos, des films policiers et des films érotiques, Suzuki donne des films policiers érotiques, violents, musicaux et plein d'un humour sarcastique du meilleur aloi. Expérimentateur de formes, de sons et de couleurs son cinéma est parfois franchement surréaliste. Si le cinéma de Suzuki n'est pas mélancolique, certes non, ses admirateurs les plus zélés, Jarmush, Tarantino ou Kitano le sont assurément. Le bon docteur Orlof a écrit plusieurs beaux articles sur ces films, je vous invite à fouiller dans son index. Lettre S.

 

Et parlant du Dr Orlof, j'ai fini par acquérir après de longues recherches la bible (ou presque) qu'il cite si régulièrement : Les yeux de la momie de Jean-Patrick Manchette. Recueil de chroniques écrites entre 1978 et 1982 pour Charlie Hebdo, ce beau pavé va certainement faire partie des (très rares) livres que je passe mon temps à ouvrir et ouvrir encore tout au long de l'année. Comme les chroniques de Daney, ma petite bible du western italien, La théorie des acteurs de Moullet et les livres d'entretiens avec Hitchcock et Hawks. Il faut dire que cette période correspond exactement à la naissance de ma cinéphilie aiguë, encore un peu jeune pour les salles de quartier qui fermaient les unes après les autres mais assez autonome pour m'inscrire à la cinémathèque (de Nice) et commencer à voir le plus de choses possible, à lire des livres sur et chercher une revue qui me donne envie de. Alors au fil des pages que j'ai déjà survolées, les souvenirs se ramassent à la pelle.

 

Je ferais peut être quelque chose sur Gordon Scott cet été. Sa disparition et les hommages discrets mais sincères qui ont suivi sur les blogs que j'aime lire m'ont ramené à ces films de mon enfance où se croisaient des acteurs plutôt limités mais charismatiques comme Lex Barker, Gerard Barray, Steve Reeves ou Fess Parker, souvenirs d'ailleurs plus liés à la télévision qu'aux salles. Jetez donc un oeil sur les remarquables documents du Greenbriar picture show. Tarzan en double programme avec Jerry Lewis, c'est pour Imposture, ça !

 

Je fais peut être un peu trop dans le western ces derniers temps, mais je vous ai quand même prévu un double programme pour le 15. En attendant Ford.

06/06/2007

Colizzi trilogie

Cela commence comme dans des dizaines de westerns par un petit train lancé à vive allure entre les collines brûlées par le soleil. La musique, inhabituelle, alterne un choeur façon « Dies Irae » et une douce ballade à la guitare. Un ballon rouge, une fanfare, le train ne s'arrête pas devant la population massée pour accueillir un nouveau juge et va s'encastrer contre un butoir un peu plus loin. On découvre alors, en une succession frappante de portraits macabres que tous les passagers ont été massacrés. Une main qui se soulève lentement, un homme, comme un mort vivant, s'extrait de dessous les cadavres et sort en titubant, marchant droit vers la campagne. Ce sont les cinq premières minutes de Dio perdona, io no (Dieu pardonne, moi pas) réalisé par Giuseppe Colizzi. D'entrée, les images se télescopent : l'arrivée du train mitraillé dans Les pirates du rail réalisé en 1937 par Christian Jaque, le turc choqué, sanguinolent et bien habillé qui sort du train attaqué dans Lawrence d'Arabie de David Lean, le montage des premières minutes de Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux) de Giulio Questi. Et puis ce plan sur la main, on se croirait dans un film d'horreur, disons chez Bava en plus éclairé. Dio perdona, io no est le premier film d'une trilogie western réalisée entre 1967 et 1969 avec le duo Bud Spencer et Terence Hill. C'est d'ailleurs le film fondateur de leur tandem (ils étaient sur un même peplum en 1959 sans se croiser à l'écran). Cela s'est d'ailleurs fait un peu par hasard, l'acteur initialement pressentit pour le rôle tenu par Hill s'étant blessé dès les premiers jours. Dans les trois films, Hill est Cat un chasseur de prime d'abord plutôt classique tandis que Spencer est Hutch, vague officiel mandaté par la compagnie de chemin de fer pour retrouver les auteurs du massacre motivé par le vol d'un paquet de dollars, bien entendu. Sans avoir réalisé un chef d'oeuvre méconnu, Colizzi nous offre un classique du genre ras la pellicule d'inventivité et de générosité. L'homme sait filmer et ne se prive pas d'expérimenter. Suivant une trame classique (trouver le bandit), il fait circuler entre les images et les regards des connivences secrètes entre ses héros. Cat et Hutch se connaissent, c'est donné pour acquit. Et ils connaissent celui qui a fait le coup et que l'on croyait mort (ah !) : Bill San Antonio, joué par l'excellent Franck Wolf, pilier du genre très connu pour son rôle en McBain, le fermier irlandais qui épouse Claudia Cardinale et se fait assassiner au début de C'éra une volta il west (Il était une fois dans l'ouest) de Léone. Entre San Antonio et Cat, il y a un vieux contentieux explicité en un long flashback, méthode éprouvée du western italien. Les motivations des uns et des autres ne sont pas toujours claires, mais ce que l'on en ressent donne sa cohérence au film et accroche le spectateur. A partir de ce petit monde habilement mis en place, Colizzi peut s'offrir des scènes de beau cinéma comme on en voit chez Léone, Sollima ou Corbucci. Outre la séquence d'ouverture, il y a le duel très tordu entre San Antonio et Cat, mise en scène élaborée d'une mise en scène, et une séquence presque surréaliste dans laquelle Cat se fait piéger et doit se battre pendu par les pieds comme le carillon d'une cloche humaine. Le duel final, sans être du même niveau, rappellera le final quelque peu sadique du premier Mad Max ce qui prouve que Georges Miller aussi a de solides références. Si le film n'est pas non plus une oeuvre majeure du genre, c'est que nombre d'autres scènes son traitées de façon plus banale et que le rythme n'est pas toujours soutenu. Le montage de Sergio Montanaro (Django et Texas addio, excusez du peu) est parfois virtuose, la photographie de Alfio Contini qui filmera le désert de Zabriskie Point pour Antonioni donne de belles ambiances nocturnes et rend envoûtante la séquence de l'incendie. La musique de carlo Rustichelli est remarquable avec ses choeurs religieux qui donnent le frisson. Le plus amusant, ce sont nos deux acteurs. Terence n'est pas encore Hill. Il la joue entre le Franco Nero de Django et Clint Eastwood avec une pointe d'acrobaties à la Gemma : laconisme, mâchoire serrée, cigarillo et regard bleu acier. Rusé et déterminé, c'est aussi un homme qui souffre. Il n'a pas encore le sourire angélique de Personne et cette décontraction qui fera son succès universel. Par contre Bud est déjà pleinement Spencer. Pas gros mais enveloppé, il assène déjà ses mandales à tuer un boeuf qui réjouissent ou irritent selon les goûts. Il a déjà ses soupirs exaspérés, son côté têtu et sa toute relative lenteur d'esprit. Naissance d'un mythe.
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I quattro dell'Ave Maria (Les quatre de l'Ave Maria) en 1968 commence là où s'arrête le film précédent. Cat et Hutch viennent toucher la prime pour San Antonio. Mais comme l'homme a été pulvérisé, ses bottes ne suffisent pas à convaincre la loi de payer. Ils font alors chanter un banquier de mèche avec le bandit et se découvrent nouveaux riches. Pas longtemps (Comme chez Corbucci, notables et nantis sont tous de sales types). A cette fin d'histoire se greffe celle de la vengeance de Cacopoulos (Ah, ce nom ! L'homme est d'origine grecque) joué par Eli Wallach qui a visiblement beaucoup plu à Colizzi chez Léone. Les vingt premières minutes posent les bases de fonctionnement du duo pour tous les films à venir. Des scènes de pure comédie avec Hutch qui se fait prendre en photographie, une bagarre burlesque et relativement gratuite qui met en valeur des styles complémentaires : puissance et grandes baffes sonores pour Spencer ; finesse athlétique pour Hill. Humiliation des puissants et désinvolture libertaire des héros pour les convenances et les bonnes manières. Puis Colizzi se rend compte qu'il a sans doute payé Wallach plus cher que les deux compères réunis et passe à autre chose : Cacopoulos Je vous passe les détails, le film se divise en trois grandes parties où les alliances se font et se défont entre les trois larrons et un acrobate nègre joué par Brock Peters, un peu plaqué (il était le chef du détachement noir dans Major Dundee de Peckinpah). Autant vous l'avouer de suite, je me suis endormi à ma première vision du film. J'ai mis cela sur le compte de la fatigue et je m'y suis remis courageusement. I quattro dell'Ave Maria est pourtant le plus connu du lot et tout amateur qui se respecte a entendu parler du duel final dans la maison de jeu au son d'une valse. Soit, néanmoins, le film m'est apparu un peu décevant. Il est à la fois mieux « fini » et du coup moins radical dans son expression. Il y a beaucoup de petites touches, de détails réjouissant comme le chat viré d'un coup de balai au début, la discussion au milieu des bébé dans leurs berceaux suspendus ou la fanfare qui déboule au milieu de la bagarre, mais cela sonne un peu gratuitement. Il n'y a pas une scène au niveau des meilleures du film précédent et le fameux duel final est certes admirablement composé mais trop brillamment exécuté pour être complètement sincère. Colizzi a toujours des problèmes de rythme, le film est un peu long (plus de deux heures) et les deux parties, l'une au Mexique, l'autre dans la maison de jeu ne raccordent pas bien. Ce sont deux films qui restent étrangers l'un à l'autre. Le film me semble souffrir du syndrome de monsieur plus.
 
