19/11/2013
Soutien à Mohammad Rasoulof
Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof rencontre de nouveaux problèmes avec les autorités de son pays. Il semblait évident, après la projection de son dernier film dans la sélection Un Certain regard à Cannes en mai 2013, qu'il serait délicat de retourner en Iran. Rasoulof a pris le risque il y a un peu plus d'un mois et s'est vu confisquer son passeport dès son arrivée, comme l'explique un article de Rue 89. Il se retrouve "interdit de quitter le territoire alors qu’il vit avec sa famille en Allemagne". L'information est restée discrète, peut-être en rapport avec les tentatives de dialogue actuel entre Iran et Occident. Néanmoins, les organisateurs du Festival du film de Stockholm ont manifesté le 12 novembre devant l'ambassade d'Iran en Suède, les yeux bandés de tissus noirs en observant plusieurs minutes de silence.
"Si on m'ôtait le droit de tourner et de montrer mes films, j'aimerais que mes confrères se mobilisent", a déclaré le réalisateur suédois d'origine égyptienne Tarik Saleh.
Dans ce contexte, je relaie l'appel de soutien lancé par Marlène, artiste établie à Mouans-Sartoux :
(…) L'objectif est de récolter un maximum de signatures et d’emails de soutien pour aider pacifiquement Mohammad Rasoulof à retrouver très vite son passeport, sa liberté de circulation et de création. Son dernier film Les Manuscrits ne brûlent pas a reçu le Prix Fipresci par le Jury Œcuménique dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes. A cette occasion, Mohammad Rasoulof avait pu se rendre au Festival pour y recevoir sa récompense en main propre. Mais depuis, il a été interdit de sortie du territoire iranien et n’a pu assister ni au Festival de Hambourg, ni à celui de Stockholm. Merci d'envoyer votre soutien à Mohammad Rasoulof à l’adresse suivante : marleneartstyle@gmail.com
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17/11/2013
Politique et cinéma (partie 2)
Suite (et fin) sans langue de bois du questionnaire de Cinématique.
11) L'anarchisme au cinéma, c'est qui ou quoi ?
Quoi : les petites communautés autonomes des films de Howard Hawks, Hatari ! (1962) de façon exemplaire.
Qui : Luis Bunuel.
12) Quelle est la meilleure biographie filmée d'une femme ou d'un homme de pouvoir ?
Lincoln (2012) de Steven Spielberg, qui est aussi une réponse possible à la question 10.
13) De quelle femme ou quel homme de pouvoir, aimeriez-vous voir filmer la biographie ?
Michel Rocard sous forme de comédie musicale. Pierre Larrouturou incarné par Denis Podalydès.
14) Au cinéma, quel personnage de fiction évoque le style des politiciens français suivants : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ? (vous pouvez en choisir d'autres)
De gauche (!) à droite : Jean-Luc Mélenchon, François Hollande et Nicolas Sarkozy.
Marine Le Pen : le personnage joué par Al Mulock (Quand on tire, on raconte pas sa vie)
François Bayrou : Le frère de Tuco
Jean-François Copé : le mexicain au brin d'herbe (T'as pas la tête de celui qui va les toucher)
Jean-Louis Borloo : le capitaine nordiste (facile)
15) Quel film de propagande n'en est-il pas moins un grand film ?
Beaucoup de grands films sont des films de propagande, tout dépend de ce que l'on met dans ce mot. Le dernier vu en date, et bien que Lang s'en soit défendu, : Man hunt (Chasse à l'homme – 1941) qui milite ouvertement pour l'intervention de l'Amérique. Dans un registre plus léger :
16) Quel a été pour vous, en France, le meilleur Ministre de la Culture ? Expliquez pourquoi en deux mots.
Jack Lang. Je ne sais pas vraiment dans quelle mesure il y était pour quelque chose, mais de 1981 à 1986, j'aimais le cinéma à la télévision (et d'autres choses aussi). Après...
17) Quel est le meilleur « film de procès »
La poison(1951) de Sacha Guitry.
18) Quel film vous paraît le plus lucide sur le quatrième pouvoir (les medias) ?
Deadline U.S.A. (Bas les masques - 1952)de Richard Brooks.
19) Citez un film que vous aimez et qui vous semble assurément « de droite ».
Mad Max (1979 de George Miller.
20) Citez un film que vous aimez et qui vous semble certainement « de gauche ».
Land and freedom(1995) de Ken Loach.
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16/11/2013
Politique et cinéma (partie1)
Un nouveau questionnaire élaboré par Ludovic du blog Cinématique sur le thème de la politique en 20 propositions, voilà quelque chose à ne pas manquer. Passez donc voir sur sa note les nombreuses contributions et découvrez, en deux parties, mes suspects habituels :
1) Quel film représente le mieux à vos yeux l'idéal démocratique ?
John Ford est pour moi un maître en la matière. Le plus intéressant, peut-être, parce qu'il l'exprime, en montre les mécanismes au quotidien, tout en soulignant ses faiblesses, c'est The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance– 1962).
2) Au cinéma, pour quel Roi avez-vous un faible ?
Charles 5 et 3 font 8 et 8 font 16 de Takicardie
3) Quelle est la plus belle émeute, révolte ou révolution jamais filmée ?
Le rire de Greta Garbo dans Ninotchka(1940) de Ernst Lubitsch.
4) Si vous étiez ministre de la Culture, à quelle personnalité du cinéma remettriez-vous la Légion d'Honneur ?
Je ne suis pas très prix et ils n'ont pas besoin de ça.
5) Au cinéma, quel est votre Empereur préféré ?
Caligula sous les traits de Malcolm McDowell ou Jay Robinson
6) Si vous étiez Ministre de la Culture, quel serait votre premier mesure, premier acte symbolique ou premiers mots d'un discours, concernant le cinéma ?
Faire occuper les multiplexes par la troupe.
7) Quel film vous semble, même involontairement, sur le fond ou sur la forme, d'inspiration fasciste ?
Dark of the sun (Le dernier train du Katanga - 1968) de Jack Cardiff.
8) Quel est le meilleur film sur la lutte des classes ?
La grande illusion(1937) de Jean Renoir, parce qu'il se limite pas à la lutte.
9) Au cinéma, qui a le mieux incarné la République ?
En France, la jeune femme qui pleure en chantant la Marseillaise dans Casablanca (1943) de Michael Curtiz.
Ailleurs, Alberto Sordi et Lea Massari mangeant de pâtes dans Una vita difficile (Une vie difficile - 1961) de Dino Risi.
10) Quel film vous paraît le plus pertinent sur les coulisses du pouvoir dans le monde d'aujourd'hui ?
Giù la testa ! (Il était une fois la révolution– 1971) de Sergio Leone, en particulier la tirade de Juan à Sean que les lecteurs d'Inisfree doivent commencer à connaître.
(A suivre demain)
09:15 Publié dans Blog, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : john ford, steven spielberg, ernts lubitch, paul grimault, jack cardiff, michael curtiz, dino risi | Facebook |
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13/11/2013
Chasse à l'homme
Man Hunt (Chasse à l'homme). Un film de Fritz Lang (1941)
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Même si l'on connaît le film, la première scène de Man Hunt (Chasse à l'homme), que Fritz Lang réalise en 1941, donne le vertige. « Quelque part en Allemagne – Avant la guerre » nous précise un carton introductif. Aux accent dramatiques de la musique d'Alfred Newman sur le générique succède un lourd silence à peine troublé par le bruit du vent et des chants d'oiseaux tandis que la caméra plonge au cœur d'une forêt épaisse pour cadrer des traces de pas d'homme. Ceux d'un chasseur qui traque. Élégant, massif, concentré, l'homme débouche au bord d'une falaise. Il se met à l'affût, tire de son sac une lunette de visée perfectionnée. Il la fixe sur son fusil. Très gros plan sur la molette de réglage. L'homme ajuste avec soin, comme on fait le point avec une caméra. Celle du cinéaste par exemple. Et dans le viseur, cercle parfait qui s'inscrit dans le rectangle de l'écran, apparaît la silhouette bien connue d'Adolph Hitler ! L'intersection des lignes se fixe sur le cœur du dictateur. Le doigt de l'homme appuie lentement sur la détente. Click.
