06/10/2016
Un film saignant
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04/10/2016
Rose, bleu et rouge sang
Hommage à Hershell Gordon Lewis (1929 - 2016)
Blood feast (1962) - Photographie DR
19:17 Publié dans Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Imprimer | |
22/09/2016
M pour meurtrier, L.A. pour Los Angeles
M (1951) un film de Joseph Losey
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Remake est un mot américain mais ce n'est pas de sa faute. Il signifie « refaire » et en matière de cinéma, il s'agit de refaire un film déjà fait par ailleurs et ce, le plus souvent, pour de mauvaises raisons. Il y a bien quelques contre-exemples, mais pour moi, c'est exceptionnel. Un remake c'est une idée de producteur ou de studio qui cherche à s'appuyer sur un concept ou un succès pré-existant. Pour peu que l’œuvre d'origine soir aboutie, il y a quelque chose de vain à vouloir revenir dessus. Le film signé Joseph Losey en 1951 pour la Columbia est donc le remake du M réalisé par Fritz Lang en 1931, film abouti s'il en est. Les deux versions ont été produites par Seymour Nebenzal, allemand ayant comme Lang fuit le nazisme en Amérique. J'ignore les motivations de Nebenzal, mais en ce qui concerne Losey, c'est un travail de commande pour lequel il était réticent au départ. En 1950, Losey jeune réalisateur prometteur et engagé est dans le collimateur de la commission des activités antiaméricaines pour sa proximité avec le partit communiste et voit sa carrière menacée. Il accepte donc le projet tout en se voyant refuser la possibilité de s'écarter trop du film de Lang. La censure du code de production n'accepte cette histoire de tueur d'enfants traqué à la fois par la police et par la pègre, que grâce à la dimension de classique du film allemand. Malgré ces différentes contraintes, Losey va parvenir à donner à M une dimension propre même si, et quoiqu'en pense Bertrand Tavernier dans sa défense enthousiaste du film pour cette édition Sidonis restaurée, il m'a été impossible de faire abstraction du film de Lang.
Le scénario de Norman Reilly Raine, Leo Katcher et Waldo Saltz étant tenu par celui de Fritz Lang, Thea von Harbou, Paul Falkenberg, et Adolf Jansen, le film possède la même structure et une grande majorité de scènes similaires que son modèle. A la vision de l’œuvre de Losey, un grand nombre d'images fonctionnent comme autant de signes, de repères attendus : la balle qui roule, le prénom de la petite fille, Elsie, le ballon dans les fils du téléphone, l'attente de la mère, l'aveugle, la musique, la vitrine du magasin de jouets, la lettre « M » dans le dos du meurtrier, la fouille de la chambre, et ainsi de suite. Si Joseph Losey, qui est un grand metteur en scène, reprend ainsi de nombreuses images de Lang, comme les plans d'escaliers lors de l'attente de la mère d'Elsie, c'est tout simplement parce que sont des images d'une force peu commune et que Losey, le sachant, ne cherche pas à se distinguer à tout prix. Mais il ne fait pas pour autant un décalque du film original. Losey a l'intelligence de s'approprier le film par les moyens propres du cinéma et le processus de transposition du récit de l'Allemagne de 1931 au Los Angeles de 1950. C'est l'arrière-plan contemporain que Losey filme avec talent et sensibilité qui donne son prix au film. Le réalisateur utilise le récit pour un commentaire assez fin sur certains aspects de son époque, dans le même esprit que Lang évoquait la sienne. C'est là que les deux cinéastes se rejoignent par leur regard lucide et rigoureux. Enfin, l’utilisation de l'acteur David Wayne dans le rôle de l'assassin permet à la fois d’éviter la redoutable comparaison avec Peter Lorre et d’infléchir la vision du personnage que Losey voit moins comme un monstre que comme un malade. Losey joue alors sur un physique très américain moyen de l'acteur, fondu dans la ville, à l'inverse de la composition plus expressionniste de l'immense Lorre, à la limite du fantastique.
Jouant à fond les codes du film noir, aidé par une superbe photographie en noir et blanc du hongrois Ernest Lazlo qui avait filmé les rues de San Francisco pour Arthur Lubin dans Impact (1949) et Rudoplph Maté dans D.O.A. (Mort à l'arrivée) l'année suivante, Losey donne un portrait désormais précieux de Los Angeles, ville sans cesse en mouvement. Il plante son action et sa caméra dans des quartiers amenés à disparaître dès les années soixante, ouvre le film par un plan superbe pris depuis la cabine du funiculaire Angel's flight, fait vivre son héros à Bunker Hill, le fait prendre une pause sur une colline qui domine un pan de la ville ou s'enfuir dans d'immenses escaliers. Le clou du film se situe dans un vaste immeuble de bureau, le Bradbury building utilisé dans de nombreux films dont, trente ans plus tard, le Blade Runner de Ridley Scott. Cet immense décor tout en galeries intérieures, verrières, ascenseurs et ferronneries, à la fois gothique et moderne offre un cadre grandiose à la chasse à l'homme des truands à la recherche du tueur. Celui-ci est bloqué dans un magasin de mannequins, un décor qui inspirera peut être Stanley Kubrick pour Killers's kiss (Le baiser du tueur – 1955). Toute cette utilisation dramatique du réel trouve un équivalent au travail de Lang tout en étant original, très américain, et possède désormais, comme de nombreux films noirs, une valeur documentaire fascinante. Autre aspect proche, la description d'une population. Losey peuple ses décors de personnages secondaires et de figurants criants de vérité. La mère d'Elsie est emblématique de cette qualité du film. Son intérieur est le portrait précis d'un logement américain de la classe modeste en 1950. Le personnage joué par Karen Morley croisée dans le Scarface de Howard Hawks en 1932, a les mêmes qualités de justesse que celui joué par Ellen Widmann pour Fritz Lang. Je pourrais multiplier les exemples de la manière dont le réalisateur rend la sociologie de la ville, sa prise en compte d'une population mélangée, blanc, noirs, asiatiques mêlés. Comme Lang, il utilise cette description pour nourrir une réflexion sur son temps. Il montre la population traumatisée par les crimes successifs du tueur et les réactions engendrée par la peur. Dans la police, il y a en contrepoint de l’inspecteur débonnaire un policier prêt à s’asseoir sur le droit pour coincer sa proie, chez les truands, les réflexes de survie engendrent une traque impitoyable et un simulacre de procès ô combien ironique, chez les gens ordinaires se développe une paranoïa ordinaire qui échauffe les esprits et fait ressortir des envies de lynchage. C'est une vision dure mais lucide d'une humanité au vernis de civilisation fragile. C'est la tentation du nazisme chez Lang, celle du maccarthysme chez Losey. Petite pointe amusante, quand une femme affirme avoir vue une robe rouge, son époux lui demande si elle n'est pas communiste.
L'autre façon dont Joseph Losey arrive à faire passer ses idées dans la structure langienne, c'est dans sa vision du tueur. Martin W. Harrow est un américain bien moyen en quelque sorte. Avec son costume sombre, sa mise impeccable et son visage lisse, l'assassin est parmi nous, pour paraphraser le sous titre du film de Lang, et plus encore pour Losey, il fait partie de nous. Si la mise en scène rappelle sans cesse sa solitude dans la grande mégapole, elle tente en quelques scènes de nourrir son mystère. Il y a là quelques idées propres à Losey et ses scénaristes comme la fascination de Harrow pour les chaussures de ses victimes qui causeront sa perte, ce passage aussi beau que glaçant où, couché sur son lit, le visage dans l'ombre, il joue avec un lacet, la poupée de glaise qu'il décapite devant la photographie de sa mère. Tentation de la psychanalyse que l'on va retrouver dans l’impressionnant monologue final. Pas toujours convainquant, mais méritoire. Tout aussi original, Losey tente un étrange rapprochement entre le tueur et ses victimes. Sa part d'enfance est montrée à plusieurs reprises, comme cette fascination devant le train électrique ou sa gène devant la femme qu'il croise en sortant de chez lui. Losey développe cette idée en introduisant une petite fille dans la scène finale, personnage absent du film de Lang. Renonçant à la tuer, Harrow la protège et la couvre de sa veste quand ils sont coincés dans le magasin et que la fillette s'endort. Losey et son interprète empruntent alors un biais par rapport au personnage plus mystérieux, plus hors norme joué par Peter Lorre.
Le film de Losey, loin de sa réputation d'échec complet, possède bien des mérites. Sa restauration et cette édition DVD devraient permettre de le découvrir et de le sortir de l'ombre de son prestigieux modèle. Il me semble même que le jeu des comparaisons peut être stimulant. Lang et Losey dans la forme comme dans le fond partagent une certaine façon d'envisager le cinéma et de pratiquer son langage. Leur approche du film noir, ses dimensions sociologiques, morales, plastiques ; les liens qu’entretient ce genre et l’expressionnisme allemand, montrent un ensemble de convergences passionnantes. De là à mettre de côté ce que le second doit au premier, il y a un pas que l'on me permettra de ne pas franchir.
Photographies DR et Deutsche Kinemathek
18:36 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joseph losey, fritz lang | Facebook | Imprimer | |
20/09/2016
Relax (6)
Clint Eastwood bronze tranquille sur le plateau de Where eagles dare (Quand les aigles attaquent - 1968) le film d'aventures guerrières de Brian G. Hutton. Photographie DR, source This is not porn.