Et puis surtout Colizzi a du mal à choisir entre l'approfondissement de la relation Cat – Hutch et Eli Wallach qui donne une variation bonasse du personnage léonien de Tuco. Il cite son grand père, tripote son komboloï (merci Tepepa), a quelques bonnes répliques, s'extirpe quelques poux mais cela reste de la variation. Seul moment de véritable émotion, lorsque celui qu'il croyait être son ami le rabaisse plus bas que terre. Une larme perle au coin de l'oeil qui nous touche. Le personnage de Peters ne sert pas à grand chose. La musique de Rustichelli est cette fois moins marquante même s'il donne à nouveau une fanfare façon Nino Rota. Mais je ne voudrais pas vous laisser sur une mauvaise impression car, à la seconde vision, le film se suit avec plaisir. La direction artistique est superbe et l'opulence de la production se ressent particulièrement dans la dernière partie, à la maison de jeux. Il y a toujours de belles compositions, le jeu entre les costumes impeccables des joueurs et les tenues débraillées des héros, entre les horizontales de la salle, de la table et les verticales des piliers et du système qui permet la triche. On sent aussi que tout le monde s'est bien amusé là-dedans et cela donne une légèreté à l'ensemble. Un plan quand même étonnant, j'ai mentionné dans le film précédent cette main fantastique dans le train. Lors du final, le méchant incarné par Kevin McCarthy, héros paranoïaque du Invasion of the Body Snatchers (L'invasion des profanateurs de sépulture) de Don Siegel, est submergé par la foule des joueurs en une image saisissante qui m'a irrésistiblement fait penser aux classiques des films de zombie. Désir refoulé de monsieur Colizzi ?
 
 
La collina degli stivali (La colline des bottes) clos le cycle l'année suivante. Le film ne boucle pas sur les deux précédents. C'est une autre histoire. Cela commence par la nuit, une petite ville. Cat est poursuivi par des tueurs, blessé il se réfugie dans un cirque. On l'aide. Un trapéziste est tué. Cat va le venger. Du classique sur lequel se greffe une bonne vieille histoire de mineurs terrorisés par un potentat local joué par Victor Buono (vu dans plein de feuilletons des années 60/70). Mineurs et gens du cirque vont s'allier sous la direction finaude de Cat qui ira chercher l'aide de son vieil ami Hutch. Le film est plaisant, si la mise en scène n'est guère plus marquante que dans l'opus deux, l'ensemble est plus intriguant : le cirque voyons, le cirque ! Qui donne un côté baroque, léger, un peu bouffon, un peu Fellini renforcé par une partition toujours de Rustichelli qui joue la carte de la musique de circonstance avec bonheur. Inspiré par cet élément, Colizzi offre des variations sur la scène, le jeu, le théâtre, avec notamment la scène finale qui s'inspire du Hamlet Shakespearien lorsqu'une pièce est donnée sous le chapiteau qui révèle au public les turpitudes du méchant. On regrettera que le film n'apporte pas grand chose à la relation Cat – Hutch si ce n'est ce principe souvent utilisé par la suite : C'est Hill qui va chercher Spencer pour le plonger le plus souvent à son corps défendant, dans les ennuis et la bagarre. Plus essentiel, La collina degli stivali est la véritable transition entre un western italien « classique » et le western de comédie. Les deux premiers films respectent les règles en vigueur en matière de violence et d'action. On tue beaucoup et souvent sèchement. L'humour est présent mais pas systématique. Virage dans ce dernier film, après un début assez sombre, la violence est largement désamorcée par l'humour. La bagarre finale se termine en une joyeuse empoignade sur un air entraînant et je n'hésite pas à la qualifier de clownesque. Cela s'impose. Nous n'en sommes pourtant pas encore à la série des Trinita qui finiront par éliminer complètement les morts violentes. Mais on s'en approche. Hill a beaucoup progressé, toujours athlétique mais plus décontracté. A ses côtés, avec Bud Spencer, on découvre avec plaisir quelques visages réjouissants : Lionel Stander, le tenancier de la posada chez Léone, vu chez Spielberg, Scorcese ou Polanski ; Woody Strode, l'inoubliable cavalier noir de John Ford, Georges Eastman compère en tripes de joe d'Amato ou encore Alberto Dell'Acqua qui jouait le frère de Franco Nero dans Texas Addio. Marcello Masciocchi assure à nouveau après I quattro dell'Ave Maria une photographie souvent nocturne et de belles ambiances sous chapiteau. De la belle ouvrage.
 
Giuseppe Colizzi est mort en 1978 après trois autres films. Une vie trop courte, une carrière de réalisateur trop courte. Il a écrit et réalisé ses trois westerns, produit le second, écrit une chanson pour le troisième. C'est sa femme qui l'assistait. Une manière d'auteur. S'il a manqué à ses films un supplément d'âme ou de talent pour en faire des oeuvres véritablement marquantes, il n'a manqué ni de générosité, ni d'idées, ni d'énergie, ni de sincérité. Comme l'écrit joliment Tepepa : « Tout ce qu’il faut et tout ce qu’on demande, pas plus, pas moins… ».

 

 
 Photographie : carteles

24/05/2007

Pensées du 23

Bruno Mattei est mort ce 21 mai, et avec lui sont morts Michael Cardoso, Norman Dawn, Pierre Le Blanc, Vincent Dawn, Bob Hunter, Frank Klox et la bonne vingtaine d'identités qu'il a pris au long d'une carrière bien remplie entre films de femmes en prison, péplums coquins, zombies approximatifs, cannibales de stock-shots, rats en tout genre et mercenaire en tutu vert. Qu'il me soit permis de rendre ici hommage à un grand maître de l'authentique série Z, qui ne recula devant rien. Absolument rien.

