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16/11/2013

Politique et cinéma (partie1)

Un nouveau questionnaire élaboré par Ludovic du blog Cinématique sur le thème de la politique en 20 propositions, voilà quelque chose à ne pas manquer. Passez donc voir sur sa note les nombreuses contributions et découvrez, en deux parties, mes suspects habituels : 

1) Quel film représente le mieux à vos yeux l'idéal démocratique ? 

John Ford est pour moi un maître en la matière. Le plus intéressant, peut-être, parce qu'il l'exprime, en montre les mécanismes au quotidien, tout en soulignant ses faiblesses, c'est The man who shot Liberty Valance (L'homme qui tua Liberty Valance– 1962).

Valance.jpg

2) Au cinéma, pour quel Roi avez-vous un faible ? 

Charles 5 et 3 font 8 et 8 font 16 de Takicardie

le_roi_et_l_oiseau_photo_8__c_1980_studiocanal_les_films_paul_grimault_.jpg

3) Quelle est la plus belle émeute, révolte ou révolution jamais filmée ? 

Le rire de Greta Garbo dans Ninotchka(1940) de Ernst Lubitsch.

Ninotchka-15.jpg

4) Si vous étiez ministre de la Culture, à quelle personnalité du cinéma remettriez-vous la Légion d'Honneur ? 

Je ne suis pas très prix et ils n'ont pas besoin de ça.

5) Au cinéma, quel est votre Empereur préféré ? 

Caligula sous les traits de Malcolm McDowell ou Jay Robinson

6) Si vous étiez Ministre de la Culture, quel serait votre premier mesure, premier acte symbolique ou premiers mots d'un discours, concernant le cinéma ? 

Faire occuper les multiplexes par la troupe.

7) Quel film vous semble, même involontairement, sur le fond ou sur la forme, d'inspiration fasciste ? 

Dark of the sun (Le dernier train du Katanga - 1968) de Jack Cardiff.

Katanga.jpg

8) Quel est le meilleur film sur la lutte des classes ? 

La grande illusion(1937) de Jean Renoir, parce qu'il se limite pas à la lutte.

La-Grande-Illusion.jpg

9) Au cinéma, qui a le mieux incarné la République ?  

En France, la jeune femme qui pleure en chantant la Marseillaise dans Casablanca (1943) de Michael Curtiz.

Ailleurs, Alberto Sordi et Lea Massari mangeant de pâtes dans Una vita difficile (Une vie difficile - 1961) de Dino Risi.

10) Quel film vous paraît le plus pertinent sur les coulisses du pouvoir dans le monde d'aujourd'hui ? 

Giù la testa ! (Il était une fois la révolution– 1971) de Sergio Leone, en particulier la tirade de Juan à Sean que les lecteurs d'Inisfree doivent commencer à connaître.

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(A suivre demain)

13/11/2013

Chasse à l'homme

Man Hunt (Chasse à l'homme). Un film de Fritz Lang (1941)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Même si l'on connaît le film, la première scène de Man Hunt (Chasse à l'homme), que Fritz Lang réalise en 1941, donne le vertige. « Quelque part en Allemagne – Avant la guerre » nous précise un carton introductif. Aux accent dramatiques de la musique d'Alfred Newman sur le générique succède un lourd silence à peine troublé par le bruit du vent et des chants d'oiseaux tandis que la caméra plonge au cœur d'une forêt épaisse pour cadrer des traces de pas d'homme. Ceux d'un chasseur qui traque. Élégant, massif, concentré, l'homme débouche au bord d'une falaise. Il se met à l'affût, tire de son sac une lunette de visée perfectionnée. Il la fixe sur son fusil. Très gros plan sur la molette de réglage. L'homme ajuste avec soin, comme on fait le point avec une caméra. Celle du cinéaste par exemple. Et dans le viseur, cercle parfait qui s'inscrit dans le rectangle de l'écran, apparaît la silhouette bien connue d'Adolph Hitler ! L'intersection des lignes se fixe sur le cœur du dictateur. Le doigt de l'homme appuie lentement sur la détente. Click.

fritz lang

Vertige. Vertige de ce qui aurait pu être pour le spectateur d'aujourd'hui, de ce pouvait encore être pour celui de 1941, en particulier le spectateur américain d'une Amérique encore neutre et à laquelle Fritz Lang s'adresse sans détour. Vertige d'un cinéaste magistral (toute la splendeur du cinéma classique) qui défie la figure bien réelle du mal absolu. Comme Charlie Chaplin vient de le faire avec The great dictator (Le dictateur) en investissant le corps de Hitler de l'humour de Charlot, Lang vise le dictateur au cœur. Chaplin le noie dans le ridicule (puis dans un étang), Lang préconise son élimination physique directe, soulignant au passage sa vulnérabilité. Je repensais à cette réplique du soldat Pepper, le tireur d'élite de Saving Private Ryan (Il faut sauver le soldat Ryan – 1998) de Steven Spielberg : « Pour finir la guerre, parachutez-moi à 500 mètres de Hitler ». Cela semble si simple. Cela ne l'est pas. Notre chasseur, un anglais bon teint, le capitaine Thorndike, est pris, torturé et laissé pour mort. Il s'enfuit, traqué par les agents nazis jusqu'en Angleterre, jusqu'à Londres où ses poursuivants cherchent à lui faire signer un document confessant sa tentative de meurtre sur ordre afin de discréditer son pays.

Le film emprunte la forme du thriller noir, genre dans lequel Lang excelle. Man hunt est à la fois un avertissement sur la puissance nazie (ils sont partout), une exhortation à agir contre ses principes (et en cela c'est bien un film de propagande, quoiqu'en ait déclaré Lang, et cela ne pose pas de problème), ainsi qu'une critique à peine voilée des atermoiements alliés d'avant 1939. L’hésitation initiale de Thorndike lui fait manquer une belle occasion et son périple, voyage initiatique en forme de cercle, est un véritable chemin de croix. Confronté après son arrestation à son antagoniste, l'officier SS joué ironiquement par le délicieusement britannique George Sanders, Thorndike essaye de discuter, d'affirmer sa philosophie de non violence. La chasseur renommé qu'il est ne tue plus ses proies. « Je déteste la violence » dit-il. Naïf ! Un discours qui ne tient pas devant la volonté de puissance des promoteurs d'un nouveau Reich. Pourtant Thorndike ne cède pas. Il est « tué », jeté depuis la falaise du début et survit par miracle. Lang, avec une succession d'images fortes, le dépouille alors de toute ressource : fusil planté dans la vase, chaussure dans la boue, jusqu'à son identité usurpée par Jones, l'homme de main joué par John Carradine. L'arrivée en Angleterre ne résout rien. Tels les hommes de Mabuse, les nazis sont partout, déjà infiltrés sous les traits d'un policeman, d'une employée des postes. Le mal est tramé dans le quotidien. Et notre héros ne pourra compter que sur lui-même, un jeune garçon et une jeune femme modeste (plus ou moins prostituée, mais ce n'est pas explicite, question de code). Le calvaire de Thorndike passe par la mise en scène de Lang qui l'enserre toujours plus, le force à se cacher sous terre, d'abord dans le compartiment secret du bateau qui lui permet de quitter l'Allemagne, puis dans les souterrains du métro de Londres pour finir, comme l'un de ces animaux qu'il a traqué toute sa vie, dans une espèce de terrier misérable dans un bois. C'est dans cet ultime refuge qu'il sera acculé et devra pour se défendre redevenir le chasseur primitif plein de ressources et montrer, enfin, sa force.

fritz lang

Écrit par Dudley Nichols, grand collaborateur de John Ford, Man hunt possède une grande puissance symbolique qui pourtant évolue en harmonie avec le récit d'aventures du thriller. L'action est soutenue, constamment imaginative dans ses péripéties et comme chez Hitchcock, toujours basée sur du concret, du quotidien. L'utilisation de la broche de Jerry (la jeune femme qui aide Thorndike), à la fois indication de la tendresse entre les deux personnages, élément signifiant de la disparition de la jeune femme et qui va se transformer en instrument de vengeance, est exemplaire. Monté au petit poil par Allen McNeil, le film alterne des scènes intenses (la traque dans le métro) et délicates entre Thordike et Jerry ou le jeune Vaner, sans négliger l'humour de la visite à son frère, haut diplomate impuissant où la belle-sœur effarée apprend de Jerry ce que sont « les bourres ». Visuellement, c'est une splendeur photographiée par Arthur C. Miller, une pointure qui la même année remportera un Oscar pour How Green Was My Valley (Qu'elle était verte ma vallée) de John Ford. Ford, Lang, Miller avait du tempérament. Man hunt déploie l'expressionnisme du film noir que le travail de Lang en son époque allemande avait inspiré : noirs intenses, effets de brumes et d'humidité, ombres longues et jeux sophistiqués de lumière. Les cadres jouent beaucoup sur les formes circulaires (Le sas du bateau, le viseur, le tunnel de métro, le trou dans le terrier) et renvoient au récit lui-même reflet du parcours intérieur de son héros. Sans que ce soit forcé, le film est traversé de réminiscences des films allemands de Lang : la forêt et la feuille fatale ramènent aux Nibelungen (1924), le plan depuis la vitrine du bijoutier à M (1931), les rues sombres et humides où s'embusquent les agents nazis aux Mabuse.