Vertige. Vertige de ce qui aurait pu être pour le spectateur d'aujourd'hui, de ce pouvait encore être pour celui de 1941, en particulier le spectateur américain d'une Amérique encore neutre et à laquelle Fritz Lang s'adresse sans détour. Vertige d'un cinéaste magistral (toute la splendeur du cinéma classique) qui défie la figure bien réelle du mal absolu. Comme Charlie Chaplin vient de le faire avec The great dictator (Le dictateur) en investissant le corps de Hitler de l'humour de Charlot, Lang vise le dictateur au cœur. Chaplin le noie dans le ridicule (puis dans un étang), Lang préconise son élimination physique directe, soulignant au passage sa vulnérabilité. Je repensais à cette réplique du soldat Pepper, le tireur d'élite de Saving Private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan – 1998) de Steven Spielberg : « Pour finir la guerre, parachutez-moi à 500 mètres de Hitler ». Cela semble si simple. Cela ne l'est pas. Notre chasseur, un anglais bon teint, le capitaine Thorndike, est pris, torturé et laissé pour mort. Il s'enfuit, traqué par les agents nazis jusqu'en Angleterre, jusqu'à Londres où ses poursuivants cherchent à lui faire signer un document confessant sa tentative de meurtre sur ordre afin de discréditer son pays.
Le film emprunte la forme du thriller noir, genre dans lequel Lang excelle. Man hunt est à la fois un avertissement sur la puissance nazie (ils sont partout), une exhortation à agir contre ses principes (et en cela c'est bien un film de propagande, quoiqu'en ait déclaré Lang, et cela ne pose pas de problème), ainsi qu'une critique à peine voilée des atermoiements alliés d'avant 1939. L’hésitation initiale de Thorndike lui fait manquer une belle occasion et son périple, voyage initiatique en forme de cercle, est un véritable chemin de croix. Confronté après son arrestation à son antagoniste, l'officier SS joué ironiquement par le délicieusement britannique George Sanders, Thorndike essaye de discuter, d'affirmer sa philosophie de non violence. La chasseur renommé qu'il est ne tue plus ses proies. « Je déteste la violence » dit-il. Naïf ! Un discours qui ne tient pas devant la volonté de puissance des promoteurs d'un nouveau Reich. Pourtant Thorndike ne cède pas. Il est « tué », jeté depuis la falaise du début et survit par miracle. Lang, avec une succession d'images fortes, le dépouille alors de toute ressource : fusil planté dans la vase, chaussure dans la boue, jusqu'à son identité usurpée par Jones, l'homme de main joué par John Carradine. L'arrivée en Angleterre ne résout rien. Tels les hommes de Mabuse, les nazis sont partout, déjà infiltrés sous les traits d'un policeman, d'une employée des postes. Le mal est tramé dans le quotidien. Et notre héros ne pourra compter que sur lui-même, un jeune garçon et une jeune femme modeste (plus ou moins prostituée, mais ce n'est pas explicite, question de code). Le calvaire de Thorndike passe par la mise en scène de Lang qui l'enserre toujours plus, le force à se cacher sous terre, d'abord dans le compartiment secret du bateau qui lui permet de quitter l'Allemagne, puis dans les souterrains du métro de Londres pour finir, comme l'un de ces animaux qu'il a traqué toute sa vie, dans une espèce de terrier misérable dans un bois. C'est dans cet ultime refuge qu'il sera acculé et devra pour se défendre redevenir le chasseur primitif plein de ressources et montrer, enfin, sa force.
Écrit par Dudley Nichols, grand collaborateur de John Ford, Man hunt possède une grande puissance symbolique qui pourtant évolue en harmonie avec le récit d'aventures du thriller. L'action est soutenue, constamment imaginative dans ses péripéties et comme chez Hitchcock, toujours basée sur du concret, du quotidien. L'utilisation de la broche de Jerry (la jeune femme qui aide Thorndike), à la fois indication de la tendresse entre les deux personnages, élément signifiant de la disparition de la jeune femme et qui va se transformer en instrument de vengeance, est exemplaire. Monté au petit poil par Allen McNeil, le film alterne des scènes intenses (la traque dans le métro) et délicates entre Thordike et Jerry ou le jeune Vaner, sans négliger l'humour de la visite à son frère, haut diplomate impuissant où la belle-sœur effarée apprend de Jerry ce que sont « les bourres ». Visuellement, c'est une splendeur photographiée par Arthur C. Miller, une pointure qui la même année remportera un Oscar pour How Green Was My Valley (Qu'elle était verte ma vallée) de John Ford. Ford, Lang, Miller avait du tempérament. Man hunt déploie l'expressionnisme du film noir que le travail de Lang en son époque allemande avait inspiré : noirs intenses, effets de brumes et d'humidité, ombres longues et jeux sophistiqués de lumière. Les cadres jouent beaucoup sur les formes circulaires (Le sas du bateau, le viseur, le tunnel de métro, le trou dans le terrier) et renvoient au récit lui-même reflet du parcours intérieur de son héros. Sans que ce soit forcé, le film est traversé de réminiscences des films allemands de Lang : la forêt et la feuille fatale ramènent aux Nibelungen (1924), le plan depuis la vitrine du bijoutier à M (1931), les rues sombres et humides où s'embusquent les agents nazis aux Mabuse.
Ce qui est peut être le plus remarquable et typique de la manière langienne, c'est le traitement de la violence dans une histoire qui malgré ses respirations est d'une grande noirceur. Particulièrement réussie est la scène de l'interrogatoire de Thorndike par les sbires du nazi, qui imagine un jeu complexe sur les ombres, le son et le hors champ pour ne rien montrer. Deux sillons laissés par les pieds du corps traîné sur la moquette suffisent à dire la violence de la torture, la souffrance de la victime, tout en étant un écho visuel aux traces de pas de la première scène. Ce simple (façon de parler) plan suffit à rendre à peine supportable la scène qui suit alors que la caméra reste sur le visage de Sanders, non pas des exécutants mais du commanditaire. Lang désigne le véritable responsable. Le cadre est d'abord affaire de morale. Plus tard, le sort de Jerry est signifié par une série de plans qui l'enserrent et un jeu de lumières qui la font tomber dans les ténèbres. A l'inverse, Lang filme frontalement la mort de l'agent nazi Jones dans le métro, électrocuté spectaculairement en tombant sur les rails lors de sa lutte avec Thorndike. Le regard de Lang, comme toujours, est à la juste place. Il montre sans fard la violence que doivent exercer les démocraties dans leur lutte. Ayant accepté son destin, Thorndike reprend le chemin de l'Allemagne, parachuté cette fois avec une carabine chargée, prête à servir.
Man Hunt enfin est parfaitement interprété. Walter Pidgeon prête sa carrure virile à Thorndike, expression de la solidité britannique mise à rude épreuve. Il est aussi à l'aise dans l'action que dans le pathétique, dans la finesse de l'épisode maritime avec l'enfant joué par Roddy McDowall (tous les deux se retrouveront sur How Green Was My Valley quelques mois plus tard), que dans le jeu amoureux délicat avec Jerry, jouée par Joan Bennett, choix âprement défendu par le réalisateur qui entame avec l'actrice une fructueuse collaboration. George Sanders est parfait comme à son habitude, délicieusement ignoble quand il le faut, et toujours avec classe.
La superbe édition Sidonis Calysta (Blu-Ray et DVD) comprend un livret écrit par Patrick Brion, notre maître à tous, richement illustré ce qui n'est pas ici une simple figure de style. On trouvera en bonus un entretien passionnant entre Brion et Bernard Eisenschitz, spécialiste de Lang, ainsi que le storyboard complet du film. Un document exceptionnel qui montre où réside pour une bonne part la maîtrise langienne sur ce film, pas forcément l'un de ses plus connus mais certainement l'un des tout meilleurs de sa riche période américaine. Bel écrin pour une œuvre majeure.
Photographies : Mubi.com et Moviemail.com
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09/11/2013
Jolie langue
La grande Catherine et Jacques Perrin au volant. Dans les rues de Rochefort ? Photographie DR.