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18/09/2016
Le noir, le rouge et le poulet blanc
Charley one-eye (Charley le borgne - 1972) un film de Don Chaffey
Texte pour Les Fiches du Cinéma
C’est un joli lapsus de la part d’Alain Petit dans sa présentation du film : « Charley one-eye ne ressemble à… je ne veux pas dire à rien (rires) ». S’il ne veut pas le dire, moi je peux l’écrire, Charley one-eye ne ressemble à rien, à rien de connu, à aucun autre western et pourtant j’en ai vu pas mal, et des plus étranges. Non, ce film mis en scène par Don Chaffey en 1972 est une épure de western qui ferait passer Demofilo Fidani pour Cecil B. De Mille. Trois personnages, une poignée de figurants dont Aldo Sambrell et Rafael Albaicín, deux familiers du western à l'italienne, quelques poules, un bout de désert et une ruine, on s’étonne même de voir apparaître quatre chevaux à l’écran. Quatre chevaux en même temps je veux dire, encore que ce sont peut être des mules. Charley one-eye a le minimalisme des premiers films de Philippe Garrel mais c’est beaucoup bien moins filmé. Charley one-eye ressemble à certains dispositifs théâtraux d'Arrabal où à du Alejandro Jodorowsky sans le côté baroque. C'est dire si Charley one-eye se situe aux limites des terres connues. Le film demande une certaine dose de patience pour ne pas être tenté de l'envoyer au diable dès les premières minutes. Dans le désert, un ex-soldat noir en fuite rencontre un indien avec un pied bot qui ne semble pas très futé et parle peu, même pour un indien. Les deux hommes vont entamer une étrange relation. C'est d'abord un rapport de dominant-dominé qui va évoluer en une amitié forgée dans la lutte pour la survie. Perdus dans une contrée hostile, agrémentée d'un chasseur de primes qui course l'ex-soldat et de mexicains peu amènes, les deux hommes trouvent refuge dans une vieille église. La désolation devient une protection. Un puits et quelques poules, le rouge et le noir se créent un petit monde, vite rattrapé par la violence. Comme un symbole, l'indien se prend d'amitié pour un poulet borgne, le Charley du titre, dont il se sent proche, entre estropiés. Cet étrange rapport contient toute la part de douceur, voire de tendresse, d'un film âpre au possible.
Raconté comme cela, le scenario de Keith Leonard dont c'est l'unique contribution au cinéma, est attirant et plein de promesses. Mais le traitement peine à convaincre. La photographie de Kenneth Talbot qui s’était illustré dans le fantastique de la Hammer Films est assez laide, incapable de compenser la direction artistique réduite au strict minimum. La mise en scène est pourtant signée Don Chaffey, réalisateur britannique comme le film, une des rares incursions des anglais dans le genre. Chaffey a réussi quelques belles choses dans le film d'aventures pseudo-historiques comme Jason and the Argonauts (Jason et les Argonautes – 1963) avec les squelettes de Ray Harryhausen, ou One million years B.C. (Un millions d'années avant J.C. - 1966) avec Raquel Welch vêtue de peaux de bêtes. Mais Charley one-eye se situe en équilibre instable entre épure et pauvreté, entre audace et ridicule. Les acteurs se tiennent tant bien que mal sur ce fil. Le soldat noir est joué par Richard Roundtree sortant du succès de Shaft (1971) où il incarnait le héros emblématique de la Blaxploitation. Roundtree joue sans nuance, dans l'exagération et l'hyperbole à coup de jurons et de grands gestes. Il fait de son personnage une grande gueule pas vraiment sympathique. A contrario, l'indien est incarné avec minimalisme par Roy Thinnes, passé à la postérité par son rôle de David Vincent, celui qui a vu les envahisseurs dans la fameuse série télévisée de la fin des années soixante. Portant un maquillage aussi délabré que les décors, Thinnes est difficilement crédible en indien. Il fait même parfois de la peine, l'acteur, pas le personnage. Je m'attendais par moments à ce qu'il se lève pour quitter le plan et le film, mais nous sommes au cinéma et il est resté. Son abnégation à jouer cet étrange personnage finit par forcer un certain attachement. Nigel Davenport complète le trio en impitoyable chasseur de prime. Vu chez Michael Powell, et André De Toth, ce pur britannique est le seul qui semble s'amuser avec un personnage bien affreux. Pourtant, au final, je dois reconnaître que les forces contraires des jeux rendent intéressantes les relations entre les personnages. Mais à force de miser sur les symboles, sur la déconstruction du genre, sur le dilué des sentiments, Chaffey offre un film-limite, trop sec, intriguant sans être fascinant, un objet conceptuel où les intentions louables se sont perdues dans la poussière du désert.
Photographie Cineplex
10:00 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : don chaffey | Facebook | Imprimer | |
17/09/2016
La Pampanini se brosse
Joli sourire mutin et ferme coup de brosse pour l'une des grandes actrices italiennes des années cinquante, Silvana Pampanini. la photographie, peut être bien posée pour la cause publicitaire, date de 1953. © AFP.
15:59 Publié dans Les joies du bain | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : silvana pampanini | Facebook | Imprimer | |
05/09/2016
Au commencement, étaient les Lumière
Lumière !
Texte pour les Fiches du Cinéma
Le samedi 28 décembre 1895, les frères Lumière, Louis et Auguste, organisent avec l'aide de leur père Antoine la première projection publique de cinéma. On disait alors : cinématographe. L’événement a lieu dans le salon indien, au sous-sol du Grand Café de l'hôtel Scribe sis au 44 boulevard des Capucines, à Paris. L’événement est de petite importance, n'attirant que 33 spectateurs payants à 1 franc la place. Parmi eux, Georges Mélies. Conviée, la presse n'a pas fait le déplacement. Tant pis pour elle. C'est le chef mécanicien Charles Moisson, constructeur de l'appareil, qui officie sur le projecteur servant aussi de caméra. Au programme, dix films, dix petits morceaux de temps de moins d'une minute chacun. On disait alors : « Vues Lumière ». La poignée de spectateurs du salon indien découvre ainsi La sortie de l'usine Lumière à Lyon et Le repas de bébé. Heureux gens qui sont au bon endroit au bon moment. C'est la première sortie officielle du septième art qui va très vite rencontrer le succès. Il y avait eu tout au long de l'année des projections destinées à des audiences de scientifiques et de professionnels. La toute première représentation privée du Cinématographe Lumière se tient le le 22 mars dans les locaux parisiens de la très sérieuse Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale. Et tout au long de 1895 sont tournées les Vues Lumière qui vont composer le programme du 28 décembre. Un ensemble d’événements qui tendent vers cette soirée marquant le début d'une aventure gigantesque qui dure aujourd'hui depuis 120 ans et des poussières.
Louis et Auguste, des scientifiques
Ces quelques rappels historiques effectués, vous pouvez mesurer l'importance de l'édition proposée par l'Institut Lumière d'un coffret qui regroupe en versions restaurées, rien moins que 114 films des origines du cinéma. Certes, vous et moi avons entendu parler et peut être vu L’arrivée d'un train en gare de la Ciotat et L'arroseur arrosé. Mais ce programme majestueux est une révélation, une grande bouffée d’exhalation provoquée par cette plongée émouvante dans le passé, si riche, si diverse et surtout si vivante. Car ce que je retiens en tout premier lieu de ces 114 moments de temps arrachés à son fleuve inexorable, c'est combien le cinéma est un art de la vie. Et combien tous ceux qui se sont engouffré à la suite de Jean Cocteau sur le concept du cinéma comme « La mort au travail » se sont fourvoyés. A moins qu'ils n’aient été quelque peu dépressifs. En fixant le temps par son procédé d'illusionniste jouant sur la persistance rétinienne, le cinéma arrache la vie au temps et à l'oubli. Prisonnier dans la bobine du film, le morceau de temps filmé est obligé, à volonté, de revenir en arrière et de rejouer sa durée de manière toujours identique. La vie est ainsi préservée avec une précision qui explique sans doute le succès durable de cet art. Les Vues Lumière n'ont pas vieillit d'un poil et nous sont restituées dans toute leur immédiateté. Le spectateur peut ressentir comme au moment du tournage les ambiances, les odeurs, les mouvements, les sons mêmes. Le travail des opérateurs est encore vierge de toute référence, plein de l'enthousiasme de la première fois, et permet de capter avec force le réel, y compris quand ce réel est, déjà, mis en scène. Reconstitué serait plus juste. Il y a quelque chose de fondamental dans l'émotion que l'on ressens alors et qui, à y réfléchir, n'a cessé d'être présente dans tant de films, les bons comme les moins bons, quand ils captent quelque chose qui devient précieux quand il s'éloigne et qu'on le perd. Les villes que nous avons habitées, les paysages que nous avons parcouru, celles et ceux de nos parents, de nos grands parents et plus loin encore les mondes que la littérature et la peinture nous ont décrit. Comme le dit Thierry Frémaux, sur certaines vues de Paris, les Champs-Élysées ou le jardin du Luxembourg, c'est le monde de Proust qui soudain s'anime, existe, vit.
