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05/06/2013

Cannes 2013 : Les manuscrits ne brûlent pas

Cette année, il n'y a pas eu que le film d'Abdellatif Kechiche à ne pas avoir de générique de fin. Mais si pour le réalisateur palmé ce n'est que certainement une question de temps, Mohammad Rasoulof n'a pas mentionné son équipe artistique et technique pour des questions de sécurité. Son film, Dast-neveshtehaa nemisoozand (Les manuscrits ne brûlent pas) au titre inspiré par le titre d'un livre de Mikhail Boulgakov est à ma connaissance la première attaque frontale du régime iranien. Il s'éloigne radicalement des allusions et métaphores poétiques en cours depuis plus de trente ans pour donner un thriller politique sombre, voire désespéré, qui démonte avec précision les mécanismes de la censure ordinaire et de la répression des intellectuels et artistes. Il expose sur l'écran la face sombre du pouvoir. « J'appelle un chat un chat et et Rollet un fripon »disait Boileau, Rasoulof montre avec la même franchise la friponnerie ordinaire qui se décline en manipulation, intimidation, espionnage, séquestration et meurtre.

cannes 2013,mohammad rasoulof

A ce point j'exprime le vif regret que les médias, l'imposant pack cannois de radios, journaux et télévisions venus du monde entier, n'aient pas consacré une fraction du temps consacré aux ébats des héroïnes de Kéchiche ou du nombre d’huîtres par techniciens pour se préoccuper un peu plus d'un réalisateur qui a mis ses tripes sur l'écran, ça et le reste. Dast-neveshtehaa nemisoozand a été conçu et réalisé dans la clandestinité, tourné sur place et achevé en Allemagne, en prenant des risques que l'on ne me sure pleinement qu'au terme des 125 minutes du film. Rasoulof relativise d'un coup la notion de courage au cinéma, comme il réaffirme sa foi dans son art à rendre compte du monde comme il va mal, à en être le témoin engagé au cœur d'une réalité douloureuse. Il est ainsi éloigné au possible des donneurs de leçons et du chœur des pleureuses, mais je ne vise personne. Du coup j'en avais un peu mal au cœur de lire les quelques lignes dans Libération avec cette phrase : « (…) font passer au second plan la question d'une mise en scène qui ne peut, de toutes façons, que s'effacer ». Qu'est-ce que ça veut dire ? Que le film pourrait être mauvais (il ne l'est pas) que l'on en parlerait quand même pour son contexte ? Que c'est ce contexte qui justifie, comme certains le pensent, la présence du film à Un Certain Regard ? Que l'on devrait ignorer l’œuvre devant la force du témoignage ? Rasoulof et son équipe ont fait un film. Comme on voit dans celui-ci un poète faire de la poésie. Parce que c'est leur métier, leur vocation, leur engagement. « Effacer la question de la mise en scène », c'est mépriser l'essence de leur travail et le sens profond du film. Le contexte et l’œuvre, bon sang !

Rappelons donc ce contexte. Mohammad Rasoulof est un jeune réalisateur né dans le sud de l'Iran qui est révélé par Jazireh Ahani (La vie sur l'eau – 2005), film d'une grande beauté visuelle qui utilise la métaphore à travers le portrait d'un groupe replié sur lui-même, vivant dans un grand cargo abandonné aux ordres d'un capitaine, tyran tranquille. En 2009, lors de la répression suite aux élections truquées de mars, le réalisateur présente son nouveau film Keshtzar haye sepid, toujours inédit, au festival de San Sebastian. Il évoque alors la situation dans son pays. La réaction ne se fera pas attendre. Alors qu'il prépare son prochain film avec Jafar Panahi, les deux hommes et leur équipe sont arrêtés. Ils sont condamnés à de la prison et à vingt ans d'interdiction de tournage. Néanmoins, Rasoulof présentera en 2011 Bé omid e didar (Au revoir) à Cannes, toujours à Un Certain Regard, film tourné semi-clandestinement, toujours dans un registre réservé, et qu'il ne pourra venir présenter, retenu en Iran. Il accompagne cette fois son film, entouré de son équipe, mais tous ou presque sont sortis du pays et il semble peu probable qu'ils y retournent sans risque aujourd'hui.

cannes 2013,mohammad rasoulof

L’œuvre donc. Dast-neveshtehaa nemisoozand relate les manœuvres de basse police autour du manuscrit d'un écrivain, opposant au régime, racontant dans ses mémoires la tentative d’assassinat collectif d'un groupe d'intellectuels devant se rendre à un congrès. Leur bus devait être précipité dans un ravin par leur chauffeur. L'attentat était commandité par un homme de pouvoir, mais il a échoué et sa révélation est embarrassante. Cet homme, Morteza, met tout en œuvre pour retrouver les copies du texte. Il utilise pour ce faire les services de deux hommes, police parallèle et politique entre barbouzes et nervis, petits truands et tueurs, mais convaincus. On pense à l'affaire Ben Barka ou aux méthodes du stalinisme triomphant. Intimidations, chantage, discrédit, enlèvement, élimination de témoins et meurtre, toute la panoplie est déployée. Dans son approche précise et détaillée des mécanismes de la répression, Rasoulof retrouve les accents du cinéma d'un Costa-Gavras dans les années 70, État de siège (1972) en particulier, ou encore le Garage Olimpo (1999) de l'argentin Marco Bechis, avec cette atmosphère lourde, paranoïaque, et ces couleurs sombres, ocres, gris et bleus. Nombre de scènes se situent dans des intérieurs calfeutrés, lors de petits matins blêmes, photographiés dans l'esprit du film noir. Le réalisateur renforce cette esthétique d'une atmosphère hivernale où la glaciation des cœurs et des esprits trouve un écho dans le froid et la neige qui règnent à l'écran.

La force du film tient à sa structure qui fait perdre les repères temporels, le film fonctionnant en boucle d'une part, et par plusieurs flashbacks qui ne sont pas identifiés comme tels d'autre part. Seules certaines allusions permettent au spectateur de reconstituer le temps du récit. Cela permet de ménager suspense et surprises, d'accroître la tension, mais aussi de faire ressentir ce que vivent les personnages persécutés, pour lesquels le temps s'étire jusqu'à se figer dans des attentes angoissantes. Rasoulof use aussi de nombreux plans séquences pour gérer son rythme, régulier mais lent. Mais ce procédé, qui n'a rien ici de gratuit, est également une façon pour le réalisateur de faire découvrir ses personnages par fragments de temps, d'amener le spectateur à les reconstruire comme il l'a fait pour le récit. Car l'autre originalité de ce film, c'est de nous mettre largement du point de vue du tueur. Le personnage principal est un exécutant de base, un homme ordinaire que l'on verra symboliquement se fondre dans la foule anonyme à la fin. Au fil des scènes, nous découvrons sa famille, son jeune fils qui doit être opéré, sa femme qui attend à l’hôpital, et ses soucis avec un virement qui n'arrive pas. Nous comprendrons plus tard que cet argent et le prix de ses meurtres commandés. Et pourtant, au détour d'une de ses nombreuses conversations téléphonique, il déclare ne pas agir pour l'argent mais pour Dieu. Rasoulof n'insiste pas sur ce point. Simplement nous modifions notre point de vue sur lui, passant par des phases où il est presque sympathique et d'autres où il est glaçant de violence froide. Une des grandes trouvailles de mise en scène est cette simple pince à linge dont le tueur s'empare presque machinalement après s'être préparé un sandwich dans le frigo du poète qu'il séquestre. Ce qu'il fera plus tard de cette pince, sa manière de le faire, sont proprement terrifiants. De la même façon, son collègue, plus à distance, nous montre tour à tour son amitié pour l'homme qui partage sa mission et son côté impitoyable quand nous le devinons éliminer un enfant témoin d'une tentative d'exécution.

Parfaitement interprété, le film explore les différentes façon de se tenir (du moins de tenter) face au pouvoir : composer, collaborer, se mettre à l'écart, résister ou en être, organiquement, l'émanation. Ce pouvoir tout puissant et sans aucun scrupule ne laisse aucune porte de sortie. Le film est donc d'un pessimisme total, uniquement tempéré par sa propre existence. En le faisant exister à tout prix, Mohammad Rasoulof confirme qu'il est un réalisateur majeur, et son film est une date, dans l'historie du cinéma iranien comme dans celui du film politique. Et parler de sa mise en scène comme de son contexte est le moindre des hommages à lui rendre.