Il y a une quinzaine, j'ai revu The Magnificent seven (Les 7 Mercenaires), le film de John Sturges, histoire de participer à la discussion sur le forum western movies. L'occasion était bonne. Cette nouvelle vision m'inspire des réflexions proches de celles d'Hyppogriffe et de Pierrot sur le cinéma actuel. Rien à voir ? Pas sûr. Les années 40 et 50 sont un âge d'or pour Hollywood, une réussite tant économique qu'artistique. Le film de Sturges est emblématique du tournant que prennent les années 60. C'est plus un concept marketing bien huilé qu'une oeuvre : situations fortes, distribution d'icônes d'où surnage le personnage angoissé de Robert Vaughn, imagerie d'Épinal et quelques bonnes répliques. La réalisation est correcte mais sans âme. L'année d'avant était sortit Rio Bravo de Hawks, antithèse absolue du film de Sturges. Le problème, c'est que ce n'est pas Rio Bravo qui a donné le ton de la décennie à venir. Il faudra 10 ans et une nouvelle génération pour que le cinéma américain s'en remette.

C'est là que je cesse d'être d'accord avec Hyppogriffe. Les « movie brats » ou le gang des barbus (Spielberg, Coppola, Cimino, Scorcese, de Palma...) voulaient renouer sincèrement avec cet âge d'or et je ne les vois certes pas comme des imposteurs. Ce que je peux éventuellement leur reprocher, c'est de s'être laissé déposséder du pouvoir qu'ils avaient obtenu, à quelques exceptions prés. Aujourd'hui, le cinéma américain, ce sont des rouleaux compresseurs comme 300 et Spiderman 3. Ces dernières année, il est devenu de plus en plus difficile de suivre des oeuvres, de reconnaître des signatures comme on reconnaissait un premier plan de Hitchcock ou de Ford. Et de Spielberg.

Est-ce que ce n'est tout simplement pas moi qui vieillit ? Qui ait perdu un peu de mon entrain juvénile ? Peut être que Ben Stiller c'est bien Jerry Lewis et que je ne sais plus ce que je vois.

La semaine dernière j'ai découvert Dio perdona, io no (Dieu pardonne, moi pas) le premier film de Giuseppe Colizzi avec le tandem Bud Spencer et Terence Hill en 1967. Ce qui m'a frappé, c'est qu'il y a plus d'inventivité, de cinéma, dans les cinq premières minutes avec l'arrivée du train plein de cadavres que dans tout le film de Sturges (Je me suis posé la question de savoir si Colizzi connaissait Les pirates du rail, un film de Christian Jaque de 1937 avec une scène proche). Mais voilà, depuis quelques temps, je me demande pourquoi je me sens si bien avec les grands classiques où avec le cinéma de genre, et si peu motivé au fond par la grande majorité de ce qui sort.

Et le cinéma français dans tout cela ?

Je vois ça un peu pareil. Quand le cinéma américain a battu de l'aile dans les années 60, il a été supplanté par les nouvelles vagues des films venus du japon, d'Italie, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de France, d'Angleterre... En France, il y a eu une époque ou des auteurs pouvaient monter des projets ambitieux et trouver un public pour les suivre et leur donner les moyens nécessaires. C'est aussi comme ça que se fait le cinéma. J'aime bien cette idée qu'à l'époque, Belmondo pouvait passer de Verneuil et De Broca à Truffaut et Godard. Le problème aujourd'hui, enfin, l'un des problèmes, c'est que ça ne se fait quasiment plus, sauf Deneuve chez Garrel et Carax. Nous avons aujourd'hui une sorte de fracture toujours plus béante entre de grosses machines avec très peu de cinéma et beaucoup de moyens et de tout petits films, tout petits, petits, fait avec des bouts de ficelle et qui finissent non seulement par se ressembler tous mais encore par n'avoir guère plus de cinéma que les grosses machines. Tout le monde ne peut pas faire A bout de souffle où disons DjangoCarnival of souls, voilà qui serait marrant.

Christophe Honoré, par exemple. Je n'ai pas vu son film, Dans Paris, mais j'en ai lu beaucoup de bien, et puis aussi pas mal de mal : le fait d'être accroché à l'héritage de la nouvelle vague. 17 fois Cécile Cassard, déjà, il me manquait quelque chose malgré les 10 minutes de Balibar et Demy (tiens). Rebelote avec celui qu'il présente à Cannes : Les chansons d'amour. C'est une comédie musicale dans la ligne de Jacques Demy nous dit-on. Comme toutes les tentatives de comédie musicale depuis vingt ans, Resnais mis à part. J'adore Demy, mais je serais peut être plus excité si on me disait que la prochaine comédie musicale sera inspirée par Mark Sandrich ou Bob Fosse. Mieux, je rêve d'une comédie musicale violente et brûlante sur une musique de Noir Désir. Enfin quelque chose qui tranche un peu comme dans certains courts métrages étrangers que j'ai vu ici ou là.

Bon, ce qui manque, ce sont des films moyens, des films aux moyens moyens et donc susceptibles d'être autre chose que moyens. Des moyens à la hauteur de véritables ambitions. Un autre problème aujourd'hui, c'est que Rivette ou Podalydès ou Ferran ou Joffé ou même Beinex ait autant de mal à monter leurs projets et qu'ils tournent si peu. Et pendant ce temps là, les écrans sont saturés de pellicules improbables venues de transfuges de la télévision et de films qui tendent à devenir les bandes annonces du futur DVD collector à sortir sous six mois.

D'accord, tout cela reste assez général, quelques idées comme ça. Et puis j'exagère. En fait, le film dont je voulais vous parler, là maintenant, c'est Bouge pas, meurs et ressuscite de Vitali Kanevski. J'ai commencé à écrire et puis mon disque dur secondaire a sauté ce week end. Le texte est sans doute perdu, alors je suis un peu en rogne.

16/05/2007

Entretiens

Internet est fascinant quand il permet de diffuser des documents comme ceux-ci :


Chez Hyppogriffe, depuis mars, la traduction d'une conversation entre quatre cinéastes, Pierre Clémenti, Miklos Janscó, Glauber Rocha et Jean-Marie Straub, organisée par Simon Hartog à Rome en février 1970.

 

Partie 1

Partie 2

Partie 3


Sur Parole des jours, un entretien en 41 parties entre Jean-Luc Godard et Stéphane Zagdanski sur le cinéma et la littérature dont voici la première partie.

 


Chez Ludo « Z man », un entretien avec Jean Pierre Bouyxou en 8 parties dont voici la première. Au menu, l'auteur de la première histoire de la science-fiction au cinéma française y parle des films et des cinéastes qu'il aime : Rollin, Franco, Debord, O'Leary, Anger...



13/05/2007

Des barbelés sur la prairie

J'avais un souvenir très fort de Man without a star (L'homme qui n'a pas d'étoile - 1955) de King Vidor. Dempsey Rae, le personnage joué par Kirk Douglas est tabassé en pleine rue par Steve Miles (Richard Boone) et ses hommes. Entravé, ensanglanté, humilié, il gît dans la poussière, image vivante de la détresse. Alors qu'il se redresse, son revolver traverse soudain le champ pour tomber devant lui. Il se retourne pour découvrir Idonee, sublime Claire Trévor qui reprend là un personnage proche de la Dallas de Stagecoach (La chevauchée fantastique - 1939) de Ford. Elle apparaît dans une superbe contre-plongée, si forte et si digne. En lui lançant son revolver à la figure, elle lui rappelle ce qu'il est, un homme, « une espèce ancienne ». Et là, en un éclair, me revient la scène initiale de Rio Bravo de Hawks, tourné trois ans plus tard. Dean Martin, alcoolique, humilié, à terre, et l'irruption de la botte de John Wayne dégageant le crachoir dans lequel Martin va plonger la main pour récupérer un dollar et se payer encore un verre. Suit la même contre plongée et le même regard. Joli. Courage, déchéance, rédemption, violence, dignité. Tout est dit en deux plans et un geste. Tout ce qui fait du cinéma un grand art et de certains western du grand cinéma.