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04/11/2013
L'Adèle adulée, c'est pas l'idéal
La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2. Un film d'Abdellatif Kechiche (2013)
J'aurais du faire l'effort à Cannes, en mai dernier, et aller voir La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2 d'Abdellatif Kechiche, frais du cirque médiatique qui a suivi et qui se poursuit. Frais des dithyrambes qui ont fleurit sur la Croisette et ont semé leurs pétales un peu partout. Frais surtout de la palme d'or, pas tant la récompense mais le fait qu'elle ait été attribuée par le jury mené par Steven Spielberg. Chacun sait ici l'admiration totale que j'ai pour le cinéaste, mais aussi le plaisir que j'ai à l'entendre parler de cinéma, celui de Ford, de Hawks ou de Lean. Et j'ai aimé son regard malicieux quand il a déclaré au soir de la clôture cannoise que c'était « une belle histoire d'amour » que ce film. Je sais bien qu'il y a eu des rumeurs (il y en a toujours) sur son goût personnel pour Soshite chichi ni naru (Tel père, tel fils) de Hirokazu Kore-eda , mais voilà, ce fut Adèle et il ne m'était pas possible de faire l'impasse sur ce film.
Adèle donc. Adèle a une grande bouche, celle de l'actrice Adèle Exarchopoulos qu'elle a toujours ouverte comme l'a développé Buster sur Baloonatic, qu'elle mange, jouisse, dorme ou ne fasse rien. Elle a tout le temps cet air un peu hébété, ici et ailleurs. L'actrice est remarquable parce que cette bouche entrouverte en permanence pourrait vite être agaçante mais qu'elle est finalement touchante, attendrissante et même émouvante, quand bien même toute la symbolique derrière n'est pas des plus légère. Et puis cette bouche est ouverte sur deux incisives un peu grandes et quand Adèle sourit, elle a deux fossettes qui lui donnent un air de ressemblance avec Sandrine Bonnaire époque Pialat, ce que je trouve charmant.
Après, Adèle le personnage, c'est une autre paire de manches. Adèle va au lycée et veut devenir institutrice. Elle rencontre Emma, un peu plus âgée, qui fait les beaux-arts. Le film est le récit de leur histoire d'amour et de leur passion brusque, physique, complète. Adèle devient institutrice, Emma expose ses toiles. Adèle couche avec un collègue. Emma jette Adèle. Fin de l'histoire qui laissera des traces indélébiles. De cette histoire, Kechiche et sa scénariste Ghalya Lacroix isolent quelques moments clefs, les grandes inflexions des mouvements du cœur de la rencontre à la rupture. Je rejoins la chronique du bon Dr Orlof pour évacuer la composante homosexuelle dans le film, alors qu'elle est fondamentale dans la bande dessinée qui l'inspire : Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. Adèle cherche son identité et pas seulement sexuelle. Elle essaye un garçon, vit sa passion avec Emma, mais provoque leur séparation en couchant avec un collègue. Au final, elle reste seule mais pas sûr qu'elle se soit trouvée. Si elle participe à une gay-pride, elle y danse et crie comme nous la voyons faire plus tôt dans une manifestation politique. Est-celle impliquée, Adèle ? J'en doute. Est-elle homosexuelle ? J'en doute aussi car je la vois toujours un peu « à côté » notamment avec les amis d'Emma, aussi décalée que lors de sa première visite au bar gay.
La remarque vaut pour la composante culturelle abordée par Abdellatif Kechiche qui montre Adèle mal à l'aise avec les choses de l'art au vernissage des œuvres d'Emma (pour laquelle elle a posé) ou lors de la conversation sur les mérites comparés de Klimt et de Egon Schiele. L'influence d'Emma (présentée avec un côté Pygmalion) ne semble pas probante pour des scène qui viennent tard dans leur relation. Pareil pour le côté professionnel. Adèle déclare sa passion pour le métier d'institutrice mais je ne l'ai pas ressenti. Avec les enfants, quand ce métier est devenu le sien, elle reste ailleurs. La première scène à l'école la voit même irritée, maladroite avec ses élèves. Mise à part la lecture du conte, elle ne dégage ni l'assurance, ni la passion que l'on a vu à ses professeurs dans les scènes de lycée du début du film. Alors Adèle ? Le réalisateur a beau nous déclarer que ce film est le portrait d'une jeune fille qui devient une jeune femme, je ne trouve pas cela évident de ce que j'ai vu sur l'écran. Adèle est ailleurs et elle le reste, un personnage un peu terne même si attachant, dépassé par la force de sa passion, une victime d'une certaine façon, et dont on se rend compte à la fin que l'on ne sait pas grand chose d'elle, qu'elle garde son mystère, un mystère que Kechiche n'a pas su ou pas voulu percer. Il y a quelque chose de décevant là-dedans, comme il n'est pas exclu que je n'ai pas compris où le réalisateur voulait en venir.
D'autant que question passion, Kechiche a mis la pédale douce. Nous sommes loin, quand même, des grandes histoires douloureuses d'un François Truffaut. Je pensais en particulier à La femme d'à côté (1981) avec ce côté irrésistible de la passion physique (Quand le personnage de Gérard Depardieu se jette sur celui de Fanny Ardant au beau milieu de la réception). Kechiche a éliminé le côté tragique de la bande dessinée ( Adèle-Clémentine meurt) tout en ayant hésité à le faire. Et ce ne sont pas les performances physiques des deux actrices qui changent la donne. Ces scènes trop commentées ne sont pas si longues que ce qui se dit et il n'y a pas non plus de quoi fouetter un chat (pauvre bête). Quand on lit sous la plume de Fabien Bauman qu'il est « encore possible de se heurter à de l'invu », on se demande dans quel monastère reculé Positif recrute ses critiques. Nous en avons vu d'autres chez Ōshima, Pasolini, Verhoeven, Rollin ou Larry Clark, voire Mickael Hers. Quand à leur utilité... Ces scènes posent juste quelques questions supplémentaires : pourquoi (comment ?) la jeune adolescente un peu fleur bleue a t-elle déjà le sexe rasé et se comporte t-elle d’entrée comme une experte en Kama-Sutra ? Où sont les maladresses des premières fois ?
Fleur bleue... oui, finalement, ce que j'ai préféré c'est paradoxalement le côté romantique très premier degré de Kechiche, premiers regards avec ralentit et musique planante, scène de drague au bar gay joliment dialoguée, premiers effleurements, premier baiser dans le parc, des scènes où passe une vraie complicité entre les actrices. Mais ce parc, cette lumière solaire dorée, ces feuillages frémissants, ce banc, ce couple sur la pelouse, c'est celui de Notting Hill (Coup de foudre à Notting Hill - 1999) la comédie romantique de Roger Michell avec Julia Roberts et Hugh Grant ! Une hypothèse : Abdellatif Kechiche a un véritable talent pour la comédie (le film a du rythme, le sens des situations, des dialogues vifs) mais il ne l'exploite pas, par manque d'intérêt pour le genre. Pas évident de raccorder cette veine aux scènes de lit acrobatiques, aux scènes d'engueulades trop jouées dans la violence. Est-ce que tout ceci ne viendrait pas de la méthode du réalisateur ? Trop de matériel accumulé, trop de pistes suivies, trop d'ellipses qui réduisent de beaux personnages secondaires à de la figuration intelligente (l'ami homosexuel, les parents, gentils mais absents..), trop de bleu systématiquement dans chaque plan, du plus joli (les yeux d'Emma, la robe de la dernière scène) au plus ridicule (la bannière France Bleu dans le parc), de jolies scènes sensibles (le premier baiser donné par Alma Jodorowsky, oui, la petite fille de Jodo) et d'autres lourdement artificielles (la dispute avec les copines devant le lycée). Et une question encore, la dernière : qu'est-ce que c'est que ce film censé se passer dans les années 2000 où l'on ne voit (quasiment ?) aucun téléphone portable dans les mains des adolescents ?
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29/10/2013
Des visages, des figures
C'est un tout petit film. Cinq minutes filmées par Chris Hilson et montées par Thom Zimny, jointes à la lettre de remerciements que Bruce Springsteen a adressé à son public à l'issue de la tournée Wrecking ball. Hilson et Zimny ont travaillé sur les films des concerts de New-York, Dublin, Barcelone et l'impressionnant London calling – Live in Hyde Park de 2010. Ils savent de façon remarquable saisir la puissance du Boss et de son E-street Band sur scène. Le principe cette fois est tout simple. Des visages le plus souvent en gros plan de spectateurs pris lors des concerts sur l’interprétation habitée, comme toujours, de Dream, baby, dream de Suicide. Des visages au cœur de l'action. Figures de femmes et d'hommes, jeunes et vieux, des enfants, des couples, un groupe d'amis, toute la palette des réactions et surtout des regards. Des regards tournés vers cet homme au charisme unique qui chante, porté par ces regards et soutenu par ce groupe de musiciens, derrière, ce groupe que l'on verra plus tard, visage après visage encore. Un homme porté par sa foi, parce que Springsteen, c'est une histoire de foi. Foi dans la musique, sa musique qui puise à toutes les racines du rock. Foi au sens religieux aussi avec cette dimension issue du christianisme et ses symboles, l'eau du baptême qui coule en ouvrant le film, la posture christique du chanteur qui s'abandonne aux bras multiples de la foule, sa façon de jouer les prédicateurs de la grande épiphanie du rock and roll, la chanson elle même, psalmodiée avec ses nappes sonore, paroles simples reprises encore et encore, et puis les chœurs gospel vers la fin. Come on dream, baby dream...