Photographies DR

03/06/2013

Cannes 2013 : Nos héros sont morts ce soir

Il y a d'abord ce beau titre Nos héros sont morts ce soir, qui renvoie à l'un des plus beaux films jamais fait sur la boxe, The set-up (1949) de Robert Wise et dont le titre français était : Nous avons gagné ce soir. Le réalisateur David Perrault ne nous montrera pourtant pas de la boxe mais du catch, plus précisément celui des années 60 en France, à une époque où ce sport était très populaire. C'est l'époque de l'Ange Blanc et du Bourreau de Béthune, des matchs au Cirque d'hiver et des populaires retransmissions télévisées. Mais ces années 60, ce sont aussi la fin de la guerre d'Algérie, le grand Charles à l’Élysée, les flippers dans les cafés et Gainsbourg dans les juke-box. C'est aussi la Nouvelle Vague, Belmondo et Delon, une nouvelle génération qui secoue le cinéma de papa. Il y aura un peu de tout cela dans le film de David Perrault, tramé dans l'histoire de Victor, ex-légionnaire au bout du rouleau. Son ami Simon l'introduit dans le milieu du catch contrôlé par le truand Tom. Ils vont former un duo masqué promis au succès, le Spectre contre l'Equarisseur de Belleville. Rien que la poésie des noms... Le blanc et le noir, le bon et le méchant, des rôles trop tranchés pour l'esprit fragile de Victor hanté par son passé et visité de cauchemars où les masques dissimulent d'autres masques et où se dilue une identité incertaine. Sexuelle, morale, sociale, psychiatrique ? Le scénario laisse habilement dans le flou. L'intrigue, assez simple, emprunte au cinéma de genre : entraîneur retors joué par Philippe Nahon façon Jean Gabin, matchs truqués, truand doublé, homme de main sadique, mission expiatoire, du classique.

david perrault,cannes 2013

L'enjeu est ailleurs, dans les multiples variations très visuelles sur les figures du double et du masque. Deux amis qui sont deux adversaires sur le ring. Deux femmes dans la vie de Simon. Double identité, l'homme sous le catcheur, avec mise en abyme quand Simon et Victor échangent leurs identités fictives. Ils se ressemblent physiquement au point que l'on peut les confondre et pourtant tout oppose l'esprit tourmenté, un peu infantile, timide, parfois même féminin, de Victor, à la rude simplicité, la virilité tranquille de Simon qui rappelle les personnages joués par Lino Ventura (qui commença, rappelons-le ici, dans le catch et la lutte). Masques sociaux avec le très beau personnage de Jeanne, la propriétaire du bar qui se révèle une lectrice assidue, admiratrice de Gérard de Nerval. Il y a aussi la fausse urbanité du Finlandais masquant sa violence et la décrépitude physique de l'homme de pouvoir, Tom.

La mise en scène multiplie les effets de miroir, littéralement mais aussi plus subtilement dans les cadrages, écran large, lors des confrontations, soir les yeux dans les yeux, soit sans se regarder. Un visage de profil et l'autre de face, deux visages de face, "Ne le regarde surtout pas" prévient l'entraîneur lors de la visite de Tom. Mais comment résister à ce besoin irrésistible depuis les contes antiques ? Victor veut voir derrière son masque au risque du vertige et du néant, quand bien même ce masque qu'il ne cesse d'arracher en rêve est porté par un autre. Et cette pulsion primale de déclencher le drame.

david perrault,cannes 2013

Ensuite, il y a cette superbe photographie en noir et blanc signée Christophe Duchange qui a accompagné David Perrault sur ses deux courts métrages. Elle donne une clef essentielle du projet artistique. Stylisée, contrastée, l'image cherche et trouve la texture même des films de l'époque : noirs profonds, large palette de gris, blanc lumineux, vibrants. Une texture particulière due au tournage essentiellement en intérieurs. Le travail de Christophe Duchange situe visuellement le film entre Touchez pas au Grisbi (1953 - photographie de Pierre Montazel) et Bande à part (1964 - photographie de Raoul Coutard). Car loin d'être la reconstitution d'une époque, ces années 60 que le réalisateur trentenaire n'a pas connues, Nos héros sont morts ce soir est une plongée fascinée, une rêverie poétique dans la chair même d'un certain cinéma. Un voyage mélancolique dans un univers de fiction aimé et dont il s'agit de retrouver le goût par les signes. La reconstitution minutieuse procède du même effet. Rien de spectaculaire que les moyens modeste d'un premier film n'auraient pas permis, mais des objets-repères, des signes de reconnaissance : le flipper où l'on imagine se pencher Anna Karina et Sami Frey, le juke box et ses vinyls, la camionnette Citroën type H (toute mon enfance), le cendrier et les oeufs durs sur le comptoir en zinc, la radio.

Certains admirateurs du film ont multiplié les références, de Ford à Hawks en passant par Becker ou Wong Kar-wai ( pour les ralentis sans doute). Ne manquait que Welles ! Un ensemble peut être un peu lourd à porter pour un jeune réalisateur. Plus simplement, le nom de Quentin Tarantino est plus intéressant parce que le principe de leurs films est proche. Ce sont les déambulations de réalisateurs-cinéphiles au sein de leurs univers de prédilection. Même goût de la scène (plus que de l'ensemble), même plaisir des dialogues (Perrault signe le scénario), même conception de l'utilisation de la musique avec ici une magnifique scène dansée autour d'une chanson de Gainsbourg, même attirance pleine et entière pour le geste cinématographique pour lui-même. C'est la beauté de ce cinéma et sa limite.

david perrault,cannes 2013

Il y a également un talent particulier dans la direction d'acteurs qui se sont vus proposer des rôles assez inhabituels pour notre époque. Denis Ménochet (Victor) et Jean-Pierre Martins (Simon) sont impeccables et crédibles en catcheurs, Pascal Demolon compose un savoureux finlandais, parfait second rôle à l'ancienne comme Philippe Nahon quoique ce dernier reste dans un registre bougon qu'on lui connaît. Les deux femmes de l'histoire sont assez formidable. Alice Barnole (apparue furtivement chez Bonello et Bourdos) défend bien ses quelques scènes (dont la danse sur Gainsbourg), vive et acidulée, j'ai regretté de ne pas la voir plus. Surtout, il y a l'épatante Constance Dollé en Jeanne, femme de tête, femme mûre, femme sensible, un peu hawksienne pour le coup, entretenant des rapports très libres avec Simon. Elle apporte une touche d'émotion bienvenue dans ce monde masculin. Au final, si certaines inflexions du scénario ne m'ont pas tout à fait convaincues, Nos héros sont morts ce soir est un film séduisant, d'un culot réjouissant, plein de promesses et d'une déjà belle assurance.

Cette année, si je mets côte à côte les premiers films de Perrault et Peretjatko, que j'y ajoute ceux de Justine Triet (La bataille de Solférino), de Guillaume Gallienne (Les Garçons et Guillaume, à table !), de Yan Gonzales (Les rencontres d'après minuit), films que je n'ai pas vus mais dont je connais les réalisateurs et apprécie leurs courts métrages, et si j'ajoute encore les francs-tireurs Bozon et Guiraudie, et bien il y a de quoi, bien au-delà de la palme, de quoi espérer dans le cinéma français des années à venir.

Photographies : © UFO Distribution

31/05/2013

Cannes 2013 - La fille du 14 juillet

Antonin Peretjatko est un cinéaste français du début du XXI ème siècle qui porte un patronyme difficile à prononcer au début, et à l'occasion de jolies vestes chamarrées. Comme d'autres jeunes gens de son temps, il fait du cinéma parce qu'il pense non sans raison que tant qu'à faire quelque chose, autant que ce soit agréable. Il a commencé par quelques courts métrages comme L'opération de la dernière chance (2007), Les secrets de l'invisible (2011) et surtout French Kiss (2004), qui en ont fait rire beaucoup et agacé quelques uns. Avec La fille du 14 juillet, il passe au long métrage, là, tout de suite maintenant. Un titre programmatique qui claque comme un jour de fête. « La fille » renvoie au goût de Peretjatko pour les jolies actrices incarnant des personnages piquants, enjoués, traversant la vie d'un pas dansé, bousculant de leur fantaisie des hommes aux regards de cocker triste, un peu lubriques à l'occasion, avec ce rien de calvitie so charming. Ce sera donc une histoire d'amour où l'on retrouvera la brune Vimala Pons (vue dans Adieu Berthe chez les Podalydès et 36 vues du pic Saint-Loupchez Rivette), la blonde Marie-Lorna Vaconsin (L'actrice fétiche de Peretjatko), et côté masculin Grégoire Tachnakian, Thomas Schmitt (autre habitué de l'univers du cinéaste avec sa voix à la Daffy Duck) et Vincent Macaigne que l'on ne présente plus.

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« 14 juillet » revoie pour sa part à l'acte fondateur de notre belle République et à la dimension politique du film, dans la continuité du travail de Peretjatko qui pratique un cinéma radical et engagé, radicalement déconnant tant l'heure n'est plus à la docte réflexion mais à l'action. La crise, l'emploi (son absence), le logement, la culture, la police, sont au cœur du film et l'heure est grave. Le 14 juillet c'est aussi la fête nationale, jour de congé avec son défilé militaire au son de la musique du même nom, les rangs de soldats athlétiques descendant les Champs-Élysées en saluant le président de la République, encore elle. Et puis ce sont aussi les bals populaires, les pétards, le soleil, les vacances et les congés payés, juillettistes sur les plages, images de couleurs et de bonheurs simples. Un art de vivre quoi.

