25/07/2011
Souvenirs de la maison des horreurs
Au moment de rendre compte du livre Dans les griffes de la Hammer écrit par Nicolas Stanzick, mon lecteur adoré me pardonnera d'avoir une fois de plus envie d'évoquer des souvenirs personnels. C'est que, loin d'être une histoire du fameux studio anglais passé à la postérité pour ses productions fantastiques gothiques entre 1957 et 1976, le livre en question est l'exploration d'un moment de la cinéphilie française à travers la réception, durant cette période, des films estampillés Hammer. Salles de quartier, aventure de la revue Midi-Minuit Fantastique, figure centrale et fédératrice du réalisateur Terence Fisher, le livre s'appuie sur les parcours personnels de cinéphiles amoureux du genre fantastique comme Michel Caen, Jean-Claude Romer, Alain Schlockoff, Christophe Lemaire, ou Francis Moury, et sa lecture m'a inévitablement ramené à ma propre expérience en la matière, quelque peu décalée évidemment puisque je suis né l'année où Fisher tourne The gorgon (La gorgone– 1964).
Impressionnable, mon histoire avec le fantastique et l'horreur est celle d'un long apprentissage de la peur au cinéma. Une peur parfois panique quand je quittais le salon familial lors de la diffusion de The thing from another world (La Chose d'un autre monde -1951) de Christian Nyby avant la fin, ou d'un documentaire sur le genre que regardaient mon père et mon frère. Et puis les cauchemars après la vision de l'épisode The winged avenger de la série Chapeau melon et bottes de cuir (Les griffes ! Quand j'y pense aujourd'hui). Une peur qui a retardé, parfois de longues années la découverte d'auteurs comme George Romero, Dario Argento ou John Carpenter. Une peur pourtant très pure que j'entretenais plus ou moins consciemment en lisant les revues spécialisées et les livres consacrés au genre, étrange fascination qui me faisait revenir tout le temps sur certaines photographies, finissant par créer des scénarios, des scènes, des films finalement plus terrifiants que tout ce que je pouvais voir sur un écran. Une peur dont je n'ai cessé de repousser les limites, l'apprivoisant toujours plus étroitement jusqu'à la faire disparaître, ou presque, et à la regretter aujourd'hui.
Vers 1975, la production Hammer est déjà du passé. Leur dernier film est To the devil, a daughter de Peter Sykes en 1976. Pour moi, tout commence avec ce documentaire et la découverte dans le désordre des monstres mythiques, Dracula, Frankenstein et sa créature, la momie et les autres. Et puis surtout, à partir de 1976, ma mère achète, à raison d'un fascicule hebdomadaire, l'encyclopédie Alpha du cinéma. La moitié du premier volume est consacrée au cinéma fantastique. Il y a dedans une flopée de photographies, certaines très impressionnantes, en couleur, qui vont me marquer durablement et contribuer à guider, c'est encore vrai aujourd'hui, mes envies de films.
Évidemment, quand je découvre quelques trente ans plus tard certaines œuvres comme Plague of the zombies (L'invasion des morts-vivants – 1965) de John Gilling, il y a parfois un monde entre le film rêvé (en l'occurrence cauchemardé) et le film réel. Donc la Hammer déserte les écrans et les années 80 vont radicaliser le mouvement. Plus de reprises et le petit écran ne donne pas de place à ces productions auxquelles le cinéma fantastique italien et américain moderne file un soudain coup de vieux. Quelques exceptions avec les diffusions des classiques Horror of Dracula (Le cauchemar de Dracula – 1958) et Curse of Frankenstein (Frankenstein s'est échappé – 1957) de Terence Fisher. Ces deux films fondateurs vont me décevoir quelque peu, se révélant moins impressionnants que prévu mais ils vont m'inciter, par contre-coup, à découvrir le reste. Cela viendra dans le plus aléatoire désordre au rythme des diffusions de M6 et de la défunte 5. Enfin, je pu faire une première expérience sur grand écran avec Dracula Prince of darkness (Dracula, prince des ténèbres – 1966), toujours de Fisher, dans une très belle copie qui me fera prendre conscience du talent du réalisateur et de l'équipe de la Hammer. Suivra Frankenstein must be destroyed (Le retour de Frankenstein – 1969), violent, sadique et très émouvant. Il y eu aussi ce disque Hammer presents Dracula avec une histoire racontée par Christopher Lee soi-même que j'adorais me passer le soir, lumières éteintes comme il se doit. Les bruitages étaient extraordinaires.
Montez le son !
Aujourd'hui, Fisher et la Hammer font l'objet de rétrospectives à la Cinémathèque française, les livres fleurissent, Nicolas Stanzick étudie la sociologie du spectateur type des années 60, les DVD éclosent en mille pétales de roses, et Christopher Lee est passé à autre chose. Et voici comment, comme pour de nombreux pans du cinéma de genre de la grande époque, les vampires lubriques, les décolletés généreux et les docteurs subversifs sont rentrés dans le rang de la grande histoire du cinéma. Zut alors ! Aujourd'hui, tout est disponible. Quelle différence avec ces temps héroïques où le cinéphile implacable faisait le voyage à Londres ou Bruxelles pour découvrir des films inédits, voire comme Jean Boullet, les inventait. J'écris cela mais le côté implacable, ce n'est pas forcément pour moi. Tranquillement, j'ai comblé les trous et j'ai désormais une bonne vision de ces presque vingt années d'âge d'or. Certains films tiennent bien le coup d'autant qu'avec le temps et l'âge, ce sont les mises en scène et une certaine conception de la beauté, du cinéma, qui ressortent avant les effets et les transgressions qu'ils ont pu représenter. C'est vrai du travail de Fisher, qui a par exemple l'idée géniale de faire de Hyde un homme beau et séduisant dans The two faces of dr Jekyll (1960) et de faire porter le maquillage à Jekyll, trois ans avant Jerry Lewis. C'est vrai de ses magnifiques jeux de miroir et de la façon dont, dans The revenge of Frankenstein (La revanche de Frankenstein – 1958), il plante une atmosphère en quelques plans, C'est vrai aussi de tels films de John Gilling, Freddie Francis ou de Roy Ward Baker. Dans la période 1968/1973, je retiens les audaces, l'inventivité et la charge érotique explicite de quelques perles signées Peter Sasdy, Seth Holt qui fit tourner la sublime Valérie Leon, John Hough avec son Cushing en meneur intégriste et ses charmantes jumelles dans Twins of evil (1971) ou Baker encore quand il a l'idée avec Brian Clemmens de transformer Hyde en une femme séduisante et terrible jouée par la magnétique Martine Beswick.
Ces films dégagent un charme fou, une véritable poésie du genre, en alliant l'héritage classique (Tournages en studio, troupe d'acteurs, thématiques) et l'innovation narrative ou visuelle (représentation du sexe et de la violence, travail sur l'image). Et puis les femmes, les femmes de ces films, sont de l'étoffe dont on fait les rêves. Les meilleurs possèdent quelque chose qui s'est perdu dans le cinéma actuel qui privilégie l'effet violent, la mise en abyme, le clin d'œil et une surenchère dans le sadisme qui, paradoxe peut être, finit par aseptiser le genre. Enfin... Ce n'est pas tout à fait juste, c'est surtout un problème du cinéma anglo-saxon et des profondes modifications des modes de production. La Hammer était un studio à l'ancienne, commercial mais familial, faisant travailler régulièrement les mêmes équipes techniques et artistiques, ce qui imposait de part ce fonctionnement un style visuel, une image de marque, un état d'esprit. Le plus grand mérite (mais non le seul) du livre de Stanzick, en particulier avec la très belle série d'entretiens, est de faire revivre cette époque et de rappeler le sens que ce cinéma pouvait avoir.
Une chronique du bon Dr Orlof sur Kinok
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22/07/2011
Les joies du bain : surprise !
Aimablement transmise par l'ami Gérard Courant, Mylène Demongeot avec ses yeux de biche et sa coiffure artistiquement ébouriffée « à la Bardot » dans Le Champignon ou L'assassin frappe à l'aube (ce qui nous change de minuit), un film de 1970 signé Marc Simenon.
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19/07/2011
James Gray sur Foco
Il y a quelques temps, j'ai reçu la proposition de participer au numéro de la revue en ligne Foco consacrée au réalisateur James Gray. J'en remercie Bruno Andrade du blog O signo do dragao, son co-éditeur avec Felipe Medeiros. J'étais un peu intimidé, car Gray a suscité une abondante littérature et, si j'avais en son temps été sensible à la révélation de Little Odessa, je n'avais pas été entièrement convaincu par We own the night sur lequel il faudra certainement que je revienne. Mais c'était une bonne occasion de découvrir The yards que j'avais manqué. C'est désormais chose faite et le Foco n° 3 de juillet est en ligne et je me retrouve au milieu d'un superbe ensemble en portugais, espagnol, italien et français, avec notamment un texte de Christophe d'Avis sur des films. Une seconde partie regroupe un entretien avec Éric Rohmer issus des Cahiers du Cinéma n° 172 de novembre 1965, traduit en portugais par Felipe Medeiros, et plusieurs autres textes (en portugais et certains en français). Bonne lecture.
Le film qu'il faut faire – The yards de James Gray
Têtu. Stubborn comme disent nos amis anglophones. La détermination semble être le trait dominant du caractère de James Gray, l'un des réalisateurs américains les plus excitants de ces vingt dernières années. Il annonce la couleur dès The yards en 2000. Pas question, après le coup d'éclat de Little Odessa en 1994, de transiger sur le film qu'il voulait, tout au fond de lui, faire. Il mettra cinq années à monter The yards, puis sept années de plus après l'échec public du film, avant d'en proposer une version plus séduisante peut être, sans doute, avec We own the night (La nuit nous appartient) en 2007 qui, sans céder ni sur ses thématiques ni sur son esthétique, trouve son public et l'impose comme grand cinéaste classique de son époque. Rasséréné, Gray peut alors passer à autre chose et filmer la simple histoire d'amour de Two lovers l'année suivante. Quinze années, quatre longs métrages, mais James Gray a imposé James Gray au sein d'un système où règne le factice et le facile.