Ce qui est peut être le plus remarquable et typique de la manière langienne, c'est le traitement de la violence dans une histoire qui malgré ses respirations est d'une grande noirceur. Particulièrement réussie est la scène de l'interrogatoire de Thorndike par les sbires du nazi, qui imagine un jeu complexe sur les ombres, le son et le hors champ pour ne rien montrer. Deux sillons laissés par les pieds du corps traîné sur la moquette suffisent à dire la violence de la torture, la souffrance de la victime, tout en étant un écho visuel aux traces de pas de la première scène. Ce simple (façon de parler) plan suffit à rendre à peine supportable la scène qui suit alors que la caméra reste sur le visage de Sanders, non pas des exécutants mais du commanditaire. Lang désigne le véritable responsable. Le cadre est d'abord affaire de morale. Plus tard, le sort de Jerry est signifié par une série de plans qui l'enserrent et un jeu de lumières qui la font tomber dans les ténèbres. A l'inverse, Lang filme frontalement la mort de l'agent nazi Jones dans le métro, électrocuté spectaculairement en tombant sur les rails lors de sa lutte avec Thorndike. Le regard de Lang, comme toujours, est à la juste place. Il montre sans fard la violence que doivent exercer les démocraties dans leur lutte. Ayant accepté son destin, Thorndike reprend le chemin de l'Allemagne, parachuté cette fois avec une carabine chargée, prête à servir.

fritz lang

Man Hunt enfin est parfaitement interprété. Walter Pidgeon prête sa carrure virile à Thorndike, expression de la solidité britannique mise à rude épreuve. Il est aussi à l'aise dans l'action que dans le pathétique, dans la finesse de l'épisode maritime avec l'enfant joué par Roddy McDowall (tous les deux se retrouveront sur How Green Was My Valley quelques mois plus tard), que dans le jeu amoureux délicat avec Jerry, jouée par Joan Bennett, choix âprement défendu par le réalisateur qui entame avec l'actrice une fructueuse collaboration. George Sanders est parfait comme à son habitude, délicieusement ignoble quand il le faut, et toujours avec classe.

La superbe édition Sidonis Calysta (Blu-Ray et DVD) comprend un livret écrit par Patrick Brion, notre maître à tous, richement illustré ce qui n'est pas ici une simple figure de style. On trouvera en bonus un entretien passionnant entre Brion et Bernard Eisenschitz, spécialiste de Lang, ainsi que le storyboard complet du film. Un document exceptionnel qui montre où réside pour une bonne part la maîtrise langienne sur ce film, pas forcément l'un de ses plus connus mais certainement l'un des tout meilleurs de sa riche période américaine. Bel écrin pour une œuvre majeure.

Photographies : Mubi.com et Moviemail.com

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09/11/2013

Jolie langue

Denueve perrin.jpg

La grande Catherine et Jacques Perrin au volant. Dans les rues de Rochefort ? Photographie DR.

04/11/2013

L'Adèle adulée, c'est pas l'idéal

La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2. Un film d'Abdellatif Kechiche (2013)

J'aurais du faire l'effort à Cannes, en mai dernier, et aller voir La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2 d'Abdellatif Kechiche, frais du cirque médiatique qui a suivi et qui se poursuit. Frais des dithyrambes qui ont fleurit sur la Croisette et ont semé leurs pétales un peu partout. Frais surtout de la palme d'or, pas tant la récompense mais le fait qu'elle ait été attribuée par le jury mené par Steven Spielberg. Chacun sait ici l'admiration totale que j'ai pour le cinéaste, mais aussi le plaisir que j'ai à l'entendre parler de cinéma, celui de Ford, de Hawks ou de Lean. Et j'ai aimé son regard malicieux quand il a déclaré au soir de la clôture cannoise que c'était « une belle histoire d'amour » que ce film. Je sais bien qu'il y a eu des rumeurs (il y en a toujours) sur son goût personnel pour Soshite chichi ni naru (Tel père, tel fils) de Hirokazu Kore-eda , mais voilà, ce fut Adèle et il ne m'était pas possible de faire l'impasse sur ce film.

Adèle donc. Adèle a une grande bouche, celle de l'actrice Adèle Exarchopoulos qu'elle a toujours ouverte comme l'a développé Buster sur Baloonatic, qu'elle mange, jouisse, dorme ou ne fasse rien. Elle a tout le temps cet air un peu hébété, ici et ailleurs. L'actrice est remarquable parce que cette bouche entrouverte en permanence pourrait vite être agaçante mais qu'elle est finalement touchante, attendrissante et même émouvante, quand bien même toute la symbolique derrière n'est pas des plus légère. Et puis cette bouche est ouverte sur deux incisives un peu grandes et quand Adèle sourit, elle a deux fossettes qui lui donnent un air de ressemblance avec Sandrine Bonnaire époque Pialat, ce que je trouve charmant.

Après, Adèle le personnage, c'est une autre paire de manches. Adèle va au lycée et veut devenir institutrice. Elle rencontre Emma, un peu plus âgée, qui fait les beaux-arts. Le film est le récit de leur histoire d'amour et de leur passion brusque, physique, complète. Adèle devient institutrice, Emma expose ses toiles. Adèle couche avec un collègue. Emma jette Adèle. Fin de l'histoire qui laissera des traces indélébiles. De cette histoire, Kechiche et sa scénariste Ghalya Lacroix isolent quelques moments clefs, les grandes inflexions des mouvements du cœur de la rencontre à la rupture. Je rejoins la chronique du bon Dr Orlof pour évacuer la composante homosexuelle dans le film, alors qu'elle est fondamentale dans la bande dessinée qui l'inspire : Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. Adèle cherche son identité et pas seulement sexuelle. Elle essaye un garçon, vit sa passion avec Emma, mais provoque leur séparation en couchant avec un collègue. Au final, elle reste seule mais pas sûr qu'elle se soit trouvée. Si elle participe à une gay-pride, elle y danse et crie comme nous la voyons faire plus tôt dans une manifestation politique. Est-celle impliquée, Adèle ? J'en doute. Est-elle homosexuelle ? J'en doute aussi car je la vois toujours un peu « à côté » notamment avec les amis d'Emma, aussi décalée que lors de sa première visite au bar gay.

La remarque vaut pour la composante culturelle abordée par Abdellatif Kechiche qui montre Adèle mal à l'aise avec les choses de l'art au vernissage des œuvres d'Emma (pour laquelle elle a posé) ou lors de la conversation sur les mérites comparés de Klimt et de Egon Schiele. L'influence d'Emma (présentée avec un côté Pygmalion)  ne semble pas probante pour des scène qui viennent tard dans leur relation. Pareil pour le côté professionnel. Adèle déclare sa passion pour le métier d'institutrice mais je ne l'ai pas ressenti. Avec les enfants, quand ce métier est devenu le sien, elle reste ailleurs. La première scène à l'école la voit même irritée, maladroite avec ses élèves. Mise à part la lecture du conte, elle ne dégage ni l'assurance, ni la passion que l'on a vu à ses professeurs dans les scènes de lycée du début du film. Alors Adèle ? Le réalisateur a beau nous déclarer que ce film est le portrait d'une jeune fille qui devient une jeune femme, je ne trouve pas cela évident de ce que j'ai vu sur l'écran. Adèle est ailleurs et elle le reste, un personnage un peu terne même si attachant, dépassé par la force de sa passion, une victime d'une certaine façon, et dont on se rend compte à la fin que l'on ne sait pas grand chose d'elle, qu'elle garde son mystère, un mystère que Kechiche n'a pas su ou pas voulu percer. Il y a quelque chose de décevant là-dedans, comme il n'est pas exclu que je n'ai pas compris où le réalisateur voulait en venir.

D'autant que question passion, Kechiche a mis la pédale douce. Nous sommes loin, quand même, des grandes histoires douloureuses d'un François Truffaut. Je pensais en particulier à La femme d'à côté (1981) avec ce côté irrésistible de la passion physique (Quand le personnage de Gérard Depardieu se jette sur celui de Fanny Ardant au beau milieu de la réception). Kechiche a éliminé le côté tragique de la bande dessinée ( Adèle-Clémentine meurt) tout en ayant hésité à le faire. Et ce ne sont pas les performances physiques des deux actrices qui changent la donne. Ces scènes trop commentées ne sont pas si longues que ce qui se dit et il n'y a pas non plus de quoi fouetter un chat (pauvre bête). Quand on lit sous la plume de Fabien Bauman qu'il est « encore possible de se heurter à de l'invu », on se demande dans quel monastère reculé Positif recrute ses critiques. Nous en avons vu d'autres chez Ōshima, Pasolini, Verhoeven, Rollin ou Larry Clark, voire Mickael Hers. Quand à leur utilité... Ces scènes posent juste quelques questions supplémentaires : pourquoi (comment ?) la jeune adolescente un peu fleur bleue a t-elle déjà le sexe rasé et se comporte t-elle d’entrée comme une experte en Kama-Sutra ? Où sont les maladresses des premières fois ?

Fleur bleue... oui, finalement, ce que j'ai préféré c'est paradoxalement le côté romantique très premier degré de Kechiche, premiers regards avec ralentit et musique planante, scène de drague au bar gay joliment dialoguée, premiers effleurements, premier baiser dans le parc, des scènes où passe une vraie complicité entre les actrices. Mais ce parc, cette lumière solaire dorée, ces feuillages frémissants, ce banc, ce couple sur la pelouse, c'est celui de Notting Hill (Coup de foudre à Notting Hill - 1999) la comédie romantique de Roger Michell avec Julia Roberts et Hugh Grant ! Une hypothèse : Abdellatif Kechiche a un véritable talent pour la comédie (le film a du rythme, le sens des situations, des dialogues vifs) mais il ne l'exploite pas, par manque d'intérêt pour le genre. Pas évident de raccorder cette veine aux scènes de lit acrobatiques, aux scènes d'engueulades trop jouées dans la violence. Est-ce que tout ceci ne viendrait pas de la méthode du réalisateur ? Trop de matériel accumulé, trop de pistes suivies, trop d'ellipses qui réduisent de beaux personnages secondaires à de la figuration intelligente (l'ami homosexuel, les parents, gentils mais absents..), trop de bleu systématiquement dans chaque plan, du plus joli (les yeux d'Emma, la robe de la dernière scène) au plus ridicule (la bannière France Bleu dans le parc), de jolies scènes sensibles (le premier baiser donné par Alma Jodorowsky, oui, la petite fille de Jodo) et d'autres lourdement artificielles (la dispute avec les copines devant le lycée). Et une question encore, la dernière : qu'est-ce que c'est que ce film censé se passer dans les années 2000 où l'on ne voit (quasiment ?) aucun téléphone portable dans les mains des adolescents ?