La pellicule Lumière, avec ses perforations rondes
Il serait fastidieux et inutile de tenter de commenter tous ces films. Il est évident que le cinéma pratiqué par les Lumière et leurs opérateurs est déjà en pleine possession de ses moyens. La découverte de ces films permet de voir naître les bases toujours valables de la grammaire cinématographique : le travelling quand l'opérateur se place sur un train ou un vaporetto pour remonter le Grand Canal de Venise, l'art du cadre avec les entrées et sorties de champ, et ce film superbe construit sur trois plans horizontaux : les lavandières au bord de l'eau, le talus intermédiaire et la route en surplomb où passe un attelage. Il y a déjà les diverses échelles de plan, les intuitions géniales comme ce bocal à poissons filmé de tout près, la caméra portée embarquée sur une baleinière, l'utilisation de la profondeur de champ dont l'étendue est impressionnante, y compris pour nos standards techniques actuels. Il y a les premiers trucages, involontaires sans doute, qui deviendront la spécialité de Mélies, le jeu amusant qui consiste à passer le film à l'envers pour la destruction d'un mur, les premiers montages à l'instinct quand l’opérateur arrête la machine pour changer son cadre, le sens du rythme, de l'image forte et de la juste distance au sujet comme ce très beau film montrant une petite fille jouant avec son chat. Il y a encore le regard caméra, la faculté à intégrer l'inattendu comme l'officier sans doute ignorant du tournage qui vient perturber la prise de vue de l’entraînement des chasseurs alpins. Il y a le goût de l'expérimentation comme filmer le passage d'un train dans un tunnel, la recherche de la lumière qui restera la grande affaire du cinéma. Il y a le rire, le suspense, l'émotion, et le goût du spectacle, celui des grandes catastrophes aussi avec pompiers, inondations, explosion d'un navire cible, impressionnants feux de puits de pétrole à Bakou. Il y a tout, même la couleur dans une délicieuse danseuse coloriée à la main dont la tenue change de teinte à chaque mouvement.
Avides de tout voir et de tout montrer, les Lumière et leurs opérateurs comme Gabriel Veyre ou Alexandre Promio, vont filmer plus de 1400 Vues, avec de nombreuse petites scènes, soit de fiction plutôt comiques, soit de la vie de tous les jour où la famille est souvent mise à contribution, de nombreux films de voyages avec une étonnante démonstration d'arts martiaux au Japon, des vues des quatre coins du pays, villes et campagnes, des documentaires sur les métiers (pêcheurs, forgeron...), des films de reportage qui s’apparentent à de l'actualité, des événements comme les catastrophes déjà citées où l'inauguration d'un navire, et les grands de ce monde qui veulent très vite se faire filmer, et puis quelques œuvres inclassables. De ce voyage sur la terre d'il y a 120 ans, restent aussi quelques détails incongrus, ravissants. Je citerais cet homme à vélo qui sort de l'usine Lumière et qui manque de se casser la figure, le petit homme qui attend le train en gare de Perrache avec un casque colonial digne du major Fatal de Moebius, le joueur de boules sautillant comme un ludion, le naturel de certains enfants dont les petits asiatiques qui suivent l'opérateur dans un film tourné dans la brousse, la moustache du rameur dans la baleinière, le regard (sans doute involontairement) critique sur le colonialisme quand deux « dames » s'amusent à jeter des pièces trouées à des enfants des rues, les regards qui cherchent où se poser, fascinés par l'objectif. C'est la puissance d'évocation d'une époque qui s'anime et déborde les cadres pourtant composés avec soin. C'est la vie qui éclate en dépassant les intentions des créateurs d'images. C'est toute la puissance du cinéma.
Dans cette belle édition, les films sont proposés, au choix, avec une très belle musique de Camille Saint-Saëns et avec des commentaires de Thierry Frémaux. Un second disque propose deux documentaires, des entretiens avec Frémaux et Bertrand Tavernier, dont l'enthousiasme fait plaisir à voir, et les recréations de La sortie de l'usine Lumière à Lyon par quelques cinéastes contemporains dont Pedro Almodovar ou Michael Cimino qui réalise là son dernier film. Les deux documentaires méritent que l'on s'y arrête un moment.
Lumière est une réalisation de Paul Paviot tourné en 1953. C'est une manière de docu-fiction de 23 minutes qui mêle quelques Vues Lumière à des passages documentaires dont une intervention d'Auguste Lumière un an avant sa disparition, et des reconstitutions jouées, les moments clefs de l'invention et de la fameuse séance du 28 décembre. Paul Paviot venait de réaliser une délicieuse parodie fantastique Torticola contre Frankensberg avec Michel Piccoli en monstre. Il se révèle ici plus à l'aise avec les parties de fiction, la partie documentaire étant alourdie d'un commentaire bien dans l'esprit de l'époque, édifiant, didactique, dit avec beaucoup trop de sérieux par Abel Gance. Louis Lumière est une pièce de choix datant de 1968, réalisée par Eric Rohmer pour la télévision scolaire. Rohmer, c'est peu connu, a travaillé à plusieurs reprises dans ce cadre. Là, il profite d'une projection des Vues Lumière à la Cinémathèque française pour filmer une conversation avec Jean Renoir et Henri Langlois. Respect. Un plateau prestigieux d'autant que Rohmer ne s'en tient pas à son rôle d'animateur mais intervient et donne son avis en participant à la conversation comme un troisième homme caché. C'est aussi émouvant que passionnant, cela respire l’intelligence et la passion du cinéma. L'intervention de Langlois m'a particulièrement impressionnée. Sa vision de la mise en scène dans les Vues Lumières est d'une grande précision et illustre bien les qualités de l'immense passeur qu'il a su être. Ces deux films montrent aussi que d'une époque à l'autre, de Gance à Frémaux, de Renoir à Tavernier en passant par Rohmer, l'héritage des Lumière n'a jamais été perdu, que cet esprit de vie du cinéma n'a cessé d'être transmis et, c'est le plus important, à être montré.
Photographies DR et DVD Classik
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09/08/2016
Des images pour l'été (2)
Maureen O'Sullivan en Jane dans Tarzan and his mate (Tarzan et sa compagne) réalisé par Cédric Gibbons en 1934. c'est la belle époque où elle porte encore le bikini échancré. Photographie MGM.
18:20 Publié dans Actrices, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cédric gibbons | Facebook | Imprimer | |
03/08/2016
Des images pour l'été (1)
C'est l'été, les vacances, le temps de prendre un peu le large. C'est un bon moment pour vous laisser avec une série d'images glanées ici et là, surtout là en fait. Pour commencer une série de photographies d'exploitations d'un western dit "Zapata" fameux, Quien sabe ? (El Chuncho - 1966) réalisé par Damiano Damiani dont je vous avait parlé il y a un bon moment déjà. DR.
21:13 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : damiano damiani | Facebook | Imprimer | |
23/07/2016
1990, la belle américaine
L’équipe de Zoom arrière entre dans la dernière décennie du XXème siècle. Et cette belle année 1990 m'apparaît comme très américaine, même si d'ici et d'ailleurs viennent quelques beaux films. Mais quand même, en 1990 sortent en France des films aussi personnels que réussis, à commencer par ceux de Steven Spielberg et de Clint Eastwwod. C'est le temps des fantômes bienveillants et des avions argentés, de l'Afrique et du cinéma, d'une épopée de la guerre de Sécession et d'une contre épopée du Vietnam où Tom Cruise montre qu'il peut jouer. C'est le temps de femmes d'exception, Michelle Pfeiffer se roulant en robe rouge sur le piano de Jeff Brigdges tandis qu'Ellen Barkin coince Al Pacino (enfin sortit du purgatoire) contre le mur "Qu'est-ce que tu cherches ?". C'est le temps de superbes polars sombres signés Sidney Lumet et Mike Figgis où Nick Nolte et Richard Gere dévoilent des registres inattendus et inquiétants, de l’œuvre élégante d'Abel Ferrara habitée par un Christopher Walken aristocratique. Un prince. Le film distingué par l'équipe peut rejoindre sans peine cette catégorie, signé Martin Scorcese qui revient à ce qu'il fait de mieux. C'est le temps de films étranges, l'aventure de Joe contre le Volcan, le retour des bestioles de Joe Dante et les états d'âme de Woody Allen. C'est le temps du grand retour des studios Disney avec une merveilleuse aventure aquatique. il y en aurait quelques autres à ajouter, la science fiction de Paul Verhoeven, les machinations de John Dahl, le cas de conscience de Brian de Palma, mais il faut savoir s'arrêter. Voici donc 1990 en 12 films Made In USA.
Photographies DR (Universal, Disney, UGC).
12:52 Publié dans Blog, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : zoom arrière | Facebook | Imprimer | |
20/07/2016
Viol et châtiment
Autostop rosso sangue (La proie de l’auto-stop - 1977), un film de Pasquale Festa Campanile
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Le réalisateur italien Pasquale Festa Campanile est connu d'abord pour ses comédies et sa manière sensuelle de filmer les femmes. Rire et érotisme avec ce sens de la satire qui fait la gloire de la comédie all'italianna sont ses deux marques de fabrique. Il aura déshabillé et fait défiler devant sa caméra Catherine Spaak dans La matriarca (L'amour à cheval - 1968), Laura Antonelli dans Il merlo maschio (Ma femme est un violon - 1971), Edwige Fenech et Bernadette Laffont dans Il ladrone (Le larron – 1980), et encore Agostina Belli, Ornella Muti, Barbara Bouchet et Lilli Carati qui fut sa compagne. Festa Campanile ou l'homme qui aimait les femmes. Au sein de cette filmographie, Autostop rosso sangue (La proie de l’auto-stop) qu'il tourne en 1977, jure quelque peu. Il s'agit d'un thriller violent, très sérieux, avec des pointes de sadisme et une bonne dose de cynisme. Walter et Ève Mancini forment un couple d'italiens qui voyage en Californie. Les époux sont en pleine crise, Walter est un journaliste frustré qui boit et fait payer ses lâchetés à sa femme. Ève de son côté, quoique moins perturbée en apparence, entretient et encourage une relation sadomasochiste avec son mari. Le couple va prendre en auto-stop Adam (!) Kunitz qui va se révéler un bandit en cavale, psychopathe et donc très dangereux. Autostop rosso sangue est un mélange de road movie et de huis clos électrisant, relevant d'une lignée particulière de films produits dans les années soixante-dix que l'on appelle désormais les « rape and revenge ».