Rétrospectivement The yards est peut être le film essentiel de cette œuvre, son inflexion et sa clef, prolongement de Little Odessa et matrice plus âpre de We own the night. Le film contient cette obstination sans faille de James Gray et peut se lire comme métaphore de son propre parcours et des questions qu'il pose au jeune metteur en scène. Le film est à la fois celui qu'il veut faire, celui qu'il offre au public et une réflexion sur leur fabrication. A travers le personnage principal de Leo Handler joué par Mark Wahlberg, Gray donne un autoportrait dans lequel il exorcise ses peurs et ses doutes. Comment l'on peut se mettre à tourner en rond, comment l'on en vient à se livrer aux compromis, comment, à se laisser aller à sa pente naturelle, l'on en vient à trahir, à perdre son amour et au final, à se retrouver au même point qu'au départ.
Photographie © BAC Films
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16/07/2011
Les joies du bain : sortie
Transmis amicalement par Fredérique, Kim Novak en pleine sortie de bain dans Pal Joey (La blonde ou la rousse– 1957), un film de George Sidney dans lequel elle partage la vedette mais, m'assure Fred, pas la même baignoire, avec Rita Hayworth. C'est vrai, c'est avec Frank Sinatra, mais pas au même moment. Photographie DR, source Tumblr.
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14/07/2011
Moustache tombante et oeil bridé
Un film fabuleux, inimaginable, sorte de Jardin des supplices en délire, mis en scène par Ziegfield et costumé par un Adrian paranoïaque. Jamais on ne refera un tel film. (Jean Boullet / La méthode N°9 – juin 1962)
Tout à commencé par une photographie du musée Jean Boullet réunit par Alain Petit dans le numéro 22 de Vampirella en 1976. Une photographie de Myrna Loy, star des années trente, cheveux tirés en arrière, robe vaporeuse, fume cigarette, yeux délicatement bridés, éclairages sophistiqués "à la Sternberg", debout sur un maginfique motif en cercle avec dragon. On peut rêver un monde en contemplant une telle photographie. Le film, c'est The mask of Fu Manchu, réalisé par Charles Brabin en 1932. Fu Manchu c'est le péril jaune vu par les occidentaux, un terrible docteur machiavélique créé par l'écrivain Sax Rohmer en 1913 et porté à l'écran plusieurs fois. Calot de cuir ou petite toque à pompon, longues moustaches tombantes, ongles démesurés, rictus sardonique, c'est Wong Fei-hung version génie du mal, le Fantômas oriental. Un personnage de film d'horreur qui est ici incarné par rien moins que le grand Boris Karloff tout juste sortit de sa composition en monstre de Frankenstein pour James Whale (C'est Christopher Lee, autre monstre sacré, qui reprendra le rôle dans une série de films britanniques des années 60).
The mask of Fu Manchu est une expression délirante et poétique de l'impérialisme occidental triomphant de l'époque, d'un racisme luxuriant et assuré qui prend avec le recul nécessaire (Pas trop, vous ne verrez plus rien) un certain charme parodique. Du même type qu'une lecture de Tintin au Congo ou qu'une vision des Tarzan MGM. The mask of Fu Manchu est d'ailleurs un film MGM. Le film véhicule les clichés à la pelleteuse. L'Orient est mystérieux, les supplices raffinés, les « faces de citron » chères à Buck Danny sont fourbes et cruels et ils en veulent à la femme blanche, blonde comme il se doit. "Voulez vous des femmes comme celle-ci pour épouses ? Partez à la conquête et enfantez ! Tuez l'homme blanc et prenez ses femmes ! » déclare un Fu Manchu exalté à ses hordes de disciples réunis dans une salle secrète et souterraine, tout en préparant le sacrifice de l'héroïne palpitante. Tout est dit. A l'époque, la Chine qui avait pourtant d'autres problèmes, avait émis une protestation officielle.
Le film est de l'époque « Pré-code », c'est à dire avant que Hollywood ne se dote de règles strictes de bonne conduite sur les écrans de cinéma, ce qui conduisit les auteurs à, je ne résiste pas à l'expression, se brider question sexe, violence et politique. La réplique provocante sera coupée par la suite, ce qui est bien dommage parce qu'elle est, à sa façon, un sommet du film. Le racisme brut qu'elle exprime se retrouve dans la distribution puisque les rôles de vilains chinois sont tenus par des occidentaux (Karloff et Loy qui joue sa fille), ainsi que dans une étrange hiérarchie qui voit les asiatiques avoir des serviteurs noirs, que je me permettrais d'appeler noirs-potiches car ils ne disent rien et sont disposés dans l'image comme autant d'éléments de décor. Lors de la scène de l'opération, ils sont même debout sur des socles. Révélateur également d'autres fantasmes, tous ces figurants sont magnifiquement musclés et ne portent que des pagnes. Ce qui n'empêche pas les héros, blancs, de les assommer d'un revers de main. Le lecteur perspicace l'aura compris, The mask of Fu Manchu est une série B. Produite pourtant par la MGM dont ce n'était pas trop le genre, c'est une série B très soignée, bénéficiant du luxe induit par la politique de prestige de la maison mère, et du talent de ses collaborateurs fétiches, en particulier Cédric Gibbons à la direction artistique, Warren Newcombe aux effets spéciaux (il signera plus tard ceux de Forbiddden planet en 1956) et Adrian aux costumes. Série B néanmoins avec ses 68 minutes bien tassées et ses ressorts feuilletonesques, ses intérieurs anglais dépouillés (et platement filmés) alternant avec la sophistication du repaire de Fu Manchu. C'est là que l'imagination se déploie sans retenue : vastes espaces de studio, surfaces immaculées et luisantes de faux marbre, de verre et d'acier poli, machines infernales aux lignes élégantes, architectures art-déco orientalisantes, compositions équilibrées façon expressionnisme allemand, luxe satiné des costumes, noir et blanc vibrant de la lumière de Tony Gaudio (Chef opérateur du Robin Hood de Curtiz et du Hight Sierra de Walsh).
L'intrigue tourne autour du trésor de Genghis Kahn que les anglais s'en vont piller en toute bonne conscience pour empêcher que Fu Manchu ne s'empare du cimeterre et du masque d'or du grand roi. Les scénaristes mélangent sérial, aventures et un peu de science-fiction avec le rayon électrique que Fu Manchu dirige de son ongle. Soulèvement indigène et occultisme sont également au rendez vous, mais ce n'a guère d'importance. Ce qui compte, c'est la prestation déchaînée de Karloff avec son accent amélioré d'un cheveux sur la langue (unique) et quelques scènes radicales mêlant sadisme et érotisme. Le papa de l'héroïne est placé sous une cloche géante actionnée par deux noirs-potiches tandis que le docteur diabolique lui fait boire de l'eau salée. Un autre vaillant explorateur est placé entre deux plaques munies de pointes. Tant qu'à la confection du sérum empoisonné... Le sommet est atteint quand le jeune premier, bien inconsidérément, se jette dans la gueule du loup. La fille de Fu l'emmène alors dans les souterrains, lui fait arracher la chemise (joli torse) et fouetter par ses deux serviteurs (noirs bien sûr). Admirable plan où elle s'excite « Plus vite, plus vite ». Puis elle le fait détacher et installer dans un de ces lits qui n'ont existé qu'à Hollywood, satin, estrade, pour lui tripoter le poitrail. J'imagine que c'est le genre de scène qui devait électriser Jean Boullet. Il faut avoir vu cela une fois dans sa vie. Il s'en dégage une poésie érotique qui transcende le matériau de départ. Le film souffre pourtant des prestations médiocres des héros « occidentaux ». Il aurait pu sans cela prétendre au rang d'un King Kong (1933) ou d'un Island of losts souls (1933). Finalement, les gentils s'emparent du rayon de la mort et déciment sans remords à coup d'arcs électriques la masse des jaunes séditieux. Mais le redoutable docteur est-il véritablement mort ? C'est le bonheur !
Photographie : collection personnelle
A lire sur The ligue of deads films en anglais avec vidéo
Sur Only the cinéma en anglais avec photographie du torse du héros.
Sur Black Hole avec plein de très belles photographies
17:07 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : charles brabin | Facebook | Imprimer | |
06/07/2011
Jeunesse d'un X-man
Après le soir au fond de mon lit
je regardais le plafond
je testais mes pouvoirs
j’avais un laser si je me concentrais
qui me sortait par les yeux
je pouvais tuer des gens
j’étais un dieu
et je m’endormais comme ça content
j’étais heureux
Mendelson
Quand j'étais jeune adolescent, je liais les histoires de super-héros dans Strange, Spécial Strange et Titans, publiées par les éditions Lug. Elles étaient les pionnières, non sans mal avec la censure, de la diffusion des Marvel Comics en France. Les X-menont vite fait partie de mes séries préférées. Les dessins de Jack Kirby, Neal Adams, plus tard de John Byrne, étaient souvent splendides, pleins de rêve et de de drame. Les histoires de Stan Lee et surtout Chris Claremont, en ces temps où tout était encore à peu près simple et linéaire jouaient à fond le phénomène d'identification avec la bande de jeunes gens, jeunes mutants aux super-pouvoirs de l'école du professeur Charles Xavier. Leur statut de parias en butte à la crainte et à la haine de leurs contemporains permit de développer une parabole simpliste mais efficace sur la racisme et la tolérance, avec un sous-texte fort mêlant la lutte pour les droits civiques (la série commence en 1963) et la Shoah. Ceci donna à la série une intensité inédite dans le genre. C'est dans les X-men que j'ai vu du sang pour la première fois. C'est dans les X-men que j'ai vu mourir un super-héros, bien avant que cela ne devienne à la mode.
