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06/06/2007

Colizzi trilogie

Cela commence comme dans des dizaines de westerns par un petit train lancé à vive allure entre les collines brûlées par le soleil. La musique, inhabituelle, alterne un choeur façon « Dies Irae » et une douce ballade à la guitare. Un ballon rouge, une fanfare, le train ne s'arrête pas devant la population massée pour accueillir un nouveau juge et va s'encastrer contre un butoir un peu plus loin. On découvre alors, en une succession frappante de portraits macabres que tous les passagers ont été massacrés. Une main qui se soulève lentement, un homme, comme un mort vivant, s'extrait de dessous les cadavres et sort en titubant, marchant droit vers la campagne. Ce sont les cinq premières minutes de Dio perdona, io no (Dieu pardonne, moi pas) réalisé par Giuseppe Colizzi. D'entrée, les images se télescopent : l'arrivée du train mitraillé dans Les pirates du rail réalisé en 1937 par Christian Jaque, le turc choqué, sanguinolent et bien habillé qui sort du train attaqué dans Lawrence d'Arabie de David Lean, le montage des premières minutes de Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux) de Giulio Questi. Et puis ce plan sur la main, on se croirait dans un film d'horreur, disons chez Bava en plus éclairé. Dio perdona, io no est le premier film d'une trilogie western réalisée entre 1967 et 1969 avec le duo Bud Spencer et Terence Hill. C'est d'ailleurs le film fondateur de leur tandem (ils étaient sur un même peplum en 1959 sans se croiser à l'écran). Cela s'est d'ailleurs fait un peu par hasard, l'acteur initialement pressentit pour le rôle tenu par Hill s'étant blessé dès les premiers jours. Dans les trois films, Hill est Cat un chasseur de prime d'abord plutôt classique tandis que Spencer est Hutch, vague officiel mandaté par la compagnie de chemin de fer pour retrouver les auteurs du massacre motivé par le vol d'un paquet de dollars, bien entendu. Sans avoir réalisé un chef d'oeuvre méconnu, Colizzi nous offre un classique du genre ras la pellicule d'inventivité et de générosité. L'homme sait filmer et ne se prive pas d'expérimenter. Suivant une trame classique (trouver le bandit), il fait circuler entre les images et les regards des connivences secrètes entre ses héros. Cat et Hutch se connaissent, c'est donné pour acquit. Et ils connaissent celui qui a fait le coup et que l'on croyait mort (ah !) : Bill San Antonio, joué par l'excellent Franck Wolf, pilier du genre très connu pour son rôle en McBain, le fermier irlandais qui épouse Claudia Cardinale et se fait assassiner au début de C'éra une volta il west (Il était une fois dans l'ouest) de Léone. Entre San Antonio et Cat, il y a un vieux contentieux explicité en un long flashback, méthode éprouvée du western italien. Les motivations des uns et des autres ne sont pas toujours claires, mais ce que l'on en ressent donne sa cohérence au film et accroche le spectateur. A partir de ce petit monde habilement mis en place, Colizzi peut s'offrir des scènes de beau cinéma comme on en voit chez Léone, Sollima ou Corbucci. Outre la séquence d'ouverture, il y a le duel très tordu entre San Antonio et Cat, mise en scène élaborée d'une mise en scène, et une séquence presque surréaliste dans laquelle Cat se fait piéger et doit se battre pendu par les pieds comme le carillon d'une cloche humaine. Le duel final, sans être du même niveau, rappellera le final quelque peu sadique du premier Mad Max ce qui prouve que Georges Miller aussi a de solides références. Si le film n'est pas non plus une oeuvre majeure du genre, c'est que nombre d'autres scènes son traitées de façon plus banale et que le rythme n'est pas toujours soutenu. Le montage de Sergio Montanaro (Django et Texas addio, excusez du peu) est parfois virtuose, la photographie de Alfio Contini qui filmera le désert de Zabriskie Point pour Antonioni donne de belles ambiances nocturnes et rend envoûtante la séquence de l'incendie. La musique de carlo Rustichelli est remarquable avec ses choeurs religieux qui donnent le frisson. Le plus amusant, ce sont nos deux acteurs. Terence n'est pas encore Hill. Il la joue entre le Franco Nero de Django et Clint Eastwood avec une pointe d'acrobaties à la Gemma : laconisme, mâchoire serrée, cigarillo et regard bleu acier. Rusé et déterminé, c'est aussi un homme qui souffre. Il n'a pas encore le sourire angélique de Personne et cette décontraction qui fera son succès universel. Par contre Bud est déjà pleinement Spencer. Pas gros mais enveloppé, il assène déjà ses mandales à tuer un boeuf qui réjouissent ou irritent selon les goûts. Il a déjà ses soupirs exaspérés, son côté têtu et sa toute relative lenteur d'esprit. Naissance d'un mythe.
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I quattro dell'Ave Maria (Les quatre de l'Ave Maria) en 1968 commence là où s'arrête le film précédent. Cat et Hutch viennent toucher la prime pour San Antonio. Mais comme l'homme a été pulvérisé, ses bottes ne suffisent pas à convaincre la loi de payer. Ils font alors chanter un banquier de mèche avec le bandit et se découvrent nouveaux riches. Pas longtemps (Comme chez Corbucci, notables et nantis sont tous de sales types). A cette fin d'histoire se greffe celle de la vengeance de Cacopoulos (Ah, ce nom ! L'homme est d'origine grecque) joué par Eli Wallach qui a visiblement beaucoup plu à Colizzi chez Léone. Les vingt premières minutes posent les bases de fonctionnement du duo pour tous les films à venir. Des scènes de pure comédie avec Hutch qui se fait prendre en photographie, une bagarre burlesque et relativement gratuite qui met en valeur des styles complémentaires : puissance et grandes baffes sonores pour Spencer ; finesse athlétique pour Hill. Humiliation des puissants et désinvolture libertaire des héros pour les convenances et les bonnes manières. Puis Colizzi se rend compte qu'il a sans doute payé Wallach plus cher que les deux compères réunis et passe à autre chose : Cacopoulos Je vous passe les détails, le film se divise en trois grandes parties où les alliances se font et se défont entre les trois larrons et un acrobate nègre joué par Brock Peters, un peu plaqué (il était le chef du détachement noir dans Major Dundee de Peckinpah). Autant vous l'avouer de suite, je me suis endormi à ma première vision du film. J'ai mis cela sur le compte de la fatigue et je m'y suis remis courageusement. I quattro dell'Ave Maria est pourtant le plus connu du lot et tout amateur qui se respecte a entendu parler du duel final dans la maison de jeu au son d'une valse. Soit, néanmoins, le film m'est apparu un peu décevant. Il est à la fois mieux « fini » et du coup moins radical dans son expression. Il y a beaucoup de petites touches, de détails réjouissant comme le chat viré d'un coup de balai au début, la discussion au milieu des bébé dans leurs berceaux suspendus ou la fanfare qui déboule au milieu de la bagarre, mais cela sonne un peu gratuitement. Il n'y a pas une scène au niveau des meilleures du film précédent et le fameux duel final est certes admirablement composé mais trop brillamment exécuté pour être complètement sincère. Colizzi a toujours des problèmes de rythme, le film est un peu long (plus de deux heures) et les deux parties, l'une au Mexique, l'autre dans la maison de jeu ne raccordent pas bien. Ce sont deux films qui restent étrangers l'un à l'autre. Le film me semble souffrir du syndrome de monsieur plus.
 