Il y aura donc tout cela dans La fille du 14 juillet, film-univers généreux, avec plein d'autres choses comme des routes de campagne, des jolies voitures, de bons cigares, une fête foraine, un manuel de savoir séduire, Paris et ses monuments, des parapluie colorés, tout un inventaire à la Prévert pour un film-collage qui tient du voyage-surprise. Car tout est pris dans le mouvement d'un film construit sur un motif éprouvé de comédie, celui du film-poursuite. Soit donc l'histoire d'amour naissante entre Hector, gardien au Louvre, et Truquette (Parce que Truc, c'est masculin) Vénus d'Ille faite femme sans emploi. Tant qu'à ne rien avoir à faire, autant prendre des vacances. Direction la mer en compagnie d'un docteur Pator douteux (Macaigne dans un registre loufoque), de l'amie Charlotte (Vaconsin) et son frère maître nageur devant rejoindre au plus vite son poste (Schmitt). Leurs aventures loufoques dans une France que l'on veut remettre de force au travail en avançant la rentrée d'un mois s'enchaînent sur un rythme soutenu et une durée raisonnable (87 minutes) qui évite la saturation. Mouvement et couleurs, Peretjatko procède par tête à queue et coq à l'âne, accumulations et collages, utilisant la performance (Truquette cherchant à vendre une revue révolutionnaire aux militaires du défilé), l'esprit bande dessinée école Fluide Glacial (nombre de gags naissent du montage orchestré par Carole Le Page et Peretjatko, comme ce débrayage d'espace quand Truquette se retrouve seule sur une immense plage) et puise dans des formes cinématographiques classiques : le burlesque, le western, le film de gangster, le road-movie.

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Mais Antonin Peretjatko m'apparaît surtout comme le fils (ou petit-fils) spirituel du Jean-Luc Godard léger période Une femme est une femme (1961) et Bande à part (1964) où le Louvre était déjà envisagé comme terrain de jeu. Il y a de pires inspirations quoique la musique pétaradante du générique renvoie aussi à ces comédies populaires avec Louis de Funès à son zénith. La photographie de Simon Roca, colorée et solaire, très estivale, est dans le même esprit. L’ensemble possède un pouvoir euphorique indéniable. Toute cette trépidance nous laisse heureux et légèrement essoufflés, regrettant un poil les moments rares de respiration comme cette séance d'équilibrisme sur les bouteilles, où Vimala Pons arbore un joli collant noir façon Musidora et rappelle qu'elle est à l'origine une artiste de cirque.

Et comme chez Godard, le discours politique est frontal. Si les personnages sont rêveurs, la dimension satirique du film est bien de son temps qui est le notre. Peretjatko les plonge dans une France paniquée, dans une société corsetée par ses interdits (la scène hilarante de la baignade). Les pouvoirs sont moqués sans retenue (Le retour de Sarkozy, la police roulée dans la farine). Comme dans tout bon burlesque, personne ne respecte les règles, par hasard, par avidité, par amour ou simplement pour avoir la paix. Le désir est moteur et chez Peretjatko, il est roi : désir de vacances, désir de mer, désir de Truquette. La dynamique de comédie laisse peu de place à de véritables personnages. Ce sont caricatures et types là encore proches de la bande-dessinée, qui compensent leur simplicité par les performances d'acteurs aimables et qui s'amusent visiblement beaucoup. S'ajoute également le soin que Peretjatko apporte aux seconds rôles dans une certaine tradition du cinéma français. Au final, avec son premier long métrage, le réalisateur œuvre en continuité avec ses courts, éprouvant son univers personnel sur la durée. Mission accomplie avec brio. « Les cigares que j'aime, la musique que j'aime, les gens que j'aime ». Tout un programme pour le film-manifeste d'un anarchisme ludique, débraillé, irrespectueux. So french.

Photographies : © Ecce Films et Shellac

29/05/2013

Fragments cannois

Le grand cirque cannois a replié son chapiteau et roulé le tapis rouge. Sans ses paillettes la ville est tristounette dans ce frais mois de mai. Les amis, venus parfois de très loin, sont rentrés. Restent les multiples images des films découverts et une poignée de souvenirs dont la douceur efface heureusement les agacements habituels. Cannes 2013 c'était :

D’abord la joie de discuter du prochain film de Mikhaël Hers avec Dounia Sichov, l'une de ses actrices de Memory Lane (2010), qui sera de cette nouvelle aventure.

La séance de Lucky Luciano (1973) de Francesco Rosi à laquelle est venu assister Christopher Waltz, très studieux. A quelques sièges de lui, dans une superbe robe blanche, la belle Nicoletta Braschi.

Le chapeau de David Perrault et la veste de Antonin Peretjatko.

Le Mouton-Cadet de la fête du court.

Saluer, autour d'une délicieuse Kriek sur la plage de la Quinzaine, l'équipe de La fille du 14 juillet du même Antonin Peretjatko, juste après les fous rires de la séance.

L'intense émotion de Mohammad Rasoulof et de son équipe venus présenter Dast-neveshtehaa nemisoozand (Les manuscrits de brûlent pas), sortit clandestinement d'Iran et tourné dans des conditions difficiles. Et puis son sourire timide à la sortie de la projection.

cannes 2013

La chevelure argentée de Jim Jarmush au bout du tapis rouge.

L'idée entêtante que chaque jour je pouvais croiser Steven Spielberg au détour d'un couloir.

Et puis, parce qu'il faut bien mesurer ce que cela représente pour un cinéphile de mon acabit, la séance de la version restaurée (à tomber!) du Vertigo (Sueurs froides – 1958) d'Alfred Hitchcock en présence de Kim Novak. Élégante et alerte dans son ensemble noir et blanc, toujours très blonde, celle qui a travaillé avec Hitchcock donc mais aussi Richard Quine, Billy Wilder, Robert Aldrich, Otto Preminger ou George Sidney, la partenaire de Fred Astaire, James Stewart, Jack Lemmon ou William Holden a fait passer le souffle de la légende hollywoodienne, faisant vibrer la salle du soixantième de sa belle voix profonde.

Photographie Guy Ouillon (merci !)

10:10 Publié dans Festival | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cannes 2013 |  Facebook |  Imprimer | |

22/05/2013

Femme debout

Ce qui est très agréable avec l'expérience ZoomArrière, c'est qu'elle donne envie de découvrir des films, éventuellement de les revoir. Suivant les bons conseils de mes camarades, j'ai profité de la promenade dans l'année 1954 pour voir ce qui restera le dernier film réalisé par Jean Grémillon, L'amour d'une femme, avec le curieux sentiment que je l'avais peut être bien déjà vu, mais complètement oublié. Ça arrive. J’inaugure pour l'occasion une note basée sur les photogrammes du film, captures du DVD Gaumont.

jean grémillon

De Jean Grémillon, on connaît surtout Remorques (1941) avec le couple Gabin – Morgan, l'océan et les tempêtes, Lumière d'été (1942), film solaire et magique tourné dans les Alpes Maritimes, et Le ciel est à vous (1944) avec Madeleine Renaud en aviatrice. Je ne connais pas du tout sa période muette où il tourne des documentaires, mais il a plusieurs autres titres tout à fait estimables quoique assez oubliés aujourd'hui. Ce n'est pas toujours un nom qui vient immédiatement à l'esprit quand on évoque les cinéastes majeurs des années 30/40, il en fait à mon sens tout à fait partie. C'est un grand cinéaste de la passion, des femmes et des éléments de préférence déchaînés. L'amour d'une femme est a ce titre une magnifique synthèse.

jean grémillon

L'héroïne de Grémillon, c'est Micheline Presle, la Boule de Suif de Christian Jaque. Elle incarne la doctoresse Marie Prieur qui débarque sur l'île d'Ouessant pour remplacer le vieux praticien qui prend sa retraite. Elle va devoir se faire accepter dans ce milieu rude et lutter contre les préjugés, mais surtout résoudre ses propres contradictions, passionnante lutte interne entre désir amoureux et accomplissement professionnel. Grémillon la filme magnifiquement avec quelques gros plans comme celui-ci d'une grande puissance d'émotion.

jean grémillon

Mais il l’inscrit aussi dans son environnent et montre comment elle va physiquement y prendre sa place. Au début du film, lors de son installation, il y a cette image de Marie découvrant le phare de la Jument depuis sa chambre. Un bâtiment mythique que Philippe Lioret utilisera dans L'équipieren 2004. Je sens un rapport souterrain entre Marie et Mabé, le personnage joué par Sandrine Bonnaire mise dans une situation inversée (elle est l'autochtone). La figure du phare, très avancé sur l'océan, y joue un rôle similaire se prêtant à de multiples symboliques : la solitude, la ténacité, le courage, le défi à relever, la force intérieure.

jean grémillon

Carette, Julien Carette, le parigot dans toute sa splendeur se coule en Le Quellec, bedeau breton condamné par Marie Prieur au régime sec. Personnage truculent, fordien, respiration d'un film rude. C'est en le revoyant que je me suis dit que je connaissais déjà le film.

