P comme pendaison (22/10/2013)

Jamais un seul instant nous ne sommes assis;

De ci de là, selon que le vent tourne,

Il ne cesse de nous ballotter à son gré,

Plus becquétés d'oiseaux que dés à coudre.

François Villon – La ballade des pendus

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Deux minutes ! je n'aime pas assister à une pendaison le ventre vide.

« Tiens, la civilisation » annonce Cameron Mitchell à Clark Gable dès la première minutes des Implacables (The tall men), beau western de Raoul Walsh, en désignant un pendu au milieu d'une nature somptueuse filmée en CinemaScope. Il doit y avoir un vieux fond morbide chez les réalisateurs, car à y réfléchir deux fois après avoir tourné sept fois sa langue dans sa bouche, les scènes d'exécution sont légion sur les écrans. Capitales, officielles ou sommaires, elles excitent l'imagination visuelle et constituent autant de morceaux de bravoure comme écrit ce cher Luc Moullet. Il y a le mouvement de la foule lyncheuse, le décorum du cérémonial militaire ou civil, les sentiers de la gloire pour l'exemple, le frisson de la mort, l'implacabilité du destin. C'est beau ! C'est répugnant ! C'est émouvant ! C'est fascinant ! C'est effrayant ! C'est tout ce que l'on aime au cinéma, non ?

De toutes les formes d'exécution, j'oserais dire que la pendaison tient la corde. C'est juste une impression mais vous pouvez vérifier par vous même. On fusille pas mal, on décapite un peu. Électrocution et bûcher sont plus rares sauf dans les biographies de Jeanne d'Arc ou de Giordano Bruno. L'empalement reste exceptionnel et exotique comme la crucifixion ou le jeté aux crocodiles, et puis tous ces supplices marrant que l'on voit dans les films de Tarzan. La pendaison offre plus de possibilités : du haut d'une tour, en ombre chinoise, dans un grenier, en série comme dans True grit, depuis une cage de fer histoire de renforcer l'abjection, haut et court à une potence ou au premier arbre venu comme dans d'innombrables westerns, par surprise, interminable comme chez Lars Von Trier ou Richard Brooks, clinique comme chez Nagisa Ōshima , en place publique, à travers une verrière, à un crochet de boucherie dans l'une de ces maisons où il faut jamais entrer, il y a le choix.

Et puis le pendu est photogénique, dynamique avant, décoratif après. Comme l'avait bien décrit maître François bien avant que le cinéma ne soit, il a la langue pendante, les yeux exorbités, le cheveu fol, la bouche tordue, un vautour délicatement posé sur son épaule, l'œil picoré par un corbeau, ô traumatisme de jeunesse devant Excalibur ! Le pendu aime à osciller sous la brise après de terribles convulsions. C'est tout autre chose que le fusillé bêtement recroquevillé ou le simple tas de cendre dans lequel on peine à reconnaître la pucelle d'Orléans. Les bottes de l'aîné se balancent sous le soleil d'Almeria après que le jeune frère ait mordu la poussière, l'harmonica entre les dents. Le sang coule lentement le long de la chemise de nuit blanche de la première victime particulièrement soignée de la Talm Akademie. La corde se tend et s'effiloche au dessus de la rivière du hibou. Elle conserve une marque indélébile sur le cou de Glyn McLyntock car parfois, à la pendaison, on survit.

Mais la pendaison peut avoir un côté farce, c'est l'une des bases de la relation entre Blondin et Tuco dans Le bon, la brute et le truand, aimablement pastichée par Sergio Corbucci qui juche Franco Nero sur un tonneau dans Companeros ! Et l'on pourra même y trouver matière à gaudriole à la façon des amants de La chair et le sang qui cherchent un pendu frais afin de déterrer la mandragore L'herbe aux pendus qui revigore. Les petits coquins.

 

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