25/03/2020
Jeu jour 1
Je vais relayer ici une initiative de l'Atelier cinéma de Cannes Université qui propose un petit jeu cinéphile pour meubler agréablement (autant que possible) la période de confinement. Il s'agit d'un quizz autour d 'une photographie tirée d'un film. Tous les jours, à 17h00, sera postée une image. A vous de deviner le titre du film (en VO ou VF) et le réalisateur. 1 point pour le titre, 1 point pour l'auteur. Des indices vous seront donnés si nécessaire. Tous les films choisis ont été étudiés lors des séances de l'atelier cinéma. L'image sera postée simultanément sur la page Facebook de Cannes Université.
Amusez-vous bien !
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La fête du court métrage
Aujourd'hui et jusqu'au 31 mars se tient la fête du court métrage. Les événements étant ce que nous savons, elle va se tenir cette année en ligne. Vous pouvez découvrir de nombreux films via le site de la manifestation : www.lafeteducourt.com. Ils proposent de télécharger un lecteur sécurisé pour voir les sélections de films.
De mon côté, j'ai envie de marquer le coup en vous proposant une sélection de courts métrages disponibles en ligne et, pour commencer, ce premier film de Maurice Pialat, L'Amour existe, documentaire sur la France de 1960 produit par Pierre Braunberger sur une musique de Georges Delerue, soit des noms essentiels de la Nouvelle Vague qui s'impose à l'époque.
Version multilingue mise à disposition par Les Films du Jeudi. Cliquez sur l'image :
Découvrez ensuite Boris Lehman, cinéaste belge que nous avons eu le bonheur de recevoir début mars à Nice. Une œuvre personnelle et imposante sur une cinquantaine d'années, des centaines de films et de photographies. Je vous propose un court métrage intitulé Paradox, un film de 2013 avec Marie Losier, la cinéaste de Cassandro the Exotico (2018) et David Legrand, cinéaste, vidéaste et artiste. Une modeste entrée en matière à un univers de fantaisie et de gravité mêlée.
Comme vous le savez sans doute, j'adore le format super 8. Voici un court métrage de Lee Hardcastle réalisé en 2011 selon la technique du tourné-monté, en animation de pâte à modeler. Ça s'appelle A Zombie Claymation, c'est gore, drôle et cela fait partie des collections des Straight 8 londoniens qui organisent un concours chaque année.
Le site d'ARTE en ligne diffuse de nombreux courts métrages. Voici 22 carats d'amour, film franco-Allemand de 2019. Une comédie noire de Lea Najjar et Manuel Rees à savourer en ligne, en cliquant sur l'image :
Et pour terminer, un film étonnant de la cinéaste pionnière Lois Weber datant de 1913, Suspense, avec une utilisation du "split screen" et du montage alterné remarquable.
10:11 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maurice pialat, boris lehman, lee hardcastle, lea naijar, manuel rees, lois weber | Facebook | Imprimer | |
12/03/2020
Marlène
Quelle classe dans ce bel uniforme immaculé. Marlène dans Seven Sinners (1940) de Tay Garnett. Photographie © Universal
21:12 Publié dans Panthéon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marlène dietrich, tay garnett | Facebook | Imprimer | |
27/02/2020
Boris Lehman à Nice
Choses qui me rattachent aux êtres, un film de Boris Lehman / Belgique / 2010 / 15 minutes / 16 mm
Funérailles (de l’art de mourir), un film de Boris Lehman / Belgique / 2016 / 97 minutes / 16 mm
Les associations Cinéma Sans Frontières, Héliotrope et Regard Indépendant recevront le cinéaste belge Boris Lehman pour deux séances exceptionnelles les vendredi 6 et samedi 7 mars, au cinéma Mercury (16 place Garibaldi à Nice). Voici un texte de présentation de la seconde soirée avec deux films, dont son tout dernier. Je serais de la partie pour l'occasion.
"Le sac de Lucia. Le train de Jean."... Boris Lehman nous présente une collection d'objets dont le point commun est d'avoir appartenu à d'autres que lui, ses amis pour la plupart, sa famille, mais aussi « le parapluie d'une inconnue » et « la pomme de personne ». Ils sont à d'autres mais il en est devenu le détenteur, gardien, héritier, protecteur, conservateur comme dans un musée. Nous ne saurons pas comment ces objets sont arrivés à faire partie de sa vie, même s'il y a quelques indices, ce qui compte c'est le lien que chacun d'entre eux tisse avec une personne qui a fait partie de cette vie. Ce lien est suggéré par la manière à la fois simple et intense avec laquelle Boris Lehman nous présente chaque objet. Par la manière familière dont il les manipule, dont il nous en parle. Les mots décrivent, le ton de la voix donne l'émotion. Casquette, boite à couture, table... Choses qui me rattachent aux êtres est un court métrage de 2010, un inventaire comme un bilan, à la Prévert c'est inévitable, mais sans le raton laveur. C'est aussi très proche du travail d'Alain Biet qui a dessiné inlassablement les objets de son quotidien, de sa famille, pour les faire défiler comme à la parade dans Grands canons (2018). Plus qu'un possesseur, Boris Lehman est devenu le possédé de ces objets à travers le lien affectif qu'ils renferment avec les autres. « Je suis la somme de tout ce que les autres m’ont donné ». Ces objets inanimés ont bien « une âme qui s’attache à notre âme » car elle est celle de ceux que nous aimons.
Dans La dernière (s)cène (1995), un autre court métrage, Boris Lehman nous disait, bien dans les yeux, face caméra, « Je vais mourir, n’est-ce pas ? ». Vingt ans plus tard, Funérailles (de l’art de mourir) (2016), est une réflexion sur l'organisation ce dernier pas définitif. Le metteur en scène belge le présente comme son dernier film, œuvre testamentaire, essai aux deux sens du terme sur la meilleure manière de dire adieu au monde. Si la vie est un voyage, le cinéaste se présente au moment du retour, comme Ulysse après ses aventures, échoué sur le rivage, reconnu seulement par son chien. Boris Lehman s'éloigne paisiblement en compagnie de sa chienne Cannelle. J'ai pensé à Umberto D. (1952) de Vittorio De Sica, je pense toujours à Umberto D. quand un vieil homme s'éloigne avec son chien. Comment partir ? (Brel chantait : « mais où aller ? »). Les différents essais de Boris Lehman sont parfois graves, parfois funèbres comme on pouvait-s’y attendre, mais aussi drôles lors de la visite aux pompes funèbres, quand l'employé joué par Jean-Philippe Altenlow propose différents modèles de cercueil et que le cinéaste s’allonge dans un modèle de luxe pour voir s'il est confortable. Drôle aussi l'inscription « Ni fleurs, ni couronnes, ni rabbin » sur la voiture corbillard qui mène le cortège coloré de vif des amis, fanfare en tête, pour une inhumation à Waterloo, morne plaine, « champ de bataille devenu champ de patates ». Drôle encore la lecture par Laurent d'Ursel de l'hommage savoureux rédigé par Boris Lehman qui ne laisse rien au hasard. La gravité viendra de la lecture du Kaddish, la prière pour les défunts dans la religion juive, avec l'émouvante scène du lavage du corps. Le cinéaste s'y prête avec le même courage que lors de l'essai du cercueil, comme quand il se fait enterrer dans une fosse au fond de son jardin, autant de variations qui exposent son corps et le mettent en jeu à l'écran. Gravité enfin quand Boris Lehman nous lit un testament rédigé trente ans plus tôt et où l'émotion est grande à le voir retarder l’inéluctable moment de l'adieu et du dernier plan.