Les éditions Artus rééditent l’œuvre atypique de Festa Campanile dans une très belle édition qui comprend une copie superbe et un petit livre autour de ce sous-genre particulier. Un livre écrit par David Didelot avec force érudition et illustrations. Le lecteur cinéphile s'y reportera pour tout apprendre sur le « rape and revenge » soit : le viol et la vengeance. Je me contenterais ici de rappeler que le film fondateur en est The last house on the left (La dernière maison sur la gauche) film-culte signé Wes Craven en 1972 et inspiré par Jungfrukällan (La source – 1960) d'Ingmar Bergman ce qui fait bien dans le tableau. A dire vrai, nous sommes en présence d'une sous catégorie du film de vengeance, qui se mange froide comme chacun sait. Et depuis que le cinéma raconte des histoires de vengeance, les scénaristes savent qu'il est mieux d'avoir un bon motif pour le vengeur. L'humiliation est un bon motif qui renforce l’empathie avec le spectateur et l'humiliation sexuelle, le viol, apporte une dose d'horreur supplémentaire qui peut être plus poignante, ou plus racoleuse selon le degré de délicatesse du réalisateur. Dans nombre de westerns, le meurtre d'êtres chers qui va motiver la chasse du héros est souvent lié à des violences sexuelles, que l'on se souvienne de The searchers (La prisonnière du désert – 1956) de John Ford. Avec le recul de la censure tout au long des années soixante, le lien entre viol et vengeance va se faire de plus en plus prégnant, visant le plus souvent à provoquer un sentiment de malaise qui va culminer dans quelques scènes aussi célèbres que difficilement soutenables. Je pense ici au point culminant de Deliverance (1972) de John Boorman. David Didelot explique comment les italiens se sont emparés des codes de ces œuvres marquantes pour nourrir un filon de films de genre dont Autostop rosso sangue est l'une des plus belles réussites.
La mise en scène de Pasquale Festa Campanile y est pour beaucoup. Le maestro de la comédie érotique s'y révèle doué pour faire monter la tension et pour l'action. Avec ses scénaristes Ottavio Jemma et Aldo Crudo, il propose un récit tendu qui recèle plusieurs coups de théâtres souvent surprenants et qui fonctionne d'autant mieux que les personnages principaux sont assez intéressants pour que l'on s'intéresse à ce qui leur arrive au delà de la simple mécanique du thriller. Ottavio Jemma est un collaborateur régulier de Festa Campanile, un scénariste tout terrain. Aldo Crudo est d’abord un écrivain spécialisé dans le Giallo, la série Noire à l'italienne, avec près de quatre cent romans qui se déroulent le plus souvent en Amérique. Son apport semble essentiel pour ce film qui est censé se passer en Californie mais qui a été intégralement tourné dans les Abruzzes. L'illusion, sans être parfaite, est parfois confondante. Le décor de la station service par exemple est plein de petits détails justes même si l'on voit apparaître la bonne trogne de Ignazio Spalla en barman. Et la photographie de Franco Di Giacomo et Guiseppe Ruzzolini ajoute une touche de sophistication (vestes espaces ensoleillés, couchers de soleils, scènes nocturnes aux noirs profonds) qui séduit. Tous les deux ont travaillé pour le Giallo avec Aldo Lado ou Dario Argento et Ruzzolini a collaboré avec l'exigeant Sergio Leone. Les deux hommes ont une solide expérience d'une certaine image à l'américaine. En contrepoint, c'est le maestro Ennio Morricone qui signe une superbe partition pour le film, alternant des passages plutôt pop avec des morceaux plus lancinants, avec chœurs, dans l'esprit de ce qu'il faisait dans les années soixante-dix pour le polar français. Il souffle ainsi le froid de l'angoisse et la chaleur de l'action. Et puisque l'on en parle, il faut mentionner la scène très réussie où le couple, pensant être débarrassé du tueur, est pris en chasse par un camion. Festa Campanile a vu et potassé le Duel (1971) de Steven Spielberg et en offre une jolie démarcation, reprenant cadres et découpage, comme le principe de la cabine opaque qui dissimule les traits du chauffeur. Plus loin, ce sera un superbe ralenti qui conclut la course désespérée de ses héros. Plus original, il sait d'un mouvement de caméra faire basculer une scène, et celui qui conclut la rencontre entre le tueur et le couple a dû inspirer Robert Harmon pour son Hitcher en 1986. Et en bon italien, Festa Campanile sait jusqu'où aller trop loin. Son finale est à la fois désespéré et tout à fait immoral, rebattant les cartes du « rape and revenge », ce qui vaudra à son film quelques déboires avec la censure de notre beau pays.
Néanmoins ce sont plus les implications morales du récit qui font le sel de Autostop rosso sangue. Pour ce qui est de la dimension sexuelle pure, le film n'est pas aussi audacieux que certains fleurons du genre et du coup prête moins le flanc à l'accusation de racolage. Dans le rôle d'Eve, c'est la jolie Corinne Clery qui apporte son physique ravissant et son succès coquin dans l'adaptation d'Histoire d'O par Just Jaeckin en 1976. Clery passera en Italie pour une carrière dans le cinéma populaire entre Sergio Corbucci, Giorgio Capitani et Antonio Margheriti. Sans être bouleversante, Clery apporte à Ève son visage innocent et le mélange détonnant de fragilité et de sensualité qui émane de son corps. Le plan où elle sort de la caravane, nue et tenant un des fusils de chasse de son époux pour exercer la partie « revenge », fonctionne parce que c'est elle. Elle est à la fois crédible dans la partie de la femme humiliée, servant d'enjeu sexuel entre les deux mâles qui sont d'une certaine façon renvoyés dos à dos, et en femme trouble, plus forte qu'elle le paraît. Elle conserve ainsi une certaine dignité à son personnage sans pour autant rien dissimuler de sa gracieuse anatomie. A ses côtés, Franco Nero, toute moustache dehors, reste dans un registre qu'il connaît bien et qui lui réussi, celui d'un homme qui encaisse beaucoup et semble toujours prêt à exploser. Comme dans ses grands rôles pour Enzo G. Castellari ou Sergio Corbucci, Nero est celui contre qui le destin ne retient pas ses coups. Il ne craint pas d'apparaître antipathique : ivrogne, journaliste raté, brutal avec sa femme qu'il viole presque, opportuniste à un point qui défie l'imagination. Pourtant il conserve quelque chose d'une rage profonde qui le rend attachant, comme une révolte mal exprimée mais à laquelle on peut s'identifier. C'est ce qui rend le retournement final si brutal, si cynique. Dernier membre du trio, Adam Konitz est joué par David Hess, le frisé terrifiant qui exerçait chez Wes Craven. Hess apporte tout le bagage de son personnage précédent et l'authenticité d'un américain pur sucre. Il est aussi inquiétant que l'on peut le désirer sans faire preuve de beaucoup de subtilité. Grimacier parfois, il dégage néanmoins une sensualité déviante qui fait son effet dans les scènes avec Clery.
Tendu, étouffant malgré les grands espaces, Autostop rosso sangue est une parfaite réussite du cinéma d’exploitation fait avec conviction et ce qu'il faut de talent. S'il ne se cache pas de ses modèles ni des illusions qu'il met en scène, il arrive à trouver sa voie en privilégiant la tension psychologique et la terreur pure à l'effet choc. Ceci n’empêche pas Festa Campanile de donner quelques gages aux amateurs de sensations fortes, que ce soit avec Corinne Clery ou quelques effets gore, francs sans être appuyés. Le réalisateur arrive même à donner à son film un sous-texte politique rappelant qu'il a été tourné en Italie pendant les années de plomb. Impuissance de la police, enlèvements, frustrations, banditisme, hippies redoutables, désillusions politiques et débâcle morale forment l'arrière-plan de cette histoire bien balancée comme dans quelques belles réussites du cinéma de genre de cette époque.
Photographies : Medusa distribuzione.
A lire sur Culturopoing par Vincent Roussel.
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09/07/2016
Can't take my eyes off your movies
Je me souviens encore très bien de la sortie en 1981 de Heaven's gate (La porte du paradis – 1980) dans la foulée de sa présentation cannoise. A l'époque je lisais les compte rendus du festival dans Le Matin qu'achetait mon père et j'avais remarqué ce qui semblait être un western à grand spectacle. J'avais 15 ans et les westerns se faisaient rares en salles. Je me souviens avoir eu l'envie d'aller le voir et que quelqu’un, qui cela m'échappe, m'en a dissuadé. Peut être que j’étais tombé sur l'un des articles négatifs qui avaient accueillit le film, ou bien sur le récit de ce qui était déjà présenté comme une catastrophe financière, le fameux « Rarement montagne d’argent aura accouché d’une aussi malingre souris » d'Olivier Eyquem dans Positif. Bref... je suis passé à côté de Michael Cimino en 1981. Puis il y eu un éditorial de Starfix dont l'équipe avait vu une partie de Year of the dragon (L'année du dragon – 1985) et en avait tiré un texte court et enflammé bien dans leur manière, citant les ténors du cinéma américain du moment (Spielberg, De Palma, Coppola, Lucas...) en concluant que Cimino était un cran dessus. Je devrais essayer de retrouver le texte mais pas ce soir. Ce film là, je ne l'ai pas raté et il reste pour moi la grande rencontre avec le cinéaste. Je n'avais jamais vu un polar de cette trempe, ni des personnages aussi magnifiques, aussi incarnés. Je pense à celui de la femme de White jouée par Caroline Kava qui m'avait bouleversé. Cimino prenait ainsi une place de choix dans mon panthéon et comme beaucoup, j'ai attendu avec impatience son Sicilien. C'était aussi le bref morceau de temps où Christophe Lambert a fait illusion. Vu en 1987, en avant-première dans l'auditorium d'Acropolis, The sicilian a été une déception. Pas autant que ce qui en a été dit ensuite, il y a de belles choses dans le film. Mais par rapport au précédent, Lambert par rapport à Rourke, quelque chose fonctionnait mal. Pour Cimino, il faudra attendre quatre années avant un nouveau film, Desperate Hours en 1990, sortie discrète pour un film là encore pas complètement satisfaisant. Mais pour l'admirateur de John Ford que je suis, le plan au début du film où l'avocate se recueille devant un vaste paysage sauvage avec une stèle « Au capitaine Nathan Brittles » m'avait touché. Nathan Brittles est le nom du personnage joué par John Wayne dans She wore a yellow ribbon (La charge héroïque – 1949). J'ignore combien de personnes ont fait le lien. C'est une de ces connivences secrètes qui me réjouissent toujours, comme le fait que c'est John Wayne, peu de temps avant sa mort, qui a remis à Cimino son oscar du meilleur film début 1979.