 

Man without a star est un film à la drôle d'histoire. Il arrive à une époque ou les grands studios hollywoodiens sont en pleine mutation. Les acteurs stars et certains réalisateurs s'émancipent et deviennent producteurs. De fait le film est à l'initiative de Douglas, hyperactif, qui repère quelques semaines de libres entre deux tournages. Borden Chase écrit le film, lui qui a travaillé sur Red River (La rivière rouge – 1948) de Hawks et Bend of the river (Les affameurs – 1952) d'Anthony Mann. C'est encore Douglas qui engage King Vidor le légende hollywoodienne de The Crowd (La foule – 1928) ou de Duel in the sun (Duel au soleil – 1946). En 1954, il est tout à la fois un réalisateur toujours prestigieux mais en fin de carrière et se préoccupe surtout de son adaptation de Guerre et paix qu'il tournera l'année suivante. Douglas, lui, c'est la nouvelle génération débordante d'énergie. Entre les deux hommes, le travail sera électrique. Douglas est pressé par le temps et veut trousser un bon western de série à petit budget. Vidor, sans doute nostalgique des fastes de Duel in the sun entendprendre son temps. A l'arrivée, Vidor reniera plus ou moins le film tandis que Douglas en revendiquera haut et fort (coucou mon hébergeur) la paternité. Alors que ces problèmes auraient pu mener le film à l'échec, le miracle se produit et le film bénéficie des qualités combinées de deux hommes qui transcendent la modestie des moyens. Man without a star est l'un des plus beaux westerns des années 50 et le prototype de ce qui va devenir le western crépusculaire.

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Man without a star c'est l'histoire classique des gros éleveurs qui veulent faire paître leurs troupeaux librement en « open range » contre les petits éleveurs qui cherchent à se protéger et à clôturer les pâturages avec du fil barbelé. C'est une histoire de vaches, donc un vrai western. Si on a l'esprit mal tourné, on peut en faire une lecture marxiste, gros capitalistes venus de l'est contre petits éleveurs familiaux. C'est surtout l'histoire d'un homme pris au milieu de tout cela, un homme qui voit revenir un passé douloureux et devra l'affronter.

 

De Vidor, le film a l'élégance des mouvements de caméra, le langage expressif du muet comme dans la scène décrite en introduction, le sens de l'épopée et de l'épique. La poursuite finale a cet aspect légèrement accéléré qui rappelle les grandes chevauchées de Walsh et Ford. Il y a aussi la dimension tragique, plus grande que nature des personnages, hommes et femmes aux caractères entiers, aux ambitions démesurées, aux passions sans limites, à la force morale inébranlable, bien dans la lignée des grands personnages de Vidor comme l'architecte demi-dieu de The Fountainhead (Le rebelle – 1949) joué par Gary Cooper. Vidor est sans doute aussi à créditer des deux beaux personnages féminins forts, relativement rares dans le genre. Il y a donc Idonee, jouée par Claire Trevor toute en finesse pour une figure classique, la prostituée qui a réussi et a su devenir une femme respectée. Comme la Vienna de Johnny Guitar, elle est surtout émouvante par sa beauté de femme qui a vécu et la force des sentiments que l'on devine encore envers un homme épris d'action et de liberté. Plus originale, Jeanne Crain joue Reed Bowman, l'impitoyable patronne du grand ranch, venue de l'est avec sa salle de bain, grand élément de comédie dans le film. Reed mène les hommes à la baguette, engage des tueurs et utilise ses charmes comme instrument de management. Elle est l'incarnation de la civilisation en marche. On sait que dans l'univers du western, la femme est redoutable et redoutée parce qu'elle siffle la fin de la récréation.

 

De Douglas, le film reçoit l'énergie et l'humour déjà utilisés par Hawks dans The big sky (La captive aux yeux clairs – 1952). Sa composition de Dempsey Rae, le cow-boy rebelle, insolent, charmeur et chanteur qui déteste les barbelés, est toujours à la limite de l'explosion. Explosion physique littérale lorsqu'il arrache sa chemise pour révéler ses cicatrices. Explosions régulières de sa violence qu'il tente de maîtriser. Explosion morale d'un homme qui est en fuite de lui-même, qui tente de se perdre dans l'abjection mais qui va trouver la rédemption au service des autres. Une thématique classique du western américain exemplairement illustrée ici. Douglas impose sa forte présence physique, sa nervosité, son visage tendu de carnassier, son regard brûlant de vie. Il joue en contrepoint de sa décontraction quand il se vautre dans le salon de sa patronne, de son humour quand il chante en s'accompagnant au banjo comme dans 200 000 lieues sous les mers ou The big sky. Il sait aussi donner de l'espace au jeune William Campbell qui joue Texas, le jeune homme qu'il prend sous son aile (le film est aussi une histoire d'initiation). Avec sa façon d'être, Douglas impose au film son rythme (le film fait 86 minutes chrono).

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L'un des aspects les plus intéressants de ce film est qu'il fait figure de précurseur des westerns dits crépusculaires. Des westerns qui vont interroger le rapport entre le passé et le futur, interroger l'histoire de l'Amérique en train de se construire. Pour schématiser, on pourrait dire que jusqu'à 1950, on raconte l'épopée, la naissance d'une nation. Puis les années 50 voient une plongée dans la psychologie du héros avec les films d'Anthony Mann, Bud Boetticher, The Searchers (La prisonnière du désert – 1956) de Ford et Rio bravo qui pourrait marquer la fin de ce cycle. A partir des années 60, avec l'arrivée de Sam Peckinpah et Sergio Léone, avec les remises en question de Ford, on porte un regard critique et se développe un discours sur les valeurs, l'arrivée de la civilisation souvent symbolisée, outre par la femme, par le chemin de fer. Le même chemin de fer qui introduit Dempsey Rae, cow-boy avec sa selle mais sans cheval. Douglas devait être sensible à cette thématique puisqu'il fera, en 1962, le très beau western crépusculaire et contemporain, Lonely are the brave (Seuls sont les indomptés) de David Miller. Man without a star c'est surtout cette histoire d'un homme qui a du mal à entrer dans le monde civilisé, de renoncer à sa liberté de sauvage pour une place dans la communauté. Rae est le cousin du Tom Doniphon l'homme qui tua Liberty Valance dans le film de Ford. Comme lui, il sait que son temps est passé, il accepte de se sacrifier en s'engageant à sa façon, violente et libre, pour faire triompher le progrès, un progrès tiède, tranquille et peu enthousiasmant à ses yeux, mais un progrès réel qui voit le triomphe du droit sur la loi de la force, qu'elle soit physique (Steve Miles le tueur à gage), ou économique (avec la belle Reed Bowman). Il passe le témoin à son jeune protégé et lui laisse l'avenir. La fin du film le voit repartir à cheval, solitaire, comme on dit dans Il était une fois dans l'Ouest : « Rien ne peut nous intéresser ni la terre, ni la fortune, ni la femme ». Rae s'éloigne vers un pays qui n'existe déjà plus mais il est du moins en paix avec lui-même.

