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05/04/2007

300 zéros

Je n'avais pas vraiment prévu d'écrire sur 300. Non seulement je ne l'ai pas vu mais je n'en ai pas l'intention. J'éprouve pourtant le besoin rare mais impérieux de dire pourquoi. Et pourquoi aussi j'estime ce film détestable. Et le fait qu'il séduise un large public renforce ce besoin. Le film est une sorte de variation sur The 300 spartans (La bataille des Thermopyles), tourné en 1962 par Rudolph Maté dont ce fut l'avant-dernier film. De celui-ci, je vous entretiendrais un jour car c'est un film magnifique et Rudolph Maté fut un très grand chef opérateur et un excellent metteur en scène. Pour en rester à 300, c'est inspiré surtout d'une bande dessinée de Franck Miller, un dessinateur que j'adore et dont l'univers, violent, noir et blanc, a déjà inspiré un intéressant Sin City, intéressant mais pas non plus révolutionnaire.


A priori, un film comme celui-ci avait de quoi séduire l'amateur de peplum que je suis. Hélas, trois fois hélas, il est surtout emblématique d'une tendance lourde du cinéma actuel au niveau formel et plutôt répugnante sur le fond. Sur la forme, c'est ce que j'appelle le syndrome du Seigneur des anneaux. La surenchère numérique comme seul horizon artistique. Des figurants virtuels d'ici jusque là-bas, des angles de vue impossibles, des tours à se dévisser le cou, des puits jusqu'au fond de la terre, des effets visuels qui tiennent du jeu vidéo, un « montage » qui vise à l'accumulation des plans jusqu'à l'écoeurement, look branché piercing et cheveux gras pour des pantins en guise personnages, musique boum-boum et zéro cinéma. Je ne supporte plus, rendez moi les dinosaures de Ray Harryhausen, Steve Reeves et la charge de l'armée mexicaine dans Alamo !


j'ai revu il y a quelques jours A walk with Love and Death (Promenade avec l'amour et la mort) de John Huston. De celui-ci, je vous entretiendrais un jour car c'est un film magnifique et John Huston à son meilleur est un magnifique metteur en scène. Ce film se déroule pendant la guerre de cent ans. C'est l'un des plus beaux films fait sur cette période. A cette époque, la France était peu peuplée et les combats ne mettaient en jeu que quelques dizaines, quelques centaines au mieux de combattants. C'est ce que montre avec justesse Huston. Des engagement entre bandes, la confusion des combats entre paysans et chevaliers, la douleur et la violence. La difficulté qu'il y a à tuer quelqu'un. Je ne pense pas que Zack Snyder ait vu ce film. Adepte de monsieur Plus, il aligne, pour ce qui reste après tout un épisode historique, des hordes de perses qui ressemblent plus aux orques de Peter Jackson et va jusqu'à nous inventer des rhinocéros de combats. Ne nous gênons pas. Il est tellement plus facile de tuer des créatures irréelles. Mais cela reste quand même des envahisseurs perses et, en 2007, cela prend quand même un certain sens. Politique, le sens.


Sur le fond, 300 semble avoir atteint un joli niveau de bassesse. Je serais presque tenté d'employer l'adjectif rivettien d'abjection. Tout m'est venu de ce passage qui passe en boucle et que l'on peut voir dans la bande annonce : le roi de Sparte, Léonidas, s'engueule avec un émissaire perse. Visiblement pas content, il le balance dans un de ces fameux puits sans fond d'un coup de pied rageur dans la poitrine en écumant : « This is Sparta ! ». Léonidas est le héros de cette histoire. On le voit un peu plus loin enlacer une blonde pulpeuse dans un champ de blé sur fond de soleil numérique. C'est bien le héros. Un héros qui balance un émissaire dans un puits avec un bon mot destiné à séduire dans les cours de récréation. Sans remord. Rien à dire, c'est la classe américaine. Difficile de ne pas penser aux subtilités de Bush junior qui balance des missiles sur la Russie quand il teste un micro, c'est le même niveau.


