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03/07/2013

Le gaucho

Way of a gaucho (Le gaucho). Un film de Jacques Tourneur (1952)

Pour Les Fiches du Cinéma

With a wide country in my eyes

And these romantics dreams in my head

L'héroïne, Teresa Chavez, a été sauvée des indiens par le héros, Martin Penalosa . Elle a les traits divins et le dessin de bouche unique de Gene Tierney. Il a la sature virile et le mâle visage aux mâchoires serrées de Rory Calhoun. A la nuit, le couple fait halte dans un bosquet au sein de la pampa sauvage (la pampa est toujours sauvage). Car malgré les apparences, nous ne sommes pas dans un western. Non, nous sommes en Argentine en 1875, Martin est un gaucho et Teresa la fiancée d'un riche propriétaire. Teresa est couchée par terre, à demi endormie dans la lumière sublime du chef opérateur Harry Jackson qui la baigne dans un effet de clarté lunaire et fait courir sur son visage les ombres mouvantes de branches au dessus d'elle. Elle tourne légèrement le visage et contemple la silhouette de Martin qui se détache, très noire, sur l'espace immense qui les entoure, entre deux formes sombres de troncs. Il est une vision aussi solide que le marbre des statues des héros antiques. Le gaucho est un mythe. Une ombre plus sombre passe sur le visage de Gene. Teresa. La silhouette entre les troncs a disparu. La regardait-il dormir ? Ressentait-il comme elle le trouble préludant les grandes passions ? N'était-ce qu'un rêve de demi-sommeil, révélateur d'un désir naissant ? Ce moment de grâce cinématographique est signé Jacques Tourneur dans le film Way of a gaucho (Le gaucho) qu'il tourne essentiellement en Argentine en 1952.

jacques tourneur

Pour ce qui est de Gene, il faudra savourer ce passage parce qu'il n'y en aura pas vraiment d'autre (un plan allongée dans l'herbe, l'épaule dénudée, un autre en prière dans un joli clair-obscur) . Son personnage est le point faible du film, récit d'aventures exotiques aux couleurs flamboyantes du technicolor de la grande époque. Un de ces films dont Hollywood était alors friand. La faute en incombe largement au scénario de Philip Dunne, également producteur, qui réduit Gene à une figurante de luxe, la composante sentimentale inévitable du héros. Il délaisse leur passion romanesque pour une variation autour de l'histoire de Robin des bois. Way of a gaucho, « la manière du gaucho » peut-on traduire littéralement, sublime le code de conduite de ces hommes d'un autre temps, code chevaleresque où l'honneur prime tout. C'est par honneur que Martin devient meurtrier lors d'un duel avec un autre gaucho qui a insulté son patron. C'est pour l'honneur que Martin devient hors la loi et défie le pouvoir venu de la ville et de la modernité qui s'incarne dans Miguel, son patron-frère de lait-rival amoureux, et dans Salinas, officier puis policier, qui tentera de le plier ou de le briser. Les deux hommes pourtant admirent et aiment le gaucho (Salinas progressivement, c'est l'originalité du personnage incarné par Richard Boone). Ils craignent aussi l'ivresse de liberté et l'exigence morale qu'il incarne. Miguel paiera de sa vie cet amour. Salinas en sera marqué dans sa chair. Le gaucho pliera sans rompre. Les relations entre les trois hommes sont complexes, loin des clichés que la situation de départ pouvait faire craindre, aussi on comprend qu'au sein de cette confrontation exacerbée d'ego masculins la pauvre Gene ait du mal à se faire une place. Peut être que Tourneur avec son élégance habituelle la nimbe-t'il de lune pour la consoler. Mais Teresa ne sera pas la flibustière des Antilles.

jacques tourneur

Jacques Tourneur met donc en avant la dimension épique, mythique, du récit, filmant avec force et lyrisme les grands espaces argentins, les vastes étendues de la pampa comme les sommets de la cordillère des Andes, les nombreuses chevauchées des groupes de cavaliers exaltées au sein du vaste décor comme dans les plus beaux westerns. Le film est traversé de compositions originales, comme ce cavalier debout sur la selle de son cheval contemplant l'horizon, aux atmosphères recherchées, comme ce passage en prison autour d'un air de guitare et d'une lumière nocturne. Tourneur met en scène la rectitude orgueilleuse de son héros, multipliant les poses de demi-dieu, silhouette impeccable, centaure du désert, faisant corps avec sa terre littéralement quand il se coule sous une barre rocheuse. Martin est une icône à la tête de ses hommes, un guerrier implacable lors de la scène du duel et Rory Calhoun que l'on a pu voir opposé à Robert Mitchum dans River of No Return (La Rivière sans retour - 1954) d'Otto Preminger ou en héros du premier peplum de Sergio Leone, donne cette densité de granit au gaucho, sûr de ses valeurs (« Ton père n'aurais jamais fait cela » jette-il à Miguel), il reconnaît ses torts sans ambages une fois qu'il les a acceptés.