jean grémillon

Joli collage, on dirait du Godard avec dix ans d'avance. Gaby Morlay, très classe (en institutrice!) inscrit les dilemmes de Marie dans la continuité. Germaine Leblanc aussi est venue, seule, s'accomplir dans sa mission éducative. Elle a mené le même combat avec bonheur mais non sans une certaine mélancolie. Elle incarne aussi, dans un film qui aborde toutes les facettes d'une situation, la crainte de la solitude quand vient le temps de la retraite. Et pour boucler la boucle, Grémillon introduit à la fin du film la jeune remplaçante de madame Leblanc, jouée par Jacqueline Jehanneuf, dont ce sont les débuts. Elle débarque avec les mêmes rêves que Marie mais elle a trouvé une solution pour concilier vie affective et vie professionnelle. Pour Grémillon, le combat s'inscrit dans la continuité et il progresse.

jean grémillon

Filmé à Ouessant, L'amour d'une femme est un film de grand air claustrophobique. Il rend le côté compact du village, un endroit qui peut à la fois être chaleureux et redoutable quand la collectivité s'immisce dans les vies privées et s'oppose à l'intimité. Cette gestion originale de l'espace est une des beautés de la mise en scène de Grémillon.

jean grémillon

Dans le village, le bar est le pivot de toutes les actions. Le point où se rencontrent tous les personnages, lieu des conflits, lieu de détente, lieu où se célèbre la victoire de Marie mais où se brise sa passion amoureuse pour le bel ingénieur qui ne sait pas y trouver sa place, pris par ses propres préjugés et son égoïsme.

jean grémillon

Grémillon, c'est aussi une dimension spectaculaire. L'océan déchaîné, le canot, le vent, un cinéma physique dans la continuité des ses œuvres précédentes. Malgré l'artifice du studio sur certains plans (pas celui-ci), la traversée de Marie pour secourir un gardien de phare en pleine tempête est le morceau de bravoure du film. Comme dans les films de Howard Hawks, accomplissement de l'être passe par ce courage face au danger partagé et à l'exercice maîtrisé de son métier. Marie est une grande professionnelle.

jean grémillon

Et elle le prouvera dans la superbe scène de l'intervention chirurgicale, dans le phare avec la tempête qui hurle au dehors et ces hommes fascinés par les gestes, précis, admirables, de la doctoresse. J'adore les scènes d'opération et celle-ci est au petit poil.

jean grémillon

Il y a encore chez Grémillon une dose d'ironie quasi blasphématoire. Tandis que son amie est victime d'une attaque, Marie folâtre avec son amant dans les ruines d'une église. Et Grémillon de nous donner quelques plans somptueux et délicatement érotiques de cette passion qui oublie tout avant que...

A lire chez Doc Orlof

A lire chez Christophe

A lire l'article de Ariane Beauvillard sur Critikat

18/05/2013

Vengeance all'dente

Il figlio di Django (Le retour de Django). Un film de Osvaldo Civirani (1968)

Pour Les Fiches du cinéma

osvaldo civirani

Cinémascope. Un vaste paysage désolé de montagnes enneigées. Avec un petit effort, le spectateur pourrait se croire dans un western d'Anthony Mann. Mais il s'agit de l'Italie et nous voici à découvrir le film Il figlio di Django (Le retour de Django) qu'Osvaldo Civirani réalise en 1967. Django n'est ici qu'une marque, un nom qui claque comme un signe de reconnaissance. Django meurt d'ailleurs dès la première minute, tué sous les yeux de son fils un peu comme au début de Da uomo a uomo (La mort était au rendez-vous) de Giulio Petroni réalisé la même année. L'enfant survit et il a un indice sur le tueur et son commanditaire. Devenu grand et habile au six-coups, il n'aura de cesse de … « Se venger ! ». Oui. Merci à ma droite, vous connaissez vos classiques. Non, sur ma gauche, je ne me moque pas. Ce Figlio di Django est une agréable surprise. Comme nombre de westerns italiens produits en série en ces années bénies, il aligne une foultitude de figures imposées : musique à la trompette avec chanson pop (ici They Called Him Django chanté par les Wilder Brothers), cavalcades et embuscades, dose de sadisme, passage à tabac, fusillades avec les balles qui miaulent, hommes de mains mal rasés et ricanants. Et si Django n'est plus, son célèbre manteau noir se retrouve sur les épaules d'un personnage de prêtre, ex-tueur à gage reconvertit. Rien de neuf donc mais, comme pour tous les films intéressants du genre, il y a une façon originale de jouer avec ces éléments de base. Une grande partie du charme de ce film tient à ses maladresses et à ses digressions. Le premier quart d'heure est si tarabiscoté qu'il arrive à embrouiller une intrigue simplissime. Il y a un duel qui n'en est pas un, un cavalier qui arrive sur une musique tonitruante pour se faire abattre aussitôt, une selle mexicaine scintillante sur laquelle on insiste avant de l'oublier complètement. Nous ne savons pas trop qui est qui, qui est avec qui et pour faire quoi. Finalement, nous repérons le héros qui est mis en prison avec un joueur de cartes français (savoureux). Nous sommes à la limite de décrocher mais le film acquiert une modeste poésie surréaliste.

Par la suite le film s'éclaircit tout en conservant ces petites touches décalées. Un homme balaie en arrière-plan, une femme secoue un tapis, le barman chinois a un curieux échange avec une entraineuse de saloon. Il y a sur la bande sonore des cris d'animaux insistants, des poules chez le pasteur, des canards, des chiens. Il y a cet intermède musical incongru et inutile, atrocement interprété. Il y a Demofilo Fidani, le roi du film bizarre et fauché, à la décoration. Les personnages semblent parfois comme suspendus, perdus dans leurs pensées avec une façon de faire durer les plans juste un peu trop longtemps comme sur la femme du rancher assassiné qui regarde dans le vague avant de décider de revenir le venger.

osvaldo civirani

Osvaldo Civirani a une modeste carrière de réalisateur dans le cinéma de genre entre 1963 et 1976. Quelques peplums, une poignée de westerns, et un ultime giallo en 1976. Mais il a aussi une jolie carrière de photographe de plateau pour des films signés Federico Fellini, Pietro Germi et Lucchino Visconti. Quand même. Ceci explique peut être qu'il signe la photographie de plusieurs de ses films, dont celui-ci, gratifié de jolies ambiances nocturnes dans la petite ville où se situe l'action. Si son Figlio di Djangoreste trop timide dans son étrangeté, il offre néanmoins quelques beaux moments. L'inévitable passage à tabac est exercé sur un personnage secondaire, le rancher Grayson, sous les yeux de sa femme, de tout le village qui n'intervient pas et du shérif local qui, western italien oblige, s'échappe discrètement. La scène impressionne par sa violence et sa longueur, la combinaison des deux faisant naître un malaise qui évite la complaisance. Il y a surtout une belle mise en scène des différents groupes et de leur regards croisé sur la scène : les témoins passifs, la femme affolée, le héros attentif, les hommes de main d'un autre rancher théoriquement allié de Grayson qui finissent par intervenir, un peu tard. Dans la longue histoire des passages à tabacs du western italien, celui est très réussi et fait regretter que le réalisateur n'ai pas su conserver ce niveau tout au long du métrage. Il y en aura un second appliqué plus classiquement au héros mais qui fera moins frémir.

osvaldo civirani

L'interprétation est également de qualité variable. Gabriele Tinti dans le rôle titre joue l'implacable à la limite de la parodie involontaire, le regard clair, la mâchoire serrée, excessivement confiant en ses capacités de tireur. Lors du finale dans un saloon, il affronte (presque) tout seul une quinzaine d'adversaires sans sourciller. C'est l'unique incursion dans le western italien du Don César de Gérard Oury et de l'heureux époux de Laura Gemser. Plus intéressant, Guy Madison est un authentique acteur américain qui donne une jolie présence au personnage du père Fleming, le pistolero qui a trouvé la foi. Madison a tourné à Hollywood pas mal de westerns dans les années 50, parfois des bons comme The Charge at Feather River (La Charge sur la rivière rouge - 1953) de Gordon Douglas, The Command (La poursuite dura sept jours - 1954) de David Butler, The Last Frontier (La Charge des tuniques bleues – 1955) d'Anthony Mann ou l'excellent Reprisal ! De George Sherman où il joue avec intensité un métis reniant son identité indienne. Comme tant d'autres, il part au début des années 60 donner un second souffle à sa carrière en Italie. Madison donne ici une présence morale à son personnage qui rend intéressante sa confrontation avec celui joué par Tinti, un difficile rapport père-fils qui justifie une fin inhabituelle. Autour d'eux, du classique, plutôt solide mais inégal notamment pour ce qui est de la partie féminine. A noter Ivan Scratuglia dans le rôle de « 4 Aces » le joueur à l'inénarrable accent français à savourer en version originale. Sans être une révélation du genre, Il figlio di Django réjouira l'amateur à ma gauche, et le curieux de passage sur ma droite.