Pourtant tout ce fatras religieux n'est pas ici ni gênant, ni réducteur. Il est sincère parce que direct. Ce jeu sur le rituel est le vecteur ouvert entre l’artiste et son public et une ferveur authentique répond à l'engagement total du chanteur. Et puis, quand même, toujours cette pointe d'humour et cette simplicité désarmante. Chaque plan de ce film pourrait être démagogique ou racoleur. Pas une seconde ne l'est. Chaque portrait choisi possède sa vérité, chaque personne pèse son poids d'humanité, et quiconque a assisté à un concert de Springsteen, à quelques pisse-froids près, a certainement ressentit cette émotion qui porte et transporte. Il y a dans ces regards l'essence du rapport entre le Boss et son public, cette façon qu'il a face à des foules impressionnantes, de s'adresser à chaque individu. De la même façon, chacun de ses portraits est le notre car nous partageons intimement la même foi. Ou pour faire moins illuminé, nous partageons la même chose avec la même intensité.
Souvent, dans les films de concerts, le public est réduit à une masse mouvante en vénération. Cette fois la caméra plonge dans la foule pour extraire un fragment d'expression qui traduit l'expérience personnelle du concert. Les visages sont beaux, cet homme qui retient ses larmes (il écoute The river ?), le couple âgé dont on peut deviner l'histoire, le petit geste de la femme aux long cheveux frisottés, la petite fille un peu perdue sur les épaules de son père, la joie du jeune couple qui danse... Et nous sommes avec eux, nous faisons partie. C'est cela, les beaux concerts, les beaux films, rendent beaux ceux qui les écoutent, qui les regardent.
A la fin, les plans sur les membres du groupe les unissent aux spectateurs tandis que le Boss remonte sur scène. Puis il y a ce beau plan large sur le groupe en symbiose. Et quand vient, tout à la fin, les visages des disparus, Danny Federici et Clarence Clemmons, et que le visage du grand saxophoniste se fond avec la silhouette de Springsteen qui avance sur scène, décidément, ces cinq minutes sont ce que j'ai vu de plus fort cette année.
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28/10/2013
Lou Reed (1942 - 2013)
09:36 Publié dans Cinéma, Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lou reed | Facebook |
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26/10/2013
Pertes et profil
Papy, je viens de désactiver mon profil Facebouque...
Tiens le coup, John, les quinze premiers jours sont les plus durs.
Photographie DR, source Le coin du cinéphage
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22/10/2013
P comme pendaison
Jamais un seul instant nous ne sommes assis;
De ci de là, selon que le vent tourne,
Il ne cesse de nous ballotter à son gré,
Plus becquétés d'oiseaux que dés à coudre.
François Villon – La ballade des pendus
Deux minutes ! je n'aime pas assister à une pendaison le ventre vide.
« Tiens, la civilisation » annonce Cameron Mitchell à Clark Gable dès la première minutes des Implacables (The tall men), beau western de Raoul Walsh, en désignant un pendu au milieu d'une nature somptueuse filmée en CinemaScope. Il doit y avoir un vieux fond morbide chez les réalisateurs, car à y réfléchir deux fois après avoir tourné sept fois sa langue dans sa bouche, les scènes d'exécution sont légion sur les écrans. Capitales, officielles ou sommaires, elles excitent l'imagination visuelle et constituent autant de morceaux de bravoure comme écrit ce cher Luc Moullet. Il y a le mouvement de la foule lyncheuse, le décorum du cérémonial militaire ou civil, les sentiers de la gloire pour l'exemple, le frisson de la mort, l'implacabilité du destin. C'est beau ! C'est répugnant ! C'est émouvant ! C'est fascinant ! C'est effrayant ! C'est tout ce que l'on aime au cinéma, non ?
De toutes les formes d'exécution, j'oserais dire que la pendaison tient la corde. C'est juste une impression mais vous pouvez vérifier par vous même. On fusille pas mal, on décapite un peu. Électrocution et bûcher sont plus rares sauf dans les biographies de Jeanne d'Arc ou de Giordano Bruno. L'empalement reste exceptionnel et exotique comme la crucifixion ou le jeté aux crocodiles, et puis tous ces supplices marrant que l'on voit dans les films de Tarzan. La pendaison offre plus de possibilités : du haut d'une tour, en ombre chinoise, dans un grenier, en série comme dans True grit, depuis une cage de fer histoire de renforcer l'abjection, haut et court à une potence ou au premier arbre venu comme dans d'innombrables westerns, par surprise, interminable comme chez Lars Von Trier ou Richard Brooks, clinique comme chez Nagisa Ōshima , en place publique, à travers une verrière, à un crochet de boucherie dans l'une de ces maisons où il faut jamais entrer, il y a le choix.
Et puis le pendu est photogénique, dynamique avant, décoratif après. Comme l'avait bien décrit maître François bien avant que le cinéma ne soit, il a la langue pendante, les yeux exorbités, le cheveu fol, la bouche tordue, un vautour délicatement posé sur son épaule, l'œil picoré par un corbeau, ô traumatisme de jeunesse devant Excalibur ! Le pendu aime à osciller sous la brise après de terribles convulsions. C'est tout autre chose que le fusillé bêtement recroquevillé ou le simple tas de cendre dans lequel on peine à reconnaître la pucelle d'Orléans. Les bottes de l'aîné se balancent sous le soleil d'Almeria après que le jeune frère ait mordu la poussière, l'harmonica entre les dents. Le sang coule lentement le long de la chemise de nuit blanche de la première victime particulièrement soignée de la Talm Akademie. La corde se tend et s'effiloche au dessus de la rivière du hibou. Elle conserve une marque indélébile sur le cou de Glyn McLyntock car parfois, à la pendaison, on survit.
Mais la pendaison peut avoir un côté farce, c'est l'une des bases de la relation entre Blondin et Tuco dans Le bon, la brute et le truand, aimablement pastichée par Sergio Corbucci qui juche Franco Nero sur un tonneau dans Companeros ! Et l'on pourra même y trouver matière à gaudriole à la façon des amants de La chair et le sang qui cherchent un pendu frais afin de déterrer la mandragore L'herbe aux pendus qui revigore. Les petits coquins.
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19/10/2013
Petra Haden goes to the movies
10:52 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : petra haden | Facebook |
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17/10/2013
Élégance
Mississippi Gambler (Le gentleman de la Louisiane). Un film de Rudolph Maté (1953)
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Honneur aux armes - Respect au maître
Mark Fallon est un joueur professionnel dans la Louisiane du début des années 1850. Il opère sur ces splendides bateaux à aubes qui glissent, légendaires, sur le fleuve. Aristocrate d'esprit sinon de naissance, il impose une vison honnête du jeu, ce qui ne manque pas de lui attirer de solides inimitiés, mais aussi la fidèle amitié de Kansas John Polly. Fallon rencontre la belle et farouche Angélique Dureau, dont il tombe amoureux sans la savoir promise à un banquier ami d'enfance, de son frère Laurent qui va lui vouer une haine tenace, et de son père Edmond, gros propriétaire de la Nouvelle-Orléans, qui sera lui séduit par les qualités du jeune homme.