Dessin de John Byrne (DR)
Au début des années 80, l'adaptation au cinéma de ce genre d'histoires restait du domaine du fantasme. Les effets spéciaux n'étaient pas encore au niveau du délire des dessinateurs. Le maximum que l'on ait atteint, ce sont les deux Superman de Richard Donner et Richard Lester avec en 1990 le Darkman de Sam Raimi. Toutes les autres tentatives, faute de budget comme de talent rivalisent de ringardise. Ah ! La chemise de Hulk qui craque dans le dos... Il faut attendre les années 90, le succès des deux Batman de Tim Burton puis le développement des effets numériques pour voir arriver dans les années 2000 les super-héros Marvel. Cette fois, les budgets sont conséquents, les réalisateurs ont un certain poids (Raimi à nouveau, Bryan Singer, Ang Lee) et les acteurs un certain renom (Éric Bana, Kristen Dunst, Nick Nolte, Edward Norton, Mickey Rourke ou Tim Roth). L'approche est radicalement différente de celle des années 80 mais moi, par contre, j'ai pris quelques années et je ne suis plus trop sensible à ces débauches spectaculaires.
D'autant que côté bandes-dessinées, l'univers Marvel est devenu depuis une vingtaine d'années une formidable machine à pognon et un foutoir gigantesque. On exploite des franchises (rien que le mot) et cet univers plutôt cohérent est disloqué au rythme des révisions, relectures, « reboots », univers parallèles, origines redites et réécrites, les « whaf if ? », les « pourquoi pas », les n'importe quoi. Ouaip, le vieux schnock vous parle d'un temps où, d'une série à l'autre, une narration linéaire se tenait et c'était original. Un temps où les personnages grandissait et vivaient presque comme vous et moi. Je suppose que je me suis lassé.
Revenons au cinéma. Quand Brian Singer a été annoncé pour prendre les rênes de l'adaptation des X-men, j'étais quand même motivé. Le souvenir de Usuals suspects(1995) associé à mes souvenirs de lectures. Bonne pioche. Le film et sa suite directe restent le meilleur de ce qu'a donné le genre en ce qui me concerne. Singer et ses scénaristes Tom DeSanto et David Hayter ont modernisé juste ce qu'il faut (les costumes), s'appuyant sur quelques éléments forts de la saga : la personnalité complexe du super-vilain Magnéto, la dramatique histoire du Phénix noir et la chasse aux mutants orchestrée par des politiciens sans scrupules avec donc les sous-textes afférents. Singer a su préserver son style visuel proche du film noir et greffer son obsession de la seconde guerre mondiale et du nazisme via les origines de Magneto rescapé des camps. Et puis, Singer a réuni une belle distribution qui fait la part belle à de bien jolies actrices : Halle Berry, Rebecca Romijn et surtout Famke Janssen.
Elle, je lui voue un culte depuis que je l'ai découverte en robe de soirée rouge dans le bateau de croisière de Deep rising (Un cri dans l'océan – 1998) de Stephen Sommers (autre espoir déçu de cette époque). Avant, agent russe, elle avait en une scène mémorable tenté d'étouffer Pierce Brosnan – James Bond entre ses superbes cuisses. Une véritable héroïne B. Après, je regrette qu'elle n'ait pas eu de rôles plus consistants. Sous employée, je la rêve encore chez un Tarantino ou un Carpenter. Ici, elle rend parfaitement les nuances du personnage de Jean Grey, prise entre deux hommes (Cyclope et Serval-Wolverine), bras droit du professeur Xavier, détentrice d'un pouvoir qui va se révéler terrifiant et finalement la détruire. Famke (qui signifie « petite fille ») Janssen apporte au personnage une classe certaine, l'intensité nécessaire de ses grands yeux et surtout ses lignes impeccables. Elle est l'incarnation rêvée des dessins de John Byrne, un maître. Puissance et séduction. Un grand fantasme.
D'un autre côté, Brian Singer butte sur deux écueils. D'abord, le trop connu syndrome hollywoodien du « toujours plus ». Les équipes de X-men ont changé au fil du temps. Mais toujours, elles sont restée à 5 ou 6 personnages. Stan Lee le créateur et Chris Claremont savaient alors qu'ils ne pouvaient pas développer un minimum plus de caractères sur des épisodes de 20 pages. Singer le sait sans doute, mais il ne résiste pas à l'envie, au plaisir gamin, de mettre du mutant un peu partout. Résultat : les équipes ne correspondent plus à leurs modèles dessinés et faute de personnages un minimum écrits, certains héros ne font que de la figuration plus ou moins intelligente. D'autre part le succès de Wolverine (moi j'ai l'habitude de Serval) malgré le talent relatif de Hugh Jackman déséquilibre rapidement la série en sacrifiant le personnage de Cyclope. Scott Summers, l'homme au rayon oculaire destructeur, l'amoureux de Jean Grey, était le chef de l'équipe, le pivot de l'histoire et son amour tragique avec Jean était centrale. Singer ne semble pas savoir quoi faire de ce héros et le confie au fade James Marsden qui a de moins en moins de présence à l'écran et est vite liquidé dans le troisième volet. Il est carrément oublié dans le nouveau film censé raconter la formation de la première équipe. Pauvre Scott, moi je ne t'ai pas oublié.
X-men : first class (2011) de Matthew Vaughn, est donc le film des origines. La jeunesse du professeur Xavier et de Magneto, comment ils se sont connus, les amis qu'ils ont été et comment leurs routes se sont séparées. La formation des X-men. Le film voit le retour de Brian Singer qui avait du laisser le troisième épisode que l'on dit assez mauvais à Brett Ratner. Singer est cette fois scénariste et producteur. La théorie des auteurs me pardonne, on sent sa patte d'autant que Vaughn est pour moi l'auteur d'un calamiteux Stardusten 2007. La première scène devant le portail du camp de concentration reprend celle du tout premier film, comme pour effacer les errances passées et remettre les pendules à zéro. Peut être faut-il y voir cette obsession bien américaine du recommencement, le remake, la seconde chance, du passé faisons table rase et toutes ces sortes de choses, qui puise dans les racines des pères fondateurs, de la conquête de l'Ouest et de la nouvelle frontière. Pourtant, Singer et Vaughn ne font que reproduire ce que le premier film avait déjà accompli. mêmes qualités, mêmes défauts, même équilibre précaire entre l'hypertrophie spectaculaire et l'ambition de profondeur des personnages, même grand écart entre respect de l'œuvre originale et trahison commerciale.
Côté plus, le trio Michael Fassbender, James McAvoy et Kevin Bacon qui s'est visiblement régalé avec son personnage de méchant, fonctionne très bien avec en filigrane ce que certain(ne)s voient comme une relation homosexuelle (c'est parfois troublant). Le contexte historique de l'action du film qui se déroule pendant la crise des missiles de Cuba, ce qui donne un cachet indéniable au film et de savoureuses scènes chez nos amis rouges, associé à l'importance de la seconde guerre mondiale comme traumatisme d'origine. Deux bien jolies femmes, Rose Byrne et surtout January Jones en Emma Frost, reine blanche maléfique au ravissant costume de dominatrice qui rappelle une certaine Mrs Peel dans un épisode avec un autre club des damnés. Quelques passages bien tendus, avec finalement un minimum d'effets spéciaux (La visite au banquier suisse, très bondienne, la scène du café en Amérique du Sud, la mort de Bacon). Visuellement, le film retrouve le charme des bandes dessinées, coloré et épique, cadrages amples, aidé par un montage peu original mais carré.
Côté moins, la bande d'adolescents n'a rien à voir avec l'équipe d'origine à l'exception du Fauve. Ils sont peu réussis, ternes, un peu trop modernes et en proie à des ficelles narratives en forme de câbles. Côté méchants, c'est pareil, Azazel ressemble à une silhouette de carton et l'acteur Jason Flemyng a bien du mérite de rester ainsi impassible dans le sous marin immaculé de Shaw. Directement liés, les problèmes de scénario échouent à résoudre les multiples intrigues parallèles tournant autour des conflits entre les uns et les autres. Au fond, le commencement reprend la continuité, ouvrant la porte à de nouveaux développements. Ce n'était pas malin d'avoir tué tant de monde dans le troisième épisode. Nous pourrons donc rêver à un metteur en scène ayant envie de faire un X-men déficitaire que l'on rigole un peu.
Photographies : © Twentieth Century Fox France
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03/07/2011
Le lion, sa cage et ses ailes
Montbéliard n'évoquait pour moi jusqu'à présent qu'une savoureuse saucisse. Mais le cinéma et la poésie élargissent le champ de notre connaissance et je sais désormais que la riante cité du Doubs est un bastion de Peugeot avec les usines de Sochaux toutes proches. Voitures, vélos, moulins à cafés et salières design, Montbéliard et Peugeot, c'est comme Clermont-Ferrand et Michelin (tout pour la bagnole), avant que le court-métrage ne vienne renouveler l'image de la ville. Mais ceci est une autre histoire. Restons en à Peugeot, la firme au lion agressif, ses immenses usines, la cage, la chaîne telle qu'on l'a figée dans l'imaginaire collectif de la geste ouvrière ; et ses ailes, les milliers de travailleurs immigrés venus d'Europe du sud et de l'est, du Maghreb et d'ailleurs pour fraiser, sertir, emboutir, peindre, transporter, s'activer sur la machine géante, emblème des fameuses trente glorieuses françaises. Le lion, sa cage et ses ailes. Entre 1975 et 1977, Armand Gatti, Hélène Châtelain et Stéphane Gatti sont venus à Montbéliard avec un projet : faire un film avec les travailleurs migrants du pays, « Un film, le vôtre » disaient les affichettes placardées par Gatti pour solliciter les ouvriers. Un projet dans la lignée du cinéma engagé de cette époque, un cinéma qui se veut autre comme celui du groupe Medvedkine et de Chris Marker, celui du groupe Dziga Vertov et des expériences vidéo de Jean-Godard, celui de Jean-Louis Le Tacon, l'expérience de Gébé et Jacques Doillon avec L'an 01. Un cinéma qui veut changer de forme pour aborder d'autres fonds, montrer ce que l'on ne montre pas d'habitude, donner la parole à ceux maintenus dans le silence. Un cinéma rendu possible par l'émergence de la vidéo légère (toutes choses relatives aujourd'hui). Un cinéma longtemps oublié et opportunément ressortit par les éditions Montparnasse.