 

A noter le visage encore jeune de Jack Elam dans un second rôle de brute, Jay C. Flippen en contremaître intègre, une musique peu marquante pour un western mais la belle balade chantée par l'inévitable Frankie Laine disparu au début de l'année.

 

 

Sur le western crépusculaire, Pibe-san me signale une belle programmation de la Cinémathèque de Toulouse (pour ceux qui sont dans la région).

Le DVD, belle restauration et présentation par Bertrand Tavernier

Skorecki sur le film

Francis Moury sur le film

Très belle critique sur Lumière.org

Photographies : source Soundtrackcollector et  El criticon

12/05/2007

Plongée / Contre plongée (à suivre)

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De haut en bas : Kirk Douglas et Claire Trévor dans Man Without a star de King Vidor (capture d'écran DVD Paramount), Dean Martin et John Wayne dans Rio Bravo de Howard Hawks (capture DVD Warner). 

09/04/2007

Et le lendemain...

Jeanne Balibar dirigée à nouveau par Jacques Rivette, j'en rêve depuis que Hyppogriffe me l'avait annoncé il y a de nombreux mois. Dès que Ne touchez pas la hache est sortit, j'ai laissé mon esprit vagabonder sur ce que je pourrais bien en écrire sur Inisfree, imaginant un texte baigné de l'admiration que j'éprouve pour la plus féline de nos actrices.

Première surprise, il me faut répartir également mes louanges entre Jeanne Balibar et son partenaire Guillaume Depardieu. Dès les premiers plans dans l'église du monastère si présente que j'avais l'impression d'en sentir le parfum, dès ce premier mouvement qui s'approche du dos massif du général Armand de Montriveau, Depardieu impose une présence physique qui appelle le souvenir des créations de son père à son meilleur pour Truffaut, Blier, Pialat ou Ferreri. Il est « une force qui va », massif, déterminé, maladroit un peu aussi, tentant de contenir l'énergie de l'ex-général d'Empire et explorateur africain, imposant cette densité au sein de la délicatesse immémoriale du couvent comme dans les précieux et vains salons parisiens de la Restauration.

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Face à cette force, le duchesse de Langeais est toute finesse de traits et de corps, presque fragile et pourtant animée d'un grand feu intérieur né de sa passion. Tout en elle est fait de contrastes violents : frivole et profondément amoureuse, coquette et idéaliste, calculatrice et abandonnée. Dans leur affrontement qui constitue le coeur du film, Rivette joue admirablement de leur complémentarité. J'avais pensé intituler cette chronique « Acier contre acier » selon les mots mêmes de Blazac repris par Rivette, mais le critique de Politis y a pensé avant moi. Du coup, celui que j'ai choisi est plus en relation avec le style du film. Car, seconde surprise pour moi qui ne suis pas un grand familier de l'oeuvre du réalisateur, Ne touchez pas la hache est un film dans la tradition des grands films muets. Précision des cadrages, majesté des plans et du rythme, force des ellipses, expression physique des acteurs, tout ramène à cet art devenu si rare. Et avec beaucoup d'humour Rivette utilise des intertitres qui scandent ses scènes : «Et le lendemain... », « trois mois plus tard » etc. La très belle scène finale m'a irrésistiblement fait penser aux histoires de vampires de Murnau ou Dreyer avec sa mer si étale, son navire, ses couloirs du couvent et la découverte du corps de la duchesse. Je suis persuadé que l'on pourrait voir le film avec un simple accompagnement au piano et que l'on s'y attacherait tout autant. Paradoxe à nouveau puisque c'est un film très dialogué et que la « tendre guerre » entre le général et la duchesse est une guerre des mots autant que des corps. Le film est construit entre ces deux niveaux : le verbal avec des dialogues brillants puisés à la source même du texte de Balzac et le non-verbal avec les mouvements des corps et les regards. Jeanne Balibar y excelle entre gestes calculés, gestes retenus, regards qui se perdent, éclairs de malice, bourrasques de passion. Rivette joue d'elle et avec elle comme d'un merveilleux instrument.

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Il est bon de se rappeler que les « cinéastes sources » de Rivette sont Alfred Hitchcock et Howard Hawks, tout deux maîtres de ce style formé à l'école du muet et sachant intégrer les ressources du son. Ce type de couple dans ce type de dispositif, pour peu que l'on y réfléchisse un instant, a donné chez eux de véritables sommets. Ce sont Cary Grant et Ingrid Bergman dans Notorious (Les enchaînés) et John Wayne aux côtés d'Angie Dickinson dans Rio Bravo. Plus j'y pense et plus je trouve que la scène ou Montriveau menace la duchesse qu'il a fait enlever de la marquer au fer rouge est l'équivalent de la scène ou Feather menace le shérif Chance de sortir avec sa guêpière. On retrouve la même insolence érotique chez Jeanne Balibar et le même mélange de séduction raide chez Guillaume Depardieu. Que l'un ait fait un drame et l'autre une comédie me semble accessoire. Je suppose aussi que l'on pourrait trouver des connivences secrètes avec le travail de Robert Bresson, surtout en ce qui concerne le lien à la religion, à la passion, à la croyance. Mais je ne n'aventurerais pas sur ce terrain qui m'est bien peu familier. Voici donc quelques réflexions qui voudraient faire sentir la richesse de cette oeuvre. Il faudrait aussi citer malgré ce que j'ai écris sur les références au muet, le travail sur le son, le craquement des parquets, la résonance des pavés, le frottement des étoffes. Il faudrait évoquer la photographie de William Lubtchansky avec ses ambiances à la bougie. Il faudrait étudier la façon que Rivette a, une fois encore, d'introduire l'esprit du théâtre dans son cinéma avec les jeux sur les rideaux, il faudrait parler des apparitions de Bulle Ogier et de Michel Piccoli. Il faut surtout voir ce film absolument et s'immerger dedans complètement.


Photographies : © Moune Jamet (source les films du Losange)

Site officiel du film

08/04/2007

Joyeuses Pâques

05/04/2007

300 zéros

Je n'avais pas vraiment prévu d'écrire sur 300. Non seulement je ne l'ai pas vu mais je n'en ai pas l'intention. J'éprouve pourtant le besoin rare mais impérieux de dire pourquoi. Et pourquoi aussi j'estime ce film détestable. Et le fait qu'il séduise un large public renforce ce besoin. Le film est une sorte de variation sur The 300 spartans (La bataille des Thermopyles), tourné en 1962 par Rudolph Maté dont ce fut l'avant-dernier film. De celui-ci, je vous entretiendrais un jour car c'est un film magnifique et Rudolph Maté fut un très grand chef opérateur et un excellent metteur en scène. Pour en rester à 300, c'est inspiré surtout d'une bande dessinée de Franck Miller, un dessinateur que j'adore et dont l'univers, violent, noir et blanc, a déjà inspiré un intéressant Sin City, intéressant mais pas non plus révolutionnaire.


