La chienne (02/08/2011)
« Le monde, mon ami, se divise en deux catégories. Ceux qui connaissent la nature du talent de Catherine Deneuve, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. »
Le bon, la brute et le truand - Traduction libre
Amicalement dédié à Luc.
Catherine Deneuve est une actrice de cinéma. Un actrice, c'est à dire qu'elle joue la comédie, et de cinéma c'est à dire que son travail est destiné à un art bien spécifique. Non content d'être du mensonge 25 images par seconde, le cinéma est un art du moins. Celui de l'émotion au coin de l'œil, du frémissement de la main, du vent dans les cheveux, du rire retenu, de l'écoute (important, l'écoute), du sourire esquissé, de la peur au fond de la prunelle, de la passion la plus dévastatrice dans l'imperceptible inclinaison de la tête. Et de dos. L'art du corps à sa place, à cheval, en voiture, derrière un bureau ou dans un train de banlieue. Le cinéma est l'art du presque rien qui dit presque tout et diffère en cela radicalement de la scène quelque soit sa forme. Au cinéma, l'acteur doit être avec la simplicité de l'évidence. A ce jeu, qui est celui d'un John Wayne, d'un Sterling Hayden ou d'un Marcello Mastroianni et qui demande rigueur et travail contrairement aux idées reçues, Deneuve est l'une des actrices de cinéma les plus remarquables. On peut et l'on doit repousser d'un revers de main les quelques ratés qui parsèment sa brillante carrière. Que celui qui n'a pas joué Genghis Kahn lui jette la première pierre. Et l'on pourra vérifier ce qui précède avec La cagna (Liza) réalisé en 1972 par Marco Ferreri d'après la nouvelle Melampusd'Ennio Flaiano qui signe le scénario en compagnie de Jean-Claude Carrière.
Ferreri fait partie de ceux qui ont fait de très belles choses avec Catherine Deneuve. D'une manière générale, Ferreri filme très bien les femmes, avec gourmandise, leur faisant faire des choses amusantes et érotiques, un brin provocantes aussi. Deneuve, dans La cagna est filmée magnifiquement. Elle est alors au sommet de sa beauté et Ferreri est capable de montrer quelque chose à travers cette beauté, quelque chose de l'ordre de ce qu'en avait montré peu avant Luis Bunuel.
Deneuve est donc Liza, jeune femme sophistiquée à la blondeur irradiante. Liza est une femme qui est là. Au début du film elle est sur un bateau, un beau yacht, riche yacht, croisant au large des îles de la bouche de Bonifacio. Elle saute du bateau parce qu'on lui conteste la façon d'être là (sur le bateau) et décide de rester sur l'île pour se chercher une place. Là. Sur l'île, il y a déjà un dessinateur, Giorgio joué par Marcello Mastroianni, tiens, qui est là, Robinson volontaire et solitaire avec son chien, Mélampo. Liza va prendre la place du chien parce que c'est la seule place disponible près de Giorgio qui a a fait le vide autour de lui. Ferreri décrit ce processus avec son style très direct. Pas de psychologie, beaucoup de retenue, une succession de gestes, de faits et de regards. De la même façon que rien ou presque n'était expliqué du comportement du quatuor de La grande bouffe qu'il réalisera l'année d'après. Alors, nous voyons Giorgio retirer un piquant d'oursin du pied de Liza en lui suçant, comme l'avait fait Sean Connery pour Luciana Paluzzi dans Thunderball (Opération tonnerre – 1965), puis il lui fabrique une paire de chaussures rudimentaires. Séduite, Liza provoque la mort du chien, s'empare de son collier et nous la verrons rapporter le bâton que jette Giorgio, lécher sa main, le mordre, se rouler en boule, le regarder de ses grands yeux, laper l'eau de la source et l'écouter parler, enfin, même si c'est difficile d'avoir la même qualité d'écoute que le chien. Un éclair, je me suis souvenu de la façon dont Deneuve avait aboyé pour Lars Von Trier.