Le lion, sa cage et ses ailes, ce sont avec le recul deux objets distincts. Il y a le film – projet politico-artistique basée sur cette idée forme (votre film), un film fait par les ouvriers venus de huit nations différentes. Il y a le film documentaire d'Armand Gatti avec ses images et ses sons, le film du dramaturge, poète, résistant, déporté, réalisateur de L'enclos (1961), journaliste, fils d'un éboueur anarchiste et d'une femme de ménage franciscaine. Les deux films ont la même composition en huit épisodes de durées différentes : Montbéliard, Le premier mai film polonais, Arakha film marocain, L'oncle Salvador film espagnol, La difficulté d'être géorgien film géorgien, La bataille des 3 P film yougoslave, Montbéliard est un verre film italien et La dernière émigration en guise conclusion. Ces deux films ne se rejoignent pas de la même manière, ni aujourd'hui, ni, j'en suis persuadé, à l'époque.
Photographie capture DVD Ed Montparnasse
13:10 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : armand gatti, documentaire | Facebook | Imprimer | |
01/07/2011
L'expo Kubrick
Le dos douloureux, je me suis rendu lors de mon périple parisien dans l'enceinte de la Cinémathèque Française. C'est une première pour moi en ce qui concerne le site de Bercy. J'ai donc parcouru les salles de l'exposition consacrée à Stanley Kubrick (jusqu'au 31 juillet). C'est également la première fois que je vois une exposition de ce genre et, ma foi, je l'ai trouvée très équilibrée, ni trop légère, ni trop dense. Carrée et méticuleuse à l'image de son sujet, kubrickienne, quoi. Pour qui s'intéresse à l'œuvre du grand homme, c'est une plongée assez troublante côté atelier, un atelier bien fournit pour un homme très féru de technique. Tout y est me semble-t'il (sauf peut être l'expérience avortée de western avec Marlon Brando) : les débuts dans le photojournalisme, les courts métrages, le film renié (Fear and desire – 1953) avec extrait, les scénarios annotés, des plannings journaliers, les documents promotionnels, les affiches, la tunique de Crassus, les essais avec Sue Lyon en couleurs, le scaphandre de Bowman, la canne-épée d'Alex, le couteau de Wendy, le casque de Joker, les masques d'Eyes wide shut (1999). Collections d'accessoires divers et variés pour les fétichistes dont je fais partie, notamment les objectifs utilisés par le réalisateur, les croquis de préparation de Ken Adams sur Dr Strangelove (Dr Folamour – 1964) et les projets avortés d'Aryan papers et du Napoléon avec la documentation impressionnante réunie sur le sujet. Et puis plein d'extraits et les interventions, entre autres, de Steven Spielberg (A ma grande joie, il y a une partie consacrée à A.I.(2001)), Martin Scorcese et Woody Allen.
Méticuleux donc, le nombre réduits de films réalisés par Kubrik permettant une approche étendue individualisée. Mais troublante aussi parce que j'ai toujours cette impression d'être comme un pilleur de tombe, de me glisser sous la table de l'illusionniste pour surprendre les trucs. Heureusement les films résistent et dans le cas de Kubrick, ils résistent même bien. Disons que j'ai un rapport ambigu à cette part de la création qui devrait peut être rester enfermée dans l'atelier, le studio ou le bureau de l'artiste. Car tout est exposé, les raccords, les bricolages, les trompe l'œil, les ratés et les ratures. Et cela se traduit chez moi par un phénomène que j'ai déjà observé dans d'autres musées, du cinéma ou d'autre chose. Tout y est plus petit que dans les films, tout y est comme terni par le temps, même les masques récents du dernier opus. Ce qu'il manque, c'est à la cuirasse de Crassus la prestance et la carrure de Laurence Olivier. Il manque au scaphandre de Bowman, outre quelques voyants sur le bras, la lumière de Geoffrey Unsworth et le 70 mm. Et je pense à une phrase entendue dans un documentaire présenté dans une autre exposition consacrée à l'art Dogon (jusqu'au 24 juillet au musée du Quai Branly) : « Car un masque qui ne danse pas [...] n'est plus qu'un morceau de bois mort ».
Le site de l'exposition
Photographie : DR source Rama screen
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29/06/2011
Musique et cinéma selon Inisfree - partie 2
Suite et fin de la sélection musicale avec un salut à Clarence "Big Man"Clemmons.
22:28 Publié dans Cinéma, Musique, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : david maysles, albert maysles, charlotte zwerin, chris hilson, bruce springsteen, john ford, tsui hark, henry selick | Facebook | Imprimer | |
28/06/2011
Musique et cinéma selon Inisfree - partie 1
Le bon Dr Orlof nous propose une liste de dix films musicaux (au sens large heureusement) suite à celle de Timothée de Fenêtres sur cour et à l'occasion de la fête de la musique. Je ne résiste donc pas et m'en vais élargir encore le sens, histoire de ne pas retomber sur les mêmes titres que mon collègue car il a un goût certain, le bougre. Néanmoins vous ne couperez pas à une nouvelle diffusion du Dancing in the dark à Central Park, c'est au-dessus de mes forces. Merci à Bruno pour la première vidéo.
22:34 Publié dans Cinéma, Musique, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michael cimino, john ford, vincente minelli, henry c. potter, jean renoir | Facebook | Imprimer | |
23/06/2011
Une lettre
Blow Up de l'ami Luc Lagier sur le site d'ARTE propose très régulièrement de bien belles vidéos sous forme de portraits, évocations et lettres dont celle-ci adressée à Steven Spielberg par Joseph Morder que je ne résiste pas à l'envie de transmettre pour d'évidentes raisons.
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21/06/2011
Le long voyage
Amicalement dédié à Édouard qui m'a opportunément rappelé que je lui devais un Weir, et à Christophe dont le texte m'a fait prendre le chemin de la salle de cinéma.
Comme le précédent Master and commander (2004, déjà), The way back (Les chemins de la liberté – 2010) de Peter Weir m'a quelque peu pris par surprise. Enfin presque. J'avais lu il y a quelques années le livre A marche forcée de Slavomir Rawicz paru en 1956 et dont on nous apprend aujourd'hui qu'il ne serait pas si autobiographique qu'annoncé. Ce récit m'avait emballé et je me demandais en le lisant ce que donnerait à l'écran cet incroyable voyage d'une poignée d'évadés du Goulag qui franchirent dans les années 40 quelques milliers de kilomètres, depuis le cercle polaire jusqu'à l'Inde via la Sibérie, le lac Baïkal, le désert de Gobi et l'Himalaya. Tout cela sans le moindre équipement et à pied. Et bien voici un film comme on ne s'attend plus à en voir, alliant une maîtrise technique très moderne à une esthétique d'un beau classicisme, une épopée grandiose sachant rester malgré tout à dimension humaine. Peter Weir montre une nouvelle fois qu'il est le brillant continuateur du cinéma de David Lean, en ce sens qu'il équilibre parfaitement le spectaculaire et l'intime. Il sait faire ressentir la fragilité de l'homme au sein d'une nature immense, comme les marins anglais en plein océan ou la famille Fox sur la Mosquito Coast. Mais cette nature, contrairement aux visions mystiques plus en vogue, ne possède cette grandeur que par rapport au regard humain qui reste la mesure de toute chose, comme dans le cinéma de Howard Hawks. La nature est indifférente c'est à dire qu'elle est tour à tour bienveillante et hostile, déchainant tempêtes de sable et de neige, offrant oasis et nourriture. A l'homme d'apprendre à la connaître et de se révéler en l'affrontant ou en s'en servant, non pour de fumeux motifs spirituels mais parce qu'elle est là et qu'il en fait partie. Ainsi la tempête de neige lors de l'évasion favorise la fuite du camp en dissimulant les fugitifs, mais elle gèle les plus faibles. Ainsi l'on trouvera dans la campagne la citronnelle contre les hordes de moustiques. Tout dépend des actes humains. De leurs aptitudes. A la question « Pourquoi aimez vous le désert ? », Lawrence d'Arabie répondait : « Parce que c'est propre ». Façon de dire que la confrontation est nette, pas comme entre les hommes.