Photographies : capture DVD Sidonis

Le DVD

16/05/2013

Fenêtre

Mud. Un film de Jeff Nichols (2012)

Au moment ou s'ouvre le 66e Festival de Cannes, il me semble intéressant de revenir sur cette sortie tardive du Mud de Jeff Nichols actuellement dans les salles, sortie sans doute due à des contraintes de distribution. Je ne peux m'empêcher de rapprocher ce fait avec sa présentation cannoise, le dernier jour alors que depuis une semaine le festival ressassait comme un mantra que l'édition était décevante. Du coup, j'avais eu l'impression que le film, présenté à un public lassé et ne pensant qu'à son départ imminent, était passé par pertes et profits. Mud reste pour moi une réussite majeur et à vue de nez le meilleur des films de la compétition 2012. A l'époque je n'avais pas encore vu le film précédent de Nichols, Take Shelter (2011) dont plusieurs collègues blogueurs avaient fait l'éloge. Sur le moment, et malgré l'envie que j'en avais, je n'ai pas réussi à écrire quelque chose. Je me suis dit que j'y reviendrais au moment de la sortie en salles et puis le film n'est pas sortit et le souvenir s'est estompé. D'une façon curieuse, il me reste aujourd'hui une impression d'ensemble forte, l'atmosphère, le ton et quelques images qui vont me rester. Si je creuse là-dedans, en faisant l'effort de ne rien lire d'actuel comme l'ensemble élogieux dans le dernier Positif, de ne pas consulter les fiches ici et là, qu'est-ce qui ressort ? Un lieu, les bords du Mississippi, le fleuve, terres et eaux mêlées, des petits îlots, une végétation dense, le soleil. Un espace pour l'Aventure. Des gens vivent là, dans des baraques construites sur les rives, ils ont quelque chose des pionniers. Une rudesse, le verbe rare, une idée de la dignité chevillée au corps, une violence aussi. Il est possible de les voir également comme des refoulés de l'Amérique du XIXe siècle. Ils sont pauvres, ils sont à part mais certains y sont venu volontairement (le personnage joué par Sam Shepard).

jeff nichols

Le héros du film est un adolescent flanqué de son camarade et Nichols cite clairement les romans de Mark Twain. Comme dans Tom Sawyer et La vie sur le Mississippi, il est question d'initiation à la vie, à l'amour, à la mort. Beau programme. Les deux enfants rencontrent un drôle de type, Mud, un taulard évadé avec un revolver et des tatouages, joué avec intensité par Matthew McConaughey, réfugié dans un bateau échoué sur un arbre. Belle image. Il y a cette fois du Robert Louis Stevenson, avec cet homme en marge et ses promesses d'aventures et de danger comme Long John Silver quand il entre dans la taverne de l'amiral Benbow. Cette fois la promesse sera tenue. Mud convainc les enfants en leur disant qu'il est là par amour, pour retrouver sa compagne. Faut-il le croire ? Nichols entretien le doute une bonne partie du métrage, sans trop insister parce que l'intérêt, c'est que les personnages y croient. Dans Take shelter, le héros est persuadé qu'une tornade va arriver et « à force de raconter des choses horribles, elles finissent par arriver ». Mais ce n'est pas plus mal. Levez vous orages désirés ! Dans Mud, il y aura de l'action, des coups de feu, de la romance, une femme très belle en danger, le mouvement au sein d'une nature exaltante, le danger, la douleur, la mort, bref comme disait Samuel Fuller, en un mot l'émotion.

J'ai oublié beaucoup de choses de Mud, mais il y a ce plan superbe d'une fenêtre ouverte sur la nuit que contemple le jeune héros. Il se demande s'il doit sortir, affronter les peurs primales pour rejoindre le taulard fascinant sur le fleuve. Les bruits de la nuit entrent avec le vent léger. Image sublime de l'appel de l'Aventure, effrayant mis irrésistible. Besoin de fiction et de rêve. Le jeune héros n'y résiste pas. Ce courant d'air frais, c'est celui du cinéma de Jeff Nichols. Un cinéma franc et direct, qui s'émerveille sans mysticisme, qui raconte sans clin d’œil ni coup de coude complice, sans complaisance. Un cinéma à hauteur d'homme, à hauteur d'imaginaire. Un cinéma devenu rare en résistant aux effets pyrotechniques et au spectaculaire vain dans l'air du temps un peu d'air frais sur le cynisme ordinaire.

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12/05/2013

Les indiens sont bien plus près

The exiles. Un film de Kent McKenzie (1961)

Pour Les fiches du Cinéma

At night sometimes it seemed

You could hear the whole damn city crying

Blame it on the lies that killed us

Blame it on the truth that ran us down

(Backstreets – Bruce Springsteen)

Je n'ai jamais eu de problème avec la représentation hollywoodienne des indiens. A partir du moment ou il n'y a ni mépris ni volonté de tourner en ridicule, ce qui a malheureusement été souvent le cas, j'accepte volontiers l'image que le vainqueur donne du vaincu. Et je préfère la cohérence d'un point de vue, par exemple celle des passagers de la diligence de Stagecoach (La chevauchée fantastique – 1939), et l'honnêteté d'une tentative d'approche chez John Ford, Anthony Mann, Georges Sherman, William Wellman ou Sidney Pollack, aux artifices de la mauvaise conscience d'Arthur Penn ou Ralph Nelson. Dans la représentation de « l'autre », le vainqueur ne saurait donner une image juste du vaincu, ni prétendre se mettre à sa place. Il ne peut que retourner le stéréotype comme un gant ce qui ne nous avance pas beaucoup. Le point de vue des indiens, dans l'histoire qui nous intéresse ici, doit être pris en charge par des indiens et, sans surprise, de tels films sont rarissimes. Et c'est là qu'est le scandale.

Ce long préambule pour dire le bonheur de découvrir The exiles, réalisé de 1958 à 1961 mais jamais sortit malgré une sélection au festival de Venise. Certes, le réalisateur Kent Mackenzie n'est pas un indien. C'est un anglo-américain né en 1930 à Londres et dont la famille s'est installée à New-York au début de la seconde guerre mondiale. Il y fera des études de littérature avant que son intérêt pour le cinéma ne le fasse bifurquer vers l'écriture de scénario. Il fait ensuite le voyage vers Hollywood et entre au département cinéma de la University of Southern California. Son court métrage de fin d'études sera le documentaire Bunker Hill, sur ce quartier de Los Angeles qui inspira Charles Bukowski et John Fante. C'est là qu'il rencontre, sensibilisé par son amitié pour Tom Two Arrows (indien Onondaga, artiste et danseur professionnel), les jeunes indiens de la ville basse avec lesquels il sympathise et traîne le soir. C'est là que va naître The exiles, un film entre fiction et documentaire qui donne la parole et l'image à des indiens vrais. Ce sont des femmes et des hommes qui vivent dans cette Amérique de 1960, dans ce quartier de Bunker Hill à Los Angeles. Ce sont eux qui prennent la parole et les voix off donnent au film un aspect choral où pourtant le « Je »  domine. Se déroulant sur environ 24 heures, The exilesnous montre des gens exilés dans leur propre pays, entre l'Amérique du vainqueur, une ville gigantesque où ils constituent une sorte de sous-prolétariat, réduits à des petits boulots, au chômage, parfois à la prison, et la réserve de San Carlos, celle-là même qui fut créée en 1872 pour les apaches Chiricahua menés par Cochise. La terre ingrate qui leur a été laissée.

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Pour rappeler d'où ils viennent, Kent Mackenzie ouvre son film sur une série de photographies du XIXe siècle prises par Edward Sheriff Curtis, photographe et ethnologue qui travailla à préserver cette mémoire visuelle de 1907 à 1930. Visages nobles et marqués, images d'un temps révolu qui ne saurait se confondre avec la représentation hollywoodienne. Ce qui succède, les visages des héros de Mackenzie, est très différent car beaucoup plus proche. Encore que pour les spectateurs contemporains, une nouvelle couche de temps est venue se superposer sur ces jeunes adultes de la fin des années 50. Nous les découvrons comme les personnages des premiers films de John Cassavetes, buvant du Coca, lisant des comics, conduisant des coupés décapotables, écoutant du rock and roll (jolie bande musicale avec les morceaux des Revels). Une assimilation sans entrain à « l'American way of life » du moment. Toute la journée, ils attendent la soirée où ils pourront partir en virée comme dans une chanson de Bruce Springsteen pour draguer, boire, se battre et brûler doucement leur jeunesse.

Sur cette base documentaire se superpose le commentaire ou chacun d'une voix étrangement neutre, raconte sa vie et ou apparaît ce qui est spécifique à leurs existences : le lien avec la réserve, le racisme ordinaire, la violence des rapports, le problème de la boisson présenté comme une calamité majeure, mais aussi l'attachement à certains rites conservés au sein de la communauté. Quand la nuit est bien avancée, le film nous entraîne sur la colline « Hill X » où les indiens se réunissent pour danser sur des musiques qui n'ont plus rien de rock and roll. Ils y retrouvent les rythmes et les gestes de leurs ancêtres, des gestes désespérés, comme une transe collective. Et l'on se souvient de la « Ghost Dance » au crépuscule des nations indiennes qui entendait faire revenir les bisons massacrés et chasser les blancs des terres. Le film prend alors des accents quasi-fantastiques par cette ambiance nocturne et un montage qui épouse le rythme de la musique et accélère avec la sarabande tandis que se résout une intrigue sentimentale en rappel à la contemporanéité du film. Et le film de s'achever sur un petit matin mélancolique à l'ombre du funiculaire Angels Flight.