A priori, un film comme celui-ci avait de quoi séduire l'amateur de peplum que je suis. Hélas, trois fois hélas, il est surtout emblématique d'une tendance lourde du cinéma actuel au niveau formel et plutôt répugnante sur le fond. Sur la forme, c'est ce que j'appelle le syndrome du Seigneur des anneaux. La surenchère numérique comme seul horizon artistique. Des figurants virtuels d'ici jusque là-bas, des angles de vue impossibles, des tours à se dévisser le cou, des puits jusqu'au fond de la terre, des effets visuels qui tiennent du jeu vidéo, un « montage » qui vise à l'accumulation des plans jusqu'à l'écoeurement, look branché piercing et cheveux gras pour des pantins en guise personnages, musique boum-boum et zéro cinéma. Je ne supporte plus, rendez moi les dinosaures de Ray Harryhausen, Steve Reeves et la charge de l'armée mexicaine dans Alamo !


j'ai revu il y a quelques jours A walk with Love and Death (Promenade avec l'amour et la mort) de John Huston. De celui-ci, je vous entretiendrais un jour car c'est un film magnifique et John Huston à son meilleur est un magnifique metteur en scène. Ce film se déroule pendant la guerre de cent ans. C'est l'un des plus beaux films fait sur cette période. A cette époque, la France était peu peuplée et les combats ne mettaient en jeu que quelques dizaines, quelques centaines au mieux de combattants. C'est ce que montre avec justesse Huston. Des engagement entre bandes, la confusion des combats entre paysans et chevaliers, la douleur et la violence. La difficulté qu'il y a à tuer quelqu'un. Je ne pense pas que Zack Snyder ait vu ce film. Adepte de monsieur Plus, il aligne, pour ce qui reste après tout un épisode historique, des hordes de perses qui ressemblent plus aux orques de Peter Jackson et va jusqu'à nous inventer des rhinocéros de combats. Ne nous gênons pas. Il est tellement plus facile de tuer des créatures irréelles. Mais cela reste quand même des envahisseurs perses et, en 2007, cela prend quand même un certain sens. Politique, le sens.


Sur le fond, 300 semble avoir atteint un joli niveau de bassesse. Je serais presque tenté d'employer l'adjectif rivettien d'abjection. Tout m'est venu de ce passage qui passe en boucle et que l'on peut voir dans la bande annonce : le roi de Sparte, Léonidas, s'engueule avec un émissaire perse. Visiblement pas content, il le balance dans un de ces fameux puits sans fond d'un coup de pied rageur dans la poitrine en écumant : « This is Sparta ! ». Léonidas est le héros de cette histoire. On le voit un peu plus loin enlacer une blonde pulpeuse dans un champ de blé sur fond de soleil numérique. C'est bien le héros. Un héros qui balance un émissaire dans un puits avec un bon mot destiné à séduire dans les cours de récréation. Sans remord. Rien à dire, c'est la classe américaine. Difficile de ne pas penser aux subtilités de Bush junior qui balance des missiles sur la Russie quand il teste un micro, c'est le même niveau.


J'ai revu il y a une quinzaine She wore a yellow ribbon (La charge héroïque) de John Ford. De celui-ci, je vous entretiendrais un jour car c'est un film magnifique et John Ford est l'un des plus grands poètes du cinéma. Ce qui m'a frappé cette fois, encore plus que les autres, c'est combien son héros, Nathan Brittles, l'un des plus beaux rôles de John Wayne, met d'ardeur à désamorcer les conflits. Il passe son temps et celui du film à éviter l'engagement avec les indiens comme il cherche à rendre la vie plus agréable à ses soldats. C'est le héros de l'histoire. Un héros à échelle humaine. Quelques années plus tard, John Wayne jouera Ethan Edwards dans The Searchers (La prisonnière du désert) toujours de Ford. Ethan est un raciste violent, caractériel, qui scalpe son ennemi. Mais Ford le montre comme tel : violent et caractériel, raciste au point de chercher obsessionnellement à tuer sa nièce enlevée et élevée par les indiens. Et c'est bien par son geste sublime de renoncement à cette part sombre de lui-même, à la fin du film, qu'il en devient le héros en retrouvant son humanité. Chez Ford enfin, celui qui n'a pas de considération pour un émissaire ne risque pas d'être le héros positif de l'histoire. C'est le colonel Thursday joué par Henry Fonda dans Fort Apache.


Dans le film de Maté, Léonidas est un roi noble qui exalte l'idée de sacrifice et de dignité. Il serait bien incapable du geste du Léonidas de Snyder. D'une façon plus générale, jusqu'à une époque récente, les héros étaient généralement ceux qui cherchaient à éviter l'affrontement et, quand celui-ci avait finalement lieu, ils en payaient le prix, dans leur chair ou leur esprit. Le héros était aussi celui qui savait dépasser ses pulsions de mort comme James Stewart chez Anthony Mann ou Glenn Ford chez Fritz Lang. Et quand à ceux qui cédaient à ces pulsion de mort, ils étaient montré dans toute leur ambiguïté. C'est la grande époque des anti-héros, ceux de Sam Peckinpah, de Michael Cimino, de William Friedkin... Rien de tout cela dans 300. Rien que la rhétorique de la loi du plus fort, de la loi du plus con. Et si peu à voir avec le cinéma.

04/04/2007

Illustration de la valeur travail

En clin d'oeil à la dernière note du bon Dr Orlof
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A nous la liberté ! - René Clair

Modern times (Les temps modernes) – Charlie Chaplin

Alexandre le bienheureux – Yves Robert

Il sorpasso (Le fanfaron) – Dino Risi

You cant take it with you (Vous ne l'emporterez pas avec vous)– Franck Capra

Un drôle de paroissien – Jean-Pierre Mocky

The ballad of Cable Hogue (La ballade de Cable Hogue) – Sam Peckinpah

Pierrot le fou – Jean-Luc Godard

Adieu Léonard – Pierre Prévert

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03/04/2007

Bug

J'aime beaucoup le cinéma de William Friedkin. L'homme pas trop, surtout depuis qu'il a tripoté son Rampage (Le sang du Châtiment - 1988) pour le faire coller à l'évolution (!) de sa pensée sur la peine de mort. Mais bon, l'homme et son œuvre, on sait qu'il faut faire la part des choses. Je dois donc être l'un des seuls à avoir apprécié son polar Jade qui l'avait remis en selle commercialement et l'un des rares à avoir vu et aimé son Blue Chips (1994) sur le monde du basket avec l'un des plus beaux rôles de Nick Nolte. Les fesses entre deux tabourets pour écrire poliment, Friedkin ne fait partie d'aucune famille à Hollywood. Il n'est ni assez rebelle pour figurer entre Cimino et Carpenter, ni assez docile pour jouer entre Cameron et McTiernan, ni assez barbu pour faire partie du clan Spielberg – Scorcese – Coppola. Son cinéma continue pourtant vaille que vaille à maintenir un regard original au sein d'une industrie qui ne favorise plus guère ce genre d'attitude.

Dans ce contexte, Bug, sa nouvelle œuvre, est une bonne nouvelle. Cela commence par un long et vaste mouvement aérien, planant au dessus d'un motel miteux en plein désert. J'ai pensé à A history of violence de Cronenberg quand la caméra s'avance vers la femme isolée sous le porche pour la faculté à créer, immédiatement, une ambiance lourde. Et puis l'on plonge sur Agnès jouée par Asley Judd, pour une dizaine de minutes éblouissantes, filmées au plus près afin de pénétrer l'angoisse de cette femme seule et misérable, belle encore, en butte au harcèlement téléphonique de son ex-compagnon, ex-taulard violent et fraîchement libéré.

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Le film déroule ensuite une histoire banale d'apparence, somme toute un peu mélo, avec la rencontre entre Agnès et Peter joué par Michael Shannon, un étrange jeune homme visiblement assez angoissé lui aussi. Premier basculement brutal lorsque, après la première nuit d'amour, Peter est piqué par un insecte (bug pour les non-anglophones). Cet insecte que l'on ne verra pas fait sortir le film de sa route balisée de la romance marginale pour les chemins tortueux de l'angoisse. Mais qui est vraiment Peter ? D'où vient-il ? La vérité est-elle ailleurs ? On replonge plus profondément dans l'univers mental des protagonistes à mesure que leur univers physique se réduit de pair avec le cadre, entre les quatre murs du motel.