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29/10/2013

Des visages, des figures

C'est un tout petit film. Cinq minutes filmées par Chris Hilson et montées par Thom Zimny, jointes à la lettre de remerciements que Bruce Springsteen a adressé à son public à l'issue de la tournée Wrecking ball. Hilson et Zimny ont travaillé sur les films des concerts de New-York, Dublin, Barcelone et l'impressionnant London calling – Live in Hyde Park de 2010. Ils savent de façon remarquable saisir la puissance du Boss et de son E-street Band sur scène. Le principe cette fois est tout simple. Des visages le plus souvent en gros plan de spectateurs pris lors des concerts sur l’interprétation habitée, comme toujours, de Dream, baby, dream de Suicide. Des visages au cœur de l'action. Figures de femmes et d'hommes, jeunes et vieux, des enfants, des couples, un groupe d'amis, toute la palette des réactions et surtout des regards. Des regards tournés vers cet homme au charisme unique qui chante, porté par ces regards et soutenu par ce groupe de musiciens, derrière, ce groupe que l'on verra plus tard, visage après visage encore. Un homme porté par sa foi, parce que Springsteen, c'est une histoire de foi. Foi dans la musique, sa musique qui puise à toutes les racines du rock. Foi au sens religieux aussi avec cette dimension issue du christianisme et ses symboles, l'eau du baptême qui coule en ouvrant le film, la posture christique du chanteur qui s'abandonne aux bras multiples de la foule, sa façon de jouer les prédicateurs de la grande épiphanie du rock and roll, la chanson elle même, psalmodiée avec ses nappes sonore, paroles simples reprises encore et encore, et puis les chœurs gospel vers la fin. Come on dream, baby dream...

Pourtant tout ce fatras religieux n'est pas ici ni gênant, ni réducteur. Il est sincère parce que direct. Ce jeu sur le rituel est le vecteur ouvert entre l’artiste et son public et une ferveur authentique répond à l'engagement total du chanteur. Et puis, quand même, toujours cette pointe d'humour et cette simplicité désarmante. Chaque plan de ce film pourrait être démagogique ou racoleur. Pas une seconde ne l'est. Chaque portrait choisi possède sa vérité, chaque personne pèse son poids d'humanité, et quiconque a assisté à un concert de Springsteen, à quelques pisse-froids près, a certainement ressentit cette émotion qui porte et transporte. Il y a dans ces regards l'essence du rapport entre le Boss et son public, cette façon qu'il a face à des foules impressionnantes, de s'adresser à chaque individu. De la même façon, chacun de ses portraits est le notre car nous partageons intimement la même foi. Ou pour faire moins illuminé, nous partageons la même chose avec la même intensité.

Souvent, dans les films de concerts, le public est réduit à une masse mouvante en vénération. Cette fois la caméra plonge dans la foule pour extraire un fragment d'expression qui traduit l'expérience personnelle du concert. Les visages sont beaux, cet homme qui retient ses larmes (il écoute The river ?), le couple âgé dont on peut deviner l'histoire, le petit geste de la femme aux long cheveux frisottés, la petite fille un peu perdue sur les épaules de son père, la joie du jeune couple qui danse... Et nous sommes avec eux, nous faisons partie. C'est cela, les beaux concerts, les beaux films, rendent beaux ceux qui les écoutent, qui les regardent.

A la fin, les plans sur les membres du groupe les unissent aux spectateurs tandis que le Boss remonte sur scène. Puis il y a ce beau plan large sur le groupe en symbiose. Et quand vient, tout à la fin, les visages des disparus, Danny Federici et Clarence Clemmons, et que le visage du grand saxophoniste se fond avec la silhouette de Springsteen qui avance sur scène, décidément, ces cinq minutes sont ce que j'ai vu de plus fort cette année.

28/10/2013

Lou Reed (1942 - 2013)

09:36 Publié dans Cinéma, Musique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lou reed |  Facebook |  Imprimer | |

26/10/2013

Pertes et profil

Ford et wayne.jpg

Papy, je viens de désactiver mon profil Facebouque...

Tiens le coup, John, les quinze premiers jours sont les plus durs.

Photographie DR, source Le coin du cinéphage

22:11 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john ford, john wayne |  Facebook |  Imprimer | |

22/10/2013

P comme pendaison

Jamais un seul instant nous ne sommes assis;

De ci de là, selon que le vent tourne,

Il ne cesse de nous ballotter à son gré,

Plus becquétés d'oiseaux que dés à coudre.

François Villon – La ballade des pendus

Charge-heroique.jpeg

Deux minutes ! je n'aime pas assister à une pendaison le ventre vide.

« Tiens, la civilisation » annonce Cameron Mitchell à Clark Gable dès la première minutes des Implacables (The tall men), beau western de Raoul Walsh, en désignant un pendu au milieu d'une nature somptueuse filmée en CinemaScope. Il doit y avoir un vieux fond morbide chez les réalisateurs, car à y réfléchir deux fois après avoir tourné sept fois sa langue dans sa bouche, les scènes d'exécution sont légion sur les écrans. Capitales, officielles ou sommaires, elles excitent l'imagination visuelle et constituent autant de morceaux de bravoure comme écrit ce cher Luc Moullet. Il y a le mouvement de la foule lyncheuse, le décorum du cérémonial militaire ou civil, les sentiers de la gloire pour l'exemple, le frisson de la mort, l'implacabilité du destin. C'est beau ! C'est répugnant ! C'est émouvant ! C'est fascinant ! C'est effrayant ! C'est tout ce que l'on aime au cinéma, non ?

De toutes les formes d'exécution, j'oserais dire que la pendaison tient la corde. C'est juste une impression mais vous pouvez vérifier par vous même. On fusille pas mal, on décapite un peu. Électrocution et bûcher sont plus rares sauf dans les biographies de Jeanne d'Arc ou de Giordano Bruno. L'empalement reste exceptionnel et exotique comme la crucifixion ou le jeté aux crocodiles, et puis tous ces supplices marrant que l'on voit dans les films de Tarzan. La pendaison offre plus de possibilités : du haut d'une tour, en ombre chinoise, dans un grenier, en série comme dans True grit, depuis une cage de fer histoire de renforcer l'abjection, haut et court à une potence ou au premier arbre venu comme dans d'innombrables westerns, par surprise, interminable comme chez Lars Von Trier ou Richard Brooks, clinique comme chez Nagisa Ōshima , en place publique, à travers une verrière, à un crochet de boucherie dans l'une de ces maisons où il faut jamais entrer, il y a le choix.

Et puis le pendu est photogénique, dynamique avant, décoratif après. Comme l'avait bien décrit maître François bien avant que le cinéma ne soit, il a la langue pendante, les yeux exorbités, le cheveu fol, la bouche tordue, un vautour délicatement posé sur son épaule, l'œil picoré par un corbeau, ô traumatisme de jeunesse devant Excalibur ! Le pendu aime à osciller sous la brise après de terribles convulsions. C'est tout autre chose que le fusillé bêtement recroquevillé ou le simple tas de cendre dans lequel on peine à reconnaître la pucelle d'Orléans. Les bottes de l'aîné se balancent sous le soleil d'Almeria après que le jeune frère ait mordu la poussière, l'harmonica entre les dents. Le sang coule lentement le long de la chemise de nuit blanche de la première victime particulièrement soignée de la Talm Akademie. La corde se tend et s'effiloche au dessus de la rivière du hibou. Elle conserve une marque indélébile sur le cou de Glyn McLyntock car parfois, à la pendaison, on survit.

Mais la pendaison peut avoir un côté farce, c'est l'une des bases de la relation entre Blondin et Tuco dans Le bon, la brute et le truand, aimablement pastichée par Sergio Corbucci qui juche Franco Nero sur un tonneau dans Companeros ! Et l'on pourra même y trouver matière à gaudriole à la façon des amants de La chair et le sang qui cherchent un pendu frais afin de déterrer la mandragore L'herbe aux pendus qui revigore. Les petits coquins.