Cette approche permet à Weir d'éviter les écueils de l'adaptation. En premier lieu la dimension politique. Le Goulag est décrit en quelques traits puissants et justes pour qui a lu Alexandre Soljenitsyne ou Varlam Chalamov, sans entrer dans les détails ni donner lieu à un quelconque réquisitoire. Les hiérarchies au sein des prisonniers, l'absurdité des travaux, le poids de la bureaucratie que Mr Smith joué par Ed Harris retroune à son profit pour convaincre l'officier responsable d'abriter la colonne de prisonniers décimée par le blizzard, la spécificité de ces camps par rapport aux camps nazis et cette étrange décontraction slave, tout est montré en quelques plans limpides. Le personnage de Valka joué par Colin Farrel (Il force un peu quand même), qui reste fidèle malgré tout à Staline qu'il s'est tatoué sur le corps apporte une amusante dose d'ambiguïté tout en sachant révéler une véritable sensibilité. Mr Smith, de son côté, est un américain séduit par l'idéologie communiste, ce qui justifie les problèmes de langage (tout le monde parle anglais) et désamorce le fait de faire jouer ces personnages par des stars américaines. D'une façon générale, ces conventions hollywoodiennes passent bien, comme quand James Stewart jouait un allemand dans The mortal storm (1940) de Borzage. The way back n'est pas un film à charge, mais avant tout une aventure humaine qui pourrait prendre un autre cadre sans changer fondamentalement. On pourra éventuellement reprocher le traitement du groupe de polonais, dont les individualités ne sont pas assez travaillées, à l'exception de Janusz joué par Jim Sturgess qui rend avec force sa détermination à rentrer chez lui. Il est plus difficile de caractériser les autres. Une chose que Hawks, même sur des rôles mineurs, faisait parfaitement dans des films épiques et élégiaques comme Red river (La rivière rouge – 1946) ou The big Sky (La captive aux yeux clairs – 1952). Ceci mi à part, Weir enchaine les étapes sur un rythme posé mais régulier, sachant mettre en valeur les vastes paysages traversés avec la photographie sophistiquée de son complice de toujours, Russel Boyd. Il utilise avec discrétion les effets numériques intégrés et invisibles et fait avancer son récit par l'enchainement des obstacles et la résolution des problèmes, jusqu'à un final onirique et plein de mélancolie et de tendresse. Un beau film harmonieux et plein de souffle que vous avez sans doute raté en salle ce qui est bien dommage, mais qui sort en DVD. C'est l'occasion.
Le DVD
Le livre de Slavomir Rawicz
Photographie © Metropolitan FilmExport
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19/06/2011
Les joies du bain : La reine de Saba
Amicalement envoyée par Gérard Courant, Gina Lollobrigida prend un bain espiègle dans le peplum à grand spectacle de King Vidor, Solomon and Sheba (Salomon et la reine de Saba- 1959). Elle s'y amuse certainement plus que Cléopâtre. Notez le joli diadème en forme de serpent.
16:22 Publié dans Les joies du bain | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : king vidor, gina lollobrigida | Facebook | Imprimer | |
18/06/2011
Gunnar Fischer 1910 - 2011
09:30 Publié dans Cinéma, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : gunnar fischer | Facebook | Imprimer | |
16/06/2011
Le cinéma de Nurith Aviv
L'un des grands plaisirs que j'ai à collaborer au site Kinok, c'est celui de pouvoir découvrir une œuvre comme celle de Nurith Aviv. Un cinéma, documentaire ici, vers lequel je ne crois pas que je serais allé de moi-même, moi le cinéphile pétri des âges d'or hollywoodiens et italiens, des cinémas de John Ford et de François Truffaut (qui n'aimait guère le documentaire). Pour arriver au cinéma de Nurith Aviv, de moi-même, il m'aurait fallu surmonter quelques méfiances, quelques perplexités sur une forme, l'essai documentaire ; un style, dépouillé, posé ; et une thématique, la langue. Plus particulièrement l'hébreu avec le rapport complexe nourri d'histoire, de religion, de poésie et de politique, qu'entretiennent avec lui ceux qui le pratiquent, le parlent et l'écrivent aujourd'hui. Il aurait fallu laisser pleinement s'exprimer la « soif du spectateur pour une réflexion vivante sur les dimensions essentielles de la vie » comme l'écrit Thierry Garrel. L'on conviendra, à moins d'une foi un peu naïve en la nature humaine, que cette soif puisse avoir besoin d'un coup de pouce. Mais alors quelle joie ! Car la découverte des films de Nurith Aviv est une joie, un bonheur. A ce point, je me dis que le mieux à faire pour écrire sur ces films, c'est de balayer les méfiances, les réticences et les hésitations qui en tiendraient éloigné. Inutile de discourir sur le fond, sauf pour un spécialiste de la question, inutile de paraphraser un discours mûrement réfléchi, documenté et minutieusement structuré, qu'un travail de cinéaste a rendu on ne peut plus clair. « Il faut rassurer » disait Nanni Moretti. Rassurer pour assurer que les cinq films qui composent le beau coffret proposé par les éditions Montparnasse sont convaincants dès les premières minutes. Convaincants, séduisants, passionnants. Pas une minute d'ennui sur l'ensemble. Nurith Aviv sait filmer des gens passionnés, écrivains, professeurs, chanteurs, actrices, poètes et poétesses qui parlent avec passion de leur(s) langue(s), de leur rapport à l'hébreu. Comment ils y sont venus. Comment ils le pratiquent. Comment ils l'écrivent, le chantent, le parlent, le déclament. Et la force de cette passion, si bien captée par la réalisatrice nous touche en plein, directement, complètement. Car au-delà de l'hébreu, c'est de notre rapport avec notre langue, maternelle et/ou pratiquée dont nous parle Nurith Aviv. Merveille de film que celui qui installe une telle relation entre lui et le spectateur. Miracle de ce cinéma qui parie sur l'intelligence, sur la soif d'une réflexion vivante.
Nurith Aviv est née à Tel-Aviv en 1945, elle est la première femme à avoir été officiellement reconnue chef opérateur par le CNC en 1975. Elle a signé les images de nombreux films d'Agnès Varda, Jacques Doillon, Amos Gitaï ou René Allio. Nurith Aviv est passée à la réalisation de documentaires en 1989 avec Kafr Qara, Israël. Elle enseigne également à la FEMIS, en Allemagne, terre natale de ses parents et en Israël. A partir de 2004, elle entame une série de films autour du langage et de l'hébreu comprenant Traduire (2011), Langue sacrée, langue parlée (2008), L'alphabet de Bruly Bouabré (2004) et Misafa Lesafa (D'une langue à l'autre – 2004), réunis ici avec Vaters Land / Perte (2002) qui peut se lire comme une introduction à l'ensemble.
De son travail sur la lumière, elle conserve le goût de l'image belle sans effets d'éclairages, des cadrages fixes qui saisissent l'intervenant dans son milieu intime, la maison, le salon, la bibliothèque, à une juste distance pour former un portrait, assez près pour saisir les émotions qui traversent les visages, l'éclat des yeux. Sobre et rigoureuse, elle utilise des dispositifs très simples (le long panoramique en train de Vaters Land / Perte, les ouvertures en fondu de Traduire). Dans ce cadre, serein, posé et chaleureux peut se déployer la parole de chacun et le spectateur peut construire sa propre réflexion à partir des différentes expériences relatées.
Photographie : capture DVD Montparnasse
22:56 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nurith aviv | Facebook | Imprimer | |
15/06/2011
Les fantômes de Bernard Herrmann
Quelques morceaux superbes du compositeur Bernard Herrmann interprêtés au piano par Stephan Oliva sur de bien belles images (via Charles Tatum, merci).
23:07 Publié dans Cinéma, Musique, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : bernard herrmann, stephan oliva | Facebook | Imprimer | |
12/06/2011
Retour dans l'univers de Pulp fiction
Je suis dans le Var. Il fait un temps superbe. Le vent fait bruisser doucement les feuilles du grand marronnier. Ma fille gambade un peu plus loin dans le soleil. Dean Martin susurre Sway depuis l'intérieur. Je suis à l'ombre, pensant au pastis de 11h30. Pensant aussi à ce concours organisé par Priceminister autour des palmes d'or cannoises. L'idée est sympa, aussi je me suis engagé. Je me souviens...
Les grandes lettres jaunes bordées de rouge, Misirlou de Dick Dale, Royal with Cheese, Ezechiel 25 verset 10, de l'importance du massage de pied, la tignasse frisée de Jules, la montre, le putain de miracle, le sparadrap sur la nuque de Marsellus Wallace. Uma Thurman. Ketchup ! Pulp Fiction.
17 ans plus tard, cette palme décernée par le jury mené par Clint Eastwood et dont faisait partie Catherine Deneuve m'apparaît toujours comme atypique. Il y avait à l'époque, 1994, la rude concurrence de quelques films remarquables face au second opus d'un jeune réalisateur américain au débit de mitraillette : Caro Diario de Nanni Moretti, Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov, La reine Margot de Patrice Chereau ou Zir-e derakhtān zeytoun (Au travers des oliviers) d'Abbas Kiarostami. Des concurrents à priori plus classiquement cannois que ce film rock and roll, drôle, coloré et violent. Comme quoi. Mais un tel honneur aurait pu tout aussi bien plomber la carrière de Quentin Tarantino en hypertrophiant plus que de raison son ego. Raisonnablement, il attendra quatre ans avant de signer un nouveau film. D'autant que, à bien y réfléchir, Pulp fiction est certainement le moins bon, toutes choses étant relatives, de ses films. Pulp fiction n'a pas la rigueur ni l'énergie brute du premier essai, Reservoir dogs (1992), n'a pas l'émotion et la délicatesse du portrait de Jackie Brown (1998), n'a pas la folie baroque du dyptique Kill Bill (2003-2004), n'a pas l'érotisme flamboyant de Death proof (2007), pas plus que la virtuosité ambitieuse de Inglorious basterds (2009). Ce qui en fait malgré tout a hell of a picture, film phare des années 90, film culte, film foire suscitant une participation et une appropriation du public remarquable, que l'on se mette à danser comme Vincent Vega passant sa main aux doigts en V devant ses yeux, que l'on balance des blagues à deux sous comme Mia, que l'on récite la bible comme Jules ou que l'on se présente à son patron en déclarant ; « Je suis untel, je résous les problèmes ».