Et puis surtout Colizzi a du mal à choisir entre l'approfondissement de la relation Cat – Hutch et Eli Wallach qui donne une variation bonasse du personnage léonien de Tuco. Il cite son grand père, tripote son komboloï (merci Tepepa), a quelques bonnes répliques, s'extirpe quelques poux mais cela reste de la variation. Seul moment de véritable émotion, lorsque celui qu'il croyait être son ami le rabaisse plus bas que terre. Une larme perle au coin de l'oeil qui nous touche. Le personnage de Peters ne sert pas à grand chose. La musique de Rustichelli est cette fois moins marquante même s'il donne à nouveau une fanfare façon Nino Rota. Mais je ne voudrais pas vous laisser sur une mauvaise impression car, à la seconde vision, le film se suit avec plaisir. La direction artistique est superbe et l'opulence de la production se ressent particulièrement dans la dernière partie, à la maison de jeux. Il y a toujours de belles compositions, le jeu entre les costumes impeccables des joueurs et les tenues débraillées des héros, entre les horizontales de la salle, de la table et les verticales des piliers et du système qui permet la triche. On sent aussi que tout le monde s'est bien amusé là-dedans et cela donne une légèreté à l'ensemble. Un plan quand même étonnant, j'ai mentionné dans le film précédent cette main fantastique dans le train. Lors du final, le méchant incarné par Kevin McCarthy, héros paranoïaque du Invasion of the Body Snatchers (L'invasion des profanateurs de sépulture) de Don Siegel, est submergé par la foule des joueurs en une image saisissante qui m'a irrésistiblement fait penser aux classiques des films de zombie. Désir refoulé de monsieur Colizzi ?
 