jacques tourneur

Way of a gaucho est bien l'un de ces films d'aventures flamboyants du Hollywood des années 50, recherchant l'exotisme d'autres contrées tout en y perpétuant les codes du western. Il n'y a guère de différence entre le gaucho et le cow-boy, si ce n'est la pantalon bouffant de l'argentin. On notera en outre quelques liens assez forts question caractère entre Martin et Anne de Anne of the Indies (La Flibustière des Antilles) tourné l'année d'avant, comme avec les trois héros de western traditionnels incarnés par Joel McCrea et Robert Stack dans les trois années qui suivent. Le film est enveloppé d'une remarquable musique composée par Sol Kaplan même si Tourneur qui avait effectué d'assez longs repérages dans le pays aurait préféré une musique plus authentique. Mais le travail de Kaplan est enlevé et la guitare donne une touche sud américaine bienvenue qui renforce le dynamisme du film. Way of a gaucho vaut avant tout pour sa splendeur plastique, tableau tourbillonnant de passion et de soleil, poème épique des grands espaces et des hommes qui y vivaient libre.

Photographies capture DVD Sidonis / DR

Commentaires

je trouve que l'aspect héroïque que tu décris est nuancé par une douceur incroyable et sublime.

Écrit par : Christophe | 03/07/2013

Bonjour Vincent, comment allez-vous? Très beau filme et Gene Tierney "ouaf"! Et puis il y a Richard Boone, le grand second rôle de ces années là avec Jack Elam, Lee Van Cleff, Charles McGraw...
Ce Western "Argentins" m'était inconnu, merci pour le courage de l'éditeur qui nous fait découvrir tout ce cinéma oublié! Je (re)découvre Jacques Tourneur.

Écrit par : claude kilbert | 04/07/2013

Christophe je suis d'accord sur certaines scènes, entre autres celle que j'ai décrite, mais ce n'est pas ce que j'ai ressenti sur l'ensemble. Quoiqu'il y ait toujours cette élégance dans la mise en scène de Tourneur. Peut être ce qui fait le prix de ses films, c'est la tension entre sa délicatesse et la violence, la rudesse des aventures. J'ai prévu de découvrir "Great days in the morning".

Claude, oui c'est un film assez rare. j'aime aussi beaucoup Richard Boone qui joue ici dans son registre assez violent habituel mais qui s'humanise vers la film d'une façon originale. A bientôt.

Écrit par : Vincent | 05/07/2013

Bonjour Vincent, je suis tombé sous le charme de ce Tourneur qui vaut il est vrai peut-être plus pour sa plastique que pour son scénario. Il faut cependant que je le revoie afin de confirmer cette impression. Personnellement c'est le genre de film qui me procure suffisamment de plaisir au niveau de l'ambiance, des décors, des couleurs, pour que je puisse sans problème fermer les yeux sur le reste. De toute façon j'admire sans demi-mesure quasiment tout Tourneur, de la Féline à Rendez-vous avec la Peur, en passant par ses films noir, ses westerns et ses films d'aventures. Il n'y a guère que Jours de Gloire qui m'a par moments (je dis bien par moments) ennuyé. Cela dit il me reste encore à voir certains de ses films comme les tous premiers, En Marge de l'Enquête et son dernier qui n'a pas très bonne réputation. Merci en tout cas pour votre texte, c'est toujours un plaisir de vous lire !

Écrit par : Dédé le Teubé | 09/07/2013

Bonsoir, Dédé, merci de votre message et désolé de ne pas vous avoir répondu plus tôt, je suis cloué par une sale bronchite. Avec cette chaleur ! Tourneur j'aime beaucoup, j'avais été très impressionné il y a longtemps par "Canyon passage" et ses films fantastiques sont magnifiques. Je n'ai pas tout vu mais j'aime aussi à peu près tout bien que "Wichita" m’ait un peu déçu avec la réputation qu'il a. C'est souvent comme ça. Là, j'ai découvert "Great days in the morning" qui m'a emballé. Après, j’avoue que je n'ai pas développé ce culte de Tourneur que je retrouve chez nombre d'amis. Disons qu'il me passionne comme Fregonèse, De Toth ou Lewis.

Écrit par : Vincent | 22/07/2013

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