28/12/2013
Le colibri au tournant
Tout à commencé par la lecture cet été de l'excellent livre de Claude Beylie et Philippe d'Hugues Les Oubliés du cinéma français (Éditions du Cerf). Un bon livre de cinéma doit donner envie de voir ou revoir les films qu'il aborde. Explorant avec une belle érudition, mais sans lourdeur académique et avec humour souvent, les recoins les plus obscurs du cinéma français, ce livre est un vaste coffre aux trésors. Parmi ceux-ci, deux chapitres mettent en parallèle les destins tragiques de deux acteurs. Robert Lynen, jeune héros du Poil de carotte (1934) de Julien Duvivier, entré dans la Résistance et fusillé à 23 ans en 1944. Et Corinne Luchaire, fille de Robert Luchaire patron de la presse collaborationniste fusillé à la Libération, qui mourut de tuberculose à 29 ans en 1950. Si je connaissais l'histoire du premier, j'ignorais tout de celle de la seconde. Piqué dans ma curiosité, aie, j'ai enchaîné avec Corinne Luchaire, un colibri dans la tempête de Carole Wrona (éditions de la Tour verte), et assez naturellement, je me suis mis sur la piste des films joués par cette jeune femme que l'on décrit comme une si remarquable actrice. Pas évident. Mais j'ai mis la main finalement sur Le dernier tournant de Pierre Chenal, tourné en 1939, première adaptation du fameux Le facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain avant celles de Luchino Visconti en 1942, des américains Tay Garnett en 1946 et Bob Rafelson en 1981 avec la fameuse étreinte entre Jessica Lange et Jack Nicholson dans la cuisine, et quelques autres encore venues de Hongrie, d'Allemagne ou d'Autriche.
Tourné dans les Alpes Maritimes, le film de Pierre Chenal alterne décors de studios (à Saint Laurent du Var) et extérieurs sauvages, sans doute du côté du col de Vence, territoire dépouillé où est installé la station service de Nick (joué par Michel Simon) et de sa jeune épouse Cora (Luchaire). Fidèle au roman, le drame se déclenche quand débarque Frank (Fernand Gravey), vagabond et repris de justice, sympathique quand même, qui est accueilli à bras ouverts par Nick.C'est que malgré son naturel jovial, son chat, sa jolie femme et son accordéon (on pense bien sûr à l'Atalante), Nick s'ennuie comme un rat mort dans son trou et il est ravi de se trouver un ami. Nick engage donc Frank et l'installe chez lui. Et ce qui devait arriver arrive.
Le dernier tournant est l'avant dernier film de Corinne Luchaire, juste avant la guerre. Elle y apparaît en brune et entre Simon, très à l'aise dans un personnage d'anar un peu pathétique, avec ce mélange de gentillesse et de maladresse dont il a le secret, et Gravey en beau gosse de l'époque, fine moustache, sobre dans l'égoïsme de Frank mais manquant un poil de charisme. La jeune actrice joue la carte du silence. Son personnage économise ses paroles en laissant exprimer sur son visage une lassitude agacée qui va laisser place à un désir passionnel irrésistible tandis que se libère, avec les perspectives ouvertes par l'arrivée de Frank, sa haire profonde pour son époux. Corinne Luchaire dégage une belle sensualité, avec ses pulls moulants, sa silhouette frêle, son regard brûlant. Elle a une façon de lancer ses répliques signées Charles Spaak avec vivacité, un peu saccadées comme certaines actrices de comédie américaine de l'époque. Il est juste de dire que son jeu tranche sur celui de ses contemporaines, du côté langoureux d'une Michèle Morgan, gouailleur d'Arletty ou d'Odette Joyeux, de la candeur de Danièle Darrieux. Corinne Luchaire a comme des absences où elle laisse deviner un monde intérieur inaccessible, rompu par de brusques éclairs de gaieté ou de colère. Son style est celui des années soixante qu'illustreront Catherine Spaak, Françoise Dorléac ou Diana Rigg. Dans sa mélancolie un peu agressive, je retrouve quelque chose de la Catherine Deneuve de La sirène du Mississippi (1968) de François Truffaut, peut être cette lassitude bousculée par la passion, très physique au départ mais qui va s'éveiller à l'amour, amour dont l'authenticité sera longtemps soumise au doute. Luchaire donne à Cora son visage à l'étrange beauté avec ce nez particulier qui la positionne entre petite fille et jeune femme. Cora est un personnage difficile. Archétype de la garce de roman noir, elle veut quand même tuer son mari et manipule sexuellement Frank pour le faire, mais elle est aussi une victime. Elle a été mariée trop tôt et l'on sent bien que malgré sa gentillesse, Nick a sauté sur l'occasion. Du coup, Cora est étouffée par les rêves qu'on lui a rentré dans la gorge et qu'elle essaye désespérément de faire vivre à travers Frank, un brave gars finalement, mais pas à la hauteur. Et puis faible. Corinne Luchaire rend bien la double dimension du personnage, peut être parce qu'elle la sent proche d'elle qui est prise entre ses ambitions d'actrice, ses succès très jeune, son statut de fille de, son indifférence à un monde en convulsions, ses échecs sentimentaux et sa santé fragile (le tuberculose qui finira par l'emporter). Elle donne de la vérité à Cora qui file vers son destin tragique sans réaliser la gravité de sa faute morale. Il est tentant de filer le parallèle avec le destin de l'actrice. Mais le film vient avant.
Voilà qui suffit à rendre le film passionnant, mais ce serait dommage de le réduire à cette seule dimension. Pierre Chenal met le film en scène avec soin quoique sans génie, selon les standards de qualité de l'époque dans la veine du réalisme poétique. L'ambiance « noire » est bien rendue par la photographie de Christian Matras qui venait de signer les images de La fin du jour de Julien Duvivier et alterne scènes nocturnes assez expressionnistes avec la dureté de la lumière du sud-est en plein jour. Le visage de Corinne Luchaire est particulièrement soigné en des portraits qui rendent justice aux expressions de l'actrice. Il est aussi toujours plaisant de voir s'animer dans de tels films la France d'une autre époque. L'arrière plan contemporain, les voitures, les façons de s'habiller, de se coiffer, les accessoires, dans ce film a volonté réaliste comme dans la version de Visconti (alors que le Garnett est un film de studio et le Rafelson une reconstitution) sont un régal. Il y a un côté documentaire tramé dans la fiction, partiellement involontaire mais qui gagne en valeur avec les décennies passées, comme par exemple l'importance que prend l'enseigne lumineuse au-delà de celle que lui donne le récit dramatique. Au-delà du trio d'acteurs, il faut noter la présence toujours agréable de Charles Blavette qui apporte une couleur locale bienvenue, et surtout une prestation savoureuse de Robert Le Vigan en cousin maître chanteur, suave et visqueux comme il su l'être. Sa grande scène avec Corinne Luchaire est un beau moment du film. En septembre 1944, il sera avec l'actrice et son père du voyage à Sigmaringen, ultime aventure du gouvernement de Vichy. Destin, quand tu nous tiens.
Photographies Cinémathèque française / Tout le Ciné
A lire sur le site du Ciné-Club de Caen
A lire sur Notes on cinematograph, en anglais, bel article qui nous apprends que le film avait été interdit aux USA et qui étudie plus en détail le style de Pierre Chenal.
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25/12/2013
Aurens en tournage
19:16 Publié dans Panthéon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : david lean | Facebook | Imprimer | |
24/12/2013
Joyeuses fêtes !