A l'heure du départ, qu'est-ce qu'une vie ? Et qu'est-ce qu'une vie de cinéaste dont la vie a constitué la matière de ses films ? Que doit-il rester ? Que faut-il transmettre ? Boris Lehman envisage de faire place nette. Les objets qui l'entourent sont destinés aux flammes et à la disparition. Pour l’œuvre, Franz Kafka est convoqué à travers un extrait de sa lettre à Max Brod, écrite en 1921, où il enjoint à son ami de tout brûler, quelques livres mis à part. Boris Lehman organise alors un bûcher des ouvrages de l'écrivain (où l'on distingue quand même un Pierre Pelot de la collection Anticipation). Plus tard, juché sur un bunker de la seconde guerre mondiale en bord de mer, le cinéaste détruira les bobines de ses films. Sur l'une des boites, on lit le titre : « Babel », ensemble commencé en 1983 dont Funérailles (de l’art de mourir) est l'ultime épisode. Bien que ce ne soit jamais dit, le film évoque avec force la destruction des juifs d'Europe par les nazis, traumatisme fondamental où il était question de faire disparaître un peuple et une culture par le feu. Ce sont ces images des livres au bûcher, les vêtements en flammes qui composent une silhouette humaine, du Bunker, les sons d'avions de chasse. Le désir de ne rien laisser derrière s'oppose à la matière du film, à son existence même, comme ces photographies de Boris Lehman (qui se voit alors comme un fantôme) prises par son ami Evgen Bavkar. Ces scènes de destruction, parfois cocasses comme la tentative de détruire une plante grimpante devant sa maison, sont contrebalancées par la présence de nombreux enfants, sur la plage, en marge du cortège funèbre, ils sont l'avenir, la vie qui se renouvelle et l'espoir d'une transmission. Il faut portant se résoudre à terminer le film et à saluer une dernière fois ceux que l'on regarde depuis tant d’années depuis l'écran. Laisser son image s'effacer et les bobines, les films, l’œuvre, derrière, rester un moment encore.
A lire sur Débordements sous la plume de Benjamin Hameury
Photographies © Boris Lehman
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11/02/2020
Bruxelles, la nuit
Ghost Tropic (2019) de Bas Devos
Dans le cadre du festival annuel de l'association Cinéma Sans Frontières, j'aurais le plaisir de présenter le film de Bas Devos ce mercredi 12 février à 20h00 au cinéma Mercury.
L'aventure est au bout de la ligne. Une ligne de métro qui traverse l’agglomération bruxelloise et qu'emprunte Khadija, l'héroïne du nouveau film de Bas Devos, Ghost Tropic. Une héroïne du quotidien, car Khadija travaille dans une société de nettoyage pour les entreprises. C'est aussi une femme d'une cinquantaine d'année, musulmane qui porte voile mais d'une façon très naturelle. C'est aussi une bonne nature. La première scène la montre avec l'équipe de nettoyage, partageant un moment joyeux, où elle est prise d'un irrépressible fou rire. Plus tard nous en apprendront plus sur elle, qu'elle est veuve, vit avec sa fille adolescente et qu'elle a un grand fils qui a quitté le foyer. Nous apprendrons d'autres choses encore car Ghost Tropic est un portrait, un « instantané » comme le décrit le réalisateur, une façon de pénétrer en douceur dans l'intimité et l'intériorité d'une personne d'apparence banale, de ces personnes invisibles que nous côtoyons tous les jours sans y faire attention. Comme nous ne croisons que rarement les personnes qui s'occupent de nettoyer le monde dans le quel nous vivons.
Avec la petite équipe, Khadija termine tard et, ce soir là, s'endort dans la rame qui doit la ramener chez elle. Du coup elle se retrouve à l'autre bout de la ville à point d'heure et va devoir trouver le moyen de rentrer après le dernier métro. Commence alors une micro odyssée, ponctuée d’événements qui en temps ordinaire ne prêteraient pas à conséquence mais qui, passé minuit, deviennent autant de défis à relever. On se rappelle de la mécanique implacable qui faisait de la nuit du héros de Martin Scorsese dans After Hours (1985) un vrai cauchemar. Le parcours de Khadija tient plus des déambulations des personnages des premiers films de Wim Wenders, et la mise en scène comme le propos de Bas Devos nous ramènent à la Chantal Ackerman de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975). Quand même, c'est la nuit et il va falloir rentrer. Pour notre personnage, il va s'agir de trouver un distributeur pour récupérer de l'argent, tenter de prendre un bus de nuit, se réchauffer par cette nuit glaciale d'hiver en cherchant une station service encore ouverte dans un univers urbain entre hostilité et indifférence. Mais pas si désert qu'il le semble de premier abord. Le parcours de Khadija se ponctue de rencontres, autant d'îlots d'humanité qui mettent à l'épreuve sa bonté naturelle. Un vigile compréhensif, une caissière de station service accueillante et serviable, un jeune squatter, un voisin soupçonneux (pardon, vigilant), un ambulancier hésitant, deux policiers peu motivés, du personnel hospitalier de garde. Et puis un sans abri allongé dans le froid qui va susciter chez Khadija compassion et tentative pour le sauver. Et enfin il y aura sa fille, le hasard faisant bien les choses et permettant de passer du général au personnel, à relancer les enjeux de ce « road movie » sans presque de voitures et à affiner le portrait de cette femme.
A travers ce récit minimal et délicat, Bas Devos fait aussi le portrait d'une ville, Bruxelles, bien loin du centre et des quartiers chargés d'histoire. Béton, asphalte, tours de verre, ensemble urbain comme il y a tant, cette ville prend parfois l'allure d'une cité du futur comme l'Aphaville de Jean-Luc Godard construite sur le Paris moderne de 1965. A côté des sentiments de froid et d'hostilité, créés par le décor, se dégage une curieuse poésie véhiculée par la photographie de Grimm Vandekerckhove qui utilise une pellicule argentique 16mm. Le grain et la lumière très travaillée vont chercher la beauté de cet univers déprimant. Et comme en écho revient périodiquement l'idée d'un autre monde rêvé, la partie tropicale du titre. Des chants d'oiseaux exotiques se font entendre à plusieurs reprise, une affiche avec palmiers et mer bleu pacifique enjoint de se perdre, "get lost". Le rêve et l'humanité sont les deux ressorts qui s'opposent à ce monde inhumain destiné à des fantômes, la partie « ghost » du titre. Cette poésie nocturne et cet appel au rêve ouvrent à une réflexion politique. Travailleurs de la nuit, nombreuses personnes d'origine étrangère (l'ambulancier, le vigile, Khadija et certains de ses collègues), services publics toujours sur la brèche, chacun assure une fonction, un infime rouage dans la grande machinerie urbaine. Ils sont pourtant les invisibles, des ombres comme les passagers du bus qui ne partira pas. Devos nous fait voir d'un œil neuf ce que l'on ne remarque pas au quotidien. Sans jamais rien appuyer, porté par la performance de sa remarquable actrice principale, Saadia Bentaïeb (comédienne de théâtre qui a débuté au cinéma en factrice pour Yves Caumont dans Cache-cache (2005), revue chez Roman Polanski, Bertrand Bonello ou Robin Campillo), réalise une œuvre complexe qui incite à la réflexion, d'une grande rigueur dans la mise en scène. Devos impose un tempo maîtrisé qui prend le temps de donner le temps, de voir la lumière baisser dans un salon, de s'assoupir dans un wagon, de prendre un thé, de rêver à un soleil tropical au cœur de la nuit bruxelloise.