 

19/10/2013

Petra Haden goes to the movies


10:52 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : petra haden |  Facebook |  Imprimer | |

17/10/2013

Élégance

Mississippi Gambler (Le gentleman de la Louisiane). Un film de Rudolph Maté (1953)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Honneur aux armes - Respect au maître

Mark Fallon est un joueur professionnel dans la Louisiane du début des années 1850. Il opère sur ces splendides bateaux à aubes qui glissent, légendaires, sur le fleuve. Aristocrate d'esprit sinon de naissance, il impose une vison honnête du jeu, ce qui ne manque pas de lui attirer de solides inimitiés, mais aussi la fidèle amitié de Kansas John Polly. Fallon rencontre la belle et farouche Angélique Dureau, dont il tombe amoureux sans la savoir promise à un banquier ami d'enfance, de son frère Laurent qui va lui vouer une haine tenace, et de son père Edmond, gros propriétaire de la Nouvelle-Orléans, qui sera lui séduit par les qualités du jeune homme.

rudolph maté

Élégance, voici le maître mot de ce beau Mississippi gambler (Le gentleman de la Louisiane) que réalise Rudolph Maté en 1953. Élégance formelle, élégance des personnages et des sentiments décrits. Élégance des costumes et des maintiens, du moindre geste et du plus petit accessoire. Chaque plan du film, soigneusement composé et filmé par Irving Glassberg en un Technicolor à tomber est du velours pour les yeux. Je serais curieux de savoir comment se passait le travail entre Glassberg et Maté qui fut, avant de passer à la mise en scène, un très grand chef opérateur. Plusieurs fois oscarisé, ce qui ne veut pas forcément dire grand chose, il a travaillé pour Ernst Lubitsch, Fritz Lang, Orson Welles, Carl Dreyer, King Vidor et reste à jamais derrière les images de Rita Hayworth retirant les longs gants noirs de Gilda. Avec cela, j'ai un faible pour le cinéma de Maté dans le registre de ce que l'on appelle les petits maîtres américains des années quarante et cinquante. Des réalisateurs qui contribuent à porter les derniers feux du cinéma hollywoodien classique, le plus souvent dans le registre du cinéma de genre, film noir, western, aventures, fantastique... Ils évoluent à la frontière entre série A modeste et série B confortable. On y trouve des personnalités attachantes comme Hugo Fregonese, André de Toth, Jacques Tourneur, Joseph H. Lewis ou Allan Dwan au si bel automne de sa longue carrière. Après des années au sommet de son art de directeur de la photographie, Maté passe donc à la mise en scène avec entre autres deux superbes films noirs D.O.A. (Mort à l'arrivée – 1949) et Union station (Midi gare centrale – 1950), la science-fiction catastrophe de When worlds collides (Le choc des mondes – 1951) et quelques excellents westerns comme The violent men (Le souffle de la violence– 1955) où Barbara Stanwyck reprend son rôle de femme fatale entre Glenn Ford et Edward G. Robinson , génial en patriarche paralysé. Tous ces films ont en commun leur économie de moyens, leur efficacité, le goût des situations compliquées et tendues à l’extrême, et une beauté plastique que l'on attend forcément d'un ancien directeur de la photographie. Ce qui nous ramène à la question initiale des rapports de travail entre Maté et Glassberg. Peut être que tout simplement et en grand professionnel, Maté laissait Glassberg faire son boulot tranquille.

rudolph maté

Le résultat est là sous nos yeux éblouis. Mississippi gambler se situe à la Nouvelle-Orléans dans une Louisiane complètement idéalisé, rêvée. C'est un paysage de grandes bâtisses blanches à colonnes, de ces immeubles typiques avec balcons et frises, de majestueux bateaux à aubes glissant sur le « Old'man river » dans la clarté lunaire. Robes à crinolines, larges chapeaux, calèches aux lignes légères, fracs et hauts-de-forme, fines épées et verres de cristal, et puis encore les gants en dentelle que porte si sensuellement le personnage joué par Julia Adams. Formes, couleurs et textures sont rendus avec une infinie délicatesse. On aura beau jeu de souligner l'absence quasi totale des noirs dans cette histoire, comme de la moindre allusion à l'esclavage. Pas même l'image cliché du petit noir dansant au son d'un harmonica sur un quai. La Louisiane de Mississippi gambler est une abstraction, l'expression visuelle de cette élégance au cœur du film. Reste pourtant l’extraordinaire séquence de la danse vaudou. Les héros du film vont s'encanailler avec naturel dans le quartier créole et assistent à la performance de Gwen Verdon, chorégraphe, épouse et collaboratrice de Bob Fosse, dansant un poulet blanc à la main au milieu de mâles superbes et torses nus. Célébration païenne des corps mise en parallèle avec les sentiments réprimés du couple vedette, cette scène est un joli moment de cet érotisme suggéré mais intense dont le Hollywood encore corseté par le code Hays était capable. Avec élégance.

Le récit met en scène une succession de gestes nobles de la part de personnages mus par de nobles passions. La frère faible et la banquier lâche exceptés. Chacun réagit de façon à la fois inattendue et espérée, ainsi des délicats rapports père-fille à l'ombre de la mère disparue, ainsi l'amitié amoureuse entre Fallon et Ann Conant dont il a provoqué le suicide du frère, ainsi cette scène émouvante où Fallon vient annoncer la mort du fils au père agonisant, mort provoquée par une bagarre entre Fallon et Laurent, jaloux. A ce moment, Edmond met au dessus des liens du sang le sentiment de filiation qu'il a pour Fallon, fils de cœur qui est le véritable détenteur des valeurs de l'aristocrate. En filigrane, Mississippi gambler est le portrait de rapports sociaux idéalisés qui sous l'apparence (l'aristocratie sudiste) exaltent des valeurs typiquement américaines communes à tous : compétence (armes, jeu, décoration), courage physique et moral, accomplissement personnel. Les héros sont des hommes et des femmes libres et entreprenants. L'estime que chacun peut porter à l'autre dépasse les barrières de classe, ce qui rend passionnant le rapport entre Fallon et le père fondé sur ce respect des compétences, comme ceux entre Fallon et Kansas John Polly ou Ann Conant. Seuls comptent la droiture et le respect de la parole donnée, ce qui crée des situations dramatiquement passionnantes. L'argent est un moyen, pas une fin et Fallon sait le perdre avec une désinvolture délicieuse.

rudolph maté

Pour porter cette noblesse de sentiments, il fallait une distribution de grande classe. Elle l'est. Tyrone Power est le héros parfait dans la lignée de ses compositions en capitaine de Castille, en pirate du Black Swan (Le cygne noir – 1942), capitaine King ou Zorro (détail amusant, il croise dans ce film un second rôle joué par Guy Williams qui sera le fameux Zorro de Disney pour la série télévisée). Il est encadré d'un duo de charme, Piper Laurie piquante façon Scarlett O'Hara en Angélique Dureau, et la délicieuse et délicate Julia Adams personnifiant Ann Conant dont j'ai déjà évoqué toute la sensualité qu'elle a à porter des gants arachnéens. Le reste de la distribution est tout simplement parfait, de John McIntire, pour une fois dans un rôle très sympathique, lui qui fut un si beau salaud pour Anthony Mann, à Paul Cavanagh qui prête sa distinction à Edmond Dureau. Enveloppé de la partition enlevée de Franck Skinner, Mississippi gambler est une manière de chef d’œuvre, l'élégance sur pellicule.

Le DVD

Photographies : © Universal

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15/10/2013

W comme Washington

Il y a quelque temps, devenu depuis un temps certain, j'avais eu cette idée d'un petit dictionnaire de détente pour cinéphiles, hommage respectueux au Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis du regretté Pierre Desproges. Sur le coup, plusieurs articles vinrent très vite sous ma plume, d'autres un peu moins vite, et d'autres enfin pas du tout. Le projet resta au cimetière des idées inachevées, jusqu'à ce que je visse les affiches publicitaires pour le White house down de Roland Emmerich. Je l'ai pris comme un signe, vous le comprendrez en lisant le texte ci-dessous dont seules les deux dernières phrases a été rajoutée en 2013.Voici donc, commençant vers la fin en toute logique, un premier article du Petit dictionnaire cinéphile de détente.

W comme Washington (État de, ville de, George ...)

Dictionnaire, Roland Emmerich

Quand j'étais à Washington, les femmes servaient le café aux officiers, madame !

George, le général, ayant été peu exploité au cinéma, ce que l'on pourra trouver étrange mais c'est comme ça, je m'en tiendrais à ce qui est devenu la capitale fédérale des États Unis d'Amérique après avoir été un charmant coin de campagne, ce qui est le lot de toutes les capitales, fédérales ou non. La ville de Washington est donc célèbre pour sa boulangerie tenue par M Ladkhal, libanais d'origine par son papa et qui fait d'excellents croissants aussi bons que ceux de Paris, ce qui ne laisse pas d'étonner dans un pays qui mange aussi mal. Je vous laisse vous étonner. Voilà, pas plus. Washington est également connue pour son Obelix, hommage au regretté René Goscinny, sa statue de Henry Fonda assis sous laquelle méditent les congressmen à la recherche d'une idée noble, ce qui n'arrive pas tous les jours, et d'une piscine assez grande pour les concerts de rock protestataires et aquatiques. C'est également là qu'habite le président du pays au lieu-dit "La maison blanche". Le bâtiment, en forme de n'importe quoi genre machin, mais sobre, est ainsi nommé parce qu'au plus fort des guerres indiennes du XIXe siècle, les sioux mirent la main sur tous les stocks de peinture de guerre disponibles et qu'il ne resta, restirent, restèrent, qu'il n'y avait plus que de la peinture blanche pour rafraîchir la façade. D'où le nom.

Longtemps, au temps béni de l'âge d'or du western, Washington était couramment utilisée comme une sorte d'Olympe, bienveillante ou maléfique selon le cas, lointaine toujours. C'est de Washington que l'homme blanc à langue fourchue brisait le traité avec ses frères rouges, c'est de Washington que le grand père blanc à tête d'Edgard G. Robinson venait fumer le calumet de la paix et réprimander le méchant colonel ou général belliqueux sous le regard du noble lieutenant qui avait fait son possible pour que cela s'arrange. C'est aussi à Washington qu'écrivait l'officier au cœur d'or (en trois exemplaires) pour reprendre du service, et de Washington que le jeune et fringuant officier débarquait pour prendre ses fonctions et séduire la belle qui portait un ruban jaune. Belle époque.