Deuxième rupture, franchement traumatisante, lors de l'auto-arrachage de dent qui voit le film passer cette fois dans le fantastique horrifique et à travers le miroir jusqu'au final sur la corde raide. Mais comme je l'ai lu quelque part, moins on en sait en allant voir ce film, mieux c'est. Avec le long monologue d'Asley Judd, Friedkin nous entraîne au bout de son œuvre sans crainte de perdre certains de ses spectateurs en route. Marche ou crève ! On retrouve le même schéma de progression que dans L'exorciste, où l'on basculait du portrait naturaliste de cette mère-actrice dans l'étrange avec les premières perturbations de sa fille, Regan ; puis brutalement dans l'horreur avec les fameuses et terrifiantes montées d'escalier. Bug a de nombreuses similitudes avec ce film qui fit la gloire de Friedkin. Y compris lors des impressionnantes convulsions de Peter qui sont une citation littérale. On y retrouve aussi la fascination pour le Mal, un mal qui est nécessairement à l'intérieur des êtres. Un mal qui se manifeste de façon violemment physique. On pourra bien sûr y lire diverses métaphores sur l'Amérique d'aujourd'hui, mais ça ne me semble pas l'essentiel. Même si Peter cite à un moment deux icônes du « mal » réel : Jim Jones, gourou de je ne sais plus quelle secte d'illuminés et Timothy McVeight, auteur de l'attentat d'Oklahoma City.

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Bug est aussi une sorte de film somme dont les images ramènent aux grands moments du cinéaste. Le visage inondé de sang de Rampage, La boîte homo de Cruising (1980), la violence physique et le feu de To live and die in L.A. (Police fédéral Los Angeles - 1985), les névroses obsessionnelles de « papa » Doyle dans French Connection (1971) et de tous les autres.

A la projection, je me suis fait plusieurs fois la remarque que le dispositif de mise en scène était très théâtral. Unité de lieu, de temps, importance des dialogues et grand scène finale autour d'un long monologue. Et puis j'ai vu au générique de fin que le film était bien adapté d'une pièce. Une pièce de Tracy Letts adaptée par elle même après que Friedkin ait été subjugué par une représentation. Quelle intuition, ce Vincent. Friedkin a respecté la source de son matériau d'origine et en a fait la force de son film. Rigueur et détermination. Une force qui vous laisse pantelant quand se rallument les lumières de la salle. Oui, Bug est une bonne nouvelle, celle que Friedkin bande encore puisqu'il filme et filme encore.

Photographies : © Metropolitan FilmExport

27/03/2007

Du bon usage de La Marseillaise (histoire de s'inviter dans le débat)

07/03/2007

Le grand sourire

Je crois que je me souviendrais toujours de l'effet que me fit le final du Grand silence, le film de Sergio Corbucci. A ceux qui ne l'ont jamais vu et en ignorent tout, je conseille de lire une autre note de ce blog. Les autres me comprendront. C'était donc au début des années 80, à la télévision, un après midi. Je me souviens en être resté choqué, littéralement, d'avoir appelé un ami pour lui dire : « Mais tu as vu ce film, là, il manque pas un morceau ? ». C'était cela l'idée générale : je n'arrivais pas à croire ce que je venais de voir. Je ne voulais pas le croire et, pendant le générique de fin, j'espérais encore que quelque chose de normal allait se passer. Et je me souviens très bien que j'étais persuadé que le shérif, joué par Franck Wolf, allait surgir et régler son compte à l'abominable Tigrero, joué avec délectation par Klaus Kinski. C'était dans la logique du western classique. Je crois que, sur le coup, j'ai véritablement haï le film. Détesté son réalisateur, son scénariste, ses acteurs et toute son équipe. Plus tard, j'ai appris à apprécier l'ironie de tout cela et, petit à petit, j'ai appris à l'aimer. J'ai appris aussi qu'une fin alternative avait été tournée pour le film, pour les États-Unis semble-t'il, une fin positive qui rendait bien compte de l'ampleur de la transgression de Corbucci. Mais je ne savais pas ce qu'il y avait dans cette fin. Elle a été éditée dans le DVD de Canal+ et, voici quelques jours, je l'ai découverte sur Youtube. Et bien, figurez vous que c'est bien mon idée qui était la bonne. C'est bien le shérif qui surgit pour sauver la mise à Silence – Trintignant ! Étonnant non ? Voici donc ce morceau culte, hautement improbable, virant à la parodie avec ce superbe sourire de Trintignant et le clin d'oeil au final de Pour une poignée de dollars de Léone.

 

Tepepa avait joliment écrit que l'on pouvait voir ces images comme l'ultime rêve de Silence, la façon dont il aurait voulu que ça se passe. C'est surtout le fantasme du spectateur qui, comme moi habitué à des dizaines de duels remportés quelques soient les difficultés par les bons, se refuse à accepter la victoire totale du mal et cherche la moindre échappatoire pour son imagination. Et je crois que Corbucci a intentionnellement laissé planer le doute sur le sort du shérif pour laisser ouverte cette soupape à son public. Et mieux asséner son final nihiliste. On aura beaucoup écrit et parlé autour de cette fin. Foin de métaphysique et de politique, Corbucci a, avec humour, vengé des générations de méchants de James Bond, de romains d'Astérix, de Daltons, d'apaches attaquant les diligences, d'Iznogoud, de Shérif de Nottingham, tous qui malgré les plans les plus sophistiqués ont toujours fini par échouer. Et de répondre à la question que l'on se pose tous : « Et s'ils gagnaient pour une fois à la fin ? ».

Bonus : Jean-Louis Trintignant parle du film sur une archive de l'INA 

05/03/2007

Temps oubliés

Le bon Dr Orlof n'hésitant pas à plonger dans les tréfonds du cinéma bis, voire ter, j'ai voulu apporter ma pierre à l'édifice du regard critique sur ces films qui, sans nous, seraient à jamais couverts du sombre voile de l'oubli. The people that time forgot (Le continent oublié, 1977) de Kevin Connor, est la séquelle directe de The Land that time forgot (Le sixième continent, 1975) et le troisième volet d'une tétralogie inspirée des écrits d'Edgar Rice Burroughs (avec un peu de Jules Verne quand même) comprenant également At the earth's core (Centre terre, septième continent, 1976) et Warlords of Atlantis (Les sept cités d'Atlantis, 1978). Le premier de la série est un film qui a marqué mon enfance avec son sous marin découvrant un monde perdu au milieu de la banquise, monde peuplé de dinosaures en caoutchouc, d'hommes préhistoriques, de volcans en éruption, de héros inoxydables et de sauvageonnes charmantes. Ce film que je n'ai jamais revu, typique d'un cinéma fantastique pré-Star Wars, avait tout pour réjouir l'enfant de 10 ans que j'étais alors. Il avait également eu pas mal de succès et donc une première suite fut mise en route.