Photographie DR
09:07 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bas devos, cinéma sans frontières | Facebook | Imprimer | |
10/02/2020
John Wayne, l'homme et l'oeuvre
John Wayne, l'Amérique à tout prix (2019), un film de Jean-Baptiste Pérétié
Le récent documentaire de Jean-Baptiste Pérétié consacré à John Wayne, diffusé sur ARTE il y a peu, m'a pas mal agacé. Il me semble symptomatique d'une tendance de plus en plus lourde qui consiste à exposer les zones d'ombres de tel ou telle pour lire leur travail à travers une grille contemporaine de valeurs, morales, politiques, éthique ou ce que l'on voudra. Partant de là, il s'agit de lier l'homme et l’œuvre (pouf, pouf) d'une manière si étroite qu'elle conduit à disqualifier la seconde et donne prise à des actions de censure de plus en plus agressives et radicales comme les déprogrammations ou les retraits en librairie. En attendant quoi ? Un bon autodafé des familles ?
Je pense qu'il est toujours intéressant de connaître la vie des créateurs et de voir comment elle peut éclairer certains aspects de leur œuvre. Il ne s'agit pas de s'aveugler. Mais je crois aussi qu'il faut être très prudent et très rigoureux dans la façon dont cette articulation est faite. Et surtout il ne faut pas en faire l'alpha et l’oméga de l'analyse. J'y vois plusieurs problèmes. Le premier, c'est celui du contexte. Je ne suis pas historien, mais il me semble que si l'on ne prend pas en compte la complexité d'une situation historique, il est délicat d'en tirer des conclusions définitives sur les actions d'une personne. Il y a ensuite la tentation d'instrumentaliser le passé pour mener des combats actuels, quand bien même ceux-ci seraient légitimes, ce qui conduit trop souvent à tordre le bras aux faits.
Ce qui me gène peut être le plus, c'est la place que l'on réserve au spectateur, souvent mis de côté et dont l'intelligence comme le libre arbitre sont niés. Quand le spectateur c'est moi, il est naturel que ça m'agace. Je crois absolument que ce qui se joue entre la création et celui qui la reçoit est plus important que les intentions de son créateur. Non qu'il faille les ignorer, c'est important, mais pas indispensable. On sait depuis Frankenstein que la créature finit toujours par s'échapper. Il est donc possible de voir et aimer (ou pas) un film sans rien connaître de son auteur, de son sexe, de sa nationalité, de sa religion ou de la couleur de sa peau. On le passe alors au filtre de sa propre expérience, de sa sensibilité ou de son sens de la poésie, et c'est bien comme ça. Que John Ford ait été catholique, Loïs Weber une femme, ou que Steven Spielberg soit juif n'est jamais entré en compte dans l'admiration que je voue à leurs films (même si je peux en percevoir les signes). Je déteste ceux de Michael Haneke sans rien savoir de lui, sinon qu'il est autrichien, et c'est peut être une personne charmante.
La personne, parlons-en. Ce genre d'approche par catégorie qui voudrait nous faire entrer dans des cases me semble impuissante à rendre compte de la complexité d'un être humain. Nul n'est parfait, plus ou moins selon le cas, mais c'est comme ça. Nous sommes pétris de défauts et de contradictions qui peuvent, en matière d'art, se révéler un moteur majeur de la créativité. Pour un acteur, au cinéma en particulier, la façon dont un réalisateur peut jouer de ces éléments est fascinante.
Pour en revenir à John Wayne, c'est Jean-Luc Godard qui écrivait : « Comment puis-je haïr John Wayne (...) qui soutient Goldwater et l'aimer tendrement quand il prend brusquement Nathalie Wood dans ses bras dans l'avant-dernière bobine de La Prisonnière du désert ? »*. Tout ce qui est important chez John Wayne acteur est là, tout ce qui est à retenir et qui restera. Et c'est tout ce qui manque au documentaire de Jean-Baptiste Pérétié, la contradiction entre les positions de l'homme Marion Michael Morrison et les rôles majeurs de l'acteur John Wayne, et comment cette contradiction a été utilisée par les grands metteurs en scène qui l'ont dirigé. Le documentaire reste un procès à charge sur des faits quand même bien connus : John Wayne n'a pas participé à la seconde guerre mondiale, John Wayne était conservateur voire réactionnaire, John Wayne était un anticommuniste actif et s'est engagé en faveur de l'intervention américaine au Vietnam. Oui, le Duke a été tout cela, mais nombre de choses sont omises qui auraient permis de nuancer ou de mieux comprendre ces faits. De dédramatiser aussi car leur importance est toute relative. En tant qu'acteur, son opinion n'engageait que lui, même s'il a pu penser le contraire. Quel était le poids de son engagement public à l'époque et quel est son intérêt aujourd'hui ? Jean-Baptiste Pérétié aurait pu (se) poser la question. Son film y répond en partie dans sa structure : une minute sur les grandes compositions de la période 1945-1952 signés John Ford, Howard Hawks ou Edward Ludwig, et de longs passages sur Big Jim McLain (1952), médiocre polar anti-rouges de Ludwig pourtant, et bien entendu The Green Berets (Les Bérets verts, 1968) qu'il réalise lui-même. Si le premier est une bonne pièce à conviction, il faut rappeler qu'il a été un échec public autant que critique et qu'il n'est pas sorti en France, sinon en province sous le titre Marijuana avec un doublage allemand transformant les vilains communistes en trafiquants de drogue. C'est dire combien il était plus important que Red River (La Rivière rouge, 1948) de Hawks ou The Quiet Man (L'Homme tranquille, 1952) de Ford.
Debout, les damnés de la terre...
Reprenons les choses dans l'ordre. Pour ce qui est de la seconde guerre mondiale, Wayne ne s'est pas engagé, il a tergiversé (ce dont le documentaire rend compte) en partie pour préserver sa carrière naissante qui venait de décoller après plus de dix ans de difficultés. Ça se discute, d'autres n'ont pas hésité. Mais plusieurs choses ne sont pas dites. La première c'est que Wayne en 1941 avait déjà 34 ans et surtout quatre enfants en bas âge, ce qui ne faisait pas de lui un candidat idéal. Il a été d'abord réformé 3-A pour raisons de support familial. L'autre c'est que Herbert J. Yates, le patron des studios Republic qui avait Wayne sous contrat, ne voulait pas voir son unique grande star masculine partir. Yates le menaça d'un procès et fit jouer de son influence pour entraver les démarches de Wayne. De la même façon la MGM fit le forcing pour faire revenir Clark Gable après avoir appris qu'une balle avait traversé la botte de l’acteur lors d'une de ses missions de combat. Ford, que Wayne avait sollicité, n'eut pas non plus le geste décisif. S'il reprocha à l'acteur ses atermoiements, il lui donna pourtant avec The Wings Of Eagles (L'Aigle vole au soleil, 1957), le très beau rôle d'un aviateur (le réel Frank « Spig » Wead) empêché de prendre part aux combats suite à un accident l'ayant paralysé et qui doit trouver d'autres façons de participer à l'effort de guerre. Voilà une articulation qui aurait été intéressante à explorer.