19:29 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : catherine deneuve, jacques demy | Facebook | Imprimer | |
23/12/2013
B comme bain
Elle a raison, vous avez besoin d'un bain
Quoi de plus naturel qu'un bain? Quoi de plus banal ? Pourtant, peu d'actes de la vie quotidienne ont autant inspiré les réalisateurs. On voit assez rarement des personnages cuisiner ou repasser leur linge. Encore moins passer l'aspirateur ou aller aux toilettes. Vous me direz qu'il y a de brillantes exceptions, mais ce n'est rien comparé à la proportion proprement astronomique de scènes se déroulant dans une baignoire. Et je ne parlerais même pas des films de cul ni de la variante pourtant excitante des scènes de bain en pleine nature dont le sommet est le bain matinal de Tarzan et Jane dans Tarzan et sa compagne en 1934. Maureen O'Sullivan, future maman de Mia Farrow, y évolue dans le plus simple appareil. Quoique doublée, ce n'est pas une chose banale dans le contexte du cinéma américain de la grande époque. Cela méritait d'être cité.
Prenons une scène classique : un couple se dispute, un cow-boy fatigué se relaxe, une reine se prépare à recevoir un empereur. Que cette scène se déroule dans un bain et vous obtenez une scène potentiellement anthologique. C'est simple le cinéma non ? Il y a une jolie réplique sur le sujet dans un film de Godard, vous chercherez. On se souvient donc de BB et Michel Piccoli dans Le Mépris (justement, plus la peine de chercher), d'Eli Wallach dans son bain mousse de Le bon, la brute et le truand de Léone, Sergio, d'Elizabeth Taylor, paix à ses seins, en Cléo marinant dans sa baignoire piscine en attendant Marc Antoine Burton.
La baignoire a don été exploitée pour sa dimension tout autant dramatique qu'érotique, voire comique. Et l'on se permettra de mêler les différentes options lorsque Marilyn Monroe est contrainte d'appeler un sympathique plombier pour décoincer son orteil pris dans le robinet. De sa baignoire, voyons, faut suivre. Le film, si vous ne l'avez vu ce qui serait dommage, c'est 7 ans de réflexion griffé Billy Wilder, et la scène est le fantasme de son héros malade et accessoirement voisin du dessous de la belle. Façon de parler parce que s'il est malade, c'est parce qu'il est voisin de la belle. Qui ne verrait sa température monter en de pareilles circonstances ?
Le bain stimule donc l'imagination, celle des voisins comme des autres, des réalisateurs en particulier qui nous ont composé de bien belles images, pour hommes comme pour femmes. C'est le bain perpétuellement interrompu de Robert Mitchum dans El Dorado, le bain toujours repoussé de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l'Ouest, le bain terrifiant des Griffes de la nuit qui manque d'engloutir Heather Langenkamp, Le bain collectif du cercle de la merde dans le Salo de Pasolini, le bain tendu entre soldate russe et soldat allemand dans Croix de fer, le bain malicieux qui voit le petit plongeur de plastique s'avancer entre les cuisses de Victoria Abril dans Attache moi. Des bains comme s'il en pleuvait. Bains révélateurs, juste ce qu'il faut, des plastiques de Jean-Paul Belmondo, Steve McQueen, Rhonda Fleming et Françoise Fabian. Qui révèlent tout ce qu'il faut quand trempent les belles Ingrid Pitt ou Edwige Fenech. Très concerné par la Révélation, Cecil B. DeMille espérait celle de la poitrine de Claudette Colbert en tournant Le signe de la croix en 1932. Il fit donc de la scène du bain de Messaline le sommet de son film, décidé à y passer le temps nécessaire. Hélas, la belle déjoua toutes les ruses du réalisateur, s'entourant d'une équipe de jeunes femmes expertes dans l'art de manier peignoir et serviettes. Elles entouraient l'actrice plus vite que ne se précipitait le regard de Cecil qui en fut bien marri. Frustré au-delà du raisonnable, c'est de ce temps qu'il en conçu sa totale calvitie, on en sait des choses, ici. Mais quel bain !
Des bains encore, confessionnal original pour Marc Gibaja où son héros fait défiler ses amis dans sa baignoire sous le regard d'une caméra, symbole de réussite avec cigare et coussins de mauvais goût pour le Scarface de De Palma, torture hygiénique pour Don Saluste aux mains de son Blaze de serviteur dans La folie des grandeurs de Gérard Oury. Bain figure imposée à toute jeune actrice française avec si possible immersion complète histoire de voir si la belle sait retenir sa respiration. Avec accessoire choisi comme le chapeau de Romy Schneider dans Max et les ferrailleurs, avec bureau façon Clifton Webb dans Laura, habillé façon Tony Curtis dans Certains l'aiment chaud, Intello façon Godard avec un livre à la main, à deux, à trois, à cinq dans une barrique façon Peckinpah. Le bain, c'est bien. Sur cette forte sentence et avant de me laisser aller à l'évocation des baignoires en tant qu'objets, je vous prie de passer à la lettre C.
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21/12/2013
Fritz Lang par William Friedkin
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18/12/2013
Le prix du pouvoir
Il prezzo del potere (Texas) – Un film de Tonino Valerii – 1969
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Amicalement dédié à Marie-Thé et Tzvetan
Giuliano Gemma est mort le 1er octobre 2013 dans un bête accident de voiture, lui qui avait tourné l'impressionnante scène de poursuite de Un uomo da rispettare (1972) sous la direction de Michele Lupo, huit minutes au compteur. Il était toujours fringuant à 75 ans, lui le cascadeur, l'athlète, le héros bondissant des peplums, des westerns, des polars, des comédies décontractées pas toujours très fines des années 70, grave à l'occasion, intense même, pour Valério Zurlini, Dario Argento ou Duccio Tessari dans Il ritorno di Ringo (Le retour de Ringo – 1965) qui s'inspire du retour d'Ulysse pour une parfaite jonction entre peplum et western. Un film que j'ai fait découvrir à ma fille pour rendre hommage à l'acteur et me faire plaisir, car le plaisir est au centre de son travail de comédien et de son statut de vedette. Et puis il y a Il prezzo del potere (Texas), revu à l'occasion de la belle édition Artus qui nous offre enfin la version intégrale d'une œuvre méconnue, un film signé Tonino Valérii en 1969, grande époque du western all'italiana. Valerii est un réalisateur intéressant qui a eu bien du mal à sortir de l'ombre de son mentor Sergio Leone dont il fut l'assistant, et en particulier de leur collaboration sur Il mio nome e nessuno (Mon nom est personne – 1973). Pour ce film, Leone fut co-scénariste et producteur, assurant la réalisation de quelques scènes, et fini par s'attribuer la paternité de son énorme succès. C'est assez injuste car à l'époque, Valérii est déjà un réalisateur confirmé et ses westerns précédents sont d'excellente facture comme I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère - 1967) également avec Giuliano Gemma et donc Il prezzo del potere.