De part la présence de la Maison Blanche, White House en VO non sous titrée, la tranquille cité de Washington est devenue au cinéma la piste d’atterrissage favorite d'un tas de créatures curieuses, ce qui ne laisse pas d'étonner quand on pense que sa superficie est ridiculement résiduelle par rapport à la surface totale de notre planète. Je vous laisse vous étonner et je pose la question : A-t'on déjà vu un extra-terrestre débarquer dans la brousse congolaise ailleurs que dans un roman d'Emmanuel Dongala ? Et à Cuers dans le Var ? Non bien sûr, seul Washington est mentionné sur les cartes de la galaxie. Et qu'ils viennent pour tout casser à grand coups d'effets spéciaux de George Pal ou numériques dernier cri, pour s'inquiéter de la prolifération atomique ou pour conseiller le président sous la forme de l'ange Gabriel, les créatures issues de l'imaginaire fiévreux des scénaristes débarquent toujours entre la piscine, l'Obélix et White House.

Ce bâtiment souffre en particulier de la rancune tenace d'un travailleur immigré, cinéaste de son état et allemand d'origine (Ach ! La rancune gross malheur) répondant au nom de Roland Emmerich, comme mon tailleur d’ailleurs. Enfant, le petit Roland s'en vint visiter Washington avec son papa, sa maman et sa tata Hilde. Cette dernière, plutôt gourmande, voulait absolument goûter les croissants de M Ladkhal, mais le magasin n'est pas facile à trouver. Essayez, vous vous en rendrez compte. Mais pas question de discuter avec tata Hilde. Le temps de mettre la main sur les croissants, l'heure des visites de la Maison Blanche était passée et le petit Roland, qui avait entendu dire que l'on pouvait jouer sous le bureau du bureau ovale et présidentiel, en fut fort marri. Son père essaya bien d'argumenter avec le service d'accueil mais « no way » comme on dit là bas. Le vol de retour étant le lendemain matin, l'enfant fit bernique et conçut un traumatisme qui l'amena, une fois parvenu à maturité, notion relative au vu de son œuvre, à faire subir dans ses films les derniers outrages à la noble maison : désintégrée par une soucoupe volante, engloutie par la neige et finalement aplatie par un porte-avions. Dans les milieux autorisés, on s'émeut de cette inflation destructrice et l'on s'interroge sur le projet prochain du terrible teuton. Au vu de la campagne d'affichage pour le dernier opus du terrible teuton en question, les milieux autorisés avait bien raison. Voilà t-il pas qu'il envoie les commandos de féroces barbares à l'assaut de la jolie maison !

13/10/2013

La Louisiane des gentilhommes

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Jolie série de photographies promotionnelles pour le film The Mississippi gambler (Le gentilhomme de la Louisiane - 1953) de Rudolph Maté. © Universal.

05/10/2013

Jour de colère

A day of fury (24 heures de terreur). Un film de Harmon Jones (1956)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Patrick Brion ouvre son introduction à A day of fury (24 heures de terreur) dans l'édition Sidonis, par une remarque qui m'a fait grand plaisir. « On me reproche », dit-il en substance, « mon enthousiasme pour les séries B oubliées. Mais regardez la première scène du film de Harmon Jones ! ». Merci monsieur Brion, vous à qui je dois une large part de mon éducation de cinéphile. C'est vrai qu'elle est belle cette première scène de Harmon Jones et que ce modeste western de série B est estimable en tout points et vaut bien des œuvres dont la renommée a mieux traversé les vents du temps.

harmon jones

Efficacité, goût plastique, sens de l'espace et du suspense, simplicité, cette première scène s'organise autour d'un décor de roches encaissées et d'une cascade. Un cavalier, puis un autre en sens inverse. Une embuscade. Le premier cavalier sauve la mise au second en abattant son adversaire à travers sa veste. Quasiment aucun dialogue, mais une situation forte aux retournements surprenants et des regards qui créent le mystère. Le premier cavalier répond au curieux nom de Jagade (Titre alternatif du film aux USA). Un carton introductif nous a parlé des hommes de l'Ouest vivant par le colt et que la civilisation a repoussé toujours plus loin. C'est un des grands thèmes du western que l'on retrouvera de John Ford à Sergio Leone. Jagade est l'un de ces hommes et s'il est là, ce n'est pas par hasard. Face à lui, Allan Burnett est un marshal, grand, droit et intègre. Il doit se marier dans la journée mais comme il fait bien son boulot il était partit traquer un truand avant. Très vite se nouent les fils du drame : la promise, la belle Sharman Fulton, est l'ex-maîtresse de Jagade. Et ce dernier, en sauvant le marshal, en fait son obligé. Débarquant dans la petite ville bien nommée de West-End, Jagade entend régler un compte obscur en bouleversant sa tranquillité. On pense par moments au principe de High plains drifter (L'homme des hautes plaines – 1973) de Clint Eastwood. L'union de l'homme de la loi et de l'ancienne fille de saloon est symbolique de l'évolution de la cité : de l'Ouest sauvage et libre à la civilisation policée mais refoulée et hypocrite. Jagade va faire éclater ce mince vernis. Du coup la confrontation avec Burnett est inévitable.

Le scénario de James Edmiston (c'est son premier) et Oscar Brodney (vieux routier hollywoodien qui a signé l’adaptation pour l'écran de Harvey (1950) avec James Stewart et son lapin) développe cette situation séduisante avec brio et la mise en scène de Harmon Jones l’orchestre de main de (petit) maître. Le film multiplie les confrontations et les coups de théâtre, faisant varier avec subtilité les rapports de force jusqu'au règlement de comptes final. Sa force, c'est une belle galerie de personnages dont les évolutions sont assez travaillées pour les rendre attachants. Du moins intrigants. Ainsi le prêtre qui va prendre la tête dune bande de lyncheurs avant de prendre conscience qu'il a renié les préceptes de sa foi et va se ressaisir de belle façon. Ainsi l'institutrice à la fois fascinée et répugnée par les manières de Jagade au point d'en perdre la raison. Ainsi ce jeune garçon impulsif qui admire trop le pistolero et fera les frais de n'avoir pas compris qu'il n'était qu'un pion dans son jeu.

harmon jones

C'est toute la ville qui est prise dans ce jeu et Harmon Jones a l'intelligence de ne pas en révéler toutes les motivations. Quel est ce fameux compte que Jagade a à régler avec West-End ? Domine-t'il vraiment Sharman quand il arrive à lui faire remettre sa belle robe rouge, emblème de son passé ? Le réalisateur cultive l’ambiguïté et focalise sur l'affrontement entre Jagade et Burnett qui cristallise les choix de tout le monde. Il y a ceux qui apprécient le vent de liberté que fait souffler l'homme de l'Ouest sur la ville, cette ville où l'on s'ennuie car le saloon est fermé le dimanche et les filles ont été chassées de la ville. Il y a ceux qui sont prêt à tout pour conserver cette tranquillité au prix d'un ordre moral étouffant. Et il y a ceux qui voient voler en éclat leurs arrangements de bons bourgeois aimant à s'encanailler (ou à trafiquer) sous une façade respectable. Ce ne sont pas les moins dangereux. Mais ils sont une arme pour Jagade qui est bien renseigné sur les turpitudes des uns et des autres. Joueur d'échecs chevronné, il manipule au point que l'on ne sait plus que penser de lui. Fin psychologue, il sait faire ressortir les pulsions les plus personnelles de chacun : le désir refoulé de l’institutrice, les doutes du prêtre, la violence du jeune Billy. La force du marshal, c'est de conserver la tête froide au milieu de toutes ces passions libérées, lui qui semble bien étranger à ce panier de crabes et le seul à posséder une intégrité véritable.

Efficace, Harmon Jones arrive à concilier ce minimum psychologique à la rapidité de la série B et à l'action inhérente au genre. Il limite les décors à quelques lieux clefs (Le saloon, l'église, la grange), à l'exception de la première scène. Il orchestre les mouvements d'un lieu à l'autre, accompagnant les mouvements des personnages ou de la foule, chacun de ces mouvements correspondant à une nouvelle montée dramatique. Harmon offre de belles scènes, inventives au niveau visuel comme la découverte impressionnante du corps pendu dans la grange où celle qui voit Billy chassé du saloon pour aller à sa perte. La photographie de Ellis W. Carter qui a beaucoup travaillé pour le cinéma de genre, en particulier le fantastique, est soignée sur les scènes nocturnes. Il y a de belles compositions avec un sens de l'espace remarquable (la première scène, le duel final) fonctionnant sur les différences de niveaux et les oppositions géographiques (l'église est quasiment face au saloon). Utilisation poétique de la couleur aussi avec cette fameuse robe rouge, une manière qui fait penser un peu à la façon de faire dans le Johnny Guitar (1953) de Nicholas Ray. L’interprétation est à la hauteur même s'il n'y a pas de vedette d'envergure. Elle est dominée par Dale Robertson en Jagade, veste de peau et regard intense, opposé à la stature massive de Jock Mahoney en Burnett. Mahoney, cascadeur fameux, sera plus tard un aimable Tarzan. Ici, il est parfait de présence et de force tranquille. Le duo fonctionne parfaitement avec entre eux la belle Mara Corday, héroïne du Tarantula (1955) de Jack Arnold, croisée chez King Vidor dans le superbe Man without a star (L'homme qui n'a pas d'étoile – 1955) avant de terminer sa carrière pour Clint Eastwood. Mara Corday donne la profondeur nécessaire à son personnage avec beaucoup de classe. La robe rouge, quoi ! Les seconds rôles sont impeccables, en particulier John Dehner dans le rôle du prêtre tenté par la violence, Sheila Bromley en tenancière entre deux âges dont les joues reprennent un peu de rouge avec la venue de Jagade, et Dee Carroll dans le rôle difficile mais original de institutrice Miss Simmons. Coïncidence, elle a un tout petit rôle dans Tarantula.