Sur le chapitre du Maccarthysme, il aurait été bien de rappeler le contexte de guerre froide et d'une paranoïa qui ne reposait pas que sur du fantasme. Ce genre de situation ne révèle pas le meilleur de l'être humain. Mais il aurait été bien d'étudier les rapports de Wayne avec ceux qu'il combattait à Hollywood. Par exemple, son rôle dans Three Faces West (Les Déracinés, 1940) de Bernard Vorhaus où il joue un syndicaliste paysan (mais si !) accueillant des réfugiés de l'Allemagne nazie. Le scénario était signé de Samuel Ornitz, qui sera de la tristement célèbre liste des « dix de Hollywood ». Vorhaus fera partie des « blacklistés » comme le réalisateur Edward Dmytryk et le scénariste Ben Barzman avec lesquels Wayne fera Back to Bataan (Retour aux Philippines) en 1945. Bon c'était avant McCarthy et Wayne n'a jamais caché son manque de sympathie pour Dmytryk, mais il y a son amitié avec Kirk Douglas, démocrate convaincu, qui produira en 1960 Spartacus, confié à Stanley Kubrick et écrit par Dalton Trumbo, autre membre de la liste noire qui revient à la lumière avec ce film. Plus tard encore, Wayne produit et joue dans The Cow-boys (1972), un des films les plus intéressants de sa fin de carrière, confié à Mark Rydell, où il partage l'écran avec Bruce Dern, Roscoe Lee Browe et Sarah Cunningham. Rydell est un progressiste, Dern plutôt hippie, Browne un acteur noir engagé dans la défense des droits civiques et Cunningham une ancienne proche du parti communiste et autre victime de la liste noire. Elle joue pourtant la femme du personnage de Wayne et leurs scènes ont beaucoup de chaleur. Je ne saurais tirer de conclusions sur ces éléments mais je pense qu'ils apportent un autre éclairage sur l'espèce de statue du commandeur réactionnaire que Wayne a lui-même alimentée.
Plus largement, sur les questions politiques, il est dommage de ne pas parler de l'évolution de Hollywood entre 1950 et 1970 et de la façon dont elle a pu impacter la manière de voir de gens comme Wayne. Il est d'une génération qui a bâtit sa carrière dans le système classique des studios. L'arrivée des années soixante correspond à une crise de ce système, à une évolution des mœurs avec les années Kennedy, et au vieillissement de cette génération qui se fait doucement mais sûrement supplanter par la suivante. J'ai remarqué que nombre de stars de l'époque comme Henry Fonda ou James Stewart, associés à des idées plutôt « à gauche » dans les années trente et quarante à travers leurs personnages emblématiques chez Ford ou Capra, expriment lors des années soixante des idées conservatrices, et une certaine incompréhension, parfois hostile, au monde en train de changer. Chez Wayne, cela va se traduire par des rôles où il se confronte à ce conflit de génération, parfois de manière manichéenne, mais parfois avec une réflexion en profondeur comme dans le film de Rydell ou True Grit (Cent dollars pour un shérif, 1969) de Henry Hathaway. Autre axe intéressant, la façon dont Ford a utilisé l'image de sa star pour des personnages complexes. Le capitaine Brittles est un homme qui refuse le combat, comme l'officier humaniste de Fort Apache (1948) s'opposant au colonel conservateur joué, autre paradoxe fordien, par Fonda. Ethan Edwards dans The Searchers (La Prisonnière du désert, 1956) est magnifique parce que c'est un raciste rigide, mais qu'il effectue un travail sur lui-même pour dépasser ces sentiments négatifs. Et cela fonctionne d'autant mieux que c'est Wayne qui l'incarne (d'où l'admiration de Godard). Dans The Man Who Shot Liberty Valance (L'Homme qui tua Liberty Valance, 1962), Tom Doniphon est l'homme de l'Ouest qui se confond avec l'image idéalisée de Wayne, fort, individualiste, conservateur... Mais il perd tout et accepte de se suicider socialement au profit de l'avocat joué par Stewart qui incarne les valeurs de la démocratie américaine, sens de la communauté, refus de la violence, liberté d'expression, éducation pour tous... C'est assez fort quand on s'y arrête un moment. Dommage que le documentaire ne le fasse pas.
Reds are coming !
Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire, sur le rapport aux femmes par exemple, résumé à deux extraits qui omettent le contexte de farce, certes pas des plus légères, mais qui mériteraient une étude plus en détails où à mentionner un peu plus ses films hawksiens. Mais face à son imposante filmographie, il convient de revenir à l'indispensable ouvrage de Luc Moullet Politique des acteurs (Cahiers du Cinéma 1993) et rappeler la formule de Jean-Claude Bourret, lors de l'annonce de sa mort à la télévision française en juin 1979 : « Nous penserons que John Wayne, que le personnage John Wayne, n'avait pas que des qualités. Mais c'est justement le propre des héros ».
*Les Cahiers du cinéma de novembre 1966
Photographies Republic Pictures DR
15:43 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : john wayne, jean-baptiste pérétié | Facebook | Imprimer | |
22/01/2020
Joe (1933 - 2020)
Photographie DR - Nikkatsu
08:26 Publié dans Acteurs, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joe shishido | Facebook | Imprimer | |
12/01/2020
Une décennie en 10 + 10 films
Exercice délicat que celui de faire un bilan de la décennie écoulée. Mais je ne vais pas me dérober. Disons que sur un plan personnel, ce fut une période assez mouvementée et que, sur plusieurs années, cela a pas mal perturbé ma fréquentation des salles et jusqu'à celle à la maison. Et puis comment m'en sortir avec dix titres quand mon réalisateur fétiche a été si prolifique avec autant de réussites ? Je me suis donc penché d'une part sur ce que j'avais fait pour la décennie précédente et sur l'exemple de la taulière de La Nuit du chasseur de films, ce qui m'a permis de dégager le terrain et de constater non sans plaisir qu'il y avait une continuité entre mes choix d'il y a dix ans. Trêve de justifications alambiquées, place aux titres :
Lincoln (2012) de Steven Spielberg avec Ready Player One (2018), War Horse (2011), The Post (Pentagon Papers, 2018) et Bridges of Spies (Le Pont des espions, 2015)
Soshite Chichi ni Naru (Tel père, tel fils, 2012) de Hirokazu Kore-eda avec Manbiki kazoku (Une Affaire de famille, 2018), Umi yori mo mada fukaku (Après la tempête, 2016) et La Vérité (2019)
Memory Lane (2010) de Mickaël Hers avec Amanda (2018) et Ce Sentiment de l'été (2015)
Kaze tachinu (Le Vent se lève, 2013) de Hayao Miyazaki
Kaguya-hime no monogatari (Le Conte de la princesse Kaguya, 2013) de Isao Takahata
Mud (2012) de Jeff Nichols avec Loving (2016)
Mia madre (2015) de Nanni Moretti avec Habemus Papam (2013)
Paterson (2016) de Jim Jarmush avec Only Lovers Left Alive (2013)
Timuktu (2014) d'Abderrahmane Sissako
Leto (2018) de Kirill Serebrennikov
Et dix de plus :
La Villa (2017) de Robert Guédiguian avec Au fil d'Ariane (2014)
Detroit (2017) de Kathryn Bigelow
Tonnerre (2013) de Guillaume Brac avec Un monde sans femmes (2011) et Contes de juillet (2017)
Un homme qui crie (2010) de Mahamat-Saleh Haroun
Bright Star (2010) de Jane Campion
Dylda (Une Grande fille, 2019) de Kantemir Balagov
Burning (2018) de Lee Chang-dong avec Poetry (2010)
Bella addormentata (La Belle endormie, 2012) de Marco Bellocchio avec Il tradittore (Le Traitre, 2019)
Cold War (2018) de Pawel Pawlikowski
Mademoiselle de Joncquière (2018) d'Emmanuel Mouret avec Caprice (2015) et L'Art d'Aimer (2011)
Photographies : Copyright 20th Century Fox, Eye For Film, et DR.