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The exiles possède deux dimensions qui enrichissent son propos déjà original. Sans fausse pudeur, Kent Mackenzie montre la place de la femme dans la communauté, victime de la violence machiste mais paradoxalement plus adaptée à la modernité. C'est une femme, Yvonne Williams, qui prend la parole la première. Elle doit assurer les tâches quotidiennes dans son petit appartement tandis que les hommes glandent, les fesses dans les canapés. Mais Yvonne se révèle la plus déterminée à s'en sortir, à faire des plans d'avenir, alors que les hommes sont comme anesthésiés par leur sort difficile. Pour elle, le rêve américain, même étriqué, reste un possible. Cette approche sensible donne non seulement de beaux portraits mais évite tout apitoiement facile. Et cela n'empêche pas le réalisateur de se montrer délicat à l'occasion dans tel geste, tel regard masculin (la scène du rasage par exemple).

L'autre dimension élargit le portrait en dépassant celui du groupe. The exiles est une plongée dans Bunker Hill, un quartier qui sera complètement détruit au début des années 60 juste après que le film soit terminé. Le documentaire Bunker Hill : A tale of urban renewal réalisé en 2009 et proposé en bonus revient sur cette histoire mouvementée, des luxueuses demeures de la belle époque au dynamisme d'un quartier populaire dont les habitants ont été chassés pour réaliser de juteuses opérations immobilières en détruisant sans sourciller près d'un siècle d'histoire. Même la colline a été arasée lors des travaux. Une histoire triste qui mêle politique, architecture, social, environnement et pognon, mélange détonnant que nous retrouverons dans le gaullisme immobilier qui défigura une bonne partie de Paris. The exiles est ainsi un témoignage rare sur le quartier et sa vie d'alors organisée autour du fameux téléphérique (seul survivant actuellement) entre ville haute et ville basse. Sans insister, Mackenzie ouvre le champ d'une lecture politique où les indiens sont aussi des pauvres, les pauvres des pauvres. Drôle de civilisation qui a si peu de considération pour son passé, ses courtes racines, son histoire, et ne saurait donc en avoir pour celles des autres. Le réalisateur relie discrètement le sort des « natives » à celui de tout un petit peuple éternellement sacrifié à l’inflexible loi de l'argent.

Photographies © Milestone Films

Le site du film

Un site sur le photographe Edward S. Curtis

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10/05/2013

1954 en 10 (autres) films

Le duo Fred Astaire - Cyd Charisse domine sans conteste l'année 1954 sur Zoom Arrière et suivent quelques oeuvres magnifiques. Aussi je vous propose cette fois dix films qui ne sont pas dans la tête du peloton, dix films à découvrir, éventuellement à rédécouvrir si l'on a l'impression de les avoir trop vus. Avec par ordre d'entrée en scène Donna Reed et sa robe noire, Monty Clift sans sa trompette, un des merveilleux monstres animés par le regretté Ray Harryhausen, le premier western en relief, Ava Gardner et sa robe blanche au clair de lune africain dans les bras de la moustache frémissante de Clark Gable, Guy Madison dans le premier western en CinémaSCope de la Warner, le monde fantastique du Dr T., Lee Van Cleef chez Hugo Fregonese, Silvana Mangano dans un double rôle pour une lecture colorée de l'Odyssée, les martiens atomiseurs qui craignent l'eau et un admirable duo féminin vu par Allan Dwan. Photographies DR, piquées un peu partout.

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08/05/2013

Terence Hill est Django

Preparati la bara ! (Django, prépare ton cercueil). Un film de Ferdinando Baldi (1968)

L'apparition fantomatique de Django, vêtu de noir et traînant son cercueil dans le film éponyme de Sergio Corbucci en 1966, ne pouvait rester sans descendance, succès oblige. Comme le Ringo de Duccio Tessari ou l'homme sans nom de Sergio Leone, Django est un mythe instantané dont la force visuelle indéniable a inspiré, plus ou moins bien et plutôt moins que plus, une foultitude de clones, vengeurs au verbe rare, à la barbe de trois jours et à la détente vive au-delà de toute vraisemblance.

ferdinando baldi

ferdinando baldi

Le Django de Préparati la bara ! (Django, prépare ton cercueil – 1968) est l'un de ces démarquages opportunistes. Au film de Corbucci, les producteurs reprennent sans sourciller les multiples signes extérieurs (Le manteau noir, le cimetière, le cercueil, la mitrailleuse) et surtout l'équipe créative : Franco Rossetti au scénario et Enzo Barboni à la photographie. Franco Nero étant partit tenter sa chance en Amérique, c'est un autre beau gosse au regard bleu qui reprend le manteau noir sur ses épaules. Un jeune acteur qui ne cesse de monter, Mario Girotti devenu Terence Hill l'année précédente avec un succès : Dio perdonna... io no (Dieu pardonne... moi pas) de Giuseppe Colizzi inaugurant son tandem avec Bud Spencer sur un registre encore sérieux. A ses côtés, deux méchants très méchants et très classieux, Horst Franck, acteur allemand vu chez Georges Lautner, Dario Argento ou Enzo G. Castellari, et l'élégant Luigi Montefiori dit George Eastman, icône du cinéma populaire italien qui porte avec conviction d'impayables costumes rayés façon mafioso. Et puis pour faire bonne mesure, quelques figures burinées sans lesquelles le western all'italiana ne serait pas ce qu'il est : le maître d'armes Spartaco Conversi, José Torres, Franco Balducci et Luciano Rossi.

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Le DVD

Photographies source Tre ragazzi d'oro

A lire chez Tepepa

A lire sur Psychovision

06/05/2013

Chasseurs

The hunters(2011) de Chris Briant

chris briant

J’avoue que j'ai marché à The hunters jusqu’à ce moment, à cet échange de répliques au bout d'une petite heure dans un français impeccable. The hunters est bel un film français (avec un peu de Belgique et de Luxembourg), réalisé par Chris Briant alias Etienne Huet, écrit par Michael Lehman alias le frère du réalisateur, et tourné en France, en Lorraine dans un fort qui évoque celui de la scène de présentation du commando de Brad Pitt dans Inglorious Basterds (2009) de Quentin Tarantino. Ici ce fort incarne le fort Goben que l'on imagine de l'époque de la guerre de Sécession. The hunters ressemble ainsi complètement à un film américain, une des thrillers flirtant avec le fantastique comme ils en ont fait beaucoup et comme de jeunes réalisateurs français ont envie d'en faire, quitte à passer outre Atlantique pour satisfaire leur désir. Curieux mimétisme qui rappelle les italiens dans les années 60 et 70 investissant le cinéma de genre à partir des modèles hollywoodiens, avec le même jeu sur les pseudos.

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Photographie © Raven Banner Entertainment

Le site du film

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05/05/2013

Piazza di Spagna

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Le ragazze di Piazza di Spagna (Les filles de Rome - 1952) de Luciano Emmer avec les belles Lucia Bosè, Cosetta Greco et Liliana Bonfatti. A leurs côtés, les tout jeunes Marcello Mastroianni et Renato Salvatori. Photographies DR.

25/04/2013

Paris au mois d'août

Paris brûle-t-il ? - Un film de René Clément (1966)

René Clément a une position un peu particulière dans l'histoire du cinéma français. Il démarre très fort aux côtés de Jacques Tati, co-réalisateur sur ses premiers courts métrages, puis c'est La bataille du rail en 1944, monument épique à la gloire de la Résistance des cheminots, film tourné à chaud qui combine le spectaculaire (le déraillement final) à des moments plus sobrement intenses (l'exécution) qui valent bien ce que Roberto Rossellini fait au même moment en Italie avec Roma città aperta (Rome ville ouverte). Clément apparaît alors comme un espoir neuf du cinéma d'après-guerre. Il est immédiatement reconnu, fêté et célébré dans de nombreux festivals. Il rejoint Jean Cocteau pour l'assister sur La belle et la bête (1946) avant de revenir à la Résistance sur un autre mode avec Le père tranquille puis l'intense huis-clos en sous-marin de Les maudits (1947). Dans le même temps, Clément se coule dans la continuité du cinéma d'avant-guerre, travaillant sur Jeux interdits (1952) avec les duettistes Jean Aurenche et Pierre Bost, et s'appuyant sur des adaptations littéraires (Zola, Duras, etc.). C'est ce qui lui vaudra d'être épinglé par François Truffaut dans son célèbre article, Une certaine tendance du cinéma français. Il ne fera pas partie des admirations des jeunes loups des Cahiers du Cinéma qui lui préfèrent l'ascétisme de Robert Bresson ou la chaleur de Jean Renoir ou Jacques Becker. Clément va incarner une idée de la perfection technique qui sera opposée aux essais libres de la Nouvelle Vague, surtout avec ses thrillers Plein soleil (1960) et Les félins(1964). Il agace peut être aussi par son côté touche-à-tout, ses succès publics et une impressionnante tripotée de prix. Taxé d'académisme, il entrera finalement à l'Académie des Beaux-arts en 1986.