Élégance, voici le maître mot de ce beau Mississippi gambler (Le gentleman de la Louisiane) que réalise Rudolph Maté en 1953. Élégance formelle, élégance des personnages et des sentiments décrits. Élégance des costumes et des maintiens, du moindre geste et du plus petit accessoire. Chaque plan du film, soigneusement composé et filmé par Irving Glassberg en un Technicolor à tomber est du velours pour les yeux. Je serais curieux de savoir comment se passait le travail entre Glassberg et Maté qui fut, avant de passer à la mise en scène, un très grand chef opérateur. Plusieurs fois oscarisé, ce qui ne veut pas forcément dire grand chose, il a travaillé pour Ernst Lubitsch, Fritz Lang, Orson Welles, Carl Dreyer, King Vidor et reste à jamais derrière les images de Rita Hayworth retirant les longs gants noirs de Gilda. Avec cela, j'ai un faible pour le cinéma de Maté dans le registre de ce que l'on appelle les petits maîtres américains des années quarante et cinquante. Des réalisateurs qui contribuent à porter les derniers feux du cinéma hollywoodien classique, le plus souvent dans le registre du cinéma de genre, film noir, western, aventures, fantastique... Ils évoluent à la frontière entre série A modeste et série B confortable. On y trouve des personnalités attachantes comme Hugo Fregonese, André de Toth, Jacques Tourneur, Joseph H. Lewis ou Allan Dwan au si bel automne de sa longue carrière. Après des années au sommet de son art de directeur de la photographie, Maté passe donc à la mise en scène avec entre autres deux superbes films noirs D.O.A. (Mort à l'arrivée – 1949) et Union station (Midi gare centrale – 1950), la science-fiction catastrophe de When worlds collides (Le choc des mondes – 1951) et quelques excellents westerns comme The violent men (Le souffle de la violence– 1955) où Barbara Stanwyck reprend son rôle de femme fatale entre Glenn Ford et Edward G. Robinson , génial en patriarche paralysé. Tous ces films ont en commun leur économie de moyens, leur efficacité, le goût des situations compliquées et tendues à l’extrême, et une beauté plastique que l'on attend forcément d'un ancien directeur de la photographie. Ce qui nous ramène à la question initiale des rapports de travail entre Maté et Glassberg. Peut être que tout simplement et en grand professionnel, Maté laissait Glassberg faire son boulot tranquille.
Le résultat est là sous nos yeux éblouis. Mississippi gambler se situe à la Nouvelle-Orléans dans une Louisiane complètement idéalisé, rêvée. C'est un paysage de grandes bâtisses blanches à colonnes, de ces immeubles typiques avec balcons et frises, de majestueux bateaux à aubes glissant sur le « Old'man river » dans la clarté lunaire. Robes à crinolines, larges chapeaux, calèches aux lignes légères, fracs et hauts-de-forme, fines épées et verres de cristal, et puis encore les gants en dentelle que porte si sensuellement le personnage joué par Julia Adams. Formes, couleurs et textures sont rendus avec une infinie délicatesse. On aura beau jeu de souligner l'absence quasi totale des noirs dans cette histoire, comme de la moindre allusion à l'esclavage. Pas même l'image cliché du petit noir dansant au son d'un harmonica sur un quai. La Louisiane de Mississippi gambler est une abstraction, l'expression visuelle de cette élégance au cœur du film. Reste pourtant l’extraordinaire séquence de la danse vaudou. Les héros du film vont s'encanailler avec naturel dans le quartier créole et assistent à la performance de Gwen Verdon, chorégraphe, épouse et collaboratrice de Bob Fosse, dansant un poulet blanc à la main au milieu de mâles superbes et torses nus. Célébration païenne des corps mise en parallèle avec les sentiments réprimés du couple vedette, cette scène est un joli moment de cet érotisme suggéré mais intense dont le Hollywood encore corseté par le code Hays était capable. Avec élégance.
Le récit met en scène une succession de gestes nobles de la part de personnages mus par de nobles passions. La frère faible et la banquier lâche exceptés. Chacun réagit de façon à la fois inattendue et espérée, ainsi des délicats rapports père-fille à l'ombre de la mère disparue, ainsi l'amitié amoureuse entre Fallon et Ann Conant dont il a provoqué le suicide du frère, ainsi cette scène émouvante où Fallon vient annoncer la mort du fils au père agonisant, mort provoquée par une bagarre entre Fallon et Laurent, jaloux. A ce moment, Edmond met au dessus des liens du sang le sentiment de filiation qu'il a pour Fallon, fils de cœur qui est le véritable détenteur des valeurs de l'aristocrate. En filigrane, Mississippi gambler est le portrait de rapports sociaux idéalisés qui sous l'apparence (l'aristocratie sudiste) exaltent des valeurs typiquement américaines communes à tous : compétence (armes, jeu, décoration), courage physique et moral, accomplissement personnel. Les héros sont des hommes et des femmes libres et entreprenants. L'estime que chacun peut porter à l'autre dépasse les barrières de classe, ce qui rend passionnant le rapport entre Fallon et le père fondé sur ce respect des compétences, comme ceux entre Fallon et Kansas John Polly ou Ann Conant. Seuls comptent la droiture et le respect de la parole donnée, ce qui crée des situations dramatiquement passionnantes. L'argent est un moyen, pas une fin et Fallon sait le perdre avec une désinvolture délicieuse.
Pour porter cette noblesse de sentiments, il fallait une distribution de grande classe. Elle l'est. Tyrone Power est le héros parfait dans la lignée de ses compositions en capitaine de Castille, en pirate du Black Swan (Le cygne noir – 1942), capitaine King ou Zorro (détail amusant, il croise dans ce film un second rôle joué par Guy Williams qui sera le fameux Zorro de Disney pour la série télévisée). Il est encadré d'un duo de charme, Piper Laurie piquante façon Scarlett O'Hara en Angélique Dureau, et la délicieuse et délicate Julia Adams personnifiant Ann Conant dont j'ai déjà évoqué toute la sensualité qu'elle a à porter des gants arachnéens. Le reste de la distribution est tout simplement parfait, de John McIntire, pour une fois dans un rôle très sympathique, lui qui fut un si beau salaud pour Anthony Mann, à Paul Cavanagh qui prête sa distinction à Edmond Dureau. Enveloppé de la partition enlevée de Franck Skinner, Mississippi gambler est une manière de chef d’œuvre, l'élégance sur pellicule.
Photographies : © Universal
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15/10/2013
W comme Washington
Il y a quelque temps, devenu depuis un temps certain, j'avais eu cette idée d'un petit dictionnaire de détente pour cinéphiles, hommage respectueux au Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis du regretté Pierre Desproges. Sur le coup, plusieurs articles vinrent très vite sous ma plume, d'autres un peu moins vite, et d'autres enfin pas du tout. Le projet resta au cimetière des idées inachevées, jusqu'à ce que je visse les affiches publicitaires pour le White house down de Roland Emmerich. Je l'ai pris comme un signe, vous le comprendrez en lisant le texte ci-dessous dont seules les deux dernières phrases a été rajoutée en 2013.Voici donc, commençant vers la fin en toute logique, un premier article du Petit dictionnaire cinéphile de détente.
W comme Washington (État de, ville de, George ...)
Quand j'étais à Washington, les femmes servaient le café aux officiers, madame !
George, le général, ayant été peu exploité au cinéma, ce que l'on pourra trouver étrange mais c'est comme ça, je m'en tiendrais à ce qui est devenu la capitale fédérale des États Unis d'Amérique après avoir été un charmant coin de campagne, ce qui est le lot de toutes les capitales, fédérales ou non. La ville de Washington est donc célèbre pour sa boulangerie tenue par M Ladkhal, libanais d'origine par son papa et qui fait d'excellents croissants aussi bons que ceux de Paris, ce qui ne laisse pas d'étonner dans un pays qui mange aussi mal. Je vous laisse vous étonner. Voilà, pas plus. Washington est également connue pour son Obelix, hommage au regretté René Goscinny, sa statue de Henry Fonda assis sous laquelle méditent les congressmen à la recherche d'une idée noble, ce qui n'arrive pas tous les jours, et d'une piscine assez grande pour les concerts de rock protestataires et aquatiques. C'est également là qu'habite le président du pays au lieu-dit "La maison blanche". Le bâtiment, en forme de n'importe quoi genre machin, mais sobre, est ainsi nommé parce qu'au plus fort des guerres indiennes du XIXe siècle, les sioux mirent la main sur tous les stocks de peinture de guerre disponibles et qu'il ne resta, restirent, restèrent, qu'il n'y avait plus que de la peinture blanche pour rafraîchir la façade. D'où le nom.