Anti-héros fascinant annonçant tant le western dit moderne que le western italien, Jagade incarne le vieil Ouest, violent mais vivant, qui doit une nouvelle fois, la dernière, s'effacer devant la marche de la civilisation. A day of fury est une œuvre à découvrir, jolie pièce d'une collection Sidonis de plus en plus impressionnante pour les amateurs du genre. Et comme le dit Patrick Brion, ce n'est juste un caprice de vieux cinéphile.

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Photographies DR Universal

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03/10/2013

1958 en 10 (autres) films

1959 est bientôt là et Zoom Arrière vient de fêter son premier anniversaire. Voici néanmoins et pour votre plus grand plaisir (j'espère), dix autres films de 1958 qui s'est vu dominer par d'indéniables chefs d’œuvre signés Welles, Sirk, Mann, Walsh, Bergman et quelques autres. Belle année de cinéma encore, qui a vu également Sinbad ferrailler avec le squelette animé par Ray Harryhausen, un ascenseur récalcitrant sur un air de Miles Davis, les vikings comme si vous y étiez, Gene Kelly dans le monde de la mode, un inédit fort sensuel de Bergman, Moïse ouvrant la mer rouge, une partie de pêche mémorable, le retour du baron chirurgien sous les traits de l'élégant Peter Cushing, Robert Mitchum traquant le sous-marin teuton (dans un autre film la même année, c'est Clark Gable qui est dessous), et Glenn Ford en éleveur de moutons habile au six-coups. Photographies DR piquées un peu partout.

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24/09/2013

Mani in alto !

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Lee Van Cleef et Giuliano Gemma sur le plateau de I giorni dell'ira (Le dernier jour de la colère - 1967) de Tonino Valérii. Un western all'italiana hautement recommandable. Photographie Cinémabazaar.

18/09/2013

Il sentait bon le sable chaud...

Beau Geste. Un film de William Wellman (1939)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

"L'amour d'un homme pour une femme croît et décroît comme la lune. Mais l'amour d'un frère pour un frère est immuable comme la parole du Prophète"

J'adore les films coloniaux mis en scène par Hollywood dans les années trente. Qu'ils suivent les pas de Rudyard Kipling en Inde ou ceux des légionnaires français dans les déserts africains, ils servent d'abord de cadre au romanesque et à l'Aventure sans s'encombrer, comme leurs équivalents français ou britanniques, de véracité, de justification ou de propagande. A l'exception de celle des valeurs individualistes américaines. Errol Flynn, Gary Cooper, Cary Grant, sont les héros plus grands que nature de ces films, forts et courageux, décontractés et déterminés. Ils sont ce que l'on a pu rêver vouloir être. Ils ouvrent grand les portes de l'imaginaire. Ils sentent bon le sable chaud et sont aimés avec passion par des femmes aussi sublimes que Marlène Dietrich. Pourtant rien ne remplace chez eux l'amitié et la fraternité virile, valeurs exaltées jusqu'au sacrifice. Il y a quelque chose de troublant et d'excitant dans ces récits, d’excitant parce que troublant. La frontière entre le bien et le mal y est si clairement tracée. La voie de l'honneur y est pavée de certitudes. Et si l'on y regarde attentivement, l'autochtone n'existe pas vraiment. Il est une menace diffuse, souvent invisible comme dans The lost patrol (La patrouille perdue– 1934) de John Ford. Il sert de révélateur aux sentiments des personnages en conditionnant leurs actes. Dans ces contrées à l'exotisme exubérant, le contexte historique et politique est soigneusement mis de côté. Seuls comptent les mouvements de l'Aventure et des passions.

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Beau Geste est à l'origine un roman de Percival Christopher Wren paru en 1924. Beau est le prénom de l'aîné des trois frères Geste, adoptés par une vieille famille anglaise dont la fortune consiste en un superbe saphir, le « Blue Water ». Beau Geste joue sur l'expression française, ce qui fait chic, mais résume parfaitement l'enjeu du film. C'est le récit de beaux gestes. Pour éviter que le joyau ne soit vendu pour éponger des dettes, Beau dérobe le saphir. Je passe les détails. Les deux autres frères, Digby et John, sont solidaires. Beau quitte la demeure et s'engage dans la légion étrangère avec Digby. John suit. Les voici en plein désert à lutter contre une discipline rude, un sergent sadique, un environnement hostile et des autochtones qui ne le sont pas moins. L'un des frères (je ménage le suspense) a une fascination pour les funérailles viking. Elles lui seront offertes en plein désert au prix des plus grands risques.

Cette histoire romanesque au possible a été adaptée plusieurs fois au cinéma, en 1926 par Herbert Brenon, en 1966 par Douglas Heyes, et d'une façon tout à fait particulière en 1977 par le merveilleux et regretté Marty Feldman qui s'offre une scène avec Gary Cooper. Cooper qui tient le rôle titre dans la version de 1939 qui nous intéresse ici et qui est signée William Wellman pour la Universal. Cooper qui était rôdé au rôle puisqu'il est l'inoubliable partenaire de Marlène Dietrich dans Morocco (1930) et que c'est pour lui qu’elle abandonne tout, le suivant pieds nus dans le sable (chaud), ce qui est sublime ou alors ce mot ne veut plus rien dire. Cooper est aussi l'héroïque Alan McGregor dans Lives of a Bengal lancer (Les trois lanciers du Bengale – 1935) déjà au cœur d'un trio très masculin. Le rôle de Beau est l'un de ceux qui ont participé à son mythe. Sa carrure, son regard franc et clair, son laconisme, font merveille. Il est entouré de Ray Milland dans le rôle de John et de Robert Preston dans celui de Digby. C'est le remarquable Brian Donlevy qui interprète le très affreux sergent Markoff. Donlevy avec son nez d'aigle et ses petits yeux sombres a quelque chose d'un Lee Van Cleef de l'époque et a joué quelques méchants mémorables (mais pas que) notamment chez De Mille. On remarquera parmi les légionnaires les visages de J. Carrol Naish, Albert Dekker et Broderick Crawford, ainsi que le tout jeune Donald O'Connor en Beau enfant, lui qui sera le partenaire inoubliable de Gene Kelly dans Singin in the rain (Chantons sous la pluie– 1952) et une star de comédies musicales. Pour terminer la revue des troupes de ce film puissamment viril, la présence féminine est assurée par la jeune Susan Hayward qui joue la cousine des frères Geste, amoureuse de John, mais dont le rôle est très réduit.

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Le film est construit sur une énigme qui ménage son suspense jusqu'au final. Il y a un intéressant glissement qui relègue au second plan la question de savoir qui a dérobé le fameux saphir. Beau Geste s'ouvre sur les murailles du fort Zinderneuf (Les noms français de ce film sont pittoresques, il y a un De Beaujolais!). Dans une ambiance quasi fantastique, une colonne découvre la garnison massacrée, quoique les hommes soient tous en poste sur le rempart. Les deux hommes successivement envoyés en reconnaissance disparaissent sans un bruit. Puis l'on remonte dans le temps et en Angleterre pour découvrir les Geste enfants avec leur cousine, et leurs puissants rapports affectifs. Se révèle aussi cette fascination de l'un des frères pour le rite funéraire viking. Ces moments d'enfance sont traités par Wellman avec délicatesse avant qu'il n'enchaîne sur les événements qui, une fois adultes, mènera les trois frères jusqu'aux sables du désert. Puis retour aux murailles du fort.

Beau Geste est un pur produit de prestige des studios américains de la grande époque. 1939 est une année exceptionnelle qui culmine avec Gone with the wind (Autant en emporte le vent) suivi d’œuvres majeures signées Lang, Ford, Hawks, Walsh, Lubitsch et tant d'autres. Le film bénéficie des contributions artistiques de grands noms comme Max Steiner à la musique (héroïque et tout ce que l'on veut), Archie Stout et Theodor Sparkuhl pour la photographie (noir et blanc envoûtant, irradiant de lumière dans les extérieurs, vibrant d'ombres sophistiquées dans les intérieurs, surtout pour les gros plans de visages), la fameuse Edith Head aux costumes (huit oscars, un record féminin). Wellman filme avec ampleur son aventure, comme il le fit dans d'autres films magnifiques, avec ce sens du temps tout à coup suspendu qui valorise une expression, un geste, un instant que l'on veut conserver précieusement. Il joue sur l'exotisme des formes arabisantes, sur les étendues infinies de sable avec le petit fort posé sur l'horizon en contraste avec les intérieurs sombres, multiplie les mouvements sophistiqués de caméra pour découvrir l'espace (l'exploration du fort) et sur la richesse des cadres. Beau Geste est un de ces objets du cinéma triomphant, sûr de lui et de son spectacle total, exhalant parfois naïvement des valeurs issues des légendes et des récits de chevalerie, adaptées pour une Amérique qui avait foi en son destin. Indifférence ou irritation, on peut simplement se laisser aller à respirer l'air pur du désert et laisser le vent emporter tout.