Ce film qui nous intéresse ici se présente comme une variation western de l'assassinat de Kennedy, abattu comme chacun sait d'une balle dans la tête à Dallas en 1963. L’événement à marqué les esprits et donné lieu à de multiples déclinaisons. Pour s'en tenir au western, Jean-Michel Charlier et Jean Giraud plongent leur héros Blueberry dans un complot destiné à assassiner le président Grant dans une série magistrale d'albums de bandes dessinées entre 1973 et 1975. J'aime à penser que Charlier connaissait le film de Valérii. Les scénaristes Massimo Patrizi et Ernesto Gastaldi écrivent une histoire autour de la visite à Dallas du président James Garfield (le véritable Garfield fut assassiné à Washington en 1881) et sans doute sous l'influence de l'enquête menée par Jim Garrison en 1968, développent la thèse d'une vaste conspiration. Successeur de Lincoln, Garfield arrive dans un Sud où les plaies de la guerre de sécession sont encore vives et le racisme toujours la règle. Garfield prône la réconciliation et vient défendre ses idées chez ses adversaires. Dans les rues de Dallas, on brûle son portrait tandis que nombre de notables préparent son assassinat. L'ampleur et les ramification du complot, nous allons les découvrir à travers le personnage de Bill Willer qui cherche à venger son père tué parce qu'il en avait trop appris. Le film distille ses révélations avec un sens consommé du suspense, orchestrant un ballet de personnages bien campés : l'ami noir destiné à porter la responsabilité du meurtre, McDonald le chargé de la protection du président, la femme du président, démarquage évident de Jackie Kennedy, l’ambigu vice-président, le shérif de Dallas qui révèle très vite son double jeu, le journaliste paralysé et courageux, ainsi que quelques figures propres au genre.
La mise en scène de Valerii joue beaucoup sur la dissimulation et les faux-semblants : faux suicide, faux coupable, faux amis et faux-culs se succèdent à l'écran au point que l'on finit par douter de tout le monde, sauf de l'intègre Willer. Le réalisateur restitue bien à travers ce film de genre le sentiment de paranoïa d'une époque, sentiment que l'ont peut rapprocher tant de la situation des États-Unis que de l'Italie à la fin des années 60, avec le même genre de manipulations et une importante violence politique. Mais film de genre d'abord, Valérii offre avant tout un western de belle facture, qui a eu des moyens mais sans excès (Je me suis souvent demandé pourquoi l'escorte présidentielle était si maigre, pas un soldat en vue). La photographie de Stelvio Massi est une réussite avec quelques beaux effets dans l'obscurité, le Techniscope est travaillé sur soute sa surface, jouant comme dans les œuvres majeures du genre sur la profondeur de champ, les gros plans et de larges débrayages d'espace. Valérii a retenu les leçon de son mentor. Il construit également de belles scènes très découpées de pur suspense, n'hésitant pas à leur sacrifier la crédibilité du récit. Autant l’attentat contre Garfield est un modèle de mise en scène mise au service de la narration, autant il est difficile d'avaler la façon dont Willer met en scène ses deux duels tarabiscotés avec le shérif Jefferson. L'attitude de notre héros est tellement inconséquente, compte tenu des circonstances, que les scènes n'ont aucune crédibilité comparées aux grands duels vus chez Leone ou Corbucci. Mais pour elles-mêmes, en terme visuels et d'intensité, ce sont des réussites. On peut les rapprocher du duel totalement gratuit de I giorni dell'ira où le personnage de Lee Van Cleef affronte un tueur, chacun armé d'un antique fusil qui se charge par la gueule avec poudre et baguette, le tout monté sur un cheval lancé au galop. C'est complètement idiot, mais inoubliable. Je note que ce tueur est joué par le même acteur que le shérif, Benito Stefanelli, célèbre maître d'armes et cascadeur aux moustaches et au regard inoubliable.
Il prezzo del potere est ainsi un mélange détonnant de rigueur et d'incongru, un peu inégal mais passionnant, puisant dans l'Histoire tout en prenant avec elle de sacrées libertés. Le film est constamment tendu entre sa volonté de sérieux (les nombreux éléments provenant de l'affaire Kennedy, le discours sur le racisme, le sous-texte européen), ses accents tragiques magnifiés par la partition assez sublime de Luis Enriquez Bacalov, et son essence de western italien d'un baroque fantaisiste assumé. Le film se donne alors tout entier à l'aventure la plus pure, au plaisir feuilletonesque de faire valser son héros de Charybde en Scylla, le rattachant une fois de plus au peplum et à toute une mythologie latine. Willer, idéalement incarné par Gemma, le regard droit, l'allure décidée, encaisse les coups-fourrés, la mort de ses proches, les soupçons de ceux qui pourraient l'aider, sans dévier d'un pouce de son désir de vengeance et de justice. Sans négliger non plus de nous gratifier de quelques sauts périlleux dont il a le secret. Il en est presque décalé au sein d'une distribution brillante qui a assez d'espace pour donner vie à la riche galerie de personnages. Outre Benito Stefanelli, on apprécie la classe de Fernando Rey, l'élégance suspecte de Josè Suarez que l'on a croisé en personnage tragique chez Ferdinando Baldi et Enzo G. Castellari, Antonio Casas vu chez Leone, Corbucci et Luis Bunuel, Frank Braña, Joaquin Parra et l'inévitable Lorenzo Robledo en hommes de main parfaits, l'acteur new-yorkais Ray Saunders qui trouvera ses rôles les plus intéressants en Italie, Manuel Zarzo et Paco Sanz (formidablement dingue dans Se sei vivo spara (Tire encore si tu peux – 1967) de Giulio Questi) en journalistes aux côtés de Willer, et le rigide Warren Wanders en homme de confiance du président. Pour ce dernier, Valérii bénéficie d'une pointure hollywoodienne en la personne de Van Johnson venu comme tant d'autres chercher un peu d'air dans le cinéma de genre européen au cours des difficiles années soixante. Les femmes sont peut présentes, mais María Cuadra en épouse présidentielle et la belle Norma Jordan vêtue d’étoiles, chantant devant la bannière américaine, arrivent à exister.
Au final, Il prezzo del potere est une œuvre majeure du genre sans être forcément un chef d'oeuvre. C'est une belle démonstration de cette façon originale d'investir de façon décontractée les codes typiquement américains pour créer un style unique, en propre, tout en étant complètement en prise avec son époque. Le film agacera sans doute les puristes, réjouira les autres, à commencer par celles et ceux qui aimaient et aimeront toujours voir bondir le beau Giuliano, éternel chevalier au six-coups en quête de vérité et de justice, et de vengeance.
A lire :
Le texte enthousiaste de Tepepa
Sur Mondo 70
Les infos très complètes du site Spaghetti Western (source des photographies d’exploitation).
09:12 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tonino valérii, giuliano gemma | Facebook | Imprimer | |
16/12/2013
A la campagne
21:25 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : super 8 | Facebook | Imprimer | |
15/12/2013
A funny sense of fun
Peter O'Toole (1932 - 2013)
Photographie DR source DVD Columbia Tristar
21:09 Publié dans Acteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peter o'toole | Facebook | Imprimer | |
11/12/2013
Édouard et Georges
Les noms de Georges Lautner et Édouard Molinaro sont attachés pour moi au cinéma du dimanche soir, celui des années 70 et 80. Soirées familiales où le rire est général, même s'il varie selon l'âge, puisant dans le burlesque, la grosse farce, les allusions plus fines, les répliques griffées Audiard ou Veber que l'on pourra reprendre le lendemain dans la cour de récréation ou devant la machine à café. Des pointes de violence, un frisson d'érotisme quand apparaissent Mireille Darc, Claude Jade, Barbara Steele, Miou-Miou ou Françoise Dorléac, une musique pop de Michel Magne ou les accents virevoltants de Jacques Brel. Des univers loufoques pourtant incrustés dans le quotidien dont on reconnaît, la nostalgie aidant, les signes, peuplés de de ces figures savoureuses incarnées par une sacrée collection d'acteurs populaires puisés dans trois générations d'acteurs, de Jean Gabin à Jean-Paul Belmondo, de Louis De Funès à Pierre Richard, de Lino Ventura à Daniel Auteuil. Et encore toutes ces tronches inoubliables, les Francis Blanche, André Pousse, Bernard Blier, Robert Dalban, Dalio, Paul Préboist, Mario David, Jean Luisi, Michel Constantin...