rené clément

Dans cette carrière, Paris brûle-t-il ? en 1966 incarne mieux que tout autre titre de sa filmographie les contradictions d'un réalisateur pris entre deux générations. L'ancienne qu'il tente de dépasser par l'innovation technique, la nouvelle qui ne le reconnaît pas comme l'un des siens. Le cul entre deux chaises si je puis me permettre. Avec peut être un peu d'orgueil, Clément s'isole, aidé par son renom et sa réputation à l'international. C'est cette dernière qui amène le producteur Paul Graetz à lui confier son grand projet, le récit épique de la libération de Paris en août 1944, film à grand spectacle entendant rivaliser avec The longest day (Le jour le plus long – 1962) produit par Darryl F. Zanuck et recréant le débarquement en Normandie avec une distribution longue comme le bras. Considéré généralement avec condescendance, Paris brûle-t-il ? a acquit avec le temps le même statut que son rival américain : celui d'un film commémoratif compassé régulièrement diffusé à la télévision. Pourtant, à le revoir près de cinquante ans après sa sortie, s'il n'est pas exempt des défauts de la superproduction, il révèle des qualités bien réelles et sur certains points, le temps a travaillé pour lui.

Ce que je peux appeler la portée politique du film a évolué. En 1966, Paris brûle-t-il ? s'inscrit pleinement dans une vision gaullienne de l'histoire récente. Le peuple de Paris prenant les armes incarne l'image d'une France éternelle et résistante qui envahi avec la victoire les Champs-Élysées pour une descente triomphale de Mongénéral. Le chagrin et la pitié (1971), Lacombe Lucien (1974) et livres de Robert Paxton viendront avec la décennie suivante. En 1966, De Gaulle, réélu difficilement face à François Mitterrand l'année précédente, n'est plus l'homme de Londres mais le président d'une France qui s'ennuie, qui a besoin d'air et qui le fera bientôt savoir à coup de pavés. Une façon ironique de rejouer l'insurrection de 1944. Dans ce contexte, le film de René Clément apparaît comme une œuvre du bon côté du manche bien que le réalisateur s'en soit défendu. Il faut dire que la superproduction était tributaire de nombreuses autorisations, de soutien logistique, de syndicats pointilleux et d'un Partit Communiste encore puissant et sourcilleux quand à son image, ce qui a amené Paul Graetz a certains compromis. Aujourd'hui, il est possible de prendre le recul nécessaire. Le De Gaulle de 1944 et celui de 1966 se fondent dans l'histoire. Le film se détache de son contexte parasitaire (Jean-Louis Bory le soupçonnait de militer pour les législatives de 1967) et laisse mieux apparaître ses équilibres internes. Il se révèle plus subtil que ce qui en a été dit. Par exemple, la présence d'anciens républicains espagnols devenus membres de la fameuse 2éme DB du général Leclerc dans le premier détachement à pénétrer dans Paris. Ce rôle a été occulté jusqu'à de récentes réhabilitations. S'il n'y a rien d'appuyé, ils sont pourtant bien présents dans le film de Clément. On lit sur les half-tracks qui traversent la Seine les noms de « Madrid », «Ebro » et « Libération »  qui sont ceux de la « Nueve », l'unité du capitaine Raymond Dronne (Joué par Georges Staquet, « morts aux cons », c'est lui), et l'on assiste bien à l'arrivée du lieutenant Amado Granell à l'hôtel de ville. Il sera, premier officier « français » reçu par le Conseil National de la Résistance et Georges Bidault. Le-dit Bidault étant le grand oublié volontaire du film pour cause d'Algérie ( je ne rentre pas dans les détails), le traitement de la scène est une façon élégante de botter en touche : c'est le mouvement de la fraternisation entre soldats et insurgés qui est montré. Ce qui est est symptomatique, c'est la façon dont Clément montre ou suggère finalement pas mal de choses que l'on trouvera si on la curiosité de les chercher. Autre joli exemple, le jeu musical sur Maréchal nous voilà et La marseillaise lors de la prise de Matignon suffit à évoquer le pétainisme et les nombreux retournements de veste. Il est inévitable qu'il y aura des regrets sur le traitement de tel ou tel point, du passé de Choltitz aux femmes tondues, mais globalement, Clément arrive à tenir un certain équilibre et maîtrise sa masse de personnages (protagonistes réels dont la plupart étaient encore bien vivants, souvent en fonction et donc attentifs à leur image), et de faits sans perdre de vue l'objectif du film : donner une fresque épique sur un événement à la force symbolique indiscutable.

rené clément

"Sois bien ignoble, Jean-Louis" (René Clément sur le tournage)

Car la libération de Paris, c'est l'exorcisme collectif d'une nation qui vient de passer quatre années à genoux. C'est aussi la base d'une idée politique qui prend corps dans le programme du CNR. Plus qu'un cours d'histoire, ce que n'est jamais un film, Paris brûle-t-il ? est le sentiment de l'histoire vivante en un temps et un lieu précis. Son héros n'est pas à chercher dans sa pléiade de vedettes mais c'est la ville et sa population. Clément y réussit en attachant la même importance à ses stars qu'à ses figurants. Certes Chaban-Delmas est joué par Alain Delon mais il disparaît rapidement pour ne plus revenir. Jean-Paul Belmondo a sa scène, jolie d'ailleurs, et puis c'est tout. On se rappelle tout aussi bien la jeune fille rampant pour récupérer des armes sous la fusillade ou les jeunes résistants, un communiste et une catholique, se saluant sur les boulevards. Toute la dernière partie du film met en scène la population en armes, mêlant si bien plans reconstitués et archives en un montage habile signé Robert Lawrence que, le noir et blanc aidant, on ne distingue plus les uns des autres, avant que le documentaire de s'impose définitivement avec la descente de Mongénéral sur les Champs le 26 août.

Le talent de René Clément éclate dans les nombreuses trouvailles purement visuelles qui créent ce sentiment d'exhaltation à partir d'images parfois quasi abstraites mais fortes. Il y a cette forêt mouvante de bras qui cache l'entrée des chars alliés, il y a cette illumination progressive de la place de l'hôtel de ville sur les notes de Maurice Jarre, il y a l'utilisation tragique, quasi fantastique, des projecteurs lors de l'exécution des étudiants-résistants à la cascade du bois de Boulogne, il y a ce drapeau déchiré par mille mains et ces cloches qui se mettent interminablement en branle. Le réalisateur contrebalance le lyrisme par des touches plus moderato comme ce couple de commerçants qui découvre que les troupes qui entrent en ville sont françaises, par l'humour avec l'épisode de la vieille parisienne laissant intervenir les hommes de Pierre de La Fouchardière où la recherche du trajet depuis la porte d'Italie. C'est le meilleur du film. Il n'y a plus de vedettes mais un collectif, mais un mouvement. Le plus beau plan du film, c'est ce raccord sur une jeune femme qui grimpe sur un char et ce soldat qui l'entraîne. Raccord dans le mouvement, exhalation du mouvement, élan de la caméra, soudain sentiment de la libération, le soulagement, le joie pure. La silhouette anonyme qui embrasse le tankiste tout aussi anonyme a la puissance d'un tableau de Delacroix. Au crédit du film, il y a sans hésiter la partition de Jarre qui poursuit sur ses réussites de Lawrence of Arabia (1962) et Dr Jivago (1965) pour David Lean. Sa musique très présente fait corps avec le film et achève d'en faire décoller les plus beaux moments.

Il y a également un aspect du film qui prend toute sa valeur aujourd'hui. C'est le portrait du Paris de 1965, pas encore défiguré par, ironie, le gaullisme immobilier. Ce Paris est encore très proche de celui de 1944, sans voies sur berges, sans tour Montparnasse, sans trou des Halles, et autres horreurs du même genre. C'est dit-on pour cette raison que le film fut mis en chantier, avant que les projets urbanistiques ne rendent le tournage en extérieurs trop compliqué. Le film devient un témoignage précieux dont René Clément est conscient, donnant un portrait en creux de la ville revendiquée terrain de jeu par les ténors de la Nouvelle vague. Son Paris rejoint ceux de Godard, Truffaut ou Rohmer. La vision de ces grandes avenues désertées et des petites rues sans voitures ni l'infect mobilier urbain ont aujourd'hui quelque chose de magique.

rené clément

"Et tu meurs, à la fin ?" (Montand et Schneider sur le tournage)

Les défauts du film, j'y reviens, sont liés à son côté superproduction. Nombre des vedettes font pâle figure face à l'authenticité des figurants. Le rôle de Romy Schneider fut coupé sur injonction de son époux qui trouvait la scène trop mauvaise. Faudrait voir... mais les américains semblent peu concernés par leurs figures sans épaisseur. Yves Montand place de la Concorde est assez caricatural. Les morts absurdes (Montand, Perkins, etc.) sont trop fabriquées pour émouvoir et elles ont tendance à enrayer le mouvement d'ensemble. L'état major clandestin s'en sort mieux. Clément se sert des visages connus ou en passe de le devenir pour rendre clair les différentes factions. Mais il n'y a globalement guère de personnages à défendre. Gert Fröbe avec Von Choltitz et Orson Welles en consul de Suède (il devait essayer de financer ses films), font les plus belles compositions. Jean-Louis Trintignant a la lourde charge d'incarner l'abjection de la collaboration, ce qu'il fait bien. Bruno Cremer en Rol-Tanguy et Claude Rich dans un savoureux double rôle sont le meilleur de la distribution française. Cremer par sa présence, Rich parce qu'il s'amuse beaucoup.