A lire également chez le Bon Dr Orlof.
22:39 Publié dans Blog, Film, Panthéon | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook | Imprimer | |
05/01/2020
Et hop ! 2020
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28/12/2019
2019
Le moment est venu de se pencher sur cette belle année 2019 qui s'achève sur le sentiment d'avoir repris une nette vitesse de croisière en matière de films. Je suis encore bien loin de certains collègues, mais je suis moins honteux de publier mes préférences. L'année aura été marquée en outre par mon activité de conférencier, en particulier autour des cent ans de la Victorine à Nice, par les sorties des deux numéros de Zoom Arrière consacrés à Brian De Palma et Nanni Moretti, les deux numéros d'Abordages, et plusieurs autres collaborations qui m'ont ravies. Question films, il y a bien quelques regrets (Moretti, Guédiguian) que je vais rattraper au plus vite, mais c'est une année qui me semble très riche où j'aurais même amorcé une réconciliation avec le cinéma de Tarantino. De mes multiples explorations, je citerais la découverte des femmes cinéastes au temps du muet, Elvira Notari, Alice Guy, Lois Weber ou Germaine Dulac, histoire de savoir un peu de quoi on parle. Et puis, de merveilleux classiques comme Air Force (1943) de Howard Hawks ou Stars in My Crown (1950) de Jacques Tourneur. Pour la première fois, je ferais mention de séries. Pas difficile, ce sont les deux seules que j'ai suivies, mais ce sont aussi, pour moi, de beaux morceaux de cinéma. Je pourrais y ajouter I ragazzi di celluloide de Sergio Sollima, mini série en deux fois trois parties réalisée en 1981-1984, où le metteur en scène revient sur les années de sa jeunesse et de sa formation au Centro Sperimentale de Rome pendant les années du fascisme. Allez, c'est parti !
Dylda (Une Grande fille) de Kantemir Balagov
Le Mans 66 de James Mangold
Parasite de Joon-ho Bong
Dolor y gloria (Douleur et Gloire) de Pedro Almodóvar
Once Upon A Time... in Hollywood (Il Était une fois à Hollywood) de Quentin Tarantino
Il traditore (Le Traître) de Marco Bellocchio
Atlantique de Mati Diop
Rêve de jeunesse d'Alain Raoust
The Mule de Clint Eastwood
Toy Story 4 de Josh Cooley
Un court métrage :
L’espace commun de Raphaële Bezin (A voir ici)
Et deux séries :
Game of Thrones, saison 8, de Miguel Sapochnik et David Nutter
Chernobyl de Johan Renck et Craig Mazin
Copyrights : DR, ARP Sélection, Twentieth Century Fox, The Jokers/Les Bookmakers, Studio Canal/El Deseo, Sony Pictures, Ad Vitam, Netflix, Shellac, Warner Bros./Claire Folger, Disney/Pixar, Raphaële Bezin et HBO.
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24/12/2019
Joyeuses fêtes !
Image © Warner Bros.
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17/12/2019
Franz le bienheureux
A Hidden Life (Une vie cachée, 2019), de Terrence Malick
J'ai toujours eu du mal avec le cinéma de Terrence Malick et, en conséquence, cela faisait un bail que je n'avais pas vu un de ses films. Mais j'ai eu l'occasion de découvrir son nouvel opus lors du dernier festival de Cannes. C'est l'avantage de cette ambiance particulière où l'on peut se laisser aller à prendre des nouvelles comme par politesse. Après tout, une bonne surprise est toujours possible. Mais pas cette fois. Dès les premiers plans de A Hidden Life, je me suis souvenu pourquoi je n'aimais pas le cinéma de Malik, pourquoi il ne me touche pas et, même m'agace. Son film suit le destin de Franz Jägerstätter, un paysan autrichien qui refuse de combattre pour les nazis. Objecteur conscience, il est arrêté, condamné et exécuté en 1943. Le sujet est intéressant et, dans d'autres mains, il aurait pu donner matière à une œuvre porteuse de sens pour aujourd'hui. Mais pas cette fois. Qu'est-ce qui ne va pas ? D'abord la forme. Malick, en cela fidèle à ses choix artistiques, utilise un objectif de type grand angle qui donne un effet déformant, « fish-eye » comme disent les anglo-saxons. Sa caméra est souvent mobile avec de longs mouvements qui me donnent (trop) souvent l’impression d'avoir été fait avec drone. J'ignore si c'est le cas, mais c'est ce que je ressens. Et la combinaison des deux me déplaît au plus haut point. Je n'ai rien contre ce type d'effets, mais à petite dose et de manière adaptée. Dans le cas de ce film, ce qui me heurte, c'est leur utilisation pour un récit ancré dans une petite communauté rurale de la fin des années trente, reconstituée avec soin par ailleurs. J'y vois un choc esthétique impossible à surmonter entre ce qui est montré et la façon dont cela est montré. Il se trouve que j'ai eu l'autre soir l'occasion de découvrir, enfin, Stars in My Crown (1950), œuvre sublime de Jacques Tourneur. Ce film se déroule dans une petite communauté rurale, américaine et reconstituée avec soin, dans la seconde moitié du XIXème siècle. C'est aussi une histoire de conviction, de foi, d'engagement, de famille, de violence. Mais c'est filmé avec ce beau format classique plus carré, sans doute avec un objectif de 50 mm, le plus proche de la vision humaine. Du cinéma à hauteur d'homme tel que le pratiquent mes réalisateurs de chevet. Chez Malick on a un cinéma à hauteur de Dieu avec une image de caméra de surveillance.