Entre temps, j’avais découvert Heaven's gate (La porte du paradis), d’abord en 1990 sur grand écran à la Cinémathèque de Nice, dans la première version complète, puis au Cinéma de Minuit de Patrick Brion qui avait été l’artisan de la redécouverte de cette œuvre monumentale l'année suivante. La gifle, l'extase. L’incompréhension aussi face à la façon dont le monde est passé à côté de ce film. Ce sont des choses qui arrivent. D'une certaine façon, je suis heureux d’avoir découvert le film dans sa forme aboutie et non dans la version tronquée proposée en 1981. Ce film majestueux brassait dans un vaste mouvement épique des choses que j'aimais chez David Lean, Sergio Leone, Luchino Visconti, Sam Peckinpah et John Ford, quelques autres aussi, mais tourné d'une manière très personnelle qui fait du film une expérience unique. Comme pour celles qui ont compté dans ma vie, il y a eu un avant et un après Heaven's gate. The deer hunter (Voyage au bout de l'enfer – 1978) est venu après et j'aurais ainsi découvert l’œuvre de Cimino à l'envers pour l'essentiel. Inutile d'aligner les superlatifs, le plus étonnant pour moi dans ce film là, c'est que j'y adore Robert De Niro et Meryl Streep dont je ne suis pas, à de rares exceptions près, grand amateur. Et puis la façon dont John Cazale se dresse dans la scène du bar, la façon dont George Dzundza se met au piano pour le Nocturne de Chopin... C'est un film qui a imprimé profondément en moi et que je revois régulièrement avec un sentiment d'intimité et d'admiration qui ne cesse de grandir. La dernière fois, je me disais que la scène finale, celle autour de la chanson God bless America, c'était un peu comme si Cimino reprenait la fin de The searchers (La prisonnière du désert – 1956) de Ford, mais avec un Ethan Edwards qui ne serait pas resté dehors et serait venu partager le repas de la réconciliation. Et avec tout ça, j'ai redécouvert Thunderbolt and Lightfoot (Le canardeur – 1974) qui ne m'avait pas marqué lors d'une première vision télévisée. Reste encore Sunchaser. Les derniers souvenirs sont littéraires, la lecture surprise de Big Jane, son premier roman en 2001, drôle de bouquin avec une drôle d'héroïne et du golf, un texte dont j'essayais de deviner les images derrière les mots. Et enfin les conversations avec Jean-Baptiste Thoret, brillantes. Cimino m'aura manqué, comme tous les cinéastes avec lesquels j'ai grandit et qui ont tourné trop peu. Seule consolation, il n'aura pas été de ces cinéastes dont j'aurais pu voir la dégringolade artistique, ceux dont l'espoir mis en leur talent aura tourné en eau de boudin. Non, comme Joe Dante ou John Carpenter, Cimino laisse une œuvre certes plus courte qu'espéré, mais qui, telle qu'elle est, donne plus de plaisir que tant d'autres plus fournies. Et je ne donnerais pas de nom !
Photographie United Artist.
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03/07/2016
Requiem pour un cinéaste
Michael Cimino 1939-2016
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28/06/2016
Au rendez-vous des innocents
Voici le temps des assassins (1956) de Julien Duvivier
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Julien Duvivier réalise en 1956 avec Voici le temps des assassins un grand film de bouffe. Un film sur la grande bouffe française de tradition. Sur une cuisine qui plonge ses racines dans notre histoire et qui fait l'admiration du monde, du moins qui devrait. Son personnage principal, André Chatelin, est un restaurateur de renom qui reçoit le tout Paris et tout ce qui visite Paris. C'est aussi un homme simple qui accueille sans façon les bouchers, les lesbiennes, les starlettes, un clochard veinard et un jeune ami étudiant. C'est un chef étoilé, bientôt décoré dans le collège des Beaux-Arts, campé par Jean Gabin au zénith de sa forme impériale. Gabin qui vient d'incarner le créateur du Moulin Rouge pour Jean Renoir et le prince des truands de grand standing pour Jacques Becker. C'est dire. Chatelin officie aux Halles, le ventre de Paris, « Au rendez-vous des innocents », enseigne qui évoque la poésie de François Villon. La tradition, toujours. Et là, défilent les ballottines du Duc, les écrevisses au Chablis, les poulets à la crème, les soufflés Grand-Marnier, les râbles de lapin, les châteaux Yquem millésimés, le coq au Chambertin revenu à l'huile d'olive, les pommes rissolées au fois gras du Périgord et les quenelles de brochet arrosées de Gewurztraminer 1928, « Grande année tu sais ». Pourtant... pourtant, à l'inverse d'un Marco Ferreri ou d'un John Ford avec ses steaks de légende, Julien Duvivier montre peu, très peu, trop peu de cette cuisine d'excellence. S'il fait vivre de manière virtuose le restaurant, ses employés et sa clientèle, les plats ne sont passés qu'en plans larges. Seuls la sonorité des mots et les expressions des acteurs peuvent faire venir l'eau à la bouche. De façon ironique Duvivier montrera plutôt les étalages de matière brute dans les pavillons des Halles, comme ce mur de têtes de veaux devant lequel devise Chatelin avec Gérard.
C'est que Voici le temps des assassins est aussi un grand film sur la frustration. André Chatelin à beau avoir la quarantaine solide, être une sommité dans son domaine et exercer une autorité paternaliste en son domaine, il vit encore sous la coupe de sa mère, une femme comme on en fait plus qui exerce sa domination à coup du fouet dont elle se sert pour décapiter des poulets. Notre homme est aussi couvé par une vieille gouvernante qui espionne son courrier et écoute aux portes. Intimité zéro. Pas étonnant que son mariage ait été un échec dont on devine vite la part prise par son entourage. C'est la mort de cette ex-femme que vient annoncer sa fille Catherine au début du film. Catherine dont on ignorera toujours si Chatelin est le père. Terrible ambiguïté car la timide jeune femme va se révéler une redoutable manipulatrice et intriguer pour épouser le restaurateur, le dresser contre l'étudiant en médecine qu'il considère comme son fils, et pousser ce dernier au crime. Catherine joue sur le velours de la frustration de Chatelin, réveillant ses velléités d'émancipation, d’affirmation, son désir aussi en offrant au quadragénaire son corps de vingt ans. Chatelin ne peut que tomber dans le piège, pauvre naïf qui regarde avec envie son client familier venant chaque soir au bras d'une jeune actrice toujours différente. Catherine devient pour lui une sorte de revanche sur la vie. Mais c'est trop beau pour être vrai. Catherine, jouée par la jeune Danièle Delorme, vient prendre la suite de redoutables femmes fatales dans le cinéma de Duvivier après les personnages incarnés par Viviane Romance dans La belle équipe (1936) et Panique (1946), Rita Hayworth dans Tales of Manhattan (Six destins – 1943) et avant Catherine Rouvel dans Chair de poule (1963).
Catherine sera bien près d’arriver à ses fins au terme d'un suspense intense et d'une plongée dans cette noirceur typique du cinéaste. Une noirceur qui lui sera parfois reprochée, qui vaudra la célèbre double fin de La belle équipe, la pessimiste où le personnage de Gabin tue celui de Charles Vanel, et l'optimiste, demandée par les producteurs au réalisateur pour cause d'air du temps, où les deux amis se réconcilient. Après la guerre et son retour de l'exil américain, Duvivier ira au bout de sa logique avec la mort du malheureux monsieur Hire joué par Michel Simon dans Panique, et avec les conséquences des frustrations des personnages de Voici le temps des assassins qui forme la mécanique du récit. Le scénario écrit par Duvivier, Maurice Bessy et Charles Dorat entremêle avec une redoutable précision les fils de destins que les personnages s'échinent à maîtriser en vain. Si Chatelin essaye d'être à la hauteur de son image publique, Catherine par sa machination tente de prendre une revanche sur la vie, la sienne comme celle de sa mère malmenées par une terrible pression sociale. D'une autre façon, les comportements de la mère comme de la servante, apparaissent comme d'autres conséquences de cette pression. C'est ce déterminisme social qui permet au film et à ses auteurs d'échapper, du moins en partie, à ce qui semble être de premier abord de la misogynie. C'est que le dossier de Duvivier en la matière est chargé. Mais ici, derrière la noirceur des personnages féminins, il se ressent une souffrance authentique dont les hommes ne sont pas innocents. La revanche de Catherine est aussi une lutte contre la domination masculine. La rigueur de Duvivier tempère sa vision au vitriol de la gent féminine. Plusieurs autres personnages secondaires illustrent les différentes facettes du miroir aux alouettes social : l'argent, le pouvoir, le sexe. Duvivier a l'image mordante. Seul personnage à échapper à ces horizons désespérants, Gérard, l’étudiant en médecine que Chatelin a pris sous son aile et qui travaille aux Halles pour payer ses études. Il incarne la nouvelle génération et l'espoir qu'elle porte, joué de façon symbolique par Gérard Blain pour son premier rôle d'envergure. Gérard est un être neuf, droit, qui se destine à soulager les autres, qui croit encore à l'amitié et à l'amour. Il est du coup une proie facile pour la retorse Catherine, et sera la victime expiatoire du drame qui se joue, un peu comme une version rajeunie de monsieur Hire. Le pessimisme de Duvivier s'incarne en particulier dans la manière dont le destin broie ce personnage tout entier positif.