Avec le recul et les déclarations dont Tarantino n'est pas avare, on voit aussi que Pulp fiction est le film matrice de son œuvre. Il est tout ce que le premier opus n'était pas. Réservoir dogs était ramassé (99 minutes), Pulp fiction s'étale comme un gros chat au soleil sur deux heures et demie. Reservoir dogs était masculin (la seule femme avait 5 secondes d'écran, un cri et une balle dans la tête), Pulp fiction donne de beaux rôles aux femmes qui deviennent ici le moteur des actions des hommes à part égale avec l'argent. C'est la première collaboration avec Uma Thurman et la légende veut que ce soit sur le plateau que Q et U aient conçu ce qui allait devenir Kill Bill (auquel on pourra saisir quelques allusions rétrospectives). Reservoir dogs était conçu, malgré les allers et retour dans le temps, autour des unités de temps, de lieu et d'action. Pulp fiction s'amuse à déconstruire son récit au point ou il faut fournir un intense effort de réflexion pour remettre sa temporalité dans l'ordre. Par ailleurs le récit donne la part belle au hasard, que ce soit l'accident de voiture entre Butch et Marsellus, le coup de feu malencontreux de Vincent qui fait sauter le crâne du pauvre Marvin ou la façon dont les balles évitent, contre toute logique, Vincent et Jules. Film matrice, Pulp fiction annonce les œuvres à venir, définit le style Tarantino : la bande son, les multiples citations cinéphiliques, l'importance de la scène qui, comme l'un des maîtres de Tarantino, Sergio Leone, est conçue comme un morceau de bravoure fonctionnant de façon autonome. Fascination pour les voitures, fétichisme du pied, jeu sur le temps et l'espace, incrustations ludiques dans l'image. Pulp fiction est un film jouissif d'un jouisseur sachant faire partager sa jouissance.
Et puis ? Je me souviens, à l'époque, avoir eu une discussion sur le fond du film. Un ami critique me soutenait que le film était brillant mais vain. Je lui avais développé l'idée que peut être mais pas forcément. A sa façon, Pulp fiction, comme les autres films de Tarantino, est un portrait de l'Amérique. Pas un portrait littéral mais, comme dans le film noir, plus largement le film de genre dans lequel l'auteur puise son inspiration, c'est le portrait d'un état d'esprit qui en dit parfois plus long que bien des films réalistes. L'univers pop de Pulp fiction est celui d'un pays régit par l'argent et le sexe (avec les déviations soigneusement cachées en sous-sol), un pays fasciné par la violence et conservateur dans ses mœurs (Jules est étonné de la description d'Amsterdam donnée par Vincent, Marsellus est très possessif avec sa femme, Wolf agit selon des règles strictes), un pays qui vit encore sur de vagues souvenirs de valeurs (L'attitude Butch, la démarche du personnage de Christopher Walken qui ramène la montre du père de Butch) et des fragments de culture populaire que l'on décline jusqu'à la parodie (fameux restaurant – club Jack Rabbit Slim's). Un pays encore mystique (La conversion de Jules) dans lequel l'attrait de l'aventure reste l'ultime expérience. Un pays ou le réel et la fiction, même pulp, se rejoignent, se confondent et dansent heureux en attendant la mort.
La page Pulp Fiction
Photographie source Fin de séance
16:48 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : quentin tarantino | Facebook | Imprimer | |
11/06/2011
Cannes 2011 : humanisme
"Vous voulez parler à Dieu ? Allons Le voir ensemble, je n'ai rien de mieux à faire."
Il en est ainsi, encore et toujours, entre réalisateurs qui entreprennent de dialoguer avec des concepts à majuscule et ceux qui vont filmer à hauteur d'homme. L'un n'empêche pas l'autre, c'est juste une question de point de vue. Donc aussi une question d'esthétique. Et ma préférence, de plus en plus marquée, va aux seconds. Je ne vise personne, du moins pas en particulier, c'est juste question d'introduire deux de mes cinéastes fétiches.
Si l'idée de voir Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin en dockers CGTistes partager un pastis avec vue sur l'Estaque vous défrise, laissez tomber Les neiges du Kilimandjaro, le nouveau film de Robert Guédiguian. Si en revanche, vous vous réjouissez de l'occasion de cet apéro entre amis, c'est un film pour vous. Et pour moi. Après une décennie de projets ayant souvent ouvert son cinéma à de nouveaux horizons (film de genre, retour aux sources, brillantes évocations historiques), Guédiguian retourne sous le soleil de Marseille et de son quartier fétiche, retrouve son petit monde de prolos à l'ancienne pour une histoire inspirée d'un poème de Victor Hugo, Les pauvres gens, qui voit une famille de pêcheurs pauvres adopter deux orphelins. Les neiges du Kilimandjaro renoue avec l'esprit des contes populaires et politiques travaillée d'humour et de mélodrame que sont L'argent fait le bonheur (1993) ou Marius et Jeannette (1997).
Jean-Pierre Darroussin est donc Michel qui se retrouve en pré-retraite suite à une charrette de licenciements sur le port, charrette dont il a organisé sans illusion le tirage au sort. Sans illusions, mais avec éthique. Ariane Ascaride est sa femme Marie-Claire qui s'occupe de vieilles personnes à domicile. Ils ont des enfants grands et installés, des petits enfants, une maison simple mais qui pèse son poids d'histoire avec terrasse et vue sur les vieilles ruelles. Ils sont tranquilles. Leurs amis se cotisent pour leur offrir un voyage au Kilimandjaro parce que Marie-Claire aime la vieille rengaine chantée par Pascal Danel. Un soir, tapant le carton avec leurs amis (Gérard Meylan et Marilyne Canto), ils sont agressés et l'argent du voyage volé. Traumatisme. Guédiguian déploie alors sa dialectique. A l'origine du vol, il y a un collègue de boulot qui a fait partie de la charrette. Lui est jeune, vit en HLM, sans ressources, l'avenir bouché, élevant seul ses deux jeunes frères. On voit venir les développements, le dilemme moral qu'induit la situation. Guédiguian l'empoigne à bras le corps à travers son couple vieillissant et adorable. D'aucuns le taxeront de naïveté, mais il va au bout de son projet, en explorant les nuances via la galerie de personnages écrits avec la complicité renouvelée de Jean-Louis Milesi. Enfants, amis, policier désabusé, voisine amoureuse, chacun apporte son point de vue et évolue au cours de l'intrigue et en fonction de l'évolution du couple principal. S'appuyant sur l'empathie que l'on ressent pour ce petit théâtre humain, Guédiguian joue avec le manichéisme sans jamais y tomber, brassant ses thèmes de prédilection, affirmant une nouvelle fois, face à la perte du collectif et aux échecs du politique comme du syndical, la force de choix individuels et moraux reposant sur la solidarité. Avec un pastis bien frais, et quelques olives noires, cela passe plutôt bien. Si Robert Guédiguian a le chic pour filmer ses acteurs (portraits solaires d'Ariane Ascaride, visage de Jean-Pierre Darroussin sculpté dans la pénombre, photographie de Pierre Milon), l'art de nous immerger dans une scène de groupe et une certaine façon de faire monter la tension (belle scène au commissariat de la confrontation entre Michel et son voleur), j'ai regretté un recours assez systématique au champ-contrechamp dans les nombreuses scènes de dialogue et un curieux calage des plages musicales qui parasitent par endroit, justement, les dialogues. Par contre on retrouve son talent pour intégrer à sa troupe de nouveaux talents, ici Grégoire Leprince-Ringuet dans le rôle du jeune voleur un peu buté et Robinson Stevenin en flic sombre. Tous les deux arrivent du précédent L'armée du crime (2009). Beaucoup de plaisir aussi de revoir Julie-Marie Parmentier en voisine. Ils apportent un contraste avec la vieille garde filmée avec beaucoup de tendresse, illustrant le rapport entre génération cher à l'auteur. Bref, l'apéro, Robert, tu peux me remettre ça.
Nanni Moretti, cher Nanni, trop rare Moretti. Son cinéma est toujours un tel plaisir, humour, intensité, légèreté, intelligence, ma si, vraiment. Plus inspiré par son faux pape que par son presque vrai Berlusconi, il fait de Habemus papam une version ecclésiastique de son plus beau film, Palombella rossa (1989). Michel Piccoli incarne un cardinal qui est élu pape à l'issue d'un scrutin paradoxal où les participant prient tous pour ne pas être élus. Touché par le poids de sa nouvelle charge, le nouveau pape craque en direct sur le balcon dominant la place St Pierre de Rome comme autrefois l'élu communiste à la télévision. Envahi par le doute, en proie à la crise de foi, il va devoir plonger dans son passé pour se retrouver, retrouver l'homme et non la fonction. Non habemus papam, finalement. Là-dessus, Moretti écrit avec Francesco Piccolo et Federica Pontremoli une brillante comédie feutrée qui met en parallèle la recherche existentielle du presque pape avec le dilemme des cardinaux réunis en conclave et coincés au Vatican tant que le pape n'a pas béni la foule et, par ce geste, validé son élection. D'autant que le pape fugue, que les fidèles et les media du monde entier attendent avec ferveur. Alors ce pape, ça vient ? En dernier recours, le chargé de communication des mitrés préconise le recours à la psychanalyse. Le meilleur des spécialistes, athée et amusé, rejoint la noble assemblée. Incarné par Moretti soi-même, le cheveu un peu plus blanc et l'œil toujours aussi vif, il pose un regard gentiment ironique sur la pourpre et l'or. Et il finit par organiser, pour tromper l'attente, un tournoi de volley-ball dans les cours des anciens palais. Moretti réalisateur va là où on ne l'attendait pas forcément avec ce regard débonnaire et attendri, plus espiègle qu'ironique. Il débusque en une délicieuse série de portraits la part d'enfance de chacun. Il faut voir la savoureuse séquence du vote, filmée comme une interrogation écrite à l'école, avec les prélats suçant leur stylo, tirant la langue sur leur feuille, cherchant à copier sur leur voisin. Plus tôt, nous les avons vu, ballet des éminences, défiler dans les couloirs renaissance, dignes, raides, concentrés, longue procession rouge, blanc et or (superbe plastique des plans), marche solennelle à la façon des pingouins sous les plafonds Renaissance. C'est un sommet pictural de l'œuvre de Moretti, de sa veine fellinienne, renvoyant au ballet coloré du pâtissier trotskyste.