Sur le fond, c'est pareil. Le destin de Franz Jägerstätter aurait du me toucher mais la façon dont Malick me le raconte me rend son personnage presque antipathique. Ce qui me gêne, c'est qu'il vit son objection de conscience à travers le seul prisme de sa religion, elle même vécue de façon très rigoriste comme un Amish ou un témoin de Jéhovah (qui furent eux aussi persécutés par les nazis). Je ne sais pas ce qu'il en était du Franz réel, mais celui de Malick ne semble avoir ni conviction politique, ni conscience individuelle. Il est porté par une foi qui ne souffre aucune question et semble l'amener à rechercher le martyre comme un premier chrétien face aux lions. Je n'ai été qu'à moitié surpris d'apprendre que notre homme avait été canonisé par l'église catholique. Belle référence ! Franz Jägerstätter est donc bien loin d'une Sophie Scholl du réseau de la Rose Blanche. Il ne cherche ni à résister au-delà de son cas propre (et donc guidé par sa religion), ni à fuir, ni à prendre en compte l'intérêt de sa famille qu'il fait passer après sa foi. Et Malick de déployer son lyrisme mystique pour sublimer son illuminé autrichien. J'ai le plus grand mal à avaler à ce discours. Et je me demande quel sens il faut donner à un tel film dans le monde où nous vivons, entourés d'un tas d'autres illuminés guidés par leur foi. Est-ce bien raisonnable ? Curieusement, pour revenir au film de Tourneur dont le personnage principal, joué par Joël McCrea, est un pasteur aux convictions solides qu'il est capable de questionner, je n'ai jamais eu le moindre soupçon d'irritation, bien au contraire, tant règnent la finesse et la nuance, à hauteur d'homme.
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15/12/2019
Le regard, la parole, Anna Karina
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09/11/2019
Cangaceiros !
Antonio Das Mortes (O Dragão da Maldade contra o Santo Guerreiro, 1969), un film de Glauber Rocha.
J'aurais le plaisir de présenter, samedi 9 novembre à 20h30 au cinéma Mercury à Nice (16 place Garibaldi) l'incroyable film de Rocha dans le cadre d'une séance des amis de Cinéma Sans Frontières. Voici le texte de présentation écrit pour l'occasion :
Les bouleversement du cinéma au tournant des années soixante ne se limitent pas à la Nouvelle Vague française, même si elle a pris avec le temps valeur de symbole. Il s'agit d'un mouvement plus universel, plus puissant, qui remet en cause l'ordre cinématographique établi, parfois de manière radicale. Divers, il se revendique en phase avec son époque, désireux d'accompagner d'autres mouvements, politiques, sociaux, voire révolutionnaires. Iconoclaste, il s'attaque à la forme comme au fond et noue à l'occasion des échanges étonnants avec certaines formes de cinéma populaire négligées ou méprisées. C'est le cinéma de Nagisa Ōshima, Kôji Wakamatsu et des jeunes cinéastes en colère au Japon, c'est le « Free Cinema » anglais de Tony Richardson ou Lindsay Anderson, C'est John Cassavetes en Amérique, Pier Paolo Pasolini en Italie, la naissance du cinéma noir africain avec Ousmane Sembene ou les jeunes cinémas venus de Pologne et de Tchécoslovaquie. Au Brésil, ce sera le « Cinema Novo », sous l'influence du néo-réalisme italien, dont l'une des figures marquantes est Glauber Rocha. Né dans l'état de Bahia, il réalise son premier long métrage en 1962 avec Barravento.
En 1964, il met en scène la figure mythique du Cangaceiro dans son second film, Deus E o Diabo na Terra do Sol (Le Dieu noir et le Diable blond) au titre programmatique. Le film est présenté au festival de Cannes et lui apporte une reconnaissance internationale. Le Cangaceiro est une sorte de bandit d'honneur entre Jesse James et Robin des Bois, sévissant dans la région difficile du Sertão, province pauvre du Nordeste. Les bandes (Cangaçao), armées et violentes, prospèrent autour d'une non moins violente lutte sociale entre paysans pauvres et grands propriétaires appuyés par le gouvernement. Le dernier grand « bandit social » meurt en 1940, mais avec leur dégaine clinquante, chapeaux à larges bords, médailles, cartouchières et vêtements de cuir, les Cangaceiros vont donner naissance à tout un folklore décliné en contes, livres, brochures, chansons, et films souvent influencés par le western américain. En 1953, O Cangaceiro de Lima Baretto est un immense succès du cinéma Brésilien. Il est présenté à Cannes et sa chanson « Olê muié rendeira » fera le tour du monde. Glauber Rocha reprend ce folklore avec une visée politique. La lutte mise en avant est une lutte des classes qui entend résonner avec la situation contemporaine du Brésil (le 31 mars 1964 a lieu le coup d'état militaire) comme avec d'autres luttes, de Cuba à l'Algérie.
Dans le film de 1964 apparaît un personnage secondaire, Antonio Das Mortes, chasseur de Cangaceiro au service des puissants. Incarné par l'acteur Maurício do Valle, ce personnage sera au centre de Antonio Das Mortes où ce mercenaire va prendre conscience du rôle qu'on lui fait jouer et prendre le relais du chef Cangaceiro qu'il a tué en combat singulier. Film d’aventure et film politique, l’œuvre de Rocha reprend un schéma travaillé par le western italien « révolutionnaire » illustré par Damiano Damiani, Sergio Corbucci ou Carlo Lizzani qui faisait jouer à Pasolini en personne un prêtre engagé. De la révolution esthétique du genre transalpin, Rocha reprend certains codes, des cadres baroques, des situations exacerbées et une façon de dilater le temps. Le montage très découpé des fusillades est bien contemporain de celui de Il mercenario (El Mercenario, 1968) de Corbucci. Question de style, son Antonio vêtu de sombre avec son long manteau noir rappelle Sartana comme les tueurs de Sergio Leone, et Lorival Pariz, dans le rôle du bandit Coirana, fait penser à Tomas Milian avec ses cartouchières et son sombrero.
Rocha réinvesti le folklore des Cangaceiros avec les codes d'un genre populaire qui s'exporte très bien dans ce que l'on nome alors le Tiers Monde. Mais il apporte d'autres dimensions qui lui sont propres et font de ce film un objet d'exception. Le titre original, « Le dragon de la méchanceté contre le saint guerrier » est une référence à l'histoire de Saint Georges et du Dragon, apportant au film une forte dimension mystique et religieuse. Les paysans pauvres sont menés par Dona Santa, « la femme sainte » qui s'est alliée à Coirana dans ce qui apparaît comme une véritable croisade contre l'injustice. Le film se situe en 1945 et fait référence au plus fameux des Cangaceiros, Lampião, tué en 1938. Et c'est pour le venger et reprendre son combat que Dona Santa et Coirana lèvent les paysans. Un autre personnage, un ancien esclave noir, prend une valeur de symbole au temps des émeutes américaines de Watts et Détroit. Cette dimension mystique est mélangée à une poésie surréaliste que l'on retrouve chez Arrabal ou le El Topo (1970) d'Alejandro Jodorowsky dont le héros a la même allure qu'Antonio Das Mortes. Rocha a des compositions qui mettent en valeur le peuple, le groupe, dans des rituels qui, outre leur beauté plastique, évoquent l'opéra (la musique, en partie folklorique, est très présente dans le film) et donnent au film une sorte de distanciation accentuée par la théâtralité des cadres (voir le long plan séquence du duel stylisé entre Antonio et Coirana devant la foule) et la déclamation de certains dialogues. Et par effet de contraste, l'héritage néo-réaliste se manifeste dans la qualité documentaire du tournage effectué sur les lieux de l'action, avec le concours des populations locales et d'acteurs non professionnels. Beau, violent, d'un érotisme trouble, halluciné parfois, lyrique, Antonio Das Mortes est fascinant et reste un film majeur du cinéma brésilien. Malgré la dictateur, le film représentera le Brésil au Festival de Cannes en 1969 où il obtiendra le prix de la mise en scène. Comme un hommage, la même année, l'italien Giovanni Fago met en scène au Brésil O' Cangaceiro avec Tomas Milan, remake du film de Lima Baretto, mais qui doit beaucoup aux films de Glauber Rocha qui quittera son pays en 1971.