 
La collina degli stivali (La colline des bottes) clos le cycle l'année suivante. Le film ne boucle pas sur les deux précédents. C'est une autre histoire. Cela commence par la nuit, une petite ville. Cat est poursuivi par des tueurs, blessé il se réfugie dans un cirque. On l'aide. Un trapéziste est tué. Cat va le venger. Du classique sur lequel se greffe une bonne vieille histoire de mineurs terrorisés par un potentat local joué par Victor Buono (vu dans plein de feuilletons des années 60/70). Mineurs et gens du cirque vont s'allier sous la direction finaude de Cat qui ira chercher l'aide de son vieil ami Hutch. Le film est plaisant, si la mise en scène n'est guère plus marquante que dans l'opus deux, l'ensemble est plus intriguant : le cirque voyons, le cirque ! Qui donne un côté baroque, léger, un peu bouffon, un peu Fellini renforcé par une partition toujours de Rustichelli qui joue la carte de la musique de circonstance avec bonheur. Inspiré par cet élément, Colizzi offre des variations sur la scène, le jeu, le théâtre, avec notamment la scène finale qui s'inspire du Hamlet Shakespearien lorsqu'une pièce est donnée sous le chapiteau qui révèle au public les turpitudes du méchant. On regrettera que le film n'apporte pas grand chose à la relation Cat – Hutch si ce n'est ce principe souvent utilisé par la suite : C'est Hill qui va chercher Spencer pour le plonger le plus souvent à son corps défendant, dans les ennuis et la bagarre. Plus essentiel, La collina degli stivali est la véritable transition entre un western italien « classique » et le western de comédie. Les deux premiers films respectent les règles en vigueur en matière de violence et d'action. On tue beaucoup et souvent sèchement. L'humour est présent mais pas systématique. Virage dans ce dernier film, après un début assez sombre, la violence est largement désamorcée par l'humour. La bagarre finale se termine en une joyeuse empoignade sur un air entraînant et je n'hésite pas à la qualifier de clownesque. Cela s'impose. Nous n'en sommes pourtant pas encore à la série des Trinita qui finiront par éliminer complètement les morts violentes. Mais on s'en approche. Hill a beaucoup progressé, toujours athlétique mais plus décontracté. A ses côtés, avec Bud Spencer, on découvre avec plaisir quelques visages réjouissants : Lionel Stander, le tenancier de la posada chez Léone, vu chez Spielberg, Scorcese ou Polanski ; Woody Strode, l'inoubliable cavalier noir de John Ford, Georges Eastman compère en tripes de joe d'Amato ou encore Alberto Dell'Acqua qui jouait le frère de Franco Nero dans Texas Addio. Marcello Masciocchi assure à nouveau après I quattro dell'Ave Maria une photographie souvent nocturne et de belles ambiances sous chapiteau. De la belle ouvrage.
 
Giuseppe Colizzi est mort en 1978 après trois autres films. Une vie trop courte, une carrière de réalisateur trop courte. Il a écrit et réalisé ses trois westerns, produit le second, écrit une chanson pour le troisième. C'est sa femme qui l'assistait. Une manière d'auteur. S'il a manqué à ses films un supplément d'âme ou de talent pour en faire des oeuvres véritablement marquantes, il n'a manqué ni de générosité, ni d'idées, ni d'énergie, ni de sincérité. Comme l'écrit joliment Tepepa : « Tout ce qu’il faut et tout ce qu’on demande, pas plus, pas moins… ».

 

 
 Photographie : carteles

Commentaires

L'eau à la bouche, moi je vous le dis, l'érudit Vincent sait vendre sa came... on en recause bientôt, veux-tu ?
(me permets ce lien sur ma récente note Colizzienne:
http://eightdayzaweek.blogspot.com/2007/05/dieu-pardonne-moi-pas.html)

Écrit par : mariaque | 07/06/2007

Bravo pour une telle érudition et un tel amour de ce cinéma. Avec Mon oncle de Tati, les Bud Spencer - Terence Hill font vraiment partie de mes toutes premières émotions de (très jeune) cinéphile (6-7 ans) mais je n'ai jamais osé le revoir, contrairement à Tati, pour lequel je savais que je ne prenais aucun risque. Où as-tu revu ces films ? J'ai l'impression qu'ils condensent en fait toutes les scènes bouffonnes, comedia delle arte des films de Leone sans aucun complexe et de manière finalement assez innocente. Ca doit faire du bien de voir ça, surtout à l'heure de Tarantino et du recyclage généralisé de tous ces petits malins.

Écrit par : Joachim | 07/06/2007

Bel article. Il faudrait que je revois "les 4 de l'Ave Maria" pour revoir ou non mon opinion à la lumière de "Dieu pardonne, moi pas".
Il faudrait surtout que je revois "La Colline des bottes" vu il y a plus de 15 ans sur La 5 sous le titre "Trinita va tout casser" ou quelque chose dans ce genre...

Écrit par : tepepa | 07/06/2007

Mariaque et Tepepa, vos textes m'ont bien inspiré et j'ai du pas mal me creuser la tête pour chercher des angles originaux tant il me semble que nous sommes proches sur les valeurs comme sur les défauts de ces oeuvres. "Trinita va tout casser", ta mémoire est juste, c'est bien le retitrage du 3e opus.
Joachim, votre réflexion me fait penser à cette photographie sur votre blog, du film Goodbye Dragon Inn ou un personnage regarde un film Wu Xia. Nous en sommes là ou nous avons cette nostalgie d'un cinéma plus "innocent" sans la capacité, le plus souvent de continuer à le faire.
Oui c'est agréable de voir ou revoir ces films, même si je ne ferais pas que ça non plus ! Ces 3 films sont facilement trouvables en DVD, je n'ai pas rajouté de références parce que je craignais déjà de faire trop long.

Écrit par : Vincent | 07/06/2007

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