J'ai revu il y a une quinzaine She wore a yellow ribbon (La charge héroïque) de John Ford. De celui-ci, je vous entretiendrais un jour car c'est un film magnifique et John Ford est l'un des plus grands poètes du cinéma. Ce qui m'a frappé cette fois, encore plus que les autres, c'est combien son héros, Nathan Brittles, l'un des plus beaux rôles de John Wayne, met d'ardeur à désamorcer les conflits. Il passe son temps et celui du film à éviter l'engagement avec les indiens comme il cherche à rendre la vie plus agréable à ses soldats. C'est le héros de l'histoire. Un héros à échelle humaine. Quelques années plus tard, John Wayne jouera Ethan Edwards dans The Searchers (La prisonnière du désert) toujours de Ford. Ethan est un raciste violent, caractériel, qui scalpe son ennemi. Mais Ford le montre comme tel : violent et caractériel, raciste au point de chercher obsessionnellement à tuer sa nièce enlevée et élevée par les indiens. Et c'est bien par son geste sublime de renoncement à cette part sombre de lui-même, à la fin du film, qu'il en devient le héros en retrouvant son humanité. Chez Ford enfin, celui qui n'a pas de considération pour un émissaire ne risque pas d'être le héros positif de l'histoire. C'est le colonel Thursday joué par Henry Fonda dans Fort Apache.


Dans le film de Maté, Léonidas est un roi noble qui exalte l'idée de sacrifice et de dignité. Il serait bien incapable du geste du Léonidas de Snyder. D'une façon plus générale, jusqu'à une époque récente, les héros étaient généralement ceux qui cherchaient à éviter l'affrontement et, quand celui-ci avait finalement lieu, ils en payaient le prix, dans leur chair ou leur esprit. Le héros était aussi celui qui savait dépasser ses pulsions de mort comme James Stewart chez Anthony Mann ou Glenn Ford chez Fritz Lang. Et quand à ceux qui cédaient à ces pulsion de mort, ils étaient montré dans toute leur ambiguïté. C'est la grande époque des anti-héros, ceux de Sam Peckinpah, de Michael Cimino, de William Friedkin... Rien de tout cela dans 300. Rien que la rhétorique de la loi du plus fort, de la loi du plus con. Et si peu à voir avec le cinéma.

Commentaires

Je suis exactement dans le même cas que toi, je n'ai pas vu 300 et j'aime bien Frank Miller. Par contre j'ai sacrément envie de le voir ce 300, malgré les tonnes de critiques négatives disponibles ici et là.
Ton texte est intéressant mais il est quand même difficile d'émettre un jugement sur une simple bande annonce. La critique sur le fond ne me paraît pas pertinente, tous ceux qui l'ont vu conviennent que les accusations de bushisme sont sans fondement: c'est juste un film avec des types prêts à mourir et plein de bastons, point. En fait j'ai bien peur que 300 soit un film sans fond, comme le puit dans lequel l'émissaire est projetté.
J'aime bien ton analyse sur l'émissaire: un type qui balance un émissaire dans un puit ne peut-être un vrai héros. Mais là encore tu juges sans avoir vu le film, on ne sait pas exactement pourquoi il le balance dans le puit cet émissaire après tout. Le mauvais traitement aux émissaires est en général le fait des puissants qui se croient supérieurs (le cas excellent de Thursday dans Fort Apache), ici c'est une poignée d'hommes acculés qui démontrent leur détermination par ce geste (mais bon, je ne sais pas, je n'ai pas vu le film non plus...).

Reste donc la forme qui mérite ici toute notre attention, vu qu'il n'y a sans doute que cela. Tu réclames le retour des dinosaures articulés, mais ces mêmes dinosaures articulés provoquaient sans doute la même réaction à l'époque: une tendance lourde à vouloir montrer des bébètes du début à la fin, la mer rouge qui s'ouvre dans un fracas d'effet spéciaux, les maquillages toujours plus réalistes: rendez moi mon Ben Hur de 1921! C'est donc toujours un peu le même conservatisme face aux évolutions du cinéma. Sans forcément applaudir béatement devant tout ce qui est nouveau, j'aime beaucoup l'aspect visuel de la bande annonce de 300, et je trouve très réussis les effets spéciaux du King Kong de 2005. Même si ça m'énerve de voir les gens s'extasier devant des effets numériques le plus souvent ratés, je trouve que ces deux films (300 et King Kong) ont réussi quelque chose de neuf au niveau visuel, qui ne me fait pas regretter le passage vers le tout numérique.

Écrit par : tepepa | 14/04/2007

Salut Tepepa. Merci de ton passage.

Sur le principe, ce qui m'intéressait; c'était justement de réagir par rapport à l'image que ce film a donné de lui, via sa bande annonce et tout ce qui a circulé sur Internet. Tu sais que c'est comme ça que ses producteurs ont "fait monter la sauce" sur le film. C'est donc bien ce qui a été mis en avant, le "this is Sparta" en particulier, que je critique.