Fond et forme, Voici le temps des assassins adopte une remarquable mise en scène de film noir au service d'une atmosphère à couper au couteau. La photographie en noir et blanc est signée du chef opérateur favori de Duvivier, Armand Thirard, qui travaille avec lui depuis 1926. Il crée une atmosphère oppressante, poisseuse, traitant de la même façon les décors de studio et les extérieurs pour enfermer les personnages. Les ciels sont bas et gris, le soleil absent, les espaces étriqués, les sols humides, l'air plein de brumes. Si certains décors comme celui du restaurant dégagent une certaine chaleur, la majorité ont un côté vieillit, délabré, fatigué. Ce ne sont pas des endroits où il fait bon vivre et, en effet, on y vit mal. La caméra de Duvivier arpente ces décors étouffants avec son goût jamais démenti pour la virtuosité technique au service d'une narration rigoureuse : travellings, mouvements complexes, variété des cadres, il domine l'espace pour montrer comment ses personnages s'y prennent au piège : la salle du restaurant de la mère dont il faut s'évader comme d'une prison, le canal sinistre à l'ambiance quasi fantastique, la chambre d'hôtel où Catherine se retrouve coincée par un vengeur inattendu, l'appartement de Chatelin où il n'est pas chez lui, entre la chambre maternelle et les indiscrétions de la servante, même le restaurant où il est pris dans le mouvement intense de son travail. Il n'y a pas de lieu de répit. Duvivier conserve pour partie l'héritage du réalisme poétique tout en jouant de sa propre vision angoissante du réel. Son Paris des Halles a des aspects folkloriques, émouvant même avec le recul, mais comme la guinguette de La belle équipe où la place des Fêtes de Panique il est aussi un lieu hostile où l'on se déchire, où l'on se bat, où l'on meurt salement.
Voici le temps des assassins est un des grands films de son temps, réalisé de main de maître, interprété au cordeau par une distribution derrière laquelle on sent une direction précise de la star au plus petit rôle, créant une galerie de personnages d'une grande richesse. Duvivier confronte Gabin à la nouvelle génération, Blain et Delorme, et les entoure d'acteurs et d'actrices remarquables comme Lucienne Bogaert, Germaine Kerjean impressionnante dans le rôle ingrat de la mère, Gabrielle Fontan, Aimé Clariond, le jeune Jean-Paul Roussillon, Robert Manuel où, second rôle typique, Max Dalban en fort des Halles. Comme d’autres œuvres du même type, le film a été un peu oublié, souffrant aussi des assauts des jeunes turcs de la future Nouvelle vague, encore que François Truffaut fut impressionné par le film « Voici le temps des surprises » et le tenait pour le meilleur de son auteur. Mais il s'agit typiquement de films devenus difficiles à voir. Il convient donc de saluer l'initiative de Pathé qui a entreprit de restaurer quelques-uns de ses classiques avec l'aide du CNC et de les ressortir en DVD et en salles. Belle occasion de plonger dans un Paris disparu, dans un cinéma de grande classe et dans le parfum des pommes rissolées au fois gras du Périgord.
A lire sur DVD Classik
A lire sur le blog d'Olivier Père
Photographies Pathé.
21:31 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : julien duvivier | Facebook | Imprimer | |
15/06/2016
Miroir
Ann Sheridan. DR.
19:43 Publié dans Actrices, Fascination | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ann sheridan | Facebook | Imprimer | |
13/06/2016
Mon corps pour un poker
Il mio corpo per un poker (Belle Starr story - 1968) de Lina Wertmüller et Piero Cristofani
Texte pour les Fiches du Cinéma
A l'époque de la sortie de Meek's cutoff (Le bout de la piste) en 2013, je m'étais fait la réflexion que la réalisatrice, Kelly Reichardt, était la première femme à avoir fait un western et que cela venait bien tard. Et puis c'est la découverte de ce western inédit en France, Il mio corpo per un poker (Belle Starr story - 1968) signé à l'origine du seul Piero Cristofani sous le pseudonyme de Nathan Wich mais qui s'est révélé avoir été largement réalisé par la cinéaste italienne Lina Wertmüller. Grande amie de Sergio Corbucci et future réalisatrice de succès avec le couple Giancarlo Giannini et Mariangela Melato comme Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto (Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été - 1974) Lina Wertmüller aurait en outre co-signé le scénario sous le patronyme masculin de George Brown. Plaisir du brouillage de pistes du cinéma de genre européen. Ceci fait, jusqu'à plus ample informé, de Il mio corpo per un poker le premier western réalisé par une femme de l'histoire du cinéma. Il doit cette particularité à sa vedette, la belle Elsa Martinelli pour qui il avait été conçu. Après avoir été dirigée aux États Unis par André De Toth, Orson Welles et Howard Hawks, elle avait trouvé Piero Cristofani pas à la hauteur et l'avait fait remplacer par Wertmüller.
Le film est donc construit autour de et pour Elsa Martinelli qui incarne un mythe de l'Ouest : Myra Maybelle Shirley Reed Starr, alias Belle Starr. Née dans le Missouri, agente des troupes confédérées durant la guerre de Sécession, amie de Cole Younger lui même lié aux frères James, Belle aura au terme de bien des aventures sa propre bande de hors la loi avant de finir comme Jesse James, abattue dans le dos à 41 ans. La légende de la « Queen of the Oklahoma Outlaws » se construit très vite autour d'elle dans un monde avare en figures féminines fortes. Woody Guthrie et Emmylou Harris lui consacrent des chansons. Le cinéma s'emparera à plusieurs reprises de cette légende et Belle Starr sera incarnée par Gene Tierney, Jane Russel ou Pamela Reed dans des récits très romancés. Mais comme chacun sait quand la légende est en contradiction avec les faits, dans l'Ouest on imprime la légende. Le scénario de Il mio corpo per un poker se situe dans la même veine, évoquant à peine le contexte historique et se basant sur l'icône féminine et son rapport compliqué avec deux personnages masculins de pure fiction. Il y a d'un côté Cole Harvey joué par le lisse Robert Woods, un bandit dont l'aventure nous est racontée en flash-back, qui survient à point nommé pour aider Belle à se débarrasser d'un oncle sadique qui veut la mener au fouet. Miam ! Mais Harvey n'est pas d'une grande délicatesse. Après avoir surpris Belle au bain dans une scène qui rappelle celle, inoubliable, de The indian fighter (La rivière de nos amours – 1955) tournée par De Toth, il tentera de la violer avant de se faire abattre par l'amie indienne de notre héroïne. Un joli personnage qui aurait gagné à être un peu plus développé, en particulier dans la relation ambiguë qu'entretiennent les deux femmes, une piste à peine suggérée.
De l'autre côté, il y a Larry Blackie incarné avec force par George Eastman. Eastman alias Luigi Montefiori est un grand collaborateur de Joe d'Amato avec un beau palmarès de scénariste. Côté acteur, Lugi possède une présence magnétique à la Klaus Kinski. Un regard de feu, une stature, une brutalité à fleur de peau, une étrange élégance, sa composition en Blackie domine le film comme il domine Belle la plupart du temps. Le film est surtout le récit de leur relation tumultueuse. C'est avec Blackie que Belle dispute la partie de cartes dont son corps est l'enjeu, (d’où le titre original : mon corps pour un poker). Et si Belle triche pour mieux se donner, c'est aussi pour tomber dans une nouvelle relation sado-masochiste avec étreintes brutales, je t'aime moi non plus et toutes ces sortes de choses. Cette histoire d'amour tordue se complique d'une rivalité professionnelle, les deux amants étant tour à tour rivaux ou complices. Le film décline cette relation en plusieurs scènes dont certaines sont réussies (la partie de cartes, le duel dans le saloon, la séance de torture où Belle sauve la mise à Blackie), mais cette construction en patchwork manque de cohérence et handicape quelque peu la réussite de l'ensemble. La mise en scène a le même défaut, peut être accentué par l’éviction de Cristofani, et autant certains passages sont originaux et travaillés (découpage, cadres, travail sur des décors baroques), autant plusieurs autres sont d'une plate banalité. Les extérieurs ont été tournés en Yougoslavie, ce qui change agréablement des étendues dépouillées et espagnoles d'Almeria. La photographie est signée Alessandro d'Eva qui vient du cinéma de genre avant de passer à la comédie avec Dino Risi puis Sergio Corbucci. Son travail est assez original pour le genre, travaillant de multiples variations sur les noirs et les blancs, irrégulier lui aussi selon les scènes mais il met en valeur la plastique d'Elsa Martinelli moulée dans ses tenues masculines de cuir noir façon Emma Peel, ses guêpières féminines et ses jupons affolants. Cerise sur le gâteau, de superbes gros plans sur ses délicieuses tâches de rousseur. Il y a donc ici une intéressante tentative de faire vivre une héroïne au sein d'un genre renommé pour son machisme. Encore que la belle Belle reste à mi-chemin d'une véritable alternative féminine. Certes elle tire juste et fume le cigare, mais elle reste dans un jeu de séduction pour mâle dominant, peu crédible dans l'émotion, loin des héroïnes morales de Corbucci où de la Jill leonienne. C'est un peu dommage. Et puis, elle pousse la chansonnette à mi parcours avec un « No Time for Love » qui n'est pas une réussite.