De Georges Lautner, les fameux tontons m'avaient un peu déçu. Découverts sur le tard, je connaissais déjà trop le film et ses dialogues impérissables qui fonctionnent en fait comme un gigantesque paravent. Certes, ils font leur effet si l'on est pas allergique à Audiard, mais ils occultent par exemple la délectable prestation de Claude Rich, seul contre poids bienvenu à un portrait de la jeunesse assez réac, il faut bien le dire. Et donc à part dans le groupe. Ils masquent aussi un rythme général qui manque un peu de nerf, comme le pastiche de film noir qui passe par la mise en scène, cadres, lumières et sons (il est bon de rappeler à certains "salisseurs de mémoire" que la scène de la cuisine est un hommage à Key largo (1948) de John Huston. Mais si). Mais il est surtout flagrant de voir comment dans les hommages d'aujourd'hui, le gugusse de Montauban masque la carrière assez riche d'un réalisateur à l'ambition plus élevée que ce qu'il a pu laisser paraître. Lautner ne faiblit vraiment que vers la fin des années 70 quand il entame sa collaboration avec Belmondo. Mais ce dont il était capable apparaît nettement dans les cadrages wellsiens du Septième juré en 1961, la façon dont il filme la scène d'audition de Miou-Miou dans On aura tout vu en 1976, les recherches pop dans Ne nous fâchons pas (1965) et la série des Monocle, sans parler de la tendresse et de la sensualité qu'il aura toujours mis à filmer Mireille Darc. On lui pardonnera donc quelques gros films faciles pour retenir une bonne douzaine de titres estimables (ce qui n'est pas rien) et toutes ces images au-delà de la cuisine du défunt mexicain : le tracteur rouge de Paul Préboist, le face à face littéraire entre De Funès et Darc, Marielle dans sa valise, les marcels de Constantin, les motocyclistes anglais, J'irais revoir ma Normandie sur un théâtre de Hong Kong, chacun les siennes.
D’Édouard Molinaro, il serait facile de dire que son cinéma était du théâtre filmé, ne serait-ce que par le nombre de ses films tirés de pièces. Mais c'était du théâtre bien filmé, à commencer par Oscar (1967) qui reste un des sommets de Louis De Funès grâce à la mise en scène qui s'épanouit dans l'immense décor de la maison de Bertrand Barnier, un travail sur l'espace et les couleurs qui se rapproche de ceux de Jerry Lewis ou Jacques Tati. Molinaro aura eu l’intelligence de ne pas chercher à « aérer la pièce », ce qu'il ne réussira pas dans Hibernatus (1969), moins heureux dans le décor 1900 recréé par Hubert de Tartas (mais les scènes entre Fufu et Michael Lonsdale sont savoureuses), pas plus que dans La cage aux folles (1980) plombé par le remplacement de Jean Poiret par Ugo Tognazzi. Mais Molinaro reste pour moi le réalisateur de Mon oncle Benjamin (1969), adaptation cette fois d'un roman, celui de Claude Tillier. Film d'extérieurs somptueux, Mon oncle Benjamin est illuminé de la personnalité de Jacques Brel qui trouve là une résonance avec l'univers de ses chansons, et par la beauté de Claude Jade qui dégage une saine sensualité trop rarement exploitée. Ce film, Molinaro l'avait porté et voulu, au point d'accepter de faire Hibernatus malgré ses démêlés avec De Funès sur Oscar. Pas forcément bien accueilli, le film dégage un humanisme qui me sied. L'emmerdeur (1973) reste une belle mécanique comique, Le souper en 1992 un joli duel entre Claude Brasseur et Claude Rich. L'homme pressé (1977) un film attachant qui cherche à jouer sur le mythe Delon et La chasse à l'homme (1964) une comédie pétillante à la distribution alors pleine de promesses, un film à découvrir. Comme Lautner, Molinaro se laisse aller à certaines facilités à la fin des années 70, peut être déçu d'un manque de reconnaissance. Il se ressaisit pour ses derniers films, honorables, puis à la télévision. Difficile de dire aujourd'hui quel regard ces deux réalisateurs pouvaient porter sur leur œuvre, si le côté populaire de leurs films, et leur succès, ont suffit à les consoler d'ambitions bridées, restées si peu exprimées. Le temps, pour leurs meilleurs films, travaille pour eux.
08:26 Publié dans Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : edouard molinaro, georges lautner | Facebook | Imprimer | |
06/12/2013
1960 à l'affiche
Alors que le compte à rebours de Zoom arrière est commencé pour l'année 1961 ( à suivre sur la page Facebouque), voici une jolie collection des affiches de l'année 1960 qui ornaient les frontons des cinémas d'alors pour des œuvres signées Ingmar Bergman, Terence Fisher, John Ford, Blake Edwards, François Truffaut (version polonaise), Joseph Losey et quelques autres. Un art de l'affiche qui s'est, il faut le dire et le regretter, un peu perdu depuis que l'on nous formate visuels et caractères. 1960, encore un temps pour la fantaisie, le rêve, la puissance d'évocation. DR, piquées un peu partout.
20:27 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Imprimer | |
26/11/2013
Les 15e rencontres Cinéma et Vidéo à Nice
Les 15èmes Rencontres Cinéma et Vidéo à Nice
Du 28 au 30 novembre 2013
La 15ème édition des Rencontres Cinéma et Vidéo se déroulera du jeudi 28 au samedi 30 novembre au sein de deux lieux culturels niçois : la salle le Volume et le cinéma Mercury. L’association Regard Indépendant a choisi le thème aux multiples interprétations « De 5 à 7 » pour son rendez vous annuel. Les 28 films réalisés en super 8 sur le principe du « tourné-monté » seront projetés au cinéma Mercury le samedi 30 Novembre à partir de 20h30. Les trois journées des Rencontres seront, comme à l’accoutumée, dédiées à la création cinématographique régionale et indépendante.
Programme :
Jeudi 28 novembre – Salle le Volume
Soirée d’inauguration à partir de 20h
Au programme : Cocktail, sélection du 9e marathon du court métrage de Caen et de clips de musique guinéenne suivi d'un concert d’Anny Kassy.
Vendredi 29 novembre - Cinéma Mercury
Cette deuxième journée sera consacrée à la réalisation régionale avec les nouvelles œuvres de Guillaume Levil, Cédric Romain, Stéphane Coda, Antoine Banni, Marie Botti, Benoît Seyrat et un western moustachu signé David Mizera. Une place sera réservée aux travaux d’ateliers en milieu scolaire animés par nos amis de l’association Héliotrope ainsi qu’aux courts métrages de l’ESRA Côte d’Azur. En soirée, les compagnies En Décalage et Les Toubidons présenteront un spectacle d’improvisation théâtrale à partir de films super 8.