Mais, comme toi, je n'ai pas manqué de vouloir en savoir plus. Sur les motivations en particulier. Alors le film, je l'ai vu, si l'on peut dire, il est sur dailymotion. Ceci fait je persiste et signe. Tous les personnages sont caricaturaux, tout le temps dans la posture, les combats interminables et les effets lourds à force d'être martelés. Le seul point sur lequel je me suis trompé, c'est que l'héroïne est brune et non pas blonde.

Je crois que ce qu'ils ont voulu faire, c'est coller à la BD. Le problème, c'est que ce qui passe en graphisme, sur une case, ne fonctionne pas sur la durée d'un plan. Et, j'avoue que c'est personnel, je n'adhère pas à l'esthétique du film (même si je comprends bien qu'elle puisse en séduire certains).

Sur le fond, pour en avoir pas mal discuté, je trouve tellement clair l'idéologie de 300 que je ne comprends pas comment on peut ne pas la voir. Comment qualifier le fait d'avoir fait de Xerxès une folle pleine de piercing montée sur un char de gay-pride cauchemardé par De Villiers si ce n'est d'homophobie ? Comment ne pas voir dans les multiples allusions à la débauche vue comme l'enfer soi-même le discours conservateur américain actuellement dominant ? C'est peut être parce que c'est si gros que ça passe.

Le cinéma de divertissement a toujours eu un fond, mais c'est le plus redoutable parce qu'il est toujours bien caché. Si tu en as l'occasion, je te conseille la lecture de "propagandes silencieuses" d'Ignacio Ramonet qui a très bien décrit la façon dont on passe les idéologies sous couvert de la légèreté et de la distraction. Le cinéma de genre a toujours été le révélateur de son époque. Tu sais bien ce qu'il en a été avec le western italien. Je pense que donc que 300 a un fond, un fond nauséabond et d'autant plus dangereux qu'il le fait passer en masse à des spectateurs qui vont, de bonne foi, passer "un bon moment".

Sur le numérique, je n'ai rien contre les effets mais je conteste certains usages. J'apprécie ce qu'en font Hark, Spielberg, Rohmer, Jeunet, Cameron... mais je ne suis pas d'accord quand l'effet tend à retirer la dimension humaine. Ce que je regrette du King Kong original, c'est la perte de la poésie et de l'érotisme. Ce que je regrette d'Alamo, c'est ce plan sur les femmes des soldats mexicains après la bataille. Wayne, qui n'était pourtant pas un gauchiste, rappelle dans un tel plan l'humanité des adversaires. Rien de tel chez Snyder, au contraire, il use et abuse des effets pour déshumaniser complètement les perses. Et regarde la tête qu'ils ont fait au traître grec ! Au final, je crois que le pire des défauts du film est son absence totale d'humour. Enfin, ça peut se défendre au second degré.

Bon, sinon, j'espère que tu verras un jour proche « Fort Apache ». J'aurais même une proposition à te faire à ce sujet.

Écrit par : Vincent | 15/04/2007

Ah mais tu triches :-). Si en fait tu as vu le film, je ne peux que m'incliner!
J'aime beaucoup Alamo mais je ne suis pas sûr que l'idélogie qui se cache derrière soit meilleure. En montrant l'humanité de Santa Anna qui laisse partir femmes et enfants, Wayne glorifie la guerre. la guerre "propre" avec ses codes d'honneur et ses règles...

Mais sinon, je l'ai vu "Fort Apache":
http://www.dvdrama.com/blog/tepepa/6364/

Écrit par : tepepa | 16/04/2007

Désolé, je t'avais mal compris sur "Fort Apache". C'est d'autant plus idiot que j'avais lu ton texte. Bon, triché, je ne sais pas, je crois que je me suis posé la même question que toi, de savoir ce qui avait provoqué le coup du puits. En fait rien de bien neuf, diabolisation en règle du messager pour justifier le massacre.

Sur Alamo, je suis d'accord avec toi. Ce film, comme d'ailleurs la première version de l'histoire des spartiates, a une idéologie marquée par la lutte necessaire contre le communisme (venu du sud ou de l'est). Mais Wayne comme Maté respectent un minimum l'adversaire et n'oublient pas de les montrer comme des hommes. J'aime beaucoup les petites touches de Wayne dans ce sens, ces plan après la bataille, l'admiration d'un trappeur pour le courage des mexicains... C'est vrai que ça tend à humaniser la guerre mais en même temps l'évacuation des civils est un fait historique et puis le final est suffisament violent (la mort de Crockett et Bowie avait choqué à l'époque) pour remettre un peu les choses d'aplomb. Ca me rappelle aussi un film formidable : "Zoulou".

Écrit par : Vincent | 19/04/2007

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