Cherchez l'enfant, vous trouverez l'homme. Comme Michele cherchait désespérément les goûters de son enfance, le presque pape remonte jusqu'à sa véritable vocation. Cette approche sans ironie facile et peut être attendue, rend plus poignante la quête de cet homme joué tout en douleur contenue par Piccoli. Donc le pape prend un café, une chambre en ville, rencontre des gens, (re)devient un homme comme les autres. Et de scène amusante (la visite à la femme psy du psy) en scène touchante (les souvenirs évoqués), c'est dans un théâtre que la quête trouvera son aboutissement, une belle salle ancienne, miroir des palais épiscopaux, progressivement envahie par les cardinaux venus en terre étrangère récupérer le fugueur. La construction du film est admirable, à la fois décontractée et rigoureuse, utilisant de façon habile des plans documentaires (la foule sur la place) et différents décors, bonheur des palais romains, qui donnent une illusion parfaite et plutôt spectaculaire du Vatican. La photographie de Alessandro Pesci est chaude, se régalant des multiples jeux de couleurs qu'autorise le sujet. Moretti renouvelle sa forme pour une nouvelle exploration, comme l'homme de l'Estaque, de ses obsessions favorites : le sport, les pâtisseries, les discussions, Rome... le tout sans grandiloquence ni envolée mystique. Et sans avoir besoin, élégance suprême avec un tel sujet, de faire intervenir l'oeil de Dieu. Car Dieu n'est rien face à un jeu de ballon. Mais je ne vise personne.
Je suis tenté de rattacher à ces deux films admirables celui de Takashi Miike, Ichimei, remake du Seppuku (Hara-kiri - 1962) de Masaki Kobayashi. Je connais mal l'œuvre prolifique de Miike et ce que j'en connais est plutôt éloigné de ce film carré et sensible quoiqu'un peu raide. Mes lecteurs savent mon peut d'appétence pour le remake, mais ici, ne connaissant pas l'œuvre originale, j'ai pu apprécier le film sans arrière pensée. Pourtant, je n'ai cessé d'avoir, durant la projection, le curieux sentiment, pas désagréable au demeurant, de voir un film japonais des années 60. Écran large, photographie contrastée façon Technicolor, jeu des acteurs, sobriété des effets, composition précise des cadres, Ichimei me semble respecter l'original (je vais bientôt vérifier), loin de l'aspect moderne d'un film comme Tabou (1999) de Nagisa Oshima par exemple et surtout loin des audaces et outrances de nombre de films de Miike. Il ressemble tellement à un film des années 60 que le relief non seulement n'apporte rien au travail sur la profondeur de champ mais fini par s'oublier. Presque. Même Ebizō Ichikawa dans le rôle de Hanshirō Tsugumo ressemble à s'y méprendre au grand Tatsuya Nakadai du film original dont il retrouve parfois le regard brûlant.
Loin de ses histoires provocantes, Miike donne à voir un conte à haute teneur morale. Un drame combinant le sens de l'honneur exacerbé des samouraïs avec la pauvreté pouvant sévir à l'époque Endo. Le jeune Motome a épousé la fille de Tsugumo et a eu un fils. Les deux hommes, suite à la disgrâce de leur clan sont des samouraïs pauvres. Suite à la maladie de la femme et de l'enfant, désespéré, Motome se rend chez un noble et feint de vouloir se suicider, espérant susciter de la compassion et se voir proposer un emploi ou de l'argent. Mais ce sont des temps impitoyables et le noble refuse. Piégé par la rigidité du code d'honneur des samouraïs, Motome accompli le suicide rituel de manière atroce. Miike fait de cette scène un grand moment intense, misant intelligemment sur la violence psychologique et sociale plutôt que sur une violence visuelle que l'on aurait pu craindre. Tout ceci est raconté en flashback par Tsugumo, venu à son tour chez le noble, feignant le désir de suicide mais cette fois pour apprendre la vérité sur le sort de son beau-fils. Ichimei est tragédie et parabole, condamnation des rigidités d'une société cruelle qui amène des hommes de valeur comme Tsugumo et Motome a être incapable de prendre soin des leurs, à privilégier le culte de la mort (le suicide rituel) à celui du savoir (les livres de Motome) et de la poésie (les ombrelles de Tsugumo). D'une grande beauté plastique, le film me semble un peu décalé par rapport à son époque, la notre, décalage qui vient peut être de son statut de remake, mais qui est aussi à sa façon, du même ordre que celui de Guédiguian filmant ses dockers CGTistes, une certaine façon de voir et de montrer la condition humaine. Un regard pour moi précieux.
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05/06/2011
Cannes 2011 : voitures
Driiiiive ! Chantaient les Clash sur le Brand new Cadillac de Vince Taylor.
Il n'y a eu guère plus d'une demi-douzaine de grands polars noirs, américains, ces 20 dernières années. Réservoir dogs (1992) de Quentin Tarantino, Carlito's Way (L'impasse – 1993) de Brian de Palma, The usuals suspects (1995) de Brian Singer, The yards (2000) de James Gray, No country for old men (2007) des frères Coen. J'y ajoute désormais volontiers le Drive de Nicolas Winding Refn. L'un des avantages de Cannes, c'est de pouvoir découvrir un film avec un regard complètement vierge. Je n'avais rien rien vu du réalisateur de Bronson (2009) et de Valhalla Rising (Le Guerrier silencieux – 2010). J'ignorais tout du film et je n'imaginais même pas un tel film puisse se retrouver en compétition officielle. Bien installé au premier rang, légèrement décalé, j'en ai pris plein les yeux, immergé. Je me suis souvenu d'une phrase de George Miller à l'époque de la sortie du second Mad Max (1982). Il y disait faire des films pour les spectateurs des trois premiers rangs. « Au cinéma que je propose, il faut attacher sa ceinture » ajoutait-il. Nicolas Winding Refn se rattache à Miller par sa façon de filmer la vitesse, le fétichisme de la voiture et des fringues (magnifique blouson blanc au scorpion or qui va porter les stigmates du destin du héros), les éclats de violence au sein d'une structure classique. Il partage aussi une conception du héros tout à fait héroïque. « We'll give them back their heroes » est une réplique du premier Mad Max.
Le « driver » est employé dans un garage et cascadeur pour le cinéma le jour, louant ses services de conducteur exceptionnel à des malfrats pour des hold-up la nuit. C'est un homme de nulle part incarné avec présence et intensité par Ryan Gosling qui renvoie autant à Mel Gibson qu'à Steve McQueen et jusqu'à James Stewart dans ses westerns pour Anthony Mann. Professionnel, impitoyable quand il le faut, il a le sens de l'amitié et sait défendre, à sa façon, la veuve et l'orphelin. Les nuances apportées par l'acteur et saisies par la caméra de Winding Refn, l'approche frontale, brutale, de la violence qu'il exerce et qui glace plus d'une fois, la dimension tragique associée au final permettent à l'ensemble de transcender les figures imposées du genre et de toucher à la figure mythique sans laquelle le film noir n'est que film de série.
Drive se rattache ainsi à une longue histoire où passent les souvenirs des films de William Friedkin (la musique de Cliff Martinez, compositeur de Steven Soderbergh, a un côté très années 80 et évoque celle de Wang Chung pour To live and die in LA en 1985), de ceux de Peter Yates, Bullitt (1968) mais aussi le magnifique et récemment découvert The friends of Eddie Coyle (1973) avec ses impressionnantes scènes de hold-up, de Sam Peckinpah, de Don Siegel avec Clint Eastwood, du Point Blank (1967) de John Boorman, de Michael Mann dont on parle beaucoup (trop). Bref, du grand noir contemporain, du « hard-boiled », de l'extase sur grand écran.
Ce qui est formidable avec Drive, c'est que cette longue tradition, ces multiples références sont assimilées et digérées sans être reprises sous forme de citations littérales. Des ingrédients de base, Winding Refn, cuistot bluffant, concocte un plat original à la saveur personnelle. Il développe au sein du genre un univers autonome, un style propre. Une marque. Il s'appuie sur une histoire balisée, tirée d'un roman de James Sallis adaptée par Hossein Amini, dans laquelle se mêlent organisation maffieuse, petits truands, trahisons, meurtres, vengeance et jeune femme en détresse. Comme moteur, on trouve une morale, une éthique, mais si, mais si, qui va pousser le héros à l'action. Lui dont on devine un passé difficile mais jamais explicité, lui qui se protège au maximum, lui qui économise ses gestes et ses paroles, se met en branle avec une obstination butée qui lui fait exploser les cadres d'un système reposant sur la corruption, la hiérarchie, l'obéissance et une bonne dose de bêtise. Et puis la peur et la mort. Le « driver » est le grain de sable dans la machine, le loup solitaire qui se dresse seul contre tous. Il a trouvé quelque chose qui lui donne envie de se battre. Il reconnaît son destin et l'embrasse résolument. Au sein d'un monde où la médiocrité détruit les rêves (celui de son voisin qui sort de prison et voudrait vivre avec sa famille, celui de son vieil ami garagiste), il se pose en homme libre. Et donc dangereux. Il y a aussi chez lui, et ce n'est certes pas pour me déplaire, quelque chose du Shane du film éponyme de George Stevens. Ce cavalier joué par Alan Ladd qui arrive de nulle part, prend fait et cause pour la petite famille de fermiers, est admiré de l'homme, séduit la femme et fascine l'enfant.