Au final un western inégal mais original à plusieurs titres ce qui en fait une curiosité estimable. Pas besoin de faire un dessin, il ne m'est ce film que d'Elsa. Circulant jusqu'ici dans de très mauvaises versions, le film bénéficie cette fois d'une superbe copie dans l'édition Artus accompagnée d'une présentation érudite d'Alain Petit.
19:31 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lina wertmüller, piero cristofani | Facebook | Imprimer | |
10/06/2016
Belle de l'Ouest
Elsa Martinelli prend la pose pour Il mio corpo per un poker (1968) de Piero Cristofani et Lina Wertmüller où elle incarne la fameuse Belle Starr. DR.
20:13 Publié dans Actrices, Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : elsa martinelli | Facebook | Imprimer | |
07/06/2016
Une expérience de la terreur
Experiment in terror (Allô, brigade spéciale). Un film de Blake Edwards (1962)
Texte pour les Fiches du Cinéma
Le succès des films de la série de la Panthère Rose a donné de son créateur, le réalisateur Blake Edwards, une image sinon fausse du moins incomplète. Il est entendu qu'il est un des maîtres de la comédie américaine avec Billy Wilder sur la période qui court de la fin des années cinquante à la fin des années quatre-vingt. Mais Edwards s'est essayé à d'autres registres avec bonheur, que ce soit le western avec Wild rovers (Deux hommes dans l'Ouest) en 1971, le drame avec Days of wine and roses (Le jour du vin et des roses) en 1962, ou le polar avec The Carey Treatment (Opération clandestine) en 1972 et Experiment in terror (Allô, brigade spéciale) qui nous intéresse ici, en 1962. Ce film est l'adaptation par leurs propres soins d'un roman policier signé Mildred et Gordon Gordon, quatrième histoire dont la figure centrale est l'agent du FBI John Ripley qui est incarné à l'écran par Glenn Ford. Experiment in terror met en scène une jeune caissière de banque, Kelly Sherwood, menacée par Garland « Red » Lynch, un mystérieux criminel à la voix asthmatique qui veut la forcer à effectuer un hold-up pour son compte. Agression physique, coups de téléphones effrayants, menaces sur sa jeune sœur, Kelly fait face avec courage et contacte le FBI qui lui apporte son aide via le perspicace inspecteur Ripley. S'engage alors un jeu du chat et de la souris pour coincer le criminel qui semble doué d'un redoutable sens de l'ubiquité allié à une intelligence perverse. La première scène, l’agression de Kelly dans son garage au moment de son retour du travail, défini un niveau d'angoisse plutôt élevé que Blake Edwards ne laissera jamais retomber, donnant de nouveaux coups d'accélérateurs à quelques moments clefs du film. Le titre du film est une déclaration d'intention, une expérience de la terreur, qui renvoie au célèbre A study in scarlet (Une étude en rouge) roman fondateur de la série Sherlock Holmes par Sir Arthur Conan Doyle. Après le succès de Operation Petticoat (Opération jupons) en 1959 puis surtout de l'adaptation de Truman Capote Breakfast at Tiffany's (Diamants sur canapé) en 1961, Edwards entend explorer les possibilités du thriller à suspense dans la lignée des films d'Alfred Hitchcock, peut être pour montrer ses capacités à aborder d'autres genres pour ne pas se laisser enfermer dans la comédie. Il est à noter que son film sort le même mois que Cape fear (Les Nerfs à vif) de J. Lee Thompson dans la même veine.
La démonstration est convaincante. Edwards apporte à Experiment in terror l'élégance de sa mise en scène, la maîtrise de l'écran large, une photographie sophistiquée signée Philip H. Lathrop, qui a débuté avec Orson Welles sur Touch of evil (La soif du mal) en 1958 et qui vient d'entamer une longue collaboration avec Edwards via la série télévisée Peter Gunn. Lathorp fait partie des chefs opérateurs qui ont donné une modernité à la lumière des films américains à cette époque, travaillant cette fois un noir et blanc scintillant alternant les journées solaires de San Francisco où se déroule l'action, et les ambiances nocturnes dans la tradition du film noir. Nous sommes à la limite par moments du fantastique quand le brouillard descend sur la maison de Kelly, perturbant l'action de la police. Jolie coïncidence, cette maison se trouve à Twin Peaks, colline de l'agglomération. Mais l'on trouve aussi les ombres expressionnistes et les rais de lumière typiques des œuvres noires de l'âge d'or. Edwards fait aussi preuve d'un sens du rythme sans faille et fait grimper la tension lors de scènes mémorables, la découverte du cadavre pendu d'une ex-amie de Lynch ou les scènes au téléphone pas très éloignées de celles du Scream de Wes Craven plus de trente ans plus tard. La plus impressionnante reste la rencontre entre Kelly et Lynch dans les toilettes d'un restaurant. L'homme s'est déguisé en vieille femme pour tromper la surveillance de Ripley. L'apparition est saisissante. Lynch semble à ce moment tout puissant. C'est lors de cette scène que l'on se souvient qu'il est joué par Ross Martin, le comédien qui incarnera quelques années plus tard l'agent spécial Artemus Gordon dans la série télévisée The wild, wild west (Les mystères de l'Ouest). La spécialité de Gordon étant le travestissement, spécialité que l'acteur maîtrise à un haut niveau. Martin est parfait dans le rôle, vicieux bien comme il faut, élément sombre du triangle formé par Kelly et Ripley.
C'est Lee Remick aux yeux si clairs qui incarne le courageuse jeune femme en détresse. Avec ses tailleurs stricts et sa distinction naturelle, elle est l'américaine moyenne idéale, délicate, dévouée et pourtant pleine de ressources et de courage. Elle est la pointe solaire du triangle. Ripley en est la pointe sèche, un personnage un rien raide et droit, dont on sait peut de choses au final, capable de s'émouvoir sans perdre le contrôle, expliquant à l'occasion qu'il n'a jamais eu à tirer son revolver, ce qui ne l'empêchera pas d'avoir la main ferme quand il le faudra. Un grand professionnel quoi. Glenn Ford lui apporte ce qu'il faut de son mélange très personnel entre dureté et décontraction, ce qui avait fait merveille chez Fritz Lang ou Delmer Daves. En 1962, Ford se remet du double échec de l'épique western de Anthony Mann, Cimarron (La ruée vers l'ouest), et de la version de Vincente Minelli de Four Horsemen of the Apocalypse (Les quatre cavaliers de l'apocalypse). L'acteur donne ici une performance tout en demi-teinte qui contraste avec celle de Martin comme de Remick. Le scénario a même le bon goût d'éviter une histoire d'amour entre les deux protagonistes.
Le triangle va se compliquer avec l'introduction de deux personnages. D'une part la sœur de Kelly jouée par la jeune Stéphanie Powers qui apporte un peu de fragilité. D'autre part, plus original, un personnage de femme asiatique qui entretient une relation amoureuse avec Lynch. Anita Loo dont c'est le seul rôle marquant, joue une mère célibataire chinoise, Lisa Soong, dont le petit garçon est malade. Une sous intrigue qui arrive assez tard dans le film quand Ripley remonta sa piste et qui dévoile une facette inattendue du psychopathe. Kelly s'est en effet occupé des notes d’hôpital du petit garçon et s'est attaché Lisa de façon sincère. Edwards met en scène ces personnages asiatiques qui cherchent à dépasser les clichés en vigueur à l'époque, en manifestant un goût très personnel que l'on retrouvera chez le cocasse Mister Yunioshi ou le burlesque Cato. Le film emprunte alors un chemin de traverse des plus original ce qui n'empêchera pas le drame d'aller à son terme.
Autre aspect remarquable d'Experiment in terror, l'utilisation des décors naturels de San Francisco. Comme nombre de films noirs, c'est un film ancré dans son époque et qui en porte le témoignage vivant, captant de façon documentaire une grande cité américaine des années soixante. Blake Edwards promène sa caméra dans de nombreux lieux en évitant de marcher sur les traces de Hitchcock qui avait déjà sublimé San Francisco dans Vertigo (Sueurs froides) en 1958. Le réalisateur exploite des aspects quotidiens de la ville comme cette partie pavillonnaire tranquille de Twin Peaks, le quartier de Montgomery street où se situe la banque avec tout ces bâtiments si typiques filmés comme si de rien n'était, et ce cinéma où Edwards s'offre au passage un amusant hommage au slapstick. Et puis surtout, il y a le Candlestick Park, immense stade où Edwards situe son morceau de bravoure final, jouant alternativement la foule grouillante qui paralyse les personnages à l'intérieur, et d'un coup l'immense espace vide du centre en plein air où vient s'achever la course de Lynch. Superbe séquence qui aura sans doute inspiré Don Siegel pour une scène marquante de son Dirty Harry neuf ans plus tard. L'expérience de Blake Edwards est une belle réussite du genre, donnant un film élégant et tendu, à la fois conscient de l'héritage du thriller noir et dans la lignée des œuvres plus modernes que signent ou vont signer Samuel Fuller, Don Siegel ou Richard Fleischer. A voir pour découvrir l'autre facette de l'auteur de The party (1968) dans une superbe édition présentée par un trio érudit : Bertrand Tavernier, François Guérif et Patrick Brion.