11:03 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : glauber rocha | Facebook | Imprimer | |
12/10/2019
Nanni Moretti par Zoom Arrière
L'équipe de Zoom Arrière, sous la houlette d’Édouard Sivière de Nage Nocturne, revient avec un deuxième ouvrage, entièrement consacré au réalisateur italien Nanni Moretti. Après Brian De Palma, nous poursuivons cette idée de revisiter l’œuvre de nos cinéastes favoris à travers un ensemble de textes issus de nos sites et blogs, avec de nombreux inédits.
En quarante-cinq textes signés de neuf contributeurs, une balade (romaine) est effectuée, de film en film, le long d'une œuvre extrêmement personnelle. Les quatorze longs métrages qui la constituent (auxquels s'ajoutent plusieurs courts) sont successivement revisités en ces pages, ainsi que les thèmes récurrents la traversant du milieu des années soixante-dix à aujourd'hui : la famille, la politique, la religion, le sport, la cinéphilie...
Ponctuellement, d'un titre de la filmographie à un autre, ou en continu, pour saisir une évolution, plongez avec nous dans ce cinéma de l'intime et de l'universel, engagé et en décalage, rigoureux et ouvert.
Pour ma part, je me suis attaché à trois films fondamentaux, Palombella Rossa (1989), Caro diario (Journal intime, 1993) et Aprile (1997). Je me suis attaché également à la cinéphile militante de Moretti, vaste sujet, et proposé une somme de mes souvenirs d'un cinéma qui m'accompagne depuis trente années.
136 pages / Format : 14,8 x 21 cm
Tout ceci pour la modique somme de 5 € (+ 4 € de frais de port).
Pour le commander : Cliquer ici
Pour mes lecteurs et amis azuréens, ça peut passer par moi en direct.
11:34 Publié dans Cinéma, Livre | Lien permanent | Commentaires (8) | Facebook | Imprimer | |
10/10/2019
L'espace d'un instant secret
Cinématique des muses, un livre de Ludovic Maubreuil (Editions PGDR)
J'ai passé l'été avec vingt actrices remarquables, pas sur un écran pour une fois, mais dérivant avec délice au fil des pages du nouvel ouvrage de Ludovic Maubreuil, Cinématique des muses. Catherine Spaak, Claude Jade, Elsa Martinelli, Marie-France Pisier, Geneviève Bujold... elles ont toutes illuminé les écrans le temps d'une génération et d'un cinéma dont on sent bien aujourd'hui combien il manque. La muse inspire le poète avec ce que cela comprend de part de mystère, d'espaces troubles et fascinants où l'imagination, le rêve et le désir peuvent s'engouffrer. Au cinéma, sur l'écran, la muse s'incarne. C'est un corps, une voix, un pas, une attitude, un regard, un port de tête, un silence. Une femme. Les muses cinématographiques de Ludovic Maubreuil ont inspiré de grands cinéastes, de moins grands et d'obscurs. Mais toujours elles ont su toucher quelque chose de profond dans les spectateurs que nous sommes, amoureux sombrant sans regret dans leur sillage lumineux. Sur les pas de Luc Moullet et de sa Politique des acteurs (Cahiers du Cinéma, 1993), Maubreuil adopte une attitude de traverse. Ses vingt actrices, soigneusement choisies d'un élan que l'on devine du cœur, ont fait œuvre de leur présence à l'écran, déclinant leur essence au-delà des personnages issus des scénarios auxquels elles ont donné vie, en parallèle des visions et fantasmes qu'elles ont suscité chez leurs metteurs en scène. Ce n'est pas leur talent de comédienne, au sens technique, qui compte ici, même s'il est souvent remarquable, mais comme avec John Wayne ou Jean Gabin, cette faculté purement cinématographique d'une présence qui se joue à trois regards, celui de l'actrice, celui du réalisateur et celui du spectateur. Le nôtre.
Chacune a son autonomie, douce mais résolue. Ludovic Maubreuil saisi leur essence par des phrases précises et poétiques à la fois : « Personne ne mérite vraiment Catherine Spaak » ; « Marie-France Pisier est de ce genre de femmes à qui l'on aime mettre des chapeaux » ; « Pour avoir une idée de la force d'âme, il suffit d'observer Ottavia Piccolo ». Et l'auteur est un observateur hors pair, un portraitiste délicat. J'aurais envie de citer toutes ces phrases qui sont à la fois hommage et définition, joignant l'amour du cinéphile à la rigueur du critique. Une encore sur Amanda Langlet chez Rohmer « Statue du Commandeur en maillot de bain bleu et blanc ». Certains de ces portraits ravivent des souvenirs de toutes celles dont on a croisé les « chères images aperçues », passantes qui nous ont marqué quand tout le reste a été oublié. D'autres suscitent des évocations plus lointaines, comme un parfum longtemps oublié qui surgit à l'improviste. D'autres enfin sont de belles inconnues que l'on a envie de découvrir (pour moi : Cathy Rosier et Catherine Jourdan).
Mais les muses de Ludovic Maubreuil ne sont pas de simples objets d'admiration. Leur évocation, au sens où l'on évoquerait des esprits bienveillants, fait resurgir tout un cinéma, celui dont je parlais en introduction, dont elles sont l'emblème d'audace et de liberté. Ce cinéma, surtout concentré dans les années soixante et soixante dix avec de jolies embardées, est défendu avec passion par l'auteur. C'est un cinéma aux bras grands ouverts, des films devenus cultes comme Les Yeux sans visage (1960) de Georges Franju aux explorations érotiques d'Alain Robbe-Grillet ou Walerian Borowczyk, d’œuvres majeures comme avec François Truffaut ou obscures comme Les Jambes en l'air (1970) de Jean Dewever, des fleurons du cinéma de genre signés Dario Argento ou Lucio Fulci au cinéma grand public des Aventuriers (1967) de Robert Enrico, des francs nanards comme T'es folle ou quoi ? (1981) aux œuvres télévisuelles, parfois superbes comme L'Île aux trente cercueils (1979). Au-delà des apparitions, même fugaces, des muses, tous ces films ont en commun l'expression d'une liberté dans leur pratique. Quelque chose d'une sincérité qui résiste aux approches commerciales comme au manque d'ambition parfois, un territoire à explorer sans se sentir tenu à l'air du temps où aux conventions du moment. « Mon amour du cinéma est plus fort que toute morale » disait Alfred Hitchcock. C'est le chemin qu'empruntent, guidés par leurs muses, les cinéastes cités plus haut et quelques autres. Un chemin parfois périlleux si l'on considère celui que fît prendre Bernardo Bertolucci à Maria Schneider. Mais un chemin où le plus souvent elles ont été actives et attentives. Bien ou mal, elles nous ont offert des modèles, éclairé nos ignorances, suscité des élans, suggéré des façons de vivre et d'aimer. Cette générosité méritait un hommage à la hauteur. Il éclate ici à travers ces vingt portraits.