Une scène résume bien le style de Nicolas Winding Refn dans ce film. Si vous ne l'avez pas encore vu, sautez le paragraphe. Le « driver » entraîne Irene (Carey Mulligan, délicieuse), sa voisine qu'il protège, dans un ascenseur. Il y a là un homme et comme le héros a l'œil, il repère rapidement l'arme sous l'aisselle. La tension monte. Tout à coup et au ralenti, le « driver » repousse Irene dans un coin d'un large mouvement du bras. Mais alors que l'on s'attend à un geste d'action, il se penche pour embrasser la jeune femme. C'est leur premier baiser, interminable et très tendre. Et tout à coup, alors que l'on a presque oublié la présence du troisième homme, notre héros se retourne vers lui avec une violence terrible. Le contraste entre les deux actions est total. Le plaisir de cinéma, la dilatation du temps, la beauté des images, est total. En même temps, la scène est le portrait parfait du « driver ». Toute sa complexité entre son extrême tendresse et son extrême violence est révélée dans l'action. Comme le regard du metteur en scène répond à l'inquiétude du spectateur en épousant celui de la jeune femme, tout aussi choquée que nous pouvons l'être, regardant les portes de l'ascenseur désormais sanglant se refermer sur cet homme que l'on ne sait pas s'il faut le fuir ou l'aimer. C'est beau.
22:52 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : nicolas winding refn, cannes 2011 | Facebook | Imprimer | |
02/06/2011
Cannes 2011 : femmes
Dans un art toujours très dominé par les hommes, les personnages féminins restent les vecteurs privilégiés pour parler du monde comme il va. Surtout comme il va mal. Comme au bon vieux temps des cinémas de genre, la femme est d'abord victime idéale et face à la démission des hommes, ses combats désespérés n'en sont que plus beaux et j'en ai vu quelques uns qui sont purs sanglots.
« We need to talk about Kevin » ne cesse de répéter Éva à son mari trop débonnaire. Kevin est leur fils et ce n'est pas un cadeau. Bébé braillard, il donne lieu à un excellent gag lorsque la mère stoppe le landau près d'un marteau piqueur en action pour souffler un moment. En grandissant, cela ne s'arrange pas et Kevin prend une place de choix dans la série des sales gosses, entre les adolescents de Gus Van Sant et la petite Regan de William Friedkin. Lynne Ramsay, réalisatrice anglaise jusqu'ici plutôt portée vers un registre délicat (Le court Gasman en 1998, Ratcatcher en 1999 et Morven Callar en 2002) propose une mise en scène très travaillée, brillante par moments avec une construction éclatée dans le temps (sur près de vingt ans), une photographie sophistiquée signée Seamus McGarvey (qui a fait la photographie magnifique de Love you more (2008) de Sam Taylor-Wood) et des cadrages très pensés. Trop peut être. L'ensemble est surtout très voyant et m'a plutôt évoqué le travail de Dario Argento (utilisation de la couleur rouge, grands espaces modernes et froids qui créent l'angoisse, utilisation du format Scope) et de Brian De Palma (Les scènes choc, la gestion du hors champ). Je n'attendais pas forcément Ramsay de ce côté. Mais si le film intrigue et fait illusion au début, son côté systématique et le manque de finesse des effets ne tiennent pas la distance. Très rapidement, le spectateur prend de l'avance sur le film. Par exemple quand la petite sœur reçoit un cochon d'Inde pour Noël, on devine de suite que la pauvre bestiole va mal finir. Toute à ses effets, Lynne Ramsay accumule les trous de scénario, incohérences et invraisemblances. Le traitement des personnages n'arrange rien. Sans nuance, le père est l'Absence, la fillette l'Innocence, Kevin le Mal. Souligné, surligné, nous avons compris. La mère, portée par la prestation habitée de Tilda Swinton est plus intéressante même si ses réactions sont difficilement compréhensibles. Pour des parents issus d'une classe aisée, leur incapacité à réagir dès la petite enfance aux étrangetés de leur progéniture est dure à avaler. Le jeu de l'actrice tient trop de la performance pour laisser place à une véritable émotion. Cela se voit trop. Cela ne se voyait pas chez Ellen Burstyn dans The exorcist (1973).
Tout aussi stylisé mais nettement plus réussi, Miss Bala du réalisateur mexicain Gerardo Naranjo nous plonge via son héroïne dans la terrifiante atmosphère de guerre des gangs du côté de Tijuana (on parle de 20 000 morts en 5 ans). Stéphanie Sigman joue Laura, jeune fille pauvre qui rêve de devenir reine de beauté d'un concours télévisé. Pas de chance, elle se retrouve prise dans une fusillade et tape dans l'œil du truand Lino Valdez (Noe Hernandez) qui la manipule pour la faire travailler dans son gang. Ballotée de passage d'armes à la frontière avec les USA en dépôt de cadavre, de torture en fusillades, elle est réduite à une chose dont on use et abuse, plongée dans un monde de cauchemar, absurde et violent, sans logique et sans espoir. La mise en scène de Naranjo, très pensée elle aussi, rend parfaitement ce sentiment d'impuissance en épousant au plus près le point de vue de Laura. Ce partit pris tenu de bout en bout lui permet de donner une certaine originalité à des scènes assez classiques (embuscades, fusillades), jouant sur le son et le hors champs. Quelques belles idées donnent de l'intensité et à chaque scène de l'originalité. C'est ainsi que le décor est plongé dans l'obscurité, que les balles se déchaînent autour d'une Laura couchée au fond de sa voiture, que la révélation finale passe par des paires de chaussures vues de dessous le lit où elle s'est réfugiée. Naranjo utilise aussi les cadrages pour donner à lire partiellement une action qui déborde sur les côtés ou dessous le cadre. Le réalisateur entretient habilement l'ambiguïté sur son couple principal. Laura, victime, n'en subit pas moins la fascination de son bourreau, sentiment mêlé de résignation. Lino laisse, lui, poindre un embryon de sentiment pour la jeune fille qui humanise un peu la bête. Mais comme le général chargé de le traquer, il abuse de Laura dans la même position plutôt avilissante. Bien qu'un peu systématique dans ses effets, Miss Bala ne manque ni de souffle, ni d'intensité, sans sacrifier à la réflexion sur un pays ravagé par la violence, réflexion toujours intégrée dans l'action (les échanges avec les USA, la corruption, le fonctionnement des gangs) sans la parasiter. Laura prend valeur de symbole et le jeu de Stéphanie Sigman en vaut bien d'autres plus acclamés.
Bonnes nouvelles en provenance d'Iran, les cinéastes Mohammad Rasoulof et Jafar Panahi tournent toujours en dépit de leur condamnation à ne plus exercer leur métier. Certes les films ont été faits en semi-clandestinité, c'est à dire qu'ils n'ont pas eu l'autorisation mais qu'on les a laissé faire, mais ils existent. Rasoulof a même été autorisé à se rendre à l'étranger et l'on a cru un moment qu'il viendrait à Cannes recevoir son prix de la mise en scène.
Bé omid e didar (Au revoir) a été présenté dans la sélection Un certain regard et s'il ne faut pas oublier le contexte ni les conditions de sa réalisation, il convient d'en parler en en faisant abstraction autant que possible. Et d'aborder l'œuvre en tant que telle. Bé omid e didar est le portrait d'une jeune avocate jouée par la talentueuse et belle Leyla Zareh (quelle robe elle avait lors de la présentation du film !). Spécialisée dans les affaires liées aux droits de l'homme, elle est enceinte. Son époux a été exilé dans le sud ou il travaille comme ouvrier sur un chantier après avoir été journaliste pour une publication interdite. Elle se voit retirer ses affaires. On l'empêche de travailler. Isolée socialement et professionnellement, elle jette l'éponge et veut partir. Quitter l'Iran. Elle entreprend alors une course d'obstacle pour se procurer un passeport et un ticket pour ailleurs. « N'importe où » dit-elle sans illusion. Visuellement, ce nouveau film tranche avec Jazireh ahani (La vie sur l'eau – 2004), au foisonnement des personnages répond la solitude de l'avocate tandis que le film décline toute une gamme de couleurs sombres et froides, un aspect renforcé par l'utilisation de la vidéo, qui se justifie par son côté pratique, bien sûr, mais aussi dans la description d'un quotidien bouché. Les intérieurs sont nombreux, bureaux, chambres d'hôtel et appartements, étroits et se ressemblants tous. Murs bleutés ou gris, mobilier impersonnel, pas de fantaisie. Pas de personnalité ou alors par toutes petites touches comme le vernis à ongles qu'il faudra enlever ou la petite tortue d'eau que l'avocate nourrit avec attention et qui finit, elle, par se faire la malle. La caméra de Rasoulof cadre avec rigueur les pièces où l'on ne peut rien cacher et les toits où son héroïne va griller une cigarette. Les mouvements sont rares et discrets, Rassoulof préférant jouer du montage et de plans séquence qui traduisent l'absence d'intimité et la sensation d'étouffement (la scène de la perquisition). Il s'attarde longuement sur les traits de Leyla Zareh tandis que le monstre étatique reste sans visage, comme cet étroit guichet où l'on fait passer les passeports pour les contrôler ou le bureau du responsable des faux passeports où l'on entre jamais. Kafka à Téhéran. Démarches toujours renouvelées, règne de l'arbitraire, violence feutrée, surveillance de tous les instants et toujours ce sentiment de danger qui ne quitte jamais et use les nerfs. Bé omid e didar est un film sur la difficulté qu'il y a à conserver l'espoir, exorcisme en forme de fiction des peurs et des angoisses présentes de son auteur. Il y a pourtant, de-ci, de-là, quelques touches humoristiques, cette légèreté que j'avais aimé dans Jazireh ahani. C'est un humour grinçant mais révélateur d'un regard porté sur les êtres. Ainsi l'employé qui vient retirer la parabole interdite de l'avocate, motif cher au cinéaste (voir son documentaire de 2008 Baad-e-daboor) ou le ballet inutile des policiers qui perquisitionnent. Mohammad Rasoulof nous livre un film sombre et carré, un autoportrait en avocate, il donne de ses nouvelles, inquiétantes en ce qui concerne l'homme, rassurantes en ce qui concerne son cinéma.
09:35 Publié dans Cinéma, Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cannes 2011, mohammad rasoulof, lynne ramsay, gerardo naranjo | Facebook | Imprimer | |