Longtemps, au temps béni de l'âge d'or du western, Washington était couramment utilisée comme une sorte d'Olympe, bienveillante ou maléfique selon le cas, lointaine toujours. C'est de Washington que l'homme blanc à langue fourchue brisait le traité avec ses frères rouges, c'est de Washington que le grand père blanc à tête d'Edgard G. Robinson venait fumer le calumet de la paix et réprimander le méchant colonel ou général belliqueux sous le regard du noble lieutenant qui avait fait son possible pour que cela s'arrange. C'est aussi à Washington qu'écrivait l'officier au cœur d'or (en trois exemplaires) pour reprendre du service, et de Washington que le jeune et fringuant officier débarquait pour prendre ses fonctions et séduire la belle qui portait un ruban jaune. Belle époque.
De part la présence de la Maison Blanche, White House en VO non sous titrée, la tranquille cité de Washington est devenue au cinéma la piste d’atterrissage favorite d'un tas de créatures curieuses, ce qui ne laisse pas d'étonner quand on pense que sa superficie est ridiculement résiduelle par rapport à la surface totale de notre planète. Je vous laisse vous étonner et je pose la question : A-t'on déjà vu un extra-terrestre débarquer dans la brousse congolaise ailleurs que dans un roman d'Emmanuel Dongala ? Et à Cuers dans le Var ? Non bien sûr, seul Washington est mentionné sur les cartes de la galaxie. Et qu'ils viennent pour tout casser à grand coups d'effets spéciaux de George Pal ou numériques dernier cri, pour s'inquiéter de la prolifération atomique ou pour conseiller le président sous la forme de l'ange Gabriel, les créatures issues de l'imaginaire fiévreux des scénaristes débarquent toujours entre la piscine, l'Obélix et White House.
Ce bâtiment souffre en particulier de la rancune tenace d'un travailleur immigré, cinéaste de son état et allemand d'origine (Ach ! La rancune gross malheur) répondant au nom de Roland Emmerich, comme mon tailleur d’ailleurs. Enfant, le petit Roland s'en vint visiter Washington avec son papa, sa maman et sa tata Hilde. Cette dernière, plutôt gourmande, voulait absolument goûter les croissants de M Ladkhal, mais le magasin n'est pas facile à trouver. Essayez, vous vous en rendrez compte. Mais pas question de discuter avec tata Hilde. Le temps de mettre la main sur les croissants, l'heure des visites de la Maison Blanche était passée et le petit Roland, qui avait entendu dire que l'on pouvait jouer sous le bureau du bureau ovale et présidentiel, en fut fort marri. Son père essaya bien d'argumenter avec le service d'accueil mais « no way » comme on dit là bas. Le vol de retour étant le lendemain matin, l'enfant fit bernique et conçut un traumatisme qui l'amena, une fois parvenu à maturité, notion relative au vu de son œuvre, à faire subir dans ses films les derniers outrages à la noble maison : désintégrée par une soucoupe volante, engloutie par la neige et finalement aplatie par un porte-avions. Dans les milieux autorisés, on s'émeut de cette inflation destructrice et l'on s'interroge sur le projet prochain du terrible teuton. Au vu de la campagne d'affichage pour le dernier opus du terrible teuton en question, les milieux autorisés avait bien raison. Voilà t-il pas qu'il envoie les commandos de féroces barbares à l'assaut de la jolie maison !
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13/10/2013
La Louisiane des gentilhommes
Jolie série de photographies promotionnelles pour le film The Mississippi gambler (Le gentilhomme de la Louisiane - 1953) de Rudolph Maté. © Universal.
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05/10/2013
Jour de colère
A day of fury (24 heures de terreur). Un film de Harmon Jones (1956)
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Patrick Brion ouvre son introduction à A day of fury (24 heures de terreur) dans l'édition Sidonis, par une remarque qui m'a fait grand plaisir. « On me reproche », dit-il en substance, « mon enthousiasme pour les séries B oubliées. Mais regardez la première scène du film de Harmon Jones ! ». Merci monsieur Brion, vous à qui je dois une large part de mon éducation de cinéphile. C'est vrai qu'elle est belle cette première scène de Harmon Jones et que ce modeste western de série B est estimable en tout points et vaut bien des œuvres dont la renommée a mieux traversé les vents du temps.
Efficacité, goût plastique, sens de l'espace et du suspense, simplicité, cette première scène s'organise autour d'un décor de roches encaissées et d'une cascade. Un cavalier, puis un autre en sens inverse. Une embuscade. Le premier cavalier sauve la mise au second en abattant son adversaire à travers sa veste. Quasiment aucun dialogue, mais une situation forte aux retournements surprenants et des regards qui créent le mystère. Le premier cavalier répond au curieux nom de Jagade (Titre alternatif du film aux USA). Un carton introductif nous a parlé des hommes de l'Ouest vivant par le colt et que la civilisation a repoussé toujours plus loin. C'est un des grands thèmes du western que l'on retrouvera de John Ford à Sergio Leone. Jagade est l'un de ces hommes et s'il est là, ce n'est pas par hasard. Face à lui, Allan Burnett est un marshal, grand, droit et intègre. Il doit se marier dans la journée mais comme il fait bien son boulot il était partit traquer un truand avant. Très vite se nouent les fils du drame : la promise, la belle Sharman Fulton, est l'ex-maîtresse de Jagade. Et ce dernier, en sauvant le marshal, en fait son obligé. Débarquant dans la petite ville bien nommée de West-End, Jagade entend régler un compte obscur en bouleversant sa tranquillité. On pense par moments au principe de High plains drifter (L'homme des hautes plaines – 1973) de Clint Eastwood. L'union de l'homme de la loi et de l'ancienne fille de saloon est symbolique de l'évolution de la cité : de l'Ouest sauvage et libre à la civilisation policée mais refoulée et hypocrite. Jagade va faire éclater ce mince vernis. Du coup la confrontation avec Burnett est inévitable.
Le scénario de James Edmiston (c'est son premier) et Oscar Brodney (vieux routier hollywoodien qui a signé l’adaptation pour l'écran de Harvey (1950) avec James Stewart et son lapin) développe cette situation séduisante avec brio et la mise en scène de Harmon Jones l’orchestre de main de (petit) maître. Le film multiplie les confrontations et les coups de théâtre, faisant varier avec subtilité les rapports de force jusqu'au règlement de comptes final. Sa force, c'est une belle galerie de personnages dont les évolutions sont assez travaillées pour les rendre attachants. Du moins intrigants. Ainsi le prêtre qui va prendre la tête dune bande de lyncheurs avant de prendre conscience qu'il a renié les préceptes de sa foi et va se ressaisir de belle façon. Ainsi l'institutrice à la fois fascinée et répugnée par les manières de Jagade au point d'en perdre la raison. Ainsi ce jeune garçon impulsif qui admire trop le pistolero et fera les frais de n'avoir pas compris qu'il n'était qu'un pion dans son jeu.
C'est toute la ville qui est prise dans ce jeu et Harmon Jones a l'intelligence de ne pas en révéler toutes les motivations. Quel est ce fameux compte que Jagade a à régler avec West-End ? Domine-t'il vraiment Sharman quand il arrive à lui faire remettre sa belle robe rouge, emblème de son passé ? Le réalisateur cultive l’ambiguïté et focalise sur l'affrontement entre Jagade et Burnett qui cristallise les choix de tout le monde. Il y a ceux qui apprécient le vent de liberté que fait souffler l'homme de l'Ouest sur la ville, cette ville où l'on s'ennuie car le saloon est fermé le dimanche et les filles ont été chassées de la ville. Il y a ceux qui sont prêt à tout pour conserver cette tranquillité au prix d'un ordre moral étouffant. Et il y a ceux qui voient voler en éclat leurs arrangements de bons bourgeois aimant à s'encanailler (ou à trafiquer) sous une façade respectable. Ce ne sont pas les moins dangereux. Mais ils sont une arme pour Jagade qui est bien renseigné sur les turpitudes des uns et des autres. Joueur d'échecs chevronné, il manipule au point que l'on ne sait plus que penser de lui. Fin psychologue, il sait faire ressortir les pulsions les plus personnelles de chacun : le désir refoulé de l’institutrice, les doutes du prêtre, la violence du jeune Billy. La force du marshal, c'est de conserver la tête froide au milieu de toutes ces passions libérées, lui qui semble bien étranger à ce panier de crabes et le seul à posséder une intégrité véritable.