Samedi 30 novembre – Cinema Mercury
Après-midi consacrée à la production (vraiment) indépendante qui nous transportera en Tunisie et en Guinée, du super 8, encore, avec une sélection des Straight 8 anglais et une carte blanche à The Smalls.
Point d'orgue, le grand soir du super 8 pour une édition 2013 très internationale, avec des réalisateurs libanais, allemands, américains, anglais, et normands (en partenariat avec La Petite Marchande de Films) qui ont été invités à se joindre aux réalisateurs de la région. Au total, 28 films seront présentés en présence des réalisateurs qui découvriront leur travail en direct avec le public. Le jury remettra les prix à la fin de la projection.
La soirée de clôture sera rythmée par Memphis Mao aux platines et par la projection de deux œuvres : le culte Nekromantik de Jörg Buttgereit, et la Princess Mononikée du Radis calciné. Elle entretiendra la réputation conviviale de cette manifestation en animant le cinéma Mercury et ses alentours comme lieu de rencontres entre créateurs et public.
Le site de Regard Indépendant
La page Facebook
Visuel Illys PoulpFiction
22:10 Publié dans Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : regard indépendant | Facebook | Imprimer | |
22/11/2013
Anniversaire
Toujours en retard pour fêter les anniversaires, y compris celui d'Inisfree. Il y a eu neuf ans, le 13 novembre, que je me suis décidé à ouvrir ce blog avec quelques notes bien, bien modestes. Cela mérite bien un coup de clairon.
13:30 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : inisfree | Facebook | Imprimer | |
19/11/2013
Soutien à Mohammad Rasoulof
Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof rencontre de nouveaux problèmes avec les autorités de son pays. Il semblait évident, après la projection de son dernier film dans la sélection Un Certain regard à Cannes en mai 2013, qu'il serait délicat de retourner en Iran. Rasoulof a pris le risque il y a un peu plus d'un mois et s'est vu confisquer son passeport dès son arrivée, comme l'explique un article de Rue 89. Il se retrouve "interdit de quitter le territoire alors qu’il vit avec sa famille en Allemagne". L'information est restée discrète, peut-être en rapport avec les tentatives de dialogue actuel entre Iran et Occident. Néanmoins, les organisateurs du Festival du film de Stockholm ont manifesté le 12 novembre devant l'ambassade d'Iran en Suède, les yeux bandés de tissus noirs en observant plusieurs minutes de silence.
"Si on m'ôtait le droit de tourner et de montrer mes films, j'aimerais que mes confrères se mobilisent", a déclaré le réalisateur suédois d'origine égyptienne Tarik Saleh.
Dans ce contexte, je relaie l'appel de soutien lancé par Marlène, artiste établie à Mouans-Sartoux :
(…) L'objectif est de récolter un maximum de signatures et d’emails de soutien pour aider pacifiquement Mohammad Rasoulof à retrouver très vite son passeport, sa liberté de circulation et de création. Son dernier film Les Manuscrits ne brûlent pas a reçu le Prix Fipresci par le Jury Œcuménique dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes. A cette occasion, Mohammad Rasoulof avait pu se rendre au Festival pour y recevoir sa récompense en main propre. Mais depuis, il a été interdit de sortie du territoire iranien et n’a pu assister ni au Festival de Hambourg, ni à celui de Stockholm. Merci d'envoyer votre soutien à Mohammad Rasoulof à l’adresse suivante : marleneartstyle@gmail.com
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17/11/2013
Politique et cinéma (partie 2)
Suite (et fin) sans langue de bois du questionnaire de Cinématique.
11) L'anarchisme au cinéma, c'est qui ou quoi ?
Quoi : les petites communautés autonomes des films de Howard Hawks, Hatari ! (1962) de façon exemplaire.
Qui : Luis Bunuel.
12) Quelle est la meilleure biographie filmée d'une femme ou d'un homme de pouvoir ?
Lincoln (2012) de Steven Spielberg, qui est aussi une réponse possible à la question 10.
13) De quelle femme ou quel homme de pouvoir, aimeriez-vous voir filmer la biographie ?
Michel Rocard sous forme de comédie musicale. Pierre Larrouturou incarné par Denis Podalydès.
14) Au cinéma, quel personnage de fiction évoque le style des politiciens français suivants : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ? (vous pouvez en choisir d'autres)
De gauche (!) à droite : Jean-Luc Mélenchon, François Hollande et Nicolas Sarkozy.
Marine Le Pen : le personnage joué par Al Mulock (Quand on tire, on raconte pas sa vie)
François Bayrou : Le frère de Tuco
Jean-François Copé : le mexicain au brin d'herbe (T'as pas la tête de celui qui va les toucher)
Jean-Louis Borloo : le capitaine nordiste (facile)
15) Quel film de propagande n'en est-il pas moins un grand film ?
Beaucoup de grands films sont des films de propagande, tout dépend de ce que l'on met dans ce mot. Le dernier vu en date, et bien que Lang s'en soit défendu, : Man hunt (Chasse à l'homme – 1941) qui milite ouvertement pour l'intervention de l'Amérique. Dans un registre plus léger :
16) Quel a été pour vous, en France, le meilleur Ministre de la Culture ? Expliquez pourquoi en deux mots.
Jack Lang. Je ne sais pas vraiment dans quelle mesure il y était pour quelque chose, mais de 1981 à 1986, j'aimais le cinéma à la télévision (et d'autres choses aussi). Après...
17) Quel est le meilleur « film de procès »
La poison(1951) de Sacha Guitry.
18) Quel film vous paraît le plus lucide sur le quatrième pouvoir (les medias) ?
Deadline U.S.A. (Bas les masques - 1952)de Richard Brooks.
19) Citez un film que vous aimez et qui vous semble assurément « de droite ».
Mad Max (1979 de George Miller.
20) Citez un film que vous aimez et qui vous semble certainement « de gauche ».
Land and freedom(1995) de Ken Loach.
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16/11/2013
Politique et cinéma (partie1)
Un nouveau questionnaire élaboré par Ludovic du blog Cinématique sur le thème de la politique en 20 propositions, voilà quelque chose à ne pas manquer. Passez donc voir sur sa note les nombreuses contributions et découvrez, en deux parties, mes suspects habituels :
1) Quel film représente le mieux à vos yeux l'idéal démocratique ?
John Ford est pour moi un maître en la matière. Le plus intéressant, peut-être, parce qu'il l'exprime, en montre les mécanismes au quotidien, tout en soulignant ses faiblesses, c'est The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance– 1962).
2) Au cinéma, pour quel Roi avez-vous un faible ?
Charles 5 et 3 font 8 et 8 font 16 de Takicardie
3) Quelle est la plus belle émeute, révolte ou révolution jamais filmée ?
Le rire de Greta Garbo dans Ninotchka(1940) de Ernst Lubitsch.
4) Si vous étiez ministre de la Culture, à quelle personnalité du cinéma remettriez-vous la Légion d'Honneur ?
Je ne suis pas très prix et ils n'ont pas besoin de ça.
5) Au cinéma, quel est votre Empereur préféré ?
Caligula sous les traits de Malcolm McDowell ou Jay Robinson
6) Si vous étiez Ministre de la Culture, quel serait votre premier mesure, premier acte symbolique ou premiers mots d'un discours, concernant le cinéma ?
Faire occuper les multiplexes par la troupe.
7) Quel film vous semble, même involontairement, sur le fond ou sur la forme, d'inspiration fasciste ?
Dark of the sun (Le dernier train du Katanga - 1968) de Jack Cardiff.