Jeu érotique de soumission volontaire, jeu partagé, amour fou que rien ne va ralentir. Nous ne saurons pas vraiment qui entraîne l'autre dans son rêve avant de se rendre compte qu'ils le construisent de concert. Le regard caustique de Ferreri transite par la beauté de Deneuve car quelle que soit la situation, il ne cesse de mettre sa beauté en avant. La photographie de Mario Vulpiani qui a beaucoup travaillé avec le réalisateur met en valeur des portraits de l'actrice, filmée de près, sa blondeur très claire, irradiée de soleil, ses yeux couleur d'or brun, les lignes parfaites de son nez, ses lèvres, ses jambes et le galbe de ses seins sublimes quand elle apparaît le premier soir à Giorgio vêtue de sa chemise de nuit en satin. Apparition hollywoodienne qui subjugue littéralement l'homme-ours. « C'est du satin, ça glisse » dit elle avec ce qu'il faut d'ingénuité. Ferreri joue avec le contraste pervers entre cette image de quasi-déesse avec ses tenues griffées Yves St Laurent (évidemment, et rendons ici hommage à sa tunique blanche), et les actes de cette femme amoureuse qui veut jouer les Vendredi. C'est là que Catherine Deneuve montre combien elle est grande actrice de cinéma, restant sur le fil fragile d'une dignité ténue, ne tombant ni dans l'excès, ni dans le ridicule, sans forcer en apparence, avec une infinie élégance.
Et Ferreri travaille ainsi sa vision personnelle du couple face à cet univers désolé et fascinant, tout en roches rondes, féminines, comme l'est le refuge de Giorgio, sorte de bunker en forme de sein où il a réuni l'essentiel, où il travaille et vit. Où il accueille Liza. Petit univers hors du monde peuplé d'une bande son composée du bruit du vent, du ressac et des cris d'oiseaux. Univers clos semblable à celui de la villa de La grande bouffe. C'est par contraste encore que passe aussi la vision sombre que Ferreri a du monde, car si Giorgio est venu là, c'est bien pour le fuir, parce qu'il le dégoûte. Vers la fin du film, le dessinateur se rend à Paris. Il rencontre son éditeur, joué par Michel Piccoli, tiens, qui picole. Les deux hommes traversent les pavillons Baltard des anciennes halles promises à la destruction par la politique urbaine du redoutable bétonneur Pompidou. Un passé qui n'a plus sa place que Ferreri évoque en quelques plans bien sentis, portés par le symbolisme du chien agonisant que Giorgio caresse, impuissant.
Quelques années plus tard, Ferreri reviendra sur ces lieux avec Deneuve, Mastroianni et Piccoli. Il y fera un western dans ce qui est alors devenu le trou des halles : Touche pas à la femme blanche (1976). Ironie des grands espaces réduits à un terrain assez vague, un chantier au cœur de Paris. Horizons étriqués, nostalgie du rêve, comme celui de Giorgio et de Liza qui embarquent dans un improbable avion repeint en rose dont on doute qu'il puisse s'envoler. Mais ils y croient.
Photographie : 42 and pointless et She is french
22:49 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : marco ferreri, catherine deneuve | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Au-delà de Deneuve,l'un des meilleurs Ferreri que je connaisse. Cinéma libre et naturel, comme l'est à l'écran le basculement à l'état de "chienne". On est plus dans l'absurde, la pulsion et la passion que dans le scabreux. Comme dans "Dillinger", le rapport à la société est assez fascinant : Ferreri, en se décalant, semble parler du futur, un peu comme Antonioni (avec d'autres moyens, que tu juges, il me semble, moins séduisants...).
Écrit par : Edouard | 03/08/2011
Assurément Deneuve fait partie de ce que j'appelle " la magie du cinéma" qui n'est pas que de faire de beaux films mais aussi de belles rencontres actrices et réalisateur. C'est ce que plus modestement à mon niveau, j'essaye de faire avec mes courts métrages.
Comme disait Truffaut : " ... de jolies choses à de jolies femmes."
Il nous faudra pardonner à Luc dont la culture cinéma est moins étendue et ne tient pas compte de toutes les décennies de génies du cinéma, surtout les premières qu'à eu la chance de côtoyer Catherine Deneuve.
Écrit par : philippe frey | 03/08/2011
Édouard, je ne sais pas s'il parle du futur, mais ce qu'il montre, c'est certainement toujours très actuel. J'ai vraiment beaucoup aimé ce film, même si je garde une admiration particulière pour "La grande bouffe". Pour Antonioni, c'est plus une question de style. Il n'a pas à mes yeux ce côté libre et naturel dont tu parles. Côté moyens, si l'on pense à Monica Vitti, c'est juste, il se sert de sa beauté un peu du même ordre, d'une manière proche.