Efficace, Harmon Jones arrive à concilier ce minimum psychologique à la rapidité de la série B et à l'action inhérente au genre. Il limite les décors à quelques lieux clefs (Le saloon, l'église, la grange), à l'exception de la première scène. Il orchestre les mouvements d'un lieu à l'autre, accompagnant les mouvements des personnages ou de la foule, chacun de ces mouvements correspondant à une nouvelle montée dramatique. Harmon offre de belles scènes, inventives au niveau visuel comme la découverte impressionnante du corps pendu dans la grange où celle qui voit Billy chassé du saloon pour aller à sa perte. La photographie de Ellis W. Carter qui a beaucoup travaillé pour le cinéma de genre, en particulier le fantastique, est soignée sur les scènes nocturnes. Il y a de belles compositions avec un sens de l'espace remarquable (la première scène, le duel final) fonctionnant sur les différences de niveaux et les oppositions géographiques (l'église est quasiment face au saloon). Utilisation poétique de la couleur aussi avec cette fameuse robe rouge, une manière qui fait penser un peu à la façon de faire dans le Johnny Guitar (1953) de Nicholas Ray. L’interprétation est à la hauteur même s'il n'y a pas de vedette d'envergure. Elle est dominée par Dale Robertson en Jagade, veste de peau et regard intense, opposé à la stature massive de Jock Mahoney en Burnett. Mahoney, cascadeur fameux, sera plus tard un aimable Tarzan. Ici, il est parfait de présence et de force tranquille. Le duo fonctionne parfaitement avec entre eux la belle Mara Corday, héroïne du Tarantula (1955) de Jack Arnold, croisée chez King Vidor dans le superbe Man without a star (L'homme qui n'a pas d'étoile – 1955) avant de terminer sa carrière pour Clint Eastwood. Mara Corday donne la profondeur nécessaire à son personnage avec beaucoup de classe. La robe rouge, quoi ! Les seconds rôles sont impeccables, en particulier John Dehner dans le rôle du prêtre tenté par la violence, Sheila Bromley en tenancière entre deux âges dont les joues reprennent un peu de rouge avec la venue de Jagade, et Dee Carroll dans le rôle difficile mais original de institutrice Miss Simmons. Coïncidence, elle a un tout petit rôle dans Tarantula.
Anti-héros fascinant annonçant tant le western dit moderne que le western italien, Jagade incarne le vieil Ouest, violent mais vivant, qui doit une nouvelle fois, la dernière, s'effacer devant la marche de la civilisation. A day of fury est une œuvre à découvrir, jolie pièce d'une collection Sidonis de plus en plus impressionnante pour les amateurs du genre. Et comme le dit Patrick Brion, ce n'est juste un caprice de vieux cinéphile.
A lire aussi sur DVD Classik
Photographies DR Universal
19:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harmon jones | Facebook |
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03/10/2013
1958 en 10 (autres) films
1959 est bientôt là et Zoom Arrière vient de fêter son premier anniversaire. Voici néanmoins et pour votre plus grand plaisir (j'espère), dix autres films de 1958 qui s'est vu dominer par d'indéniables chefs d’œuvre signés Welles, Sirk, Mann, Walsh, Bergman et quelques autres. Belle année de cinéma encore, qui a vu également Sinbad ferrailler avec le squelette animé par Ray Harryhausen, un ascenseur récalcitrant sur un air de Miles Davis, les vikings comme si vous y étiez, Gene Kelly dans le monde de la mode, un inédit fort sensuel de Bergman, Moïse ouvrant la mer rouge, une partie de pêche mémorable, le retour du baron chirurgien sous les traits de l'élégant Peter Cushing, Robert Mitchum traquant le sous-marin teuton (dans un autre film la même année, c'est Clark Gable qui est dessous), et Glenn Ford en éleveur de moutons habile au six-coups. Photographies DR piquées un peu partout.
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24/09/2013
Mani in alto !
Lee Van Cleef et Giuliano Gemma sur le plateau de I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère - 1967) de Tonino Valérii. Un western all'italiana hautement recommandable. Photographie Cinémabazaar.
20:37 Publié dans Acteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tonino valérii, lee van cleef, giuliano gemma | Facebook |
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18/09/2013
Il sentait bon le sable chaud...
Beau Geste. Un film de William Wellman (1939)
Texte pour Les Fiches du Cinéma
"L'amour d'un homme pour une femme croît et décroît comme la lune. Mais l'amour d'un frère pour un frère est immuable comme la parole du Prophète"
J'adore les films coloniaux mis en scène par Hollywood dans les années trente. Qu'ils suivent les pas de Rudyard Kipling en Inde ou ceux des légionnaires français dans les déserts africains, ils servent d'abord de cadre au romanesque et à l'Aventure sans s'encombrer, comme leurs équivalents français ou britanniques, de véracité, de justification ou de propagande. A l'exception de celle des valeurs individualistes américaines. Errol Flynn, Gary Cooper, Cary Grant, sont les héros plus grands que nature de ces films, forts et courageux, décontractés et déterminés. Ils sont ce que l'on a pu rêver vouloir être. Ils ouvrent grand les portes de l'imaginaire. Ils sentent bon le sable chaud et sont aimés avec passion par des femmes aussi sublimes que Marlène Dietrich. Pourtant rien ne remplace chez eux l'amitié et la fraternité virile, valeurs exaltées jusqu'au sacrifice. Il y a quelque chose de troublant et d'excitant dans ces récits, d’excitant parce que troublant. La frontière entre le bien et le mal y est si clairement tracée. La voie de l'honneur y est pavée de certitudes. Et si l'on y regarde attentivement, l'autochtone n'existe pas vraiment. Il est une menace diffuse, souvent invisible comme dans The lost patrol (La patrouille perdue– 1934) de John Ford. Il sert de révélateur aux sentiments des personnages en conditionnant leurs actes. Dans ces contrées à l'exotisme exubérant, le contexte historique et politique est soigneusement mis de côté. Seuls comptent les mouvements de l'Aventure et des passions.
Beau Geste est à l'origine un roman de Percival Christopher Wren paru en 1924. Beau est le prénom de l'aîné des trois frères Geste, adoptés par une vieille famille anglaise dont la fortune consiste en un superbe saphir, le « Blue Water ». Beau Geste joue sur l'expression française, ce qui fait chic, mais résume parfaitement l'enjeu du film. C'est le récit de beaux gestes. Pour éviter que le joyau ne soit vendu pour éponger des dettes, Beau dérobe le saphir. Je passe les détails. Les deux autres frères, Digby et John, sont solidaires. Beau quitte la demeure et s'engage dans la légion étrangère avec Digby. John suit. Les voici en plein désert à lutter contre une discipline rude, un sergent sadique, un environnement hostile et des autochtones qui ne le sont pas moins. L'un des frères (je ménage le suspense) a une fascination pour les funérailles viking. Elles lui seront offertes en plein désert au prix des plus grands risques.
Cette histoire romanesque au possible a été adaptée plusieurs fois au cinéma, en 1926 par Herbert Brenon, en 1966 par Douglas Heyes, et d'une façon tout à fait particulière en 1977 par le merveilleux et regretté Marty Feldman qui s'offre une scène avec Gary Cooper. Cooper qui tient le rôle titre dans la version de 1939 qui nous intéresse ici et qui est signée William Wellman pour la Universal. Cooper qui était rôdé au rôle puisqu'il est l'inoubliable partenaire de Marlène Dietrich dans Morocco (1930) et que c'est pour lui qu’elle abandonne tout, le suivant pieds nus dans le sable (chaud), ce qui est sublime ou alors ce mot ne veut plus rien dire. Cooper est aussi l'héroïque Alan McGregor dans Lives of a Bengal lancer (Les trois lanciers du Bengale – 1935) déjà au cœur d'un trio très masculin. Le rôle de Beau est l'un de ceux qui ont participé à son mythe. Sa carrure, son regard franc et clair, son laconisme, font merveille. Il est entouré de Ray Milland dans le rôle de John et de Robert Preston dans celui de Digby. C'est le remarquable Brian Donlevy qui interprète le très affreux sergent Markoff. Donlevy avec son nez d'aigle et ses petits yeux sombres a quelque chose d'un Lee Van Cleef de l'époque et a joué quelques méchants mémorables (mais pas que) notamment chez De Mille. On remarquera parmi les légionnaires les visages de J. Carrol Naish, Albert Dekker et Broderick Crawford, ainsi que le tout jeune Donald O'Connor en Beau enfant, lui qui sera le partenaire inoubliable de Gene Kelly dans Singin in the rain (Chantons sous la pluie– 1952) et une star de comédies musicales. Pour terminer la revue des troupes de ce film puissamment viril, la présence féminine est assurée par la jeune Susan Hayward qui joue la cousine des frères Geste, amoureuse de John, mais dont le rôle est très réduit.