8) Quel est le meilleur film sur la lutte des classes ?
La grande illusion(1937) de Jean Renoir, parce qu'il se limite pas à la lutte.
9) Au cinéma, qui a le mieux incarné la République ?
En France, la jeune femme qui pleure en chantant la Marseillaise dans Casablanca (1943) de Michael Curtiz.
Ailleurs, Alberto Sordi et Lea Massari mangeant de pâtes dans Una vita difficile (Une vie difficile - 1961) de Dino Risi.
10) Quel film vous paraît le plus pertinent sur les coulisses du pouvoir dans le monde d'aujourd'hui ?
Giù la testa ! (Il était une fois la révolution– 1971) de Sergio Leone, en particulier la tirade de Juan à Sean que les lecteurs d'Inisfree doivent commencer à connaître.
(A suivre demain)
09:15 Publié dans Blog, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : john ford, steven spielberg, ernts lubitch, paul grimault, jack cardiff, michael curtiz, dino risi | Facebook | Imprimer | |
13/11/2013
Chasse à l'homme
Man Hunt (Chasse à l'homme). Un film de Fritz Lang (1941)
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Même si l'on connaît le film, la première scène de Man Hunt (Chasse à l'homme), que Fritz Lang réalise en 1941, donne le vertige. « Quelque part en Allemagne – Avant la guerre » nous précise un carton introductif. Aux accent dramatiques de la musique d'Alfred Newman sur le générique succède un lourd silence à peine troublé par le bruit du vent et des chants d'oiseaux tandis que la caméra plonge au cœur d'une forêt épaisse pour cadrer des traces de pas d'homme. Ceux d'un chasseur qui traque. Élégant, massif, concentré, l'homme débouche au bord d'une falaise. Il se met à l'affût, tire de son sac une lunette de visée perfectionnée. Il la fixe sur son fusil. Très gros plan sur la molette de réglage. L'homme ajuste avec soin, comme on fait le point avec une caméra. Celle du cinéaste par exemple. Et dans le viseur, cercle parfait qui s'inscrit dans le rectangle de l'écran, apparaît la silhouette bien connue d'Adolph Hitler ! L'intersection des lignes se fixe sur le cœur du dictateur. Le doigt de l'homme appuie lentement sur la détente. Click.
Vertige. Vertige de ce qui aurait pu être pour le spectateur d'aujourd'hui, de ce pouvait encore être pour celui de 1941, en particulier le spectateur américain d'une Amérique encore neutre et à laquelle Fritz Lang s'adresse sans détour. Vertige d'un cinéaste magistral (toute la splendeur du cinéma classique) qui défie la figure bien réelle du mal absolu. Comme Charlie Chaplin vient de le faire avec The great dictator (Le dictateur) en investissant le corps de Hitler de l'humour de Charlot, Lang vise le dictateur au cœur. Chaplin le noie dans le ridicule (puis dans un étang), Lang préconise son élimination physique directe, soulignant au passage sa vulnérabilité. Je repensais à cette réplique du soldat Pepper, le tireur d'élite de Saving Private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan – 1998) de Steven Spielberg : « Pour finir la guerre, parachutez-moi à 500 mètres de Hitler ». Cela semble si simple. Cela ne l'est pas. Notre chasseur, un anglais bon teint, le capitaine Thorndike, est pris, torturé et laissé pour mort. Il s'enfuit, traqué par les agents nazis jusqu'en Angleterre, jusqu'à Londres où ses poursuivants cherchent à lui faire signer un document confessant sa tentative de meurtre sur ordre afin de discréditer son pays.
Le film emprunte la forme du thriller noir, genre dans lequel Lang excelle. Man hunt est à la fois un avertissement sur la puissance nazie (ils sont partout), une exhortation à agir contre ses principes (et en cela c'est bien un film de propagande, quoiqu'en ait déclaré Lang, et cela ne pose pas de problème), ainsi qu'une critique à peine voilée des atermoiements alliés d'avant 1939. L’hésitation initiale de Thorndike lui fait manquer une belle occasion et son périple, voyage initiatique en forme de cercle, est un véritable chemin de croix. Confronté après son arrestation à son antagoniste, l'officier SS joué ironiquement par le délicieusement britannique George Sanders, Thorndike essaye de discuter, d'affirmer sa philosophie de non violence. La chasseur renommé qu'il est ne tue plus ses proies. « Je déteste la violence » dit-il. Naïf ! Un discours qui ne tient pas devant la volonté de puissance des promoteurs d'un nouveau Reich. Pourtant Thorndike ne cède pas. Il est « tué », jeté depuis la falaise du début et survit par miracle. Lang, avec une succession d'images fortes, le dépouille alors de toute ressource : fusil planté dans la vase, chaussure dans la boue, jusqu'à son identité usurpée par Jones, l'homme de main joué par John Carradine. L'arrivée en Angleterre ne résout rien. Tels les hommes de Mabuse, les nazis sont partout, déjà infiltrés sous les traits d'un policeman, d'une employée des postes. Le mal est tramé dans le quotidien. Et notre héros ne pourra compter que sur lui-même, un jeune garçon et une jeune femme modeste (plus ou moins prostituée, mais ce n'est pas explicite, question de code). Le calvaire de Thorndike passe par la mise en scène de Lang qui l'enserre toujours plus, le force à se cacher sous terre, d'abord dans le compartiment secret du bateau qui lui permet de quitter l'Allemagne, puis dans les souterrains du métro de Londres pour finir, comme l'un de ces animaux qu'il a traqué toute sa vie, dans une espèce de terrier misérable dans un bois. C'est dans cet ultime refuge qu'il sera acculé et devra pour se défendre redevenir le chasseur primitif plein de ressources et montrer, enfin, sa force.
Écrit par Dudley Nichols, grand collaborateur de John Ford, Man hunt possède une grande puissance symbolique qui pourtant évolue en harmonie avec le récit d'aventures du thriller. L'action est soutenue, constamment imaginative dans ses péripéties et comme chez Hitchcock, toujours basée sur du concret, du quotidien. L'utilisation de la broche de Jerry (la jeune femme qui aide Thorndike), à la fois indication de la tendresse entre les deux personnages, élément signifiant de la disparition de la jeune femme et qui va se transformer en instrument de vengeance, est exemplaire. Monté au petit poil par Allen McNeil, le film alterne des scènes intenses (la traque dans le métro) et délicates entre Thordike et Jerry ou le jeune Vaner, sans négliger l'humour de la visite à son frère, haut diplomate impuissant où la belle-sœur effarée apprend de Jerry ce que sont « les bourres ». Visuellement, c'est une splendeur photographiée par Arthur C. Miller, une pointure qui la même année remportera un Oscar pour How Green Was My Valley (Qu'elle était verte ma vallée) de John Ford. Ford, Lang, Miller avait du tempérament. Man hunt déploie l'expressionnisme du film noir que le travail de Lang en son époque allemande avait inspiré : noirs intenses, effets de brumes et d'humidité, ombres longues et jeux sophistiqués de lumière. Les cadres jouent beaucoup sur les formes circulaires (Le sas du bateau, le viseur, le tunnel de métro, le trou dans le terrier) et renvoient au récit lui-même reflet du parcours intérieur de son héros. Sans que ce soit forcé, le film est traversé de réminiscences des films allemands de Lang : la forêt et la feuille fatale ramènent aux Nibelungen (1924), le plan depuis la vitrine du bijoutier à M (1931), les rues sombres et humides où s'embusquent les agents nazis aux Mabuse.