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William Wellman (à gauche) et l'équipe de tournage du film

Photographies : © Universal et A Certain Cinema

15/09/2013

Viens petite fille dans mon comic strip (Barbarella)

Barbarella (1968), un film de Roger Vadim

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Tel que je le vois, le cinéma de Roger Vadim a eu son importance historique et sociologique. Rattaché par la bande à la Nouvelle Vague, un peu comme Claude Lelouch, il aura contribué à bousculer certaines représentations, celle de la femme en particulier quand il dévoile les fesses de Brigitte Bardot. Mais son importance cinématographique est des plus relative. La forme reste chez lui bien sage, souvent plate. De ses audaces visuelles, il est bien difficile de démêler la part de sincérité de celle du calcul. Comme François Truffaut, Claude Chabrol ou Jean-Luc Godard, Vadim aura fait tourner les femmes de sa vie. Mais contrairement à eux, il ne leur aura pas offert des personnages sublimes et bouleversants pour qu'elles expriment leur talent, mais plutôt un cadre glacé et sophistiqué, un peu roublard aussi, pour y exposer leur personnalité et leur physique. Plutôt que de belles scènes, il compose des images chic où ce qui compte, c'est comment cadrer de façon à montrer le maximum tout en cachant l'essentiel. Pour l'écrire autrement, comment montrer la nudité des très belles Brigitte ou Jane tout en disposant stratégiquement draps, fourrures ou la tête de Jean-Louis Trintignant.

roger vadim

Barbarella, que Vadim réalise en 1968 pour le producteur Dino De Laurentiis qui en a fait bien d'autres, me semble typique de sa manière. Le film s'inspire de la bande-dessinée de Jean-Claude Forest parue dès 1962 et éditée en album par Éric Losfeld en 1964. Science-fiction poétique et érotique tout à fait magnifique, c'est une œuvre clef de la reconnaissance de la bande-dessinée pour adultes. Vadim est dans sa période Fonda, Jane qu'il a épousé en 1965, et quand De Laurentiis lui propose l'adaptation de Barbarella, il fera d'elle son héroïne intergalactique et sexy. Chargée d'une mission improbable par le président de la Terre, Barbarella part aux confins de l'espace pour vivre des aventures sexuelles plaisantes (Avec Ugo Tognazzi en fourrure, John Philip Law en ange, Anita Pallenberg en reine noire, David Hemmings en révolutionnaire maladroit, savoureux) ou gentiment douloureuses (Jolie scène avec les poupées aux dents acérées, le supplice des perruches, l'orgasmotron, machine « excessive » du docteur Duran Duran).

Si Vadim respecte l'imagerie de Jean-Claude Forest, qui participe d'ailleurs avec plaisir au film en travaillant sur les décors, il se retient très fort sur le fond et surtout sur la dimension authentiquement érotique de la bande-dessinée. Là où Barbarella est bien souvent mise à nu avec ce naturel qui la rend scandaleuse à l'époque, Jane Fonda dans son incarnation, mis à part le sympathique strip-tease en apesanteur du générique, est toujours cadrée de façon pudique dans des situations que le réalisateur veut excitantes mais qui ne sont jamais audacieuses. Une position difficilement tenable, comme Barbarella engoncée dans l'orgasmotron jusqu'au cou. Sa vision de l’œuvre est trop pétrie d'un second degré qui espère suppléer à l'érotisme novateur du travail de Forest. C'est au final assez frustrant pour le spectateur qui a pensé un instant être pris pour un adulte.

roger vadim

Cette réserve d'ordre général émise, le film est néanmoins plaisant de par son côté kitsch appuyé, son ancrage dans le style pop des années 60 qui s'inscrit bien entre le Danger Diabolik (1966) de Mario Bava (avec aussi John Philip Law), le Casino Royale collectif de 1966 et les comédies anglaises de Richard Lester, voire le Giulietta degli spiriti (Juliette des esprits - 1965) de Federico Fellini. Couleurs pétantes, effets psychédéliques (on pense à ces lampes où s'ébattent des huiles colorées), délires de décorateurs et de stylistes (Paco Rabanne a créé les costumes de l'héroïne), musique pop et chanson à l'avenant, Barbarella est de son époque. Le spectacle est daté mais c'est ce qui lui donne sa relative valeur aujourd'hui. Si la mise en scène de Vadim n'a rien de remarquable (le film va « piano », sans audaces dans le montage ni délire dans les mouvements, un peu ennuyeux sur la distance), l'album d'images est souvent réussi : Barbarella volant dans les bras de l'ange Pygar, la chambre de la reine noire aux parois mouvantes, les poses façon magazine de Fonda. Fonda, justement, c'est la bonne idée de Vadim de l'avoir imaginée en Barbarella, elle qui n'était pas très enthousiaste. Elle est alors au sommet de sa beauté et sa composition est tout à fait délicieuse, mélange de candeur, d'aisance dans les situations les plus incongrues et d'érotisme léger comme un vent de l'espace. L'ovale particulier de son visage, ses grands yeux ou passe l'ombre bleu-acier de ceux de son père, elle est à la mesure de l'icône qu'elle incarne et qui s'est imposée sur la durée au sein d'un objet amusant, coloré, mais un peu trop aseptisé.

Barbarella garde tes bottines

Et viens me dire une fois pour toutes

Que tu m'aimes, ou sinon

Je te renvoie à ta science-fiction

Qui est in qui est out de Serge Gainsbourg

Photographies : 1Kult et DR

19:09 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : roger vadim |  Facebook |  Imprimer | |

14/09/2013

Si belle en ce miroir

edwige fenech

Photographie DR

11/09/2013

Chacun pour soi

Ognuno per sé (Chacun pour soi). Un film de Giorgio Capitani (1968)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Il y a une scène particulièrement excitante dans Ognuno per se (Chacun pour soi) de Giorgio Capitani, titre inaugural de la collection de westerns italiens chez Artus Films. Les quatre héros arrivent dans un village abandonné : grandes bâtisses blanches en ruine, traces d'incendie, d'anciens combats, une ambiance mexicaine du côté d'Alméria. Le groupe fait halte. Musique de désolation signée Carlo Rustichelli, et le bruit du vent. Soleil de plomb. Pour ces quatre professionnels, l'instinct ne trompe pas, il va se passer quelque chose. Un cigare encore fumant, une ombre, sont autant de signes. Les quatre hommes se déploient dans le décor sous la caméra de Capitani qui orchestre la montée de la tension : mouvements circulaires, zooms rapides, soudains débrayages d'espace, le cinéaste a assimilé la grammaire définie par Sergio Leone. Les pas mesurés des hommes, le claquement des sabots des chevaux, les jeux de regards qui tentent de percer les façades. On se positionne et tout à coup, incongru, sublime, l'un des hommes improvise quelques pas de danse. Joie. Et puis, sur un cliquetis de fusil, tout s'accélère. C'est pour ce genre de scène, ce ballet de pur cinéma, pour ces pas de danse, cette poussière et cette chaleur, que le western italien continue de me transporter et que j'ai aimé Ognuno per se.

Chacun pour soi01.jpg

Cette belle scène, digne des grands maîtres du genre, n'est pas la seule à procurer un intense plaisir à la vision du film. C'est pourtant la seule incursion de Giorgio Capitani dans le genre, lui qui est plutôt spécialisé dans la comédie, et pas toujours des plus légères. S'inspirant délibérément du classique de John Huston, The treasure of the Sierra Madre (Le trésor de la Sierra Madre - 1948), le scénario est signé par rien moins que Fernando Di Leo qui avait alors déjà collaboré à quelques grands classiques du genre pour Leone, Sergio Corbucci ou Duccio Tessari avant de passer plus tard à la réalisation avec quelques polars qui feront date. Ognuno per se est donc le récit de cette folie de l'or qui détruit les hommes. Sam Coper et son associé ont trouvé un filon. L'associé voulant le doubler, Cooper l'emmure dans la mine. Attaqué au cours du long voyage vers la ville, il cherche de nouveaux partenaires pour retourner chercher de l'or. Il embarque son neveu, Manolo, jeune et fringuant pistolero. Mais celui-ci lui impose un étrange pasteur, Bret le blond, qui a une étrange emprise sur le jeune homme. Du coup Cooper, un peu paranoïaque, complète son équipe avec un vieil ami, Mason. Les voilà partit, mais d'entrée le doute règne. Manolo et Brent constituent un couple bien étrange, entretenant une relation sado-masochiste tordue aux sous-entendus homosexuels. Et Cooper, tout en réclamant à tout vents la confiance est bien le dernier à l'accorder. Di Leo et Capitani travaillent ces relations complexes exacerbées par le milieu hostile et les événements violents. Paysages désertiques et rocailleux, menace permanente des bandits, dureté du travail, la troupe maintient vaille que vaille un semblant de cohésion, mais elle se disloque à mesure que le but, l'or, se rapproche, jusqu'au dénouement implacable comme il se doit.

giorgio capitani

Mais revenons au plaisir puisqu'il est au cœur de ce cinéma de genre. Ognuno per se c'est d'abord le plaisir d'une histoire connue que l'on aime à se faire raconter encore, une trame légère sur la quelle peuvent se greffer des variations originales, comme ces pas de danse, comme cette relation entre Manolo et Bret. Comme aussi le récit du premier voyage effectué en une dizaine de minutes sans aucun dialogues. C'est le plaisir des acteurs qui nourrissent cette histoire. Il y a ici deux paires de choix avec lesquelles Capitani joue sur une double opposition, le contraste et la complémentarité. Deux acteurs américains plutôt classiques : Cooper est joué par Van Heflin, le fermier de Shane(1953) de George Stevens, au jeu plutôt intérieur pour un personnage enfermé dans ses obsessions. Mason est joué par Gilbert Roland, fine moustache de séducteur qu'il a portée chez Anthony Mann, Raoul Walsh ou André de Toth. Son jeu à lui est décontracté, léger, c'est lui le personnage le plus sympathique du lot, et c'est lui qui danse sous le regard des fusils. Face à eux, un couple d'icônes du western à l'italienne : le beau George Hilton, tout un poème, encore dans les premières années d'une carrière prolifique. Grand, solide d’apparence, il se débrouille très bien pour montrer la faiblesse intérieure de Manolo mal dissimulée sous le baratin et le charme du baratineur. C'est que face à lui, le prêcheur blond est joué par Klaus Kinski avec ses yeux bleus presque transparents et son visage fou. Kinski est d'autant plus inquiétant (si cela est possible venant de lui) qu'il ne fait et ne dit presque rien pendant la première partie du film. Il se contente de subjuguer Hilton comme le cobra sa proie, l’humiliant, le dominant, le réduisant à l'impuissance. Dans une scène partiellement coupée, Brent met au pas Manolo qui avait pris une initiative et achève sa leçon en lui retirant son cigare de la bouche pour lui écraser sur la main. Quel beau couple !

giorgio capitani

Si l'on sent dans cette atmosphère virile, violente et viciée, les goûts du scénariste Di Leo, la mise en scène de Capitani se montrer à la hauteur, à la fois dans l'utilisation des règles du genre et dans l'invention visuelle : sens de l'espace, dilatation du temps, goût du détail (le baquet où tombe l'eau dans la première scène), composition soignée des scènes d'action (le montage est de Roberto Cinquini qui avait monté le Quien Sabe ? (El Chuncho - 1966 de Damiano Damiani), musicalité des scènes soutenue par une partition enlevée. Le film révèle une fascination pour la dureté de la nature humaine et ce goût auto-destructeur pour l'aventure « dont on ne retire que le plaisir d'en être sortit vivant ». Capitani a également assez de décontraction vis à vis de la vraisemblance qu'il sait faire s'effacer devant le spectacle, ce spectacle exacerbé, aux aspirations grandioses et violentes, aux caractères plus grands que nature qui rattachent si plaisamment (pour les films les plus réussis) le western italien à l'opéra et à la tragédie.