Le film est construit sur une énigme qui ménage son suspense jusqu'au final. Il y a un intéressant glissement qui relègue au second plan la question de savoir qui a dérobé le fameux saphir. Beau Geste s'ouvre sur les murailles du fort Zinderneuf (Les noms français de ce film sont pittoresques, il y a un De Beaujolais!). Dans une ambiance quasi fantastique, une colonne découvre la garnison massacrée, quoique les hommes soient tous en poste sur le rempart. Les deux hommes successivement envoyés en reconnaissance disparaissent sans un bruit. Puis l'on remonte dans le temps et en Angleterre pour découvrir les Geste enfants avec leur cousine, et leurs puissants rapports affectifs. Se révèle aussi cette fascination de l'un des frères pour le rite funéraire viking. Ces moments d'enfance sont traités par Wellman avec délicatesse avant qu'il n'enchaîne sur les événements qui, une fois adultes, mènera les trois frères jusqu'aux sables du désert. Puis retour aux murailles du fort.
Beau Geste est un pur produit de prestige des studios américains de la grande époque. 1939 est une année exceptionnelle qui culmine avec Gone with the wind (Autant en emporte le vent) suivi d’œuvres majeures signées Lang, Ford, Hawks, Walsh, Lubitsch et tant d'autres. Le film bénéficie des contributions artistiques de grands noms comme Max Steiner à la musique (héroïque et tout ce que l'on veut), Archie Stout et Theodor Sparkuhl pour la photographie (noir et blanc envoûtant, irradiant de lumière dans les extérieurs, vibrant d'ombres sophistiquées dans les intérieurs, surtout pour les gros plans de visages), la fameuse Edith Head aux costumes (huit oscars, un record féminin). Wellman filme avec ampleur son aventure, comme il le fit dans d'autres films magnifiques, avec ce sens du temps tout à coup suspendu qui valorise une expression, un geste, un instant que l'on veut conserver précieusement. Il joue sur l'exotisme des formes arabisantes, sur les étendues infinies de sable avec le petit fort posé sur l'horizon en contraste avec les intérieurs sombres, multiplie les mouvements sophistiqués de caméra pour découvrir l'espace (l'exploration du fort) et sur la richesse des cadres. Beau Geste est un de ces objets du cinéma triomphant, sûr de lui et de son spectacle total, exhalant parfois naïvement des valeurs issues des légendes et des récits de chevalerie, adaptées pour une Amérique qui avait foi en son destin. Indifférence ou irritation, on peut simplement se laisser aller à respirer l'air pur du désert et laisser le vent emporter tout.
William Wellman (à gauche) et l'équipe de tournage du film
Photographies : © Universal et A Certain Cinema
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15/09/2013
Viens petite fille dans mon comic strip (Barbarella)
Barbarella (1968), un film de Roger Vadim
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Tel que je le vois, le cinéma de Roger Vadim a eu son importance historique et sociologique. Rattaché par la bande à la Nouvelle Vague, un peu comme Claude Lelouch, il aura contribué à bousculer certaines représentations, celle de la femme en particulier quand il dévoile les fesses de Brigitte Bardot. Mais son importance cinématographique est des plus relative. La forme reste chez lui bien sage, souvent plate. De ses audaces visuelles, il est bien difficile de démêler la part de sincérité de celle du calcul. Comme François Truffaut, Claude Chabrol ou Jean-Luc Godard, Vadim aura fait tourner les femmes de sa vie. Mais contrairement à eux, il ne leur aura pas offert des personnages sublimes et bouleversants pour qu'elles expriment leur talent, mais plutôt un cadre glacé et sophistiqué, un peu roublard aussi, pour y exposer leur personnalité et leur physique. Plutôt que de belles scènes, il compose des images chic où ce qui compte, c'est comment cadrer de façon à montrer le maximum tout en cachant l'essentiel. Pour l'écrire autrement, comment montrer la nudité des très belles Brigitte ou Jane tout en disposant stratégiquement draps, fourrures ou la tête de Jean-Louis Trintignant.
Barbarella, que Vadim réalise en 1968 pour le producteur Dino De Laurentiis qui en a fait bien d'autres, me semble typique de sa manière. Le film s'inspire de la bande-dessinée de Jean-Claude Forest parue dès 1962 et éditée en album par Éric Losfeld en 1964. Science-fiction poétique et érotique tout à fait magnifique, c'est une œuvre clef de la reconnaissance de la bande-dessinée pour adultes. Vadim est dans sa période Fonda, Jane qu'il a épousé en 1965, et quand De Laurentiis lui propose l'adaptation de Barbarella, il fera d'elle son héroïne intergalactique et sexy. Chargée d'une mission improbable par le président de la Terre, Barbarella part aux confins de l'espace pour vivre des aventures sexuelles plaisantes (Avec Ugo Tognazzi en fourrure, John Philip Law en ange, Anita Pallenberg en reine noire, David Hemmings en révolutionnaire maladroit, savoureux) ou gentiment douloureuses (Jolie scène avec les poupées aux dents acérées, le supplice des perruches, l'orgasmotron, machine « excessive » du docteur Duran Duran).
Si Vadim respecte l'imagerie de Jean-Claude Forest, qui participe d'ailleurs avec plaisir au film en travaillant sur les décors, il se retient très fort sur le fond et surtout sur la dimension authentiquement érotique de la bande-dessinée. Là où Barbarella est bien souvent mise à nu avec ce naturel qui la rend scandaleuse à l'époque, Jane Fonda dans son incarnation, mis à part le sympathique strip-tease en apesanteur du générique, est toujours cadrée de façon pudique dans des situations que le réalisateur veut excitantes mais qui ne sont jamais audacieuses. Une position difficilement tenable, comme Barbarella engoncée dans l'orgasmotron jusqu'au cou. Sa vision de l’œuvre est trop pétrie d'un second degré qui espère suppléer à l'érotisme novateur du travail de Forest. C'est au final assez frustrant pour le spectateur qui a pensé un instant être pris pour un adulte.
Cette réserve d'ordre général émise, le film est néanmoins plaisant de par son côté kitsch appuyé, son ancrage dans le style pop des années 60 qui s'inscrit bien entre le Danger Diabolik (1966) de Mario Bava (avec aussi John Philip Law), le Casino Royale collectif de 1966 et les comédies anglaises de Richard Lester, voire le Giulietta degli spiriti (Juliette des esprits - 1965) de Federico Fellini. Couleurs pétantes, effets psychédéliques (on pense à ces lampes où s'ébattent des huiles colorées), délires de décorateurs et de stylistes (Paco Rabanne a créé les costumes de l'héroïne), musique pop et chanson à l'avenant, Barbarella est de son époque. Le spectacle est daté mais c'est ce qui lui donne sa relative valeur aujourd'hui. Si la mise en scène de Vadim n'a rien de remarquable (le film va « piano », sans audaces dans le montage ni délire dans les mouvements, un peu ennuyeux sur la distance), l'album d'images est souvent réussi : Barbarella volant dans les bras de l'ange Pygar, la chambre de la reine noire aux parois mouvantes, les poses façon magazine de Fonda. Fonda, justement, c'est la bonne idée de Vadim de l'avoir imaginée en Barbarella, elle qui n'était pas très enthousiaste. Elle est alors au sommet de sa beauté et sa composition est tout à fait délicieuse, mélange de candeur, d'aisance dans les situations les plus incongrues et d'érotisme léger comme un vent de l'espace. L'ovale particulier de son visage, ses grands yeux ou passe l'ombre bleu-acier de ceux de son père, elle est à la mesure de l'icône qu'elle incarne et qui s'est imposée sur la durée au sein d'un objet amusant, coloré, mais un peu trop aseptisé.
Barbarella garde tes bottines
Et viens me dire une fois pour toutes
Que tu m'aimes, ou sinon
Je te renvoie à ta science-fiction
Qui est in qui est out de Serge Gainsbourg
Photographies : 1Kult et DR
19:09 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : roger vadim | Facebook |
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14/09/2013
Si belle en ce miroir
Photographie DR
09:55 Publié dans Actrices | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : edwige fenech | Facebook |
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