Ce qui est peut être le plus remarquable et typique de la manière langienne, c'est le traitement de la violence dans une histoire qui malgré ses respirations est d'une grande noirceur. Particulièrement réussie est la scène de l'interrogatoire de Thorndike par les sbires du nazi, qui imagine un jeu complexe sur les ombres, le son et le hors champ pour ne rien montrer. Deux sillons laissés par les pieds du corps traîné sur la moquette suffisent à dire la violence de la torture, la souffrance de la victime, tout en étant un écho visuel aux traces de pas de la première scène. Ce simple (façon de parler) plan suffit à rendre à peine supportable la scène qui suit alors que la caméra reste sur le visage de Sanders, non pas des exécutants mais du commanditaire. Lang désigne le véritable responsable. Le cadre est d'abord affaire de morale. Plus tard, le sort de Jerry est signifié par une série de plans qui l'enserrent et un jeu de lumières qui la font tomber dans les ténèbres. A l'inverse, Lang filme frontalement la mort de l'agent nazi Jones dans le métro, électrocuté spectaculairement en tombant sur les rails lors de sa lutte avec Thorndike. Le regard de Lang, comme toujours, est à la juste place. Il montre sans fard la violence que doivent exercer les démocraties dans leur lutte. Ayant accepté son destin, Thorndike reprend le chemin de l'Allemagne, parachuté cette fois avec une carabine chargée, prête à servir.
Man Hunt enfin est parfaitement interprété. Walter Pidgeon prête sa carrure virile à Thorndike, expression de la solidité britannique mise à rude épreuve. Il est aussi à l'aise dans l'action que dans le pathétique, dans la finesse de l'épisode maritime avec l'enfant joué par Roddy McDowall (tous les deux se retrouveront sur How Green Was My Valley quelques mois plus tard), que dans le jeu amoureux délicat avec Jerry, jouée par Joan Bennett, choix âprement défendu par le réalisateur qui entame avec l'actrice une fructueuse collaboration. George Sanders est parfait comme à son habitude, délicieusement ignoble quand il le faut, et toujours avec classe.
La superbe édition Sidonis Calysta (Blu-Ray et DVD) comprend un livret écrit par Patrick Brion, notre maître à tous, richement illustré ce qui n'est pas ici une simple figure de style. On trouvera en bonus un entretien passionnant entre Brion et Bernard Eisenschitz, spécialiste de Lang, ainsi que le storyboard complet du film. Un document exceptionnel qui montre où réside pour une bonne part la maîtrise langienne sur ce film, pas forcément l'un de ses plus connus mais certainement l'un des tout meilleurs de sa riche période américaine. Bel écrin pour une œuvre majeure.
Photographies : Mubi.com et Moviemail.com
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09/11/2013
Jolie langue
La grande Catherine et Jacques Perrin au volant. Dans les rues de Rochefort ? Photographie DR.
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04/11/2013
L'Adèle adulée, c'est pas l'idéal
La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2. Un film d'Abdellatif Kechiche (2013)
J'aurais du faire l'effort à Cannes, en mai dernier, et aller voir La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2 d'Abdellatif Kechiche, frais du cirque médiatique qui a suivi et qui se poursuit. Frais des dithyrambes qui ont fleurit sur la Croisette et ont semé leurs pétales un peu partout. Frais surtout de la palme d'or, pas tant la récompense mais le fait qu'elle ait été attribuée par le jury mené par Steven Spielberg. Chacun sait ici l'admiration totale que j'ai pour le cinéaste, mais aussi le plaisir que j'ai à l'entendre parler de cinéma, celui de Ford, de Hawks ou de Lean. Et j'ai aimé son regard malicieux quand il a déclaré au soir de la clôture cannoise que c'était « une belle histoire d'amour » que ce film. Je sais bien qu'il y a eu des rumeurs (il y en a toujours) sur son goût personnel pour Soshite chichi ni naru (Tel père, tel fils) de Hirokazu Kore-eda , mais voilà, ce fut Adèle et il ne m'était pas possible de faire l'impasse sur ce film.
Adèle donc. Adèle a une grande bouche, celle de l'actrice Adèle Exarchopoulos qu'elle a toujours ouverte comme l'a développé Buster sur Baloonatic, qu'elle mange, jouisse, dorme ou ne fasse rien. Elle a tout le temps cet air un peu hébété, ici et ailleurs. L'actrice est remarquable parce que cette bouche entrouverte en permanence pourrait vite être agaçante mais qu'elle est finalement touchante, attendrissante et même émouvante, quand bien même toute la symbolique derrière n'est pas des plus légère. Et puis cette bouche est ouverte sur deux incisives un peu grandes et quand Adèle sourit, elle a deux fossettes qui lui donnent un air de ressemblance avec Sandrine Bonnaire époque Pialat, ce que je trouve charmant.
Après, Adèle le personnage, c'est une autre paire de manches. Adèle va au lycée et veut devenir institutrice. Elle rencontre Emma, un peu plus âgée, qui fait les beaux-arts. Le film est le récit de leur histoire d'amour et de leur passion brusque, physique, complète. Adèle devient institutrice, Emma expose ses toiles. Adèle couche avec un collègue. Emma jette Adèle. Fin de l'histoire qui laissera des traces indélébiles. De cette histoire, Kechiche et sa scénariste Ghalya Lacroix isolent quelques moments clefs, les grandes inflexions des mouvements du cœur de la rencontre à la rupture. Je rejoins la chronique du bon Dr Orlof pour évacuer la composante homosexuelle dans le film, alors qu'elle est fondamentale dans la bande dessinée qui l'inspire : Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. Adèle cherche son identité et pas seulement sexuelle. Elle essaye un garçon, vit sa passion avec Emma, mais provoque leur séparation en couchant avec un collègue. Au final, elle reste seule mais pas sûr qu'elle se soit trouvée. Si elle participe à une gay-pride, elle y danse et crie comme nous la voyons faire plus tôt dans une manifestation politique. Est-celle impliquée, Adèle ? J'en doute. Est-elle homosexuelle ? J'en doute aussi car je la vois toujours un peu « à côté » notamment avec les amis d'Emma, aussi décalée que lors de sa première visite au bar gay.
La remarque vaut pour la composante culturelle abordée par Abdellatif Kechiche qui montre Adèle mal à l'aise avec les choses de l'art au vernissage des œuvres d'Emma (pour laquelle elle a posé) ou lors de la conversation sur les mérites comparés de Klimt et de Egon Schiele. L'influence d'Emma (présentée avec un côté Pygmalion) ne semble pas probante pour des scène qui viennent tard dans leur relation. Pareil pour le côté professionnel. Adèle déclare sa passion pour le métier d'institutrice mais je ne l'ai pas ressenti. Avec les enfants, quand ce métier est devenu le sien, elle reste ailleurs. La première scène à l'école la voit même irritée, maladroite avec ses élèves. Mise à part la lecture du conte, elle ne dégage ni l'assurance, ni la passion que l'on a vu à ses professeurs dans les scènes de lycée du début du film. Alors Adèle ? Le réalisateur a beau nous déclarer que ce film est le portrait d'une jeune fille qui devient une jeune femme, je ne trouve pas cela évident de ce que j'ai vu sur l'écran. Adèle est ailleurs et elle le reste, un personnage un peu terne même si attachant, dépassé par la force de sa passion, une victime d'une certaine façon, et dont on se rend compte à la fin que l'on ne sait pas grand chose d'elle, qu'elle garde son mystère, un mystère que Kechiche n'a pas su ou pas voulu percer. Il y a quelque chose de décevant là-dedans, comme il n'est pas exclu que je n'ai pas compris où le réalisateur voulait en venir.