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A suivre les nombreuses péripéties, je me dis que le scénariste Patrick Tilley a du soigneusement étudier Le secret de la planète des singes, la première séquelle du chef d'oeuvre de Franklin J. Schaffner réalisée en 1969 par Ted Post. On retrouve donc un nouveau héros (Ici Patrik Wayne fils de son père) partit en expédition à la recherche du héros du film précédent (Doug McClure). Arrivé dans le monde perdu, il retrouve la trace de son collègue grâce à une belle femme préhistorique et leur périple les amène dans une étrange cité de mutants vénérant une puissance dévastatrice (une bombe H ici, un volcan là). Les deux héros se retrouvent dans la prison des mutants et s'évadent. La puissance dévastatrice fait tout péter, monde perdu comme planète entière, mais l'essentiel des héros du continent oublié s'en sortent ce qui fait du film de Connor un film moins pessimiste que celui de Post. Mauvaise pioche pour le scénariste, le second volet des histoires simiesques est d'assez loin le plus mauvais, un authentique navet label rouge. Tilley et Connor en reproduisent malheureusement avec application les incohérences et naïvetés, la moindre n'étant pas la facilité avec laquelle le héros (le nouveau je veux dire) rencontre la sauvageonne au milieu de toute cette jungle. Le film perd avec dignité toute crédibilité par paliers. Au premier étage, le premier dinosaure, une sorte de stégosaure utilisé comme treuil. Second étage, la rencontre avec la belle Ajor, dont le décolleté sublime, la coiffure impeccable et le teint délicieusement halé la hissent à la hauteur des prestations similaires de Raquel Welch, Martine Beswick ou Victoria Vetri. Troisième étage, la découverte des mutants qui fait basculer le film dans le carnavalesque avec leurs armures japonaises et leur palais façon Conan. En passant, c'est David Prowse qui joue l'exécuteur, Prowse qui n'a pas joué que Dark Vador dans sa vie. Dernier étage, le combat avec le monstre de la caverne, grand moment de n'importe quoi qui force le respect par le sérieux manifesté par les acteurs. Pourtant...

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Pourtant, le film dégage encore un certain charme. Il est facile d'ironiser sur les effets spéciaux et j'imagine que ceux qui n'ont connu que les prouesses du numérique disqualifieront aisément les monstres statiques de ce monde oublié. Mais les décors de la première partie, la banquise dans la brume, le vieil hydravion, fonctionnent bien. L'atterrissage catastrophe rappelle ceux du film de Howard Hawks, Seuls les anges ont des ailes. La musique de John Scott est une belle réussite, ample, aux sonorités tout à tour épiques ou étranges dans la lignée du travail de Jerry Goldsmith sur La planète des singes. Kevin Connor a un certain sens du rythme et une scène comme l'attaque du ptérodactyle est habilement montée. Il est aussi nettement plus à l'aise dans les extérieurs (tournage aux Canaries) que dans les décors de carton pâte qu'il peine à faire exister un minimum. Reste que j'apprécie toujours que les acteurs prennent leurs rôles au sérieux dans de telles conditions et ne succombent pas au second degré facile. Patrick Wayne est un héros correct qui marche sur les traces de son père dans le style célibataire bourru un poil machiste, Sarah Douglas campe une héroïne émancipée avec humour, ce qui lui vaudra, j'en suis resté surpris, une nomination aux oscars. Dans les seconds rôles, outre David Prowse, il faut mentionner Thorley Walters, pilier de la Hammer Films, en savant forcément farfelu, Doug McClure en héros invité et, surtout, surtout, la très belle Dana Gillespie dans le rôle du fantasme adolescent, Ajor, femme des cavernes à la sensualité nature. Pour elle, il sera beaucoup pardonné à ce monde perdu en mode mineur.

Photographie : capture DVD MGM et meekermuseum

Une belle série de photographies sur Monster Island

Critique sur DVDcritiques

Critique sur scifilms (en anglais)

Critique sur 100misspenthours (en anglais)

Critique sur Monster Hunter (en anglais)

Le DVD

27/02/2007

Petit coup de nostalgie

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Il ne faut jamais revenir
aux temps cachés des souvenirs
du temps béni de son enfance.
Car parmi tous les souvenirs
ceux de l'enfance sont les pires,
ceux de l'enfance nous déchirent.

Barbara

 

26/02/2007

Les défaitistes de tout poil vous saluent bien

Il y a quelques jours, le dépliant publicitaire Métro publiait un entretien avec notre ministre de la culture RDDV. Extraits (Entretien intégral ICI) :

Je suis très heureux de voir qu’il y a un public de plus en plus nombreux pour le cinéma français. Il y a un nombre de films produits tout à fait considérable, 203 en 2006, et la part du cinéma français en salles est plus considérable que jamais. Ce qui montre aux défaitistes de tout poil qu’on peut ne pas subir une domination extérieure dans le domaine du cinéma.

[...] je crois que tout le système français est bâti au maximum pour épauler les indépendants.

Un risque de formatage ? Mais jamais le cinéma d’auteur n’a été aussi vivant ! Il rencontre un grand succès public, même s’il y a de l’inquiétude sur l’audience du cinéma à la télévision, concurrencée par les séries américaines.

Passablement énervé, j'ai commencé à ruminer un texte et puis, ce matin, Libération publie le texte du discours de Pascale Ferran aux Césars. Ca me semble bien comme réponse.

Nous sommes nombreux dans cette salle à être comédien, technicien ou réalisateur de cinéma. C’est l’alliance de nos forces, de nos talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français.

Par ailleurs, nous avons un statut commun: nous sommes intermittents du spectacle. Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non; soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment d’heures, soit, à l’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes non-travaillées. C’est un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Ils produisaient une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film, et aussi entre les générations.

Depuis des années, le MEDEF s’acharne à mettre à mal ce statut, en s’attaquant par tous les moyens possibles à la philosophie qui a présidé à sa fondation. Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De réformes en nouveau protocole, il est arrivé à transformer un système mutualisé en système capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités. Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches.

Or, au même moment exactement, à un autre bout de la chaîne de fabrication des films, d’autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du système de financement des films qui aboutit d’un côté à des films de plus en plus riches et de l’autre à des films extrêmement pauvres.

Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français.

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du milieu - justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres - étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur. Leurs auteurs - de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à Alain Resnais - avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art cinématographique. Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions. Or, ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploient très méthodiquement à faire disparaître.

En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français. Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goût des spectateurs; alors même que, pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde. Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le goût du public puis cherche à nous opposer. Elle n’est pas loin d’y arriver. Les deux systèmes de solidarité - entre les films eux-mêmes et entre ceux qui les font -, ces deux systèmes qui faisaient tenir ensemble le cinéma français sont au bord de la rupture.

Alors peut-être est-il temps de nous réveiller. Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour le cinéma, aussi puissant soit-il, n’y suffira pas. Peut-être est-il temps de se battre, très méthodiquement nous aussi, pour refonder des systèmes de solidarité mis à mal et restaurer les conditions de production et de distribution de films qui, tout en donnant à voir la complexité du monde, allient ambition artistique et plaisir du spectacle. Nous n’y arriverons pas, bien sûr, sans une forme de volonté politique d’où qu’elle vienne. Or, sur de tels sujets, force nous est de constater que celle-ci est désespérément muette.

Mais rassurons-nous. Il reste 55 jours aux candidats à l’élection présidentielle pour oser prononcer le mot «culture».


20/02/2007

Hommages

L'esclave libre

Photographie : IMDB - Paul Hesse 

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Un ange passe...

Photographie : IMDB 

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 Si toi aussi tu m'abandonnes...
 

14/01/2007

Copinage

De façon assez flagrante, Internet a révolutionné le fanzinat. Pour ceux qui s'y sont intéressé, dans les années 70 et 80, c'était le bon temps des maquettes bricolées, des articles passionnés, des tirages microscopiques, des photocopies approximatives, des séances d'agrafage et de mise sous pli. Le bonheur. Sites et blogs ont changé tout cela mais il reste des poches de résistances. L'évènement avait été annoncé cet été, mon ami Derry Sciarra vient de sortir un numéro spécial de son fanzine, New Rockin'Nice consacré à notre ami à tous (et toutes) Giuliano Gemma. Plus de 80 pages, des vraies, pour 15 euros (port compris) qui se commandent auprès de l'auteur : derry.sciarra@wanadoo.fr. Et une information : le prochain numéro sera consacré à Michel Constantin. Que l'on se le dise.
 
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13/01/2007

Quintessence du marxisme