11:54 Publié dans Fascination, Livre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : ludovic maubreuil | Facebook | Imprimer | |
16/09/2019
Question de principe
Comme dirait Ringo, "c'est une question de principe". Même si je ne regarde plus cette émission depuis longtemps (comme le reste de la télévision d'ailleurs), le Cinéma de Minuit, son générique avec ses couples et sa musique, c'est un monument national. Et la manière dont l'émission a été traitée, bien emblématique de la façon dont la télévision moderne traite le cinéma, est indigne. Patrick Brion, sans lui, Claude Jean Philippe, Gérard Jourd'hui et Eddy Mitchell, je n'aurais jamais pu me forger la cinéphilie qui est la mienne aujourd'hui. J'aime sa voix, j'aime ses choix, je n'oublie pas qu'à une époque il avait le pouvoir de mettre de l'argent pour aider à restaurer et découvrir les films. Nous en sommes bien loin, hélas. Son travail est immense et restera, même s'il doit aller le faire ailleurs. Une pétition a été initiée par Christophe Ruggia, auquel se sont joints Ariane Ascaride, Bertrand Tavernier, Mathieu Amalric, etc. Alors je partage et je signe, sans illusion sur ceux qui prennent ce genre de décision, pour signifier à Patrick Brion mon admiration et lui dire merci.
Pour accéder à la pétition, cliquez sur la photographie ci-dessous.
19:32 Publié dans Web | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : patrick brion, cinéma de minuit, télévision | Facebook | Imprimer | |
13/09/2019
Clermont-Ferrand 2020
Le temps file ! Dans quelques mois, ce sera une nouvelle édition du Festival du Court métrage de Clermont-Ferrand qui présente son affiché, dessinée par l’illustratrice portugaise Susa Monteiro, déjà membre du jury international l'an passé. Vous pouvez cliquer sur l'image pour visiter le site du festival. Vivement 2020.
10:17 Publié dans Festival | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : clermont ferrand | Facebook | Imprimer | |
10/09/2019
Il était une fois...
Belle archive de la RTS (Radio télévision Suisse". Sergio Leone parle de son film C'era una volta in America (Il était une fois en Amérique, 1984) dans un français impeccable. Entretien mené par Christian Defaye pour l'émission Spécial Cinéma du 14 mai 1984.
21:30 Publié dans Panthéon, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sergio leone | Facebook | Imprimer | |
12/08/2019
Le compagnon de la marguerite
J'ai toujours aimé le cinéma de Jean-Pierre Mocky et pourtant je ne le connais pas si bien que ça. Cela pourra sembler curieux au vu de sa filmographie, mais il est pour moi associé à l'enfance, époque où j'ai découvert Un drôle de paroissien (1963) et La Grande lessive (1968), deux de ses films avec Bourvil qui passaient souvent à la télévision (ce qui est piquant quand on connaît le thème du second). Est-ce que c'était dû à la vedette, que j'adorais, à la galerie d'acteurs qui l'entourait, Jean Poiret, Francis Blanche, Michael Lonsdale, à la collection de visages inoubliables dans lesquels je vois un esprit bande dessinée comme Roger Legris, Marcel Pérès, Rudy Lenoir, Jean-Claude Rémoleux ou Dominique Zardi, mon chauve favori ? Est-ce que c'était la musicalité de Joseph Kosma ou François De Roubaix, le rythme, les gags, le burlesque des poursuites et des travestissements ? Je ne saurais le dire mais ces films m'ont marqué et je les ai toujours revus avec joie, même si plus tard j'y ai vu d'autres choses à côté de la comédie loufoque : un portait de Paris, des réflexion parfois prophétiques (la place de la télévision dans le second), parfois iconoclastes (les idées décapantes sur le travail dans le premier), un esprit frondeur, beaucoup disent anarchiste, qui exalte l'action, individuelle ou groupée, contre les systèmes. Dans les années soixante, ces actions sont encore marquées par l'humour et la bienveillance, ce qui n'empêche pas le professeur Saint-Just (!) d'intervenir avec détermination. Plus tard, plus sombre, je découvrirais les films noirs comme Solo (1970) où Mocky, qui s'investira alors souvent dans les rôles principaux, fait preuve d'une violence désespérée. Il faudrait peut être écrire « dégoûtée » face à des combats qui ne peuvent plus être gagnés.
Avec Fernandel sur le tournage de La Bourse et la vie (1966)
Photographie
Petit à petit, j'ai découvert d'autres films avec une prédilection pour ceux des années soixante, moins convaincu par ses tentatives méritoires dans le fantastique, enthousiasmé par ce qu'il avait proposé à Catherine Deneuve dans Agent Trouble (1987), réussi à tirer de Patrick Sébastien dans Le Pactole (1985) et sa réjouissante collaboration avec Michel Serrault. Je dois avoir décroché quand ses films se sont fait à la fois plus nombreux et plus rares. Coïncidence, j'ai vu il y a une semaine, avant mon départ en montagne, un film plus récent, 13 French street (2007) avec Thierry Frémont, Tom Novembre et l’époustouflante découverte de Nancy Tate. Le film m'a séduit, huis-clos érotique rendant hommage au film noir, où l'on sent un peu le manque de moyens mais pas le manque d'ambition, le désir toujours vif de cinéma. Avant d'apprendre la disparition du cinéaste, je me disais que j'avais envie de rattraper le temps perdu avec ses films.
Franc-tireur, libertaire, grande gueule, tout aura été dit dans les portraits et les hommages qui l'auraient sans doute fait marrer. On aura évoqué sa date de naissance fluctuante, ses enfants innombrables (lire ici pour des éléments plus solides), ses colères légendaires sur les tournages comme sur les plateaux télé, ses méthodes de tournage à l'énergie et à l'économie. Oui, oui, oui, mais il ne faudrait pas le réduire à cette image projetée par l'homme. Il ne faut pas oublier le grand cinéaste qu'il a été, son invention constante malgré, parfois grâce aux circonstances, ses qualités « graphiques » de caricaturiste capable de faire vivre en un plan et une réplique un personnage mineur, sa cinéphilie amoureuse, ses jolis mensonges à l'italienne, ses audaces, ses intuitions, sa capacité unique à saisir un pays et son époque, les nôtres. Et je ne veux pas oublier qu'à côté de tant de films satiriques, désespérés, noirs comme le souvenir, il a une veine profondément humaniste, sensible aux rêveurs, aux déclassés, aux idéalistes, aux jeunes femmes volontaires et aux enfants. Grand pourfendeur de la bêtise, il n'a guère d'équivalents dans sa génération, Claude Chabrol excepté. Cinéaste indépendant dans tous les sens du terme comme Paul Vecchiali, tournant coûte que coûte, empruntant les chemins de traverse quand se dérobaient les routes principales, il a montré une voie sans chercher à assurer une descendance. Il s'en fichait bien. Il y aura toujours à apprendre de son œuvre.
Lire également l'hommage de Jean-François Rauger dans Le Monde.
16:32 Publié dans Panthéon, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean-pierre mocky | Facebook | Imprimer | |