Photographies DR
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03/06/2016
Au bord de la piscine
Nanni Moretti sur le tournage de Palombella rossa (1989). DR.
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31/05/2016
L’évangile selon Saint Jean-Luc
Passion de Jean-Luc Godard – 1982
Avec Passion en 1982, JLG confirme son retour à un cinéma traditionnel après la réussite de Sauve qui peut (la vie) en 1980, puis sa tentative de travailler aux États Unis dans les studios Zootrope de Francis Ford Coppola alors en pleine aventure One from the heart (Coup de coeur). Traditionnel si tant est que ce terme ait un sens avec lui. Précisons à un cinéma qui utilise les moyens traditionnels du cinéma, studios, acteurs professionnels, vedettes voire stars. Une véritable production, donc de l'argent. Passion est l'un de ses plus gros budgets comme au temps du Mépris (1963). Dans ce film, Jean-Luc Godard exprime des désirs contradictoires, celui de la machinerie du cinéma, la part de rêve hollywoodien qui lui reste, ses recherches formelles sur le son, le montage, la couleur, son rapport conflictuel au récit, à l'histoire qu'il faut raconter et qui revient comme un gag récurrent. Et encore son goût pour les expérimentations en vidéo. Passion est un grand film-collage, un film fragmenté entre les splendides décors de studio (ceux de Billancourt à Paris) où le metteur en scène Jerzy cherche à mettre en scène un film, Passion, construit sur la reconstitution de peintures fameuses (La ronde de nuit de Rembrandt, Les exécutions du 3 mai et La Maja nue de Goya ou La petite odalisque de Ingres) ; et d'autre part l'hôtel où est descendu l'équipe et l'usine proche ou la jeune ouvrière Isabelle vient de se faire licencier par son patron, Michel, décors naturels et suisses. L'hôtel est tenu par Hanna qui est aussi la maîtresse de Michel. C'est là que Jerzy couche avec Isabelle qui poursuit Michel pour obtenir ses indemnités. Morcelé, Passion est pourtant un film de synthèse entre les deux obsessions favorites de Godard : le cinéma et le prolétariat, soit les grands films, écran large et Technicolor, des années soixante et les œuvres radicales de la période Dziga Vertov.
Ce grand écart, pour être fascinant , n'en est pas moins risqué. Il y a dans Passion tout ce qui me séduit et tout ce qui m'agace chez Godard. Côté grand cinéma, les reconstitutions de tableaux sont splendides et donnent au réalisateur l'occasion de s'amuser avec le train électrique wellsien : décors sophistiqués, lumières travaillées par Raoul Coutard dans une recherche perpétuelle sous la tutelle des grands maîtres de la peinture, mouvements de caméra complexes et maîtrisés comme le plan séquence autour de la reconstitution de La vierge de l'Immaculée Conception de Le Greco, décors et costumes riches et précis. Mais ce ne sont que des reconstitutions avec ce qu'il peut y avoir de vain dans la démarche d'autant qu'elles ne valent, pour le metteur en scène du film dans le film, que pour elles-mêmes. Pas étonnant qu'il soit obsédé par le problème de l'histoire que tous lui réclament à corps et à cris. Pas étonnant qu'il se réfugie alors dans une quête de la lumière juste, quête là aussi paradoxale puisqu'il ne cherche pas « sa » lumière comme John Ford ou Kenji Mizoguchi ou Godard avec Coutard, mais l'imitation de celles des grands maîtres. Allons plus loin. Godard et Coutard retrouvent cette lumière, eux, et quelle lumière ! Encore que les tableaux restent fragmentés comme le film et que jamais nous ne voyons le résultat d'ensemble de façon complète, aboutie. L’agaçant, c'est de mettre ainsi le cinéma à genoux devant la peinture, de faire de l'une la béquille de l'autre, comme si le cinéma n'était un art en soi avec ses spécificités et son langage propre, ses techniques de lumière particulières. Et comme si Godard l'ignorait alors qu'il le sait mieux que les autres. Comme si l'émotion ne venait pas in-fine des essais en vidéo avec Hanna où de la lumière sur le visage d'Isabelle. Il est vrai que Godard se plaît, se complaît, à parler du cinéma comme d'un mourant sinon d'un mort. Le sien est pourtant encore bien vif. Posture. Je retrouve cela dans le premier plan du film, un ciel magnifique troué par la traînée rectiligne d'un avion à réaction. Un plan que le cinéaste tourne lui-même, à l'arrachée, à l'inspiration. Mais sur lequel il sent obligé de mettre dessus le Requiem de Fauré, comme pour souligner cette beauté par l'apport d'un autre art. Comme s'il fallait forcément écouter du Beethoven pour voir un tableau de Delacroix.
Côté cinéma toujours, il y a une lecture intéressante à faire de Passion par rapport à La nuit américaine (1973) de François Fruffaut. L'histoire est un classique. Godard n'avait pas aimé le film de truffaut et lui avait fait savoir dans une lettre fameuse à laquelle Truffaut avait répondu sans mâcher ses mots dans un courrier tout aussi fameux. L'épisode marque la brouille des deux hommes. Si Passion prolonge d'une certaine façon Le mépris (1963), il est aussi une réponse aussi étrange que tardive au film de Truffaut après une tentative de réconciliation avortée en 1980. Étrange parce que les liens entre les deux œuvres me semblent plus fortes que ce qui pourrait relever de la critique de l'une par l'autre. Ce sont les mêmes histoires d'un tournage avec ses aléas, les mêmes aller-retour entre l'hôtel et le studio, le même Jean-François Stevenin qui est l’assistant de Jerzy, avatar de Godard, comme il était celui de Ferrand, le réalisateur du film de Truffaut, une figure de double qu'il avait incarné lui-même. Godard reprend aussi une scène de petit déjeuner remplaçant le chat par une serveuse contorsionniste et l'épisode du producteur cherchant à placer sa protégée. Jerzy comme Ferrand est un homme qui doute, qui cherche, à qui l'on pose mille questions, qui parfois peut répondre, et parfois pas. Les films dans le film, Passion comme Je vous présente Paméla, ont le même aspect morcelé qui correspond à la réalité d'un tournage, et au final la même importance relative. Il est même possible de retrouver le rapport à la peinture chez Truffaut lors des essais d’éclairage à la bougie trafiquée comme dans un tableau de De La Tour. C'est bien entendu beaucoup moins appuyé chez Truffaut que chez Godard, comme la détermination tranquille de Ferrand contraste avec les états d'âme d'artiste tourmentés de Jerzy.
On se souviendra que Godard avait reproché à Truffaut ce qu'il montrait comme ce qu'il ne montrait pas des relations sentimentales au sein de l'équipe de tournage de La nuit américaine « On se demande pourquoi le metteur en scène est le seul à ne pas baiser ». Du coup, dans Passion ça baise de manière plus directe. A la pudeur truffaldienne se substitue une crudité un peu provocante à la Godard qui déshabille toutes ses jeunes actrices. La peinture classique a bon dos, si j'ose l'écrire. Cela passe donc par donc par ceux fort jolis de Magali Campos, Myriem Roussel (dont Godard va s'enticher pour plusieurs années), et Isabelle Huppert. Et cela passe par quelques scènes qui se veulent provocantes. Magali par exemple sera prise entre deux portes façon satyre par l'assistant Stevenin. Entre le réalisateur et l’ouvrière, lui habillé, elle nue, ce sera « Par derrière pour ne pas laisser de trace ». Qu'en termes délicats ces choses là sont dites. Il y a dans tout cela quelque chose de plutôt déplaisant quand à l'image de la femme chez Godard, d'autant qu'il fait preuve dans le même temps d'une grande délicatesse dans d'autres scènes comme celles avec Hanna Schygulla et que Raoul Coutard éclaire les corps de façon remarquable. Il y a comme une volonté de casser la beauté par le trivial. Peut être un mouvement de recul face à une émotion qui va au bout d'elle-même, le désir ne montrer que l'on est pas dupe. Godard n'aime pas laisser penser qu'il puisse être dupe.
Je retrouve cette ambivalence agaçante dans la partie qui se veut politique de Passion. Là encore les patrons sont joués par les vedettes (Le côté Ursula Andress dénoncé par Truffaut) et les ouvriers par les figurants. Ou alors par des seconds rôles comme Magali qui est de la chair à cinéma (la production recrute des ouvrières comme figurantes dans l'usine de Michel) et à usine. Reste Isabelle jouée par Huppert. Mais il se trouve que le personnage est affublé d'un atroce bégaiement. L'actrice avait beaucoup renâcle à cette idée, trouvant qu'elle desservait le personnage. Elle avait fini par céder. J'ai beau tourner la chose dans tous les sens, je trouve que Huppert avait raison et que Godard manifeste à travers cette idée un certain mépris envers cette ouvrière. D'autant que, comme dans Sauve qui peut (La vie), elle est toujours filmée dans des situations humiliantes ou au minimum dominée. Je peux comprendre la portée symbolique de ces choix, mais Isabelle n'est pas qu'un symbole. En tant que personnage de chair et de sentiments, ça ne passe pas.
Film curieux que Passion par ses résonances intimes avec le parcours de son auteur, par son discours paradoxal sur le cinéma, la vie, les vaches, pardon, la lutte des classes. Un film dont les séductions esthétiques ne doivent pas occulter les confusions intellectuelles. Un film dont les failles et les remords exprimés du bout des lèvres sont les éléments les plus touchants, dont les contradictions internes jamais résolues sont le moteur et la force.
Photographies DR
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16:48 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean luc godard | Facebook | Imprimer | |