Photographies : Spaghetti-western.net et capture DVD Artus

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La chronique du bon Dr Orlof

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07/09/2013

Avant l'orage

Trois de Saint-Cyr (1939). Un film de de Jean-Paul Paulin

Sommes-nous défendus ? (1938). Un film de Jean Loubignac

Texte pour Les Fiches du Cinéma

jean-paul paulin,jean loubignac

Initiative originale de la part des Documents Cinématographiques que de réunir autour d'un même thème documentaires et fictions, agrémentés de bonus. Chaque ensemble permet de croiser les regards et de s'immerger dans une histoire comme dans l'Histoire. La France et son armée nous ramène aux années 1938/1939, juste avant la déflagration mondiale, pour y prendre le pouls du moral des troupes françaises. Et ce moral, chef, est bon.

Sommes nous défendus ? est la pièce documentaire centrale réalisée en 1938 par Jean Loubignac, un réalisateur qui s'orientera par la suite vers comédie avec la série des Piédalu joué par la vedette de radio Ded Rysel, et le spectacle des Branquignols Ah ! Les belles bacchantes (1954). Il compose ici un pur film de propagande, et je n'ai rien contre, qui en bon film de propagande est révélateur à la fois par ce qu'il montre et par ce qu'il ne montre pas. Par l'image qu'il projette du pays et de son état d'esprit. Et il est passionnant de comparer cette image à celle qu'en a donné l'histoire, y compris dans ses évolutions. Avançons un peu. Le 10 mai 1940, Hitler déclenche la campagne de France en contournant la ligne Maginot par le nord et la Belgique. En deux mois, les français et les anglais sont défaits. La séquence s'achève sur l'évacuation de Dunkerque. L'histoire officielle, celle de Pétain comme des gaullistes, retiendra la débandade d'une armée mal préparée, mal équipée, mal encadrée, et l'exode des populations civiles. Les travaux actuels tendent à réévaluer la partie militaire et notamment l'esprit combatif français.

Sommes nous défendus ? va dans ce sens qui propose le portrait d'une armée moderne, bien équipée, bien entraînée et sur le qui-vive. Les trois quart du métrage sont constitués d'une longue revue façon défilé où se succèdent chars, avions, marine, infanterie, artillerie, génie, tous les corps imaginables, y compris les modernes sous-marins et un porte-avion flambant neuf. Les scènes en montagne sont assez belles. On note que les troupes coloniales sont bien mises en valeur, sans condescendance. « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » proclamait Paul Reynaud en 1939, repris sur une affiche de l'époque. Ce film met en avant une France sûre d'elle même, adossée à son vaste empire colonial et à ses alliances. Si l'on compare aux films contemporains Allemands ou Soviétiques, on ne retrouve ni lyrisme, ni agressivité, pas plus d'ailleurs qu'une grande créativité sur le plan formel. La France de Loubignac est une force tranquille, pacifique (on sort des accords de Munich) mais résolue. Résolue à quoi ? C'est dans le titre : à se défendre. La doctrine de 1939, celle qui prévaudra lors de la « drôle de guerre », c'est la défense. Symboliquement, le film donne la part belle à la fameuse ligne Maginot, ensemble de fortifications alors dernier cri (électricité, trains, hôpital, équipements de pointe). Les images d'archives sont magnifiques et nous font pénétrer dans ce monde souterrain. La France entend rester tranquille derrière ses frontières. Et malgré la limpidité de la menace évoquée, l'Allemagne n'est jamais nommée, ni encore moins, comme dans certains films américains contemporains, la menace idéologique des dictatures.

jean-paul paulin,jean loubignac

Si le catalogue des forces nationales est un peu longuet, la scène d'ouverture est remarquable. Le titre est une question mise en scène dès la première minute. On y découvre la France aux champs, pays rural et petit bourgeois, la figure du paysan laboureur est exaltée. Le vent se lève, l'orage menace. Les portes et les volets se ferment, les serrures claquent, succession d'images expressionnistes. La France éternelle a peur ! On se croirait dans un film fantastique. La tension se relâche et nous voici... au bistrot. Pastis, jeu de cartes, pas de femmes. Il y a les visages de seconds rôles aimables comme Aimos ou René Génin. La question est posée et c'est un journaliste joué par le dynamique René Lefèvre qui y répond, introduisant la partie didactique. On est saisi aujourd'hui de ce portrait du pays sans ouvriers, ni banlieues, ni grandes villes , ni intellectuels, ni entrepreneurs. On ne verra pas d'autres usines que celles d'armement. Des images qui évacuent tout ce que portait le cinéma du Front Populaire, celui de Clair, Carné, Renoir, Duvivier. Un portrait édifiant qui tient dans cette phrase de la chanson à succès de Ray Ventura : «Les v'là tous d'accord, quel que soit leur sort, ils désirent tous désormais qu'on nous foute une bonne fois la paix ! ».

jean-paul paulin,jean loubignac

Sortit en 1939, Trois de Saint Cyr est une réalisation de Jean-Paul Paulin qui n'a guère laissé de souvenir dans l'histoire du cinéma français. Le film est divisé en deux parties bien distinctes. La première raconte la première année de formation des élèves officiers, les « bazars », de la prestigieuse école militaire de Saint Cyr. Nous suivons le jeune Jean Le Moyne , engagé contre l'avis de son père, et son amitié avec deux officiers, le dynamique Pierre Parent et Pierre Mercier qui est amoureux de sa sœur, Françoise. Le film a été tourné sur place avec le soutient total de l'école, d’où un certain intérêt documentaire avec la participation des élèves pour les scènes de défilés. Il reste néanmoins dans la tradition bien française du film de caserne et l'on verra par exemple le jeune (et maigre) Jean Parédès mesurer la cour avec une allumette. Le scènario-prétexte enfile quelques clichés du mélodrame. Le Moyne et Parent viennent de familles aisées, Mercier est pauvre et s'occupe de sa mère. Le père réticent sera convaincu par un solide sermon du commandant. Parent et Mercier sont construits en opposition, le premier plein d'humour, peu à cheval sur le règlement, arrangeant avec les hommes, le second rigide et concentré, cachant sa sensibilité sous des dehors secs. Tous les deux aiment Françoise, mais elle n'aime que Mercier et Parent saura s'effacer avec élégance. Tout le monde a le cœur gros comme ça. L'armée est le creuset républicain idéal où s'effacent les différences de classe pour assurer l'intérêt national. Là encore, un cours de stratégie évoque les menaces « venues du nord-est », sans jamais citer l'Allemagne. Trois de Saint Cyr exalte une armée professionnelle et de sang froid, sûre de sa valeur qui est celle de ses hommes. On n'y déploie pas de la technologie guerrière mais des qualités de chef.

jean-paul paulin,jean loubignac

La seconde partie met nos trois héros en situation dans la Syrie en proie à l'agitation. C'est loin, c'est plus diplomatique. Le film devient l'une de ces aventures militaires coloniales dont le cinéma des années trente était friand. Ce n'est pas Lawrence of Arabia (1962), mais les murs blancs des forts sur l'espace ouvert du désert sont photogéniques. Le film se fait plus belliqueux et cette partie met en valeur l'esprit combatif et de sacrifice. Plus agaçant, l'arrogance des nos braves officiers envers les autochtones (« Tu doutes de la puissance de la France ? » balancé à un chef de tribu). Sévère mais protectrice, la France assure son destin. Là-bas comme ici, nous sommes bien défendus.

Mais au-delà de tout cela, le grand intérêt du film réside en la présence de l'acteur Roland Toutain. Je l'adore. Athlétique, bondissant, il est cascadeur (en particulier aérien) puis jeune premier, l'ami de Joseph Kessel et Jean Mermoz. Le visage aimable, rond, il émane de lui une immédiate sympathie. Il aurait été un Tintin parfait si l'on avait pensé à adapter les bandes dessinées de Hergé dans les années trente. Il sera Rouletabille, le journaliste débrouillard de Gaston Leroux dans les adaptations de Marcel l'Herbier. Dans ses films, il saute, se suspend dans le vide, cours, cabriole, et avec toujours une étonnante décontraction. Son Parent est tout à fait dans la lignée et ce n'est pas le moindre de ses paradoxes qu'un an après ce rôle de militaire idéal dans ce film qui rencontre le succès, il soit l'aviateur André Jurieux, le héros du film de Jean Renoir La règle du jeu, qui sera interdit en octobre 1939, jugé « démoralisant ».

Photographies : capture DVD Documents Cinématographiques