D'autant que question passion, Kechiche a mis la pédale douce. Nous sommes loin, quand même, des grandes histoires douloureuses d'un François Truffaut. Je pensais en particulier à La femme d'à côté (1981) avec ce côté irrésistible de la passion physique (Quand le personnage de Gérard Depardieu se jette sur celui de Fanny Ardant au beau milieu de la réception). Kechiche a éliminé le côté tragique de la bande dessinée ( Adèle-Clémentine meurt) tout en ayant hésité à le faire. Et ce ne sont pas les performances physiques des deux actrices qui changent la donne. Ces scènes trop commentées ne sont pas si longues que ce qui se dit et il n'y a pas non plus de quoi fouetter un chat (pauvre bête). Quand on lit sous la plume de Fabien Bauman qu'il est « encore possible de se heurter à de l'invu », on se demande dans quel monastère reculé Positif recrute ses critiques. Nous en avons vu d'autres chez Ōshima, Pasolini, Verhoeven, Rollin ou Larry Clark, voire Mickael Hers. Quand à leur utilité... Ces scènes posent juste quelques questions supplémentaires : pourquoi (comment ?) la jeune adolescente un peu fleur bleue a t-elle déjà le sexe rasé et se comporte t-elle d’entrée comme une experte en Kama-Sutra ? Où sont les maladresses des premières fois ?
Fleur bleue... oui, finalement, ce que j'ai préféré c'est paradoxalement le côté romantique très premier degré de Kechiche, premiers regards avec ralentit et musique planante, scène de drague au bar gay joliment dialoguée, premiers effleurements, premier baiser dans le parc, des scènes où passe une vraie complicité entre les actrices. Mais ce parc, cette lumière solaire dorée, ces feuillages frémissants, ce banc, ce couple sur la pelouse, c'est celui de Notting Hill (Coup de foudre à Notting Hill - 1999) la comédie romantique de Roger Michell avec Julia Roberts et Hugh Grant ! Une hypothèse : Abdellatif Kechiche a un véritable talent pour la comédie (le film a du rythme, le sens des situations, des dialogues vifs) mais il ne l'exploite pas, par manque d'intérêt pour le genre. Pas évident de raccorder cette veine aux scènes de lit acrobatiques, aux scènes d'engueulades trop jouées dans la violence. Est-ce que tout ceci ne viendrait pas de la méthode du réalisateur ? Trop de matériel accumulé, trop de pistes suivies, trop d'ellipses qui réduisent de beaux personnages secondaires à de la figuration intelligente (l'ami homosexuel, les parents, gentils mais absents..), trop de bleu systématiquement dans chaque plan, du plus joli (les yeux d'Emma, la robe de la dernière scène) au plus ridicule (la bannière France Bleu dans le parc), de jolies scènes sensibles (le premier baiser donné par Alma Jodorowsky, oui, la petite fille de Jodo) et d'autres lourdement artificielles (la dispute avec les copines devant le lycée). Et une question encore, la dernière : qu'est-ce que c'est que ce film censé se passer dans les années 2000 où l'on ne voit (quasiment ?) aucun téléphone portable dans les mains des adolescents ?
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29/10/2013
Des visages, des figures
C'est un tout petit film. Cinq minutes filmées par Chris Hilson et montées par Thom Zimny, jointes à la lettre de remerciements que Bruce Springsteen a adressé à son public à l'issue de la tournée Wrecking ball. Hilson et Zimny ont travaillé sur les films des concerts de New-York, Dublin, Barcelone et l'impressionnant London calling – Live in Hyde Park de 2010. Ils savent de façon remarquable saisir la puissance du Boss et de son E-street Band sur scène. Le principe cette fois est tout simple. Des visages le plus souvent en gros plan de spectateurs pris lors des concerts sur l’interprétation habitée, comme toujours, de Dream, baby, dream de Suicide. Des visages au cœur de l'action. Figures de femmes et d'hommes, jeunes et vieux, des enfants, des couples, un groupe d'amis, toute la palette des réactions et surtout des regards. Des regards tournés vers cet homme au charisme unique qui chante, porté par ces regards et soutenu par ce groupe de musiciens, derrière, ce groupe que l'on verra plus tard, visage après visage encore. Un homme porté par sa foi, parce que Springsteen, c'est une histoire de foi. Foi dans la musique, sa musique qui puise à toutes les racines du rock. Foi au sens religieux aussi avec cette dimension issue du christianisme et ses symboles, l'eau du baptême qui coule en ouvrant le film, la posture christique du chanteur qui s'abandonne aux bras multiples de la foule, sa façon de jouer les prédicateurs de la grande épiphanie du rock and roll, la chanson elle même, psalmodiée avec ses nappes sonore, paroles simples reprises encore et encore, et puis les chœurs gospel vers la fin. Come on dream, baby dream...
Pourtant tout ce fatras religieux n'est pas ici ni gênant, ni réducteur. Il est sincère parce que direct. Ce jeu sur le rituel est le vecteur ouvert entre l’artiste et son public et une ferveur authentique répond à l'engagement total du chanteur. Et puis, quand même, toujours cette pointe d'humour et cette simplicité désarmante. Chaque plan de ce film pourrait être démagogique ou racoleur. Pas une seconde ne l'est. Chaque portrait choisi possède sa vérité, chaque personne pèse son poids d'humanité, et quiconque a assisté à un concert de Springsteen, à quelques pisse-froids près, a certainement ressentit cette émotion qui porte et transporte. Il y a dans ces regards l'essence du rapport entre le Boss et son public, cette façon qu'il a face à des foules impressionnantes, de s'adresser à chaque individu. De la même façon, chacun de ses portraits est le notre car nous partageons intimement la même foi. Ou pour faire moins illuminé, nous partageons la même chose avec la même intensité.
Souvent, dans les films de concerts, le public est réduit à une masse mouvante en vénération. Cette fois la caméra plonge dans la foule pour extraire un fragment d'expression qui traduit l'expérience personnelle du concert. Les visages sont beaux, cet homme qui retient ses larmes (il écoute The river ?), le couple âgé dont on peut deviner l'histoire, le petit geste de la femme aux long cheveux frisottés, la petite fille un peu perdue sur les épaules de son père, la joie du jeune couple qui danse... Et nous sommes avec eux, nous faisons partie. C'est cela, les beaux concerts, les beaux films, rendent beaux ceux qui les écoutent, qui les regardent.
A la fin, les plans sur les membres du groupe les unissent aux spectateurs tandis que le Boss remonte sur scène. Puis il y a ce beau plan large sur le groupe en symbiose. Et quand vient, tout à la fin, les visages des disparus, Danny Federici et Clarence Clemmons, et que le visage du grand saxophoniste se fond avec la silhouette de Springsteen qui avance sur scène, décidément, ces cinq minutes sont ce que j'ai vu de plus fort cette année.
08:31 Publié dans Cinéma, Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bruce springsteen, chris hilson, thom zimny | Facebook | Imprimer | |
28/10/2013
Lou Reed (1942 - 2013)
09:36 Publié dans Cinéma, Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lou reed | Facebook | Imprimer | |