Philippe, je sais que tu partages mon admiration pour la Grande Catherine. Maintenant, Luc peur très bien ne pas être sensible à son style, il n'est pas le seul :) C'est vrai aussi que son image a évolué avec le temps et certains films, elle mêle toujours habilement projets grand public et choses plus risquées.
Écrit par : Vincent | 03/08/2011
Je suis heureux d'avoir pu inspirer une telle verve en hommage a une comedienne que tu admires tant, Vincent.
En contrepartie, je m'engage a regarder un des films que tu as cite, pour etre sur de ne pas passer a cote d'une grande comedienne.
Écrit par : L U C | 07/08/2011
Comme tu le dis si bien Vincent, c'est tout à fait le droit de Luc de n’être pas sensible au style de Catherine Deneuve mais il faut vraiment de ne pas être réducteur et lui reconnaitre que c'est une des plus belles filmographie d'actrice française. Je viens de revoir le film anglais REPULSION de Roman POLANSKI, un de ses premiers films : Deneuve est impressionnante et crédible dans le rôle d'une femme qui perds la raison et s'enfonce dans une terrible paranoia !
Écrit par : philippe frey | 07/08/2011
J'étais avec Valérie en République Tchèque lors de mon premier commentaire (d'où un texte sans accent).
J'ai un peu plus de temps pour répondre (et un peu plus d'accents).
Je ne reviens pas en arrière sur la question du talent de Catherine Deneuve : cela reste en suspens et je me prépare à (re)visionner quelques-uns de ses films. OK.
Je souhaite reprendre une phrase du texte de Vincent : « le cinéma est un art du moins » : cela me semble sinon inexact, en tout cas incomplet. Cet art du moins n'est à mon avis qu'une des pistes qu'offre le 7ème art. Et c'est d'ailleurs la même chose au théâtre. Vincent, toi que j'ai connu au Théâtre de l'Alphabet, tu te souviens peut-être qu'Henri Legendre plaidait pour un théâtre tout en finesse, où le public pouvait découvrir des émotions subtiles sur un frémissement du visage de l'acteur.
A l'inverse, rappelle-toi du rire systématique qui nous prend tous les deux à la vue de « la Soupe aux Canards », directement inspiré de l'expérience des marx Brother's au Music-Hall.
Je ne renie pas la branche du "presque rien", mais il me semble que c'est une des multiples branches d'un arbre très fournis (le 7ème art-bre) !
Écrit par : L U C | 10/08/2011
C'est amusant, Luc, tu es le second a me dire qu'à l'étranger, ils n'ont d'accent. les pôvres.
Sur "l'art du moins", je me souviens des options d'Henri quoique si me je rappelle "Fando et Lis", cela illustre bien ce que j'avance. Je suis d'accord pour ne pas limiter le cinéma à cette branche et je ne veux surtout pas dire que le théâtre manque d'une certaine forme de subtilité, mais je pense que par essence, ce qui est spécifique au cinéma est sa possibilité de montrer le presque rien. C'est d'ailleurs plus une question technique qu'artistique, technique qui permet certaines options artistiques. Par exemple le gros plan chez Sergio Leone.
Je vais évoquer un vieux souvenir d'enfance. Ma grand-mère nous avait emmené au Châtelet voir l'opérette tirée des "Trois mousquetaires". C'était une mise en scène à grand spectacle avec des chevaux sur scène, décors luxueux, etc. A un moment D'Artagnan prend un petit portrait sur un bureau et nous dit que c'est une très belle femme. Le cadre est de dos, le héros face au public. Je me souviens encore m'être attendu à voir le portrait, le gros plan du visage, avant de me rendre compte que j'étais au théâtre et que ce n'était pas possible.
Au théâtre, c'est l'acteur qui nous y fait croire et nous informe avec son jeu et le texte. Au cinéma, c'est la mise en scène (échelle de plans, coupe) qui peut nous faire voir le portrait et la réaction sur le visage de l'acteur, sans paroles.
Écrit par : Vincent | 25/08/2011