Des acteurs venus de tous les horizons, de plusieurs générations, le film aurait pu être une sorte de film de la réconciliation autour de l'exhalation d'un destin commun et d'une pratique du cinéma empruntant à la tradition comme à l'innovation. Il ne le sera pas. Reste un film hybride, superproduction, poème épique et reconstitution documentaire, un grand écart que Clément maîtrise et auquel il impose malgré tout sa marque, incluant la grosse machine dans sa thématique fétiche de la France en guerre, Paris brûle-t-il ? gagne à être vu en regard de ses autres films, comme l'une des facettes, la plus lumineuse, d'une époque complexe. Il dépasse par là son modèle américain, donnant à voir au-delà du spectacle l'âme d'une ville et d'un peuple.

Photographies Toutle ciné, AFP.com et © Roger Viollet

14/04/2013

Ça m'a l'air bien

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Ingrid Bergman et ses jolies boucles - Photographie Toni Frissell

00:52 Publié dans Ça | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ingrid bergman |  Facebook |  Imprimer | |

13/04/2013

1953 en 10 films

Belle année que l'année 1953 sur Zoom Arrière qui voit l'unanimité se faire autour du film de Stanley Donen. Voici, histoire de mettre quelques images sur la longue liste du tableau, dix films qui m'ont marqué, qui ne me quittent pas, dix images qui ont illuminé les écrans il y a soixante ans. Photographies DR.

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De haut en bas (sans ordre de préférence d'ailleurs) : Across the wide Missouri (Au-delà du Missouri)de William Wellman, Manon des sources de Marcel Pagnol (poil au col), Le carosse d'or de Jean Renoir, Singing in the rain, inévitablement (Chantons sous la pluie) de Stanley Donen et Gene Kelly, The big sky (La captive aux yeux clairs) de Howard Hawks, beau à en pleurer, The big heat (Réglement de comptes) de Fritz Lang, vous reprendrez bien un café ? The Bad and the Beautiful (Les ensorcelés) de Vincente Minelli, The sun shines bright (Le soleil brille pour tout le monde) un des plus beaux films de John Ford, et Westward the women (Convoi de femmes) toujours de Wellman qui boucle cet exceptionel panorama.

11/04/2013

Sur la plage

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Ginger Rogers (Photographie RKO / Kobal collection)

10/04/2013

Des feux mal éteints

Cornered (Pris au piège) - Un film d'Edward Dmytryk (1945)

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Après avoir personnifié Philip Marlowe, le fameux détective de Raymond Chandler, dans Murder, My Sweet (Adieu, ma belle - 1944) , Dick Powell retrouve le réalisateur Edward Dmytryk l'année suivante pour un superbe film noir intitulé Cornered (Pris au piège). Enquêteur toujours aussi doué, mais amateur cette fois, Powell joue le rôle de Laurence Gerard, un pilote canadien fraîchement démobilisé, qui part sur les traces des responsables de la mort de sa jeune épouse, une française fusillée avec les membres de son réseau de résistants. Dans ce film à l'arrière-plan passionnant, le portrait d'une Amérique minée par ses pulsions les plus inavouables (argent, sexe, pouvoir), laisse place à celui du monde de l'immédiat après-guerre qui n'a pas totalement exorcisé ses démons malgré la victoire. Nazis et collaborateurs courent toujours et Gerard les traque de la France dévastée (saisissants paysages apocalyptiques) à l'Argentine en passant par la Suisse. Au détective malin et un brin cynique, se substitue un homme déterminé mais blessé. Au propre, il porte une cicatrice sur le côté de la tempe. Au figuré, traumatisé, il est animé d'un furieux désir de vengeance. L'originalité du film vient de cette pulsion qui anime le héros, le rendant redoutablement efficace et pourtant souvent maladroit car trop sûr de lui.

Lire la suite sur Les Fiches du Cinéma

Le DVD

Photographie source Dr Macro

08/04/2013

Sara Montiel

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La belle actrice mexicaine en compagnie de Rod Steiger sur le tournage de Run of the arrow (Le jugement des flêches - 1957), attendant les instructions du réalisateur Samuel Fuller. Elle était aussi magnifique dans Vera Cruz (1954) de Robert Aldrich, dans le même genre.

Photographie source A certain Cinema.

13:50 Publié dans Actrices | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sara montiel |  Facebook |  Imprimer | |

30/03/2013

Caresser le rêve

10 millions - Un film de Jérémie Lenoir (2013)

 Retour en Guinée pour Jérémie Lenoir après Foniké (2005) et Foniké [en guise de manifeste] (2008) et rappelons au passage que Foniké est un mot de la langue Soussou qui signifie «jeunesse». Retour à Conakry, de mai à juin 2012 pour ce nouveau documentaire poétique, politique et musical couplé à son travail avec la scène rap et hip-hop locale. 10 millions, du titre de l'une des chansons, morceau puissant, ouvre à nouveau une fenêtre directe sur le quotidien de ces jeunes guinéens. Elle leur permet de s'adresser directement à nous, les yeux dans les yeux, et de raconter leur vie, leurs galères, leurs espoirs, leur rage de vivre et de jouer des mots comme des instruments. S'y superpose le regard du réalisateur, pudique et discret, attentif, que l'on sent cette fois encore plus en empathie avec ce pays et ces gens. Un sentiment qui se renforce sans doute de l'expérience, de la connaissance plus intime née des expériences artistiques et humaines.

Conakry printemps 2012, rien n'a changé. Le pays reste pauvre, la démocratie une coquille vide, les réformes une incantation, le pouvoir... et bien mettez ici l'épithète que vous voulez, il sera adapté. Pour la jeune génération, tout est question de survie. L'absence de travail, les problèmes de nourriture, d'eau, d'électricité. « Comment se tenir propre dans ce pays ? » demande une jeune femme. L'avenir apparaît plus bouché que jamais. C'est ce qu'ils chantent, ce qu'ils scandent, ce qu'ils crient en plusieurs langues, avec ce qui leur reste : la poésie. Une arme brute gonflée des sanglots de la colère.

Du film sourd une grande impression de tristesse, une lassitude qui tranche avec l'énergie des films précédents. Le désarroi étouffe la colère et domine les textes des jeunes rappeurs. Outre les problèmes du quotidien, ils évoquent les disparus et contemplent à l'horizon un grand hôtel inaccessible, arrogante forteresse du pouvoir et de l'argent. Devant eux ne reste que la mer et un au-delà inimaginable. Cette tonalité sombre, renforcée par de nombreuses scènes nocturnes ou avec des ciels gris menaçants, est à peine atténuée par des moments plus apaisés, ceux où la musique change de registre : le morceau joué dans la voiture, la ballade à la guitare sur le générique final).

jérémie lenoir

Ce sentiment donne de l'unité à un film composé comme un carnet mêlant poésies et croquis, sorte de carnet de voyage musical. Jérémie Lenoir fait montrer d 'une indéniable progression dans la maîtrise de son expression cinématographique. A l'énergie brute du filmage caméra au poing du premier opus, s'est substituée une plus grande assurance et un désir de recherche. 10 millions est un film qui ose. Il cherche et souvent trouve des formes originales en synergie avec la musique qu'il filme. Il y a par exemple cette scène incroyable où les rappeurs postillonnent tant et plus sur l'objectif de la caméra avant que la main du réalisateur ne surgisse pour essuyer l'objectif. Il y a ce superbe plan séquence sur les mains jouant du bolon dans la voiture. Il y a cet orage qui menace au loin. Il ya ces scènes éclairées à la lampe-torche. Il y a ces respirations du film, plans fixes et composés, ce motif du dormeur qui se réveille difficilement dessous son rideau rouge tranchant avec la pauvreté de la pièce. Il y a le visage lumineux d'Anny Kassy. Il y a le sentiment d'un voyage inédit dans une Afrique loin des clichés. Un voyage rude mais beau, beau mais rude, une façon de s'approcher de l'autre (vieille lune critique) qui prend ici un sens concret, une façon de caresser le rêve.

Film : Antoine filmé par Anny Kassy

Photographie : Capture DVD J. Lenoir

Le site Foniké

19/03/2013

Les joies du bain : Relax

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Le bain de Maria Schneider dans Ultimo tango a Parigi (Le dernier tango à Paris - 1972) de Bernardo Bertolucci. Joli carrelage, jolie toilette. Photographie Angelo Novi.